Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

1. Hommage à Gilbert Bouchet, sénateur de la Drôme

2. Décès d’un ancien sénateur

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias

3. Rappel au règlement

Mme Nathalie Goulet

4. Candidatures à une délégation sénatoriale

5. Intégration d’une commune à un PNN et à un PNR. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

M. Jean Bacci, auteur de la proposition de loi

Mme Kristina Pluchet, rapporteure de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

M. Michaël Weber

Mme Marie-Claude Varaillas

M. Ronan Dantec

M. Michel Masset

Mme Denise Saint-Pé

Mme Laure Darcos

M. Jean-Marc Delia

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Vote sur l’ensemble

Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

6. Prééminence des lois de la République. – Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Discussion générale

M. Mathieu Darnaud, auteur de la proposition de loi constitutionnelle

M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Éric Kerrouche

Mme Cécile Cukierman

M. Guy Benarroche

Mme Sophie Briante Guillemont

Mme Isabelle Florennes

Mme Laure Darcos

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

M. Laurent Somon

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Amendement n° 1 de M. Guy Benarroche. – Rejet par scrutin public n° 3.

Vote sur l’ensemble

Adoption, par scrutin public n° 4, de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission.

7. Mise au point au sujet d’un vote

Suspension et reprise de la séance

8. Formations en santé. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale

Mme Corinne Imbert, auteure de la proposition de loi

Mme Véronique Guillotin, rapporteure de la commission des affaires sociales

M. Khalifé Khalifé, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure pour avis de la commission de la culture

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées

M. Philippe Baptiste, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’espace

Mme Céline Brulin

Mme Anne Souyris

M. Raphaël Daubet

Mme Anne-Sophie Romagny

Mme Marie-Claude Lermytte

M. Bruno Rojouan

Mme Solanges Nadille

Mme Émilienne Poumirol

Mme Nadia Sollogoub

Mme Marie-Do Aeschlimann

M. David Ros

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 5 de Mme Anne Souyris. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 1er

Amendement n° 7 de Mme Anne Souyris. – Rejet.

Article 2

Amendements identiques nos 2 de Mme Céline Brulin, 12 rectifié de Mme Corinne Bourcier et 13 de Mme Émilienne Poumirol. – Rejet des trois amendements.

Amendement n° 1 rectifié bis de M. Daniel Chasseing. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 2

Amendement n° 3 de Mme Céline Brulin. – Rejet.

Article 3

Amendement n° 16 de Mme Émilienne Poumirol. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 3

Amendement n° 4 de Mme Céline Brulin. – Rejet.

Amendement n° 9 de Mme Anne Souyris. – Rejet.

Article 4

Amendement n° 24 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 5

Amendement n° 17 de Mme Émilienne Poumirol. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 5

Amendements identiques n° 11 de M. Alain Milon et 23 de Mme Marie-Do Aeschlimann. – Retrait de l’amendement n° 23, l’amendement n° 11 n’étant pas soutenu.

Article 6

Amendement n° 20 de Mme Émilienne Poumirol. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 6

Amendement n° 18 de Mme Émilienne Poumirol. – Retrait.

Amendement n° 19 de Mme Émilienne Poumirol. – Retrait.

Intitulé du chapitre IV

Amendement n° 26 de la commission. – Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé.

Avant l’article 7

Amendement n° 25 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 7 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

Mme Émilienne Poumirol

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

9. Ordre du jour

Nomination de membres d’une délégation sénatoriale

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Hommage à Gilbert Bouchet, sénateur de la Drôme

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons appris ce matin le décès de notre collègue Gilbert Bouchet ; je tenais à partager cette triste nouvelle avec vous en ce début de séance. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre délégué, se lèvent.)

Gilbert Bouchet fut, pour le Sénat tout entier, un exemple de courage.

Maire de Tain-l’Hermitage, membre du Rassemblement pour la République, conseiller général de la Drôme, il mit toute son énergie et tout son dévouement au service de sa commune et de son département.

Son arrivée au Sénat, en septembre 2014, aura marqué sa vie politique : il défendit avec passion sa commune et son département au sein de notre assemblée.

Il siégea au sein du groupe Union pour un mouvement populaire (UMP), puis du groupe Les Républicains. Il fut membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication avant de rejoindre, en 2017, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Il fut aussi membre de la délégation aux entreprises.

Il est impossible d’évoquer la mémoire de Gilbert Bouchet, ancien hôtelier-restaurateur et responsable syndical dans le secteur de l’hôtellerie, sans parler de son soutien aux viticulteurs et de son amour – culturel – pour le vin. Il fut un membre éminent du groupe d’études Vignes et vin du Sénat. J’ai encore en mémoire ma venue, en 2015, au salon des vins de Tain-l’Hermitage, véritable institution qu’il avait créée.

Me rendant chez lui, dans la Drôme, au mois de juillet dernier, je m’étais trouvé face à un combattant déterminé. Nous avions échangé : il suivait au quotidien l’activité du Sénat et m’avait même, à cette occasion, transmis un certain nombre de dossiers.

Gilbert Bouchet transcenda sa maladie par le combat politique, au travers de sa proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d’autres maladies évolutives graves, adoptée à l’unanimité par le Sénat le 15 octobre 2024, puis par l’Assemblée nationale le 10 février suivant. La loi fut promulguée le 18 février 2025.

Il se battait pour accélérer le traitement des demandes de prestation de compensation du handicap et remédier à la longueur des délais d’attente, toujours excessive dans ces situations.

Venir au Sénat chaque mois et être présent dans notre hémicycle constituait pour lui une motivation dans la lutte qu’il menait contre la maladie. Je veux aussi saluer la solidarité, que nous avons pu mesurer encore ce matin, dont ont fait preuve ses deux collègues de la Drôme, Marie-Pierre Monier et Bernard Buis.

Nous garderons de Gilbert Bouchet le souvenir d’un sénateur chaleureux et courageux, d’un élu de proximité attaché à sa commune et à son département, bien sûr, mais aussi d’un humaniste doté d’une grande empathie.

Au nom du Sénat, le vice-président Pierre Ouzoulias et moi-même exprimons notre sympathie et notre compassion à son épouse, avec laquelle je me suis longuement entretenue ce matin, à sa famille et à ses proches.

Un hommage solennel lui sera rendu en séance dans quelques semaines, mais je ne pouvais débuter cette séance sans évoquer sa mémoire. Rappelons-nous de Gilbert Bouchet venant dans l’hémicycle en fauteuil roulant et sous respirateur. Souvenons-nous aussi de son intervention, depuis le banc des commissions, lors de la discussion de sa proposition de loi.

2

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. J’ai également le regret de vous faire part du décès d’une personnalité qui a marqué notre assemblée, notre ancien collègue Daniel Hoeffel, qui fut sénateur du Bas-Rhin de 1977 à 1978, puis de 1981 à 1993 et de 1995 à 2004, et vice-président du Sénat.

Nous lui rendrons hommage à l’ouverture de notre prochaine séance de questions d’actualité.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous propose d’observer un instant de recueillement et de solidarité en mémoire de Gilbert Bouchet et de Daniel Hoeffel. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre délégué, observent un moment de recueillement.)

(M. Pierre Ouzoulias remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias

vice-président

3

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, je souhaite associer mon groupe à l’hommage rendu à notre valeureux collègue Gilbert Bouchet, qui vient de disparaître. Nous partageons la peine de sa famille et des membres du groupe Les Républicains.

Mes chers collègues, le Louvre, le plus grand et le plus célèbre musée du monde, a fait l’objet d’un braquage inouï, qui mérite notre attention tant il a été mené avec une facilité déconcertante – on est loin d’Oceans Eleven ou de LAffaire Thomas Crown ! Les passants auraient pu s’interroger en voyant des travailleurs à l’œuvre un dimanche aux abords du Louvre…

Ce ne sont ni les rapports ni les mises en garde qui manquaient, et pourtant : nous voilà une fois encore dans l’ex post, en train de rechercher ici ou là des responsabilités ou des explications. Je le rappelle, nous avons adopté à l’unanimité, avant l’été, un rapport sur la criminalité organisée, où sont évoqués notamment les vols de bijoux et les trafics en tout genre de pierres précieuses.

J’ai bien peur que le braquage du Louvre ne conduise à un dépeçage de ces pièces uniques pour l’histoire de France et pour celle de l’humanité. Songez que le Muséum d’histoire naturelle vient lui aussi de faire l’objet d’un cambriolage, lors duquel ont été volées des pépites d’or dont la perte est irréparable.

Nous avons besoin de changer de logiciel. À la veille de la discussion budgétaire, nous devons avoir un débat franc, à la fois à la commission de la culture et à la commission des finances : il nous faut faire de la sécurité de nos musées et de nos bibliothèques un enjeu de sécurité nationale.

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

4

Candidatures à une délégation sénatoriale

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre à une commune d'être intégrée, pour une partie de son territoire, à un parc national et, pour une autre partie, à un parc naturel régional (PNR)
Article unique (début)

Intégration d’une commune à un PNN et à un PNR

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi visant à permettre à une commune d’être intégrée, pour une partie de son territoire, à un parc naturel national (PNN) et, pour une autre partie, à un parc naturel régional (PNR), présentée par M. Jean Bacci (proposition n° 747 [2024-2025], texte de la commission n° 42, rapport n° 41).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Bacci, auteur de la proposition de loi.

M. Jean Bacci, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, je serai bref : ma proposition de loi, qui est très courte, permet simplement de corriger une situation apparue en 2006, après l’entrée en vigueur d’une loi interdisant à une commune d’appartenir à deux parcs différents, dont l’inspirateur fut le député du Var Jean-Pierre Giran.

Depuis, nous nous sommes rendu compte qu’en Guyane il pouvait être nécessaire d’accorder la possibilité à une commune d’appartenir à un parc naturel national et à un parc naturel régional. Ce cas a fait l’objet d’une dérogation.

Le même problème se pose aujourd’hui dans le Var. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur souhaite créer un nouveau parc naturel régional Maures-Estérel-Tanneron. Or ce PNR pourrait concerner des communes qui appartiennent au parc national de Port-Cros.

Les communes adhérentes de ce parc national bénéficient d’une protection qui couvre leur partie maritime, où l’environnement est donc préservé. En revanche, les parties terrestres, plaines agricoles ou forêts, ne bénéficient d’aucune couverture. Ces communes auraient donc tout intérêt à pouvoir adhérer aussi au PNR qui est en préparation.

Les différents ministres – M. Béchu, Mme Pannier-Runacher – que j’ai rencontrés étaient tout à fait d’accord sur le principe, mais ils ne voulaient pas accorder une nouvelle dérogation : il fallait donc trouver un véhicule législatif.

Si vous la votez, mes chers collègues, cette proposition de loi, avec son article unique, permettra donc à une commune d’appartenir simultanément à un parc national, pour une partie de son territoire, et à un parc naturel régional, pour une autre partie, sans que ces zonages se chevauchent.

Mon texte avait été soumis aux services du ministère de l’environnement, qui avaient donné leur accord de principe pour qu’il soit adopté en l’état. J’espère qu’il en ira de même avec le nouveau gouvernement et que la proposition de loi sera adoptée.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Kristina Pluchet, rapporteure de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débutons donc les travaux de notre semaine sénatoriale par l’examen de la proposition de loi visant à permettre à une commune d’être intégrée, pour une partie de son territoire, à un parc naturel national et, pour une autre partie, à un parc naturel régional, présentée par notre collègue Jean Bacci, que je remercie pour cette initiative.

Mercredi dernier, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a adopté ce texte à l’unanimité, témoignant ainsi du consensus qu’il suscite. Je ne doute pas que le Sénat s’inscrira dans une logique analogue, tant cette proposition de loi, dont les enjeux et la portée sont limités, est incontournable pour lever un verrou juridique qui aujourd’hui contraint, complexifie et restreint les choix de certaines communes.

J’en viens à présent au contenu du texte. Celui-ci vise à faire tomber un obstacle juridique institué par la loi du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux. Une commune ne peut aujourd’hui être doublement « zonée », au sein d’un parc national et, dans le même temps, au sein d’un parc naturel régional. Sans m’attarder sur les raisons qui ont justifié cette interdiction de principe, laissez-moi vous dire un mot sur la crainte qui avait alors animé le législateur.

Le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, le député Jean-Pierre Giran, fin connaisseur des problématiques des parcs nationaux, avait souhaité créer une cloison étanche entre les zonages respectifs d’un parc national et d’un PNR, afin de prévenir toute superposition d’outils de gestion et de limiter ainsi les injonctions contradictoires sur un même territoire.

Cette réserve a perduré, sans soulever de difficultés particulières, jusqu’à l’achoppement suscité par le projet de création du parc naturel régional des massifs des Maures, de l’Estérel et du Tanneron, voulu par la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, qu’évoquait Jean Bacci à l’instant. En l’état du droit, certaines communes du littoral varois seraient contraintes à un choix cornélien que l’on imagine douloureux : continuer d’appartenir au parc national de Port-Cros, ou adhérer, en 2028, à ce nouveau PNR.

Tel est l’état du droit et telles sont les circonstances qui ont justifié le dépôt de la proposition de loi. Cette dernière est donc composée d’un article unique, reprenant une exception introduite par le législateur, soucieux de tenir compte des spécificités locales de la Guyane.

Le code de l’environnement prévoit en effet qu’en Guyane les communes peuvent appartenir simultanément à un parc national et à un PNR. Cette exception se justifie par la taille peu ordinaire des communes qui composent ce territoire. À titre d’illustration, la commune de Maripasoula s’étend sur 18 300 kilomètres carrés, soit sur une superficie équivalente à une fois et demie l’Île-de-France. Il aurait donc été absurde de ne prévoir aucune souplesse pour ce territoire si singulier.

Le texte que nous examinons tend ainsi à renverser le paradigme institué en 2006 en faisant de l’exception la règle de droit applicable à l’ensemble du territoire national. J’ai mené mes travaux de rapporteure en ayant à l’esprit deux interrogations auxquelles je vais apporter des réponses.

Première question : que penser des réserves exprimées par le législateur en 2006 ?

Seconde question : quel est l’intérêt de cette mesure et quels bénéfices une commune et un territoire peuvent-ils tirer d’un tel double zonage ?

Afin de répondre à la première interrogation, je m’appuierai notamment sur les échanges que j’ai eus avec les représentants des parcs nationaux et avec les équipes du ministère de la transition écologique.

Ces deux auditions m’ont permis, d’une part, de faire un état des lieux des territoires potentiellement concernés par un double zonage. En l’état des configurations géographiques et à parcs constants, ce dispositif est susceptible d’intéresser vingt-deux communes sur l’entièreté de notre territoire. Vous conviendrez ainsi, mes chers collègues, que les effets de la proposition de loi sont limités.

Ces auditions m’ont également permis, d’autre part, d’apprécier le caractère proportionné de la proposition de loi, qui dresse un solide garde-fou face aux craintes qui avaient justifié cette interdiction. Comme l’indique l’intitulé de la proposition de loi, aucun espace de la commune concernée ne pourra être doublement zoné : les deux zonages concerneront chacun des parties bien distinctes de son territoire, et non l’entièreté de la commune.

Prenons un exemple concret : la commune de Hyères pourra être zonée, pour sa partie côtière et littorale, au sein du parc national de Port-Cros et, pour sa partie terrestre, tournée vers le massif des Maures, au sein du PNR du même nom.

Ainsi, les périmètres des parcs nationaux et des PNR ne se chevaucheront pas, ce qui nous prémunit contre tout risque de complexité administrative et d’enchevêtrement des compétences. Je tiens à souligner, monsieur le ministre, que ces dispositions sont susceptibles de concerner à la fois les communes situées dans l’aire d’adhésion d’un parc national et celles qui sont incluses dans son « aire optimale d’adhésion ».

En effet, les communes relevant de cette aire optimale conservent la possibilité d’adhérer à la charte d’un parc national, y compris postérieurement au décret portant création dudit parc. Elles pourront, par ailleurs, participer au fonctionnement du syndicat mixte gestionnaire du parc naturel régional, dans l’hypothèse où un recoupement entre les deux zonages viendrait à se présenter.

Quant à la seconde interrogation, qui porte sur l’intérêt concret pour un territoire d’une telle disposition, laissez-moi vous fournir, mes chers collègues, quelques éléments de réponse.

Tout d’abord, le double zonage favorisera le développement de « corridors écologiques » entre les réservoirs de biodiversité que sont les forêts et les milieux aquatiques.

Par ailleurs, la collaboration entre deux espaces protégés sur un même territoire favorisera les mouvements, les migrations, la dissémination des graines, et en facilitera l’étude scientifique.

Enfin, les communes concernées, situées au confluent d’une double ressource environnementale, pourront revendiquer et afficher cette double appartenance. Nous connaissons tous ici l’attachement de nos territoires à leurs spécificités locales et à la mise en valeur de leur patrimoine naturel.

En définitive et au regard des réponses données aux interrogations formulées, je dirai, reprenant les propos des personnes que j’ai entendues, que cette proposition de loi est équilibrée, bien construite et adaptée aux besoins de nos territoires.

La commission formule néanmoins une observation qu’elle estime cardinale pour la réussite et le bon fonctionnement de ce double zonage.

Il est impératif que les établissements publics gérant les parcs nationaux et les syndicats mixtes gestionnaires des parcs naturels régionaux interviennent conjointement, en bonne intelligence. Cela impliquera des moments d’échange et du travail en synergie, afin de veiller à la cohérence territoriale des mesures prises au sein des aires d’adhésion.

La coopération est en effet un préalable indispensable au bon fonctionnement de ce double zonage. Je formule le souhait que les modalités de cette coopération soient inscrites, au moment de leur renouvellement, au sein des chartes du parc national et du PNR concernés, de telle sorte que le document administratif servant de support à l’adhésion des communes comporte explicitement des mentions de cette indispensable synergie. Je ne peux pas formaliser ce souhait par un amendement, mais j’appelle votre attention, monsieur le ministre, sur cet impératif.

En définitive, mes chers collègues, la commission vous invite à adopter cette proposition de loi, qui relève d’une démarche consensuelle et pragmatique, conçue au plus près des enjeux de nos territoires.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature, chargé de la transition écologique. Monsieur le président, monsieur le vice-président Mandelli, madame la rapporteure Pluchet, monsieur le sénateur Bacci, mesdames, messieurs les sénateurs, vous me permettrez tout d’abord de m’associer à l’hommage qui a été rendu à vos collègues Bouchet et Hoeffel, et de saluer leurs combats et leurs travaux. Nous pensons à leurs proches, dont nous partageons la douleur.

Je veux également vous dire tout l’honneur qui est le mien au moment de m’exprimer pour la première fois devant vous, au nom du Gouvernement, dans le cadre de l’examen de la présente proposition de loi. Je me réjouis du consensus qui s’est fait autour de ce texte, dans lequel se trouve affirmée de manière claire et déterminée notre ambition collective : protéger nos sites d’exception et notre biodiversité, qui sont les véritables richesses de notre pays.

Je salue l’initiative parlementaire qui a été ainsi prise par M. Bacci, ainsi que les travaux de Mme la rapporteure. La proposition de loi traduit la volonté des territoires et de l’État d’agir ensemble pour préserver ces espaces uniques que nous refusons de voir disparaître ou se dégrader.

Les onze parcs nationaux et les cinquante-neuf parcs naturels régionaux français jouent un rôle fondamental dans la protection de notre patrimoine naturel, et même un rôle crucial dans le contexte du dérèglement climatique que nous connaissons aujourd’hui.

Les premiers protègent, dans 526 communes, des espaces d’exception où la nature reste souveraine ; ils représentent une portion d’environ 8,5 % du territoire, où le maintien d’écosystèmes précieux et irremplaçables est garanti.

Les seconds accompagnent un développement local dans plus de 5 000 communes, sur 19 % du territoire ; ils concernent plus de 4,5 millions d’habitants et permettent de concilier activité humaine et protection des ressources naturelles.

Ensemble – vous l’avez rappelé, madame la rapporteure –, ils sont les vecteurs d’un équilibre essentiel, qui montre la capacité de notre pays à conjuguer préservation et aménagement durable de notre territoire.

Nous pouvons nous féliciter de ce maillage territorial exceptionnel, mais nous devons également reconnaître qu’il peut parfois créer des situations complexes. Certaines communes se trouvent notamment à la croisée de plusieurs périmètres, sans pouvoir participer pleinement aux dynamiques afférentes. C’est ce que révèle le projet de création du parc naturel régional du massif des Maures : les communes déjà intégrées au parc national de Port-Cros souhaitent adhérer, pour des zones bien distinctes de leur territoire, au futur parc.

Vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur Bacci, sans évolution de notre droit, l’intégration de ces communes au nouveau PNR ne serait pas possible, alors qu’elles ont participé au projet de création. C’est un cas précis, mais, dans un pays où les parcs sont nombreux, de telles situations peuvent se reproduire, comme Mme la rapporteure l’a indiqué. Je tiens donc une nouvelle fois à saluer votre initiative, monsieur Bacci : vous avez su prendre le sujet à bras-le-corps pour y apporter une réponse concrète par le biais de cette proposition de loi.

Par le passé, la secrétaire d’État Sarah El Haïry et la ministre Agnès Pannier-Runacher ont déjà soutenu la demande de modification de la loi formulée par le président de région Renaud Muselier. Cette évolution étant indispensable pour approuver le périmètre du projet de parc naturel régional des Maures, le Gouvernement s’inscrit pleinement dans la continuité de ce soutien.

Cette avancée n’est d’ailleurs que l’extension d’une dérogation déjà existante dans notre droit, puisqu’en Guyane certaines communes sont classées pour partie en parc naturel régional et pour partie dans le parc national amazonien.

Le verrou juridique créé en 2006 visait à éviter les risques de superposition d’outils de gestion et à limiter les injonctions contradictoires sur un même territoire. Il n’a plus lieu d’être aujourd’hui, car d’importants progrès ont été réalisés, depuis lors, en matière de codéveloppement durable. La protection de la biodiversité se conçoit non plus dans des espaces clos, mais bien à l’échelle cohérente de territoires vivants.

Je précise que le texte que nous examinons aujourd’hui empêche bien entendu tout recoupement de zonage au sein d’une même commune ; il permettra donc d’éviter l’enchevêtrement des compétences entre les gestionnaires des différents parcs. Il offrira, me semble-t-il, un cadre à la fois plus clair et plus efficace pour la gestion des espaces naturels, mais aussi plus cohérent, plus souple et mieux adapté à la diversité des communes. Voilà qui permettra de gérer nos espaces naturels avec intelligence et en tenant compte des réalités écologiques, géographiques et humaines de chaque territoire.

J’ai bien conscience de la nécessité que les établissements gestionnaires des parcs contigus coopèrent étroitement – vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, et le Gouvernement y sera extrêmement attentif. Les dispositions réglementaires que le Gouvernement prendra et les instructions qu’il adressera à ses services et à ses opérateurs iront dans ce sens.

Je veux conclure en saluant l’unanimité qu’a recueillie ce texte en commission ; je suis certain que nos débats de cet après-midi s’inscriront dans le même état d’esprit de consensus et d’efficacité, au service des territoires et de la protection de notre patrimoine naturel.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte de bon sens qui permettra de répondre à certaines problématiques locales.

Comme cela a été rappelé, à l’occasion de la création d’un parc régional du massif des Maures, dans le département du Var, certaines communes, qui sont concernées par le périmètre du projet, mais qui relèvent déjà d’un parc national – celui de Port-Cros –, souhaiteraient également être intégrées, pour des secteurs bien distincts de leur territoire, au futur parc régional des Maures.

En apparence, l’idée ne semble pas poser de problème. Néanmoins, le droit en vigueur exclut expressément l’adhésion partielle d’une commune à deux types de parcs naturels différents. Cette disposition, introduite par la loi du 14 avril 2006, visait à mettre en place d’une cloison étanche entre parc national et parc régional, l’objectif étant d’éviter les injonctions contradictoires sur un même territoire.

Cette règle n’avait jamais réellement eu l’occasion d’être remise en cause ; en effet, les seules communes pouvant être concernées par un tel cas de figure à l’époque se trouvaient en Guyane et une dérogation avait déjà été prévue par la loi précitée. Cette exception permettait à une commune d’être classée, pour une partie de son territoire, en parc régional et, pour une autre partie, dans le parc national amazonien de Guyane.

Toutefois, il est apparu que cette situation concerne maintenant d’autres territoires, notamment ceux qui sont marqués par une forte diversité géographique ou écologique, ce qui justifie l’adoption de la présente proposition de loi.

C’est pourquoi le groupe RDPI votera ce texte, qui répond à un besoin concret et s’inscrit dans une logique de souplesse et de clarification, tout en respectant l’impératif de protection de la biodiversité. S’il est adopté, l’exception deviendra la règle.

Néanmoins, pour que ce dispositif soit une réussite, il importera que les établissements gestionnaires des parcs nationaux et des parcs régionaux contigus coopèrent afin d’éviter la superposition de régimes de gouvernance et de protection aux logiques distinctes, source potentielle de complexité pour les collectivités concernées comme pour les usagers du territoire. Le Gouvernement devra y veiller dans les instructions qu’il transmettra à ses services et à ses opérateurs.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de constater qu’un texte visant à améliorer l’efficacité d’opérateurs œuvrant pour la protection de l’environnement suscite l’intérêt de la majorité sénatoriale.

Alors que les politiques environnementales sont régulièrement battues en brèche par la droite, j’ose voir dans cette proposition de loi, certes technique, la promesse d’un retour à un débat constructif sur l’écologie.

J’y vois également la reconnaissance de la contribution majeure des aires protégées à la préservation de nos patrimoines naturels et culturels, dont l’équilibre reste fragile. C’est là l’enjeu prioritaire des parcs nationaux et des parcs naturels régionaux : assurer, au plus près des territoires et sur la base d’une ingénierie et d’une gouvernance locales, la protection de l’environnement.

Rappelons néanmoins que les parcs nationaux n’ont pas été épargnés au cours de l’examen du projet de budget pour 2025 : à cette occasion, les propositions de suppression de dispositifs environnementaux ou de coupes claires dans les crédits des opérateurs ont fusé. Les crédits directement fléchés pour les parcs ont chuté de plus de moitié et leur plafond d’emploi a continué de baisser. La situation des parcs est aujourd’hui telle qu’ils ne peuvent plus couvrir leurs dépenses de fonctionnement incompressibles, notamment leur masse salariale.

Dans son rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’État, remis au mois de juillet dernier, notre collègue Christine Lavarde suggérait en outre, sans aucune concertation avec les opérateurs concernés et, selon toute vraisemblance, sans aucune connaissance du travail mené sur le terrain,…

M. Christian Cambon. Pas très sympa…

M. Michaël Weber. … la suppression pure et simple des parcs nationaux et la recentralisation de leurs compétences.

La chambre des territoires n’est donc pas à une incohérence près lorsqu’elle recommande l’éloignement de telles compétences et s’évertue à affaiblir l’action des parcs nationaux sur les territoires.

Or, j’en suis persuadé, la réussite des politiques environnementales dépend d’une gouvernance ancrée localement. Précisément, les conseils d’administration des parcs nationaux comportent des représentants des collectivités territoriales et sont généralement présidés par un élu local.

La gouvernance locale des parcs naturels régionaux a d’ailleurs très fortement contribué à leur réussite. La présidence en est détenue par un élu local, et une direction au profil technique anime une équipe aux compétences pluridisciplinaires, qui œuvre pour la préservation de la biodiversité et du patrimoine culturel, tout en étant actrice d’un développement construit sur la richesse des territoires concernés.

Dans ces territoires, la transition écologique n’est pas théorique : elle est concrète et innovante ; elle est avant tout une réponse aux attentes de la population. Preuve y est faite que la politique environnementale n’est pas imposée d’en haut, mais qu’elle émane des territoires, lesquels la plébiscitent.

En ce qui concerne le sujet plus particulier qui nous intéresse cet après-midi, je tiens tout d’abord à rappeler que la décision de créer un parc naturel régional relève de la compétence des régions.

Conscient de l’intérêt de cet outil, le président de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier, a pris l’initiative de la création d’un nouveau parc, le parc naturel régional du massif des Maures : il est à l’origine de la proposition de loi déposée par notre collègue Jean Bacci. Ce texte doit permettre de lever le blocage actuel, en donnant à une commune la possibilité d’adhérer volontairement à la fois à un parc national et à un parc naturel régional, en y rattachant respectivement deux parties distinctes de son territoire, ne se chevauchant pas.

Je le précise, un parc national est composé à la fois d’un cœur, c’est-à-dire d’une réserve naturelle réglementairement protégée, et d’aires d’adhésion périphériques, qui privilégient une approche contractuelle. Ces aires sont constituées de communes qui y adhèrent librement et s’engagent, par la signature d’une charte, dans un projet collectif de développement durable.

Le statut d’une commune classée en aire d’adhésion d’un parc national est équivalent à celui d’une commune adhérente d’un parc naturel régional. Il n’y a donc pas lieu de craindre que l’adhésion à un PNR soit un moyen de contourner une réglementation environnementale plus stricte. Les gouvernances, qui sont du même ordre, n’entrent pas en concurrence, ne se superposent pas et résultent de la libre volonté des communes d’adhérer ou non à un parc.

Les représentants des parcs nationaux et des parcs naturels régionaux, qui travaillent d’ailleurs en parfaite synergie, ne voient aucune objection à une telle évolution législative, qui répond à un cas certes particulier, mais susceptible de se reproduire ailleurs. Comme il n’y a pas de conflit de gouvernance, puisque les zonages des deux parcs ne se chevauchent pas, il n’y a aucune raison de ne pas approuver cette proposition de loi, qui va dans le bon sens. (M. Ronan Dantec applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’histoire des parcs naturels régionaux, créés en 1967, résulte d’une grande réflexion lancée par la défunte Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) autour des territoires ruraux au patrimoine naturel et culturel exceptionnel.

Il s’agissait alors de préserver nos ressources naturelles et patrimoniales en s’appuyant sur les collectivités locales et sur leurs élus. Ces parcs restent au cœur des préoccupations actuelles que sont le développement durable, la biodiversité, la défense des paysages, le patrimoine culturel, les circuits courts ou encore la transition énergétique.

Cela dit, préserver l’environnement devrait être non pas une affaire de périmètre, mais bien une règle générale devant s’appliquer dans les parcs naturels, bien sûr, mais aussi partout où il y a de la biodiversité à protéger. J’y insiste d’autant plus que s’ouvre prochainement la COP 30 en Amazonie – le lieu n’a pas été choisi seulement pour le symbole –, et qu’il y a tout juste un an la COP sur la biodiversité répétait l’engagement de protéger 30 % des espaces naturels et maritimes d’ici à 2030.

Pour mener cette action de protection de la biodiversité, nous pouvons bien sûr établir des périmètres, mais la question est bien celle des moyens que nous nous donnons pour veiller au respect des règles auxquelles souscrivent les collectivités.

Je pense aux agents fonctionnaires de l’État, à la suppression de 3 000 postes annoncée et inscrite dans le projet de loi de finances pour 2026, et au non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois à partir de 2027. Combien seront concernés au sein de l’Office français de la biodiversité (OFB), de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou autres organismes liés à la transition écologique ?

De même, avec l’adoption de la proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement, le droit de l’environnement se trouve mis à mal.

Nous ouvrons nos travaux de la semaine en étudiant la proposition de loi de notre collègue Jean Bacci, adoptée par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. L’article unique du texte, de portée certes mineure, a pour but de permettre à vingt-deux communes d’être intégrées, pour une partie de leur territoire, à un parc national et, pour une autre partie, à un parc naturel régional, ce double zonage étant interdit depuis 2006 et l’adoption d’une disposition législative en ce sens. Tant mieux si ce texte permet de résoudre quelques non-sens juridiques : mon groupe votera pour.

Je me permets toutefois de dire qu’il en faudra plus, beaucoup plus, pour relever les défis à venir et répondre aux enjeux environnementaux, après un été qui s’est avéré le troisième plus chaud de l’histoire de France. Les circonstances exigent des ambitions qui soient à la hauteur du défi climatique à relever.

La protection de notre environnement a un coût, la transition écologique aussi, mais, comme la Cour des comptes le rappelait encore récemment dans son premier rapport annuel consacré au financement et à la mise en œuvre des politiques de transition écologique, « la transition est nettement moins coûteuse que l’inaction. »

« La dégradation continue et avérée de notre environnement appelle une action urgente pour en limiter les impacts », poursuivent les magistrats de la rue Cambon, pour qui « la transition […] doit être menée sans délai et, idéalement, de façon coordonnée », même si depuis plusieurs mois la préoccupation écologique semble être passée au second plan de l’actualité.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à une situation concrète : dans le Var, au cœur du massif des Maures, il s’agit de permettre à une commune d’intégrer, pour une partie de son territoire, un parc national et, pour une autre partie, un parc naturel régional – je n’y reviens pas.

Ce texte répond à une attente, tant le massif dont il est question fait partie de l’imaginaire provençal. « Il suffit, écrit Serge Rezvani en 1979, de s’enfoncer dans le dédale des collines pour éprouver aussitôt sensuellement leur magie. Tout y est mystérieux, flou, presque aquatique. Les sous-bois s’enchevêtrent d’une telle diversité d’espèces végétales qu’on a l’impression d’avancer dans un désordre pensé comme une œuvre d’art. »

Ces collines de chênes-lièges, celles-là mêmes où Maurin trouve refuge dans le roman éponyme, ont beaucoup souffert ces dernières années. Il se trouve que j’ai traversé ces massifs après l’incendie de Cogolin en 1990, et j’ai encore en mémoire le paysage lunaire qu’alors je contemplais. Depuis, d’autres incendies ont de nouveau dévasté le massif, notamment en 2021, tuant deux personnes et réduisant très fortement les populations de tortues d’Hermann.

C’est à la suite de ce dernier incendie que le président de la région, Renaud Muselier, a proposé d’y créer un parc naturel régional, car, selon lui, « si cette zone avait été un parc, il y aurait plus de gardes forestiers, plus de moyens financiers et plus de pompiers ». La création d’un tel parc naturel régional nécessite de revoir la loi : c’est le sens de notre débat.

Notre premier point de vigilance aura trait aux moyens alloués : suivront-ils, dans le contexte que nous connaissons, c’est-à-dire vu l’état des finances publiques ? Monsieur le ministre, l’examen de cette proposition de loi consensuelle nous fournit l’occasion de vous interroger, à la suite de Michaël Weber, sur le maintien des moyens engagés pour la préservation de la biodiversité, et notamment pour le soutien aux actions territoriales.

Nous mesurons aussi l’enjeu que représente la lutte contre les feux de forêt dans un contexte de réchauffement rapide. À cet égard, monsieur le ministre, nous souhaiterions connaître l’état d’avancement des deux programmes de remplacement des actuels Canadair, qui sont très vieillissants. Il s’agit d’une urgence absolue.

Sur ce dossier précis du parc des Maures, il faut entendre les alertes du Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Cette instance importante de notre démocratie environnementale – elle n’a pas vocation, c’est ma conviction, à figurer dans la liste de celles qui doivent disparaître ! – a soutenu à l’unanimité cette proposition de loi, mais elle rappelle aussi que l’empilement des statuts et la fragmentation des régimes de protection pourraient fragiliser la cohérence des politiques publiques territoriales en faveur des parcs nationaux.

Soyons clairs, le cas des Maures est très particulier. Des îles, une forêt et, au milieu, la mer : on n’est pas vraiment dans un corridor écologique… Comme en Guyane, où l’on trouve des communes extrêmement étendues, le cloisonnement entre parc naturel régional et parc national ne fonctionne pas. Pour le reste, je ne reviens pas sur ce que Michaël Weber a déjà indiqué.

Bienvenue, donc, dans le parc naturel régional des Maures ! Toutefois, nous le savons, sans moyens humains et financiers pérennes, sans volonté politique de faire vivre cet outil, nous en resterons au stade des intentions. La prévention des incendies, la restauration des milieux, la gestion de l’eau, la transition agricole et touristique demandent un engagement de long terme. Nous espérons donc que le président de région qui a voulu ce projet y mettra aussi les moyens.

Le groupe écologiste votera évidemment en faveur de cette proposition de loi, qui nécessitera demain de renforcer le dialogue avec les acteurs locaux, notamment avec les défenseurs de la biodiversité, souvent victimes aujourd’hui d’attaques insupportables. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Michaël Weber applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en permettant à une commune d’appartenir à deux parcs naturels distincts, on ne divise pas son identité : on la renforce et on reconnaît sa richesse. Pourquoi maintenir un cadre rigide là où les réalités territoriales appellent à plus de souplesse et de pragmatisme ?

Je lis dans le droit existant la volonté du législateur d’écarter strictement la possibilité pour une même commune d’appartenir simultanément à un parc naturel national et à un parc naturel régional, autrement dit le souci de prévenir tout conflit de compétences et de légitimité entre les deux dispositifs ; mais la réalité nous démontre que la rigidité de notre cadre normatif n’est plus nécessaire.

Nous sommes aujourd’hui en mesure de proposer une solution équilibrée sans remettre en cause l’intégrité ou l’efficacité des deux dispositifs. Tel est bien l’intérêt de la présente proposition de loi, dont je salue l’auteur : elle permet davantage de souplesse sans pour autant fragiliser la cohérence des régimes de protection des parcs naturels, nationaux comme régionaux.

Il faut en effet le rappeler : tant que les périmètres ne se superposent pas, le risque de conflit de compétences est nul. Le texte vise des zones géographiquement séparées, relevant chacune de logiques spécifiques de protection ou de développement.

Cette proposition de loi de bon sens répond à une vive attente de certains de nos territoires. Tâchons de ne pas les placer devant ce choix cornélien, paradoxal, qui verrait la rigueur administrative prendre le pas sur la protection et la valorisation de l’environnement.

L’auteur du texte propose de reconnaître la diversité des réalités locales, d’y adapter notre droit et de permettre aux communes concernées d’intégrer deux projets de territoire complémentaires, chacun sur les zones qui s’y prêtent.

Il s’agit aussi d’un geste de confiance adressé aux collectivités locales, les plus à même de saisir ce qui fait la richesse et la spécificité de leur territoire. Leur permettre de participer à deux parcs naturels, c’est avant tout – ne l’oublions pas – leur donner les moyens de rejoindre pleinement les dynamiques portées par ces derniers et d’agir plus efficacement dans la valorisation et la protection de leur patrimoine.

Toutefois, cette souplesse implique également une responsabilité partagée. Pour que cela fonctionne, il faudra une coopération étroite et bien structurée entre les gestionnaires respectifs des parcs nationaux et des parcs régionaux. Il y a là une condition essentielle pour garantir la cohérence territoriale et l’efficacité des actions menées. Il ne suffira pas de coexister : il faudra communiquer, agir en synergie et coordonner les interventions. Il y va d’un enjeu de méthode autant que de gouvernance.

À cet égard, nous saurons être attentifs notamment à ce que les acteurs locaux ne se retrouvent pas pris entre deux logiques mal articulées. Cette vigilance est du reste parfaitement compatible avec l’esprit de la proposition de loi.

Le groupe du RDSE votera évidemment à l’unanimité en faveur de cette ouverture encadrée, raisonnée et surtout consensuelle.

MM. Christophe-André Frassa et Francis Szpiner. Bravo !

M. Michel Masset. J’espère que le texte trouvera rapidement sa voie à l’Assemblée nationale, afin que les vingt-deux communes varoises concernées, chères à mon excellent collègue André Guiol, puissent bénéficier du double zonage dans les meilleurs délais.

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous entendu le Premier ministre exprimer mercredi dernier, à la tribune du Sénat, sa conviction relative à la nécessité de décentraliser : il a annoncé le dépôt d’un projet de loi en ce sens avant les prochaines élections municipales. Pour ma part, je partage sa vision de la décentralisation décrite comme une occasion de repenser complètement notre planification écologique et énergétique.

Le texte que nous examinons aujourd’hui n’affiche pas un objectif aussi révolutionnaire ; il vise simplement à permettre le classement d’une partie du territoire d’une commune en parc national et d’une autre partie en parc naturel régional.

L’initiative de notre collègue Jean Bacci résulte d’un besoin dans son département du Var, où la création d’un parc naturel régional dans le massif des Maures est actuellement envisagée dans l’optique d’assurer une meilleure protection de cette terre dotée d’une riche biodiversité, à la suite des incendies dévastateurs de l’été 2021.

Or plusieurs communes appartenant au périmètre de ce projet de parc régional sont déjà intégrées, pour une partie de leur territoire, au parc national de Port-Cros ; mais le code de l’environnement ne permet pas de fractionner le territoire d’une commune entre une partie relevant d’un PNR et une autre d’un parc national, en vertu d’une disposition issue de la loi du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux. Cette mesure avait pour objet d’empêcher que des régimes de gouvernance et de protection ne s’enchevêtrent, donc de prévenir ce qui était perçu comme un risque de complexité à la fois pour les collectivités et pour les usagers du territoire.

Une dérogation avait en revanche été admise à l’époque pour autoriser le classement d’une partie d’une commune en PNR et celui d’une autre partie dans le parc amazonien de Guyane. Cette exception, logique, était fondée sur la géographie particulière de la Guyane, où certaines communes s’étendent sur plus de 10 000 kilomètres carrés. Il s’agissait déjà de répondre avec pragmatisme aux besoins de différenciation d’une collectivité, même si cette solution théorique est restée jusqu’à présent sans application pratique.

La situation qui se présente dans le Var a mis en lumière les limites de la législation actuelle et l’intérêt qu’il y aurait à la modifier. Plusieurs collectivités seraient intéressées par cette modification, ce qui fait sens, les PNR et les parcs nationaux couvrant respectivement plus de 17 % et plus de 8 % du territoire français, soit en cumulé un quart de la surface du pays. La proposition de loi vise donc à transposer dans le droit commun la disposition applicable à la Guyane.

Si la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a adopté ce texte, elle a néanmoins conditionné ce vote à l’absence de superposition entre les espaces concernés, seule à même d’empêcher tout conflit de compétences, dans la continuité de l’analyse des risques faite par le législateur en 2006.

Il faudra pour cela que les zonages soient clairement délimités, afin que les droits et les devoirs attachés au statut de chacun des parcs s’appliquent uniquement à la portion du territoire communal concernée. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable juge par conséquent essentiel que les établissements publics gestionnaires d’un parc national et les syndicats mixtes gestionnaires d’un PNR voisin coopèrent pour assurer la qualité et la cohérence des mesures prises pour leur territoire.

En cela, le présent texte s’inscrit dans une démarche de confiance envers les collectivités, ce que je tiens à saluer. Le Gouvernement devra y rester attentif dans les dispositions réglementaires qu’il prendra, mais aussi dans les instructions qu’il donnera à ses services et aux différents opérateurs.

Cela étant, le texte ne néglige pas la protection de la biodiversité. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable relève à cet égard que le double zonage favoriserait les migrations et la dissémination de graines, donc la constitution de corridors écologiques entre différents réservoirs de biodiversité.

Cette proposition de loi incarne ainsi la volonté du Sénat de donner aux collectivités des outils simplifiés au service de la différenciation, politique indispensable dans un État aux 35 000 communes, présentant chacune des atouts et des défis propres.

Si le texte n’a a priori pas d’impact direct sur les Pyrénées-Atlantiques que je représente, une partie de mon département – les secteurs d’Aspe et d’Ossau – est cependant incluse dans le parc national des Pyrénées, tandis qu’un PNR Montagne basque est en train de voir le jour. Peut-être l’évolution législative proposée alimentera-t-elle les réflexions en cours sur le développement de ce parc.

Quoi qu’il en soit, je ne peux que me réjouir que ce texte offre la faculté de ne pas avoir à choisir entre adhérer à un PNR et rejoindre un parc national. C’est pourquoi, monsieur Jean Bacci, le groupe Union Centriste votera en faveur de votre proposition de loi.

M. Christian Cambon. Quel succès !

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’associer mon groupe à l’hommage rendu tout à l’heure à notre collègue Gilbert Bouchet. Son combat pour une meilleure reconnaissance de la maladie de Charcot a été un exemple et un modèle pour nous tous.

Les collectivités françaises accueillent des espaces riches d’une grande diversité d’espèces, d’écosystèmes et de paysages naturels. Pourquoi, dès lors, limiter la capacité de territoires désireux d’en assurer une meilleure conservation et une meilleure valorisation ?

Les parcs naturels nationaux, espaces peu ou non transformés, ont vocation à préserver des écosystèmes remarquables, présentant un intérêt scientifique et patrimonial majeur. Outils de protection de la biodiversité, leur classement impose des règles strictes.

Les parcs naturels régionaux, espaces ruraux habités, associent quant à eux protection de l’environnement, aménagement du territoire, développement économique et social, éducation et formation du public.

Ces deux dispositifs répondent donc à des objectifs différents, et les réglementations successives se sont attachées à les renforcer, tout en définissant pour chacun un périmètre précis. En l’état, une commune ne peut relever, même partiellement, que d’un parc naturel régional ou d’un parc naturel national. Elle doit choisir si son territoire relève de l’un ou de l’autre, le double zonage étant interdit.

Cette séparation stricte est certes protectrice. Elle empêche notamment que des injonctions contradictoires ne s’appliquent sur un même territoire.

Mais elle ne tient pas compte de la diversité des situations locales. Seule la Guyane, en raison de ses spécificités géographiques et spatiales, bénéficie d’une dérogation. Or d’autres territoires présentent eux aussi des particularités et disposent d’espaces distincts qui pourraient chacun être valorisés et protégés par un statut particulier. Les dispositifs des PNN et des PNR peuvent ainsi se révéler complémentaires.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise donc à inverser la logique en faisant de l’exception guyanaise du double zonage le principe. La question de cette évolution, à la fois technique et pragmatique, a été soulevée à l’occasion des discussions ouvertes à propos du futur parc naturel régional des Maures.

En l’état du droit, certaines communes du Var, qui relèvent déjà, pour leurs espaces côtiers, du parc national de Port-Cros, ne pourront être rattachées, pour une autre partie de leur territoire, au futur PNR. Je remercie donc notre collègue Jean Bacci d’avoir pris l’initiative de déposer sur ce sujet une proposition de loi consensuelle.

La portée du texte dépasse néanmoins largement ce département. Il est en effet regrettable de ne pas pouvoir protéger, au sein d’une même commune, des espaces différents – côtiers, forestiers, montagneux – ou du moins nettement délimités.

Je suis d’autant plus sensible à cette question que mon département, l’Essonne, compte deux parcs naturels régionaux remarquables, celui du Gâtinais français et celui de la Haute Vallée de Chevreuse, même si aucune commune ne se trouve dans la situation de devoir arbitrer entre l’appartenance à l’un et l’appartenance à l’autre.

Nous connaissons bien les atouts que représente un tel classement, aussi bien pour la protection de la biodiversité que pour l’attractivité et la valorisation de notre patrimoine.

La proposition de loi reste toutefois mesurée : il y est précisé qu’au sein d’une même commune aucun espace ne peut relever à la fois d’un PNN et d’un PNR, les zonages afférents à ces deux statuts ne pouvant se chevaucher. Nous conservons dès lors la précaution inscrite dans la loi de 2006, et évitons une complexification administrative.

Un découpage plus fin permettra en revanche de mieux protéger et valoriser la multitude d’atouts dont disposent les communes. Comme l’a rappelé Mme la rapporteure, il conviendra évidemment de veiller à une bonne coordination locale entre les différents établissements publics, les élus et les acteurs locaux, afin d’assurer la cohérence des politiques d’aménagement et de protection.

Nous parlons régulièrement, dans cet hémicycle, de simplification. L’évolution ici proposée s’inscrit parfaitement dans cette logique : adapter le droit à la réalité des territoires. Aussi le groupe Les Indépendants lui apporte-t-il avec conviction son soutien.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Delia.

M. Jean-Marc Delia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nature, elle, n’a pas de limites administratives. C’est cette évidence que vient rappeler notre collègue Jean Bacci, en présentant – je tiens à l’en remercier – une proposition de loi qui vise à corriger une incohérence de notre droit territorial et environnemental.

Aujourd’hui, certaines communes ne peuvent adhérer à un parc naturel régional pour l’unique raison qu’une partie de leur territoire est déjà classée dans un parc national. Cette situation peut être qualifiée d’étrange, car une même commune peut comprendre des espaces très différents : une façade maritime protégée par un parc national et une partie terrestre, rurale ou forestière, qui a toute sa place dans un projet de parc naturel régional. Pourtant, la loi actuelle interdit à ces communes la double appartenance.

Je prends pour exemple la belle région Provence-Alpes-Côte d’Azur : dans le cadre de la création du futur parc naturel régional Maures-Estérel-Tanneron, pas moins de huit communes varoises – Hyères, La Londe-les-Maures, Bormes-les-Mimosas, Le Lavandou, Rayol-Canadel-sur-Mer, Cavalaire-sur-Mer, La Croix-Valmer et Ramatuelle – sont volontaires et prêtes à s’engager dans une charte ambitieuse, mais elles se voient privées de la possibilité d’intégrer le futur parc naturel régional.

Pourquoi ? Parce qu’une partie de leur territoire maritime relève déjà du classement dans le parc national de Port-Cros.

Je me souviens, il y a peu – je siégeais encore à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur –, le président Renaud Muselier nous avait alertés sur cette anomalie. Il appelait de ses vœux le législateur à lever ce verrou administratif qui privait les communes de leur liberté de choix. Nous y voilà enfin aujourd’hui !

Cette proposition de loi est simple dans son principe : elle vise à permettre à une même commune de voir différentes parties de son territoire intégrer, pour les unes, un parc national et, pour les autres, un parc naturel régional. Autrement dit, elle tend à rétablir la logique du terrain et la cohérence écologique de nos territoires.

Nous ne changeons pas les statuts. Le parc national reste un outil de protection fort destiné à des espaces d’exception, classés par l’État aux fins de leur préservation. Le parc naturel régional, lui, est un outil de concertation et de développement durable fondé sur une démarche volontaire. L’un protège, l’autre protège tout en assurant un développement maîtrisé. Les deux doivent pouvoir se compléter harmonieusement, non s’exclure mutuellement.

Ce texte vise donc à redonner aux communes la liberté d’adhérer à un projet de territoire, la possibilité de participer à une charte partagée et la capacité de mobiliser des moyens régionaux et européens pour valoriser leur patrimoine naturel, tout en assurant un développement local respectueux de l’environnement.

C’est une avancée pragmatique, concrète et attendue depuis longtemps : nous faisons du droit un outil au service de la nature et des territoires, et non un obstacle administratif de plus.

Mes chers collègues, ce texte ne bouleverse rien. Il répare, il clarifie, il rend cohérent et, surtout, il fait confiance aux élus locaux pour choisir en toute responsabilité le modèle de protection et de développement le plus adapté à leur territoire.

C’est pourquoi le groupe Les Républicains soutient pleinement cette proposition de loi, qui allie bon sens, liberté locale et exigence environnementale.

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à permettre à une commune d’être intégrée, pour une partie de son territoire, à un parc national et, pour une autre partie, à un parc naturel régional (pnr)

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre à une commune d'être intégrée, pour une partie de son territoire, à un parc national et, pour une autre partie, à un parc naturel régional (PNR)
Article unique (fin)

Article unique

Le code de l’environnement est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l’article L. 331-2 est ainsi rédigé :

« Le territoire d’une commune peut être classé pour partie en parc national et pour une autre partie en parc naturel régional. » ;

2° L’article L. 331-15-7 est abrogé.

M. le président. Sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je n’ai été saisi d’aucun amendement.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi dont la commission a ainsi rédigé l’intitulé : proposition de loi visant à permettre à une commune d’être intégrée, pour une partie de son territoire, à un parc national et, pour une autre partie, à un parc naturel régional (PNR).

Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP. – M. Ronan Dantec applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trois, est reprise à dix-sept heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre à une commune d'être intégrée, pour une partie de son territoire, à un parc national et, pour une autre partie, à un parc naturel régional (PNR)
 

6

 
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République
Article unique (début)

Prééminence des lois de la République

Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, présentée par MM. Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Hervé Marseille, Mme Muriel Jourda et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 317 [2024-2025], texte de la commission n° 28, rapport n° 27).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la proposition de loi constitutionnelle.

M. Mathieu Darnaud, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la loi constitutionnelle que j’ai l’honneur de vous présenter est une loi d’unité, de concorde et de réconciliation. Elle s’inscrit avec force dans notre tradition républicaine.

Sur notre sol, nos règles et nos principes doivent être respectés par tous, Français et étrangers, quelle que soit notre origine ou notre croyance.

M. Guy Benarroche. C’est ce que dit la Constitution !

M. Mathieu Darnaud. Contre la fragmentation de notre société, il s’agit de revenir aux sources de notre unité.

Contre les conflits de valeurs qui sapent notre cohésion et détruisent nos solidarités, il s’agit de faire prévaloir ce que nous, Français, avons en commun.

Nous ne voulons ni exclure ni stigmatiser. (M. Guy Benarroche et Mme Mélanie Vogel ironisent.) Nous voulons au contraire agir pour que chacun trouve sa place au sein de la République, dans le respect de la loi commune et par le respect de la loi commune.

En effet, en dehors du respect des règles de la société, la vie en commun devient impossible, que ce soit à l’école ou à l’université, sur les terrains de sport, dans les piscines, dans les usines, dans les bureaux, dans les commerces, au sein des services publics, dans les transports, à l’hôpital, au tribunal, dans les mairies ou dans la rue.

Nous sommes attachés au respect de chacun, dans sa différence comme dans ses croyances. Il y a là une exigence fondamentale de notre société de liberté. Toutefois, cette exigence ne peut s’appliquer qu’à la condition que ne soit jamais franchi le point limite au-delà duquel, précisément, nos libertés seraient défiées, la liberté de croyance subvertie, la laïcité remise en cause, le principe d’égalité bafoué et, partant, notre modèle de société déstabilisé.

La République française admet toutes les croyances. Elle admet aussi l’incroyance. Elle ne choisit pas à la place de l’individu dans l’exercice de sa liberté. Elle entend même qu’aucun groupe n’impose son emprise sur cette liberté.

À toutes et à tous, elle offre les moyens de dépasser l’intransigeance et la radicalité propres aux convictions absolues et aux prétentions totalitaires, afin qu’il soit possible de vivre ensemble.

Elle interdit que la règle religieuse impose des comportements contraires à la loi et à l’ensemble des règles qui en découlent.

Chacun, en France, doit avoir la garantie que sa liberté de croire ou de ne pas croire sera respectée.

L’instrument le plus efficace de cette garantie porte un nom : c’est la laïcité, cette invention française indissociable de la République.

La laïcité nous a fait définitivement sortir des guerres de religion. Elle nous a éloignés de cette confusion millénaire entre le spirituel et le temporel qui a si profondément marqué l’histoire de l’absolutisme français. Nous sommes bien placés pour mesurer le risque qu’il y aurait à y retomber.

En France, la charia ne saurait prévaloir sur le code civil.

Nous sommes les héritiers d’une longue tradition républicaine. Celle-ci prend racine dans la pensée des Lumières et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elle a progressivement émergé d’une histoire tumultueuse pour s’ancrer profondément dans nos mœurs en affirmant la souveraineté du peuple et la séparation des pouvoirs, à laquelle s’est ajoutée la séparation des églises et de l’État, en 1905, la liberté, sous toutes ses formes – liberté individuelle, de croyance, de conscience, d’opinion, d’expression –, ainsi que l’égalité entre tous, sans distinction de naissance, de race, de sexe, d’origine ou de religion.

Nous sommes aussi les héritiers d’une longue tradition nationale. Bien avant la naissance de la République, l’histoire nous avait unis. Nous étions déjà forts de nos lois, de notre culture, de notre langue, de la consolidation de notre territoire, de notre État.

Aujourd’hui encore, notre unité revêt une forme unique dans une Europe marquée par le fédéralisme et le régionalisme : il n’est en France de communauté que nationale.

Aujourd’hui, ce double héritage, français et républicain, est réuni en un seul pour former un tout indissociable : nous sommes la France républicaine autant que la République française.

Faire vivre, préserver et transmettre notre identité, notre culture, nos principes et nos valeurs est un enjeu vital pour notre Nation, car le monde est en proie à de nouveaux antagonismes ; car notre société est menacée par de multiples fragmentations, en écho aux grands conflits qui secouent la planète ; car des ferments de discorde affectent notre cohésion et notre unité nationales ; car les valeurs de liberté et d’égalité sont atteintes ; car les modes de vie auxquels nous sommes attachés sont contestés de l’intérieur.

Chaque jour, des milliers de décisions doivent être prises pour répondre à des revendications communautaristes qui se prévalent de l’observance de règles religieuses. Ces revendications se parent de l’exigence du respect de toutes les croyances pour réclamer la déclinaison des règles communes en fonction des exigences de chaque communauté.

Sont particulièrement en cause la place des femmes dans la vie familiale, professionnelle et sociale, et les multiples contraintes de comportement auxquelles elles devraient se soumettre. Ces exigences sont incompatibles avec l’égalité et la liberté.

Les revendications communautaristes se sont multipliées.

Il faudrait aménager le menu du restaurant d’entreprise ou de la cantine scolaire, modifier les horaires d’ouverture des piscines, accepter le refus de se soumettre à un contrôle policier, routier ou aéroportuaire pour des motifs religieux, ou encore réorganiser les consultations médicales…

C’est encore l’organisation du travail qu’il faudrait adapter, en tenant compte, au sein de l’entreprise ou de l’administration, de relations entre femmes et hommes soumises au refus de tout contact ou à la contestation de l’autorité de personnes du sexe opposé.

Les programmes d’enseignement et l’organisation des examens devraient, eux aussi, être modifiés.

L’expression artistique devrait, pour sa part, s’interdire toute critique ou toute remise en cause de règles de comportement inspirées par la religion.

Ce sont enfin les prescriptions vestimentaires destinées à cacher les visages qui devraient être acceptées.

Face à ces revendications, dont la liste complète serait bien plus longue, les maires et responsables de services publics municipaux, les chefs d’entreprise, les magistrats, les principaux de collège, proviseurs de lycées et enseignants, les directeurs d’hôpitaux, médecins et personnels de soins, les directeurs d’établissements culturels, d’équipements sportifs ou de centres sociaux, les responsables syndicaux ou professionnels doivent apporter chaque jour des réponses.

Ils essaient parfois, de bonne foi, de trouver un chemin de conciliation. Mais le chantage n’est jamais loin quand au respect de la règle commune est insidieusement opposé le respect de toutes les croyances.

Il appartient au pouvoir constituant de ne pas abandonner ces décideurs sans leur donner de référence claire pour l’action.

Il s’agit d’ailleurs moins de poser une règle nouvelle que de l’inscrire dans notre loi fondamentale, en nous inspirant de l’acte fondateur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par lequel furent simplement « reconnus » des droits qualifiés de « naturels » et d’« imprescriptibles ».

Nous disposons déjà du principe de l’égalité devant la loi. Le Conseil constitutionnel en a fait découler, en 2004, le principe selon lequel les conditions d’accès aux services publics ne sauraient être modulées en fonction de l’origine ou de la religion des usagers. Ce n’est pas assez !

Le combat républicain contre l’idéologie islamiste et l’obscurantisme exige plus qu’une simple jurisprudence, fût-elle celle du Conseil constitutionnel : seule l’inscription d’un principe clair dans notre Constitution peut donner un statut d’intangibilité à un principe fondamental.

De surcroît, la règle posée par la jurisprudence n’existe que pour les services publics. Or les acteurs de terrain ont besoin d’aide !

Enfin, le désarroi qui, chaque jour, s’empare de milliers de décideurs publics et privés confrontés à de telles revendications exige de la représentation nationale un soutien ferme consacré par un vote du peuple français lui-même.

Comme le prévoit l’article 89 de la Constitution pour les lois constitutionnelles adoptées à l’initiative de parlementaires, les Français devront en effet décider eux-mêmes du sort qu’ils entendront réserver à cet acte de refondation républicaine après le vote du Parlement.

Les Français pourront ainsi sceller un nouveau pacte d’unité qui marquera leur attachement renouvelé aux principes fondamentaux de notre République. Nul ne pourra, dès lors, se prévaloir de son origine ou de ses croyances pour obtenir qu’il soit dérogé en sa faveur à la règle commune.

M. Éric Kerrouche. C’est déjà le cas !

M. Mathieu Darnaud. De l’expression de cette volonté souveraine, nous saurons ensuite tirer les conséquences législatives en posant par une loi simple les règles d’application de ce nouveau principe constitutionnel.

Le texte a été déposé. Il prévoit notamment l’inscription du nouveau principe dans les règlements intérieurs des entreprises, des collectivités, des associations et des services publics afin que sa violation soit désormais assortie de sanctions sous le contrôle des tribunaux.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter massivement ce texte de responsabilité, comme vous l’aviez déjà fait pour sa première version en octobre 2020. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « le communautarisme, c’est la mort de la République », nous mettait en garde Robert Badinter. Il nous revient aujourd’hui, pour nous en prémunir, de réaffirmer notre vision commune de la République.

Telle est l’ambition de la présente proposition de loi constitutionnelle, présentée par notre ancien collègue Philippe Bas, par les présidents Mathieu Darnaud, Hervé Marseille et Muriel Jourda et par des membres des groupes Les Républicains et Union Centriste. Elle vise à donner un coup d’arrêt à la progression du communautarisme.

Ce texte reprend une disposition adoptée par le Sénat il y a cinq ans presque jour pour jour.

À l’époque, la tentative de révision de la Constitution n’avait pas prospéré, du fait du rejet du texte par l’Assemblée nationale, le Gouvernement s’étant également opposé à son adoption.

Cette proposition de loi constitutionnelle procède de deux constats.

Le premier est que le communautarisme progresse, accélérant la fragmentation de notre société.

La République et ses principes fondamentaux consacrés par l’article 1er de la Constitution – l’unicité et l’indivisibilité du peuple français, l’égalité des citoyens devant la loi et la laïcité – sont contestés de manière croissante par des mouvements et des groupes de pression.

Leur objectif est éminemment politique et subversif : il s’agit de faire prévaloir, comme le décrivait Philippe Bas, « la loi du groupe sur celle de la Nation ».

Comme l’écrivait l’année dernière le Conseil d’État dans son étude annuelle, ces phénomènes, qui « tendent à affirmer le primat de préceptes philosophiques ou religieux sur le droit institutionnel », sont « révélateurs d’une forme de contestation de la légitimité même de la loi républicaine, et donc de la souveraineté nationale ».

L’islamisme en est évidemment le premier moteur.

Le rapport sur les Frères musulmans rendu public au mois de mai dernier rappelait que le projet de ce mouvement était d’« œuvrer au long cours en vue d’obtenir progressivement des modifications des règles locales ou nationales […], au premier chef le régime juridique de la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes ».

Les musulmans – et parmi eux les femmes et les enfants – en sont, à bien des égards, les premières victimes puisqu’ils se trouvent enfermés dans une identité et un corpus de règles communautaires.

Or, je le disais, le communautarisme progresse.

Il défie la République dans tous les domaines de la vie quotidienne : services publics – école, hôpital, transports –, entreprises, associations ou encore monde sportif.

Refuser d’être soigné par un médecin de l’autre sexe, refuser de serrer la main à une femme, refuser de servir certains clients, refuser d’accomplir certaines tâches ou d’assister à des enseignements au prétexte de ses convictions religieuses, ou encore exiger des créneaux séparés dans les piscines ou les clubs de sport : les exemples de tels comportements abondent.

S’ils demeurent très minoritaires, ils le sont de moins en moins ; dans certains territoires, ils tendent à devenir une nouvelle norme.

À l’école, les enquêtes menées auprès des enseignants révèlent une pression qui s’accroît et qui les mène à éviter d’aborder certains sujets en classe, voire à s’autocensurer.

En ce qui concerne l’hôpital, le rapport Pelloux publié en 2022 faisait état d’un consensus sur des faits de radicalisation ou d’atteintes à la laïcité imputables à des agents publics, « faits quasiment inexistants avant les années 1990, et en augmentation lente mais constante ces trente dernières années ».

Le sport voit également se multiplier les dérives communautaristes et islamistes.

On ne peut à cet égard qu’inviter nos collègues députés à s’emparer de la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, que le Sénat a adoptée au mois de février de cette année.

Le même phénomène s’observe dans l’entreprise : année après année, les enquêtes menées auprès de salariés révèlent une place croissante du fait religieux dans le monde du travail.

Les revendications communautaires comme les comportements discriminatoires tendent à se multiplier.

Il est tout aussi préoccupant de constater que le regard porté sur ces comportements évolue : un nombre croissant de salariés juge acceptables les manifestations du communautarisme, y compris celles qui sont constitutives d’une discrimination illégale.

J’en viens au second constat : notre droit, mal compris et mal appliqué, laisse les acteurs de terrain – maires, chefs d’entreprise, professeurs, etc. – trop souvent démunis devant les revendications et les pratiques communautaristes.

En effet, les groupes de pression n’hésitent pas à instrumentaliser, au soutien de leurs demandes, qui la liberté de manifester ses convictions religieuses, protégée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui le principe de non-discrimination consacré par le droit européen.

Or c’est par la peur – la peur de l’incident ou des accusations de discrimination – que le communautarisme progresse, de manière insidieuse.

Peu au fait de la casuistique subtile de la jurisprudence européenne et nationale, qui tend d’ailleurs à évoluer de manière préoccupante dans le droit du travail, nombreux sont ceux qui préfèrent des accommodements, lesquels sont souvent tout sauf « raisonnables », à des contentieux pour discrimination. D’autres encore – et on ne peut que le déplorer – versent dans le clientélisme communautaire.

Jean-Éric Schoettl, conseiller d’État honoraire, faisait ainsi le constat que « les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits », y compris dans la sphère étatique.

La prise de conscience – tardive, mais réelle – de l’exécutif et sa mobilisation n’ont pas permis d’endiguer ce phénomène.

La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République constitue, à cet égard, une occasion manquée.

Cette loi illustre les limites d’une approche juridique et technocratique, et d’une frénésie procédurière qui n’est en réalité qu’une manifestation d’impuissance.

Comme ont pu le dénoncer nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien, elle ne s’est traduite, hormis quelques innovations utiles, que par un alourdissement de la charge administrative pesant sur l’ensemble des associations et des cultes.

La proposition de loi constitutionnelle emprunte une autre voie, qui me paraît salutaire : celle de donner à tous nos concitoyens des repères simples et clairs, en consacrant, à l’article 1er de la Constitution, le principe selon lequel « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».

Par cette nouvelle disposition, placée au sommet de la hiérarchie des normes, le pouvoir constituant proclamerait solennellement, d’une part, l’absence de droit à l’adaptation du service ou des règles applicables à un individu ou à un groupe à raison de son origine et de ses croyances – et, partant, l’absence d’obligation, pour l’employeur comme pour la collectivité publique, de procéder à telles adaptations ; d’autre part, l’impossibilité pour toute personne d’exciper de son origine ou de ses croyances pour se soustraire au respect des règles qui régissent la vie de la Nation ou qui sont propres aux services publics ou aux entreprises.

Si le texte reprend des termes qui figurent dans des décisions du Conseil constitutionnel, il ne s’agit pas pour autant d’un simple rehaussement de sa jurisprudence.

Le texte ne limite pas l’application du principe qu’il énonce aux seules relations entre collectivités publiques et particuliers, mais l’étend aux règles et interactions collectives dans le secteur privé.

En effet, la notion de « règle commune » intègre les lois et règlements de la République, mais aussi les règlements intérieurs des services publics, des entreprises et des associations.

Lors de la précédente tentative de révision, en 2020, il avait été opposé que la référence à la « règle commune » serait imprécise et pourrait conduire à remettre en cause de certains régimes particuliers ou dérogatoires.

Cet argument est, pour reprendre les mots du professeur Anne Levade, « spécieux et juridiquement erroné ».

En effet, la notion de règle commune, déjà employée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, n’exclut aucunement l’existence de dérogations ou de régimes particuliers, à l’instar du régime des cultes en Alsace-Moselle ou dans certaines collectivités ultramarines.

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs toujours refusé de remettre en cause ces régimes particuliers sur le fondement des principes d’égalité et de laïcité ; la disposition qu’il est proposé d’introduire à l’article 1er de la Constitution ne pourrait aucunement être interprétée comme revenant sur ce point.

Si les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle ont proposé une rédaction alternative faisant référence aux « règles applicables », la commission a jugé préférable de revenir à la notion de règle commune, qui lui a semblé mieux établie et qui ne soulève pas de réelle difficulté d’interprétation.

La référence aux « règles applicables » appelait, quant à elle, plusieurs objections ; elle pouvait en particulier donner lieu à des interprétations qui iraient à l’encontre de la volonté du constituant.

Le texte affirme une règle simple : la liberté de conscience, qu’il ne s’agit aucunement de remettre en cause, n’autorise personne à exiger un traitement à part.

Cette affirmation n’est pas purement symbolique : il s’agit de donner à tous les acteurs de terrain les moyens de faire face aux revendications communautaristes auxquelles ils sont confrontés.

Mes chers collègues, il est des moments de notre histoire où il est nécessaire de retremper la vigueur des principes fondateurs de notre pacte social.

Alors que la société est menacée de fragmentation ou d’« archipélisation », ce texte a pour objet – pour reprendre les mots de son auteur, Philippe Bas – de reformuler pour notre temps les principes qui sont au fondement de la République.

En adoptant cette proposition de loi constitutionnelle, nous souhaitons offrir au peuple français l’occasion de proclamer, par la voie du référendum, son attachement aux principes qui fondent notre République et notre pacte social.

Par conséquent, cette proposition de loi constitutionnelle est un acte politique majeur.

En l’adoptant, nous réaffirmerons notre refus du communautarisme, de la division et de l’obscurantisme, ainsi que notre attachement à la laïcité et à la République !

Pour ces raisons, la commission des lois vous propose d’adopter la proposition de loi constitutionnelle ainsi modifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver aujourd’hui !

M. Roger Karoutchi. Nous aussi !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. La petite histoire retiendra que j’aurai été, la même année, nommé trois fois garde des sceaux. C’est, me semble-t-il, un record… (Sourires.)

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. L’année n’est pas finie… (Nouveaux sourires.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il est des débats qui touchent, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, au cœur même de notre pacte national.

Il est aussi des débats où il s’agit non pas simplement de droit, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président Darnaud, mais de la manière dont nous voulons vivre la République, et finalement la France. Celui qui nous occupe est sans aucun doute de ceux-là, et le Gouvernement salue l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition de loi constitutionnelle.

En effet, au travers de ce texte, la question essentielle que vous nous posez est celle de notre appartenance commune à la République, au-delà de nos origines, de nos croyances, de nos histoires personnelles, de nos appartenances particulières, alors que notre société est en effet minée – peut-être un peu moins que les autres, mais minée quand même – par les replis individuels et communautaristes.

Depuis plus de deux siècles, notre Constitution, comme notre histoire, repose sur une idée puissante, car évidente : celle en vertu de laquelle il n’y a pas de liberté sans loi, pas de République sans règles communes, pas de Nation sans unité civique.

C’est cette exigence sans cesse désirée, mais aussi sans cesse attaquée, que la proposition de loi que vous déposez veut rappeler, dans une époque où les fractures sont identitaires et où les séparatismes de toutes sortes menacent le lien républicain.

Le Gouvernement soutiendra donc l’initiative juste et nécessaire du Sénat.

Le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’affranchir de la norme commune est déjà, il est vrai, au cœur de notre droit. Il est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ou encore à l’article 1er de la Constitution de 1958, celle du général de Gaulle, qui proclame l’égalité de tous devant la loi, sans distinction d’origine ou de religion.

Mais, nous le savons tous, comme élus locaux et comme citoyens : rappeler ce qui fonde notre unité n’est jamais superflu. Pour la République aussi, il n’y a que des preuves d’amour, et ce chantier est sans cesse ouvert à l’effort, tant il est difficile – « Que Marianne était jolie », dit la chanson, mais après cinq Républiques se pose encore la question de son unité…

En tant que ministre de l’intérieur, j’ai moi-même mesuré à quel point ce rappel devait être concret, quotidien, vivant, et j’ai pu défendre devant vous des textes qui partagent la philosophie de celui que vous proposez – je songe évidemment à la loi dite « Séparatisme », la loi confortant le respect des principes de la République, texte que le Sénat a largement soutenu, amendé et voté.

Votre proposition de loi constitutionnelle s’inscrit dans cette logique.

Initialement, elle visait, comme l’a très bien dit M. le rapporteur, à graver dans la Constitution une affirmation solennelle : aucune appartenance, aucune conviction ne peut justifier de s’exonérer de la loi applicable. Évidemment, le Gouvernement partage pleinement cette affirmation.

En commission, vous avez souhaité modifier la portée de votre texte en visant non plus « les règles applicables », mais la « règle commune ».

Cette modification n’est pas neutre – c’est plus qu’une nuance : certes, elle ouvre des pistes nouvelles de travail, mais j’appelle l’attention de la Haute Assemblée sur la nécessité d’en mesurer dès à présent les effets s’il s’agit d’empêcher partout les dérogations à la loi républicaine, alors même que le Gouvernement soutient les mesures d’adaptations locales que vous appelez par ailleurs vous-mêmes de vos vœux : nous allons au-devant de quelques difficultés…

Cette interrogation ne doit cependant pas bloquer le débat. Elle doit l’éclairer, et je ne doute pas que c’est en ce sens que la commission a souhaité orienter les discussions de ce jour. Il vous appartient donc de préciser ce qui doit l’être.

Au fond, ce que nous devons rechercher ensemble, c’est la République claire et forte, qui ne confond pas tolérance et renoncement, respect et complaisance. Cela étant, mesdames, messieurs les constituants, gare à ce que votre plume n’empêche pas l’atteinte d’objectifs que nous poursuivons par ailleurs – je pense à l’initiative locale et à d’éventuels textes sur la décentralisation ou la déconcentration.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous trouverez le Gouvernement, qui s’exprime ici par ma voix, au soutien de votre objectif et de votre exigence de clarté républicaine.

L’heure n’est sans doute plus à la complaisance ; elle est encore moins à la résignation. Et, si notre Constitution doit, par votre travail, porter plus haut encore les valeurs d’unité et de cohésion, alors le débat qui s’ouvre aujourd’hui sera digne et nécessaire. (MM. Mathieu Darnaud, Roger Karoutchi et Francis Szpiner applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.

M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi constitutionnelle visant à insérer à l’article 1er de la Constitution la mention selon laquelle « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».

À vrai dire, je ne comprends pas vraiment les règles du jeu de cette séance.

Sur la forme, d’abord, ce texte constitutionnel a été déposé par notre ancien collègue Philippe Bas, qui siège désormais au Conseil constitutionnel. Voilà une première bizarrerie.

Seconde bizarrerie : l’exposé des motifs justifie le dépôt d’un nouveau texte par les débats qui se sont tenus au Sénat et à l’Assemblée nationale en 2020, au cours desquels la notion de « règle commune » avait été jugée imprécise et fragile. Mais, en commission, le rapporteur, également signataire du texte, a finalement souhaité revenir à la rédaction initiale de 2020…

M. Guy Benarroche. Bizarre, oui !

M. Éric Kerrouche. On en perd donc le peu de latin qu’il nous reste. (M. le rapporteur sexclame.) Premièrement, un nouveau texte est déposé alors que le précédent, rejeté à l’Assemblée nationale, aurait pu faire l’objet d’une navette. Deuxièmement, le dépôt d’un nouveau texte est justifié par des débats antérieurs, dont on ne tient finalement pas compte pour revenir à la case départ… (M. Guy Benarroche et Mme Mélanie Vogel sesclaffent.)

Je réitère donc ma volonté de comprendre le jeu auquel nous jouons, sachant que, par ailleurs, le sujet est sérieux.

Après 2020 et 2022, nous débattons aujourd’hui des mêmes dispositions pour la troisième fois, au moyen d’un troisième texte dont les termes sont identiques à deux propositions de loi déposées à l’Assemblée nationale par Marine Le Pen en 2018 et en 2024…

M. Éric Kerrouche. Sur le fond, ce texte est présenté comme une réponse à la montée du « communautarisme », terme qui devrait d’ailleurs être remplacé par celui de « séparatisme ». Il vise en particulier l’islam radical.

Les indicateurs retenus par le rapporteur pour en justifier le dépôt décrivent une partie de la réalité. À cet égard, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain réaffirme solennellement ici qu’il ne sera jamais, et en aucune façon, le défenseur d’un quelconque séparatisme.

Toutefois,…

M. Francis Szpiner. Toutefois…

M. Éric Kerrouche. … monsieur le rapporteur, la présentation des faits ne saurait être à sens unique. Ainsi, le baromètre 2024 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme vient contrebalancer certaines affirmations que nous avons pu entendre en commission des lois et cet après-midi. Il révèle, par exemple, que les personnes les plus hostiles aux musulmans sont aussi les moins attachées à la laïcité et à l’égalité entre les hommes et les femmes et les plus critiques envers l’homosexualité.

Sans surprise, donc, notre opinion sur ce texte n’a pas changé : il reste inutile ; sa rédaction est incertaine et dangereuse.

Depuis plus de deux siècles, notre République repose sur un socle : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le prolongement qu’elle connaît notamment dans la Constitution de notre Ve République. Ces textes disent ce que nous sommes.

Relisons l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La loi est l’expression de la volonté générale. […] Elle doit être la même pour tous ». Quant à son article 10, il dispose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Je conclus ce florilège, tout simplement, par l’article 1er de notre Constitution, qui est limpide : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Depuis 1789, la République garantit à chacun et à chacune l’égalité devant la loi, sans distinction d’origine, de religion ou de condition. Et, depuis 1905, la laïcité assure à chacun la liberté de conscience tout en affirmant la neutralité de l’État.

Je rappelle que le Conseil constitutionnel, de son côté, a réaffirmé, en 1999 et en 2004, que la République ne reconnaît que le peuple français et que nul ne peut invoquer ses croyances religieuses pour se soustraire aux règles communes.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ce n’est plus le cas aujourd’hui !

M. Éric Kerrouche. Tout est dit. À notre sens, cette proposition est donc inutile. Plus grave encore, elle est dangereuse. En voulant mal réécrire ce qui existe déjà, on fragilise l’équilibre subtil de notre République.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est l’inverse !

M. Éric Kerrouche. De fait, en prétendant affirmer la primauté des règles communes, on pourrait, demain, justifier des atteintes disproportionnées à la liberté de conscience.

La disposition pourrait, en outre, s’interpréter comme autorisant à s’exonérer des lois sur la base d’autres motifs que l’origine ou la religion – idéologiques, politiques, que sais-je.

D’où ma question : quelle est la véritable intention des auteurs de cette proposition ? Pourquoi prétendre que nos principes constitutionnels sont aujourd’hui insuffisants ou qu’il faudrait réécrire la Constitution pour lutter contre le séparatisme, au risque de fragiliser l’équilibre de notre texte majeur ?

Ce qui me dérange, c’est que derrière cette volonté affichée de renforcer le respect des règles communes se niche une autre tentation : celle de faire croire, en un amalgame, que certains citoyens, en raison de leur foi ou de leurs origines, seraient inassimilables, donc d’en faire des sous-citoyens, à rebours des principes républicains qui sont les nôtres. (M. Laurent Somon sexclame.)

Or la République, c’est précisément l’inverse : c’est l’universalité du droit, c’est l’égalité des citoyens, c’est la laïcité comme principe d’émancipation et de protection de la liberté de conscience.

Ce texte ne combat pas le séparatisme : il le nourrit et se propose de l’institutionnaliser. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ben voyons !… Plus c’est gros, plus ça passe !

M. Éric Kerrouche. Les principes de notre République n’ont pas besoin d’être réécrits. Il faut s’attacher à les faire vivre concrètement, sans aucun angélisme.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Quel angélisme ? Le vôtre ?

M. Éric Kerrouche. Comme le disait notre ancienne collègue Éliane Assassi, ce n’est pas en adoptant des textes purement symboliques que l’on combattra les dérives et les replis identitaires. Ce qui fragilise notre République, c’est le manque de justice sociale ; c’est l’abandon de certains territoires ; c’est le sentiment de déclassement ; c’est le recul des services publics.

Et ce n’est pas parce que certains s’inscrivent dans les plis de ces malheurs qu’il ne faut pas les combattre !

C’est à ces fractures qu’il faut s’attaquer. Le problème n’est pas constitutionnel.

Lutter contre les séparatismes, les haines, le repli sur soi, c’est d’abord réussir ensemble à faire République, en garantissant une égalité réelle, en donnant à chacun, où qu’il soit né, la même chance de réussir, tout en sanctionnant les discours de haine et de repli sur soi, d’où qu’ils viennent.

Mes chers collègues, nous devons être intraitables avec ceux qui veulent détruire la République et l’État de droit. Nous devons donc dénoncer tous les extrémismes religieux, l’antisémitisme, les racismes, quels qu’ils soient, mais nous avons déjà des armes pour le faire.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Elles ne suffisent pas, elles ne suffisent plus !

M. Éric Kerrouche. La première est celle de la loi et du contrôle de son application, sur la base de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – j’en ai rappelé le rôle –, qui proclame la liberté et l’égalité, d’une Constitution qui fait de la laïcité l’un de ses piliers, sinon son pilier central, d’un État de droit qui protège les citoyens de l’arbitraire.

La deuxième arme est celle de nos services publics, qui font vivre la promesse républicaine dans nos territoires.

C’est cette République-là, mes chers collègues, que nous défendons : celle qui rassemble la communauté nationale, celle qui intègre, non celle qui ostracise sur fond d’amalgames ou en instrumentalisant nos principes.

Nous défendons, pour notre part, une République en actes, et nous le ferons encore dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.

Vous l’aurez compris, nous considérons que ce texte ne répond nullement à l’objectif affiché et, comme nous l’avons fait par le passé, nous voterons contre la disposition proposée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST et sur des travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, nous voyons revenir dans cet hémicycle des textes qui, sous couvert de défendre la République et la laïcité, visent, en réalité, à opposer et à diviser.

Celui qui nous est présenté aujourd’hui en est une nouvelle illustration.

Son titre, à lui seul, semble difficilement contestable – qui pourrait être contre la prééminence des lois de la République ?

M. Francis Szpiner. C’est une vraie question !

Mme Cécile Cukierman. Mais, en réalité, ce texte n’a pas pour objectif de renforcer notre droit ou notre cadre républicain : ses auteurs cherchent surtout à envoyer un message politique en laissant entendre, au prétexte de rappeler une évidence, que la République serait menacée de l’intérieur,…

M. Mathieu Darnaud. Elle l’est !

Mme Cécile Cukierman. … que certains citoyens refuseraient la règle commune, au nom de leur origine ou de leur religion.

Et c’est précisément cela qui est grave, car, là même où ses auteurs prétendent défendre l’unité nationale, cette proposition de loi constitutionnelle contribue en fait à alimenter les fractures prétendument combattues.

Juridiquement, d’abord, ce texte n’apporte rien. Aucun élément, aucun chiffre, aucune étude sérieuse ne démontre que des citoyens se soustraient à la loi pour des raisons religieuses ou communautaires. Aucune autorité administrative, aucun tribunal, aucun service public n’a le pouvoir de tolérer de telles dérogations. La Constitution, la loi et la jurisprudence encadrent déjà strictement toutes ces situations.

Dès lors, pourquoi modifier notre Constitution ? Pourquoi ajouter une phrase redondante à son article 1er quand notre droit est déjà parfaitement clair ? Parce que l’objectif, je l’ai dit, n’est pas juridique : il est politique.

Cette proposition de loi constitutionnelle, reprise presque mot pour mot du texte déposé en 2020, a vocation avant tout à remettre sur la table les débats identitaires, à un moment où notre pays est traversé par des crises sociales et économiques majeures.

Dès la reprise des travaux parlementaires, alors que nos concitoyens affrontent l’inflation, la précarité, la crise du logement et celle de l’hôpital, on choisit ici de reparler d’identité nationale, de religion et de communautarisme.

Le constat est sans appel : ni les 10 millions de pauvres que compte aujourd’hui notre pays, ni les 16 % de salariés en emploi précaire, ni le délitement organisé de nos services publics ne sont une priorité !

L’examen de ce texte est une diversion ; c’est même, à mon sens, une faute politique.

Mes chers collègues, la République n’a pas besoin de se redire pour être respectée : elle a besoin d’être vécue.

Elle a besoin d’être incarnée dans des services publics qui fonctionnent, dans une école laïque qui forme des citoyens libres et égaux, dans des institutions qui garantissent la justice sociale et l’égalité réelle.

La laïcité que nous défendons n’est pas une arme de suspicion : elle est un principe d’émancipation. Elle consiste non pas à pointer du doigt tel ou tel groupe, mais à protéger chacun des empiétements du religieux dans la sphère publique, tout en garantissant à chacun la liberté de conscience.

Nous défendons non pas une laïcité d’exclusion, mais bel et bien la laïcité de la loi de 1905, celle de la République devenue laïque, sociale et indivisible.

Enfin, je veux redire un mot de la portée symbolique d’une telle révision.

Nous en sommes tous conscients ici, modifier la Constitution n’est jamais anodin. La Constitution, c’est notre pacte commun.

L’inscrire dans un climat de défiance pour répondre à des peurs attisées à des fins partisanes, c’est l’affaiblir.

Nous devrions au contraire consacrer notre énergie à réaffirmer les principes déjà contenus dans notre texte fondamental : l’égalité, la fraternité, la solidarité, la neutralité du service public et, bien évidemment, la lutte contre toutes les discriminations. Voilà les véritables leviers de la cohésion nationale et voilà comment se vit la prééminence de la loi républicaine : non pas dans les discours de défiance, mais dans la confiance que la République inspire et doit inspirer à chacun de ses citoyens.

Pour toutes ces raisons, juridiques, politiques et philosophiques, notre groupe votera contre cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. C’est dommage !

Mme Cécile Cukierman. Nous le ferons avec calme, mais avec détermination, parce que nous aimons profondément cette République et que nous refusons qu’elle soit instrumentalisée au service d’intérêts partisans ou électoraux.

Nous continuerons, à rebours de l’esprit de ce texte, à œuvrer pour une République fidèle à sa promesse : celle de l’égalité réelle, de la justice sociale et de la fraternité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Guy Benarroche et Mme Sophie Briante Guillemont applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après 2020 et 2023, voici qu’en cette année 2025 la majorité sénatoriale tente pour la troisième fois de modifier la Constitution.

Cette tentative émane d’un groupe qui défend bec et ongles l’idée d’une prudence nécessaire dans la modification de la loi fondamentale, à laquelle on ne saurait toucher que d’une main tremblante.

Quelle incohérence et quelle contradiction dans cette obstination à modifier l’article 1er alors que, dans le même temps, chaque censure du Conseil constitutionnel sur des lois que vous faites voter est instrumentalisée et utilisée comme argument contre un soi-disant « gouvernement des juges », une supposée entrave à la liberté du législateur !

Si la Constitution nous empêche, si elle vous empêche, c’est qu’elle fonctionne ! Elle a pour but, dans la structure de la hiérarchie des normes, d’encadrer ce que la volonté du peuple, parfois portée par des courants populistes, peut exiger. Ce document nous empêche, tout comme Ulysse s’empêche, en amont de son odyssée, reconnaissant et redoutant la possibilité mortifère qu’il cède au chant des sirènes…

Cependant, la Constitution nous libère aussi. Elle fixe des règles fortes, des libertés et des droits fondamentaux. Le premier alinéa de son article 1er, que vous souhaitez aujourd’hui modifier, est un exemple de simplicité, de force, d’équilibre : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

Notre République est laïque. Elle n’est gouvernée par aucun culte, par aucune croyance.

Notre République assure l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion.

Nos plus hautes juridictions ont à maintes reprises consolidé ces principes essentiels à notre vie en commun, à commencer par le Conseil constitutionnel, qui, à propos de l’égalité de tous devant la loi, a rappelé que les articles 1er à 3 de la Constitution « s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ».

Le même Conseil constitutionnel a réaffirmé que ce principe de laïcité empêche déjà ce que vous prétendez vouloir empêcher par votre proposition de loi constitutionnelle, mes chers collègues, reprenant votre terminologie même : « les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles “la France est une République laïque” […] interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. »

Votre exposé des motifs laisse à penser qu’il serait possible qu’un particulier exige une adaptation du service public et que, le cas échéant, ce dernier soit en difficulté légale pour asseoir un refus.

Entendons un instant vos craintes de revendications religieuses ou communautaires. Le Conseil d’État s’est lui aussi prononcé sur ces revendications. Oui, la question a déjà été posée, messieurs les auteurs de ce texte, et le Conseil d’État y a répondu clairement, dans sa décision Chalon-sur-Saône, que « les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ».

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Eh bien, ça marche !

M. Guy Benarroche. Cette décision est limpide : l’administration n’a pas à s’adapter aux demandes des usagers ; elle n’y est pas tenue.

M. Guy Benarroche. Elle peut les refuser sans qu’il y ait besoin de modifier la Constitution, contrairement à ce que vous voulez laisser croire.

Dès lors, mes chers collègues, pourquoi cette proposition ?

Le danger supposé ne doit pas être exagéré dans sa possible réalité, non plus que les outils dont nous disposons déjà pour le contrer ne doivent être ignorés. Nous ne pouvons pas faire croire à nos compatriotes que nous serions démunis face à de telles exigences.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Nous le sommes pourtant !

M. Guy Benarroche. Nos juridictions sont fermes et claires sur le sujet : un individu ne peut pas exiger, au motif de sa religion, que la règle qui lui est appliquée soit écartée ou adaptée.

Modifier la Constitution représente toujours un risque. Ici, il est fort dangereux : tel que rédigé, l’addendum à la Constitution pourrait empêcher les accommodations équilibrées que nos collectivités et nos administrations locales comme nationales sont amenées à mettre en œuvre.

C’est d’ailleurs peut-être le but de votre démarche, puisque vous regrettez « la multiplication des accommodements qui sont autant d’entailles portées au pacte républicain ».

Prenons un exemple d’« entaille », comme vous les nommez. Pour l’éducation nationale, les élèves sont soumis à l’obligation d’assiduité. Toutefois, des « autorisations d’absence doivent pouvoir être accordées aux élèves pour les grandes fêtes religieuses qui ne coïncident pas avec un jour de congé et dont les dates sont rappelées chaque année par une instruction ». Ce calendrier fixé par l’administration de l’éducation nationale prévoit une adaptation autorisant jusqu’à trois jours d’absence, par exemple pour les fêtes arméniennes, musulmanes, juives, bouddhistes ou orthodoxes. Vous souhaitez donc mettre fin à cette possibilité de dérogation.

Je ne suis pas juriste, mais j’ai l’honneur d’être législateur, et je sais, mes chers collègues, que chacun d’entre nous comprend la différence entre la possibilité d’accommodations raisonnables et équilibrées offertes par une administration ou un chef d’entreprise et la promulgation d’un droit opposable à ces derniers.

L’entrisme doit être combattu par le déploiement des moyens de contrôle et une implication sur le terrain.

La conciliation de la liberté de culte, de la laïcité et de l’égalité de tous devant la loi est déjà assurée par notre texte fondamental…

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Guy Benarroche. … et par les décisions des plus hautes juridictions de notre pays.

En conséquence, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires dénonce la redondance et les dangers de votre texte, déposé dans le seul but de servir un nouvel affichage démagogique.

Nous voterons donc contre cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Éric Kerrouche applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme vient de le rappeler notre collègue, l’article 1er de notre Constitution dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

La loi est donc la même pour tous, peu importe d’où nous venons et ce en quoi nous croyons. La rédaction retenue par le constituant se veut universaliste. Cet article a aussi le mérite d’être extrêmement bien rédigé.

Peut-on en dire autant de la proposition de loi constitutionnelle soumise à notre examen aujourd’hui, déjà débattue il y a cinq ans et rejetée, alors, par l’Assemblée nationale ?

Ce texte vise à compléter l’article 1er de notre Constitution par une formule qui, je le dis d’emblée, est superfétatoire : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »

Je pense que personne dans cet hémicycle n’est opposé à cette affirmation.

M. Mathieu Darnaud. Il faut croire que si !

Mme Sophie Briante Guillemont. Personne ! Dans un État de droit, elle relève de l’évidence : on ne peut pas invoquer sa loi personnelle ou religieuse pour s’affranchir de la norme juridique.

Cependant, les dérives communautaristes existent.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est bien de le reconnaître…

Mme Sophie Briante Guillemont. Aujourd’hui, comme le relève le rapport, 48 % des professeurs de l’enseignement public déclarent s’autocensurer en cours. Dans le privé, 28 % des salariés déclarent « acceptable » de ne pas serrer la main d’une personne du sexe opposé. C’est grave, très grave.

Le communautarisme cessera-t-il pour autant par la grâce d’une modification de la Constitution ? Est-il vraiment nécessaire de réécrire ce qui est déjà écrit,…

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bien sûr que oui !

Mme Sophie Briante Guillemont. … en créant au passage un concept aussi juridiquement flou que celui de la « règle commune » ?

Quelles seraient les conséquences de l’adoption de ce texte ? Elles seraient d’autant plus importantes qu’aujourd’hui nous nous exprimons non en tant que législateur ordinaire, mais en tant que constituant, avec la gravité que cela implique.

Or l’introduction envisagée relève davantage de l’incantation que de la norme juridique suprême.

Vous le savez, mes chers collègues, mon groupe, le RDSE, est très attaché à la laïcité. Et c’est précisément en raison de cet attachement que nous ne souhaitons pas transposer un slogan politique dans le droit positif.

Dans aucun État du monde, qu’il soit démocratique ou autoritaire, qu’il soit laïque ou théocratique, la loi d’un individu ne peut supplanter la règle commune.

Partout où l’État est souverain et édicte des règles – et cela vaut de n’importe quel État, que ce soit la France ou la République islamique d’Iran –, ces règles s’imposent sur les autres règles non étatiques.

Aussi la formulation retenue par cette proposition de loi constitutionnelle apparaît-elle comme une pure tautologie, dès lors que l’article 1er consacre le principe d’égalité devant la loi.

Cette tautologie est peut-être rassurante pour ceux qui la défendent, elle est peut-être revigorante pour ceux qui la clament, mais ce constat fait naître un sérieux doute sur sa capacité à changer notre droit.

Certes, le Conseil constitutionnel a énoncé cette même phrase – presque mot pour mot – dans une décision de novembre 2004, mais, depuis, il n’en a jamais tiré aucune conséquence juridique. Elle n’a même pas été reprise lorsque le Conseil a été amené à définir la laïcité dans une décision d’octobre 2013.

De son côté, le Conseil d’État l’a lui aussi reprise dans une décision de décembre 2020 concernant les menus scolaires, pour préciser que l’administration n’avait jamais l’obligation de s’adapter aux usagers, mais qu’elle était libre de le faire ou non, en fonction des circonstances.

Pour ce qui concerne les relations de droit privé, la Cour de cassation a rendu, en 2022, un arrêt dans lequel elle a considéré qu’un employeur était bien en droit de licencier un salarié ayant refusé une mutation du fait de ses opinions religieuses dès lors que l’aménagement de poste se justifiait par une exigence essentielle et déterminante.

Autrement dit, ni face au service public, ni face à l’administration, ni face à son employeur, un individu ne peut se prévaloir de ses croyances pour s’exonérer des règles, qu’elles soient légales, réglementaires ou contractuelles.

La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a d’ailleurs déjà raffermi cette évidence, notamment en matière de droit des étrangers et de subventionnement des associations.

Je conclurai en disant que mon groupe n’ignore pas les démonstrations de communautarisme : c’est vrai, elles fracturent la République, elles divisent nos concitoyens et elles peuvent constituer un vrai défi pour les employeurs, publics comme privés.

Faut-il pour autant modifier la Constitution, notre loi fondamentale, pour en faire un outil d’affirmation de la lutte contre le communautarisme, alors que tout y est déjà ?

À cette question, mes collègues du RDSE, lors de la discussion du même texte il y a cinq ans, avaient unanimement répondu « oui ». C’était deux semaines après l’assassinat de Samuel Paty… Légiférer sous le coup de l’émotion a forcément des conséquences.

Aujourd’hui, le raisonnement juridique nous conduit à changer de position et à voter, à la grande majorité, contre cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Mathieu Darnaud. Cela s’appelle la constance !

Mme Sophie Briante Guillemont. La lutte contre le communautarisme est un combat qui, à notre sens, passe non pas par une modification de la Constitution, mais par le renforcement de nos services publics, en commençant par le plus fondamental de tous : l’école. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quasiment cinq ans jour pour jour après la première présentation du même texte devant notre assemblée, nous voici à nouveau réunis pour débattre des termes de cette proposition de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de notre Constitution.

À l’époque, les débats étaient marqués par le terrible assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty, tué parce qu’il avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression prévu dans le programme d’enseignement moral et civique. Je m’incline devant sa mémoire.

Cinq années se sont écoulées et, malheureusement, le cycle des assassinats motivés par des considérations religieuses ne s’est pas interrompu.

Je pense particulièrement à la mort brutale, survenue le 13 octobre 2023, au lycée Gambetta, à Arras, d’un autre professeur, Dominique Bernard, tué par un ancien élève ayant prêté allégeance au groupe État islamique. Je rends également hommage à sa mémoire.

Mais ces actes odieux ne sont que la partie visible d’un mouvement plus profond visant à fragmenter notre République et à favoriser le développement du communautarisme en son sein.

Il est aisé d’affirmer que vouloir modifier notre Constitution revient à emprunter un « chemin déclamatoire », comme cela a été dit dans cet hémicycle en 2020 : c’est considérer que cette modification est insuffisante pour apporter une réponse à tous les radicalismes religieux dont l’objectif est de remettre en cause le caractère assez unique dans le monde du concept de « laïcité à la française ».

À celles et à ceux qui pensent ainsi, je répondrai que, pour défendre notre République « indivisible, laïque, démocratique et sociale », tous les actes, législatifs ou non, sont nécessaires.

Telle est par exemple la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, que vous connaissez bien, monsieur le ministre.

Et que dire du défi posé aux maires, qui sont les premiers à recevoir des revendications émanant de groupes se considérant comme distincts ?

Qu’il s’agisse de revendications alimentaires spécifiques pour les menus des cantines scolaires, de demandes de non-mixité dans certains services publics ou encore du refus de se soumettre à l’autorité d’agents publics en raison de leur sexe ou de leur religion, ces comportements portent en germe une logique de dislocation du lien républicain, car ils reposent sur une mise en cause des règles de vie communes, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur.

La laïcité est donc attaquée dans tous les domaines, que ce soit au sein des institutions publiques ou dans le monde de l’entreprise.

La modification constitutionnelle qui nous est proposée ne justifie ni excès ni outrances ; elle répond à une réalité quotidienne.

Le professeur de droit public Mathieu Touzeil-Divina développe, à juste titre selon moi, l’idée que la laïcité est un principe doté d’une certaine latitude, ouvrant la voie à des marges d’interprétation ou d’application.

Il s’agit donc, par cette modification constitutionnelle, d’ajouter une précision dotant tous les décideurs, publics comme privés, d’un texte de référence leur permettant de s’opposer à toute demande visant à déconstruire la laïcité de manière concrète.

Il s’agit non pas de stigmatiser ou de bannir, mais de renforcer les moyens dont nous disposons pour défendre une valeur qui nous est essentielle.

De plus en plus souvent, certaines franges de la société cherchent à obtenir des régimes dérogatoires au droit commun, en invoquant des prescriptions religieuses ou des particularismes culturels.

Or le pacte républicain, ciment de notre société, repose tant sur l’unité du peuple français que sur l’égale soumission de chacun à la règle commune.

Cette proposition de loi constitutionnelle vise à réaffirmer, face aux revendications communautaires, la prééminence de la norme républicaine. Ne pas réagir, c’est montrer notre faiblesse face à des individus ou à des structures susceptibles d’user de tous les moyens pour faire voler en éclats la société française.

Le 5 octobre 2024, j’ai organisé au Sénat, dans la salle Médicis, une conférence intitulée « La laïcité, un enjeu de liberté pour les femmes : l’exemple français ».

Sur quatre intervenantes, l’une était sous protection policière et une autre usait d’un nom d’emprunt. Est-ce normal ? Bien sûr que non. C’est le résultat de menaces émanant de mouvements radicaux musulmans cherchant à empêcher la libre expression sur les atteintes à la laïcité.

À cette occasion, Fadila Maaroufi, anthropologue et cofondatrice du Café laïque à Bruxelles, après avoir décrit le développement du communautarisme dans la capitale belge, a conclu son intervention par ces mots : « La France, grâce à la laïcité, vous êtes l’un des seuls pays qui résistent encore. »

Je conclurai en insistant sur le fait que l’expression de « règles communes » apparaît notamment dans la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004 relative au principe de laïcité et à la neutralité du service public.

En outre, dans la décision du 21 février 2013, les juges constitutionnels ont rappelé que le principe de laïcité inscrit à l’article 1er de la Constitution impose que « La République assure la liberté de conscience » et « garanti[sse] le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées […] dans l’intérêt de l’ordre public ». Il résulte également de ce principe que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Ce principe de laïcité est l’une des garanties des droits de l’homme et du citoyen. Il constitue la règle commune dans l’organisation des services publics.

La proposition de loi constitutionnelle que nous examinons ne restreint aucune liberté fondamentale ; elle rappelle simplement que la liberté de chacun s’arrête là où commence le respect de la règle commune.

Face aux menaces de fragmentation sociale, réaffirmer les fondements du pacte républicain est un acte de lucidité et de responsabilité.

Il s’agit non pas d’imposer une uniformité rigide, mais de garantir une unité fondée sur des règles partagées par tous, seules à même de permettre à la diversité de s’épanouir dans un cadre commun.

Pour ces raisons, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la lecture de l’intitulé du texte que nous examinons aujourd’hui a de quoi décontenancer. En effet, la prééminence des lois de la République n’est-elle pas déjà garantie ?

« Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. » Cette courte phrase définit ce qui est le cœur même du pacte républicain : l’universalité de la loi.

La loi doit être la même pour tous, « soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », comme le proclame l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

C’est cette égalité devant la loi qui fonde la cohésion nationale et qui permet à des citoyens aux origines, aux convictions ou aux croyances différentes de vivre ensemble dans le respect mutuel.

L’article 1er de notre Constitution dispose que notre République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Il s’agit tant de préserver la cohésion de notre Nation que de protéger les individus face à l’État.

Les auteurs du texte que nous examinons aujourd’hui proposent d’expliciter le fait que la règle commune s’applique à tous les citoyens. L’ambition simple et essentielle de cette proposition de loi constitutionnelle devrait tous nous rassembler. Hélas ! tel n’est pas le cas.

Nous ne pouvons ignorer les tensions qui traversent notre société. Des enseignants, des élus et des agents publics sont aujourd’hui confrontés à des contestations de principe sur des sujets relevant pourtant du droit commun : la mixité, la neutralité, les programmes scolaires ou encore les règles du service public.

Au-delà de l’école, devenue une cible privilégiée, les entreprises et les associations font également l’objet de revendications communautaristes de plus en plus pressantes. En progression dans tous les secteurs de la vie quotidienne, ces dérives sont devenues très préoccupantes.

Elles traduisent, chez une partie de nos concitoyens, le sentiment qu’il serait légitime de faire prévaloir une appartenance particulière sur l’application de nos lois. Il s’agit là d’une menace particulièrement dangereuse pour notre République.

Le législateur doit agir et dire clairement que nous nous opposons à la remise en cause de l’égalité des citoyens devant la loi. L’appartenance religieuse ou culturelle ne doit pas primer les lois de la République.

La France a toujours accueilli en son sein des femmes et des hommes venus d’horizons divers. Elle a su faire de cette diversité une richesse, en les rassemblant dans un cadre commun. Ce cadre, c’est la loi républicaine.

La République est ouverte et inclusive, mais ses principes ne sont pas négociables. La France respecte toutes les croyances, mais elle ne se soumet à aucune d’entre elles. Céder sur ce point, ce serait accepter la fragmentation de notre société en diverses communautés et, in fine, prendre le risque de la dissolution de notre Nation.

L’article 1er de la Constitution dispose que la France est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Nous devons préserver cette indivisibilité : elle nous protège tous et elle est l’une des conditions nécessaires de notre démocratie.

L’école constitue l’un des creusets de notre cohésion nationale. C’est là que l’on apprend les principes de la laïcité, l’esprit critique ou encore le respect du pluralisme. C’est là que sont formés des citoyens, et non de simples membres de communautés.

Nous devons soutenir nos enseignants dans cette mission et leur donner les moyens et la protection nécessaires pour qu’ils puissent l’exercer sans peur. La République n’oublie pas Samuel Paty et Dominique Bernard, professeurs assassinés pour avoir enseigné la liberté d’expression.

Cette protection, nous la devons également aux élus locaux. La République n’accepte pas que les maires soient menacés lorsqu’ils font respecter les règles du service public.

Cette proposition de loi constitutionnelle ne résoudra pas à elle seule les fractures dont souffre notre société, mais elle contribuera à les réduire. La prééminence de la loi exige un effort constant, notamment au moment de son application.

Notre responsabilité, en tant que citoyens, est de veiller à cette cohérence dans la justice rendue, dans les décisions administratives, dans la constance de la parole publique.

Ce texte fixe une ligne de principe à laquelle nous pourrons tous nous référer, en particulier les agents du service public, qui en ont tant besoin. Elle est porteuse d’un message de cohésion, de respect et d’unité, mais aussi d’une exigence de fidélité aux principes de la démocratie libérale.

C’est dans cet esprit que le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle. Nous sommes convaincus qu’elle rassemble, et qu’elle exprime, en des termes simples, ce que doit être la Nation française : indivisible. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque jour, notre République est la cible d’attaques multiples. Certaines sont visibles, brutales, d’autres plus insidieuses. Elles visent toutes le même objectif : affaiblir nos principes, remettre en cause l’égalité devant la loi et imposer des règles particulières au détriment de la cohésion nationale.

Face à ces tentatives de fragmentation, la lutte contre le séparatisme et contre toutes les formes de communautarisme demeure une priorité absolue.

C’est dans ce contexte que nous examinons aujourd’hui la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République. Ce texte introduirait dans notre Constitution un nouvel alinéa ainsi rédigé : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».

Or, mes chers collègues, qui pourrait s’opposer à ce que les lois de la République s’imposent à tous ? Cet objectif a la clarté de l’évidence. Mais, précisément, cette disposition se contente de rappeler un principe déjà pleinement consacré : dans un État de droit, la hiérarchie des normes suffit à affirmer cette prééminence. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’article 1er de notre texte fondamental, tous ces textes existent déjà.

Dès lors, la question n’est pas de savoir si nous partageons l’objectif – nous le partageons sans réserve : elle est de savoir si l’outil ici retenu est pertinent. Or, sur ce point, nous émettons certaines réserves.

En particulier, la rédaction proposée soulève de réelles ambiguïtés juridiques. Qu’est-ce que la « règle commune » ? Est-ce la loi ? Est-ce une norme de rang inférieur ? Est-ce un ensemble de pratiques administratives, voire un corpus de droit dit souple ?

Une telle rédaction, si elle était introduite dans la Constitution, pourrait susciter des incertitudes d’interprétation et donner lieu à des lectures divergentes.

Surtout, cette rédaction pourrait entraîner des conséquences indirectes difficiles à maîtriser. Je pense ici en particulier à nos territoires d’outre-mer. Vous le savez, les articles 73 et 74 de la Constitution reconnaissent la spécificité de ces territoires. Or, sous couvert de lutter contre le séparatisme – objectif auquel nous adhérons sans réserve –, une telle rédaction pourrait être interprétée comme remettant en cause ce socle constitutionnel de différenciation.

N’y a-t-il pas là un risque d’amalgame entre, d’un côté, des revendications communautaristes contraires à l’unité républicaine et, de l’autre, les particularités légitimement reconnues de nos outre-mer ? Cette rédaction pourrait-elle avoir pour conséquence de fragiliser les régimes particuliers ? Le seul fait de poser ces questions est révélateur de l’ambiguïté inhérente à cette rédaction.

Le véritable défi n’est pas de multiplier les déclarations symboliques ; il est d’assurer au quotidien le respect intraitable de nos principes. Cela suppose des actions et des lois claires, appliquées avec fermeté, sur des sujets concrets : dissolution d’associations qui appellent à bafouer la République, contrôle du financement de certains cultes, protection de l’école, encadrement des dérives communautaristes.

Ne dressons donc pas de fausse opposition entre ceux qui voteraient ce texte au nom d’une fidélité républicaine de principe et ceux qui, comme nous, expriment leurs réserves : il n’y a pas d’un côté les vigilants et, de l’autre, les laxistes ; il y a simplement, selon nous, deux façons d’agir.

Nous sommes convaincus que le combat contre le séparatisme et le communautarisme doit être mené avec force et clarté, mais qu’il relève du domaine de la loi, laquelle permet des réponses précises, concrètes et adaptables, plutôt que du domaine constitutionnel, étant entendu qu’une formulation trop générale risquerait d’affaiblir la cohérence de notre texte fondamental.

C’est pourquoi, tout en partageant sans réserve l’objectif de lutte contre le communautarisme, notre groupe ne soutiendra pas cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Raphaël Daubet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)

M. Laurent Somon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de République. Je remercie la commission des lois du Sénat, sa présidente Muriel Jourda et notre rapporteur Christophe-André Frassa pour la qualité des débats ouverts depuis 2020 sur ce sujet.

Nos concitoyens sont nombreux à s’inquiéter de voir s’installer des freins au vivre ensemble, tandis que le « vivre séparé » conduit au conflit, à la violence et aux drames.

Depuis plus de deux siècles, notre République avance en équilibre sur le fil qui sépare libertés individuelles et intérêt général, diversité et unité.

De la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 à la Constitution de la Ve République, une même idée traverse notre histoire : la loi est la même pour tous.

C’est dans cet esprit que nous proposons aujourd’hui d’ajouter à l’article 1er de notre Constitution cette phrase simple, mais essentielle : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »

L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclamait : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir […] à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. »

Ce texte est au principe de l’article 1er de notre Constitution, qui rappelle que « la France est une République indivisible [et] laïque », disposition sur le fondement de laquelle le Conseil constitutionnel a précisément considéré que nul ne peut « se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. » Si cet article n’a jamais vieilli, notre époque exige d’en réaffirmer le principe avec clarté et d’adapter sa lettre à notre temps.

Si la République garantit la liberté de conscience et la pluralité des origines, elle ne saurait tolérer que ces libertés deviennent prétextes à l’exception.

En l’inscrivant noir sur blanc dans notre Constitution, nous rappelons un principe vieux de deux siècles : la loi commune ne se négocie pas, elle se partage.

La loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État n’était pas un texte de combat contre la foi : elle était un texte de paix entre les croyances. Elle a permis à la France de garantir à chacun le droit de croire ou de ne pas croire tout en préservant l’État de toute domination religieuse. Cet équilibre reste notre boussole. Or il est fragilisé lorsque des groupes ou des individus estiment pouvoir s’affranchir de la règle commune au nom de convictions particulières.

Réaffirmer ce principe constitutionnel, c’est protéger la laïcité, non pas contre les religions, mais contre les divisions qu’engendre leur instrumentalisation.

La laïcité, c’est le respect de toutes les croyances ; c’est le droit pour chacun de chercher la vérité à sa manière. Elle ne signifie pas faiblesse, mais fermeté du bien commun, disait en substance Jean Jaurès.

Ces grands principes, qui seuls assurent le juste équilibre entre les droits légitimes des individus et les exigences de la vie en commun, sont ceux-là mêmes auxquels la France a naturellement adhéré en signant et en ratifiant la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Ce texte précise qu’il ne peut y avoir de « société démocratique » qu’à la condition que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions » et « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations » ne portent atteinte ni « à la sécurité publique, [ni] à la protection de l’ordre », ni à « l’intégrité territoriale ».

C’est là encore la loi commune, et plus généralement les règles communes, qui garantissent la vie en commun.

Mes chers collègues, par cette proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, nous ne créons pas un nouveau principe, nous ravivons une fidélité : fidélité à Condorcet, qui voyait dans l’instruction républicaine le moyen d’élever des citoyens libres et égaux ; fidélité à Jules Ferry, qui a voulu que l’école, libérée de toute pression religieuse ou communautaire, forme des consciences éclairées par la raison ; fidélité, enfin, à Simone Veil, qui rappelait que la République est forte quand elle sait rassembler sans renier ses principes.

La France du XXIe siècle n’est pas celle de 1789 ni celle de 1905, mais elle reste animée par un même idéal : faire d’une pluralité d’hommes et de femmes un seul peuple de citoyens.

Un tel ajout à la Constitution apporterait de la clarté en offrant un repère incontestable à ceux qui appliquent la loi – juges, enseignants, élus, fonctionnaires – et, plus généralement, à l’ensemble des forces vives qui donnent corps à notre société.

C’est que la loi commune ne distingue pas selon les situations : elle doit s’appliquer aussi bien dans les relations que les citoyens entretiennent avec la puissance publique que dans celles qu’ils nouent dans les domaines qui intéressent la collectivité.

L’interdiction des revendications communautaires n’est en effet pas seulement l’affaire des « relations entre collectivités publiques et particuliers » : elle est surtout l’affaire de la vie en société. Par le principe que nous souhaitons inscrire dans la Constitution, il sera affirmé avec force que là où il y a vie commune doivent s’appliquer les règles communes.

Fini les ambiguïtés, les zones grises, les hésitations jurisprudentielles, où la règle commune semble négociable !

Cet ajout à la Constitution apportera de la cohésion. Dans une société traversée par les doutes et les replis identitaires, cette phrase sera un rappel apaisant : quelles que soient nos origines, nous partageons la même maison, la même règle.

Cette précision apportera enfin de la confiance. En garantissant que nul n’est au-dessus ni en dehors de la loi, nous redonnerons aux citoyens le sentiment d’une égalité réelle et d’une justice impartiale, condition première du vivre ensemble républicain.

En 1789, les révolutionnaires ont voulu substituer à la société des privilèges une société de principes.

En 1905, les républicains ont voulu substituer à la tutelle religieuse la liberté de conscience.

Aujourd’hui, nous voulons rappeler que cette liberté s’accompagne d’un devoir : le respect de la règle commune.

M. Guy Benarroche. C’est déjà le cas ! Ça ne sert à rien !

M. Laurent Somon. Cet ajout à l’article 1er est non pas une rupture, mais une fidélité à notre République. Si, en effet, la République n’est pas l’uniformité, elle est l’unité dans la diversité, la liberté dans la responsabilité ; et elle est, pour chacun d’entre nous, le devoir de faire vivre la loi commune, qui seule nous rend égaux, donc véritablement libres. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la république

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République
Article unique (fin)

Article unique

Après le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. L’objet de cet amendement est assez simple : il s’agit de supprimer l’article unique, donc de rejeter l’ensemble du texte.

Pourquoi ? La démonstration me semble avoir été faite par plusieurs de mes collègues, dont certains sont issus, du reste, de groupes qui n’ont pas l’habitude de s’opposer aux textes présentés par la majorité sénatoriale ou par le Gouvernement.

Cet article est dogmatique. Il entre en contradiction avec d’autres dispositions constitutionnelles. Ceux qui le défendent l’ont eux-mêmes dit : il est un rappel du droit existant.

Peut-on aujourd’hui envisager de modifier la Constitution pour y rappeler ce qui y figure déjà ? Tel est bien votre argument, qui motive seul le dépôt d’une proposition de loi constitutionnelle : il faut rappeler ce qu’il y a dans la Constitution !

Cette façon de concevoir ce qu’est la Constitution de notre pays me semble pour le moins légère, voire est de nature à l’affaiblir considérablement.

De surcroît, l’insertion à l’article 1er de notre Constitution de la mention selon laquelle « nul individu ou groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune » constitue un non-sens juridique : cette disposition est en effet redondante avec le principe constitutionnel d’égalité républicaine.

La République assure en effet l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion : si l’on ne peut pas distinguer les citoyens en raison de leur origine ou de leur religion, alors, de fait, personne ne peut se soustraire aux lois de la République en se prévalant de son origine ou de sa religion…

Ce texte de loi est donc redondant, dangereux, dissuasif ;…

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Dissuasif !

M. Guy Benarroche. … il affaiblit la République et notre Constitution.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Benarroche, si j’ai bien compris, vous êtes le porte-parole de plusieurs groupes qui partagent à peu près votre position.

Mme Cécile Cukierman. Il n’y a pas de porte-parole : cela n’existe pas !…

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. C’est une image, madame Cukierman ! J’allais dire que vous aviez été la plus mesurée – mais je me suis trompé… (MM. Roger Karoutchi et Mathieu Darnaud ironisent.)

Monsieur Benarroche, vous êtes donc bien, en définitive, le porte-parole de l’ensemble des groupes qui ont exprimé leur désapprobation et leur opposition à ce texte.

Je ne ferai pas durer le suspense : votre amendement est contraire à la position de la commission. Je l’avais déjà dit en commission, lorsque nous avions examiné ce même amendement de suppression déjà déposé par vos soins.

Selon vous, cette proposition de loi constitutionnelle entrerait en contradiction avec certaines dispositions constitutionnelles en vigueur. Vous affirmez ainsi que l’article 1er de la Constitution fait obstacle à ce qu’une personne s’exonère du respect des lois de la République en raison de ses convictions religieuses. En droit, vous avez raison !

Mme Mélanie Vogel. Mais vous allez nous dire que nous ne sommes pas là pour faire du droit… (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. En effet : nous ne sommes pas en première année de droit, bien que la faculté se trouve seulement à quelques rues d’ici… (Nouveaux sourires.)

Cependant, est-ce véritablement le cas dans la pratique, au quotidien, dans les services publics ou dans les entreprises ? Ceux qui sont chaque jour confrontés aux revendications communautaristes – les maires, les chefs d’entreprise, les enseignants et, de manière générale, nos concitoyens – disposent-ils vraiment d’une base juridique claire et explicite et d’une affirmation constitutionnelle qui les mettraient à l’abri de telles revendications ?

Absolument pas – l’expérience le montre. Or tel est bien l’enjeu de la révision constitutionnelle qui est ici proposée : elle a justement pour objet de leur fournir cette affirmation constitutionnelle.

J’ai entendu – et j’ai même parfois écouté ! – les habituelles déclarations d’intention : nous agissons aujourd’hui en tant que législateurs constituants, et non en tant que législateurs ordinaires.

Mais ce texte a précisément pour objet d’inscrire une telle affirmation dans la Constitution, afin que nos concitoyens puissent s’en réclamer, plutôt que de s’en tenir, pour seules références, à des jurisprudences du Conseil constitutionnel ou du Conseil d’État qui ne sont pas totalement parfaites et dans lesquelles il est vaguement fait mention des « règles communes ».

Par cette proposition de loi constitutionnelle, en affirmant que nul ne peut s’exonérer de la règle commune…

M. le président. Monsieur le rapporteur, il faut conclure.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il n’y a qu’un seul amendement, monsieur le président : permettez-moi d’en profiter !

M. le président. Mais la règle commune est la même pour tout le monde ! (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je vais donc me l’appliquer à moi-même et conclure de ce pas !

Nous devons affirmer ce principe, disais-je, pour mettre fin à la peur et à l’impuissance qui permettent aux revendications de prospérer.

En outre, la disposition que nous proposons d’inscrire à l’article 1er de la Constitution ne se limite pas à la seule sphère publique, contrairement à l’ensemble des textes auxquels vous avez fait référence, mes chers collègues. Elle s’étend aux interactions collectives de la sphère privée, auxquelles aucune disposition de cette nature ne s’applique actuellement.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.

M. Bernard Fialaire. Je me réjouis que nous prenions en compte le danger que représentent les revendications communautaristes. Nous devons en effet sensibiliser nos concitoyens sur ce sujet et nous remobiliser en faveur de la laïcité, sans laisser l’extrême droite confisquer et pervertir ce principe pour ostraciser.

Je veux néanmoins faire amende honorable, car ma conviction est désormais qu’il ne faut pas légiférer dans l’émotion.

En octobre 2020, quelques jours seulement après avoir été élu, sous le coup de l’émotion qui avait suivi l’assassinat de Samuel Paty, j’avais voté en faveur d’un texte analogue. Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement avait alors eu raison de s’y opposer, car il ne faut pas alourdir inutilement la Constitution.

La liberté d’opinion et de religion est bornée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – cela a été rappelé –, qui ne vise pas seulement les troubles à l’ordre public. Je le rappelle : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » La référence à « l’ordre public établi par la loi » me paraît plus forte que la mention des « règles applicables » ou des « règles communes ».

Nous le savons tous ici, l’ajout d’une phrase dans la Constitution ne réglera aucun problème. Il ne faudrait pas, de surcroît, qu’une telle révision nous anesthésie et nous dispense de nous battre pour la laïcité. Ainsi, j’attends du Gouvernement non pas qu’il se prononce en faveur de ce texte, mais qu’il prenne les choses en main. Et chacun d’entre nous doit d’ailleurs participer à relever ce défi du combat pour la laïcité.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le rapporteur, il n’y a aucune animosité entre nous. Vous affirmez publiquement que M. Benarroche serait notre porte-parole ; je précise simplement, pour que cela figure dans le compte rendu, qu’il n’y a pas de porte-parole. De la même manière, les différents groupes qui composent la majorité sénatoriale se sont chacun exprimés.

Vous m’invitez à me justifier : vous aurez constaté que notre groupe a choisi de ne pas déposer d’amendement sur ce texte. Vous ne pouvez donc pas me reprocher cette précision. Il n’y a dans cette explication, du reste, aucune animosité à l’égard du groupe écologiste.

Vous avez souligné, à raison, que nous ne sommes pas en train d’écrire le scénario d’un film policier dont le suspense resterait entier : vous le savez, à la fin, notre groupe, comme d’autres, votera contre ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.

Mme Mélanie Vogel. M. le rapporteur nous a dit que nous n’étions pas ici pour faire du droit : à l’heure où l’on essaie de modifier la Constitution, une telle observation a de quoi poser question !

À cet égard, j’ai le souvenir assez vif que, lorsque nous bataillions pour introduire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, il nous avait été opposé qu’il était absolument scandaleux, s’agissant d’un tel texte, d’y inscrire des symboles !

Et pourtant, nous nous apprêtons aujourd’hui à faire quelque chose d’absurde. Permettez-moi de relever, pour étayer mon propos, les arguments sur lesquels se fonde cette proposition de loi constitutionnelle.

Dans le rapport, il est écrit que, « de manière préoccupante, les pratiques communautaristes tendent à se banaliser ». Preuve en serait que 72 % des salariés considèrent qu’il est acceptable qu’un restaurant d’entreprise propose systématiquement un plat végétarien, comme c’est le cas, d’ailleurs, du restaurant du Sénat !

Se pose donc d’emblée le problème du manque d’évaluation sérieuse d’un sujet véritablement grave – celui du séparatisme et du respect de la laïcité –, pour lequel on propose une solution qui est juridiquement – pardonnez-moi – complètement aberrante.

En quoi consiste en effet l’article unique de la proposition de loi ? À insérer, après le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, un autre alinéa qui redit la même chose, mais à l’envers !

C’est un peu comme si l’on ajoutait, après le troisième alinéa de l’article 2 de la Constitution – « L’hymne national est “La Marseillaise” » –, une phrase visant à rappeler qu’aucun autre chant que « La Marseillaise » ne saurait être considéré comme l’hymne national…

Poursuivons sur notre lancée : pourquoi ne pas introduire, à l’article 9 – « Le Président de la République préside le conseil des ministres. » –, un alinéa précisant que nul conseil des ministres ne saurait être présidé par une autre personne que le Président de la République ?

Voilà exactement ce que nous sommes en train de faire avec cette proposition de loi constitutionnelle !

Il est dramatique, en vérité, que vous fassiez d’un sujet sérieux et grave – le respect de la laïcité et le risque séparatiste – un sujet de propagande électoraliste absolument minable ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Faut oser ! Venant des Verts, c’est fort !

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Monsieur le rapporteur, vous nous avez rappelé, en commission des lois, que nous ne faisions pas n’importe quoi parce que nous étions, dans le cas d’espèce, des constituants.

Nous sommes tous ici d’accord pour dire que le sujet des séparatismes dans notre pays est un sujet sérieux. Ce qui est en question, mes chers collègues, c’est la façon dont vous abordez ce problème.

Vous nous proposez d’introduire dans la Constitution la notion de « règles communes ». Or, cette notion, nous l’avons déjà dénoncée lorsque, dans le passé, cette même rédaction nous a été soumise – un autre que vous était à ce poste, monsieur le garde des sceaux –, en rappelant qu’elle induisait un risque, lequel n’est pas levé.

Vous avez commencé, en 2020, par proposer l’inscription à l’article 1er de la Constitution de la notion de « règles communes », avant de lui substituer, dans le texte initial de la présente proposition de loi, celle de « règles applicables ». La démonstration étant faite que cette solution alternative ne suffisait pas, vous êtes revenus à la notion de « règles communes », que vous savez fragile. Ce faisant, c’est le texte de la Constitution que vous fragilisez ; or ce texte contient d’ores et déjà toutes les dispositions nécessaires pour nous garantir contre le risque que vous dénoncez.

Encore une fois – je le répète –, je ne comprends pas quel est le sens de l’exercice auquel vous vous livrez. Je ne pense pas qu’il faille affaiblir la Constitution en y introduisant des mots qui seraient, d’une part, manifestement inutiles et, d’autre part, éventuellement dangereux.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1, tendant à supprimer l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.

Je rappelle que l’adoption de cet amendement entraînerait le rejet du texte en discussion.

En conséquence, en application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 3 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l’adoption 112
Contre 210

Le Sénat n’a pas adopté.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Et toc !

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République.

Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 4 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l’adoption 210
Contre 112

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République
 

7

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour une mise au point au sujet d’un vote.

M. Laurent Somon. Lors du scrutin public n° 367 de la séance du 11 juillet 2025 portant sur l’ensemble du texte, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement en application de l’article 44, alinéa 3 de la Constitution, de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, Mme Marie-Do Aeschlimann souhaitait s’abstenir.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue.

Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Mes chers collègues, je vais suspendre la séance pour quelques instants.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-sept, est reprise à dix-huit heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

8

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux formations en santé
Article 1er

Formations en santé

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi relative aux formations en santé, présentée par Mme Corinne Imbert et plusieurs de ses collègues (proposition n° 868 [2024-2025], texte de la commission n° 36, rapport n° 35, avis n° 30).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Corinne Imbert, auteure de la proposition de loi.

Mme Corinne Imbert, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, les études de santé constituent pour notre pays un enjeu sanitaire, universitaire et territorial majeur. Elles sont au cœur du pacte républicain qui lie notre système de formation à notre système de soins. Elles représentent la principale voie de recrutement de nos professionnels de santé et doivent participer directement à l’amélioration de l’accès aux soins dans nos territoires.

Or, aujourd’hui, ni les modalités d’accès à ces études ni leur organisation ne répondent pleinement aux besoins de notre pays.

Les réformes successives, et notamment celle de 2019 ayant instauré les dispositifs du parcours accès spécifique santé (Pass) et de la licence accès santé (LAS), ont eu pour ambition d’améliorer la réussite des étudiants et de diversifier leurs profils. Mais force est de constater que le système actuel n’a pas tenu ses promesses. Nous ne pouvions en rester là.

Notre collègue Sonia de La Provôté nous avait déjà alertés, par deux rapports aux titres très explicites : le premier, remis en 2021, s’intitule Mise en œuvre de la réforme de laccès aux études de santé : un départ chaotique au détriment de la réussite des étudiants ; le second, publié en 2022, Mise en œuvre de la réforme de laccès aux études de santé, bilan après deux ans : des progrès, mais peut mieux faire.

Puis, à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour des comptes a conduit en 2024 une évaluation approfondie de cette réforme de l’accès aux études de santé. Son rapport, intitulé Laccès aux études de santé : quatre ans après la réforme, une simplification indispensable, met en lumière de sérieux défauts de conception ayant rendu difficile la mise en œuvre de ladite réforme.

Certes, les modalités de détermination des effectifs à former ont évolué, permettant une augmentation globale du nombre d’admis. Mais, comme le souligne la Cour, cette hausse ne garantit pas la réponse aux besoins de santé de nos territoires. Le bilan de la réforme est mitigé, en particulier en raison de l’échec de la diversification des profils et des fortes disparités entre universités ; un modèle « tout LAS » a même été inventé !

C’est à la lumière de ces constats que la commission des affaires sociales a décidé de poursuivre le travail d’évaluation. Des auditions nombreuses ont été conduites auprès des universités, des étudiants, des praticiens et des représentants institutionnels, et c’est sur la base de ces travaux que nous avons élaboré la présente proposition de loi, qui en constitue la traduction opérationnelle.

Ce texte s’inscrit également dans la continuité du travail engagé par notre commission des affaires sociales depuis plusieurs années pour améliorer l’accès aux soins. Je veux à cet égard évoquer la proposition de loi de notre collègue et président de commission, Philippe Mouiller, adoptée au Sénat au mois de mai 2025, visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires. Cette proposition de loi constitue une étape importante : elle pose les fondations d’une nouvelle politique de l’installation des médecins, mais surtout consacre le principe de l’évaluation des besoins au plus près des territoires, à l’échelle des territoires de vie-santé (TVS), en y associant les conseils départementaux, placés en première ligne.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en est le complément naturel : elle agit en amont, sur la formation et l’accès aux études de santé, afin d’assurer demain une amélioration du nombre de soignants sur l’ensemble du territoire.

C’est donc sur la base d’un travail mené avec constance et cohérence par le Sénat que nous abordons aujourd’hui ce sujet. Je tiens à saluer les rapporteurs du texte, Khalifé Khalifé et Véronique Guillotin, ainsi que Sonia de La Provôté, rapporteure pour avis, pour son travail inlassable.

Les constats sont connus et largement partagés : une grande disparité d’un territoire universitaire à l’autre ; une lisibilité défaillante pour les étudiants et les familles ; une diversification sociale et géographique du recrutement encore insuffisante.

La Cour des comptes, dans son rapport de décembre 2024, et les rapporteurs du texte au Sénat ont dressé le même diagnostic : il est temps de simplifier et de refonder l’accès aux études de santé.

Notre commission des affaires sociales s’est également préoccupée d’un autre enjeu : celui du lien entre le lieu de formation et le lieu d’installation des futurs praticiens.

Rappelons qu’en 2019 la moitié des médecins généralistes exerçaient à moins de 85 kilomètres de leur commune de naissance. Autrement dit, le territoire de formation conditionne largement le territoire d’exercice. C’est dire combien l’organisation même des études de santé a un impact direct sur l’accès aux soins.

C’est dans cet esprit que j’ai déposé la présente proposition de loi, élaborée avec le soutien de la commission des affaires sociales, pour répondre à trois objectifs simples mais essentiels : rendre l’accès aux études de santé plus lisible et équitable ; territorialiser la formation médicale ; améliorer les conditions d’accueil et de stage des étudiants.

L’article 1er refond le dispositif Pass-LAS en une voie unique d’accès, plus claire et plus juste. Cette nouvelle licence, majoritairement composée d’enseignements en santé dès la première année, sera proposée dans chaque département, afin de rapprocher la formation des territoires. Elle inclura également la massokinésithérapie, aujourd’hui injustement exclue du champ des formations concernées.

L’article 2 prévoit, à titre expérimental, la possibilité d’une admission directe en pharmacie via Parcoursup, pour remédier au phénomène des places vacantes qui affaiblit cette filière. La réforme Pass-LAS a rendu moins visibles les études de pharmacie.

L’article 3 étend à l’ensemble du territoire national l’expérimentation d’options santé dans les lycées des zones sous-denses, en ville comme à la campagne, afin de susciter des vocations locales et d’encourager les jeunes à s’engager dans les carrières médicales.

L’article 4 fixe un objectif clair : les deux tiers des internes devront, à la suite de l’examen classant qui restera national, effectuer leur troisième cycle dans la région où ils ont validé leur deuxième cycle. Il y a là un levier puissant pour fidéliser les futurs médecins sur leur territoire de formation et pour mieux répondre aux besoins de santé locaux.

L’article 5 crée quatre statuts homogènes de maîtres de stage pour toutes les disciplines de santé – médecine, odontologie, pharmacie et maïeutique –, avec une formation obligatoire et une juste rémunération. C’est une reconnaissance attendue pour ces praticiens, acteurs essentiels de la qualité des formations.

L’article 6, enfin, assure la réussite de la réforme de la quatrième année de médecine générale. Il permet, à titre transitoire, d’accroître le nombre de lieux de stage disponibles en garantissant un encadrement de qualité, jusqu’à la rentrée universitaire 2031.

Madame la ministre, monsieur le ministre, j’ai bien noté le lancement – ce jour – de la concertation nationale pour un modèle simplifié, lisible et équitable de l’accès aux études de santé. Nous partageons le même objectif, et nous approuvons la date choisie pour son entrée en application ; il serait dommage de perdre du temps.

Mes chers collègues, cette proposition de loi ne prétend pas tout résoudre. Mais elle apporte des réponses concrètes, équilibrées et opérationnelles à des difficultés que nous avons toutes et tous constatées sur le terrain. Elle repose sur une conviction simple : former mieux, c’est soigner mieux, et former partout, c’est soigner partout.

En votant ce texte, nous affirmons notre volonté commune de donner aux étudiants les moyens de réussir, et aux territoires les professionnels de santé dont ils ont besoin.

Je tiens à remercier les nombreux collègues qui ont signé cette proposition de loi présentée par le groupe Les Républicains.

Ce texte s’inscrit dans la continuité du travail rigoureux conduit par notre groupe, et de manière générale du travail mené ici au Sénat : évaluation, concertation, puis action ! Il vise à apporter des réponses pragmatiques et équilibrées à des difficultés identifiées depuis plusieurs années.

Je tiens enfin à saluer le travail de nos rapporteurs, dont les propositions ont permis d’enrichir et de consolider ce texte, certaines dates d’application étant notamment ajustées pour garantir la faisabilité de la réforme. Je souscris pleinement à la version issue de leurs travaux, qui conserve l’esprit et les objectifs initiaux de la proposition de loi tout en améliorant sa crédibilité et ses modalités de mise en œuvre concrète. Ces mesures de bon sens renforcent la portée de cette réforme, qu’il faut faire sans attendre ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi quau banc des commissions.)

Mme Véronique Guillotin, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi que l’a exposé notre collègue Corinne Imbert, les études de santé constituent un enjeu sanitaire et universitaire de premier ordre. Il s’agit ici de construire des parcours de formation plus lisibles, plus justes et plus pertinents, tant pour nos étudiants que, surtout, pour satisfaire les besoins de santé de nos territoires.

La commission des affaires sociales a apporté un soutien appuyé à ce texte, qui est le fruit d’une réflexion approfondie, nourrie par l’enquête sur l’accès aux études de santé que nous avions commandée à la Cour des comptes, mais aussi par de nombreuses auditions.

Cette proposition de loi apporte des réponses concrètes à trois enjeux qui préoccupent notre commission comme tous les acteurs que nous avons entendus : la nécessaire réforme de la première année d’accès aux filières de médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et massokinésithérapie (MMOPK) ; l’impératif d’atteindre à davantage d’équité sociale et territoriale, à la fois dans l’accès aux formations et dans l’accès aux soins ; enfin, le souhait de faciliter et d’améliorer l’accueil des étudiants en stage en ambulatoire.

Pour ce qui est du premier volet, il ne se trouve plus guère aujourd’hui de défenseurs du système Pass-LAS mis en place en 2019 pour l’accès aux filières MMOPK.

L’hétérogénéité du déploiement de la réforme selon les universités et la multiplicité des disciplines proposées – mineures en Pass ou majeures en LAS – ont été une source d’illisibilité pour les lycéens, pour leurs familles et même pour le législateur et les professionnels. Cette situation a renforcé les inégalités sociales et territoriales préexistantes et a fait le jeu des organismes de préparation privée, qui proposent des formations à des prix exorbitants aux familles inquiètes, perdues dans la jungle du Pass-LAS.

En outre, la réforme n’a pas atteint ses objectifs d’amélioration de la réussite étudiante et de diversification des profils. In fine, deux tiers des étudiants échouent à intégrer les filières MMOP. Et, parmi ceux qui échouent, près de huit sur dix abandonnent même la discipline dans laquelle ils s’étaient engagés. C’est un immense gâchis humain et universitaire.

L’article 1er propose donc de refondre le dispositif Pass-LAS en une voie unique d’accès articulée autour d’une licence universitaire qui comportera, en première année, une majorité d’enseignements relevant du domaine de la santé. Il intègre explicitement la massokinésithérapie dans ce parcours, alors que deux tiers des étudiants de cette filière sont d’ores et déjà issus du Pass ou de la LAS.

La création d’une voie unique est largement soutenue, même si les modalités imaginées par les différents acteurs peuvent varier.

L’article 1er contient également une disposition visant à organiser une première année d’accès aux études de santé dans chaque département au plus tard d’ici à la rentrée universitaire 2030.

C’est un enjeu de justice sociale et territoriale pour nos jeunes. Vingt-cinq départements demeurent dépourvus de première année d’accès aux études de santé. Or suivre des études hors du département d’origine implique des coûts financiers et des contraintes logistiques significatifs. Ainsi, seuls 21 % des étudiants admis dans les filières MMOPK sont issus d’une commune rurale, 6 % d’une commune rurale peu dense, et 19 % de milieux défavorisés ou assez défavorisés.

C’est aussi un enjeu de lutte contre les inégalités territoriales d’accès aux soins. Une récente étude de l’Insee a montré que la moitié des médecins généralistes s’installent à moins de 85 kilomètres de leur commune de naissance.

Il faudra évidemment s’assurer de la qualité des conditions de vie et d’études au sein des formations délocalisées. Nous avons prévu, pour cela, la communication de données sur la réussite des étudiants au sein de ces campus.

En complément de la voie commune d’accès aux filières MMOPK, l’article 2 autorise l’expérimentation d’un accès direct à la filière de pharmacie, dès l’obtention du baccalauréat. En effet, cette filière souffre d’un déficit d’attractivité. Des places restent vacantes chaque année, tandis que des étudiants, effrayés par la première année commune, partent étudier à l’étranger.

Cette expérimentation, souhaitée par les doyens comme par les pharmaciens, vise à recruter, directement via Parcoursup, des lycéens motivés par la discipline, qui bénéficieront du même bloc d’enseignements en santé que dans la voie commune et d’un autre bloc d’enseignements soit transversaux soit spécifiques à la pharmacie.

Enfin, dernier article de ce chapitre, l’article 3 étend l’expérimentation des options santé dans les lycées à l’ensemble du territoire national et précise les objectifs du dispositif.

L’idée est de faire connaître les études de santé dans les territoires ruraux ou sous-dotés et, nous l’espérons, de faire naître des vocations chez des jeunes qui, souvent, ne pensent pas à de telles études, mais pourront revenir dans ces territoires une fois diplômés. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Khalifé Khalifé, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le deuxième volet de cette proposition de loi vise à territorialiser, ou à « rerégionaliser » – les deux termes reviennent au même –, le troisième cycle des études de médecine.

Aujourd’hui, le constat est clair : plus de 50 % des étudiants qui terminent le deuxième cycle de médecine quittent leur région. Certains le font par choix, mais beaucoup le font par défaut, car ils y sont contraints faute de places disponibles ou d’un rang de classement suffisant pour obtenir la spécialité de leur choix dans leur région d’origine.

Permettez-moi de garder à l’esprit la devise : « Loin des yeux, loin du cœur ». On sait que 70 % des médecins s’installent là où ils ont suivi leur internat. Ce lieu d’internat est donc un puissant levier pour rééquilibrer l’offre médicale sur le territoire et pour réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins.

Par ailleurs, la procédure actuelle de définition du nombre de postes d’internat et de leur répartition territoriale est critiquée par divers acteurs – notamment, parmi bien d’autres, les centres hospitaliers –, qui se jugent insuffisamment consultés et déplorent l’insuffisante prise en compte des besoins de santé du territoire.

Se fondant sur ces constats, l’article 4 hiérarchise les critères de répartition des postes d’internat dans le sens d’une meilleure prise en compte des besoins de santé et territorialise partiellement le troisième cycle de médecine.

Il instaure, à cet effet, un objectif national de deux tiers d’étudiants accédant au troisième cycle dans la région dans laquelle ils ont validé leur deuxième cycle. Il s’agit par là de fidéliser les étudiants sur un territoire et de leur permettre de rester dans leur région d’origine, sans renoncer à l’excellence médicale ni interdire la mobilité estudiantine.

Enfin, le troisième volet de la proposition de loi concerne les conditions d’accueil des étudiants en stage.

L’article 5 crée quatre statuts homogènes de maîtres de stage universitaires pour toutes les filières MMOP, statuts inspirés de celui qui est actuellement applicable aux médecins – il offre en effet les meilleures garanties. Chaque maître de stage bénéficiera ainsi d’une formation préalable, d’un agrément et d’une rémunération. C’est une mesure de justice pour les professionnels, mais aussi une garantie de qualité de l’encadrement pour les étudiants.

Cependant, inciter des professionnels à s’investir dans l’accueil des étudiants et former des maîtres de stage universitaires prend quelques années. C’est pourquoi l’article 6 permet à titre transitoire l’accueil, à partir de novembre 2026, de docteurs juniors par des médecins généralistes accueillants non encore agréés.

Cette mesure facilitera l’accueil de docteurs juniors en stage dans les zones sous-denses, qui ne disposent pas aujourd’hui d’un nombre suffisant de maîtres de stage agréés. Ces médecins accueillants devront se former à la maîtrise de stage et auront vocation à être agréés. Les étudiants, eux, demeureront suivis par un maître de stage exerçant à proximité du lieu de stage.

Par ailleurs, cet article ouvre aux docteurs juniors la possibilité de suivre, au cours de leur quatrième année d’internat, la formation nécessaire à l’obtention de l’agrément à la maîtrise de stage, ce qui permettra de former davantage de futurs maîtres de stage.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la présente proposition de loi constitue selon nous un texte équilibré et largement attendu par le secteur.

Sans résoudre l’ensemble des problèmes constatés, elle apportera des réponses opérationnelles aux principales difficultés remontées par les étudiants en santé, les professeurs et les maîtres de stage.

En diversifiant le recrutement des étudiants et en territorialisant l’organisation du troisième cycle, elle contribuera à freiner la progression inacceptable des inégalités territoriales d’accès aux soins.

Cette proposition de loi est donc le bon véhicule législatif pour mettre en œuvre rapidement les engagements pris par le Gouvernement dans le cadre du pacte de lutte contre les déserts médicaux.

Nous le savons, le Gouvernement a lancé ce matin même une concertation sur ces sujets, notamment sur les modalités d’une nouvelle voie unique d’accès aux études de santé, dont nous espérons que les résultats seront intégrés au texte lors de son examen à l’Assemblée nationale. Cela permettra une mise en œuvre rapide des mesures envisagées dès la rentrée 2027, une échéance qui convient à tous les acteurs que nous avons auditionnés.

Pour toutes ces raisons, mes collègues rapporteures et moi-même vous invitons au nom de la commission des affaires sociales à donner à cette proposition de loi la majorité qu’elle mérite. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure pour avis de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport s’est saisie, dès 2021, de la réforme de l’accès aux études de santé qui avait été mise en place en septembre 2020.

En 2022, dans un second rapport, elle tirait la sonnette d’alarme sur les nombreux dysfonctionnements constatés dans la mise en œuvre du dispositif Pass-LAS. Ses propositions visaient alors à rectifier le tir d’une réforme dont le démarrage était extrêmement contesté.

Alors que le premier rapport évoquait une « réforme chaotique », le second reconnaissait des effets positifs et des efforts, mais nuançait ce bilan par une mention « peut mieux faire ». Tout un programme !

Objet de contestations et de décisions du Conseil d’État, la réforme connut ensuite quelques évolutions, un recadrage et de la concertation – peut-être trop. Il n’en reste pas moins que la réforme de l’accès aux études de santé reste aujourd’hui nécessaire.

La voie unique d’accès proposée à l’article 1er répond aux exigences de simplification et de clarification d’un double système actuel jugé complexe, illisible, inéquitable et anxiogène, et qui fait l’unanimité contre lui.

La commission soutient donc l’initiative bienvenue de notre collègue Corinne Imbert. Mettre fin à un statu quo devenu délétère ne serait pas le dernier mérite de cette proposition de loi.

Consciente du coût organisationnel qu’a représenté le déploiement de la réforme, la commission estime d’autant moins raisonnable d’attendre des universités une mise en œuvre de la voie unique pour la rentrée 2026 qu’elles ont déjà préparé l’édition 2026 de Parcoursup.

C’est pourquoi, sur ma proposition, nous avons adopté un amendement tendant à fixer la date d’entrée en vigueur de la voie unique au 1er septembre 2027. Cette précision, également proposée par les rapporteurs au fond, est désormais intégrée au texte.

Au-delà de cet ajout, la commission a identifié cinq points de vigilance.

Premièrement, la commission s’interroge sur la faisabilité de la départementalisation de la nouvelle voie unique.

Bien sûr, l’objectif d’un meilleur maillage territorial de l’offre de formation en santé ne peut qu’être partagé, notamment afin de favoriser la diversité territoriale des promotions.

Faut-il pour autant mettre en place la voie unique d’accès dans chaque département ? Avons-nous les moyens de cette ambition et n’est-ce pas là, finalement, le nerf de la guerre ?

Il ne faudrait pas, en effet, que cette mesure aboutisse à la création de cursus inéquitables aux conditions d’études diversement satisfaisantes. Je pense, par exemple, à des formations qui seraient organisées entièrement à distance ou sans enseignement dirigé, dans lesquelles l’encadrement serait moindre et le tutorat étudiant moins encouragé.

Deuxièmement, la commission insiste sur la nécessité d’un cadrage réglementaire plus serré de la part du ministère de l’enseignement supérieur, pour remédier à la grande hétérogénéité des situations des universités. (M. le ministre acquiesce.) Jusqu’à présent, en effet, c’était un peu « à chaque université sa réforme » !

Autonomie des établissements et pilotage national ne sont pas antinomiques. Si la proposition de loi a bien pour objectif d’améliorer le cadrage des disciplines hors santé, il faut cependant aller plus loin dans l’harmonisation et inclure dans ce processus les connaissances en santé, ce fameux socle commun essentiel pour sélectionner les bonnes compétences. Les épreuves orales et les modalités d’interclassement restent également à définir.

Troisièmement, la commission considère que la refonte du dispositif Pass-LAS doit être l’occasion, dans un objectif de diversification académique des profils, de renforcer les passerelles existantes entre certaines formations paramédicales et les filières de santé. Ces passerelles sont certes régies au niveau réglementaire, mais le moment est venu de rappeler l’effet d’opportunité qu’elles représentent pour la formation dans les études de santé.

Quatrièmement, la réforme proposée doit permettre de rappeler l’importance du tutorat étudiant, dont le rôle est central dans la préparation aux études de santé, mais qui contribue également à l’objectif de diversification sociale des profils.

Le développement de l’accompagnement pédagogique par les pairs est d’ailleurs un effet positif de la réforme : celle-ci était tellement complexe qu’il a bien fallu des personnes pour l’expliquer, et si possible des pairs !

Le tutorat étudiant demeure concurrencé par une offre privée encore souvent perçue comme indispensable et dont les promoteurs recourent à des techniques commerciales parfois très invasives. Les universités doivent donc être incitées à mener une politique active en faveur du tutorat étudiant.

Cinquièmement, enfin, la commission réitère son appel à un travail conjoint du ministère de l’enseignement supérieur et du ministère de l’éducation nationale sur l’articulation entre la réforme de l’accès aux études de santé et la réforme du lycée.

En effet, la mise en place d’une voie unique ne sera pas sans conséquence sur les choix disciplinaires, et ce dès la classe de seconde. Il faudra donc redoubler d’efforts en matière d’information et d’orientation des lycéens.

La commission a émis évidemment un avis favorable sur les articles dont elle s’est saisie dans le cadre de cette proposition de loi, dont le contenu reprend largement les conclusions des précédentes missions d’information. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions. – M. Raphaël Daubet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’aborder nos travaux, je souhaite rendre hommage à votre collègue Gilbert Bouchet, dont nous avons appris le décès ce matin.

Gilbert Bouchet s’est courageusement battu contre la maladie de Charcot, et nous avons tous en mémoire son engagement pour améliorer et faciliter la vie des malades.

Ces derniers mois, il avait réussi à faire adopter une proposition de loi pour que la vie des patients atteints d’une maladie neuro-évolutive ne soit plus un parcours du combattant. Nous garderons le souvenir d’un homme de conviction et de courage, qui a su faire avancer la cause de milliers de malades.

Un objectif commun nous réunit ce soir : améliorer la formation et l’entrée des jeunes dans les études de santé. C’est évidemment un enjeu fondamental pour la réussite de milliers d’étudiants, mais aussi pour l’amélioration continue de l’accès aux soins dans nos territoires, une question sur laquelle je sais combien vous êtes engagés.

L’examen de cette proposition de loi, comme vous le savez, s’inscrit dans un contexte de concertation et de travaux préparatoires. Le ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’espace et moi-même avons lancé ce matin la concertation portant sur la première année des études de santé.

Je veux saluer néanmoins une initiative bienvenue : l’auteure de la présente proposition de loi a parfaitement saisi les enjeux importants d’ajustement de la réforme engagée en 2019.

Cette réforme, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteure, a ouvert un chemin et posé plusieurs principes.

Chacun reconnaît que, en supprimant la première année commune aux études de santé (Paces) et le numerus clausus, nous avons tourné la page d’un système totalement anachronique et insoutenable, tant pour les étudiants eux-mêmes que pour notre système de santé.

La réforme a ainsi permis la création de deux voies d’accès distinctes au premier cycle des études de santé : le Pass d’une part, avec une majeure santé et une mineure hors santé, et la LAS d’autre part, avec une majeure hors santé et une mineure santé. S’il reste beaucoup à faire sur la première année, reconnaissons que cette réforme a permis une diversification des profils et mis fin à un véritable gâchis humain. Je veux parler de ces étudiants qui, par milliers, ne réussissaient pas leur entrée en études de santé.

En dehors de la première année, la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite loi OTSS, a réorganisé l’accès au troisième cycle des études médicales.

Les modalités d’admission aux spécialités ont été revues pour mieux articuler les compétences, les souhaits des étudiants et les besoins du système de santé, auxquels le Sénat témoigne, je le sais, un attachement bien légitime.

Depuis 2019, les évolutions législatives qui se sont succédé ont porté à la fois sur l’entrée dans les études de santé et sur les formations en santé de manière globale.

Pour ne citer que deux exemples, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a créé une quatrième année d’internat de médecine générale, tandis que la loi du 25 janvier 2023 visant à faire évoluer la formation de sage-femme, dite loi Chapelier, a notamment créé un troisième cycle d’études de maïeutique.

Dans ce cadre, de nombreux travaux d’évaluation, auxquels j’ai pu participer en tant que parlementaire, ont été conduits. Ils doivent désormais nous permettre d’identifier les évolutions nécessaires.

J’en viens plus concrètement aux mesures envisagées dans la présente proposition de loi. Celle-ci soulève trois enjeux clefs : l’amélioration de l’orientation et de l’entrée dans les études de santé, le renforcement de la formation et de l’encadrement pendant ces études et le rapprochement entre la formation et les besoins de santé des territoires.

Dans son article 4, le texte prévoit une régionalisation de l’affectation en internat de médecine. Bien sûr, le Gouvernement ne peut que souscrire à cette approche. Pour autant, j’appelle votre attention sur les risques qu’il y aurait à complexifier encore un circuit déjà complexe et à imposer de manière trop coercitive des choix aux étudiants.

L’objectif évoqué plus haut est d’ailleurs satisfait : si les situations varient selon les territoires, une majorité d’étudiants font déjà le choix naturel d’effectuer leur troisième cycle dans le territoire dont ils sont issus.

Enfin, les nombreux travaux qui sont en cours devraient apporter de la lisibilité aux jeunes qui sont actuellement en formation ou qui le seront prochainement.

Dans son article 5, la proposition de loi prévoit la création et l’homogénéisation du statut de maître de stage universitaire (MSU) pour les filières médicale, pharmaceutique, maïeutique et de chirurgie dentaire.

Cette évolution souhaitée par tous les acteurs constitue une mesure juste pour les professionnels qui s’investissent dans l’encadrement des stages. Elle représente au passage un coût de plusieurs millions d’euros en supplément de l’investissement déjà réalisé sur les formations bénéficiant déjà de ce statut.

Enfin, dans son article 6, le texte vise à faciliter la mise en œuvre de la réforme de la quatrième année de médecine générale. Il prévoit à titre transitoire un statut particulier pour l’accueil des internes dans des lieux de stage où exercent un ou plusieurs médecins dits accueillants. Ce statut sera accordé après déclaration à l’agence régionale de santé (ARS) du territoire.

Le Gouvernement salue l’évolution apportée par la commission visant à rendre facultative la formation de maître de stage universitaire dans le cadre de la quatrième année de médecine générale. Les travaux menés depuis deux ans sur cette année sont bien avancés, et j’aurai l’occasion, avec mon collègue le ministre Philippe Baptiste, d’y revenir rapidement.

En conclusion, je tiens à saluer la capacité de la Haute Assemblée à s’emparer avec justesse de questions aussi cruciales pour l’avenir de milliers d’étudiants et pour l’amélioration de l’accès aux soins dans nos territoires.

Comme je l’ai indiqué, nous avons lancé ce matin avec l’ensemble des acteurs concernés une concertation sur la réforme de la première année des études de santé. En fonction du calendrier parlementaire, le Gouvernement poursuivra volontiers ses échanges avec le Sénat, afin d’aboutir au modèle de formation qui réponde du mieux possible aux enjeux de l’accès aux soins. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Baptiste, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de lespace. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’entamer mon intervention, je veux m’associer à l’hommage rendu au sénateur Gilbert Bouchet, dont la mort nous a tous émus.

Les enjeux scientifiques autour des progrès thérapeutiques qui restent à accomplir sur cette maladie demeurent entiers et nécessitent la mobilisation de tous.

Garantir l’accès à des professionnels de santé bien formés partout sur le territoire est une ambition que nous partageons tous. Je sais l’importance qu’accorde votre assemblée à l’équilibre des territoires, de manière générale et, en particulier, dans ce domaine.

Les modalités de recrutement et de formation des étudiants en santé ont des conséquences déterminantes sur l’activité des professionnels de santé, en ce qui concerne aussi bien leur spécialité que leur lieu d’exercice.

Comme cela a été rappelé, les études de santé ont fait l’objet de nombreuses réformes au cours de ces dernières années. Ces réformes étaient devenues nécessaires en raison des limites objectives de l’ancien modèle d’accès aux études de santé et de ces études elles-mêmes.

Force est de constater, d’une part, qu’elles ont eu parfois des résultats indésirables, et, d’autre part, qu’il reste encore beaucoup à faire pour répondre aux besoins des jeunes qui s’engagent dans cette voie, mais aussi aux besoins des territoires et du système de santé dans son ensemble.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui part d’un constat que je partage. Elle vise à apporter des ajustements, notamment sur le dispositif d’entrée dans les études de médecine, de maïeutique, d’odontologie, de pharmacie et de kinésithérapie. Elle veut aussi répondre à un impératif d’équité territoriale pour le recrutement et la répartition des étudiants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons le même objectif : améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens. La ministre de la santé Stéphanie Rist et moi-même avons fait le choix d’être présents, ensemble, au banc du Gouvernement aujourd’hui pour apporter notre vision partagée sur ce texte. C’est aussi une manière de montrer que, sur de tels sujets, les avancées ne sont possibles que si les deux ministères travaillent main dans la main.

Comme je le disais, nous héritons d’une situation qui a vu disparaître une organisation critiquée, à juste titre, pour un nouveau système dont nous voyons désormais les limites.

Revenons un instant en arrière. Nous ne pouvons que nous réjouir de la suppression de la fameuse Paces. Elle était extraordinairement déterministe socialement et conduisait à de très nombreuses situations d’échec individuel pour des étudiants souvent méritants.

Avec la réforme dite Pass-LAS, les chances d’accès aux études de santé ont connu une amélioration significative. Le nombre de places ouvertes a augmenté, en particulier en médecine – 11 000 par an actuellement, contre 8 700 en 2017 – sans que le niveau d’exigence soit pour autant abaissé.

L’augmentation des capacités d’accueil en premier cycle a permis d’améliorer le taux d’accès en médecine, maïeutique, odontologie ou pharmacie. Celui des néo-bacheliers est passé de moins de 20 % à près de 30 %. Le nombre de redoublements a par ailleurs considérablement chuté.

À l’époque de la Paces, près de quatre étudiants sur cinq devaient passer par une deuxième première année. Aujourd’hui, plus d’un néo-bachelier sur deux accède à une année supérieure. Le nouveau système a enfin permis une meilleure diversification des profils, en tout cas dans les parcours LAS.

Toutefois, il ne suffit pas de reconnaître l’erreur pour trouver la vérité. Force est de constater que le système mis en place en 2020 ne donne pas pleinement satisfaction.

Nous devons, c’est très clair, sortir de la trop grande complexité du modèle actuel, qui nuit évidemment aux étudiants et à leur famille, mais aussi aux établissements universitaires.

Face à ce constat que nous partageons vous et moi avec l’ensemble des acteurs de la formation aux études de santé – présidents d’universités, doyens, organisations syndicales –, j’ai voulu agir en faveur d’une simplification du système, en accord et en lien, évidemment, avec le ministère de la santé.

Le grand principe sur lequel nous nous focalisons est celui d’une première année d’accès aux études de santé simplifiée, dans un modèle harmonisé sur tout le territoire.

La convergence entre le Pass et la première année de LAS permet d’envisager une première année de licence comportant deux blocs, la santé, d’une part, une autre discipline universitaire, d’autre part, et de maintenir quelques-uns des principes de la réforme de 2020.

À cet égard, l’article 1er de la proposition de loi s’inscrit totalement dans cette démarche. Les disciplines enseignées doivent contribuer à la réussite dans les études de santé, mais aussi dans d’autres parcours de formation de l’enseignement supérieur.

Les disciplines utiles aux futurs professionnels de santé sont nombreuses, mais elles n’ont pas toutes la même importance. Le système actuel a été bien trop permissif, en raison aussi, probablement, de la trop grande créativité de nos universités (Sourires au banc des commissions.). Il faut donc limiter le champ des possibles.

Offrir un accès aux études dans chaque département est également un objectif que le Gouvernement souhaite atteindre dans le cadre du pacte de lutte contre les déserts médicaux. À la rentrée universitaire 2025, vingt-cinq départements étaient en effet dépourvus d’une formation permettant l’accès aux études de médecine.

L’accès aux études de santé est aussi une question d’attractivité : certaines professions suscitent moins d’envie que d’autres, en tout cas avant le début des études.

Le besoin en pharmaciens est ainsi bien établi, et nous partageons à cet égard l’objectif qui sous-tend l’article 2 de la proposition de loi.

Si la filière ne parvient pas à remplir toutes les places qu’elle offre, soulignons toutefois que la situation s’est considérablement améliorée (Mme et M. les rapporteurs acquiescent.), sous l’effet notamment des actions de communication menées efficacement par la profession, les universités et l’Ordre des pharmaciens.

Ainsi, selon la dernière enquête de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF), plus de 60 % des étudiants en pharmacie ont choisi cette filière en premier vœu. Or ils n’étaient que 40 % du temps de la Paces.

La simplification et la territorialisation de l’accès aux études de santé devraient aussi contribuer à augmenter les flux d’étudiants. Sur cette question, comme pour la révision du dispositif Pass-LAS, il me semble important et nécessaire d’associer toutes les parties prenantes à l’évolution du schéma de formation.

Une concertation conduite par les directions centrales avec l’appui des inspections générales des deux ministères a d’ailleurs été lancée ce matin même. L’idée est d’aboutir à un modèle finalisé et à une mise en œuvre au plus tard à la rentrée 2027. Il est essentiel de laisser du temps à cette concertation, qui, pour la première fois, rassemble l’ensemble des acteurs concernés.

L’article 3 de la proposition de loi prévoit de généraliser l’expérimentation des options santé dans les lycées à l’ensemble des territoires sous-denses.

Cet élargissement est conforme aux engagements du pacte de lutte contre les déserts médicaux. Il est judicieux, à condition évidemment de respecter les capacités des établissements et les choix stratégiques des acteurs territoriaux, notamment des collectivités, et d’accompagner ce déploiement dans le temps en fonction des résultats observés dans les territoires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez : nous partageons le même objectif d’amélioration de notre système de santé, qui passe en particulier par la formation des futurs professionnels. Je connais votre mobilisation constante sur le sujet et je souhaitais profiter de l’occasion pour vous en remercier.

Je veillerai particulièrement à ce que les mesures proposées répondent véritablement au but visé et à ce que les travaux menés dans le cadre de la concertation lancée ce matin soient pleinement utiles. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, voilà tout juste un an, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky était à l’initiative d’un débat organisé ici même sur la nécessité de former davantage de médecins et de soignants.

J’étais notamment intervenue pour dénoncer la « mise en œuvre chaotique », pour reprendre les termes de Sonia de La Provôté, de la réforme des études de santé, ainsi que l’insuffisante diversification des profils des étudiants en santé.

J’avais aussi rappelé les difficultés suscitées par la plateforme Parcoursup et déploré le doublement du taux d’abandon des étudiants en soins infirmiers.

J’avais encore insisté sur la nécessité de démocratiser l’accès aux études de santé : plus il y aura de jeunes médecins issus des quartiers populaires ou des zones rurales, moins ils verront d’obstacles à s’y installer.

La proposition de loi présentée par la majorité sénatoriale s’inscrit dans cette démarche. Je me félicite d’autant plus de son examen que l’accès aux soins ne cesse de se dégrader.

Voilà quelques jours, en effet, le journal Les Échos alertait, chiffres de l’assurance maladie à l’appui, sur le recul en 2024 du nombre d’installations de médecins généralistes, précisément dans les zones où il en manque déjà le plus.

Cette situation nous conforte dans l’idée que les propositions du précédent gouvernement et de la majorité sénatoriale visant à organiser des missions de solidarité à la carte pour un nombre bien insuffisant de nos bassins de vie restent de trop modestes rustines face à l’avancée des déserts médicaux.

La régulation de l’installation des médecins, le rétablissement des gardes le soir et le week-end (Mme la ministre sourit.), ainsi que, évidemment, l’augmentation des professionnels formés sont, en revanche, de nature à corriger des inégalités devenues particulièrement insupportables pour nos concitoyens, à juste titre.

Cette proposition de loi vise à refondre le dispositif Pass-LAS en une formation universitaire de licence unique dont une première année serait ouverte dans chaque département.

Elle prévoit également d’affecter deux tiers des étudiants accédant au troisième cycle dans la région dans laquelle ils auront validé leur deuxième cycle. Nous y sommes favorables, à condition que cela se traduise concrètement dans le budget des universités. Nous avons évidemment des interrogations à ce sujet dans le contexte actuel d’austérité budgétaire.

L’intégration de la filière de massokinésithérapie dans les études de santé est une revendication ancienne des étudiants. Elle exige également des financements supplémentaires si l’on veut garantir une qualité de formation face aux instituts privés dont les frais s’élèvent parfois à plusieurs milliers d’euros par an.

L’expérimentation de l’admission directe d’étudiants en premier cycle de pharmacie via Parcoursup nous interroge. Certes, de très nombreuses places sont restées vacantes ces dernières années dans cette filière, mais cette deuxième voie répondra-t-elle réellement aux difficultés rencontrées par les étudiants ?

Je suis sceptique, d’autant que je ne vois pas bien comment pourront coexister les Pass et la première année de pharmacie, ni quelle sera la cohérence pédagogique de la deuxième année. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

L’ancien président de la Conférence des doyens des facultés de médecine, également doyen de la faculté de médecine de Rouen, expliquait clairement que, pour former plus d’étudiants, il fallait davantage de professeurs, de maîtres de conférences, de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) ou encore de chefs de clinique.

Certains de ces postes, je tiens à le souligner, sont d’ailleurs parfois financés par des collectivités. En la matière, monsieur le ministre, nous avons besoin du soutien de l’État.

Nous sommes par ailleurs d’autant plus favorables à la généralisation des options santé dans l’ensemble des lycées des zones sous-denses que nous avions proposé une mesure similaire lors de l’examen de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires.

Encore faut-il qu’une palette large d’enseignements de spécialité soit proposée aux lycées des zones sous-denses. Je pense particulièrement aux villes moyennes, où l’éventail de ces enseignements est souvent plus réduit.

Quant au stage de quatrième année d’internat effectué dans les déserts médicaux, loin des maîtres de stage, il risque de dégrader encore la qualité de l’encadrement des étudiants.

C’est d’ailleurs là l’angle mort principal de ce texte : il ne prévoit nullement d’améliorer les conditions d’études et de rémunération des filières de santé. C’est pourtant déterminant à nos yeux, la difficulté et la longueur du cursus conduisant souvent ensuite les jeunes médecins à refuser toute contrainte.

En conclusion, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky partage les objectifs de ce texte, tout en étant sceptique sur un certain nombre de ses mesures. Sa position – il s’agira soit d’un vote favorable, soit d’une abstention – sera fonction du sort qui sera réservé aux différents amendements.

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, j’adresse tout d’abord mes félicitations à Mme Stéphanie Rist pour sa nomination comme ministre de la santé. Je suis convaincue que nous travaillerons bien ensemble, du moins je l’espère.

Je tiens également à remercier Mme Corinne Imbert d’avoir présenté cette proposition de loi relative aux formations en santé, ainsi que M. Khalifé Khalifé et Mme Véronique Guillotin de la richesse de leur rapport.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires considère que ce texte est franchement une très bonne nouvelle. Toutefois, on ne pourra pas traiter les difficultés constatées dans les formations de santé sans inscrire sérieusement dans la loi de finances les dépenses afférentes nécessaires ni revenir sur les causes profondes les ayant provoquées.

L’égal accès aux soins constitue l’un des piliers de notre démocratie, mais ce principe est malmené chaque jour un peu plus.

En France, la première cause des difficultés d’accès aux soins est le manque de personnel de santé. Ce déficit est doublement alimenté par le financement insuffisant de notre système de santé publique – songez aux hôpitaux ! – et par une diminution de l’attractivité des métiers de la santé.

C’est ce déficit qui déséquilibre de facto l’ensemble du système. En ce sens, ouvrir des formations en santé adaptées aux besoins des étudiants et des étudiantes, ainsi qu’aux problématiques d’inégalité territoriale, constitue un objectif central.

Face à l’amplification des déserts médicaux et au vu du nombre de Françaises et de Français – deux tiers ! – qui déclarent avoir renoncé à un acte de soins au cours de ces cinq dernières années, nos ambitions doivent être à la hauteur.

Cette proposition de loi répond à différentes problématiques identifiées.

La loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a introduit le dispositif Pass-LAS, qui était au départ une bonne idée. L’ambition était noble : démocratiser l’accès aux études de santé et mettre fin à l’injuste et persistant tri social de la Paces. Cette loi a constitué – chacun le voit bien – un véritable échec ; même la Cour des comptes le dit.

En effet, l’inscription en LAS est subie dans 53 % des cas. Après la première année, parmi les étudiants intégrant les filières médecine, maïeutique, odontologie ou pharmacie, seuls 19 % sont issus de milieux défavorisés.

Le groupe écologiste soutient la fusion des deux dispositifs Pass-LAS pour plusieurs raisons : renforcer la discipline scientifique pour tous ; en finir avec un double cursus qui est souvent absurde et qui n’offre pas de remise à niveau scientifique pour ceux qui en ont besoin ; enfin, intégrer la formation de masseur-kinésithérapeute à cette première année. C’est une mesure consensuelle, attendue par les différents syndicats étudiants et que nous portons depuis deux ans.

De même, étendre l’expérimentation de l’option santé proposée dans les lycées sur l’ensemble du territoire semble plus qu’opportun.

Pour autant, alors qu’un rapport de l’Assemblée nationale évoque les limites du dispositif, en particulier le manque de moyens pour assurer les heures, il apparaît indispensable d’en évaluer l’efficacité et, surtout, d’attribuer des moyens suffisants. Il va falloir en parler à votre collègue, madame la ministre, car c’est une condition sine qua non de la réussite de ce dispositif.

Quelques manques sont cependant à noter en ce qui concerne cette proposition de loi.

Vous le savez peut-être, les écologistes soutiennent la création d’écoles normales des métiers de la santé. De telles écoles auraient un double objectif : lutter efficacement contre les déserts médicaux et assurer la diversification sociale des études médicales et paramédicales.

Nous regrettons également qu’il ne soit pas fait mention dans les formations initiales de la question de la santé environnementale. S’occuper de cette question répond aussi à un objectif d’économies.

Enfin, je tiens à rappeler que ces réformes, bien qu’elles soient nécessaires, ne se feront pas par cette simple proposition de loi. Sans financement significatif, la perte d’attractivité des métiers de la santé ne cessera d’augmenter, et avec elle les fermetures de lits hospitaliers.

Or le Gouvernement nous propose un projet de loi de financement de la sécurité sociale avec un Ondam à 1,6 %, ce qui représente en vérité, selon le Haut Conseil des finances publiques, 7 milliards d’euros d’économies par rapport à son évolution tendancielle.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Anne Souyris. En conclusion, nous soutenons les avancées proposées par le texte. Cependant, nous continuerons inlassablement de défendre une politique budgétaire digne des défis auxquels le système de santé se heurte.

Le groupe écologiste votera donc cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, tel l’enfer, la réforme de 2019 était pavée de bonnes intentions. Elle devait permettre plus de diversité et moins d’échecs.

Finalement, le constat est sévère. Personne ne comprend rien à cette usine à gaz. Les inégalités persistent et s’aggravent. L’opacité du système nourrit l’angoisse et les frustrations, affaiblit l’attractivité de certaines filières et alimente les départs à l’étranger, souvent en Espagne ou en Belgique.

La filière odontologie, que je connais bien, bat tous les records : plus de 50 % des chirurgiens-dentistes en France ont un diplôme étranger. On marche sur la tête, surtout quand on sait que certaines universités privées européennes ne font pratiquement aucune sélection à l’entrée – hormis éventuellement le bulletin de salaire des parents… – et n’offrent aucune formation clinique à leurs étudiants. Nous livrons donc nos concitoyens à des praticiens mal préparés à exercer.

Notre profonde inquiétude, de surcroît, est que l’effet se fait déjà sentir sur le vivier des professeurs d’université. Le risque, à terme, est que le niveau de la recherche universitaire et de l’enseignement supérieur s’effondre en France dans cette discipline.

Ce n’est donc pas seulement un échec universitaire et un gâchis humain. C’est aussi une inquiétante fragilisation de notre souveraineté, avec la perspective que, demain, la France ne soit plus capable de former les soignants dont elle a besoin.

Il fallait donc remettre un peu de cohérence et de lisibilité dans cet édifice, et je tiens vraiment à remercier notre collègue Corinne Imbert et les rapporteurs, en particulier Véronique Guillotin, que je salue. Il ne suffisait pas de connaître le sujet, encore fallait-il s’en emparer. Connaissant par ailleurs, madame la ministre, votre volonté et votre pragmatisme, je me réjouis de cette avancée décisive. Monsieur le ministre, je vous associe évidemment à cet enthousiasme.

Venons-en au texte.

Organiser une première année dans chaque département est une bonne idée. Quand on a connu les amphithéâtres bondés, la guerre des places, les difficultés à se loger, le coût des trajets, cela peut constituer une solution pour pacifier cette année de concours et lutter contre l’autocensure de ceux qui, faute de moyens ou d’accompagnement, n’osent pas s’engager dans des études longues et exigeantes.

Reste qu’il faut que cela soit techniquement possible et que des moyens soient alloués aux universités. Voilà une vraie politique d’aménagement du territoire qui relève non pas seulement de l’enseignement supérieur, mais aussi de nos politiques en faveur de la ruralité et de la cohésion des territoires.

L’article 2, en expérimentant l’admission directe en pharmacie, répond là aussi à une urgence. Depuis trois ans, la filière est en souffrance. Ce recul fragilise nos territoires. Perdre notre maillage officinal, cette épine dorsale de notre système de santé à travers tous les cantons de France, serait dramatique.

L’article 3, quant à lui, étend à l’ensemble du territoire l’expérimentation de l’option santé dans les lycées. C’est une grande fierté pour moi, parce que cette idée avait germé dans la tête du président de communauté de communes que j’étais il y a quelques années : nous avions créé une première option au lycée Jean Lurçat de Saint-Céré avec l’aide active du proviseur et du corps enseignant.

Là encore, il s’agissait de réveiller l’ambition du monde rural et de susciter les vocations, car les lycéens issus de ces territoires sont évidemment les plus susceptibles d’y revenir un jour. Voir ce dispositif étendu à l’échelle nationale en raison de son succès est une fierté et une satisfaction.

L’article 4, en revanche, appelle à la prudence. La territorialisation du troisième cycle part d’une bonne intention ; il ne faut toutefois pas perdre de vue que nous parlons de recherche et de spécialités pointues. Un troisième cycle peut légitimement exiger que l’on aille se former loin de chez soi pour acquérir des compétences rares.

Enfin, ce texte répare une injustice ancienne, celle qui avait été faite aux maîtres de stage, ces formateurs de terrain sans lesquels les études médicales ne seraient qu’une coquille vide.

En somme, ce texte rapproche la formation du terrain et aspire à faire de chaque région une terre d’avenir médical. Il s’inscrit dans notre vision de la République, celle qui recherche toujours l’égalité sociale et territoriale, celle qui croit au progrès et au terrain. En ce sens, ce texte rejoint les valeurs du groupe du RDSE, qui le votera au nom d’une République du soin, fondée sur la proximité, la confiance et la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Marie-Do Aeschlimann applaudit également.)

Mme Anne-Sophie Romagny. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je voudrais m’adresser aujourd’hui aux lycéens qui ne connaissent pas encore la santé, aux étudiants en médecine et aux futurs praticiens.

Actuellement, notre système de santé fait face à deux problèmes : la préparation aux études en santé et l’accès aux soins.

D’une part, cinq ans après la mise en place du Pass-LAS, nous devons reconnaître que la réforme de 2019 n’atteint pas ses objectifs. Les rapports de nos collègues de la Provôté, Guillotin et Khalifé dressent un constat clair : cette réforme a créé un système trop complexe, inégalement appliqué et souvent incompris par les étudiants, les parents et les universités.

Cet avis est également partagé dans une enquête de la Cour des comptes, qui évoque également des disparités territoriales entre les filières, ainsi qu’un échec à diversifier socialement et géographiquement les profils étudiants.

Les chiffres sont sans appel : deux tiers des étudiants échouent à intégrer une filière de santé, et la plupart d’entre eux se réorientent vers des disciplines sans lien avec leur projet initial. C’est une situation qui angoisse autant les familles que les étudiants, en particulier à ce moment crucial de l’orientation.

D’autre part, la crise de la prise en charge et les difficultés d’accès aux soins affectent nos territoires. Ainsi, l’on constate que seul un étudiant sur cinq admis en santé vient d’une commune rurale, alors même que le lieu de formation influence largement le lieu d’installation, nous le savons.

Face à ces constats, cette proposition de loi apporte des réponses de bon sens, guidées par la simplification, la lisibilité, la décentralisation et, enfin, les vocations.

Simplification, car elle met fin à la coexistence qui existe dans le Pass-LAS, un dispositif profondément inéquitable, pour instaurer une voie unique d’accès aux études de santé, adossée à une licence universitaire comportant une majorité d’enseignements en santé. Cela redonnera de la cohérence et de la lisibilité au parcours étudiant, tout en maintenant la possibilité de se réorienter en cas d’échec.

Concernant l’attractivité et la décentralisation, cette première année de licence sera ouverte dans chaque département, afin que l’accès aux études de santé ne soit plus réservé aux grandes villes. Former localement, c’est permettre aux médecins de soigner localement. Ainsi, à terme, deux tiers des internes seront formés dans la région où ils ont validé leur deuxième cycle.

L’ouverture des postes en médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie sera désormais ajustée à la démographie médicale et aux besoins de santé des territoires.

Pour y parvenir, la réforme devra également s’appuyer sur des licences d’adossement cohérentes, ouvertes à la biologie, aux mathématiques ou aux sciences de l’ingénieur. Il est essentiel de créer des passerelles pour que la médecine contemporaine bénéficie de profils variés et innovants.

S’agissant des vocations, le dispositif viendra renforcer l’orientation des jeunes grâce à des options santé dans les lycées. Il s’agit là d’une méthode reconnue qui permet aux lycéens, notamment dans les zones sous-dotées, de découvrir les métiers du médical et du paramédical et, ainsi, d’envisager plus facilement des études dans ces filières.

Par ailleurs – c’est encore une mesure de bon sens, cette fois pour la filière pharmacie –, le texte ouvre, à titre expérimental, un accès direct via Parcoursup. Cette innovation permettra de recruter des étudiants motivés dès le lycée, tout en évitant les places vacantes que connaît trop souvent cette formation.

En conclusion, en réformant les formations en santé, nous travaillons pour l’avenir de nos enfants, de nos étudiants et de nos médecins. Ce texte de notre collègue Corinne Imbert – je tiens à saluer son remarquable travail – est une réponse concrète, équilibrée et ambitieuse à ces défis.

Le groupe de l’Union Centriste votera ce texte avec la conviction que, en clarifiant les études de santé et en les rapprochant du terrain, nous rapprochons aussi nos médecins de leur territoire et nos concitoyens de l’accès aux soins. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.

Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je veux remercier Corinne Imbert de cette proposition de loi, ainsi que les rapporteurs de leur important travail.

Diversifier les profils des étudiants, simplifier le système et faciliter la réorientation en cas d’échec, tels étaient les objectifs ambitieux de la réforme de 2019. Celle-ci a remplacé la Paces, voie d’accès unique, par le système Pass-LAS, offrant deux voies d’accès distinctes.

Cinq ans après sa mise en place, force est de constater les écueils de cette réforme. Ce constat, pour une fois, nous rassemble d’un bout à l’autre de l’hémicycle.

Tout en corrigeant certains défauts de l’ancien système, cette refonte en a suscité de nouveaux. Elle a notamment créé une inégalité manifeste. Les étudiants du Pass, formés par une première année en matière de santé, réussissent davantage que les étudiants des LAS, qui doivent se concentrer sur leur licence et leur mineure en santé afin d’accéder au Graal.

Par ailleurs, la lisibilité du système n’a nullement été améliorée – bien au contraire ! Les critères permettant de départager les étudiants issus de ces deux filières sont devenus quasiment incompréhensibles.

La Cour des comptes, dans son rapport de 2024, a elle-même souligné la complexité du dispositif et la mise en œuvre chaotique de la réforme. Elle appelait à un retour à une voie d’accès unique, sans pour autant revenir à la Paces, dont les défauts étaient nombreux, notamment le redoublement et les difficultés de réorientation en cas d’échec.

Ce n’est pas un retour en arrière qui nous est proposé, mais une refondation. La proposition de loi entend donc corriger les faiblesses de la Paces comme celles du Pass-LAS, sans créer de nouvelles difficultés. Elle vise à revenir à une voie d’accès unique, tout en offrant de véritables possibilités de réorientation. Enfin, elle tend à intégrer la massokinésithérapie dans cette voie d’accès, reconnaissant ainsi une réalité ancienne et légitime.

Toutefois, le texte ne se limite pas à revenir sur la réforme de 2019. Il porte une vision plus large de la formation en santé et, en conséquence, de l’accès aux soins.

Nous savons combien l’origine géographique influence le lieu d’installation des professionnels de santé. Pourtant, dans vingt-cinq départements, un étudiant qui rêve de devenir médecin doit encore quitter son territoire dès la première année. Comment s’étonner ensuite qu’il n’y revienne pas ? La proposition de loi prévoit qu’à l’horizon 2030, chaque département offre ce cursus, laissant aux universités le temps nécessaire pour s’y préparer.

De même, le lieu d’internat influe fortement sur le lieu d’exercice. La proposition de loi prévoit donc une meilleure couverture territoriale des internes. Elle met en œuvre une territorialisation partielle du troisième cycle et fixe l’objectif que deux tiers des étudiants puissent accomplir leur internat dans la région où ils ont effectué leur deuxième cycle.

Mes chers collègues, ces mesures de bon sens amélioreront la formation, le bien-être mental des étudiants et la répartition des futurs professionnels sur le territoire. Il ne faut cependant pas oublier que la condition première d’une bonne répartition est le nombre suffisant de professionnels concernés. L’accès aux soins de nos concitoyens dépend avant tout de cet impératif, qu’il faut articuler avec des politiques de répartition équilibrées.

C’est aussi tout l’enjeu de l’article 2 : garantir un nombre suffisant de pharmaciens.

Depuis plusieurs années, la filière pharmacie connaît un désintérêt croissant, qui a atteint un point culminant en 2022 avec 1 100 places vacantes. Certaines universités affichent même un taux de vacance de 30 %, entraînant une baisse du nombre de pharmaciens diplômés.

Afin d’inverser cette tendance, la proposition de loi propose d’expérimenter, pendant cinq ans, l’accès direct aux études de pharmacie, immédiatement après le baccalauréat, pour un tiers des places proposées.

Nous avons entendu les réserves exprimées par les étudiants et, à ce titre, nous considérons que l’aspect expérimental de cet article est bienvenu. Nous préférerions donc que cet accès direct demeure exceptionnel. C’est pourquoi nous soutiendrons l’amendement n° 1 rectifié bis de notre collègue Daniel Chasseing visant à prévoir l’application de ce dispositif uniquement en cas de vacance de places l’année précédente.

En dépit de cette dernière réserve, ce texte nous semble aller dans le bon sens. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires le soutiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mmes Marie-Do Aeschlimann et Élisabeth Doineau applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Rojouan. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis plusieurs années, le Sénat alerte sur la dégradation de l’accès aux soins. Les chiffres sont sans appel : près de 7 millions de nos concitoyens n’ont plus de médecin traitant, un tiers des Français vit aujourd’hui dans un territoire sous-doté et la France a perdu plus de 2 500 médecins généralistes en cinq ans.

Nous sommes donc bien dans ce que, ici même, nous avons qualifié il y a quelque temps de « décennie noire médicale ».

Face à ce constat, cette proposition de loi sur les formations en santé apporte une réponse structurelle et lucide. Elle s’attaque à la racine du problème : la manière dont nous formons et accompagnons les futurs soignants sur notre territoire.

Je veux saluer ici le travail de notre collègue Corinne Imbert, qui poursuit une démarche de cohérence entre formation et aménagement du territoire, une démarche que nous appelions de nos vœux dans nos différents rapports d’information.

Le texte corrige d’abord les effets d’une réforme de 2019 qui a profondément déstabilisé les études de santé. Le dispositif Pass-LAS, jugé illisible par la Cour des comptes, a créé des inégalités entre universités et entre étudiants.

Ce texte propose la refonte du dispositif avec une voie unique d’accès. Avec l’organisation par les universités d’une première année dans chaque département, couplée à l’extension à l’ensemble du territoire national de l’expérimentation de l’option santé dans les lycées des zones sous-denses, la proposition de loi permettra à davantage de jeunes, notamment issus des milieux modestes et des territoires ruraux, d’intégrer les études de santé.

C’est un enjeu majeur. Selon l’Insee, la moitié des médecins exercent à moins de 85 kilomètres de leur lieu de naissance. En favorisant la diversification géographique et le recrutement de proximité, le texte répond à un double impératif : l’égalité des chances et l’efficacité territoriale.

En effet, nous le savons, les étudiants issus des zones sous-dotées sont les plus enclins à venir s’y installer. Diversifier les origines géographiques des étudiants, c’est donc préparer dès aujourd’hui une meilleure répartition des médecins demain. Je me réjouis donc que cette orientation puisse être inscrite dans la loi. Elle traduit dans les faits l’idée que nous défendons depuis longtemps : la formation n’est pas seulement une question universitaire. C’est un instrument d’équilibre territorial.

La proposition de loi marque aussi un tournant, en territorialisant la formation et en corrélant les affectations des étudiants par spécialité et les besoins du territoire. En fixant comme objectif l’affectation de deux tiers des étudiants accédant au troisième cycle dans la région où ils ont préalablement réalisé leurs études, elle rapproche l’offre de formation des besoins réels de santé. En effet, là où l’on forme, on soigne ; là où l’on apprend, on s’installe !

Cette logique de proximité, qui s’appuie sur une concertation destinée à évaluer les besoins de santé des territoires, nous l’avions appelée de nos vœux dans nos rapports d’information successifs sur les inégalités d’accès aux soins. Elle doit pouvoir redonner toute sa place aux élus locaux, qui connaissent mieux que quiconque les besoins de leurs habitants.

La question du maillage universitaire et de la répartition des lieux d’enseignement devra continuer d’être au cœur de notre réflexion. Peut-être faudra-t-il, à terme, aller encore plus loin pour sortir définitivement d’un modèle trop centré sur les grands CHU, afin que les territoires éloignés bénéficient eux aussi d’une présence universitaire durable en matière de santé. J’y suis pour ma part pleinement favorable.

Ce texte aborde également un enjeu essentiel, celui de la formation pratique. En améliorant les conditions d’accueil des étudiants en stage par la création d’un statut de maître de stage, il permet un encadrement plus qualitatif. En renforçant la place des stages en médecine de ville, dans les maisons de santé pluriprofessionnelles ou les hôpitaux de proximité, il permet aux étudiants de découvrir des modes d’exercice plus variés, plus collectifs et, surtout, plus ancrés dans la réalité quotidienne du soin.

L’ouverture de ces nouveaux lieux d’accueil pour les étudiants de quatrième année permettra une meilleure mise en œuvre de la réforme du troisième cycle de médecine générale dans les zones sous-denses, initiée et soutenue par le Sénat. C’est essentiel, puisque nous savons qu’un étudiant ayant effectué un stage dans une zone sous-dotée a trois fois plus de chances de s’y installer par la suite. Ce levier concret est sans doute l’un des plus puissants pour répondre à la désertification médicale.

Enfin, cette proposition de loi apporte une réponse de fond à la question de la planification. Le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine n’a progressé que de 16 % entre 2020 et 2024, alors même que la population vieillit et que les départs à la retraite s’accélèrent. En instaurant une évaluation territoriale des besoins de santé, ce texte permettra d’ajuster les capacités de formation aux réalités locales.

Mes chers collègues, cette proposition de loi vise à améliorer concrètement le système de formation en santé.

Elle met la formation au service de la santé publique : former davantage, former autrement et, surtout, former là où les besoins sont les plus criants. Je salue donc ce texte, qui donne la cadence pour la médecine de demain, cette médecine humaine et équitable qui n’oublie aucun territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. Mes chers collègues, il est bientôt vingt heures. Je vous propose de poursuivre l’examen de ce texte, sans pour autant dépasser vingt et une heure quinze.

Il n’y a pas d’observation ?…

Il en est ainsi décidé.

Sans trop vouloir vous contraindre, je vous invite donc à une certaine concision…

La parole est à Mme Solanges Nadille.

Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Corinne Imbert a pour ambition d’améliorer l’organisation des études de santé dans notre pays, à la fois en réformant ses modalités d’accès et en modifiant la répartition territoriale des étudiants de troisième cycle de médecine générale.

Elle s’appuie en particulier sur les conclusions de la Cour des comptes, qui a souligné en décembre dernier les limites de la loi de 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (OTSS), ainsi que sur les travaux de la commission des affaires sociales et de la commission de la culture du Sénat.

S’agissant de l’accès aux études de santé, l’article 1er tend à refondre le dispositif dit Pass-LAS en une voie unique d’accès aux études de médecine, de maïeutique, d’odontologie, de pharmacie (MMOP) et de massokinésithérapie. Il acte ainsi, en partie, l’échec de la réforme de la première année commune aux études de santé, la Paces, dont les concours de fin d’année conditionnaient jusqu’en 2020 l’entrée en deuxième année. La Paces entraînait, nous le savons, un taux d’échec particulièrement élevé : sur les 40 000 bacheliers inscrits en première année, un tiers seulement poursuivait ses études en santé.

La loi OTSS du 24 juillet 2019 a ainsi tenté de répondre aux limites de ce modèle, via la mise en place du dispositif Pass-LAS. Ce dernier a permis d’augmenter le nombre de places disponibles, en particulier en médecine, ainsi que le taux d’accès en filière MMOP. Ses limites se sont pourtant rapidement fait sentir. Les dysfonctionnements ont été nombreux dans la mise en place de la réforme, l’offre de formation étant aujourd’hui marquée par une grande disparité de situations et par un manque criant de lisibilité.

J’ai été, comme vous, très marquée pendant nos travaux par le désarroi des étudiants et de leurs familles. Celui-ci explique d’ailleurs en partie le succès des établissements privés de préparation aux études de santé, les « prépas santé », qui se présentent comme des alternatives au tutorat et qui proposent un accompagnement en première année, voire, dans certains cas, dès le lycée. Près d’un jeune sur deux se serait inscrit dans ces formations, dont les tarifs, parfois prohibitifs – plusieurs milliers d’euros –, portent atteinte au principe d’égalité des chances.

La Cour des comptes a ainsi rappelé que l’inscription dans un établissement d’enseignement privé ne pouvait devenir une condition nécessaire à l’accès aux filières MMOP. Je sais le Gouvernement sensible à cette question ; mon collègue Martin Lévrier et moi-même sommes prêts à travailler avec vous, madame, monsieur les ministres, à un meilleur encadrement de ces pratiques.

Il faut diversifier l’origine sociale et l’origine géographique. La réforme de 2019 a échoué sur ces deux tableaux.

L’ouverture d’une première année de cette voie unique dans chaque département et l’extension de l’expérimentation des options santé dans les lycées de zones sous-denses, prévues aux articles 1er et 3, nous semblent ainsi aller dans le bon sens.

Concernant enfin la territorialisation des études de médecine, l’article 4 fixe comme objectif l’affectation de deux tiers des étudiants accédant au troisième cycle dans la région dans laquelle ils ont préalablement réalisé leurs études.

Le lieu d’internat figure en effet parmi les principaux déterminants du choix du lieu d’exercice. Nous ne le savons que trop bien dans mon territoire, la Guadeloupe, où l’on a vu trop souvent les étudiants partir pour ne pas revenir.

Nous nous satisfaisons enfin des mesures du troisième chapitre, qui visent à améliorer les modalités et les conditions d’accueil des étudiants en stage, qu’il s’agisse de la création de statuts homogènes de maîtres de stage universitaires ou de l’accueil à titre transitoire de docteurs juniors par des médecins généralistes non encore agréés.

Le groupe RDPI votera évidemment pour cette proposition de loi, tout en restant attentif aux conclusions que le Gouvernement tirera de la concertation nationale sur l’accès aux études de santé que vous venez d’évoquer, madame, monsieur les ministres.

Il nous revenait d’apporter une première réponse. Gageons que cette concertation permettra de formuler des propositions concrètes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous en convenons tous, et je l’ai dit à plusieurs reprises, une réforme des études en santé est nécessaire. Elle revêt une importance cruciale tant pour le bien-être des étudiants que pour la réorganisation indispensable de notre système de santé dans le cadre de la lutte contre les déserts médicaux.

À ce jour, tout le monde s’accorde à dire que la réforme Pass-LAS est un échec, notamment du fait de sa complexité, de son manque de visibilité pour l’ensemble des acteurs et de l’hétérogénéité de son application sur le territoire.

Elle est aujourd’hui responsable du mal-être de nombreux étudiants et, selon un sondage de la Cour des comptes, l’inscription en LAS est subie par 53 % des inscrits, 79 % des étudiants qui ne poursuivent pas en médecine se réorientant vers une discipline qui n’est pas celle qu’ils avaient suivie pendant leur formation LAS, ce qui est un comble.

Nous saluons donc la volonté de Corinne Imbert de réformer, grâce à ce texte, l’accès aux études de médecine en créant une voie d’accès unique, avec une première année universitaire comportant une majorité d’enseignements relevant du domaine de la santé. Cette voie d’accès unique intégrera les masseurs-kinésithérapeutes. Cette intégration nous semble logique, mais nous souhaiterions vous alerter sur le risque de départ à l’étranger des étudiants n’ayant pas réussi cette première année, comme c’était le cas auparavant avec la première année commune aux études de santé (Paces).

La proposition de loi prévoit également l’obligation pour les universités de mettre en place cette première année dans chaque département.

Des antennes universitaires délocalisées ont déjà été mises en place, comme à Nevers, dans la Nièvre, depuis 2020. Le taux de réussite au concours de première année y a été de 61 % en 2023, ce qui est un excellent résultat.

Néanmoins, le succès est très dépendant d’une ville à l’autre et repose en fait sur la mise en place d’un tutorat efficace, qui évite le recours à des écoles de préparation qui ont des coûts exorbitants, comme l’ont relevé nombre de nos collègues. Cette départementalisation nécessitera bien sûr des moyens financiers supplémentaires.

À l’article 2, il est proposé une dérogation à cet accès unique avec un accès direct aux études de pharmacie. Nous comprenons les enjeux de cette disposition. En effet, l’ensemble des places de la filière pharmacie n’est pas pourvu. Cette profession est pourtant fondamentale, en particulier pour les communes rurales. Pour autant, cette mesure va à l’encontre de l’objectif de décloisonnement que vise le texte et ne nous paraît donc pas opportune.

L’article 3 tend à élargir l’expérimentation de l’option santé dans les lycées des zones sous-denses, afin de favoriser la diversification géographique du recrutement.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain partage pleinement cet objectif. Nous avons évoqué à plusieurs reprises les expérimentations à ce sujet, en particulier en Occitanie, où dix-sept lycées se sont engagés dans ce projet. C’est le cas du lycée de Saint-Céré, dont a parlé notre collègue Raphaël Daubet précédemment.

Nous aurions pourtant aimé aller plus loin en pérennisant ce dispositif et en l’élargissant aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais nos amendements ont été retoqués sur le fondement de l’article 40 de la Constitution.

La proposition de loi instaure également le principe de territorialisation du troisième cycle. Ainsi, pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins sur le territoire, il est prévu que deux tiers des étudiants pourront accéder au troisième cycle dans la région dans laquelle ils ont validé leur deuxième cycle.

Cette mesure est assez floue et complexe à organiser. Elle risque surtout d’entraîner une rupture d’égalité, puisque toutes les subdivisions ne sont pas en mesure d’offrir les mêmes spécialités ni les mêmes capacités de formation. De surcroît, tous les étudiants y sont opposés.

Enfin, le texte prévoit la création d’un statut de maître de stage uniforme au sein de l’ensemble des formations en santé. Nous sommes d’accord avec cette disposition. Pour développer les stages, particulièrement dans les zones sous-dotées, il est crucial d’accroître le nombre de maîtres de stage. Il faut valoriser et potentiellement rendre obligatoire cette fonction. Il est donc essentiel que l’on donne des moyens supplémentaires à ce dispositif.

En parallèle, il nous semble essentiel d’aborder la question des lieux de stage. Aujourd’hui, la majorité d’entre eux se déroulent dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) de métropole, limitant ainsi le contact des étudiants avec la réalité des cabinets de médecine en libéral. Cette situation freine l’émergence de vocations et constitue un obstacle à l’installation des jeunes médecins dans les territoires.

Nous proposons donc de renforcer les stages en dehors des CHU, dès le deuxième cycle, dans des cabinets de médecins généralistes, des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), des centres de santé, des services spécialisés de prévention en école ou entreprise, ou des services de protection maternelle et infantile (PMI).

En conclusion, si certaines mesures de ce texte facilitent la lisibilité et l’accessibilité des études en santé, il nous apparaît que cette réforme aurait dû s’inscrire au sein d’un texte bien plus vaste portant sur une réforme globale de la formation en santé. Vous venez de dire, madame, monsieur les ministres, qu’une concertation en ce sens avait commencé ce matin. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Vous n’êtes pas là depuis longtemps, donc nous ne pouvons pas vous reprocher de ne pas l’avoir organisée avant… (Protestations sur les travées du groupe SER.)

En tout cas, il nous semble qu’une telle réforme est indispensable pour apporter une réponse cohérente aux besoins de nos territoires en matière de santé.

À cet égard, l’Académie nationale de médecine, dans un rapport sur la formation médicale initiale publié en février 2025, note que, si l’université offre aux étudiants des connaissances scientifiques et médicales, elle ne les forme pas au vrai métier de médecin. Elle recommande ainsi de former des étudiants dans une perspective de santé globale, incluant la prévention, la réadaptation et l’exercice partagé en équipes pluriprofessionnelles.

Elle préconise donc un système universitaire licence-master-doctorat (LMD), dans lequel la licence serait le creuset de toutes les formations en santé.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Émilienne Poumirol. Une proposition de loi sur un sujet aussi important, qui concerne deux ministères, ne peut apporter qu’une réponse partielle. Aussi, nous comptons sur vous pour envisager une approche plus globale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l’accès aux soins est désormais une inquiétude majeure de nos concitoyens, voire leur premier sujet d’angoisse. Dans ce contexte, les propositions législatives se succèdent rapidement, s’enchaînent précipitamment et s’entrechoquent même parfois.

Or il nous faudrait une stratégie claire, qui se construise sur une base évidente : celle de la formation.

La réforme de 2019 devait diversifier les profils des étudiants en santé, améliorer leur réussite, développer des passerelles. Force est de constater que c’est un échec : cette refonte des études, qui devait faire gagner 50 millions d’euros, coûte finalement 125 millions d’euros.

Pis, le profil social des étudiants est toujours le même ; 63 % d’entre eux perdent une année d’études ; les disparités entre facultés se sont aggravées ; des places sont vacantes en pharmacie et en maïeutique ; le cursus est devenu illisible et le choix partir pour faire des études à l’étranger ne diminue pas. Les étudiants expriment globalement leur insatisfaction.

Le constat est collectif et confirmé par un récent rapport de la Cour des comptes, qui souligne que cette réforme nationale d’ampleur n’avait aucun comité de suivi. C’est totalement consternant !

Il est donc urgent d’y revenir, et je salue le travail de ma collègue Corinne Imbert, ainsi que celui des rapporteurs.

Je soutiens particulièrement l’article 1er de cette proposition de loi, qui prévoit de mettre en place dans chaque département une voie d’accès aux études en santé.

En tant qu’élue de la Nièvre – je remercie Émilienne Poumirol d’avoir cité ce département –, où le Campus Connecté permet à de jeunes ruraux de suivre à distance la première année de Pass de Dijon, je milite depuis longtemps pour que les dispositifs de ce type se généralisent. Vous le savez peut-être, mes chers collègues, depuis Nevers, chaque année, une promotion d’étudiants obtient de brillants résultats, allant jusqu’à 75 % de réussite. Il s’agit de jeunes qui, pour des raisons financières et logistiques, auraient probablement renoncé à ces filières.

Pour la première fois, cette année, l’hôpital de Nevers voit revenir en externat de jeunes Nivernais, ceux des premières promotions.

Aussi, je profiterai de cette tribune, et des travaux budgétaires à venir, pour défendre avec insistance le dispositif Campus Connecté, qui a fait ses preuves. Il est, dans nos territoires ruraux, absolument stratégique. Les budgets doivent impérativement être sanctuarisés. Une visibilité pluriannuelle permettrait de renforcer encore les actions et de sortir enfin du marasme dans les déserts médicaux, qui sont en fait d’anciens déserts de formation.

Certains points de ce texte sont encore à débattre, mais j’en soutiens principalement deux : celui que je viens d’évoquer, et la création des postes d’internat en fonction des besoins des territoires. C’est en effet sur cette base que doit se construire une véritable stratégie de formation, évoquée en préambule et restée inaboutie à ce jour. Sans elle, la seule suppression du numerus clausus resterait inutile et ne réglerait pas grand-chose.

Je le rappelle, une meilleure répartition territoriale des professionnels de santé pourrait nous faire économiser, selon la Cour des comptes, plus de 3 milliards d’euros par an, et une simple augmentation des effectifs sans logique de rattrapage ne saurait constituer la réponse à la crise que nous traversons actuellement.

Je souhaite enfin insister sur la mise en œuvre de la quatrième année de spécialité en médecine générale. Nous nous sommes engagés, auprès d’étudiants qui sont au terme d’un cursus exigeant, à ce que cette année soit pour eux enrichissante et réellement formatrice ; qu’elle soit un aboutissement et puisse susciter, dans le meilleur des cas, des vocations et des projets d’installation.

Nous ne pouvons pas manquer le rendez-vous avec les docteurs juniors. Aussi, je vous demande d’en faire une priorité, afin que les maîtres de stage qui souhaitent s’engager puissent le faire au plus vite, dans des conditions optimales, et que les étudiants y trouvent du sens.

C’est au prix d’un cursus revisité que nous offrirons à nos futurs étudiants en santé, eux qui portent sur leurs jeunes épaules le poids d’une très forte attente sociétale, de la visibilité et un avenir désirable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

Mme Marie-Do Aeschlimann. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, c’est la troisième fois cette année que le Sénat examine un texte sur la santé. Cela montre bien que notre système de santé doit évoluer pour répondre à des défis sanitaires inédits : le vieillissement de la population, la progression des maladies chroniques, la pénurie des soignants, ainsi que leur inégale répartition, qui aggravent les fractures territoriales et alimentent les renoncements aux soins.

Dans ce contexte, repenser l’accès, le parcours et l’ancrage territorial de la formation en santé est une nécessité.

La proposition de loi relative aux formations en santé déposée par notre collègue Corinne Imbert, que je salue, a été largement cosignée. Elle s’inscrit dans la continuité des travaux récents menés par notre assemblée. Après l’adoption, au printemps dernier, de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires, déposée par le président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, ce texte constitue en quelque sorte le second étage de la fusée destinée à adapter notre système de santé aux défis déjà exposés.

La présente proposition de loi part du constat de l’échec des dispositifs parcours d’accès spécifique santé et licence accès santé (Pass-LAS), instaurés par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé et mis en œuvre depuis 2020.

Notre collègue Sonia de La Provôté en avait pointé les nombreuses lacunes dans deux rapports réalisés au nom de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Notre collègue Bruno Rojouan, pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, avait également souligné la complexité de cette réforme et ses effets pervers en matière d’inégalités territoriales d’accès aux soins.

Ce constat d’échec est partagé sur l’ensemble de nos travées, mais aussi par la Cour des comptes, qui a produit, voilà moins d’un an, un rapport sur le sujet, sur saisine de la commission des affaires sociales du Sénat.

Après cinq années de fonctionnement, chacun en convient, le système Pass-LAS relève davantage de Kafka que d’Hippocrate. Ce système illisible accentue les inégalités entre les étudiants et mine l’attractivité des filières de santé. D’ailleurs, il a été mis en œuvre de façon plus qu’hétérogène par les universités, accentuant son caractère inégalitaire, illisible et inefficace. Cet échec largement documenté des voies d’accès Pass-LAS justifie pleinement la réforme de l’accès aux études en santé proposée par ce texte.

Je salue donc la volonté de créer une voie unique d’accès aux formations en médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et, désormais, massokinésithérapie, une initiative salutaire pour simplifier l’entrée dans ces filières et offrir une meilleure lisibilité, sans pour autant uniformiser aveuglément.

L’orientation vers les métiers de santé et leur découverte grâce à l’ouverture d’options santé dans les lycées des zones sous-dotées représente également une avancée majeure pour combattre l’autocensure, diversifier les profils et offrir de réelles perspectives d’avenir aux jeunes des territoires les plus fragiles.

J’y suis particulièrement sensible en tant qu’ancienne vice-présidente de la région Île-de-France en charge de la formation professionnelle. En empruntant ce virage dès maintenant, mes chers collègues, nous n’en verrons les premiers effets que dans une dizaine d’années. Il y a donc urgence !

Encore trop de départements sont dépourvus de première année d’études en santé. La territorialisation des formations proposée dans ce texte est le pendant naturel et indispensable de la territorialisation des soins. Le texte territorialise également le troisième cycle des études de médecine.

Deux tiers des étudiants devront donc effectuer ce cycle dans la région où ils ont validé leur second cycle, mais il sera tenu compte de la démographie médicale, des besoins sanitaires et des capacités de formation. Cette mesure permettra de fidéliser les futurs médecins dans les territoires fragilisés par les déserts médicaux, tout en préservant la liberté d’installation.

L’expérimentation dans la filière pharmacie d’un accès direct via Parcoursup constitue aussi une réponse pragmatique pour en finir avec les places vacantes – environ 200 à la rentrée 2024 –, dans un contexte qui a vu plus de 1 800 pharmacies d’officine fermer en dix ans.

Enfin, je tiens à souligner l’importance de l’harmonisation tant attendue des statuts et des conditions des maîtres de stage, qui bénéficient avec ce texte d’un cadre clair et juste en matière de formation, d’agrément et de rémunération. C’est un élément décisif pour la qualité de la formation pratique et l’accompagnement des étudiants.

Mes chers collègues, la conjoncture politique nous oblige à choisir une stratégie des petits pas, mais chaque pas est important. Nous sommes aujourd’hui amenés à voter un texte équilibré, proposant des solutions concrètes pour améliorer l’accès aux formations en santé. C’est assurément un pas dans la bonne direction.

Aussi, je tiens à saluer la qualité du travail réalisé par notre collègue Corinne Imbert et nos trois rapporteurs. Ils tracent une voie crédible pour répondre à des défis pressants. Alors, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, je vous invite vivement à soutenir ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. David Ros. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. David Ros. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, ma collègue Émilienne Poumirol a indiqué la nature du vote à venir du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain concernant cette proposition de loi relative aux formations en santé.

Cette seconde intervention vise bien sûr à confirmer notre abstention, mais également à compléter notre position concernant les sujets traités par la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, saisie pour avis et dans laquelle je siège.

Notre collègue rapporteure pour avis de notre commission, Sonia de La Provôté, que je remercie des auditions qu’elle a spécifiquement menées, a pointé les difficultés d’une mise en œuvre de cette réforme pour la rentrée de 2026, ainsi que la nécessité d’un cadrage réglementaire plus serré de la part du ministère de l’enseignement supérieur.

J’en profite pour saluer la présence lors de nos débats du ministre en charge de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’espace, au côté de Mme la ministre de la santé. Alors oui, l’auteure de cette proposition de loi a le mérite de vouloir réformer un système que l’on sait trop complexe, inéquitable, et d’évaluer la réforme Pass-LAS, qui était certes nécessaire, mais qui, selon la Cour des comptes, a été mal conçue et particulièrement difficile à mettre en œuvre.

Ainsi, les disparités territoriales dans les organisations opérationnelles universitaires rendent peu lisible le parcours des études en santé dès la première année pour les étudiants et les acteurs concernés. Certains passent le LAS, d’autres se lassent du Pass et, au vu des nombreux sas, hélas, il y a trop de casse… (Rires et applaudissements sur diverses travées.)

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure pour avis. Et cela nous tracasse ! (Sourires.)

M. David Ros. Plus sérieusement, l’article 1er, au cœur du dispositif de cette proposition de loi, pose le principe d’une première année de licence commune organisée par les universités dans chaque département.

La faisabilité de cette réforme à l’échelle de chaque département pose question, d’autant plus que les moyens de l’université restent constants, voire diminuent. Les risques sont majeurs : disparités territoriales, conditions d’études dégradées, avec des difficultés quant à la mise en œuvre des stages sur les territoires et des moyens matériels insuffisants.

C’est d’autant plus regrettable que les besoins présents et à venir en matière de santé sont tels qu’une réforme structurelle est bien sûr plus que jamais nécessaire.

Or, pour que cette réforme soit autosuffisante et réellement efficace, il faut forcément traiter de la question des moyens, tant humains que matériels, notamment pour les stages et les périodes de formation sur le terrain. Cette proposition de loi de notre collègue Corinne Imbert peut donc résonner comme une invitation au dépôt d’un projet de loi qui viendrait s’appuyer sur ce texte, mais en le replaçant dans le cadre plus général de la formation, de la recherche universitaire et du mariage territorial des hôpitaux et des offres de soins en santé sous toutes leurs facettes.

C’est pour cela que notre groupe s’abstiendra, de façon bienveillante, mais exigeante. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative aux formations en santé

Chapitre Ier

Améliorer l’accès aux études de santé et diversifier le recrutement

Article 1er

I. – L’article L. 631-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) La première phrase du premier alinéa est ainsi modifiée :

– la première occurrence du mot : « et » est remplacée par le signe : « , » ;

– après le mot : « maïeutique », sont insérés les mots : « et de masso-kinésithérapie » ;

b) À la première phrase du deuxième alinéa, après le mot : « formations », sont insérés les mots : « de médecine, de pharmacie, d’odontologie et de maïeutique » ;

c) Le troisième alinéa est ainsi modifié :

– la première occurrence du mot : « et » est remplacée par le signe : « , » ;

– après le mot : « maïeutique », sont insérés les mots : « et de masso-kinésithérapie » ;

– est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Ce parcours de formation peut consister : » ;

d) Après le même troisième alinéa, sont insérés des 1° et 2° ainsi rédigés :

« 1° Soit en une formation du premier cycle de l’enseignement supérieur dispensée par une université et conduisant à un diplôme national de licence ;

« 2° Soit en une formation conduisant à un titre ou diplôme d’État d’auxiliaire médical mentionné au livre III de la quatrième partie du code de la santé publique d’une durée minimale de trois années. » ;

e) Le quatrième alinéa est ainsi modifié :

– la deuxième occurrence du mot : « ou » est remplacée par le signe : « , » ;

– après la première occurrence du mot : « maïeutique », sont insérés les mots : « ou de masso-kinésithérapie » ;

– la seconde occurrence du mot : « et » est remplacée par le signe : « , » ;

– après la seconde occurrence du mot : « maïeutique », sont insérés les mots : « et de masso-kinésithérapie » ;

f) L’avant-dernier alinéa est complété par les mots : « et un accès de proximité sur l’ensemble du territoire national » ;

g) Après le même avant-dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La formation du premier cycle mentionnée au 1° du présent I comporte, en première année, une majorité d’enseignements relevant du domaine de la santé. Les autres disciplines pouvant être enseignées sont énumérées par arrêté des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de la santé, dans le respect de critères fixés par décret en Conseil d’État et favorisant la réussite des étudiants. » ;

2° Le II est ainsi modifié :

a) Le 1° est ainsi modifié :

– la seconde occurrence du mot : « ou » est remplacée par le signe : « , » ;

– sont ajoutés les mots : « ou de masso-kinésithérapie » ;

b) Après le même 1°, sont insérés des 1° bis et 1° ter ainsi rédigés :

« 1° bis Les conditions dans lesquelles les étudiants inscrits dans la formation du premier cycle mentionnée au 1° du I peuvent demander un redoublement ;

« 1° ter (Supprimé) » ;

c) Le 2° est ainsi modifié :

– la dernière occurrence du mot : « ou » est remplacée par le signe : « , » ;

– sont ajoutés les mots : « ou de masso-kinésithérapie, de manière à favoriser l’information et le traitement équitable des candidats » ;

d) Le 4° est ainsi modifié :

– la seconde occurrence du mot : « ou » est remplacée par le signe : « , » ;

– sont ajoutés les mots : « ou de masso-kinésithérapie ».

II (nouveau). – Le I du présent article entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État et, au plus tard, le 1er septembre 2027.

III (nouveau). – L’article L. 631-1 du code de l’éducation, dans sa rédaction résultant du I du présent article, est ainsi modifié :

1° Après l’avant-dernier alinéa du I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les universités organisent dans chaque département des enseignements correspondant au moins à la première année de la formation du premier cycle mentionnée au même 1°. Elles transmettent annuellement aux ministres chargés de l’enseignement supérieur et de la santé un bilan de la réussite des étudiants formés dans chaque département. » ;

2° Après le 1° bis du II, il est inséré un 1° ter ainsi rédigé :

« 1° ter Les modalités d’application de l’obligation, pour les universités, d’organiser dans chaque département des enseignements correspondant au moins à la première année de la formation du premier cycle mentionnée au même 1° ; ».

IV (nouveau). – Le III du présent article entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État et, au plus tard, le 1er septembre 2030.

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par Mmes Souyris, Poncet Monge, Ollivier et de Marco, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot, Mellouli et Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 21, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

, incluant un volet consacré à la santé environnementale et à la transition écologique

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Cet amendement a pour vocation de permettre une véritable adéquation des études de santé avec les enjeux environnementaux contemporains. Son objectif est de proposer un volet qui soit consacré à la santé environnementale et à la transition écologique dans les formations du premier cycle des études en santé.

Cette formation répondrait à un double impératif, à la fois scientifique et sociétal. Alors que l’ensemble de la communauté scientifique ne cesse de démontrer les liens qui existent entre les facteurs environnementaux et la dégradation de la santé humaine, il est indispensable de former nos futurs soignants à ce sujet.

Seulement 35,1 % des étudiants en pharmacie ont eu accès à des enseignements sur des enjeux climatiques et environnementaux au cours de leurs cursus. Ils pointent une hétérogénéité des formations selon les facultés. Seulement 12,9 % d’entre eux considèrent avoir suffisamment de cours autour de la santé environnementale. Dès lors, 85,4 % d’entre eux sont favorables à la mise en place d’enseignements sur les enjeux climatiques en santé.

Comment est-il possible que la santé environnementale soit une question autant marginalisée et négligée ? Pollution de l’air, substances chimiques, perturbateurs endocriniens, conditions de logement, de travail ou encore effet du changement climatique : tant de déterminants environnementaux affectent la santé publique.

La priorité établie pour la prévention appelle à former des soignants sur ces questions. Lancer ce volet dès la première année, c’est poser les bases d’une culture commune de santé globale, une culture reliant l’humain, l’organisation sociale et l’environnement.

Mes chers collègues, je vous invite donc à voter cet amendement, qui s’inscrit à la fois dans les objectifs nationaux de développement durable et dans les politiques de santé publique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. Nous ne contestons pas du tout l’importance de la santé environnementale. Nous sommes même tout à fait conscients de cet enjeu.

Toutefois, notre rôle, ici, n’est pas de détailler les maquettes pédagogiques des universités. Celles-ci ont d’ailleurs déjà la possibilité d’inclure la santé environnementale dans leurs cursus, et bon nombre d’entre elles l’ont déjà fait.

Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Madame la sénatrice, je suis comme vous tout à fait favorable sur le fond à cette idée.

Je voudrais signaler que mon ministère a déjà mis en place un ensemble d’actions visant à sensibiliser et à former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans tout l’enseignement supérieur. Un cahier des charges a été publié en 2023.

Concernant spécifiquement les formations en santé, la Conférence des doyennes et des doyens des facultés de médecine a élaboré un module national proposant un enseignement multidisciplinaire en santé environnementale.

Nous agissons donc d’ores et déjà en ce sens.

Nous devons cependant tenir compte de l’autonomie des établissements, ainsi que du caractère réglementaire des programmes. C’est pourquoi votre proposition n’a pas véritablement vocation à s’inscrire dans la loi aujourd’hui.

Pour ces raisons, je vous suggère de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Nous apportons tout notre soutien à cet amendement présenté par notre collègue Anne Souyris. Avec Mélanie Vogel, qui est aujourd’hui à ses côtés, nous avons travaillé, voilà quelques années, sur une sécurité sociale écologique du XXIe siècle, pour vraiment changer de paradigme en matière de santé. Nous devons mettre l’accent sur la prévention des risques climatiques, mais aussi sur l’alimentation, le sport, l’activité physique, etc.

Il s’agit d’encourager un changement de mentalité. Dès la première année, il faut avoir une approche globale de la santé et initier nos jeunes étudiants à une autre vision, qui ne serait plus simplement curative, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui avec cette formation très scientifique et très complexe. C’est d’ailleurs ce que préconise en tout cas l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Notre groupe votera donc en faveur de cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mmes Souyris, Poncet Monge, Ollivier et de Marco, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot, Mellouli et Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la possibilité de déployer à titre expérimental des écoles normales des métiers de la santé, véritables lycées spécialisés post-baccalauréat, permettant d’assurer la diversification sociale et territoriale des étudiants accédant aux filières de formation médicales et paramédicales.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Les métiers et études de santé restent parmi les secteurs les plus marqués par la reproduction sociale. Les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche sont sans équivoque. Les jeunes provenant de familles d’ouvriers ou d’employés ne représentent que 10 % de l’effectif total des étudiants et des étudiantes de deuxième année.

Il est temps d’agir contre les inégalités territoriales et les déserts médicaux, mais également pour la nécessaire démocratisation des études de santé. Avec le présent amendement, nous appelons le Gouvernement à remettre un rapport sur la création à titre expérimental d’écoles normales des métiers de la santé, ENMS.

Ces expérimentations pourraient être mises en place dans les zones sous-dotées en offre de soins, telles qu’elles sont définies au 1° de l’article 1434-4 du code de la santé publique, l’objectif étant de proposer des études financées et une bourse de vie en échange d’un engagement de dix ans d’exercice sur le territoire.

Ces écoles joueraient le rôle d’ascenseurs sociaux, en offrant des formations en santé à un public diversifié, issu notamment de milieux modestes ou ruraux. Aussi, afin de consolider le lien entre ancrage territorial, lutte contre les déserts médicaux, formation et services publics de la santé, je vous invite, mes chers collègues, à voter cet abandonnement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. Nous partageons avec vous le souhait de poursuivre la réflexion sur l’organisation des études de santé, afin de favoriser la diversité sociale et territoriale des étudiants qui y accèdent.

Sans chercher à bouleverser le système, la présente proposition de loi apporte d’ores et déjà des améliorations : la voie unique d’accès, la départementalisation de la première année, les options santé dans les lycées, la régionalisation du troisième cycle. Enfin, conformément à la position habituelle du Sénat concernant les demandes de rapport, nous émettrons un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Madame la sénatrice, le modèle des écoles normales ne me paraît pas particulièrement adapté aux études et aux métiers de la santé. En effet, il induit une certaine complexité pour des études qui sont très longues, comme celles de pharmacie et de médecine. Cela viendrait de surcroît se superposer à des dispositifs existants.

Enfin, et surtout, ce système éloignerait les étudiants de l’université, alors que l’universitarisation, qui est le modèle international pour les études de santé, est fondamentale, tout comme de la proximité des activités de recherche, qui sont également importantes pour la formation des médecins de demain.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article 2

I. – À titre expérimental, pour une durée de cinq ans, l’État peut autoriser, par dérogation au I de l’article L. 631-1 du code de l’éducation, l’admission directe d’étudiants en première année du premier cycle des formations de pharmacie à l’issue de la procédure nationale de préinscription mentionnée au deuxième alinéa du I de l’article L. 612-3 du même code, selon des critères garantissant l’équité d’accès de la formation et la transparence de la sélection.

La part des étudiants admis directement en application du présent I ne peut excéder, dans chaque université participante, un tiers des capacités d’accueil en deuxième et troisième années de premier cycle déterminées annuellement par l’université dans les conditions fixées à l’article L. 631-1 dudit code.

II. – Un décret détermine les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation mentionnée au I du présent article.

III. – Au plus tard un an avant son terme, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation, afin de déterminer l’opportunité et, le cas échéant, les conditions de sa pérennisation. Ce rapport apprécie également l’effet de l’expérimentation sur le nombre d’étudiants choisissant de poursuivre leurs études dans un pays étranger et la réussite des étudiants admis directement dans la suite de leurs études.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 2 est présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

L’amendement n° 12 rectifié est présenté par Mmes Bourcier, Lermytte et Bessin-Guérin et MM. Brault et Chevalier.

L’amendement n° 13 est présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 2.

Mme Céline Brulin. Il s’agit d’un amendement de suppression de la voie d’accès direct à la filière pharmacie via Parcoursup prévue à l’article 2.

Certes, nous partageons le constat des nombreuses places restées vacantes dans cette filière : 1 800 places durant les trois dernières années, me semble-t-il. C’est extrêmement inquiétant, même si, monsieur le ministre, vous avez semblé dire que cette tendance allait se corrigeant, et j’espère que cela se vérifiera.

De nombreux étudiants disent que ce n’est pas au lycée qu’ils ont eu connaissance de la filière pharmacie et de ses trois parcours différents. Si l’on connaît tous les pharmaciens d’officines, on connaît moins le milieu industriel ou les pharmacies hospitalières et leur dimension de biologie médicale.

Par ailleurs, nous traitons parfois avec un peu trop de mépris la volonté des étudiants en pharmacie d’être intégrés au tronc commun auquel sont rattachés l’ensemble des étudiants en santé.

Cette proposition de loi prévoit que les étudiants kinésithérapeutes puissent entrer par cette voie d’accès commune. Pourquoi en priverions-nous les étudiants pharmaciens ?

Récemment, les pharmaciens d’officine ont protesté contre la fin d’un certain nombre de remises. Ce mouvement a montré qu’il était nécessaire de mesurer le rôle central que jouaient les pharmaciens d’officine dans le système de santé : ils se sont vus confier des missions nouvelles qui permettent souvent de pallier les problèmes de déserts médicaux que nous rencontrons dans de nombreux territoires.

Par conséquent, même s’il s’agit d’une expérimentation, la solution proposée ne nous semble pas la bonne réponse à un mal réel.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié.

Mme Corinne Bourcier. En ouvrant la possibilité d’une admission directe d’étudiants en premier cycle de pharmacie après le lycée par Parcoursup, l’article 2 cible le problème des places vacantes dans la filière. Cette mesure, qui peut sembler séduisante de prime abord, parce qu’elle est recommandée par la Cour des comptes, risque au contraire d’aggraver un phénomène qui n’est malheureusement pas nouveau et qui doit être traité efficacement.

Selon l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), 55 % des étudiants en pharmacie déclarent qu’ils n’auraient pas choisi cette filière si la sélection avait eu lieu dès le lycée ; ils l’ont choisie en première année d’études de santé.

En effet, la filière pharmacie souffre d’un déficit de visibilité au lycée que la première année de santé vient compenser, en permettant la découverte des différentes professions, donc un choix éclairé des étudiants. Alors que les taux d’abandon dès la première année des études de santé sont encore bien trop élevés, avec les conséquences que l’on connaît pour nos jeunes, en termes de santé mentale notamment, précipiter ce choix serait contreproductif.

Je précise que nous avons travaillé à l’élaboration de cet amendement avec l’Anepf, seule association représentative des 33 000 étudiants en pharmacie, qui fédère les associations locales des vingt-quatre UFR (unités de formation et de recherche) de pharmacie.

De mon côté, je suis allée à la rencontre de nombreux professionnels de pharmacie. En outre, nombre d’étudiants m’ont affirmé leur intérêt de pouvoir suivre une première année commune, avant de choisir la filière pharmacie, ce qui n’allait pas de soi au lycée.

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour présenter l’amendement n° 13.

Mme Émilienne Poumirol. Nous comprenons les intentions de l’auteure de la proposition de loi. S’il est vrai que, ces dernières années, le nombre de places vacantes a été important, en 2025, il était inférieur à 200. Par conséquent, le phénomène se résorbe, et il ne paraît donc plus opportun de déroger à la voie d’accès unique prévu à l’article 1er.

Bien plus, comme vient de le souligner Céline Brulin, la voie d’accès unique permet de découvrir les différents métiers de la pharmacie, cette filière ne se limitant pas à la pharmacie d’officine, d’autres spécialités tout aussi importantes s’ouvrent aux étudiants.

Par ailleurs, de nouvelles missions ont été confiées aux pharmaciens d’officine – prescription d’antibiotiques après réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique (Trod), vaccination, entretiens pharmaceutiques, dépistage, prévention, contraception d’urgence, conseils de santé… –, et cette plus grande variété peut davantage attirer que par le passé.

Alors qu’il est cohérent que les étudiants en pharmacie accèdent à cette filière par la voie d’accès unique, dans les conditions prévues à l’article 1er, il est paradoxal de les en sortir, certes par dérogation et dans le cadre d’une expérimentation, au moment même où l’on y réintègre les étudiants en kinésithérapie.

Cela contredit la logique de décloisonnement et les objectifs interprofessionnels de cette proposition de loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. Je commencerai par apporter quelques précisions.

L’expérimentation porte sur un accès direct partiel. Elle ne concernera pas tous les étudiants. Ceux qui veulent suivre une première année commune le pourront. De leur côté, les élèves de terminale qui sont déterminés à entreprendre des études de pharmacie pourront s’y engager directement.

Nous avons très souvent ici même des débats nourris, où nous exprimons nos inquiétudes sur les fermetures de pharmacie, les difficultés à remplir les promotions d’étudiants et les problèmes que cela entraîne en termes de ressources humaines.

La proposition retenue à l’article 2 a été largement voulue et saluée et par les doyens et les pharmaciens. L’expérimentation durera cinq ans. Les maquettes qui nous ont été présentées sont également rassurantes : les étudiants qui entrent en première année en socle commun ou directement en première année de pharmacie auront les mêmes blocs d’enseignement et se retrouveront en deuxième année. Je rappelle que la première année en socle commun effraie certains étudiants et les fait partir à l’étranger.

C’est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Permettez-moi de donner quelques chiffres.

Il est vrai que, en 2022, le système a connu un inquiétant trou d’air, pour le dire un peu brutalement : seules 2 587 places sur 3 600 ont été pourvues. Toutefois, depuis les deux dernières années, nous sommes à près de 95 % de saturation du système.

Par conséquent, on peut considérer qu’aujourd’hui le problème est largement derrière nous et que la situation s’est débloquée. Il y a eu un véritable travail de mobilisation et d’explication de la part de l’Ordre national des pharmaciens et des pharmaciens eux-mêmes de ce qu’était le métier. L’essentiel des difficultés ont donc été réglées.

Si l’on instaure une expérimentation pour les études de pharmacie, la question se posera mécaniquement pour tous les autres métiers du soin.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. Oui !

M. Philippe Baptiste, ministre. Par ailleurs, cela créerait des disparités territoriales, au moment où l’on essaie de simplifier le dispositif Pass-LAS, qui est hélas très touffu et complexe.

Enfin, grâce à cet accès direct, comme il existe des passerelles entre les études de pharmacie et celles de médecine, on ouvre indirectement le sujet de l’accès aux études de médecine sans avoir réussi l’examen de première année.

Pour toutes ces raisons, sur ces amendements identiques, même s’il partage l’enjeu d’attractivité, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour explication de vote.

Mme Corinne Imbert. Je remercie Mme la rapporteure de la qualité de sa réponse. Il va de soi que je ne voterai pas ces amendements identiques.

J’ai rencontré des internes en pharmacie ; nous en avons auditionné. Le seul véritable argument qu’ils avancent, c’est celui qui consiste à dire que, parce qu’ils travailleront demain en coopération avec les autres professionnels de santé, il leur faut faire cette première année ensemble.

Je rappelle, à la suite de Mme la rapporteure, que, avec cette proposition on ne les prive pas de la voie d’accès unique : si la réforme aboutit, ils pourront toujours emprunter cette voie s’ils le souhaitent. Toutefois, permettre cette expérimentation me semble intéressant.

Monsieur le ministre, vous avez raison, le trou d’air est passé, mais il a fallu la forte mobilisation de la profession elle-même, de l’ordre, des syndicats et des étudiants ! Le slogan qu’ils ont choisi, « Pharmacien : le moins connu des métiers connus », a fait mouche.

En outre, les nouvelles tâches que peuvent aujourd’hui accomplir les pharmaciens rendent le métier encore plus intéressant. On est loin de l’image de l’épicier – je puis le dire, parce que j’exerce encore ce beau métier. Ce n’est évidemment pas une insulte : cette étiquette a longtemps collé à la profession, pourtant forte de tout un savoir-faire.

Reste que la profession n’est pas sortie d’affaires. Si des jeunes ont envie de se lance dans des études de pharmacie, qu’ils puissent le faire d’entrée.

Enfin, il ne s’agit que d’une expérimentation. Si elle n’est pas pertinente, elle ne sera pas maintenue.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2, 12 rectifié et 13.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Chasseing et Capus, Mme Bessin-Guérin, MM. A. Marc, Médevielle et Wattebled, Mme Lermytte, MM. Brault, V. Louault, Malhuret et Fialaire, Mmes Bonfanti-Dossat et Jacquemet, MM. Dhersin et Menonville, Mme Guidez, M. Daubet et Mme Perrot, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La procédure d’admission directe n’est possible que lorsque les capacités d’accueil maximales des formations de pharmacie de premier cycle n’ont pas été atteintes l’année précédente.

La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.

Mme Marie-Claude Lermytte. Il s’agit d’un amendement de notre collègue Daniel Chasseing.

L’article 2 consiste en une expérimentation de cinq ans permettant l’accès direct, via Parcoursup, aux études de premier cycle de pharmacie pour un nombre limité d’étudiants.

S’il existe bien un problème d’attractivité de la filière, avec 1 100 places vacantes en 2022, et encore 200 places cette année, créer un système automatique, même expérimental, d’accès direct pour certains étudiants et maintenir un concours pour d’autres représenterait une rupture d’égalité entre eux. Cela reviendrait à créer, de nouveau, un système avec deux voies d’accès aux études de pharmacie, alors que l’un des objectifs de cette proposition de loi est justement de supprimer le double système actuel.

C’est pourquoi cet amendement déposé par Daniel Chasseing tend à ce que la possibilité d’admission directe en année n soit conditionnée à l’existence de places vacantes en année n-1.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. Il ne paraît pas pertinent d’ajouter des contraintes à la mise en place de cette expérimentation, qui alors serait effective une année et ne le serait plus l’année suivante. Ce serait bien trop complexe. Il revient aux universités de s’organiser.

Laissons cette expérimentation se déployer pendant cinq ans. Comme l’a indiqué Corinne Imbert, nous en tirerons les conséquences à la fin.

C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Cela a été souligné, on ne peut pas faire fluctuer d’une année sur l’autre les enseignants-chercheurs et les formateurs. Ce serait trop compliqué.

Par ailleurs, compte tenu des calendriers et des contraintes d’élaboration de la maquette de Parcoursup et des propositions faites aux bacheliers, le décalage serait d’au moins deux ans et non d’un an.

En outre, dans cet amendement, il est fait mention des capacités maximales de formation en premier cycle, alors que ce sont les capacités d’accueil pour entrer en deuxième année qui seraient concernées.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettrait un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Après l’article 2

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Par dérogation aux articles L. 612-3 et L. 612-3-2 du code de l’éducation, les bacheliers s’inscrivent directement dans l’institut de formation en soins infirmiers de leur choix. Les modalités de sélection des instituts sont fixées par décret au niveau national.

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Nous avons déposé un amendement à l’objet similaire lors de l’examen de la proposition de loi sur la profession d’infirmier : il s’agit d’étudier l’opportunité de sortir de Parcoursup l’accès aux Ifsi (instituts de formation en soins infirmiers).

Nous connaissons tous de très nombreux exemples d’étudiants qui se sont retrouvés à suivre cette formation, alors qu’il s’agissait de leur sixième ou septième choix sur la plateforme et qui, de ce fait, ont abandonné leurs études en cours de route. D’ailleurs, en 2021, le taux d’abandon en première année a été trois fois plus important qu’en 2011, ce qui en dit long.

A contrario, on a tous de très nombreux exemples d’étudiants qui ont placé les Ifsi en premier choix, mais qui se sont retrouvés à l’autre bout de la France, alors même que le maillage d’instituts de formation en soins infirmiers est assez dense, puisque ces structures sont souvent adossées à des hôpitaux de proximité.

Nous souhaitons revenir à la charge, si j’ose dire, puisque, à l’issue de cette discussion, et le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, Yannick Neuder, et le président de la commission des affaires sociales s’étaient engagés à se pencher sur ce sujet. Depuis lors, il ne s’est pas passé grand-chose…

Certes, je n’ignore pas la situation politique que nous connaissons, qui pour partie peut expliquer qu’il en soit ainsi. Pour autant, je souhaite avoir l’assurance qu’il n’y a pas d’autre raison.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. La commission partage le constat sur les effets qu’entraîne l’inscription des Ifsi sur Parcoursup. Pour autant, retirer cette formation de la plateforme au détour d’un amendement paraîtrait quelque peu sportif !

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement, qui d’ailleurs est probablement un amendement d’appel, en attendant la réponse du ministre.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. L’augmentation des abandons est antérieure à l’intégration des Ifsi sur Parcoursup, comme l’a très clairement montré une étude de la Drees.

Ce qui explique avant tout le taux élevé d’abandon, c’est l’accueil des étudiants en stage. Les premiers stages ont parfois lieu dans des services très difficiles, ce qui peut provoquer des traumatismes chez les jeunes étudiants qui se retrouvent confrontés en début de cursus à des situations extrêmement graves.

L’intégration dans le dispositif Parcoursup des formations paramédicales, en particulier infirmières, a permis d’élargir considérablement le vivier des candidats, grâce à une visibilité nationale de l’offre.

Ainsi, le taux de remplissage des Ifsi est de 100 %, ce qui était très loin d’être le cas précédemment. Les Ifsi sont tous pleins, et, en moyenne 85 % de leurs élèves viennent de l’académie d’origine. On ne peut donc pas dire qu’il y ait un immense brassage et que les difficultés viennent de là ; ce n’est pas vrai, même si je reconnais qu’il existe des cas particuliers. En outre, cela permet un adossement universitaire progressif, ce qui est important.

À mon sens, sortir cette formation de Parcoursup entraînerait une perte de visibilité et d’attractivité, ainsi qu’un taux de remplissage moindre, et provoquerait de nouveaux risques d’inégalités sociales et territoriales. Je rappelle que, auparavant, il fallait passer un concours payant et, souvent, s’inscrire en amont à des formations pour augmenter ses chances de réussite.

Reste le taux d’abandon, qui est une vraie question. Il faut y travailler, et je suis tout à fait d’accord pour que l’on réfléchisse ensemble aux réponses à apporter. En revanche, je le répète, je ne crois pas que ce soit dû au rattachement de cette formation à Parcoursup.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article 3

L’article 24 de la loi n° 2023-1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) Au début, sont ajoutés les mots : « À titre expérimental, » ;

b) Après le mot : « loi, », la fin de l’alinéa est ainsi rédigée : « les lycées situés dans des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou concernées par des difficultés dans l’accès aux soins, au sens du 1° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique, proposent une option santé aux élèves des classes de première et de terminale de la voie générale. » ;

c) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les options santé permettent la découverte des formations de médecine, de pharmacie, d’odontologie, de maïeutique et des formations paramédicales ainsi que des métiers auxquels elles conduisent. Elles visent à encourager l’orientation des lycéens concernés vers les études de santé.

« Pour l’organisation des options santé, les lycées mentionnés au premier alinéa du présent I concluent des conventions avec les universités comportant une unité de formation et de recherche de médecine, de pharmacie, d’odontologie ou de maïeutique ou une composante assurant ces formations au sens de l’article L. 713-4 du code de l’éducation et avec les organismes délivrant des titres de formation requis pour l’exercice des professions de santé. » ;

2° Le II est ainsi rédigé :

« II. – Un décret détermine les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation mentionnée au I du présent article. »

M. le président. L’amendement n° 16, présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Cet amendement vise à supprimer l’obligation de conclure des conventions entre les lycées et les universités pour l’organisation des options santé inscrite à l’alinéa 7 de cet article.

À notre sens, il n’est pas nécessaire de complexifier ce processus qui fonctionne déjà dans de nombreux lycées – 17 en Occitanie, par exemple.

Si le conventionnement avec les universités peut être souhaitable dans certains territoires, l’ériger en obligation pourrait rendre sa mise en œuvre difficile, voire impossible. De plus, ce texte n’aborde pas la question des moyens de l’université, que ceux-ci soient organisationnels ou financiers, pour faire face à cette nouvelle obligation. Nous connaissons pourtant la situation complexe dans laquelle les universités se trouvent.

Par conséquent, pour éviter d’ajouter de la lourdeur administrative, nous proposons de laisser la liberté dans les modalités d’organisation de l’option santé, comme cela se fait aujourd’hui.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. Il nous semble au contraire important de nouer des relations entre les lycées et les universités.

Une option au lycée, ce n’est pas seulement l’enseignement d’une nouvelle matière, c’est bien aussi la découverte d’un métier. Il faut donc mettre le plus grand nombre d’acteurs autour de la table. À ce titre, la commission est plutôt favorable à l’établissement de partenariats avec les professionnels locaux du territoire : hôpitaux locaux, etc.

C’est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Pour l’ensemble des raisons que vous avez avancées, madame la sénatrice, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 est adopté.)

Après l’article 3

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l’article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions des stages et des rémunérations des internes et des externes en médecine.

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Il s’agit de demander un rapport sur les conditions des stages et des rémunérations des internes et des externes en médecine.

Je connais le réflexe pavlovien que suscite une telle demande dans une partie de cet hémicycle (Sourires.), mais je tiens à revenir une nouvelle fois sur les conditions d’études des étudiants en santé, qui sont particulièrement difficiles. Là aussi, le taux d’abandon est extrêmement important, ce qui est tout de même affligeant au regard du manque de professionnels dans les territoires.

Qui plus est, l’état de santé de ces jeunes, leur santé mentale notamment, ne va pas en s’améliorant, ce qui serait en soi une raison pour s’y intéresser.

J’évoquerai également les rémunérations : les internes en médecine sont payés 10,85 euros brut de l’heure, nuit et jour férié, alors qu’ils tiennent nos hôpitaux. C’est indécent ! La dernière étude de la Dares sur les conditions de rémunération des internes de médecine date de 2013 ; en douze ans, loin de s’améliorer, les conditions de travail dans les hôpitaux se sont dégradées.

Tout cela justifie en soi le rapport que nous demandons.

Pour ma part, je pense qu’il y a une corrélation directe entre la souffrance – je pèse mes mots – que vivent les étudiants en médecine et leur détermination à ne vouloir accepter ensuite aucune contrainte.

Quand on souffre autant pendant ses études, il va de soi que l’on ne veut plus subir aucune obligation par la suite ! Améliorer les conditions d’études et de rémunération pourrait donc également servir de levier pour que ces étudiants acceptent ensuite les exigences que peut avoir la société à leur endroit.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. Il faut continuer à travailler sur les conditions de travail des étudiants, mais je rappelle que des évolutions législatives ont eu lieu, qui doivent s’appliquer dans les hôpitaux. Les données sont aujourd’hui connues : mieux vaut effectuer un travail au niveau des professions.

La commission émet donc un avis défavorable sur cette demande de rapport, qui n’apportera aucun éclairage supplémentaire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Madame la sénatrice, je vous remercie d’appeler notre attention sur la qualité de vie des étudiants en médecine, en deuxième, en troisième cycle ou lors de leur stage.

À la suite de la covid, le Ségur de la santé a permis la revalorisation d’une partie de leur rémunération, mais également l’adoption de modifications législatives, notamment sur leur temps de travail. Désormais, les directions des établissements peuvent se voir infliger des pénalités en cas de non-respect du temps de travail.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. Bien sûr !

Mme Stéphanie Rist, ministre. Nous avons lancé au mois de septembre dernier une grande enquête pour évaluer ces différentes mesures, notamment les conditions de travail et le temps de travail, dont les résultats seront connus avant la fin de l’année.

Madame la sénatrice, comptez sur mon engagement pour veiller à la santé des étudiants en santé. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 9, présenté par Mmes Souyris, Poncet Monge, Ollivier et de Marco, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot, Mellouli et Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l’article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la prévention, la détection et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles dans les formations en santé.

Ce rapport présente :

1° Un état des lieux des signalements, procédures disciplinaires et dispositifs de soutien existants au sein des universités, facultés, établissements hospitaliers et structures de stage accueillant des étudiantes et étudiants en santé ;

2° Des propositions visant à renforcer la prévention et la formation obligatoire des encadrants, tuteurs et référents de stage en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ;

3° La création, dans chaque université comportant une faculté ou école de santé, d’un référent violences sexistes et sexuelles dédié aux formations médicales et paramédicales ;

4° Les modalités de coopération entre les établissements d’enseignement supérieur, les hôpitaux et les associations étudiantes pour favoriser la libération de la parole, le signalement et la protection des victimes.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Nous le savons, vous n’aimez pas les demandes de rapport…

Pour autant, pour des raisons de recevabilité financière, je n’ai malheureusement pas la capacité de demander au Gouvernement de donner à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes les moyens qui lui sont indispensables.

Selon une enquête de 2021 de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), 49 % des étudiantes en stage ont déclaré avoir été victimes de remarques sexistes. D’après une autre enquête, réalisée en 2024, la moitié des étudiants de médecine éprouvaient des symptômes d’anxiété.

Le plan national d’action contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) 2021-2025, les différentes recommandations professionnelles, la création de cellules d’écoute et de signalement dans les universités sont autant de dispositifs qui complexifient malheureusement leur lisibilité.

Alors que le nombre de signalements ne cessent d’augmenter et que les agresseurs restent le plus souvent impunis, annoncer un plan national ne suffit plus. Ces stratégies interministérielles sont essentiellement symboliques. Il faut désormais des mesures appliquées, évaluées et financées.

En demandant un rapport d’évaluation et de propositions concrètes pour améliorer la prévention, la formation et la protection des étudiantes et des étudiants, j’invite le Gouvernement à agir avec le sérieux qu’appelle un tel problème.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. Les violences sexistes et sexuelles dans les formations de santé constituent un sujet d’une gravité incontestable et un enjeu majeur ; nous y sommes tous sensibles dans cet hémicycle.

Selon une enquête du Conseil national de l’Ordre des médecins, près d’une femme médecin sur deux a été victime de VSS de la part d’un autre médecin, en majorité pendant son parcours étudiant.

Dans le cadre du rapport sur la soumission chimique que j’ai récemment remis au Gouvernement avec ma collègue Sandrine Josso, j’ai formulé des recommandations visant à rendre obligatoires les formations aux VSS pour les dirigeants d’université, d’institut et école et à intégrer à la formation des professionnels de santé des modules de prévention et de sensibilisation aux VSS.

Les représentants des universités et UFR que nous avons auditionnés s’y sont déclarés favorables. Tous ces établissements doivent maintenant déployer des dispositifs de prévention. Sur ce sujet, il ne faut rien lâcher et continuer à œuvrer.

Pour autant, sur cette demande de rapport, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Ces violences inadmissibles et honteuses doivent évidemment être combattues avec la plus grande virulence.

Vous l’avez mentionné, en plus des dispositifs communs à toutes les disciplines et à toutes les facultés, il existe des dispositifs spécifiques dans le domaine de la santé : plans numéros d’appels et d’écoute… Madame la sénatrice, je suis évidemment à votre disposition pour vous les présenter et vous en communiquer les résultats au fur et à mesure.

C’est donc non pas d’un nouveau rapport que nous avons besoin, mais bien d’une mise en œuvre pratique et efficiente des dispositifs en vigueur.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9.

(Lamendement nest pas adopté.)

Chapitre II

Territorialiser le troisième cycle des études de médecine

Article 4

I. – Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° L’article L. 632-2 est ainsi modifié :

a) Le I est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le nombre d’étudiants de troisième cycle des études de médecine susceptibles d’être affectés par spécialité et par subdivision territoriale est défini, en priorité, en fonction de la situation de la démographie médicale dans les différentes spécialités, des besoins de santé des territoires et des besoins prévisionnels du système de santé, puis des capacités de formation en stage et hors stage.

« L’affectation par subdivision territoriale et par spécialité des étudiants ayant satisfait aux exigences des épreuves mentionnées au 1° du présent I s’effectue selon des modalités prenant en compte les résultats à ces mêmes épreuves ainsi que le parcours de formation, le projet professionnel des étudiants et, le cas échéant, leur situation de handicap. Elle permet aux deux tiers de ces étudiants d’accéder au troisième cycle dans la région dans laquelle ils ont validé le deuxième cycle des études de médecine. » ;

b) Le III est ainsi modifié :

– après le mot : « territoriale, », la fin du 4° est ainsi rédigée : « au terme d’une procédure de concertation destinée à évaluer notamment les besoins de santé des territoires et les besoins prévisionnels du système de santé ; »

– la seconde phrase du 5° est supprimée ;

2° (nouveau) Au quatrième alinéa de l’article L. 632-6, les mots : « 5° du III du même article L. 632-2 » sont remplacés par les mots : « dernier alinéa du I de l’article L. 632-2 » ;

3° (nouveau) Au premier alinéa du III de l’article L. 713-4, la référence : « 5° du III » est remplacée par la référence : « dernier alinéa du I ».

II (nouveau). – Le I entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État et, au plus tard, le 1er septembre 2027.

M. le président. L’amendement n° 24, présenté par M. Khalifé et Mme Guillotin, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 10

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° À la vingt-troisième ligne du tableau du second alinéa du I des articles L. 776-1 et 777-1, la référence : « loi n° 2019-776 du 24 juillet 2019 » est remplacée par la référence : « loi n° …du … relative aux formations en santé ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Khalifé Khalifé, rapporteur. Cet amendement vise à procéder à une coordination juridique pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 24.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.

(Larticle 4 est adopté.)

Chapitre III

Améliorer les conditions d’accueil des étudiants en stage

Article 5

I. – Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° L’article L. 632-1-1 est ainsi rétabli :

« Art. L. 632-1-1. – Les étudiants de deuxième et de troisième cycles de médecine peuvent être autorisés à effectuer une partie de leurs stages pratiques auprès de praticiens agréés maîtres de stage des universités, dans des conditions fixées par décret.

« Le décret mentionné au premier alinéa définit les modalités de rémunération des praticiens agréés maîtres de stage des universités qui accueillent des étudiants.

« Les conditions de l’agrément des praticiens agréés maîtres de stage des universités, qui comprennent une formation obligatoire auprès de l’université de leur choix ou auprès d’un organisme habilité, sont fixées par décret en Conseil d’État. » ;

2° Après l’article L. 633-1, il est inséré un article L. 633-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 633-1-1. – Les étudiants en pharmacie peuvent être autorisés à effectuer une partie de leurs stages pratiques auprès de pharmaciens agréés maîtres de stage des universités, dans des conditions fixées par décret.

« Le décret mentionné au premier alinéa définit les modalités de rémunération des pharmaciens agréés maîtres de stage des universités qui accueillent des étudiants.

« Les conditions de l’agrément des pharmaciens agréés maîtres de stage des universités, qui comprennent une formation obligatoire auprès de l’université de leur choix ou auprès d’un organisme habilité, sont fixées par décret en Conseil d’État. » ;

3° L’article L. 634-2 est ainsi rétabli :

« Art. L. 634-2. – Les étudiants en odontologie peuvent être autorisés à effectuer une partie de leurs stages pratiques auprès de chirurgiens-dentistes agréés maîtres de stage des universités, dans des conditions fixées par décret.

« Le décret mentionné au premier alinéa définit les modalités de rémunération des chirurgiens-dentistes agréés maîtres de stage des universités qui accueillent des étudiants.

« Les conditions de l’agrément des chirurgiens-dentistes agréés maîtres de stage des universités, qui comprennent une formation obligatoire auprès de l’université de leur choix ou auprès d’un organisme habilité, sont fixées par décret en Conseil d’État. » ;

4° Au début du chapitre V du titre III du livre VI de la troisième partie, il est ajouté un article L. 635-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 635-1-1. – Les étudiants de deuxième et de troisième cycles de maïeutique peuvent être autorisés à effectuer une partie de leurs stages pratiques auprès de sages-femmes agréées maîtres de stage des universités, dans des conditions fixées par décret.

« Le décret mentionné au premier alinéa définit les modalités de rémunération des sages-femmes agréées maîtres de stage des universités qui accueillent des étudiants.

« Les conditions de l’agrément des sages-femmes agréées maîtres de stage des universités, qui comprennent une formation obligatoire auprès de l’université de leur choix ou auprès d’un organisme habilité, sont fixées par décret en Conseil d’État. »

II. – Les articles L. 4131-6 et L. 4151-9-1 du code de la santé publique sont abrogés.

M. le président. L’amendement n° 17, présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 632-1-1. – Les étudiants de deuxième cycle de médecine doivent effectuer une partie de leurs stages pratiques dans des lieux agréés en pratique ambulatoire auprès de praticiens agréés maîtres de stage des universités, dans des conditions fixées par décret. Les étudiants de troisième cycle de médecine peuvent être autorisés à effectuer une partie de leurs stages pratiques auprès de praticiens agréés maîtres de stage des universités, dans des conditions fixées par décret.

La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Cet amendement vise à permettre aux étudiants d’effectuer des stages en médecine de ville, en dehors des CHU.

On a évoqué tout au long de la soirée l’importance de la connaissance du milieu réel d’exercice de la médecine, je n’y reviens pas.

Les stages constituant le premier facteur d’ancrage territorial ; il est important de les faciliter. La diversification des stages pourrait même être rendue obligatoire lors de l’internat dans certaines spécialités, en particulier en médecine générale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Khalifé Khalifé, rapporteur. Chère collègue, nous sommes tous soucieux de diversifier les stages, comme vous l’appelez de vos vœux. Toutefois, vous le savez, les étudiants en deuxième et troisième cycles ont déjà la possibilité d’effectuer des stages en ambulatoire et en périphérie.

Rendre les stages en dehors des CHU obligatoires poserait des problèmes de maîtres de stage et, surtout, de conditions de stage.

Aujourd’hui, il vaut donc mieux rendre ces stages possibles, mais non obligatoires. La situation évoluera probablement demain, lorsque nous disposerons d’un peu plus de maîtres de stage, mais, pour l’heure, il n’est malheureusement pas possible de rendre de tels stages obligatoires.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Nous partageons l’objectif de l’auteur de cet amendement, qui figure d’ailleurs dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux, présenté en avril 2025. Le décret – il s’agit d’une mesure réglementaire – devrait être publié rapidement.

L’objectif est de permettre aux étudiants d’effectuer un stage en dehors des CHU, ce que beaucoup d’entre eux font déjà, mais également de favoriser cette pratique en zone sous-dense, tout en mettant en œuvre un encadrement de qualité des étudiants. Il ne faut pas oublier en effet qu’ils sont là pour apprendre.

Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 5.

(Larticle 5 est adopté.)

Après l’article 5

M. le président. Les amendements nos 11 et 23 sont identiques.

L’amendement n° 11 est présenté par M. Milon.

L’amendement n° 23 est présenté par Mme Aeschlimann.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 632-5 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 632-5-… ainsi rédigé :

« Art. L. 632-5-. – Dans le cadre de leur formation, les étudiants en médecine effectuant leur internat bénéficient d’un enseignement à la déontologie médicale, sous la responsabilité de l’université, en lien avec le conseil de l’Ordre des médecins. »

L’amendement n° 11 n’est pas défendu.

La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour présenter l’amendement n° 23.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Cet amendement vise à inclure dans la formation des étudiants en médecine, lors de leur internat, un enseignement sur la déontologie médicale, sous la responsabilité de l’université.

Cet amendement a été élaboré avec le Conseil national de l’Ordre des médecins, qui serait, le cas échéant, associé à l’élaboration du contenu de cet enseignement.

La déontologie médicale constitue l’un des piliers essentiels de la profession de médecin. Une formation à l’éthique et au droit de la santé existe bien dans le parcours de formation des étudiants en médecine, mais elle est principalement dispensée avant l’internat.

Nous proposons de dispenser cet enseignement au cours de l’internat, cette période charnière et particulièrement importante durant laquelle l’étudiant se trouve confronté à des situations dans lesquelles sa responsabilité est pleine et entière, notamment lorsqu’il est appelé à remplacer un médecin.

Prévoir un enseignement de déontologie médicale répond à plusieurs objectifs : consolider la culture de la responsabilité et du respect des principes fondamentaux de la profession ; garantir le respect des droits des patients et la qualité de la relation de soin ; enfin, prévenir les risques de manquements déontologiques.

Cet amendement est identique à celui qu’a déposé notre excellent collègue Alain Milon, qui connaît bien ce sujet, je tenais à le préciser. Il a été travaillé, je le redis, avec le Conseil de l’Ordre des médecins.

J’anticipe l’avis de la commission. En effet, Mme la rapporteure a indiqué précédemment que cette proposition de loi porte sur le cursus global, et non sur les maquettes pédagogiques. Je l’ai bien compris, mais j’ai la faiblesse de penser que, la déontologie médicale étant un sujet commun à toutes les études et à toutes les options, la commission pourrait émettre sur ces amendements un avis quelque peu positif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Khalifé Khalifé, rapporteur. Notre collègue a fait la question et la réponse ! (Sourires.)

Je vais néanmoins étayer quelque peu mon avis défavorable. Je ne suis pas contre la déontologie, loin de là. Je rappelais souvent à mes internes, lorsque j’étais encore en exercice, le serment d’Hippocrate, qui est un texte de déontologie médicale. Nous avons malheureusement tendance à l’oublier depuis quelque temps maintenant.

Vous avez évoqué les cours en premier et deuxième cycles. Il serait intéressant d’en prévoir également en troisième cycle. Pour cette seule raison, je pourrais émettre un avis favorable sur cet amendement, mais nous avons pris le parti de rester à notre place, de réaliser un travail de législateur et non de doyen de faculté de médecine ou de ministre. Nous ne nous mêlerons donc pas des maquettes.

Nous nous en remettrons à la sagesse du Gouvernement et nous suivrons son avis. S’il estime qu’il faut légiférer, nous le suivrons, mais nous pensons que ce n’est pas nécessaire. Un simple décret ou une modification de la maquette pourrait à notre avis suffire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Si l’on commence au Parlement à remplir les maquettes de formation des étudiants, le risque est que chacun veuille y inclure ce qu’il a envie d’y mettre… Cela étant, je vous rejoins évidemment sur l’enjeu de la déontologie.

Cet amendement est en partie satisfait, des cours de déontologie étant prévus en deuxième cycle, ainsi qu’en troisième cycle dans certaines spécialités. Je ne dis pas qu’il ne faut pas approfondir le sujet, mais le risque, si l’on ouvre la porte, est que chacun s’y engouffre. Il ne me semble pas que ce soit notre rôle.

Par conséquent, je vous prie de bien vouloir retirer votre amendement, madame la sénatrice ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.

M. le président. Quel est donc l’avis de la commission ?

M. Khalifé Khalifé, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour explication de vote.

Mme Marie-Do Aeschlimann. À la suite des explications qui viennent de m’être données, je retire cet amendement d’appel, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 23 est retiré.

Article 6

I. – Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa du II de l’article L. 632-2 est ainsi modifié :

a) À la première phrase, les mots : « praticiens, maîtres de stage, des universités agréés » sont remplacés par les mots : « praticiens agréés maîtres de stage des universités » ;

b) Après la deuxième phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Les étudiants peuvent suivre, au cours de l’année, la formation obligatoire mentionnée à l’article L. 632-1-1 du présent code. » ;

2° Après le même article L. 632-2, il est inséré un article L. 632-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 632-2-1. – I. – Les étudiants de dernière année du diplôme d’études spécialisées de médecine générale peuvent être autorisés à effectuer leurs stages pratiques dans des lieux agréés en pratique ambulatoire dans lesquels exercent un ou plusieurs médecins généralistes accueillants.

« Ces stages sont supervisés par un praticien agréé maître de stage des universités exerçant à proximité du lieu de stage.

« II. – L’accueil d’un stagiaire par un médecin généraliste accueillant fait l’objet d’une déclaration préalable auprès du directeur général de l’agence régionale de santé territorialement compétente.

« Le médecin accueillant s’engage à s’inscrire à la formation obligatoire mentionnée à l’article L. 632-1-1 dans un délai de deux ans à compter de la première déclaration.

« III. – Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret. »

II. – L’article L. 632-2-1 du code de l’éducation est abrogé le 1er novembre 2031.

M. le président. L’amendement n° 20, présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Cet amendement a pour objet de supprimer la disposition du texte qui prévoit que les étudiants en quatrième année d’internat de médecine générale, les fameux docteurs juniors, peuvent suivre, au cours de l’année, la formation obligatoire pour devenir eux-mêmes maîtres de stage.

Nous en convenons, il est crucial d’augmenter le nombre de maîtres de stage universitaire. Pour cela, il faut valoriser et potentiellement rendre obligatoire la fonction de maître de stage universitaire à l’issue de la formation.

Cependant, les docteurs juniors en quatrième année de médecine générale n’ont pas encore le statut de médecin généraliste. Ils sont encore suivis par un praticien agréé, maître de stage des universités. Il nous paraît prématuré qu’ils puissent se former pour devenir eux-mêmes maîtres de stage des universités.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Khalifé Khalifé, rapporteur. Nous ne pouvons pas, chère collègue, demander tout et ne rien faire pour ! Nous voulons, avec cette quatrième année de médecine générale, irriguer les territoires. Vous le savez, d’ailleurs, car vous avez assisté à toutes les auditions de la commission.

Les territoires, surtout ceux qui sont sous-dotés, manquent également de maîtres de stage ; il est donc intéressant que les étudiants de quatrième année aient la possibilité de devenir maîtres de stage. Vous voulez les en empêcher ; nous les y encourageons, sans toutefois les y obliger.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Vous voulez supprimer en quatrième année de médecine générale la formation obligatoire des docteurs juniors qui leur permet de devenir maîtres de stage des universités.

Je comprends de vos propos qu’il faut plus de maîtres de stage des universités, mais que la quatrième année n’est pas idéale pour former les étudiants à cette fonction.

Or l’idée à l’origine de la quatrième année de médecine générale – je vous rappelle que, auparavant, les étudiants étaient déjà tous à ce stade médecins généralistes thésés –, était de former les étudiants à l’exercice de leur futur métier. Être maître de stage des universités fait partie de leur travail.

Toutefois, j’ai pris note que la commission des affaires sociales a déjà assoupli la rédaction de cette disposition. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 20.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 6.

(Larticle 6 est adopté.)

Après l’article 6

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 18, présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 632-6 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 632-6-… ainsi rédigé :

« Art. L. 632-6-…. I. – Les médecins titulaires d’un diplôme d’études spécialisées peuvent, sur demande motivée, accéder à une autre spécialité médicale par la voie d’une validation partielle des acquis de formation et d’expérience.

« II. – Cette validation partielle est accordée après examen du parcours professionnel et académique du candidat par une commission régionale d’évaluation interdisciplinaire, placée sous l’autorité conjointe du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de l’enseignement supérieur.

« III. – La commission détermine, pour chaque candidat, le complément de formation théorique et pratique nécessaire à l’obtention du nouveau diplôme d’études spécialisées, notamment lorsque celui-ci concerne la médecine générale.

« IV. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions de constitution, de fonctionnement et de compétence de la commission, les modalités de dépôt des candidatures, les critères d’évaluation des acquis, ainsi que les conditions de validation du parcours complémentaire.

« V. – Les dispositions du présent article visent à favoriser la mobilité professionnelle des médecins, à valoriser les compétences acquises dans le cadre d’une autre spécialité, et à répondre aux besoins de santé publique du territoire, notamment en matière de médecine générale. »

La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Cet amendement a pour objet de créer une passerelle entre les différentes spécialités médicales permettant aux médecins déjà titulaires d’un DES, un diplôme d’études spécialisées, de se réorienter vers une autre spécialité, en particulier vers la médecine générale, sans devoir reprendre l’intégralité du cursus de formation.

Bien sûr, je pense essentiellement aux médecins urgentistes, qui, au bout de quinze ou vingt ans d’exercice, ont envie d’autre chose, mais ont parfois du mal à se reconvertir en médecins généralistes.

À l’heure de l’hyperspécialisation des professions médicales, il apparaît nécessaire de créer des passerelles entre spécialités pour répondre à un impératif de santé publique, la pénurie de médecins généralistes compromettant l’accès aux soins dans de nombreux territoires.

Autoriser des médecins spécialistes à se réorienter contribuerait à renforcer l’offre de soins de premier recours. Ce serait une bonne chose dans leur vie professionnelle.

Certes, il existe des commissions nationales de qualification, mais on constate des inégalités très importantes entre les territoires et entre les conseils de l’Ordre départementaux.

Je l’ai constaté ces derniers jours dans deux départements voisins : l’un demande un stage de six mois, l’autre un stage de trois mois ou une simple formalité. Un cadre réglementaire permettrait une égalité sur l’ensemble du territoire et faciliterait les passerelles, lesquelles me semblent nécessaires aujourd’hui.

M. le président. L’amendement n° 19, présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’opportunité de créer pour les médecins titulaires d’un diplôme d’études spécialisées, sur demande motivée, une validation partielle des acquis de formation et d’expérience, s’ils souhaitent accéder à une autre spécialité médicale.

La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Il s’agit d’un amendement de repli, tendant à prévoir la remise d’un rapport par le Gouvernement au Parlement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Khalifé Khalifé, rapporteur. La proposition que vous formulez, chère collègue, est particulièrement intéressante. Vous avez cité les médecins urgentistes : c’est en effet le plus bel exemple que l’on puisse donner. Je crains toutefois une dérive vers d’autres spécialités, comme la chirurgie esthétique, et vers tous les actes que nous dénonçons tous aujourd’hui.

Le Sénat a travaillé à plusieurs reprises sur ce sujet. Nous butons sur un problème : les besoins en spécialistes des territoires. Je crains un peu, en dehors des cas particuliers que vous avez évoqués – les urgences et la médecine générale –, que l’adoption de votre amendement ne déstabilise d’autres spécialités. Cela étant, c’est juste une théorie.

Je rappelle qu’il a existé jusqu’en 2021 une commission nationale d’équivalence. Madame, monsieur les ministres, le dispositif qui l’a remplacé en 2023 est plus lourd, car il oblige des médecins âgés de 50 ans ou 60 ans à suivre les enseignements d’un DES, voire un nombre excessif d’heures de cours.

En ce qui concerne l’amendement n° 18, la commission s’en remettra donc à l’avis du Gouvernement.

En ce qui concerne l’amendement n° 19, la commission émet par principe un avis défavorable, car il tend à prévoir la remise d’un rapport par le Gouvernement au Parlement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Je partage complètement l’objectif de l’amendement n° 18. Cela étant, des discussions sont en cours avec le Conseil national de l’Ordre, les doyens des facultés, le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG). Et elles sont bien parties.

Alors que nous en sommes au début de l’examen de la présente proposition de loi, peut-être pouvons-nous nous donner le temps d’attendre de voir comment ces concertations évoluent.

L’enjeu est très important. D’autres spécialités sont concernées ; je pense à la passerelle entre la médecine générale et la médecine scolaire, qui rencontre des difficultés.

Je le répète, je souscris à votre objectif, madame la sénatrice, mais je n’ai pas envie que l’on perturbe les concertations qui viennent de démarrer sur le sujet.

Je vous prie donc de bien vouloir retirer vos amendements.

M. le président. Quel est donc l’avis de la commission ?

M. Khalifé Khalifé, rapporteur. Nous suivons l’avis du Gouvernement et demandons également le retrait de ces amendements.

M. le président. Madame Poumirol, les amendements nos 18 et 19 sont-ils maintenus ?

Mme Émilienne Poumirol. J’ai discuté cet après-midi même avec le président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Il m’a indiqué qu’une réunion de concertation a eu lieu sur ce sujet cet après-midi et que les choses avancent, en particulier sur l’exercice complémentaire, qui me paraît d’ailleurs être une très bonne solution.

J’ai l’air de me focaliser sur la passerelle urgentiste-médecin généraliste, mais le fait est que nous sommes très souvent confrontés à ce problème dans nos territoires.

Je retire donc mes amendements, monsieur le président.

M. le président. Les amendements nos 18 et 19 sont retirés.

Chapitre IV

Intitulé du chapitre

M. le président. L’amendement n° 26, présenté par M. Khalifé et Mme Guillotin, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi l’intitulé de cette division :

Dispositions diverses

La parole est à M. le rapporteur.

M. Khalifé Khalifé, rapporteur. Cet amendement vise à modifier le titre du chapitre IV.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 26.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’intitulé du chapitre IV est ainsi rédigé.

Avant l’article 7

M. le président. L’amendement n° 25, présenté par M. Khalifé et Mme Guillotin, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Avant l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le tableau du second alinéa du I des articles L. 685-1, L. 686-1 et L. 687-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° La trente-et-unième ligne est remplacée par quatre lignes ainsi rédigées :

« 

L. 631-1

Résultant de la loi n° … du … relative aux formations en santé

L. 632-1

Résultant de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019

L. 632-1-1 à L. 632-2-1

Résultant de la loi n° … du … relative aux formations en santé

L. 632-3

Résultant de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019

 »

2° Après la trente-sixième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :

« 

L. 633-1-1

Résultant de la loi n° … du … relative aux formations en santé

 »

3° Après la quarante-deuxième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :

« 

L. 634-2 ; L. 635-1-1

Résultant de la loi n° … du … relative aux formations en santé

 »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Khalifé Khalifé, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination légistique concernant les collectivités d’outre-mer.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 25.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l’article 7.

Article 7

Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État et les organismes de sécurité sociale de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Je souhaite simplement confirmer l’abstention, tout à fait bienveillante, de notre groupe.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l’ensemble de la proposition de loi relative aux formations en santé.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Raphaël Daubet applaudit également.)

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 21 octobre 2025 :

À quatorze heures trente et le soir :

Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à encourager, à faciliter et à sécuriser l’exercice du mandat d’élu local (texte de la commission n° 34, 2025-2026).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt et une heures vingt.)

nomination de membres dune délégation sénatoriale

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a présenté une candidature pour la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Pierre-Alain Roiron est proclamé membre de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de M. Jérôme Durain, démissionnaire.

Le groupe Union Centriste a présenté une candidature pour la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Nadia Sollogoub est proclamée membre de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, démissionnaire.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

JEAN-CYRIL MASSERON