Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quasiment cinq ans jour pour jour après la première présentation du même texte devant notre assemblée, nous voici à nouveau réunis pour débattre des termes de cette proposition de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de notre Constitution.
À l’époque, les débats étaient marqués par le terrible assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty, tué parce qu’il avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression prévu dans le programme d’enseignement moral et civique. Je m’incline devant sa mémoire.
Cinq années se sont écoulées et, malheureusement, le cycle des assassinats motivés par des considérations religieuses ne s’est pas interrompu.
Je pense particulièrement à la mort brutale, survenue le 13 octobre 2023, au lycée Gambetta, à Arras, d’un autre professeur, Dominique Bernard, tué par un ancien élève ayant prêté allégeance au groupe État islamique. Je rends également hommage à sa mémoire.
Mais ces actes odieux ne sont que la partie visible d’un mouvement plus profond visant à fragmenter notre République et à favoriser le développement du communautarisme en son sein.
Il est aisé d’affirmer que vouloir modifier notre Constitution revient à emprunter un « chemin déclamatoire », comme cela a été dit dans cet hémicycle en 2020 : c’est considérer que cette modification est insuffisante pour apporter une réponse à tous les radicalismes religieux dont l’objectif est de remettre en cause le caractère assez unique dans le monde du concept de « laïcité à la française ».
À celles et à ceux qui pensent ainsi, je répondrai que, pour défendre notre République « indivisible, laïque, démocratique et sociale », tous les actes, législatifs ou non, sont nécessaires.
Telle est par exemple la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, que vous connaissez bien, monsieur le ministre.
Et que dire du défi posé aux maires, qui sont les premiers à recevoir des revendications émanant de groupes se considérant comme distincts ?
Qu’il s’agisse de revendications alimentaires spécifiques pour les menus des cantines scolaires, de demandes de non-mixité dans certains services publics ou encore du refus de se soumettre à l’autorité d’agents publics en raison de leur sexe ou de leur religion, ces comportements portent en germe une logique de dislocation du lien républicain, car ils reposent sur une mise en cause des règles de vie communes, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur.
La laïcité est donc attaquée dans tous les domaines, que ce soit au sein des institutions publiques ou dans le monde de l’entreprise.
La modification constitutionnelle qui nous est proposée ne justifie ni excès ni outrances ; elle répond à une réalité quotidienne.
Le professeur de droit public Mathieu Touzeil-Divina développe, à juste titre selon moi, l’idée que la laïcité est un principe doté d’une certaine latitude, ouvrant la voie à des marges d’interprétation ou d’application.
Il s’agit donc, par cette modification constitutionnelle, d’ajouter une précision dotant tous les décideurs, publics comme privés, d’un texte de référence leur permettant de s’opposer à toute demande visant à déconstruire la laïcité de manière concrète.
Il s’agit non pas de stigmatiser ou de bannir, mais de renforcer les moyens dont nous disposons pour défendre une valeur qui nous est essentielle.
De plus en plus souvent, certaines franges de la société cherchent à obtenir des régimes dérogatoires au droit commun, en invoquant des prescriptions religieuses ou des particularismes culturels.
Or le pacte républicain, ciment de notre société, repose tant sur l’unité du peuple français que sur l’égale soumission de chacun à la règle commune.
Cette proposition de loi constitutionnelle vise à réaffirmer, face aux revendications communautaires, la prééminence de la norme républicaine. Ne pas réagir, c’est montrer notre faiblesse face à des individus ou à des structures susceptibles d’user de tous les moyens pour faire voler en éclats la société française.
Le 5 octobre 2024, j’ai organisé au Sénat, dans la salle Médicis, une conférence intitulée « La laïcité, un enjeu de liberté pour les femmes : l’exemple français ».
Sur quatre intervenantes, l’une était sous protection policière et une autre usait d’un nom d’emprunt. Est-ce normal ? Bien sûr que non. C’est le résultat de menaces émanant de mouvements radicaux musulmans cherchant à empêcher la libre expression sur les atteintes à la laïcité.
À cette occasion, Fadila Maaroufi, anthropologue et cofondatrice du Café laïque à Bruxelles, après avoir décrit le développement du communautarisme dans la capitale belge, a conclu son intervention par ces mots : « La France, grâce à la laïcité, vous êtes l’un des seuls pays qui résistent encore. »
Je conclurai en insistant sur le fait que l’expression de « règles communes » apparaît notamment dans la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004 relative au principe de laïcité et à la neutralité du service public.
En outre, dans la décision du 21 février 2013, les juges constitutionnels ont rappelé que le principe de laïcité inscrit à l’article 1er de la Constitution impose que « La République assure la liberté de conscience » et « garanti[sse] le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées […] dans l’intérêt de l’ordre public ». Il résulte également de ce principe que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Ce principe de laïcité est l’une des garanties des droits de l’homme et du citoyen. Il constitue la règle commune dans l’organisation des services publics.
La proposition de loi constitutionnelle que nous examinons ne restreint aucune liberté fondamentale ; elle rappelle simplement que la liberté de chacun s’arrête là où commence le respect de la règle commune.
Face aux menaces de fragmentation sociale, réaffirmer les fondements du pacte républicain est un acte de lucidité et de responsabilité.
Il s’agit non pas d’imposer une uniformité rigide, mais de garantir une unité fondée sur des règles partagées par tous, seules à même de permettre à la diversité de s’épanouir dans un cadre commun.
Pour ces raisons, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la lecture de l’intitulé du texte que nous examinons aujourd’hui a de quoi décontenancer. En effet, la prééminence des lois de la République n’est-elle pas déjà garantie ?
« Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. » Cette courte phrase définit ce qui est le cœur même du pacte républicain : l’universalité de la loi.
La loi doit être la même pour tous, « soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », comme le proclame l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
C’est cette égalité devant la loi qui fonde la cohésion nationale et qui permet à des citoyens aux origines, aux convictions ou aux croyances différentes de vivre ensemble dans le respect mutuel.
L’article 1er de notre Constitution dispose que notre République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Il s’agit tant de préserver la cohésion de notre nation que de protéger les individus face à l’État.
Les auteurs du texte que nous examinons aujourd’hui proposent d’expliciter le fait que la règle commune s’applique à tous les citoyens. L’ambition simple et essentielle de cette proposition de loi constitutionnelle devrait tous nous rassembler. Hélas ! tel n’est pas le cas.
Nous ne pouvons ignorer les tensions qui traversent notre société. Des enseignants, des élus et des agents publics sont aujourd’hui confrontés à des contestations de principe sur des sujets relevant pourtant du droit commun : la mixité, la neutralité, les programmes scolaires ou encore les règles du service public.
Au-delà de l’école, devenue une cible privilégiée, les entreprises et les associations font également l’objet de revendications communautaristes de plus en plus pressantes. En progression dans tous les secteurs de la vie quotidienne, ces dérives sont devenues très préoccupantes.
Elles traduisent, chez une partie de nos concitoyens, le sentiment qu’il serait légitime de faire prévaloir une appartenance particulière sur l’application de nos lois. Il s’agit là d’une menace particulièrement dangereuse pour notre République.
Le législateur doit agir et dire clairement que nous nous opposons à la remise en cause de l’égalité des citoyens devant la loi. L’appartenance religieuse ou culturelle ne doit pas primer les lois de la République.
La France a toujours accueilli en son sein des femmes et des hommes venus d’horizons divers. Elle a su faire de cette diversité une richesse, en les rassemblant dans un cadre commun. Ce cadre, c’est la loi républicaine.
La République est ouverte et inclusive, mais ses principes ne sont pas négociables. La France respecte toutes les croyances, mais elle ne se soumet à aucune d’entre elles. Céder sur ce point, ce serait accepter la fragmentation de notre société en diverses communautés et, in fine, prendre le risque de la dissolution de notre nation.
L’article 1er de la Constitution dispose que la France est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Nous devons préserver cette indivisibilité : elle nous protège tous et elle est l’une des conditions nécessaires de notre démocratie.
L’école constitue l’un des creusets de notre cohésion nationale. C’est là que l’on apprend les principes de la laïcité, l’esprit critique ou encore le respect du pluralisme. C’est là que sont formés des citoyens et non de simples membres de communautés.
Nous devons soutenir nos enseignants dans cette mission et leur donner les moyens et la protection nécessaires pour qu’ils puissent l’exercer sans peur. La République n’oublie pas Samuel Paty et Dominique Bernard, professeurs assassinés pour avoir enseigné la liberté d’expression.
Cette protection, nous la devons également aux élus locaux. La République n’accepte pas que les maires soient menacés lorsqu’ils font respecter les règles du service public.
Cette proposition de loi constitutionnelle ne résoudra pas à elle seule les fractures dont souffre notre société, mais elle contribuera à les réduire. La prééminence de la loi exige un effort constant, notamment au moment de son application.
Notre responsabilité, en tant que citoyens, est de veiller à cette cohérence dans la justice rendue, dans les décisions administratives, dans la constance de la parole publique.
Ce texte fixe une ligne de principe à laquelle nous pourrons tous nous référer, en particulier les agents du service public, qui en ont tant besoin. Elle est porteuse d’un message de cohésion, de respect et d’unité, mais aussi d’une exigence de fidélité aux principes de la démocratie libérale.
C’est dans cet esprit que le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle. Nous sommes convaincus qu’elle rassemble, et qu’elle exprime, en des termes simples, ce que doit être la Nation française : indivisible. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque jour, notre République est la cible d’attaques multiples. Certaines sont visibles, brutales, d’autres plus insidieuses. Elles visent toutes le même objectif : affaiblir nos principes, remettre en cause l’égalité devant la loi et imposer des règles particulières au détriment de la cohésion nationale.
Face à ces tentatives de fragmentation, la lutte contre le séparatisme et contre toutes les formes de communautarisme demeure une priorité absolue.
C’est dans ce contexte que nous examinons aujourd’hui la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République. Ce texte introduirait dans notre Constitution un nouvel alinéa ainsi rédigé : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».
Or, mes chers collègues, qui pourrait s’opposer à ce que les lois de la République s’imposent à tous ? Cet objectif a la clarté de l’évidence. Mais, précisément, cette disposition se contente de rappeler un principe déjà pleinement consacré : dans un État de droit, la hiérarchie des normes suffit à affirmer cette prééminence. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’article 1er de notre texte fondamental, tous ces textes existent déjà.
Dès lors, la question est non pas de savoir si nous partageons l’objectif – nous le partageons sans réserve –, mais de savoir si l’outil ici retenu est pertinent. Or, sur ce point, nous émettons certaines réserves.
En particulier, la rédaction proposée soulève de réelles ambiguïtés juridiques. Qu’est-ce que la « règle commune » ? Est-ce la loi ? Est-ce une norme de rang inférieur ? Est-ce un ensemble de pratiques administratives, voire un corpus de droit dit souple ?
Une telle rédaction, si elle était introduite dans la Constitution, pourrait susciter des incertitudes d’interprétation et donner lieu à des lectures divergentes.
Surtout, cette rédaction pourrait entraîner des conséquences indirectes difficiles à maîtriser. Je pense ici en particulier à nos territoires d’outre-mer. Vous le savez, les articles 73 et 74 de la Constitution reconnaissent la spécificité de ces territoires. Or, sous couvert de lutter contre le séparatisme – objectif auquel nous adhérons sans réserve –, une telle rédaction pourrait être interprétée comme remettant en cause ce socle constitutionnel de différenciation.
N’y a-t-il pas là un risque d’amalgame entre, d’un côté, des revendications communautaristes contraires à l’unité républicaine et, de l’autre, les particularités légitimement reconnues de nos outre-mer ? Cette rédaction pourrait-elle avoir pour conséquence de fragiliser les régimes particuliers ? Le seul fait de poser ces questions est révélateur de l’ambiguïté inhérente à cette rédaction.
Le véritable défi n’est pas de multiplier les déclarations symboliques ; il est d’assurer au quotidien le respect intraitable de nos principes. Cela suppose des actions et des lois claires, appliquées avec fermeté, sur des sujets concrets : dissolution d’associations qui appellent à bafouer la République, contrôle du financement de certains cultes, protection de l’école, encadrement des dérives communautaristes.
Ne dressons donc pas de fausse opposition entre ceux qui voteraient ce texte au nom d’une fidélité républicaine de principe et ceux qui, comme nous, expriment leurs réserves : il n’y a pas d’un côté les vigilants et, de l’autre, les laxistes ; il y a simplement, selon nous, deux façons d’agir.
Nous sommes convaincus que le combat contre le séparatisme et le communautarisme doit être mené avec force et clarté, mais qu’il relève du domaine de la loi, laquelle permet des réponses précises, concrètes et adaptables, plutôt que du domaine constitutionnel, étant entendu qu’une formulation trop générale risquerait d’affaiblir la cohérence de notre texte fondamental.
C’est pourquoi, tout en partageant sans réserve l’objectif de lutte contre le communautarisme, notre groupe ne soutiendra pas cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Raphaël Daubet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
M. Laurent Somon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de République. Je remercie la commission des lois du Sénat, sa présidente Muriel Jourda et notre rapporteur Christophe-André Frassa pour la qualité des débats ouverts depuis 2020 sur ce sujet.
Nos concitoyens sont nombreux à s’inquiéter de voir s’installer des freins au vivre ensemble, tandis que le « vivre séparé » conduit au conflit, à la violence et aux drames.
Depuis plus de deux siècles, notre République avance en équilibre sur le fil qui sépare libertés individuelles et intérêt général, diversité et unité.
De la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 à la Constitution de la Ve République, une même idée traverse notre histoire : la loi est la même pour tous.
C’est dans cet esprit que nous proposons aujourd’hui d’ajouter à l’article 1er de notre Constitution cette phrase simple, mais essentielle : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »
L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclamait : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir […] à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. »
Ce texte est au principe de l’article 1er de notre Constitution, qui rappelle que « la France est une République indivisible [et] laïque », disposition sur le fondement de laquelle le Conseil constitutionnel a précisément considéré que nul ne peut « se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. » Si cet article n’a jamais vieilli, notre époque exige d’en réaffirmer le principe avec clarté et d’adapter sa lettre à notre temps.
Si la République garantit la liberté de conscience et la pluralité des origines, elle ne saurait tolérer que ces libertés deviennent prétextes à l’exception.
En l’inscrivant noir sur blanc dans notre Constitution, nous rappelons un principe vieux de deux siècles : la loi commune ne se négocie pas, elle se partage.
La loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État n’était pas un texte de combat contre la foi : elle était un texte de paix entre les croyances. Elle a permis à la France de garantir à chacun le droit de croire ou de ne pas croire tout en préservant l’État de toute domination religieuse. Cet équilibre reste notre boussole. Or il est fragilisé lorsque des groupes ou des individus estiment pouvoir s’affranchir de la règle commune au nom de convictions particulières.
Réaffirmer ce principe constitutionnel, c’est protéger la laïcité, non pas contre les religions, mais contre les divisions qu’engendre leur instrumentalisation.
La laïcité, c’est le respect de toutes les croyances ; c’est le droit pour chacun de chercher la vérité à sa manière. Elle ne signifie pas faiblesse, mais fermeté du bien commun, disait en substance Jean Jaurès.
Ces grands principes, qui seuls assurent le juste équilibre entre les droits légitimes des individus et les exigences de la vie en commun, sont ceux-là mêmes auxquels la France a naturellement adhéré en signant et en ratifiant la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Ce texte précise qu’il ne peut y avoir de « société démocratique » qu’à la condition que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions » et « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations » ne portent atteinte ni « à la sécurité publique, [ni] à la protection de l’ordre », ni à « l’intégrité territoriale ».
C’est là encore la loi commune, et plus généralement les règles communes, qui garantissent la vie en commun.
Mes chers collègues, par cette proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, nous ne créons pas un nouveau principe, nous ravivons une fidélité : fidélité à Condorcet, qui voyait dans l’instruction républicaine le moyen d’élever des citoyens libres et égaux ; fidélité à Jules Ferry, qui a voulu que l’école, libérée de toute pression religieuse ou communautaire, forme des consciences éclairées par la raison ; fidélité, enfin, à Simone Veil, qui rappelait que la République est forte quand elle sait rassembler sans renier ses principes.
La France du XXIe siècle n’est pas celle de 1789 ni celle de 1905, mais elle reste animée par un même idéal : faire d’une pluralité d’hommes et de femmes un seul peuple de citoyens.
Un tel ajout à la Constitution apporterait de la clarté en offrant un repère incontestable à ceux qui appliquent la loi – juges, enseignants, élus, fonctionnaires – et, plus généralement, à l’ensemble des forces vives qui donnent corps à notre société.
C’est que la loi commune ne distingue pas selon les situations : elle doit s’appliquer aussi bien dans les relations que les citoyens entretiennent avec la puissance publique que dans celles qu’ils nouent dans les domaines qui intéressent la collectivité.
L’interdiction des revendications communautaires n’est en effet pas seulement l’affaire des « relations entre collectivités publiques et particuliers » : elle est surtout l’affaire de la vie en société. Par le principe que nous souhaitons inscrire dans la Constitution, il sera affirmé avec force que là où il y a vie commune doivent s’appliquer les règles communes.
Fini les ambiguïtés, les zones grises, les hésitations jurisprudentielles, où la règle commune semble négociable ! Cet ajout à la Constitution apportera de la cohésion. Dans une société traversée par les doutes et les replis identitaires, cette phrase sera un rappel apaisant : quelles que soient nos origines, nous partageons la même maison, la même règle.
Cette précision apportera enfin de la confiance. En garantissant que nul n’est au-dessus ni en dehors de la loi, nous redonnerons aux citoyens le sentiment d’une égalité réelle et d’une justice impartiale, condition première du vivre ensemble républicain.
En 1789, les révolutionnaires ont voulu substituer à la société des privilèges une société de principes.
En 1905, les républicains ont voulu substituer à la tutelle religieuse la liberté de conscience.
Aujourd’hui, nous voulons rappeler que cette liberté s’accompagne d’un devoir : le respect de la règle commune.
M. Guy Benarroche. C’est déjà le cas ! Ça ne sert à rien !
M. Laurent Somon. Cet ajout à l’article 1er est non pas une rupture, mais une fidélité à notre République. Si, en effet, la République n’est pas l’uniformité, elle est l’unité dans la diversité, la liberté dans la responsabilité ; et elle est, pour chacun d’entre nous, le devoir de faire vivre la loi commune, qui seule nous rend égaux, donc véritablement libres. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
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Article unique
Après le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. L’objet de cet amendement est assez simple : il s’agit de supprimer l’article unique, donc de rejeter l’ensemble du texte.
Pourquoi ? La démonstration me semble avoir été faite par plusieurs de mes collègues, dont certains sont issus, du reste, de groupes qui n’ont pas l’habitude de s’opposer aux textes présentés par la majorité sénatoriale ou par le Gouvernement.
Cet article est dogmatique. Il entre en contradiction avec d’autres dispositions constitutionnelles. Ceux qui le défendent l’ont eux-mêmes dit : il est un rappel du droit existant.
Peut-on aujourd’hui envisager de modifier la Constitution pour y rappeler ce qui y figure déjà ? Tel est bien votre argument, qui motive seul le dépôt d’une proposition de loi constitutionnelle : il faut rappeler ce qu’il y a dans la Constitution.
Cette façon de concevoir ce qu’est la Constitution de notre pays me semble pour le moins légère, voire est de nature à l’affaiblir considérablement.
De surcroît, l’insertion à l’article 1er de notre Constitution de la mention selon laquelle « nul individu ou groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune » constitue un non-sens juridique : cette disposition est en effet redondante avec le principe constitutionnel d’égalité républicaine.
La République assure en effet l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion : si l’on ne peut pas distinguer les citoyens en raison de leur origine ou de leur religion, alors, de fait, personne ne peut se soustraire aux lois de la République en se prévalant de son origine ou de sa religion…
Ce texte de loi est donc redondant, dangereux, dissuasif ;…
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Dissuasif !
M. Guy Benarroche. … il affaiblit la République et notre Constitution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Benarroche, si j’ai bien compris, vous êtes le porte-parole de plusieurs groupes qui partagent à peu près votre position.
Mme Cécile Cukierman. Il n’y a pas de porte-parole : cela n’existe pas !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. C’est une image, madame Cukierman. J’allais dire que vous aviez été la plus mesurée – mais je me suis trompé… (MM. Roger Karoutchi et Mathieu Darnaud ironisent.)
Monsieur Benarroche, vous êtes donc bien, en définitive, le porte-parole de l’ensemble des groupes qui ont exprimé leur désapprobation et leur opposition à ce texte.
Je ne ferai pas durer le suspense : votre amendement est contraire à la position de la commission. Je l’avais déjà dit en commission, lorsque nous avions examiné ce même amendement de suppression déjà déposé par vos soins.
Selon vous, cette proposition de loi constitutionnelle entrerait en contradiction avec certaines dispositions constitutionnelles en vigueur. Vous affirmez ainsi que l’article 1er de la Constitution fait obstacle à ce qu’une personne s’exonère du respect des lois de la République en raison de ses convictions religieuses. En droit, vous avez raison.
Mme Mélanie Vogel. Mais vous allez nous dire que nous ne sommes pas là pour faire du droit… (Sourires.)
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. En effet : nous ne sommes pas en première année de droit, bien que la faculté se trouve seulement à quelques rues d’ici…
Cependant, est-ce véritablement le cas dans la pratique, au quotidien, dans les services publics ou dans les entreprises ? Ceux qui sont chaque jour confrontés aux revendications communautaristes – les maires, les chefs d’entreprise, les enseignants et, de manière générale, nos concitoyens – disposent-ils vraiment d’une base juridique claire et explicite et d’une affirmation constitutionnelle qui les mettraient à l’abri de telles revendications ?
Absolument pas – l’expérience le montre. Or tel est bien l’enjeu de la révision constitutionnelle qui est ici proposée : elle a justement pour objet de leur fournir cette affirmation constitutionnelle.
J’ai entendu – et j’ai même parfois écouté ! – les habituelles déclarations d’intention : nous agissons aujourd’hui en tant que législateur constituant et non en tant que législateur ordinaire.
Mais ce texte a précisément pour objet d’inscrire une telle affirmation dans la Constitution, afin que nos concitoyens puissent s’en réclamer, plutôt que de s’en tenir, pour seules références, à des jurisprudences du Conseil constitutionnel ou du Conseil d’État qui ne sont pas totalement parfaites et dans lesquelles il est vaguement fait mention des « règles communes ».
Par cette proposition de loi constitutionnelle, en affirmant que nul ne peut s’exonérer de la règle commune…


