M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'orateur précédent a convoqué le souvenir de Frédéric Bastiat. Je vous invite, pour ma part, à vous replonger dans vos cours d'histoire.

Souvenez-vous : à l'été 1953, un petit libraire de Saint-Céré, dans le Lot, s'offusque d'un contrôle diligenté par l'administration fiscale, laquelle considérait à l'époque que tout commerçant en zone rurale pouvait dissimuler une part importante de son chiffre d'affaires.

Vous vous souvenez tous de la suite de l'histoire : un mouvement a pris forme, sous le nom de poujadisme, exprimant le ras-le-bol fiscal et administratif de milliers de petits commerçants, d'artisans et de travailleurs indépendants.

Soixante-dix ans plus tard, si les visages et les métiers ont changé, le malaise demeure. Nos entrepreneurs, nos artisans et nos indépendants ressentent aujourd'hui la même lassitude et la même impression d'être accablés de normes, de seuils et de réformes conçus loin de leur réalité quotidienne.

Souvenons-nous aussi des mots de Raymond Aron, qui a analysé le poujadisme : « La révolte des contribuables n'est pas seulement affaire d'impôt, elle est le signe d'une société qui ne se comprend plus elle-même. »

Nous avons tous reçu des centaines de courriels d'auto-entrepreneurs. Chacun raconte la réalité de son travail et son incompréhension face à cette réforme décidée à la va-vite, sans la moindre concertation. Je ne reviendrai pas sur le scénario qui a conduit à son adoption l'année dernière, plusieurs orateurs l'ayant déjà résumé : c'était un mauvais film – espérons qu'il n'aura pas de suite…

Ce changement radical aurait conduit, dès cette année, près de 200 000 structures, dont 135 000 micro-entrepreneurs, à devenir redevables de la TVA. Les secteurs de la construction, des services à la personne, de la création artistique ou encore de l'hébergement touristique auraient été particulièrement touchés.

Cette réforme, au-delà même de modifier le seuil de la TVA, aurait aussi remis en cause un fondement du régime d'auto-entrepreneurs, à savoir la simplicité. Comment peut-on parler de simplification quand on impose la tenue de registres de TVA, la facturation et la déclaration périodique à des indépendants qui, pour beaucoup, ont choisi ce statut précisément pour échapper à ces formalités ?

Notre groupe, qui a toujours été très attaché à la stabilité fiscale et à la prévisibilité du cadre d'activité des entrepreneurs – quelle que soit la taille de leur société, je le précise –, est donc favorable à ce texte.

S'il nous paraît nécessaire de favoriser l'harmonisation et de lutter efficacement contre la fraude, cela ne peut se faire au prix de l'asphyxie de nos petits entrepreneurs indépendants.

Monsieur le ministre, vous avez raison : il faut rationaliser le statut de la micro-entreprise. Mais cela nécessite du temps, de la concertation et des études sérieuses. Et, comme vous l'avez souligné, nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen de l'article 25 du PLF pour 2026, du moins s'il existe encore au moment où le texte arrivera au Sénat, puisqu'il a été supprimé hier par la commission des finances de l'Assemblée nationale…

Surtout, mes chers collègues, au-delà de la question technique des seuils de franchise, ce débat soulève une question plus large : celle de la manière dont nous légiférons. La fiscalité des entreprises ne peut être l'objet d'ajustements improvisés, sans dialogue ni étude d'impact.

J'oserai même dire que ce principe s'applique à tous les sujets dont nous débattons dans cet hémicycle. J'espère donc, monsieur le ministre, que le Gouvernement ne déposera pas au projet de loi de finances moult amendements qui, étant donné qu'ils ne figuraient pas dans le texte initial, n'auront pas fait l'objet d'une étude d'impact.

Pour résumer, en cohérence avec nos précédentes alertes, et conformément à la position de la commission l'année dernière, qu'a notamment rappelée Jean-Baptiste Blanc, nous voterons en faveur de cette proposition de loi.

Pour conclure, je vous invite une fois encore à vous rappeler Pierre Poujade, qui, lorsqu'il excitait les foules, toujours en 1953 et à Saint-Céré, disait : « Nous ne sommes pas des rebelles, mais des contribuables exaspérés qu'on a trop longtemps ignorés. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que faut-il pour protéger notre économie et nos entrepreneurs ? De la stabilité qui génère de la confiance, de la confiance qui attire de l'investissement, de l'investissement qui crée de la croissance !

Nous nous apprêtons aujourd'hui à adopter un texte de stabilité et de protection, qui défend ceux qui osent, entreprennent et créent de la richesse dans nos territoires.

L'année dernière, pendant la discussion budgétaire, le gouvernement de Michel Barnier a introduit une réforme visant à abaisser le seuil de franchise en base de TVA à 25 000 euros. Face à l'opposition massive qu'elle a suscitée, cette réforme, proposée sans préparation ni concertation, a été suspendue jusqu'au 31 décembre de cette année.

Le projet de loi de finances pour 2026 instaure une nouvelle version de cette réforme, avec un seuil à 37 500 euros pour la majorité des activités et à 25 000 euros pour le bâtiment. Ces mesures ont été retirées du projet de budget par la commission des finances de l'Assemblée nationale cette nuit.

Cette incertitude fiscale et réglementaire est insupportable pour nos entrepreneurs. Ceux-ci ont besoin de sérénité et d'une vision à long terme pour continuer à prendre des risques, investir dans l'économie locale et créer des emplois essentiels au sein de nos territoires. En effet, derrière ces seuils techniques, il y a des femmes et des hommes, des familles et des projets de vie.

Alors que, en 2024, les Français ont créé plus de 700 000 micro-entreprises, pourquoi vouloir changer les règles quand celles-ci fonctionnent et sont plébiscitées par nos compatriotes ? Ces modifications sont d'autant plus difficiles à comprendre qu'elles auront pour conséquences d'alourdir la charge fiscale de nos entrepreneurs…

Prenons l'exemple d'un commerçant qui réalise un chiffre d'affaires annuel de 60 000 euros. Actuellement, avec un seuil à 85 000 euros, il est exonéré de TVA. Demain, avec un seuil abaissé à 37 500 euros, il devra s'acquitter de 12 000 euros au titre de la TVA, soit 20 % de ses ventes, auxquels s'ajoutent déjà les cotisations versées à l'Urssaf.

Pour ce petit commerçant, c'est un coup de massue. Pour nos artisans, c'est une menace directe sur leur modèle économique, déjà fragile. Pour nos villes et villages, c'est autant d'activités économiques qui risquent de disparaître.

Mes chers collègues, nous sommes des élus solidement ancrés dans nos territoires. Nous connaissons la réalité du terrain. Nous savons ce que représente une boulangerie, un salon de coiffure, un plombier, un électricien pour nos communes. Ces entrepreneurs sont ceux qui font vivre le centre-bourg, créent du lien social et maintiennent des services de proximité indispensables.

Depuis huit ans, nous avons défendu l'esprit d'entreprise. Nous avons baissé les charges des indépendants, réduit l'impôt sur les sociétés et facilité la création et la reprise d'entreprises. Ce combat, nous ne l'abandonnerons pas. Notre position n'a jamais varié : nous sommes le courant politique du travail et de l'entrepreneuriat, et nous le resterons.

Cette proposition de loi est simple dans sa rédaction, mais puissante dans son message : elle apporte de la stabilité et de la sécurité, en maintenant les seuils en vigueur avant le 1er mars 2025.

Proposée par notre collègue député Paul Midy, elle a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale et par la commission des finances du Sénat, avec le soutien de notre rapporteur général Jean-François Husson, que je tiens à remercier.

En inscrivant ce texte dans la niche du groupe RDPI, nous vous proposons ainsi d'examiner un texte de consensus, un texte de bon sens, un texte nécessaire. Il constitue un premier jalon avant le débat budgétaire plus large à venir : il montrera qui, parmi nous, souhaite que la charge de l'ajustement budgétaire échoie à ceux qui créent de la richesse, et qui s'y oppose. Aussi, nous affrontons avec sérénité ce débat.

Mes chers collègues, je ne conteste pas la nécessité de redresser nos comptes publics. Comme vous le savez, je suis l'un des premiers défenseurs de cette politique. Cependant, je refuse que cela se fasse aux dépens de nos compatriotes qui travaillent et qui prennent des risques, supportant seuls parfois l'effort de financement de notre modèle social.

En votant aujourd'hui ce texte conforme – j'insiste sur ce terme –, nous enverrons un signal fort à tous ces entrepreneurs en France : nous leur dirons qu'ils peuvent compter sur nous, que nous défendons la stabilité fiscale dont ils ont besoin et que nous protégeons leur modèle économique.

Face à l'instabilité qui caractérise notre époque, je vous invite, mes chers collègues, à nous mobiliser en faveur de nos entrepreneurs, qui attendent ce texte avec impatience et inquiétude. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Marie-Do Aeschlimann et M. Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rappelons-nous des raisons pour lesquelles nous nous réunissons aujourd'hui : il s'agit de revenir sur une décision injuste, prise il y a quelques mois par le gouvernement Barnier.

Pour ma part, j'invoquerai non pas Karl Marx, Frédéric Bastiat ou Pierre Poujade, mais la situation politique actuelle, à la suite de la dissolution décidée par Emmanuel Macron et les conséquences politiques qu'il en a depuis lors tirées.

Nous sommes réunis pour revenir sur une mesure prise sans concertation avec les acteurs concernés ni débat parlementaire véritable, en usant du 49.3 à l'Assemblée nationale. Cette mesure a très rapidement fait l'unanimité contre elle, mais rappelons que la majorité sénatoriale, dans sa plus grande partie, l'a votée lors de la deuxième délibération du budget Barnier ! (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'esclaffe.)

Rappelons-nous enfin que, face à la mobilisation de plusieurs milliers de micro-entrepreneurs, le Gouvernement a décidé de ne pas appliquer cette baisse de seuil de TVA, tout d'abord en la reportant, puis en la suspendant.

Comme quoi, une mesure injuste et contestée peut être suspendue, puis abrogée ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées des groupes RDPI et UC.)

Mme Annick Billon. Ne rêvez pas…

M. Rémi Féraud. Nous allons donc revenir purement et simplement sur la réforme des seuils de TVA des micro-entreprises incluse dans le projet de loi de finances de 2025, qui abaissait ce seuil d'assujettissement à 25 000 euros de chiffre d'affaires annuel, contre 37 500 euros ou 85 000 euros actuellement, selon les secteurs.

Pour cela, nous examinons une proposition de loi déposée par le bloc central visant à abroger une décision injuste prise par un gouvernement soutenu par ce même bloc central ! Le Parlement vient ainsi au secours de l'exécutif, qui, alors qu'il cherchait une nouvelle source de rendement fiscal, s'est trompé de méthode et tiré une balle dans le pied.

Le Gouvernement, qui pensait récupérer 400 millions d'euros de recettes fiscales en 2025 en faisant passer cette mesure, s'est attiré les foudres des acteurs concernés, sans jamais obtenir le consensus entre les différentes organisations professionnelles ou les groupes parlementaires, y compris pour trouver une autre solution.

La mission flash de la commission des finances du Sénat au printemps 2025 a été suivie d'une pétition qui a recueilli plus de 100 000 signatures. La commission des finances a elle-même souligné l'improvisation et l'impréparation de cette révision significative des seuils des chiffres d'affaires, ainsi que ses conséquences pour l'équilibre économique de nombreux secteurs d'activité et professions. Et je sais que la question continue à se poser, en particulier dans le domaine du bâtiment.

Pour notre part, comme tous les autres groupes, nous voterons pour ce texte.

Nous le voterons pour les micro-entrepreneurs pour qui cette mesure était à la fois punitive et incompréhensible.

Nous le voterons pour les milliers de salariés, bien souvent précaires, qui ont créé une micro-entreprise pour dégager un revenu supplémentaire.

Nous le voterons, parce qu'il abroge une décision injuste et que, fait rare, nous sommes tous d'accord pour le dire, que nous l'ayons votée ou non.

Nous reconnaissons ainsi les défauts de méthode et la précipitation qui avaient poussé le gouvernement Barnier à prendre une mesure sur laquelle nous revenons aujourd'hui.

Nous voterons ce texte conforme, par souci d'efficacité, mais ne nous trompons pas de discours : oui, monsieur le ministre, nous devons réfléchir aux effets de seuil. Mais il faut aussi prendre le temps de se pencher sérieusement sur le sujet du micro-entrepreneuriat, des écueils structurels et des effets pervers de ce modèle, trop souvent utilisé pour organiser un salariat déguisé et priver les travailleurs de droits élémentaires.

Nous voterons ce texte, mais nous sommes déterminés à imaginer une réforme ambitieuse des droits du travailleur indépendant.

Le statut d'auto-entrepreneur séduit, et cela depuis sa création il y a seize ans, grâce à sa simplicité. Mais il est parfois subi, et il comporte bien des failles – et non des moindres. Ces micro-entrepreneurs, ce sont des auxiliaires de vie, des artisans, des artistes, des enseignants ou des personnels d'entretien qui n'ont parfois pas eu d'autre choix que de se lancer dans ce modèle, sans qu'il leur assure une protection sociale efficace ni un avenir lisible. Nous continuerons à nous battre contre la précarisation de notre modèle économique et social.

Depuis 2017, notre système de fiscalité des entreprises a été endommagé, au profit des plus grandes entreprises et au détriment des plus petites. Nous le réparons ici, mais nous savons que d'autres problématiques, d'ordre social, devront aussi être résolues.

Aussi, nous voterons ce texte, mais nous proposerons prochainement, à l'occasion du PLF, des outils de régulation des activités économiques qui protègent les plus fragiles et une remise à plat de la fiscalité des entreprises autour de la progressivité et de la justice fiscale, mais aussi qui dégagent des marges de manœuvre pour le progrès social. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Barros.

M. Pierre Barros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rappelons comment tout cela a commencé : en décembre dernier, lors d'une matinée consacrée au projet de loi de finances pour 2025, que le Gouvernement a choisi de glisser un amendement pour abaisser à 25 000 euros le seuil de franchise en base de TVA.

Comment le Gouvernement a-t-il réussi cette manœuvre ? Grâce à la seconde délibération ! Souvenons-nous, cette procédure, c'est celle qui a balayé d'un revers de main l'ensemble des amendements de justice fiscale qui avaient été soutenus par les groupes de gauche et adoptés par le Sénat.

Ce rappel apparaît aujourd'hui nécessaire, mes chers collègues, au regard du contexte actuel. Espérons que de telles méthodes, qui consistent à museler le Parlement et à contourner la délibération, ne deviennent pas la norme ni, du moins, une habitude.

Cette fois, cependant, le pays ne s'y est pas trompé. En quelques jours, plus de 113 000 citoyens ont signé la pétition déposée sur le site du Sénat pour demander la suppression de cette réforme. C'est le résultat de la colère d'un monde du travail ubérisé, précarisé, mais conscient de ses droits et de l'injustice qui le frappe.

Ce sont aujourd'hui 206 000 auto-entrepreneurs et petites entreprises qui sont directement menacés par cette réforme. D'ailleurs, 44 % d'entre eux déclarent qu'ils risquent de devoir mettre la clef sous la porte.

Face à cette mobilisation, le Gouvernement a dû reculer et suspendre sa propre réforme par un tour de passe-passe via un rescrit au Bulletin officiel des finances publiques : c'est une manière habile de s'en sortir, mais quelle perte de temps et quel gâchis !

Le Gouvernement reconnaît ainsi que sa propre réforme est précipitée et mal calibrée, à défaut, bien sûr, d'avouer qu'elle est simplement injuste pour des milliers de travailleurs.

Aujourd'hui, nous sommes réunis pour examiner cette proposition de loi qui vise à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises. Il s'agit enfin d'abroger cette réforme, de la corriger et de la réparer.

Toutefois, soyons clairs : ce débat autour de la TVA est l'arbre qui cache la forêt.

En 2008, le statut de micro-entrepreneur était présenté par Nicolas Sarkozy et par Hervé Novelli comme un outil d'émancipation pour les travailleurs indépendants. En réalité, ils ont institutionnalisé la dérégulation en adossant aux micro-entreprises un « micro-statut » et une « micro-protection ». Dans les faits, ce système externalise les coûts sociaux, individualise les risques et fragilise durablement celles et ceux qu'il prétend aider.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2023, les auto-entrepreneurs affichaient un revenu moyen de 7 540 euros, et la moitié d'entre eux seulement exerçait à titre principal. Telle est la précarité à laquelle sont confrontés ces milliers de travailleurs indépendants.

Dans ce contexte, la franchise en base de TVA est une béquille administrative et fiscale. S'y attaquer sans renforcer les droits sociaux, c'est nier la réalité de ce que vivent ces professionnels.

Notre groupe l'a toujours critiqué : en 1991, en 2008 et en 2017, nous avons alerté sur cette dérive. Cette année encore, nous avons déposé une résolution pour la mise en œuvre rapide de la directive européenne relative aux travailleurs des plateformes.

Nous voulions accroître les droits de ces travailleurs, en reconnaissant la présomption de salariat et la responsabilité des plateformes vis-à-vis de ces derniers.

Cette résolution a été rejetée ici même par la majorité sénatoriale. C'est la preuve que, pour certains, mieux vaut préserver les marges des donneurs d'ordre que les droits des travailleurs…

Nous avons bien relevé, monsieur le ministre, que le gouvernement prépare déjà dans le PLF 2026 une nouvelle réforme prévoyant un seuil unique à 37 500 euros et un seuil spécifique à 25 000 euros pour le BTP. Ce signal montre que le débat est loin d'être clos.

D'ici là, le groupe CRCE-K votera, sans surprise, pour cette proposition de loi. Il ne s'agit pas d'une adhésion à ce modèle, vous l'aurez compris, mes chers collègues. Il s'agit d'acter notre solidarité avec celles et ceux pour qui cette réforme signifierait encore davantage de précarité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – MM. Rémi Féraud, Marc Laménie et Bernard Buis applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais nous n'avons été autant sollicités pour nous opposer à une réforme que lorsque les seuils de franchise de TVA pour les micro-entrepreneurs ont été modifiés. Ce régime concerne en effet 2,1 millions de toutes petites entreprises et sept créations d'entreprises sur dix.

Nous voilà donc réunis pour examiner un texte qui vise à sécuriser juridiquement, pour 2025, des acteurs privés et des structures économiques ayant subi une réforme manifestement décidée à la va-vite.

Rappelons que ce texte, proposé par le groupe macroniste de l'Assemblée nationale et soutenu ici par un groupe proche du Président de la République, vise à annuler une mesure imposée en dernière minute au Sénat par un ministre macroniste du gouvernement Barnier !

Sans doute pourrions-nous y voir une conséquence de la « macronite aiguë » qui frappe notre pays. Mais, chers collègues de la majorité sénatoriale, il serait trop simple de vous exonérer de votre propre vote ! Je ne dis pas cela seulement pour vous ennuyer : gageons que, de cette mauvaise aventure, vous tirerez deux leçons.

Premièrement, le dépôt en dernière minute d'amendements sur des missions budgétaires, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État, ne permet pas au Sénat de légiférer sérieusement ni de jouer son rôle d'alerte.

Deuxièmement, le recours à une seconde délibération, qui outrepasse la procédure parlementaire classique, brutalise le débat et n'exclut pas l'erreur ni l'instabilité juridique.

Je note toutefois l'engagement pris par la ministre Mme de Montchalin, devant la commission des finances, à ne pas présenter d'amendements du Gouvernement en cours d'examen en séance lors du prochain PLF.

Le groupe écologiste votera évidemment ce texte pour nos entrepreneurs. Cependant, nous pensons qu'il serait une erreur de rouvrir ce débat au travers d'un simple article lors de l'examen du prochain PLF.

Comme beaucoup, j'ai récemment rencontré une délégation d'auto-entrepreneurs de mon département. Ceux-ci m'ont expliqué qu'ils avaient choisi une autre manière de travailler, en organisant leur temps différemment, parfois au prix d'une rémunération plus faible. Ce choix traduit une aspiration légitime : être son propre patron et pouvoir mieux équilibrer sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Cette réflexion sur le sens du travail mérite toute notre attention.

Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer l'envers du décor de l'auto-entrepreneuriat : celui du salariat déguisé, sous la contrainte des plateformes ubérisées, qui exploitent les plus précaires et se libèrent de toutes charges. Il est d'ailleurs totalement anormal que ces salariés, qui sont totalement dépendants d'une entité privée lucrative, soient contraints de payer la TVA sur leur propre force de travail.

Il est donc urgent que la France transpose la directive européenne de 2024 relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, grâce à la présomption de salariat.

Toutefois, vous l'avez dit, monsieur le ministre, les exonérations de TVA soulèvent de réelles questions d'équité, notamment pour les artisans qui y sont assujettis. Nous avons tous été sollicités par la Fédération française du bâtiment (FFB) et par la Capeb : si elles obtiennent gain de cause lors de l'examen du PLF, le problème ne sera pas définitivement réglé pour autant.

Il faudra donc impérativement clarifier la vocation du statut : il s'agit soit d'un tremplin vers une activité pérenne, soit d'un modèle économique durable à part entière, qui ne crée ni concurrence déloyale ni détricotage des droits et des garanties collectives des salariés. Il s'agit donc d'un vrai sujet, sur lequel nous appelons le nouveau ministre du travail, spécialiste réputé du dialogue social…

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Ghislaine Senée. … à réfléchir. Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour lui souffler cette idée ! (M. Rémi Féraud applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an après, nous y revoilà !

Aujourd'hui, le Sénat se prononce sur une proposition de loi essentielle, portée par notre collègue député Paul Midy. Ce texte vise à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible à nos micro-entrepreneurs et petites entreprises, en s'opposant à l'abaissement des seuils de franchise en base de TVA, décidé par le précédent Gouvernement… et confirmé par le nouveau.

Dans les deux cas, cet abaissement n'est pas acceptable. À l'origine, c'est une logique purement budgétaire qui a guidé ce choix, avec un rendement attendu de 800 millions d'euros, dont 400 millions d'euros pour l'État. Mais derrière ces chiffres, il y a des vies et des emplois, monsieur le ministre : 135 000 microentreprises et 71 000 très petites entreprises seraient concernées, dans des secteurs variés comme le bâtiment, la réparation automobile, les services à la personne et certaines professions libérales comme les avocats et les kinésithérapeutes.

Le régime d'exonération n'est pas un privilège. C'est une respiration. Pour un micro-entrepreneur, franchir ce seuil, c'est entrer dans une autre logique, celle des déclarations complexes, des contraintes comptables renforcées et de l'obligation de facturer la TVA. Bref, c'est perdre la simplicité et la souplesse qui ont fait le succès du régime : autant de freins à l'initiative individuelle.

C'est précisément cette simplicité et cette souplesse que la présente proposition de loi veut protéger, quand le Gouvernement, lui, avait choisi d'y renoncer en imposant un seuil unique à 25 000 euros, sans réelle étude d'impact. La mission flash du Sénat et l'excellent rapport de notre collègue Jean-François Husson ont révélé l'impréparation, l'improvisation et l'incohérence de cette réforme.

On nous parle de distorsion de concurrence ; c'est une fausse justification. Le vrai moteur, c'est la recherche d'économies à tout prix. Le groupe Les Républicains du Sénat ne reprochera jamais au Gouvernement de faire des économies. Il lui reproche de les faire n'importe comment ! Car, ici, le remède serait pire que le mal : découragement, précarité, travail dissimulé.

Les micro-entrepreneurs, qui sont souvent des jeunes, des femmes ou des habitants des quartiers prioritaires, n'ont que leur savoir-faire et leur courage. Les pénaliser, c'est tuer l'esprit d'entreprise et adresser un très mauvais signal à ceux qui travaillent et prennent des risques. La proposition de Paul Midy, adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale le 17 avril dernier, rétablit la stabilité et la sécurité dont ces entrepreneurs ont besoin.

Pourtant, le spectre d'un nouvel abaissement revient dans le projet de loi de finances pour 2026. Ce qui relevait hier de l'improvisation participe aujourd'hui de l'obstination ou de la maladresse. Dans tous les cas, monsieur le ministre, c'est une mauvaise manière faite au Parlement, qui s'est déjà opposé avec force et vigueur à cette mesure.

Nous ne sommes pas opposés à une juste réforme du statut de la microentreprise. Nous ne sommes pas non plus opposés à l'harmonisation européenne, loin de là. Mais nous ne voulons pas de rustine budgétaire. Et nous ne souhaitons pas non plus porter atteinte à la stabilité et à la lisibilité du cadre fiscal applicable à ce régime.

C'est pourquoi, mes chers collègues, au nom du groupe Les Républicains, nous soutenons avec beaucoup de force et de conviction cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises
Article 2 (début)

Article 1er

(Non modifié)

I. – Au deuxième alinéa du 1 de l'article 231 du code général des impôts, la référence : « II » est remplacée par la référence : « I bis ».

II. – L'article 293 B du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le tableau du second alinéa du I est ainsi rédigé :

«

(En euros)

Année d'évaluation

Chiffre d'affaires national total

Chiffre d'affaires national afférent aux prestations de services autres que les ventes à consommer sur place et les prestations d'hébergement

Année civile précédente

85 000

37 500

Année en cours

93 500

41 250

» ;

 

2° Après le même I, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis. – A. – Les avocats, les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, les auteurs d'œuvres de l'esprit et les artistes-interprètes assujettis et établis en France bénéficient d'une franchise qui les dispense du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'ils n'ont pas réalisé en France un chiffre d'affaires, évalué dans les conditions prévues à l'article 293 D, excédant les plafonds suivants :

«

(En euros)

Année d'évaluation

Chiffre d'affaires national afférent aux opérations mentionnées au B du présent I bis

Chiffre d'affaires national afférent aux opérations autres que celles mentionnées au B du présent I bis

Année civile précédente

50 000

35 000

Année en cours

55 000

38 500

« B. – Les opérations prises en compte pour les besoins des plafonds mentionnés à la deuxième colonne du tableau du second alinéa du A du présent I bis sont les suivantes :

« 1° Les opérations réalisées par les avocats et les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, dans le cadre de l'activité définie par la réglementation applicable à leur profession ;

« 2° Les livraisons par les auteurs d'œuvres de l'esprit, à l'exception des architectes, de leurs œuvres mentionnées aux 1° à 12° de l'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle et la cession des droits patrimoniaux qui leur sont reconnus par la loi ;

« 3° Les opérations relatives à l'exploitation des droits patrimoniaux qui sont reconnus par la loi aux artistes-interprètes mentionnés à l'article L. 212-1 du même code. » ;

3° Le II est ainsi rédigé :

« II. – Lorsque l'un des plafonds de chiffre d'affaires prévus aux I ou I bis du présent article pour les opérations de l'année en cours est dépassé, la franchise cesse de s'appliquer pour les opérations intervenant à compter de la date du dépassement. »

III. – Au III de l'article 293 D du code général des impôts, après les mots : « au I », sont insérés les mots : « et au A du I bis ».

IV. – L'article 32 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 est ainsi modifié :

1° Le 1° du I est abrogé ;

2° À la fin du premier alinéa du II, les mots : « , à l'exception du 1° qui entre en vigueur le 1er janvier 2026 » sont supprimés.

V. – A. – Les I à III s'appliquent à compter du 1er mars 2025.

B. – La perte de recettes pour l'État résultant du A du présent V est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.