M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour commencer, je commencerai mon propos en égrainant quelques chiffres illustrant les écarts de prix constatés sur les produits alimentaires entre l’Hexagone et les départements ultramarins : 37 % avec La Réunion ; 40 % avec la Martinique ; jusqu’à 42 % avec la Guadeloupe.

C’est considérable ! Ces écarts concernent non seulement des produits du quotidien, comme les yaourts, le riz ou les tomates, mais aussi les services, affectant d’autant plus le pouvoir d’achat. Vous devez également savoir que les habitants des Drom, soit 3 % de la population française, représentent 24 % des personnes en situation de grande pauvreté.

Il est bien évident que la situation d’insularité, et parfois de double insularité, de ces territoires, l’étroitesse des marchés, l’impossibilité de tout produire localement, les situations d’oligopole et l’éloignement géographique de l’Hexagone renforcent les écarts de prix. Pour autant, si l’on ne peut supprimer de tels écarts, il est possible de les réduire.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui n’est pas le premier sur le sujet. Nous avons déjà voté, en 2009, la loi pour le développement économique des outre-mer, en 2012, la loi Lurel, ou encore, en 2017, la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer. Ces lois ont mis en place différentes mesures visant à rendre plus accessibles les produits de première nécessité, à renforcer la concurrence dans ces territoires ou encore à dynamiser l’économie locale. Bien que certaines de ces mesures aient été efficaces, elles ont produit des résultats insuffisants, puisque les écarts de prix continuent de s’aggraver.

Ce problème des prix a toujours fait partie de nos travaux. Rien que cette année, nous avons voté une loi sur l’encadrement des loyers et avons été saisis d’une proposition de loi sur la vie chère en outre-mer. La délégation aux outre-mer du Sénat a produit, au printemps, un rapport très complet sur le sujet en abordant la question de la vie chère dans les outre-mer dans sa transversalité. Comme le souligne ce rapport, s’il n’existe aucune solution miracle, un « plan d’action global et structurel » est possible et nécessaire.

Le projet de loi qui nous est soumis cet après-midi n’est donc pas le premier – hélas, il ne sera pas le dernier – et nous regrettons qu’il ne soit pas plus ambitieux. Sur un sujet comme celui-ci, il nous semble que la question de la promotion et de l’intégration commerciale de ces territoires dans leur environnement régional aurait dû être abordée, alors que 60 % des biens de consommation proviennent encore de France hexagonale.

Nous sommes également convaincus que le projet de loi aurait gagné à traiter de l’octroi de mer, cette taxe incomprise et critiquée qui pourrait être un levier pour développer la production locale.

Enfin, comme nous avons souvent l’occasion de le dire, la mesure sociale la plus efficace, c’est le travail. Aussi, le thème de l’insertion professionnelle nous paraît central. Lutter contre le chômage systémique, c’est aussi lutter contre la vie chère. Nous regrettons que le texte ne prévoie rien à cet égard.

Ce texte contient néanmoins plusieurs mesures qui auront certainement, nous l’espérons, des effets bénéfiques. Par exemple, le bouclier qui permet de garantir un meilleur rapport qualité-prix sur une liste de produits de grande consommation sera étendu aux services. La possibilité pour les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) de saisir le préfet en cas de variation excessive, complétée en commission par la possibilité de saisir aussi la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), apparaît comme un pouvoir supplémentaire indispensable pour mener à bien ces missions.

Renforcer la transparence des prix dans le secteur de la grande distribution est essentiel, car il y a une vraie opacité sur les marges avant et arrière sur les produits – pas seulement dans les outre-mer ! Les entreprises devront désormais transmettre des informations sur ces marges.

Pour dynamiser la concurrence, le texte abaisse la proportion de parts de marché que peut détenir une entreprise sans entraîner de contrôle des commissions départementales d’aménagement commercial, les fameuses CDAC. Bien sûr, ce type de contrôle devra se faire avec bon sens. Dans certaines zones rurales, il est évident qu’une petite surface qui viendrait s’implanter là où il n’y a aucun commerce récupérerait immédiatement une part de marché importante.

La composition de l’Autorité de la concurrence sera élargie à deux membres experts sur les outre-mer. Si cela peut paraître anecdotique, c’est une mesure de bon sens qui pourrait produire ses effets.

Enfin, pour soutenir le tissu économique ultramarin, le texte prévoit de permettre aux acheteurs publics de réserver jusqu’à 20 % de leurs marchés à des microentreprises – PME, TPE ou artisans locaux.

Si ce projet de loi ne permet pas de régler tous les problèmes de la vie chère en outre-mer, les mesures qu’il contient représentent néanmoins des avancées que nous soutiendrons.

M. le président. La parole est à Mme Viviane Malet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Viviane Malet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est peu dire que le projet de loi dont nous commençons la discussion aujourd’hui était attendu dans les outre-mer.

Depuis 2009, il y a eu pas moins de trois vagues de manifestations populaires contre la vie chère, aux Antilles comme à La Réunion.

Durant cette période, trois lois ont été adoptées afin de durcir un arsenal législatif déjà pourtant bien fourni au niveau national : la Lodéom en 2009, la loi de régulation économique en 2012 et la loi relative à l’égalité réelle en 2017. Ces lois n’ont, hélas ! pas suffi à changer fondamentalement la situation et le quotidien de plus en plus difficile des Ultramarins. Il est ainsi précisé dans l’exposé des motifs que « les écarts de prix vis-à-vis de l’Hexagone atteignent jusqu’à 16 % sur les prix à la consommation en général et parfois plus de 40 % sur les denrées alimentaires ».

Il est intéressant de constater que l’essentiel de l’explication de cet écart, selon les études, tiendrait non pas à la distance, mais aux pratiques commerciales.

Dans son avis du 4 juillet 2019, l’Autorité de la concurrence estime que « les coûts de transport maritime représentent une part limitée du coût d’achat des produits importés : moins de 5 % en moyenne ».

Le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui va dans le bon sens, mais il nécessite bien des mesures complémentaires.

Il est à déplorer qu’il n’y ait aucune disposition sur le développement économique, le coût du travail, le chômage, la charge que représente le coût de la construction. C’est pourtant grâce à cela que nos habitants percevront réellement un changement dans leur vie quotidienne.

Si les mesures favorisant la concurrence sont à saluer, il faudrait également améliorer le bouclier qualité prix. Créé en 2012, celui-ci a plutôt bien fonctionné, mais il doit désormais passer à un stade supérieur afin de mieux garantir aux habitants de nos territoires un approvisionnement à bon prix en biens de consommation et de première nécessité de toute nature, mais également en services correspondant aux habitudes modernes de consommation courante.

Il s’agirait non seulement d’ouvrir ce BQP à d’autres biens et services, mais aussi de l’imposer à une part minimale du chiffre d’affaires de la grande distribution en produits alimentaires.

Depuis quelques années, les gouvernements successifs ont engagé une réflexion sur la diversification du BQP, en y ajoutant, selon les territoires, quelques produits de téléphonie, de prestations automobiles ou d’outillage, mais ces avancées ne sont pas significatives, car elles concernent trop peu de produits.

Ouvrir le BQP n’est pas seulement une nécessité pour la baisse des prix. Inclure l’outillage et les matériaux de construction, d’étanchéité et d’électricité dans le panier inciterait nos habitants à mieux protéger leurs domiciles durant les périodes cycloniques et à gagner en résistance face à ces aléas climatiques.

Je proposerai dans un amendement, pour La Réunion et à titre expérimental, un échéancier d’intégration de divers produits qui doivent, à terme, faire partie de ce BQP moderne : équipements électroménagers et informatiques, offres d’abonnement multimédia, outillage et matériaux de construction, dont le ciment, vente de véhicules neufs ou d’occasion et, enfin, l’eau, l’énergie et les transports.

Par ailleurs, les produits du bouclier qualité prix ne doivent plus être les parents pauvres des linéaires de la grande distribution. Il faut notamment améliorer leur visibilité dans les magasins.

En 2019, l’Autorité de la concurrence notait que le pourcentage moyen du chiffre d’affaires des produits du BQP représentait, selon les années, une part comprise entre 3,5 % et 4,9 % dans l’activité totale des distributeurs et que cette part était en décroissance.

Je proposerai donc que la loi instaure à La Réunion, là aussi à titre expérimental, selon un échéancier, et pour la liste alimentaire uniquement, car ce sont les produits les plus touchés par le surcoût, un pourcentage minimal du BQP à l’intérieur du chiffre d’affaires des entreprises de distribution.

Enfin, la loi pourrait imposer une part minimale de produits alimentaires locaux. Faire baisser immédiatement les prix pour nos compatriotes ne passe pas que par le BQP. Cela peut passer aussi par la promotion des produits locaux alimentaires au sein des linéaires de la grande distribution, sachant que ces produits supportent peu de frais de transport.

En 2012 a été adoptée une disposition législative instaurant une part minimale de surface de vente de produits locaux dans la grande distribution. Cet article est resté depuis treize ans lettre morte, faute de décret d’application. Pourtant, cette mesure aurait des impacts énormes pour nos économies, que ce soit sur la baisse des prix ou l’encouragement à l’autonomie alimentaire. Elle permettrait aussi d’aider nos agriculteurs, eux qui ont été durement touchés ces derniers temps par les aléas climatiques.

En conclusion, madame la ministre, je vous demande d’œuvrer avec nous, parlementaires, pour que ce projet de loi puisse être compris par la population et qu’il n’apparaisse pas comme un catalogue de mesures, certes de bon sens, mais de nature administrative et sans effet immédiat.

Nous espérons une écoute attentive de la part du Gouvernement sur nos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger et M. Stéphane Fouassin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite d’abord remercier nos collègues Micheline Jacques et Frédéric Buval, rapporteurs de ce projet de loi, pour leur investissement et la clarté de leur travail préparatoire. La vie chère n’est pas un sujet nouveau dans nos territoires ultramarins. Elle a un nom, un visage, une histoire. Depuis 2009, elle constitue une constante de toutes nos crispations.

C’était vrai hier en Guadeloupe, avec le mouvement du Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP), ou collectif contre l’exploitation outrancière ; c’est encore vrai aujourd’hui dans l’ensemble des territoires d’outre-mer.

Ce mouvement de 2009 n’était pas une colère passagère : c’était la manifestation d’un épuisement collectif face à la « profitation », une mécanique économique qui transforme l’isolement insulaire en rente privée.

En réponse, le gouvernement de l’époque avait promis un changement structurel. Trois ans plus tard, la loi Lurel devait incarner cette promesse : réguler les prix, encadrer les marges, redonner du pouvoir aux observatoires et restaurer la confiance. Treize ans plus tard, le verdict est sans appel : la vie n’a jamais été aussi chère. Deux ans avant le texte de 2012, l’Insee notait un différentiel de 8,3 % en Guadeloupe. En 2022, il atteignait déjà 15,8 %.

Pour les produits de base, les écarts sont abyssaux : le lait coûte 0,76 centime le litre dans l’Hexagone ; il se vend aujourd’hui entre 1,25 et 1,50 euro en Guadeloupe. Le pot de 200 grammes de café soluble atteint 10,62 euros en Martinique contre 4,24 euros dans l’Hexagone.

Pour les produits alimentaires, les écarts avec l’Hexagone atteignent 42 % en Guadeloupe, 40 % en Martinique, 39 % en Guyane et 37 % à La Réunion. En dix ans, l’écart s’est creusé au lieu de se résorber. Le texte de 2012, aussi ambitieux fût-il, n’a pas corrigé les causes profondes de la vie chère en outre-mer : absence de concurrence réelle, dépendance logistique, captation des marges par quelques importateurs.

L’Autorité de la concurrence alertait déjà en 2009 : plus de 50 % des produits étaient vendus 55 % plus cher qu’en métropole. Seize ans après, rien n’a changé !

Aujourd’hui, ce nouveau projet de loi devait rompre avec cette impuissance, mais, à mon grand regret, il n’est qu’un cautère sur une jambe de bois.

Il n’enlève rien, mais il ne change rien. C’est un texte bavard de plus, quand nos territoires réclament du concret, et non pas des alinéas. L’État ne peut plus se contenter de réformer la forme quand c’est le fond économique qui pourrit. Ce que nos territoires attendent, c’est la vérité sur les marges, la transparence des circuits et la traçabilité des coûts.

Les Ultramarins n’ont pas besoin d’un diagnostic de plus : ils ont besoin d’un choc de vérité et de courage. Un choc de vérité pour savoir qui profite réellement de l’insularité. Un choc de courage pour dire que la vie chère est non pas un hasard géographique, mais une défaillance politique.

Combien de temps encore allons-nous accepter que certaines marques d’eau soient trois fois plus chères dans nos territoires ? Combien de temps encore allons-nous accepter que le paquet de 34 couches pour bébé à 9,23 euros dans l’Hexagone se retrouve à 22,39 euros dans nos territoires ?

C’est non pas une revendication, mais une exigence de justice économique, car derrière chaque étiquette, il y a une mère qui calcule, un jeune qui renonce, une famille qui s’endette. Bon sang ! Comment comprendre qu’en 2025 les salaires les plus bas coexistent encore avec les prix les plus élevés ? Comment accepter que le simple fait d’être Français d’outre-mer coûte plus cher que d’être Français de l’Hexagone ?

En Guyane, la viande de bœuf, qui est produite à quelques kilomètres, doit d’abord transiter par Rungis, comme d’ailleurs le citron, avant de revenir et d’être vendue sur place ?

Si cela ne choque personne, c’est que nous avons cessé de penser la République.

Il faut refonder la relation commerciale de la France avec ses propres territoires. Certains sont à moins de quatre heures du Brésil, et à moins cinq heures des États-Unis, mais nous restons économiquement isolés dans un système fermé, déconnecté de notre environnement régional.

Nous ne pouvons plus prôner la continuité territoriale sans pratiquer la continuité économique. Il nous faut entrer dans une logique de transformation et instaurer une véritable péréquation, car, dans une République une et indivisible, le prix du lait, du riz ou de l’eau ne peut varier du simple au triple selon la latitude. La péréquation, c’est la justice territoriale appliquée au porte-monnaie.

Et quand nous parlons d’évolution institutionnelle pour revisiter nos relations, redéfinir la fiscalité locale ou encourager le développement endogène, ce sont ceux-là mêmes qui se gavent qui s’y opposent, car ils y perdraient leurs privilèges.

Alors oui, il nous faut toucher le sol. Nous ne pouvons plus rester en apesanteur sur ces questions-là.

Les textes bavards ne changeront rien, car ce n’est pas la littérature qui nourrit les familles. Il faut des actes. Ne soyons pas dupes, ce problème de vie chère est avant tout financier, et l’obstacle de l’article 40 de la Constitution est terriblement handicapant pour les parlementaires dans ce type d’exercice : aucune amélioration réelle n’est possible sans action budgétaire.

Madame la ministre, je vous le dis, ce texte, en l’état, est un placebo. Il faut l’amender profondément !

J’espère que nombre de nos propositions seront acceptées. Le groupe RDPI se prononcera en fonction des votes sur nos amendements qui requalifient le sujet et méritent toute votre attention. Sinon, ce texte ne servira à rien. Le problème de la vie chère ne sera jamais traité et nous nous contenterons chaque année de littérature là où nous devrions faire de l’arithmétique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Audrey Bélim. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Bélim. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 37 %, c’est le surcoût des produits alimentaires à La Réunion par rapport à l’Hexagone ; 36 % des Réunionnaises et des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté, soit un taux deux fois plus élevé que dans l’Hexagone. Qui accepterait de payer des prix si élevés, ici, dans l’Hexagone ?

Les territoires ultramarins sont les territoires les plus pauvres de France, alors même que ce sont les territoires les plus chers de France.

Il aurait fallu évoquer la faiblesse des revenus dans nos territoires. J’ai défendu la loi relative à l’encadrement des loyers dans les outre-mer, car la hausse des loyers est devenue insupportable. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan, nous avait oubliés. De plus, l’adaptation des normes de construction dans les outre-mer permettra, à moyen terme, de réduire les coûts de construction, et donc les achats et les loyers. Reste à prendre les décrets d’application, madame la ministre, sur lesquels nous espérons avancer rapidement.

Est-ce nécessaire ? Oui, car le logement est le premier poste de dépense des familles.

Est-ce suffisant ? Bien sûr que non, vu l’ampleur du problème de la vie chère. La commission d’enquête de l’Assemblée nationale en 2023 sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution l’a parfaitement illustré.

En début d’année, d’autres initiatives législatives, telles que le texte de la députée Béatrice Bellay, ou encore celui de mon collègue Victorin Lurel, ont aussi eu pour but de s’attaquer au fléau de la vie chère.

Malheureusement, à ce stade, ce projet de loi nous paraît insuffisant. Nous lui voyons deux limites majeures.

La première résulte du budget de la Nation, examiné en parallèle à l’Assemblée nationale, et qui ne laisse pas de nous inquiéter, notamment avec les 350 millions d’euros de coupes sur les exonérations de charges sociales spécifiques aux outre-mer instaurées par la Lodéom. Les signaux envoyés par Bercy sont en contradiction avec les objectifs affichés par ce projet de loi.

Seconde limite, la restriction des thématiques abordées dans le texte d’origine, qui limite profondément les leviers possibles d’amendement : rien sur le logement, rien sur le foncier, rien sur les revenus, rien sur l’agriculture et l’alimentation.

Vous avez indiqué, madame la ministre, que vous étiez ouverte aux propositions des parlementaires pour enrichir le texte. Nous vous prenons au mot. J’ai déposé une trentaine d’amendements, des propositions concrètes pour nos concitoyens ultramarins, car ce qui est attendu, c’est l’impact du texte sur le ticket de caisse, et non pas seulement de grands principes.

Je défendrai notamment la lutte contre la concentration verticale, la fin du blocage géographique sur les sites et plateformes, l’interdiction de l’acquisition de licences ou de marques pour ne pas les déployer dans les outre-mer, la capacité de l’Insee à saisir la Deets (direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) ou encore la personnalité juridique pour les OPMR et, bien sûr, les quotas d’insertion dans la commande publique.

À nous, mes chers collègues, d’améliorer collectivement ce texte. Nous n’avons pas le droit à l’erreur. Nos 3 millions de concitoyens ultramarins nous regardent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Akli Mellouli et Robert Wienie Xowie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis des décennies, nous entendons les mêmes promesses, les mêmes beaux discours, et nous examinons les mêmes textes de loi qui ont vocation à s’attaquer à la vie chère en outre-mer.

Mais, in fine, qu’ont changé ces projets de loi successifs ? Peu de choses, puisque, partout, les constats restent les mêmes : des prix 30 % à 70 % plus élevés qu’en Hexagone, une concentration économique entre quelques grands groupes d’import-distribution et une dépendance logistique structurelle. Depuis 2010, les écarts de prix avec l’Hexagone ont même augmenté. Les crises sociales liées à la vie chère se succèdent et se ressemblent, tout comme les vaines réponses des pouvoirs publics.

Les uns continuent de se gaver pendant que les autres triment toujours plus.

Le texte que nous discutons aujourd’hui n’aborde même pas la question des revenus, ni la revalorisation des bas salaires, et encore moins la prime d’activité ultramarine. Alors que les revenus médians en outre-mer sont inférieurs de 40 % à ceux de l’Hexagone, comment dissocier la question de la vie chère de celle des revenus ? Faudra-t-il abandonner l’idée de vivre dignement de son travail ? Comment s’attaquer à la vie chère sans un mot pour le coût du logement, premier poste de dépense pour de nombreux Ultramarins ? Chaque mois, de plus en plus de familles doivent choisir entre se loger et se nourrir.

Alors que le développement de la production locale est un enjeu prioritaire, nous déplorons également le manque de mesures pour soutenir le tissu économique. Le taux de défaillance de nos TPE et PME atteint un record. Dans le même temps, les syndicats dénoncent une situation de monopole en matière d’emploi.

En réalité, les effets de ce texte sur la formation des prix en outre-mer seront limités et difficiles à mesurer. Si les intentions sont bonnes, si les constats sont justes, les réponses, elles, ne sont pas à la hauteur.

La crise du pouvoir d’achat en outre-mer est la crise de l’ensemble de notre modèle économique. Ce texte ne rompt avec aucune logique, aucun rapport de force. Il laisse intactes les causes structurelles qui écrasent les ménages et les petites entreprises.

N’oublions pas que, derrière les chiffres, il y a un système. Un système hérité d’un autre âge, où une poignée de familles, souvent les mêmes depuis plus de cinquante ans, contrôlent tout : l’importation, la logistique, la distribution, parfois même la production locale. Bref, une économie de comptoir, un héritage colonial.

En Martinique, le groupe Bernard Hayot (GBH), via Carrefour, Mr. Bricolage, Norauto, Yves Rocher, Nocibé, Decathlon, détient plus de 60 % du commerce alimentaire et non alimentaire.

À La Réunion, après le rachat de Vindemia, GBH et Leclerc contrôlent ensemble près de 70 % du marché de la grande distribution.

En Guadeloupe, trois entreprises se partagent 90 % des importations de produits de première nécessité.

Cette concentration économique, mes chers collègues, c’est le cœur du problème. Et tant qu’on ne touchera pas à cette rente de situation, on ne réglera rien.

Et que dire des centrales d’achat installées à l’étranger et utilisées par les distributeurs pour cacher leurs marges ? Ces pratiques, qui représentent 20 % à 30 % des surcoûts, ne sont même pas mentionnées dans ce texte.

Le Gouvernement, avec ce texte, veut renforcer la transparence, voire la régulation. Cet objectif est louable, mais les OPMR n’auront toujours ni budget, ni personnel, ni accès aux données comptables. Quant à la DGCCRF, elle ne compte parfois que deux agents pour contrôler tout un département.

De même, si l’on peut se réjouir d’un renforcement du bouclier qualité prix, on ne peut que déplorer que ce dispositif reste centré sur les produits, sans véritable stratégie de soutien à la production locale ni mécanisme d’évaluation.

Alors oui, il y a de belles intentions : renforcer la transparence, protéger les consommateurs. Cependant, le texte ne propose aucun outil, aucune contrainte et ne manifeste aucune volonté de bousculer les oligopoles.

En définitive, ce texte ne rompt avec rien. Il conforte un modèle d’économie de rente, d’économie sous perfusion, d’économie de comptoir. Il ne fait qu’entretenir l’illusion d’un changement. Or la vie chère, c’est non pas une abstraction, mais une réalité : c’est une mère seule qui doit acheter le lait et les yaourts deux fois plus cher à La Réunion qu’en Hexagone.

La justice économique, la transparence et la dignité ne se décrètent pas : elles se construisent. Mes chers collègues, nous pourrons vraiment agir contre la vie chère en outre-mer quand nous pourrons voter dans le projet de loi de finances pour 2026 les amendements qui sont déclarés irrecevables aujourd’hui.

Le groupe CRCE-K s’abstiendra sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Akli Mellouli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le cœur de mon propos, je veux d’abord avoir une pensée pour nos compatriotes ultramarins, en particulier de Guadeloupe, touchée ce week-end par un tremblement de terre. Je veux leur dire toute ma solidarité et celle, j’en suis sûr, de l’ensemble de notre assemblée.

Les outre-mer sont une part vivante de notre République. Ces territoires, par leur diversité et leur histoire, rappellent que la France n’est pas seulement hexagonale. Mais cette richesse est aujourd’hui fragilisée par une réalité insupportable : la vie chère, qui mine la cohésion sociale et ronge la promesse d’égalité républicaine.

Les écarts de prix entre l’Hexagone et les territoires ultramarins demeurent indécents. Selon l’Insee, ils atteignent encore jusqu’à 16 % sur les prix à la consommation, et plus de 40 % sur les denrées alimentaires. Ces chiffres, ce sont des repas sautés, des médicaments qu’on n’achète plus, des familles qui renoncent à l’essentiel.

Depuis des années, nos compatriotes ultramarins dénoncent cette injustice, parfois avec des mobilisations massives. Des Antilles à La Réunion, de la Guyane à Mayotte, le cri est le même : celui d’un peuple qui veut simplement vivre dignement.

Madame la ministre, vous présentez aujourd’hui un projet de loi contre la vie chère qui, pourtant, ne traite presque que d’un seul sujet : les pratiques du secteur de la distribution. C’est certes un enjeu majeur, mais ce texte passe à côté du problème.

Il n’y a rien, ou presque, sur les véritables déterminants de la vie chère : la politique économique inefficace et injuste centrée sur les exonérations de cotisations sociales ; la stagnation des revenus, salaires comme prestations sociales ; la crise du logement ; le coût de l’énergie ; les difficultés d’accès à la santé ; le poids des transports ; la faiblesse du soutien au développement des productions locales. Les aides à la production agricole, orientées vers l’exportation plutôt que vers les marchés intérieurs, accentuent encore cette dépendance. Et pendant que le Gouvernement promet de lutter contre la vie chère, le projet de loi de finances s’apprête à réduire d’un tiers les crédits du programme « Conditions de vie outre-mer ». Il y a là une contradiction profonde.

Néanmoins, madame la ministre, ce texte ouvre des pistes pour répondre à ce défi majeur, notamment en matière de transparence, de régulation et de soutien à la concurrence.

D’abord, le bouclier qualité prix, renforcé par l’article 2, demeure un outil utile. Il permet de contenir certains prix de produits de grande consommation et favorise la négociation entre l’État, les distributeurs et les producteurs.

Cependant, soyons lucides : ce dispositif ne saurait être efficace que s’il valorise les produits locaux.

Aujourd’hui, la dépendance aux importations dans nos territoires ultramarins est telle qu’elle enferme leur économie dans un cercle vicieux : plus on importe, plus on paie cher ; et plus on paie cher, moins on produit. Derrière les rayons des grandes surfaces, il y a souvent les mêmes acteurs : de puissants groupes d’importation, parfois en situation de monopole, qui fixent leurs marges loin de tout contrôle réel.

Favoriser les produits locaux, c’est du bon sens économique, écologique et social. C’est aussi la clé pour retrouver une souveraineté alimentaire et réduire la dépendance logistique qui alimente la cherté.

Aussi le bouclier qualité prix doit-il cesser d’être un simple accord de modération sur les produits importés, pour devenir un levier de transformation structurelle des circuits d’approvisionnement. Cela suppose que, dans chaque territoire, une part significative du panier du BQP soit issue de la production locale.

La deuxième piste est la transparence des marges et des pratiques commerciales.

À cet égard, les articles 6 et 7 du projet de loi vont dans la bonne direction, en instaurant une obligation de transmission d’informations sur les prix, les marges et les ristournes perçues par les distributeurs. C’est indispensable, car, trop souvent, les marges dites « arrière » gonflent artificiellement les prix sans qu’aucune donnée publique ne permette de prouver leur légitimité.

Mais pour que cette transparence soit réelle, encore faut-il qu’elle puisse être contrôlée et sanctionnée. Or les observatoires des prix, des marges et des revenus, principal instrument de ce contrôle, sont aujourd’hui démunis. Leurs moyens humains et financiers sont dérisoires face à l’ampleur de leur mission. Comment espérer mesurer les marges, enquêter sur les filières, détecter les abus, si les OPMR ne disposent ni des effectifs, ni des outils, ni des données nécessaires ?

C’est pourquoi, je le dis clairement, il faut non pas augmenter symboliquement les moyens des OPMR, mais, au minimum, les quadrupler. Un observatoire sous-doté, c’est une République aveugle ; un observatoire renforcé, c’est une République qui regarde enfin la vérité des chiffres, donc la vérité des prix !

Le troisième enjeu est celui de la concurrence loyale.

Sur ce point, les articles 8 à 10 apportent des réponses en sanctionnant les discriminations commerciales injustifiées à l’encontre des territoires ultramarins. C’est une avancée, car nous savons que certains fournisseurs pratiquent encore des tarifs plus élevés pour les Drom-COM, et ce sans autre raison que leur éloignement.

Mais la loyauté de la concurrence ne saurait se limiter à une question de tarifs : il faut aussi garantir la diversité des acteurs économiques. Dans beaucoup d’îles, le commerce de détail est réparti entre quelques grandes enseignes. Cette concentration fragilise les producteurs locaux et étouffe les petites entreprises.

Le présent texte ouvre la possibilité d’un meilleur contrôle des concentrations commerciales ; c’est une bonne chose, à condition que l’Autorité de la concurrence dispose, elle aussi, de moyens spécifiques pour les outre-mer.

Enfin, je veux insister sur un point qui me semble fondamental, car la dignité économique est le socle de la dignité humaine. La cherté de la vie, mes chers collègues, n’est pas seulement un problème de pouvoir d’achat : c’est un problème de justice. Elle creuse les inégalités, nourrit les frustrations et affaiblit le lien qui unit chaque citoyen à la République.

La lutte contre la vie chère, c’est donc une politique de cohésion nationale. Ce n’est pas une faveur accordée aux outre-mer, ou un « supplément d’âme » ; c’est un devoir de la République envers elle-même !

Dans la lignée d’Aimé Césaire, je veux redire qu’il n’y a pas de dignité sans justice ni de liberté sans égalité. C’est à l’aune de cette exigence de dignité et d’égalité que notre République sera jugée. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – Mme Lana Tetuanui applaudit également.)