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Prééminence des lois de la République
Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, présentée par MM. Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Hervé Marseille, Mme Muriel Jourda et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 317 [2024-2025], texte de la commission n° 28, rapport n° 27).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la proposition de loi constitutionnelle.
M. Mathieu Darnaud, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la loi constitutionnelle que j’ai l’honneur de vous présenter est une loi d’unité, de concorde et de réconciliation. Elle s’inscrit avec force dans notre tradition républicaine.
Sur notre sol, nos règles et nos principes doivent être respectés par tous, Français et étrangers, quelle que soit notre origine ou notre croyance.
M. Guy Benarroche. C’est ce que dit la Constitution !
M. Mathieu Darnaud. Contre la fragmentation de notre société, il s’agit de revenir aux sources de notre unité.
Contre les conflits de valeurs qui sapent notre cohésion et détruisent nos solidarités, il s’agit de faire prévaloir ce que nous, Français, avons en commun.
Nous ne voulons ni exclure ni stigmatiser. (M. Guy Benarroche et Mme Mélanie Vogel ironisent.) Nous voulons au contraire agir pour que chacun trouve sa place au sein de la République, dans le respect de la loi commune et par le respect de la loi commune.
En effet, en dehors du respect des règles de la société, la vie en commun devient impossible, que ce soit à l’école ou à l’université, sur les terrains de sport, dans les piscines, dans les usines, dans les bureaux, dans les commerces, au sein des services publics, dans les transports, à l’hôpital, au tribunal, dans les mairies ou dans la rue.
Nous sommes attachés au respect de chacun, dans sa différence comme dans ses croyances. Il y a là une exigence fondamentale de notre société de liberté. Toutefois, cette exigence ne peut s’appliquer qu’à la condition que ne soit jamais franchi le point limite au-delà duquel, précisément, nos libertés seraient défiées, la liberté de croyance subvertie, la laïcité remise en cause, le principe d’égalité bafoué et, partant, notre modèle de société déstabilisé.
La République française admet toutes les croyances. Elle admet aussi l’incroyance. Elle ne choisit pas à la place de l’individu dans l’exercice de sa liberté. Elle entend même qu’aucun groupe n’impose son emprise sur cette liberté.
À toutes et à tous, elle offre les moyens de dépasser l’intransigeance et la radicalité propres aux convictions absolues et aux prétentions totalitaires, afin qu’il soit possible de vivre ensemble.
Elle interdit que la règle religieuse impose des comportements contraires à la loi et à l’ensemble des règles qui en découlent.
Chacun, en France, doit avoir la garantie que sa liberté de croire ou de ne pas croire sera respectée.
L’instrument le plus efficace de cette garantie porte un nom : c’est la laïcité, cette invention française indissociable de la République.
La laïcité nous a fait définitivement sortir des guerres de religion. Elle nous a éloignés de cette confusion millénaire entre le spirituel et le temporel qui a si profondément marqué l’histoire de l’absolutisme français. Nous sommes bien placés pour mesurer le risque qu’il y aurait à y retomber.
En France, la charia ne saurait prévaloir sur le code civil.
Nous sommes les héritiers d’une longue tradition républicaine. Celle-ci prend racine dans la pensée des Lumières et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elle a progressivement émergé d’une histoire tumultueuse pour s’ancrer profondément dans nos mœurs en affirmant la souveraineté du peuple et la séparation des pouvoirs, à laquelle s’est ajoutée la séparation des églises et de l’État, en 1905, la liberté, sous toutes ses formes – liberté individuelle, de croyance, de conscience, d’opinion, d’expression –, ainsi que l’égalité entre tous, sans distinction de naissance, de race, de sexe, d’origine ou de religion.
Nous sommes aussi les héritiers d’une longue tradition nationale. Bien avant la naissance de la République, l’histoire nous avait unis. Nous étions déjà forts de nos lois, de notre culture, de notre langue, de la consolidation de notre territoire, de notre État.
Aujourd’hui encore, notre unité revêt une forme unique dans une Europe marquée par le fédéralisme et le régionalisme : il n’est en France de communauté que nationale.
Aujourd’hui, ce double héritage, français et républicain, est réuni en un seul pour former un tout indissociable : nous sommes la France républicaine autant que la République française.
Faire vivre, préserver et transmettre notre identité, notre culture, nos principes et nos valeurs est un enjeu vital pour notre Nation, car le monde est en proie à de nouveaux antagonismes ; car notre société est menacée par de multiples fragmentations, en écho aux grands conflits qui secouent la planète ; car des ferments de discorde affectent notre cohésion et notre unité nationales ; car les valeurs de liberté et d’égalité sont atteintes ; car les modes de vie auxquels nous sommes attachés sont contestés de l’intérieur.
Chaque jour, des milliers de décisions doivent être prises pour répondre à des revendications communautaristes qui se prévalent de l’observance de règles religieuses. Ces revendications se parent de l’exigence du respect de toutes les croyances pour réclamer la déclinaison des règles communes en fonction des exigences de chaque communauté.
Sont particulièrement en cause la place des femmes dans la vie familiale, professionnelle et sociale, et les multiples contraintes de comportement auxquelles elles devraient se soumettre. Ces exigences sont incompatibles avec l’égalité et la liberté.
Les revendications communautaristes se sont multipliées.
Il faudrait aménager le menu du restaurant d’entreprise ou de la cantine scolaire, modifier les horaires d’ouverture des piscines, accepter le refus de se soumettre à un contrôle policier, routier ou aéroportuaire pour des motifs religieux, ou encore réorganiser les consultations médicales…
C’est encore l’organisation du travail qu’il faudrait adapter, en tenant compte, au sein de l’entreprise ou de l’administration, de relations entre femmes et hommes soumises au refus de tout contact ou à la contestation de l’autorité de personnes du sexe opposé.
Les programmes d’enseignement et l’organisation des examens devraient, eux aussi, être modifiés.
L’expression artistique devrait, pour sa part, s’interdire toute critique ou toute remise en cause de règles de comportement inspirées par la religion.
Ce sont enfin les prescriptions vestimentaires destinées à cacher les visages qui devraient être acceptées.
Face à ces revendications, dont la liste complète serait bien plus longue, les maires et responsables de services publics municipaux, les chefs d’entreprise, les magistrats, les principaux de collège, proviseurs de lycées et enseignants, les directeurs d’hôpitaux, médecins et personnels de soins, les directeurs d’établissements culturels, d’équipements sportifs ou de centres sociaux, les responsables syndicaux ou professionnels doivent apporter chaque jour des réponses.
Ils essaient parfois, de bonne foi, de trouver un chemin de conciliation. Mais le chantage n’est jamais loin quand au respect de la règle commune est insidieusement opposé le respect de toutes les croyances.
Il appartient au pouvoir constituant de ne pas abandonner ces décideurs sans leur donner de référence claire pour l’action.
Il s’agit d’ailleurs moins de poser une règle nouvelle que de l’inscrire dans notre loi fondamentale, en nous inspirant de l’acte fondateur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par lequel furent simplement « reconnus » des droits qualifiés de « naturels » et d’« imprescriptibles ».
Nous disposons déjà du principe de l’égalité devant la loi. Le Conseil constitutionnel en a fait découler, en 2004, le principe selon lequel les conditions d’accès aux services publics ne sauraient être modulées en fonction de l’origine ou de la religion des usagers. Ce n’est pas assez !
Le combat républicain contre l’idéologie islamiste et l’obscurantisme exige plus qu’une simple jurisprudence, fût-elle celle du Conseil constitutionnel : seule l’inscription d’un principe clair dans notre Constitution peut donner un statut d’intangibilité à un principe fondamental.
De surcroît, la règle posée par la jurisprudence n’existe que pour les services publics. Or les acteurs de terrain ont besoin d’aide !
Enfin, le désarroi qui, chaque jour, s’empare de milliers de décideurs publics et privés confrontés à de telles revendications exige de la représentation nationale un soutien ferme consacré par un vote du peuple français lui-même.
Comme le prévoit l’article 89 de la Constitution pour les lois constitutionnelles adoptées à l’initiative de parlementaires, les Français devront en effet décider eux-mêmes du sort qu’ils entendront réserver à cet acte de refondation républicaine après le vote du Parlement.
Les Français pourront ainsi sceller un nouveau pacte d’unité qui marquera leur attachement renouvelé aux principes fondamentaux de notre République. Nul ne pourra, dès lors, se prévaloir de son origine ou de ses croyances pour obtenir qu’il soit dérogé en sa faveur à la règle commune.
M. Éric Kerrouche. C’est déjà le cas !
M. Mathieu Darnaud. De l’expression de cette volonté souveraine, nous saurons ensuite tirer les conséquences législatives en posant par une loi simple les règles d’application de ce nouveau principe constitutionnel.
Le texte a été déposé. Il prévoit notamment l’inscription du nouveau principe dans les règlements intérieurs des entreprises, des collectivités, des associations et des services publics afin que sa violation soit désormais assortie de sanctions sous le contrôle des tribunaux.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter massivement ce texte de responsabilité, comme vous l’aviez déjà fait pour sa première version en octobre 2020. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « le communautarisme, c’est la mort de la République », nous mettait en garde Robert Badinter. Il nous revient aujourd’hui, pour nous en prémunir, de réaffirmer notre vision commune de la République.
Telle est l’ambition de la présente proposition de loi constitutionnelle, présentée par notre ancien collègue Philippe Bas, par les présidents Mathieu Darnaud, Hervé Marseille et Muriel Jourda et par des membres des groupes Les Républicains et Union Centriste. Elle vise à donner un coup d’arrêt à la progression du communautarisme.
Ce texte reprend une disposition adoptée par le Sénat il y a cinq ans presque jour pour jour.
À l’époque, la tentative de révision de la Constitution n’avait pas prospéré, du fait du rejet du texte par l’Assemblée nationale, le Gouvernement s’étant également opposé à son adoption.
Cette proposition de loi constitutionnelle procède de deux constats.
Le premier est que le communautarisme progresse, accélérant la fragmentation de notre société.
La République et ses principes fondamentaux consacrés par l’article 1er de la Constitution – l’unicité et l’indivisibilité du peuple français, l’égalité des citoyens devant la loi et la laïcité – sont contestés de manière croissante par des mouvements et des groupes de pression.
Leur objectif est éminemment politique et subversif : il s’agit de faire prévaloir, comme le décrivait Philippe Bas, « la loi du groupe sur celle de la Nation ».
Comme l’écrivait l’année dernière le Conseil d’État dans son étude annuelle, ces phénomènes, qui « tendent à affirmer le primat de préceptes philosophiques ou religieux sur le droit institutionnel », sont « révélateurs d’une forme de contestation de la légitimité même de la loi républicaine, et donc de la souveraineté nationale ».
L’islamisme en est évidemment le premier moteur.
Le rapport sur les Frères musulmans rendu public au mois de mai dernier rappelait que le projet de ce mouvement était d’« œuvrer au long cours en vue d’obtenir progressivement des modifications des règles locales ou nationales […], au premier chef le régime juridique de la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes ».
Les musulmans – et parmi eux les femmes et les enfants – en sont, à bien des égards, les premières victimes puisqu’ils se trouvent enfermés dans une identité et un corpus de règles communautaires.
Or, je le disais, le communautarisme progresse.
Il défie la République dans tous les domaines de la vie quotidienne : services publics – école, hôpital, transports –, entreprises, associations ou encore monde sportif.
Refuser d’être soigné par un médecin de l’autre sexe, refuser de serrer la main à une femme, refuser de servir certains clients, refuser d’accomplir certaines tâches ou d’assister à des enseignements au prétexte de ses convictions religieuses, ou encore exiger des créneaux séparés dans les piscines ou les clubs de sport : les exemples de tels comportements abondent.
S’ils demeurent très minoritaires, ils le sont de moins en moins ; dans certains territoires, ils tendent à devenir une nouvelle norme.
À l’école, les enquêtes menées auprès des enseignants révèlent une pression qui s’accroît et qui les mène à éviter d’aborder certains sujets en classe, voire à s’autocensurer.
En ce qui concerne l’hôpital, le rapport Pelloux publié en 2022 faisait état d’un consensus sur des faits de radicalisation ou d’atteintes à la laïcité imputables à des agents publics, « faits quasiment inexistants avant les années 1990, et en augmentation lente mais constante ces trente dernières années ».
Le sport voit également se multiplier les dérives communautaristes et islamistes.
On ne peut à cet égard qu’inviter nos collègues députés à s’emparer de la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, que le Sénat a adoptée au mois de février de cette année.
Le même phénomène s’observe dans l’entreprise : année après année, les enquêtes menées auprès de salariés révèlent une place croissante du fait religieux dans le monde du travail.
Les revendications communautaires comme les comportements discriminatoires tendent à se multiplier.
Il est tout aussi préoccupant de constater que le regard porté sur ces comportements évolue : un nombre croissant de salariés juge acceptables les manifestations du communautarisme, y compris celles qui sont constitutives d’une discrimination illégale.
J’en viens au second constat : notre droit, mal compris et mal appliqué, laisse les acteurs de terrain – maires, chefs d’entreprise, professeurs, etc. – trop souvent démunis devant les revendications et les pratiques communautaristes.
En effet, les groupes de pression n’hésitent pas à instrumentaliser, au soutien de leurs demandes, qui la liberté de manifester ses convictions religieuses, protégée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui le principe de non-discrimination consacré par le droit européen.
Or c’est par la peur – la peur de l’incident ou des accusations de discrimination – que le communautarisme progresse, de manière insidieuse.
Peu au fait de la casuistique subtile de la jurisprudence européenne et nationale, qui tend d’ailleurs à évoluer de manière préoccupante dans le droit du travail, nombreux sont ceux qui préfèrent des accommodements, lesquels sont souvent tout sauf « raisonnables », à des contentieux pour discrimination. D’autres encore – et on ne peut que le déplorer – versent dans le clientélisme communautaire.
Jean-Éric Schoettl, conseiller d’État honoraire, faisait ainsi le constat que « les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits », y compris dans la sphère étatique.
La prise de conscience – tardive, mais réelle – de l’exécutif et sa mobilisation n’ont pas permis d’endiguer ce phénomène.
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République constitue, à cet égard, une occasion manquée.
Cette loi illustre les limites d’une approche juridique et technocratique, et d’une frénésie procédurière qui n’est en réalité qu’une manifestation d’impuissance.
Comme ont pu le dénoncer nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien, elle ne s’est traduite, hormis quelques innovations utiles, que par un alourdissement de la charge administrative pesant sur l’ensemble des associations et des cultes.
La proposition de loi constitutionnelle emprunte une autre voie, qui me paraît salutaire : celle de donner à tous nos concitoyens des repères simples et clairs, en consacrant, à l’article 1er de la Constitution, le principe selon lequel « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».
Par cette nouvelle disposition, placée au sommet de la hiérarchie des normes, le pouvoir constituant proclamerait solennellement, d’une part, l’absence de droit à l’adaptation du service ou des règles applicables à un individu ou à un groupe à raison de son origine et de ses croyances – et, partant, l’absence d’obligation, pour l’employeur comme pour la collectivité publique, de procéder à telles adaptations ; d’autre part, l’impossibilité pour toute personne d’exciper de son origine ou de ses croyances pour se soustraire au respect des règles qui régissent la vie de la Nation ou qui sont propres aux services publics ou aux entreprises.
Si le texte reprend des termes qui figurent dans des décisions du Conseil constitutionnel, il ne s’agit pas pour autant d’un simple rehaussement de sa jurisprudence.
Le texte ne limite pas l’application du principe qu’il énonce aux seules relations entre collectivités publiques et particuliers, mais l’étend aux règles et interactions collectives dans le secteur privé.
En effet, la notion de « règle commune » intègre les lois et règlements de la République, mais aussi les règlements intérieurs des services publics, des entreprises et des associations.
Lors de la précédente tentative de révision, en 2020, il avait été opposé que la référence à la « règle commune » serait imprécise et pourrait conduire à remettre en cause de certains régimes particuliers ou dérogatoires.
Cet argument est, pour reprendre les mots du professeur Anne Levade, « spécieux et juridiquement erroné ».
En effet, la notion de règle commune, déjà employée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, n’exclut aucunement l’existence de dérogations ou de régimes particuliers, à l’instar du régime des cultes en Alsace-Moselle ou dans certaines collectivités ultramarines.
Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs toujours refusé de remettre en cause ces régimes particuliers sur le fondement des principes d’égalité et de laïcité ; la disposition qu’il est proposé d’introduire à l’article 1er de la Constitution ne pourrait aucunement être interprétée comme revenant sur ce point.
Si les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle ont proposé une rédaction alternative faisant référence aux « règles applicables », la commission a jugé préférable de revenir à la notion de règle commune, qui lui a semblé mieux établie et qui ne soulève pas de réelle difficulté d’interprétation.
La référence aux « règles applicables » appelait, quant à elle, plusieurs objections ; elle pouvait en particulier donner lieu à des interprétations qui iraient à l’encontre de la volonté du constituant.
Le texte affirme une règle simple : la liberté de conscience, qu’il ne s’agit aucunement de remettre en cause, n’autorise personne à exiger un traitement à part.
Cette affirmation n’est pas purement symbolique : il s’agit de donner à tous les acteurs de terrain les moyens de faire face aux revendications communautaristes auxquelles ils sont confrontés.
Mes chers collègues, il est des moments de notre histoire où il est nécessaire de retremper la vigueur des principes fondateurs de notre pacte social.
Alors que la société est menacée de fragmentation ou d’« archipélisation », ce texte a pour objet – pour reprendre les mots de son auteur, Philippe Bas – de reformuler pour notre temps les principes qui sont au fondement de la République.
En adoptant cette proposition de loi constitutionnelle, nous souhaitons offrir au peuple français l’occasion de proclamer, par la voie du référendum, son attachement aux principes qui fondent notre République et notre pacte social.
Par conséquent, cette proposition de loi constitutionnelle est un acte politique majeur.
En l’adoptant, nous réaffirmerons notre refus du communautarisme, de la division et de l’obscurantisme, ainsi que notre attachement à la laïcité et à la République !
Pour ces raisons, la commission des lois vous propose d’adopter la proposition de loi constitutionnelle ainsi modifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver aujourd’hui !
M. Roger Karoutchi. Nous aussi !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. La petite histoire retiendra que j’aurai été, la même année, nommé trois fois garde des sceaux. C’est, me semble-t-il, un record… (Sourires.)
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. L’année n’est pas finie… (Nouveaux sourires.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il est des débats qui touchent, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, au cœur même de notre pacte national.
Il est aussi des débats où il s’agit non pas simplement de droit, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président Darnaud, mais de la manière dont nous voulons vivre la République, et finalement la France. Celui qui nous occupe est sans aucun doute de ceux-là, et le Gouvernement salue l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition de loi constitutionnelle.
En effet, au travers de ce texte, la question essentielle que vous nous posez est celle de notre appartenance commune à la République, au-delà de nos origines, de nos croyances, de nos histoires personnelles, de nos appartenances particulières, alors que notre société est en effet minée – peut-être un peu moins que les autres, mais minée quand même – par les replis individuels et communautaristes.
Depuis plus de deux siècles, notre Constitution, comme notre histoire, repose sur une idée puissante, car évidente : celle en vertu de laquelle il n’y a pas de liberté sans loi, pas de République sans règles communes, pas de Nation sans unité civique.
C’est cette exigence sans cesse désirée, mais aussi sans cesse attaquée, que la proposition de loi que vous déposez veut rappeler, dans une époque où les fractures sont identitaires et où les séparatismes de toutes sortes menacent le lien républicain.
Le Gouvernement soutiendra donc l’initiative juste et nécessaire du Sénat.
Le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’affranchir de la norme commune est déjà, il est vrai, au cœur de notre droit. Il est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ou encore à l’article 1er de la Constitution de 1958, celle du général de Gaulle, qui proclame l’égalité de tous devant la loi, sans distinction d’origine ou de religion.
Mais, nous le savons tous, comme élus locaux et comme citoyens : rappeler ce qui fonde notre unité n’est jamais superflu. Pour la République aussi, il n’y a que des preuves d’amour, et ce chantier est sans cesse ouvert à l’effort, tant il est difficile – « Que Marianne était jolie », dit la chanson, mais après cinq Républiques se pose encore la question de son unité…
En tant que ministre de l’intérieur, j’ai moi-même mesuré à quel point ce rappel devait être concret, quotidien, vivant, et j’ai pu défendre devant vous des textes qui partagent la philosophie de celui que vous proposez – je songe évidemment à la loi dite « Séparatisme », la loi confortant le respect des principes de la République, texte que le Sénat a largement soutenu, amendé et voté.
Votre proposition de loi constitutionnelle s’inscrit dans cette logique.
Initialement, elle visait, comme l’a très bien dit M. le rapporteur, à graver dans la Constitution une affirmation solennelle : aucune appartenance, aucune conviction ne peut justifier de s’exonérer de la loi applicable. Évidemment, le Gouvernement partage pleinement cette affirmation.
En commission, vous avez souhaité modifier la portée de votre texte en visant non plus « les règles applicables », mais la « règle commune ».
Cette modification n’est pas neutre – c’est plus qu’une nuance : certes, elle ouvre des pistes nouvelles de travail, mais j’appelle l’attention de la Haute Assemblée sur la nécessité d’en mesurer dès à présent les effets s’il s’agit d’empêcher partout les dérogations à la loi républicaine, alors même que le Gouvernement soutient les mesures d’adaptations locales que vous appelez par ailleurs vous-mêmes de vos vœux : nous allons au-devant de quelques difficultés…
Cette interrogation ne doit cependant pas bloquer le débat. Elle doit l’éclairer, et je ne doute pas que c’est en ce sens que la commission a souhaité orienter les discussions de ce jour. Il vous appartient donc de préciser ce qui doit l’être.
Au fond, ce que nous devons rechercher ensemble, c’est la République claire et forte, qui ne confond pas tolérance et renoncement, respect et complaisance. Cela étant, mesdames, messieurs les constituants, gare à ce que votre plume n’empêche pas l’atteinte d’objectifs que nous poursuivons par ailleurs – je pense à l’initiative locale et à d’éventuels textes sur la décentralisation ou la déconcentration.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous trouverez le Gouvernement, qui s’exprime ici par ma voix, au soutien de votre objectif et de votre exigence de clarté républicaine.
L’heure n’est sans doute plus à la complaisance ; elle est encore moins à la résignation. Et, si notre Constitution doit, par votre travail, porter plus haut encore les valeurs d’unité et de cohésion, alors le débat qui s’ouvre aujourd’hui sera digne et nécessaire. (MM. Mathieu Darnaud, Roger Karoutchi et Francis Szpiner applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi constitutionnelle visant à insérer à l’article 1er de la Constitution la mention selon laquelle « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».
À vrai dire, je ne comprends pas vraiment les règles du jeu de cette séance.
Sur la forme, d’abord, ce texte constitutionnel a été déposé par notre ancien collègue Philippe Bas, qui siège désormais au Conseil constitutionnel. Voilà une première bizarrerie.
Seconde bizarrerie : l’exposé des motifs justifie le dépôt d’un nouveau texte par les débats qui se sont tenus au Sénat et à l’Assemblée nationale en 2020, au cours desquels la notion de « règle commune » avait été jugée imprécise et fragile. Mais, en commission, le rapporteur, également signataire du texte, a finalement souhaité revenir à la rédaction initiale de 2020…
M. Guy Benarroche. Bizarre, oui !
M. Éric Kerrouche. On en perd donc le peu de latin qu’il nous reste. (M. le rapporteur s’exclame.) Premièrement, un nouveau texte est déposé alors que le précédent, rejeté à l’Assemblée nationale, aurait pu faire l’objet d’une navette. Deuxièmement, le dépôt d’un nouveau texte est justifié par des débats antérieurs, dont on ne tient finalement pas compte pour revenir à la case départ… (M. Guy Benarroche et Mme Mélanie Vogel s’esclaffent.)
Je réitère donc ma volonté de comprendre le jeu auquel nous jouons, sachant que, par ailleurs, le sujet est sérieux.
Après 2020 et 2022, nous débattons aujourd’hui des mêmes dispositions pour la troisième fois, au moyen d’un troisième texte dont les termes sont identiques à deux propositions de loi déposées à l’Assemblée nationale par Marine Le Pen en 2018 et en 2024…