M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans notre hémicycle, il y a deux visions opposées de l’économie. La première tire ses hypothèses des ouvrages de Karl Marx et conclut à la nécessité d’une économie administrée par l’État. La seconde, dont j’espère qu’elle est majoritaire ici, est celle d’une économie qui s’exerce librement dans un cadre juridique permettant la juste concurrence.
Pour notre part, comme Frédéric Bastiat avant nous, nous pensons que la concurrence est la liberté et l’absence d’oppression.
Ces deux visions de l’économie ne s’affrontent heureusement en France que dans les discours, puisque nous vivons dans un pays qui essaie de respecter la liberté d’entreprendre. À cet égard, j’invite les collègues qui le déplorent ou le regrettent à comparer la réussite du dirigisme économique de la Corée du Nord aux dégâts de la liberté économique de la Corée du Sud…
Comme vous le savez, les entrepreneurs français sont écrasés par les impôts, les taxes et les contributions sociales – cette réalité est souvent rappelée –, au point que le fonctionnement normal d’une entreprise qui vient d’être créée ne peut être atteint qu’au prix de ristournes fiscales.
C’est cette pression intense des prélèvements obligatoires qui nous a conduits à créer, en 2008, un régime dérogatoire pour les micro-entreprises, que le public connaît comme étant celui des auto-entrepreneurs.
Ce régime est accompagné de mesures fiscales et sociales, dont une exemption du paiement de la TVA pour les petites entreprises dès lors qu’elles réalisent un chiffre d’affaires annuel inférieur à des seuils déterminés. Le rapporteur général et nos collègues de la commission des finances s’y sont penchés dans le cadre d’une mission flash – je le dis sous le contrôle de notre président de la commission des finances.
Sans cette exemption d’impôt, nous aurions tout simplement moins de micro-entrepreneurs et de petites entreprises, voire nous n’en aurions pas du tout. Nos collègues ont rappelé l’importance et même la nécessité de ce soutien.
Il faut donc maintenir cette exemption d’impôt. Nous pourrions même, dans un véhicule législatif différent, débattre d’une exemption pour de très nombreuses autres entreprises. Il me semble que notre économie ne s’en porterait que mieux.
Pour autant, il faut reconnaître que l’introduction du régime de micro-entrepreneur et de la franchise fiscale a également créé des distorsions de concurrence que nous pouvons regretter et qui sont la cause de ce texte. En effet, le secteur du bâtiment – celui-ci, par la voix de ses fédérations, comme la Capeb, a alerté nombre d’entre nous sur le terrain – est particulièrement touché par un phénomène qui ne s’est, heureusement, pas encore trop répandu dans les autres branches d’activités.
Dans certaines entreprises artisanales, des salariés sont appelés à démissionner de leur poste pour être réembauchés sous le régime du micro-entrepreneur. Ce commun accord entre employeur et ex-employé n’a qu’un seul objectif : profiter de la réduction d’impôts et de cotisations. C’est donc le retour des tâcherons du bâtiment, payés à l’acte, à la journée ou à la prestation et privés des amortisseurs sociaux du salariat.
C’est aussi un déséquilibre de la concurrence entre les entreprises du bâtiment qui recourent au salariat et celles qui profitent de ce salariat déguisé pour bénéficier abusivement des baisses de fiscalité offertes aux micro-entrepreneurs et aux petites entreprises.
C’est la raison pour laquelle le Parlement a maladroitement essayé de légiférer l’an dernier sur le sujet.
Mes chers collègues, mettre en péril des dizaines de milliers de micro-entrepreneurs pour assainir la concurrence dans un seul secteur n’est pas souhaitable. Il est donc nécessaire de suspendre la réforme votée lors du PLF pour 2025.
Nous aurons l’occasion de débattre, dans un autre véhicule législatif, du dispositif qui nous est présenté par le Gouvernement pour lutter contre le déséquilibre concurrentiel dont souffre le secteur de la construction.
Il est notamment proposé un taux différencié pour le bâtiment. Si ce dispositif vise simplement à rétablir la juste concurrence au service de la liberté économique, il aura notre soutien. Mais si son objectif est seulement de créer une nouvelle ressource fiscale, alors nous ne pourrons nous y associer.
La présente proposition de loi a pour objet de rétablir le droit commun : les sénateurs du groupe Les Indépendants la voteront. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’orateur précédent a convoqué le souvenir de Frédéric Bastiat. Je vous invite, pour ma part, à vous replonger dans vos cours d’histoire.
Souvenez-vous : à l’été 1953, un petit libraire de Saint-Céré, dans le Lot, s’offusque d’un contrôle diligenté par l’administration fiscale, laquelle considérait à l’époque que tout commerçant en zone rurale pouvait dissimuler une part importante de son chiffre d’affaires.
Vous vous souvenez tous de la suite de l’histoire : un mouvement a pris forme, sous le nom de poujadisme, exprimant le ras-le-bol fiscal et administratif de milliers de petits commerçants, d’artisans et de travailleurs indépendants.
Soixante-dix ans plus tard, si les visages et les métiers ont changé, le malaise demeure. Nos entrepreneurs, nos artisans et nos indépendants ressentent aujourd’hui la même lassitude et la même impression d’être accablés de normes, de seuils et de réformes conçus loin de leur réalité quotidienne.
Souvenons-nous aussi des mots de Raymond Aron, qui a analysé le poujadisme : « La révolte des contribuables n’est pas seulement affaire d’impôt, elle est le signe d’une société qui ne se comprend plus elle-même. »
Nous avons tous reçu des centaines de courriels d’auto-entrepreneurs. Chacun raconte la réalité de son travail et son incompréhension face à cette réforme décidée à la va-vite, sans la moindre concertation. Je ne reviendrai pas sur le scénario qui a conduit à son adoption l’année dernière, plusieurs orateurs l’ayant déjà résumé : c’était un mauvais film – espérons qu’il n’aura pas de suite…
Ce changement radical aurait conduit, dès cette année, près de 200 000 structures, dont 135 000 micro-entrepreneurs, à devenir redevables de la TVA. Les secteurs de la construction, des services à la personne, de la création artistique ou encore de l’hébergement touristique auraient été particulièrement touchés.
Cette réforme, au-delà même de modifier le seuil de la TVA, aurait aussi remis en cause un fondement du régime d’auto-entrepreneurs, à savoir la simplicité. Comment peut-on parler de simplification quand on impose la tenue de registres de TVA, la facturation et la déclaration périodique à des indépendants qui, pour beaucoup, ont choisi ce statut précisément pour échapper à ces formalités ?
Notre groupe, qui a toujours été très attaché à la stabilité fiscale et à la prévisibilité du cadre d’activité des entrepreneurs – quelle que soit la taille de leur société, je le précise –, est donc favorable à ce texte.
S’il nous paraît nécessaire de favoriser l’harmonisation et de lutter efficacement contre la fraude, cela ne peut se faire au prix de l’asphyxie de nos petits entrepreneurs indépendants.
Monsieur le ministre, vous avez raison : il faut rationaliser le statut de la micro-entreprise. Mais cela nécessite du temps, de la concertation et des études sérieuses. Et, comme vous l’avez souligné, nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen de l’article 25 du PLF pour 2026, du moins s’il existe encore au moment où le texte arrivera au Sénat, puisqu’il a été supprimé hier par la commission des finances de l’Assemblée nationale…
Surtout, mes chers collègues, au-delà de la question technique des seuils de franchise, ce débat soulève une question plus large : celle de la manière dont nous légiférons. La fiscalité des entreprises ne peut être l’objet d’ajustements improvisés, sans dialogue ni étude d’impact.
J’oserai même dire que ce principe s’applique à tous les sujets dont nous débattons dans cet hémicycle. J’espère donc, monsieur le ministre, que le Gouvernement ne déposera pas sur le projet de loi de finances moult amendements qui, étant donné qu’ils ne figuraient pas dans le texte initial, n’auront pas fait l’objet d’une étude d’impact.
Pour résumer, en cohérence avec nos précédentes alertes et conformément à la position de la commission l’année dernière, qu’a notamment rappelée Jean-Baptiste Blanc, nous voterons en faveur de cette proposition de loi.
Pour conclure, je vous invite une fois encore à vous rappeler Pierre Poujade déclarant, lorsqu’il excitait les foules, toujours en 1953 et à Saint-Céré : « Nous ne sommes pas des rebelles, mais des contribuables exaspérés qu’on a trop longtemps ignorés. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que faut-il pour protéger notre économie et nos entrepreneurs ? De la stabilité qui génère de la confiance, de la confiance qui attire de l’investissement, de l’investissement qui crée de la croissance.
Nous nous apprêtons aujourd’hui à adopter un texte de stabilité et de protection, qui défend ceux qui osent, entreprennent et créent de la richesse dans nos territoires.
L’année dernière, pendant la discussion budgétaire, le gouvernement de Michel Barnier a introduit une réforme visant à abaisser le seuil de franchise en base de TVA à 25 000 euros. Face à l’opposition massive qu’elle a suscitée, cette réforme, proposée sans préparation ni concertation, a été suspendue jusqu’au 31 décembre de cette année.
Le projet de loi de finances pour 2026 instaure une nouvelle version de cette réforme, avec un seuil à 37 500 euros pour la majorité des activités et à 25 000 euros pour le bâtiment. Ces mesures ont été retirées du projet de budget par la commission des finances de l’Assemblée nationale cette nuit.
Cette incertitude fiscale et réglementaire est insupportable pour nos entrepreneurs. Ceux-ci ont besoin de sérénité et d’une vision à long terme pour continuer à prendre des risques, à investir dans l’économie locale et à créer des emplois essentiels au sein de nos territoires. En effet, derrière ces seuils techniques, il y a des femmes et des hommes, des familles et des projets de vie.
Alors que, en 2024, les Français ont créé plus de 700 000 micro-entreprises, pourquoi vouloir changer les règles quand celles-ci fonctionnent et sont plébiscitées par nos compatriotes ? Ces modifications sont d’autant plus difficiles à comprendre qu’elles auront pour conséquences d’alourdir la charge fiscale de nos entrepreneurs.
Prenons l’exemple d’un commerçant qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 60 000 euros. Actuellement, avec un seuil à 85 000 euros, il est exonéré de TVA. Demain, avec un seuil abaissé à 37 500 euros, il devra s’acquitter de 12 000 euros au titre de la TVA, soit 20 % de ses ventes, auxquels s’ajoutent déjà les cotisations versées à l’Urssaf.
Pour ce petit commerçant, c’est un coup de massue. Pour nos artisans, c’est une menace directe sur leur modèle économique, déjà fragile. Pour nos villes et villages, c’est autant d’activités économiques qui risquent de disparaître.
Mes chers collègues, nous sommes des élus solidement ancrés dans nos territoires. Nous connaissons la réalité du terrain. Nous savons ce que représente une boulangerie, un salon de coiffure, un plombier, un électricien pour nos communes. Ces entrepreneurs sont ceux qui font vivre le centre-bourg, créent du lien social et maintiennent des services de proximité indispensables.
Depuis huit ans, nous avons défendu l’esprit d’entreprise. Nous avons baissé les charges des indépendants, réduit l’impôt sur les sociétés et facilité la création et la reprise d’entreprises. Ce combat, nous ne l’abandonnerons pas. Notre position n’a jamais varié : nous sommes le courant politique du travail et de l’entrepreneuriat et nous le resterons.
Cette proposition de loi est simple dans sa rédaction, mais puissante dans son message : elle apporte de la stabilité et de la sécurité, en maintenant les seuils en vigueur avant le 1er mars 2025.
Proposée par notre collègue député Paul Midy, elle a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale et par la commission des finances du Sénat, avec le soutien de notre rapporteur général Jean-François Husson, que je tiens à remercier.
En inscrivant ce texte dans la niche du groupe RDPI, nous vous proposons ainsi d’examiner un texte de consensus, un texte de bon sens, un texte nécessaire. Il constitue un premier jalon avant le débat budgétaire plus large à venir : il montrera qui, parmi nous, souhaite que la charge de l’ajustement budgétaire échoie à ceux qui créent de la richesse, et qui s’y oppose. Aussi, nous affrontons avec sérénité ce débat.
Mes chers collègues, je ne conteste pas la nécessité de redresser nos comptes publics. Comme vous le savez, je suis l’un des premiers défenseurs de cette politique. Cependant, je refuse que cela se fasse aux dépens de nos compatriotes qui travaillent et qui prennent des risques, supportant seuls parfois l’effort de financement de notre modèle social.
En votant aujourd’hui ce texte conforme – j’insiste sur ce terme –, nous enverrons un signal fort à tous ces entrepreneurs en France : nous leur dirons qu’ils peuvent compter sur nous, que nous défendons la stabilité fiscale dont ils ont besoin et que nous protégeons leur modèle économique.
Face à l’instabilité qui caractérise notre époque, je vous invite, mes chers collègues, à nous mobiliser en faveur de nos entrepreneurs, qui attendent ce texte avec impatience et inquiétude. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Marie-Do Aeschlimann et M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rappelons-nous les raisons pour lesquelles nous nous réunissons aujourd’hui : il s’agit de revenir sur une décision injuste, prise il y a quelques mois par le gouvernement Barnier.
Pour ma part, j’invoquerai non pas Karl Marx, Frédéric Bastiat ou Pierre Poujade, mais la situation politique actuelle, à la suite de la dissolution décidée par Emmanuel Macron et les conséquences politiques qu’il en a depuis lors tirées.
Nous sommes réunis pour revenir sur une mesure prise sans concertation avec les acteurs concernés ni débat parlementaire véritable, en usant du 49.3 à l’Assemblée nationale. Cette mesure a très rapidement fait l’unanimité contre elle, mais rappelons que la majorité sénatoriale, dans sa plus grande partie, l’a votée lors de la deuxième délibération du budget Barnier. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s’esclaffe.)
Rappelons-nous enfin que, face à la mobilisation de plusieurs milliers de micro-entrepreneurs, le Gouvernement a décidé de ne pas appliquer cette baisse de seuil de TVA, tout d’abord en la reportant, puis en la suspendant.
Comme quoi, une mesure injuste et contestée peut être suspendue, puis abrogée ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées des groupes RDPI et UC.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Bravo !
Mme Colombe Brossel. Excellent !
Mme Annick Billon. Ne rêvez pas…
M. Rémi Féraud. Nous allons donc revenir purement et simplement sur la réforme des seuils de TVA des micro-entreprises incluse dans le projet de loi de finances de 2025, qui abaissait ce seuil d’assujettissement à 25 000 euros de chiffre d’affaires annuel, contre 37 500 euros ou 85 000 euros actuellement, selon les secteurs.
Pour cela, nous examinons une proposition de loi déposée par le bloc central visant à abroger une décision injuste prise par un gouvernement soutenu par ce même bloc central… Le Parlement vient ainsi au secours de l’exécutif, qui, alors qu’il cherchait une nouvelle source de rendement fiscal, s’est trompé de méthode et tiré une balle dans le pied.
Le Gouvernement, qui pensait récupérer 400 millions d’euros de recettes fiscales en 2025 en faisant passer cette mesure, s’est attiré les foudres des acteurs concernés, sans jamais obtenir le consensus entre les différentes organisations professionnelles ou les groupes parlementaires, y compris pour trouver une autre solution.
La mission flash de la commission des finances du Sénat au printemps 2025 a été suivie d’une pétition qui a recueilli plus de 100 000 signatures. La commission des finances a elle-même souligné l’improvisation et l’impréparation de cette révision significative des seuils des chiffres d’affaires, ainsi que ses conséquences pour l’équilibre économique de nombreux secteurs d’activité et professions. Et je sais que la question continue de se poser, en particulier dans le domaine du bâtiment.
Pour notre part, comme tous les autres groupes, nous voterons pour ce texte.
Nous le voterons pour les micro-entrepreneurs pour qui cette mesure était à la fois punitive et incompréhensible.
Nous le voterons pour les milliers de salariés, bien souvent précaires, qui ont créé une micro-entreprise pour dégager un revenu supplémentaire.
Nous le voterons, parce qu’il abroge une décision injuste et que, fait rare, nous sommes tous d’accord pour le dire, que nous l’ayons votée ou non.
Nous reconnaissons ainsi les défauts de méthode et la précipitation qui avaient poussé le gouvernement Barnier à prendre une mesure sur laquelle nous revenons aujourd’hui.
Nous voterons ce texte conforme, par souci d’efficacité, mais ne nous trompons pas de discours : oui, monsieur le ministre, nous devons réfléchir aux effets de seuil. Mais il faut aussi prendre le temps de se pencher sérieusement sur le sujet du micro-entrepreneuriat, des écueils structurels et des effets pervers de ce modèle, trop souvent utilisé pour organiser un salariat déguisé et priver les travailleurs de droits élémentaires.
Nous voterons ce texte, mais nous sommes déterminés à imaginer une réforme ambitieuse des droits du travailleur indépendant.
Le statut d’auto-entrepreneur séduit, et cela depuis sa création il y a seize ans, grâce à sa simplicité. Mais il est parfois subi et il comporte bien des failles – et non des moindres. Ces micro-entrepreneurs, ce sont des auxiliaires de vie, des artisans, des artistes, des enseignants ou des personnels d’entretien qui n’ont parfois pas eu d’autre choix que de se lancer dans ce modèle, sans qu’il leur assure une protection sociale efficace ni un avenir lisible. Nous continuerons à nous battre contre la précarisation de notre modèle économique et social.
Depuis 2017, notre système de fiscalité des entreprises a été endommagé, au profit des plus grandes entreprises et au détriment des plus petites. Nous le réparons ici, mais nous savons que d’autres problématiques, d’ordre social, devront aussi être résolues.
Aussi, nous voterons ce texte, mais nous proposerons prochainement, à l’occasion du PLF, des outils de régulation des activités économiques qui protègent les plus fragiles et une remise à plat de la fiscalité des entreprises autour de la progressivité et de la justice fiscale, mais aussi qui dégagent des marges de manœuvre pour le progrès social. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Barros.
M. Pierre Barros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rappelons comment tout cela a commencé : en décembre dernier, lors d’une matinée consacrée au projet de loi de finances pour 2025, le Gouvernement a choisi de glisser un amendement pour abaisser à 25 000 euros le seuil de franchise en base de TVA.
Comment le Gouvernement a-t-il réussi cette manœuvre ? Grâce à la seconde délibération. Souvenons-nous, cette procédure, c’est celle qui a balayé d’un revers de main l’ensemble des amendements de justice fiscale qui avaient été soutenus par les groupes de gauche et adoptés par le Sénat.
Ce rappel apparaît aujourd’hui nécessaire, mes chers collègues, au regard du contexte actuel. Espérons que de telles méthodes, qui consistent à museler le Parlement et à contourner la délibération, ne deviennent pas la norme ni une habitude.
Cette fois, cependant, le pays ne s’y est pas trompé. En quelques jours, plus de 113 000 citoyens ont signé la pétition déposée sur le site du Sénat pour demander la suppression de cette réforme. C’est le résultat de la colère d’un monde du travail ubérisé, précarisé, mais conscient de ses droits et de l’injustice qui le frappe.
Ce sont aujourd’hui 206 000 auto-entrepreneurs et petites entreprises qui sont directement menacés par cette réforme. D’ailleurs, 44 % d’entre eux déclarent qu’ils risquent de devoir mettre la clé sous la porte.
Face à cette mobilisation, le Gouvernement a dû reculer et suspendre sa propre réforme par un tour de passe-passe via un rescrit au Bulletin officiel des finances publiques : c’est une manière habile de s’en sortir, mais quelle perte de temps et quel gâchis !
Le Gouvernement reconnaît ainsi que sa propre réforme est précipitée et mal calibrée, à défaut, bien sûr, d’avouer qu’elle est simplement injuste pour des milliers de travailleurs.
Aujourd’hui, nous sommes réunis pour examiner cette proposition de loi qui vise à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises. Il s’agit enfin d’abroger cette réforme, de la corriger et de la réparer.
Toutefois, soyons clairs : ce débat autour de la TVA est l’arbre qui cache la forêt.
En 2008, le statut de micro-entrepreneur était présenté par Nicolas Sarkozy et par Hervé Novelli comme un outil d’émancipation pour les travailleurs indépendants. En réalité, ils ont institutionnalisé la dérégulation en adossant aux micro-entreprises un « micro-statut » et une « micro-protection ». Dans les faits, ce système externalise les coûts sociaux, individualise les risques et fragilise durablement celles et ceux qu’il prétend aider.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2023, les auto-entrepreneurs affichaient un revenu moyen de 7 540 euros et la moitié d’entre eux seulement exerçait à titre principal. Telle est la précarité à laquelle sont confrontés ces milliers de travailleurs indépendants.
Dans ce contexte, la franchise en base de TVA est une béquille administrative et fiscale. S’y attaquer sans renforcer les droits sociaux, c’est nier la réalité de ce que vivent ces professionnels.
Notre groupe l’a toujours critiqué : en 1991, en 2008 et en 2017, nous avons alerté sur cette dérive. Cette année encore, nous avons déposé une résolution pour la mise en œuvre rapide de la directive européenne relative aux travailleurs des plateformes.
Nous voulions accroître les droits de ces travailleurs, en reconnaissant la présomption de salariat et la responsabilité des plateformes vis-à-vis de ces derniers.
Cette résolution a été rejetée ici même par la majorité sénatoriale. C’est la preuve que, pour certains, mieux vaut préserver les marges des donneurs d’ordre que les droits des travailleurs…
Nous avons bien relevé, monsieur le ministre, que le gouvernement prépare déjà dans le PLF 2026 une nouvelle réforme prévoyant un seuil unique à 37 500 euros et un seuil spécifique à 25 000 euros pour le BTP. Ce signal montre que le débat est loin d’être clos.
D’ici là, le groupe CRCE-K votera, sans surprise, pour cette proposition de loi. Il ne s’agit pas d’une adhésion à ce modèle, vous l’aurez compris, mes chers collègues. Il s’agit d’acter notre solidarité avec celles et ceux pour qui cette réforme signifierait encore davantage de précarité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – MM. Rémi Féraud, Marc Laménie et Bernard Buis applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.
Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais nous n’avons été autant sollicités pour nous opposer à une réforme que lorsque les seuils de franchise de TVA pour les micro-entrepreneurs ont été modifiés. Ce régime concerne en effet 2,1 millions de toutes petites entreprises et sept créations d’entreprises sur dix.
Nous voilà donc réunis pour examiner un texte qui vise à sécuriser juridiquement, pour 2025, des acteurs privés et des structures économiques ayant subi une réforme manifestement décidée à la va-vite.
Rappelons que ce texte, proposé par le groupe macroniste de l’Assemblée nationale et soutenu ici par un groupe proche du Président de la République, vise à annuler une mesure imposée en dernière minute au Sénat par un ministre macroniste du gouvernement Barnier…
Sans doute pourrions-nous y voir une conséquence de la « macronite aiguë » qui frappe notre pays. Mais, chers collègues de la majorité sénatoriale, il serait trop simple de vous exonérer de votre propre vote. Je ne dis pas cela seulement pour vous ennuyer : gageons que, de cette mauvaise aventure, vous tirerez deux leçons.
Premièrement, le dépôt en dernière minute d’amendements sur des missions budgétaires, sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État, ne permet pas au Sénat de légiférer sérieusement ni de jouer son rôle d’alerte.
Deuxièmement, le recours à une seconde délibération, qui outrepasse la procédure parlementaire classique, brutalise le débat et n’exclut pas l’erreur ni l’instabilité juridique.
Je note toutefois l’engagement pris par la ministre Mme de Montchalin, devant la commission des finances, à ne pas présenter d’amendements du Gouvernement en cours d’examen en séance lors du prochain PLF.
Le groupe écologiste votera évidemment ce texte pour nos entrepreneurs. Cependant, nous pensons qu’il serait une erreur de rouvrir ce débat au travers d’un simple article lors de l’examen du prochain PLF.
Comme beaucoup, j’ai récemment rencontré une délégation d’auto-entrepreneurs de mon département. Ceux-ci m’ont expliqué qu’ils avaient choisi une autre manière de travailler, en organisant leur temps différemment, parfois au prix d’une rémunération plus faible. Ce choix traduit une aspiration légitime : être son propre patron et pouvoir mieux équilibrer sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Cette réflexion sur le sens du travail mérite toute notre attention.
Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer l’envers du décor de l’auto-entrepreneuriat : celui du salariat déguisé, sous la contrainte des plateformes ubérisées, qui exploitent les plus précaires et se libèrent de toutes charges. Il est d’ailleurs absolument anormal que ces salariés, qui sont totalement dépendants d’une entité privée lucrative, soient contraints de payer la TVA sur leur propre force de travail.
Il est donc urgent que la France transpose la directive européenne de 2024 relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, grâce à la présomption de salariat.
Toutefois, vous l’avez dit, monsieur le ministre, les exonérations de TVA soulèvent de réelles questions d’équité, notamment pour les artisans qui y sont assujettis. Nous avons tous été sollicités par la Fédération française du bâtiment et par la Capeb : si elles obtiennent gain de cause lors de l’examen du PLF, le problème ne sera pas définitivement réglé pour autant.
Il faudra donc impérativement clarifier la vocation du statut : il s’agit soit d’un tremplin vers une activité pérenne, soit d’un modèle économique durable à part entière, qui ne crée ni concurrence déloyale ni détricotage des droits et des garanties collectives des salariés. Il s’agit donc d’un vrai sujet, sur lequel nous appelons le nouveau ministre du travail, spécialiste réputé du dialogue social…