M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet.

M. Philippe Grosvalet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que ce soit lors de la grève générale de 2009 en Guadeloupe et en Martinique, de la mobilisation de 2012 à La Réunion, de la crise de 2017 en Guyane ou, plus récemment, de l'explosion de colère populaire qu'a connue la Martinique à l'automne 2024, à chaque fois, le même constat est posé : les populations ultramarines paient plus cher pour le strict nécessaire, dans des territoires où la pauvreté demeure massivement plus présente que dans l'Hexagone.

Le quotidien de nos compatriotes ultramarins, le voici : un chariot de courses qui, en Martinique ou en Guadeloupe, coûte en moyenne près de 40 % plus cher qu'en France hexagonale ; un litre de lait ou un kilo de tomates qui affichent régulièrement un écart de 30 % à 50 % ; des produits alimentaires de base, comme le riz ou l'huile, parfois deux fois plus chers outre-mer que dans l'Hexagone.

Or, dans ces mêmes territoires, le taux de pauvreté est très élevé : il dépasse 30 % en Guadeloupe et à La Réunion, et atteint même plus de 50 % en Guyane et 77 % à Mayotte. C'est une double peine : aux prix exorbitants s'ajoutent des revenus faibles ou, plus exactement, des écarts de revenus considérables.

Face à ce constat, les précédentes lois Lodéom, Lurel et Érom ont visé à apporter des solutions, depuis le contrôle de la formation des prix jusqu'à la correction des imperfections du marché. Mais ces textes – je ne suis pas le premier à le constater avec lucidité – n'ont pas réussi à résorber la vie chère outre-mer.

Telle est l'ambition affichée du texte, qui retient comme outils principaux la transparence, le renforcement du bouclier qualité prix, de nouvelles obligations imposées aux grands distributeurs, notamment sur le contrôle des marges, ou encore la création expérimentale d'un hub logistique en Martinique.

Si ces outils sont utiles, leur impact sur le ticket de caisse risque néanmoins d'être bien minime. L'avis rendu sur ce texte par le Conseil d'État avant que ne s'engage notre travail législatif révélait déjà une série de mesures « paillettes », jugées peu prometteuses, voire, pour certaines d'entre elles, sources d'une complexité accrue, sur le plan du droit positif, pour les collectivités territoriales.

Par ailleurs, aucune baisse structurelle des prix n'est garantie, aucun levier majeur n'est actionné sur le niveau des revenus, il n'y a pas de soutien renforcé au tissu local et aucune réflexion ouverte n'a été engagée sur l'intégration économique régionale de ces territoires.

C'est pourtant précisément sur l'ensemble de ces points qu'il faudra réussir à franchir des étapes clés.

Pour ce qui concerne la question des revenus du travail, aucune lutte contre la vie chère ne réussira si l'on ne s'attaque pas à l'amplification des revenus disponibles dans les outre-mer, notamment pour l'emploi local, et à l'amélioration des minima sociaux.

Il faut aussi soutenir davantage la production locale et l'intégration régionale, alors que plus de 90 % de la consommation alimentaire de ces territoires reste importée.

Il serait également opportun de réfléchir à une réforme concertée de l'octroi de mer, qui trouve le juste équilibre entre exclusion des produits de première nécessité et maintien du financement des collectivités.

Enfin, la fluidité et la densité des liaisons maritimes entre métropole et outre-mer sont vitales. La récente décision de CMA CGM de supprimer l'escale de Montoir-de-Bretagne, dans le grand port maritime de Saint-Nazaire-Nantes, pour sa ligne Antilles, créée à la fin du XIXe siècle, suscite une très vive inquiétude. Elle met gravement en péril l'industrie portuaire de mon département et risque de fragiliser davantage encore la chaîne logistique ultramarine pour les produits à date limite de consommation. Délais et coûts vont être augmentés alors même que ces territoires ont besoin de proximité et de réactivité pour garantir leur approvisionnement et préserver les prix à la consommation.

Mes chers collègues, vous l'aurez compris, ce projet de loi n'est pas le Grand Soir pour les caddies de nos compatriotes d'outre-mer.

Un certain nombre d'amendements ont été déposés, dont l'adoption serait susceptible d'apporter un peu de chair à ce texte. Nous y serons attentifs, afin de ne pas faire mentir la devise de la République.

Les membres du groupe RDSE apprécieront à leur juste mesure les avancées proposées pour rendre ce texte moins homéopathique.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Stéphane Demilly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur sur des questions relatives au bassin de l'océan Indien au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer, dont je salue la présidente Micheline Jacques, je veux tout d'abord souligner la portée de l'important projet de loi que nous examinons aujourd'hui. Je souhaite également associer à mes propos tous mes collègues de l'Union Centriste, dont je connais l'attachement aux territoires ultramarins.

Ce texte doit répondre à une urgence aussi ancienne que profonde : le coût de la vie, qui frappe de plein fouet nos outre-mer.

Est-il nécessaire de rappeler que, aujourd'hui encore, les écarts de prix entre l'Hexagone et les outre-mer peuvent atteindre 16 %, pour l'ensemble des produits de consommation, et parfois plus de 40 % pour certaines denrées alimentaires ?

Ces chiffres ne sont pas que des statistiques abstraites ; c'est une terrible réalité qui touche au quotidien les familles, les retraités, les jeunes et les travailleurs de ces territoires. Ceux qui m'ont précédé à cette tribune aujourd'hui, notamment Frédéric Buval et Dominique Théophile, l'ont évoquée avec autant de cœur que de talent.

L'éloignement, les coûts logistiques et la concurrence insuffisante sont des facteurs structurels de surcoût que ce texte vise à corriger.

Sur la modération des prix et la transparence de la grande distribution, le projet de loi renforce les accords de bouclier qualité prix, en y associant systématiquement les élus locaux et les associations de consommateurs. C'est particulièrement important dans ces territoires où le nombre d'enseignes comme la taille des magasins sont souvent très réduits.

Par ailleurs, le texte instaure des obligations renforcées de transmission d'informations de la part des grandes entreprises de distribution. Cette transparence indispensable est bien sûr un préalable indispensable à toute politique efficace de lutte contre la vie chère.

L'article 4 instaure un service public logistique en Martinique, idée qui pourrait naturellement intéresser également le bassin de l'océan Indien. Je salue le travail sur ce point de nos rapporteurs, qui ont souhaité permettre à toutes les collectivités qui le souhaitent de suivre cet exemple dès deux ans après la promulgation du texte.

Un meilleur maillage de la logistique et un soutien renforcé aux filières locales, ainsi qu'aux PME, sont autant de leviers pour réduire la dépendance aux importations et, par voie de conséquence, pour redonner de la résilience à nos économies ultramarines.

Vous comprendrez, mes chers collègues, que je souhaite insister sur la dimension spécifique du bassin de l'océan Indien. À La Réunion comme à Mayotte, la question du fret maritime demeure un facteur majeur de renchérissement des prix.

Le coût du transport, c'est trop souvent le prix de l'isolement, mais ce coût est aussi amplifié par le manque de concurrence et par des situations d'oligopole comme celles qui ont été évoquées tout à l'heure.

Nous devons incontestablement appeler à davantage de transparence tarifaire et à une concurrence que j'oserai qualifier de « loyale ».

On l'a compris, la politique de concurrence doit, au même titre que la maîtrise des coûts de transport, devenir un levier stratégique de lutte contre la vie chère.

C'est pourquoi le renforcement du rôle de l'Autorité de la concurrence accompli à l'article 10 est un signal fort pour restaurer la confiance des consommateurs, mais il faudra bien sûr veiller à ce que la mise en œuvre administrative de ces dispositions, notamment en matière de sanctions, soit pleinement effective.

Enfin, la mise en place de dispositifs de préférence locale dans les marchés publics est une réelle occasion de développement pour nos PME ultramarines. Il importe ici de garantir que les parts réservées aux filières locales ne demeurent pas des promesses vides ; il faudra y veiller scrupuleusement !

Selon le Picard Condorcet, ancien député, l'égalité ne consiste pas à rendre les choses semblables, mais à faire en sorte que chacun puisse vivre dignement là où il est.

Alors, même si ce texte n'est pas parfait, comme l'a pointé Micheline Jacques, même s'il souffre de plusieurs insuffisances, comme l'a relevé Anne-Catherine Loisier, il traduit néanmoins un vœu, une lutte, pour que la vie soit plus digne, pour que l'éloignement ne soit pas synonyme d'abandon et d'injustice.

Je salue donc les travaux de nos rapporteurs et du ministère des outre-mer, tout en vous invitant, mes chers collègues, à soutenir ce texte, à l'enrichir, bien sûr, et à faire ensemble de la lutte contre la vie chère un plan concret pour tous nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme Annick Petrus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un texte qui touche directement à la vie quotidienne de nos concitoyens. Dans les outre-mer, Mme la ministre l'a rappelé, la cherté de la vie n'est pas un phénomène ponctuel : elle est structurelle.

La vie chère résulte de réalités physiques et géographiques : l'éloignement, la dépendance aux approvisionnements extérieurs, l'étroitesse des marchés et les coûts logistiques qui s'appliquent à chaque étape de la chaîne de consommation.

À Saint-Martin, ces réalités sont particulièrement visibles. La plupart des marchandises doivent transiter par la Guadeloupe avant d'arriver chez nous, ce qui crée des surcoûts constants. Le logement y est cher, et la concurrence immédiate avec la partie néerlandaise de l'île – Sint Maarten – influence les prix comme les comportements de consommation. Ces contraintes, nos familles et nos entreprises les subissent chaque jour.

Pour ce qui concerne ce texte, s'il ne contient pas de dispositions structurelles, certaines situations pourront néanmoins se trouver améliorées par des mesures sur les biens de première nécessité.

La commission des affaires économiques a fait le choix de supprimer l'article 1er, qui aurait pu, en abaissant le seuil de revente à perte, bénéficier d'abord aux grandes enseignes, au détriment du commerce de proximité et de la production locale. C'est un choix de responsabilité. Lutter contre la vie chère, oui ! mais sans fragiliser ceux qui vivent, travaillent et embauchent dans nos territoires.

Le bouclier qualité prix constitue un outil important. La commission a eu raison d'en renforcer la portée, notamment en valorisant davantage les produits locaux et en étendant son périmètre aux services. C'est une orientation qui répond directement aux réalités du quotidien et à la recherche de solutions durables.

La transparence sur les marges et la chaîne d'approvisionnement est également un point essentiel, car la confiance ne se décrète pas, mais se construit dans la clarté.

Le projet de loi que nous examinons comporte des orientations utiles, mais son effet restera limité si les déterminants logistiques et structurels de la vie chère ne sont pas davantage intégrés. La lutte contre la vie chère doit aussi s'intéresser à son cœur logistique, d'autant que les frais d'approche représentent une part significative du prix final des biens dans nos îles.

Ainsi, la quasi-totalité des biens importés transite par la Guadeloupe avant d'arriver à Saint-Martin : à chaque étape, un coût s'ajoute. Un produit a déjà augmenté plusieurs fois avant même de toucher une étagère.

La vie chère n'est pas une abstraction : elle se voit, se ressent, se vit. Elle se manifeste dans le caddie, dans le panier du marché, dans les dépenses du quotidien. Elle pèse sur les familles, les travailleurs, les retraités, les jeunes. Personne n'y échappe.

Le prix se fabrique non pas en caisse, mais bien avant, au cours de l'acheminement.

C'est bien ce qui a inspiré mon amendement n° 37 rectifié ter. Celui-ci ne vise à créer aucune structure nouvelle, ni même à changer aucune compétence. Simplement, je demande que l'OPMR analyse, chaque année, les coûts d'acheminement vers Saint-Martin et les possibilités de diversification des approvisionnements dans la Caraïbe.

On ne peut agir que sur ce que l'on mesure. Cet amendement tend donc à objectiver, enfin, ce qui fait le prix, de manière à pouvoir agir durablement.

Mon second amendement, n° 38 rectifié ter, porte sur le bouclier qualité prix.

Celui-ci a été mis en place ; il existe, il est utile. Mais, pour que les ménages en bénéficient réellement, il doit pouvoir être vu. Or, aujourd'hui, dans certains magasins, les produits concernés ne sont pas clairement identifiés ; ce sont les habitants eux-mêmes qui doivent deviner, comparer, vérifier. Un dispositif qui n'est pas visible n'est pas utilisable.

Cet amendement vise donc simplement à mettre en valeur le BQP en rayon, en lien avec la collectivité. Aucune contrainte nouvelle, aucune obligation de surface, aucune complexité supplémentaire : juste de la lisibilité, juste l'accès réel au bénéfice attendu.

Parallèlement, des initiatives de production locale émergent, qui doivent être soutenues. Une filière d'œufs est en structuration, des projets de maraîchage vivrier se développent, de l'élevage extensif se met en place. Ces volumes ne remplacent pas aujourd'hui les importations, mais ils construisent une résilience, une souveraineté alimentaire progressive et adaptée à nos territoires.

La lutte contre la vie chère est indissociable du soutien à l'emploi. À Saint-Martin, la plupart des entreprises sont de petite, voire de très petite taille. Elles subissent des surcoûts logistiques de 25 % à 30 %, une dépendance totale aux importations et la concurrence directe de Sint Maarten.

La Lodéom compense ces handicaps ; fragiliser ses dispositions reviendrait à fragiliser l'emploi local et la cohésion sociale. On ne peut pas agir pour le pouvoir d'achat si l'on affaiblit en même temps les outils qui permettent d'investir, de produire et d'employer. Ces politiques doivent avancer ensemble.

Le présent texte pourra produire des effets réels s'il est mis en œuvre avec attention, au plus près des réalités territoriales, en tenant compte de la structure économique de chaque île, des contraintes logistiques et des équilibres locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Jocelyne Antoine applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)

M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mes collègues ultramarins et moi-même partageons des problèmes communs et, surtout, les injustices que subissent nos populations.

Le combat contre la vie chère fait partie des engagements qui alimentent notre solidarité et notre force dans ces territoires oubliés de la République.

Le projet de loi élaboré par l'ancien ministre d'État Manuel Valls pour lutter contre la vie chère en outre-mer représente une certaine reconnaissance de la légitimité de nos revendications.

Toutefois, nous ne pourrons mesurer son efficacité que sur le terrain, dans nos territoires, et non pas dans cet hémicycle.

Nouveau sénateur – cela fait deux ans seulement que je siège dans cette assemblée –, je suis très étonné de constater que, si nous passons beaucoup de temps à élaborer des textes, nous n'en allouons pas assez au contrôle de leur efficacité sur le terrain.

Depuis le cyclone Chido, trois lois ont été votées pour la reconstruction de Mayotte, et je serai intraitable sur leur application. Je mesure très concrètement les résistances, voire les blocages d'administrations qui rechignent à rendre des comptes sur l'application des textes votés par le Parlement. Comment voulez-vous que nos populations aient confiance en leurs élus, si les engagements contenus dans les lois restent lettre morte ?

Je serai, de la même manière, très vigilant quant à l'application de ce texte contre la vie chère dans mon territoire. Je m'inquiète déjà des moyens qui seront déployés sur le terrain par les administrations de l'État pour faire appliquer ces nouvelles dispositions. Je constate la faiblesse des moyens des administrations déconcentrées sur nos territoires et je suis très pessimiste pour la suite.

À Mayotte, le taux de pauvreté est le plus élevé de la République – 77 % selon l'Insee – et la question de la vie chère se pose de manière cruciale. Forcément, Chido n'a rien arrangé. Au contraire, les prix explosent dans certains secteurs : les matériaux de construction, mais aussi les produits de tous les jours… S'y ajoute le fait que notre agriculture a été ravagée par le cyclone, et que les fruits et légumes produits sur place vont manquer.

Pour compléter ce tableau, la crise de l'eau que nous subissons depuis des années maintenant oblige les ménages à acheter de l'eau en bouteille et à investir, dans leurs maisons, dans des dispositifs de récupération et de stockage de l'eau, devenue une denrée très précieuse. On peut donc comprendre l'étonnement de la population de mon archipel quand elle a appris dans la presse que les bouteilles d'eau stockées dans des conteneurs par la préfecture seraient vendues, alors qu'elles étaient destinées à être distribuées à la population.

Face à ces crises majeures qui s'accumulent sur nos territoires, les populations des outre-mer n'en peuvent plus.

La question de la vie chère prend donc une nouvelle dimension à Mayotte, mais elle demeure une priorité des habitants de tous nos outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne.

Mme Catherine Conconne. Permettez-moi d'abord, madame la ministre, de vous souhaiter, en toute sororité, la bienvenue au ministère de la rue Oudinot.

Nous examinons aujourd'hui ce que j'ai appelé un projet de loi « extincteur ». En effet, souvenons-nous : au dernier trimestre de 2024, la Martinique se retrouvait à feu et à sang. Un ministre arrive ; très légitimement, et certainement en toute bonne foi, il dégaine une réponse, pensant ainsi calmer les feux, au propre comme au figuré. Mais, malheureusement, notre situation est telle que ce texte ne permettra pas de la changer.

J'aurai à cet instant, si vous me le permettez, une pensée toute particulière pour ces centaines d'entreprises qui se sont retrouvées pillées, incendiées, démolies, et pour les milliers de travailleurs qui ont, de ce fait, perdu leur emploi.

Ce texte a été conçu et élaboré à partir d'un mauvais diagnostic. Certes, quelques constats sont justes ; certains ont été rappelés aujourd'hui. Mais ce diagnostic est surtout fait d'a priori, d'idées préconçues qui, une fois de plus – pardonnez-moi de vous le dire ainsi, madame la ministre –, entretiennent le déni, un écran de fumée confortable qui, sur nos territoires, renvoie tous les acteurs dos à dos.

C'est un texte d'hypercoercition ! Voyez-vous, ce qu'il me rappelle, c'est la visite que j'ai faite, avec plusieurs collègues, aux îles du Salut – le bagne. C'est comme si l'on voulait enfermer sur ces îles les profiteurs et les soutireurs, tous ceux qui abusent du consommateur, mais seulement ceux de nos territoires. N'y en aurait-il pas en Île-de-France, n'y en aurait-il pas à Marseille ou dans les Ardennes ? Non, il n'y en a nulle part, faudrait-il croire, car ils sont tous concentrés chez nous !

Dix ministres se sont succédé, mais ce sont toujours les mêmes discours que j'entends, les mêmes mots, les mêmes intentions, les mêmes recettes homéopathiques, les mêmes écrans de fumée qui, je le redis, nous renvoient dos à dos. Dix ministres, mais toujours les mêmes expressions, et des intentions toujours aussi molles.

Ce texte accumule contrôle sur contrôle ; c'est une surenchère de contrôle, une surproduction de surcontrôle ! Mais avec quels moyens, quand on sait que tous les services de l'État ont été drastiquement rabotés ? Je constate, madame la ministre, une absence totale de mesures qui compenseraient les surcoûts objectifs d'éloignement. On est bien loin de la jurisprudence corse – permettez-moi à cet égard de vous conseiller la lecture de l'excellent rapport que Guillaume Chevrollier et moi-même avons rendu sur la continuité territoriale outre-mer, dont vous feriez bien de vous inspirer ! La Corse toute proche se voit octroyer 187 millions d'euros ; mais pour nous, pas un kopeck, alors que ces surcoûts sont objectifs !

Et quid, madame la ministre, de ces mesures sans ambition, voire inexistantes, pour la production locale ? J'ai à cet égard une pensée pour les petits planteurs de canne, pour les producteurs qui aujourd'hui n'ont pas un lieu pour écouler leurs marchandises de producteur à consommateur.

Vendredi, je rentrerai dans mon pays, tête et profil bas. Mais comme je suis une femme d'ouverture, madame la ministre, je me tiendrai à votre disposition pour qu'on puisse enfin se mettre autour de la table et faire ce qui aurait dû être fait depuis longtemps : mettre en œuvre de vraies dispositions pour les pays dits d'outre-mer et engager de la sorte, enfin, un vrai programme de développement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre. Beaucoup de choses ont été dites au cours de cette discussion générale ; un certain nombre de sujets seront de nouveau l'objet du débat au fil de l'examen des nombreux amendements déposés sur ce texte.

Je veux d'abord remercier ceux qui apportent leur soutien, fût-il timide, à ce projet de loi, mais aussi ceux qui tendent la main pour continuer à approfondir le travail. Oui, je ne m'en cache pas, le chantier est considérable.

Le présent projet de loi ne réglera pas tout, vous avez été plusieurs à le dire, et moi-même auparavant. Nous aurons l'occasion de nous retrouver autour de ces sujets. Mais ce projet de loi a au moins le mérite de s'attaquer aux problèmes du pouvoir d'achat et des prix.

Vous avez été plusieurs, Mme la rapporteure au premier chef, à aborder la question des revenus. Elle est certes cruciale, mais ce texte porte sur des matières économiques, relatives notamment à la concurrence ; il ne s'inscrit pas, et ce par choix, dans le champ social et budgétaire. Je le dis d'autant plus volontiers que je suis de ceux qui veulent se battre sur la question des revenus, j'ai toujours dit que des revenus trop bas nous coûtaient trop cher et je soutiendrai donc volontiers ce que le Gouvernement proposera en la matière, si le temps le permet.

Mais ce texte permet à tout le moins, dans l'immédiat, de discuter de la question des prix, avant que nous puissions, à plus long terme, nous attaquer aux problèmes des revenus et du développement économique dans les territoires d'outre-mer. Dans ce dernier domaine, d'ailleurs, le titre IV du projet de loi permet de faire un premier pas. En outre, vous n'ignorez pas qu'une circulaire a été envoyée aux préfets pour que les acteurs locaux puissent s'emparer de ce sujet. Il n'est pas question que, en cette matière comme en d'autres, l'État impose quoi que ce soit aux divers territoires ; vous me l'auriez reproché à juste titre.

L'intégration régionale, j'en conviens également, ne figure pas dans ce projet de loi. C'était impossible, car cette matière ne relève pas du domaine législatif ; ce travail s'effectue au niveau du secrétariat général des affaires européennes (SGAE), qui s'y consacre réellement. Un projet de règlement européen est à l'étude, qui nous permettra d'avancer sur ce sujet, mais aussi sur l'octroi de mer.

Cet autre sujet majeur revient souvent sur la table, mais il relève du projet de loi de finances ; je ne puis donc avancer dans ce domaine sans concertation préalable. Je ne suis à ce poste que depuis peu de temps, mais je compte bien me saisir du sujet. Là aussi, je vois dans cette situation une invitation à discuter des à-côtés dans le cadre des débats budgétaires qui s'amorceront bientôt dans cet hémicycle. Pour ma part, je continue de recevoir des parlementaires pour avancer sur ces sujets.

Je veux, avant l'examen des amendements, apporter quelques réponses rapides à plusieurs de vos interrogations. Monsieur le rapporteur Buval, concernant le protocole martiniquais, vous savez que l'État a tenu ses engagements, notamment pour ce qui est de la baisse de la TVA sur les familles de produits qui figuraient dans cet accord. Selon la DGCCRF, en juillet 2025, cette mesure et celle sur l'octroi de mer ont, combinées, abouti à une baisse d'un peu plus de 10 % du prix de ces 6 000 produits. Le mécanisme de péréquation que le Gouvernement propose à l'article 5 de ce texte prolonge ce dispositif et permettra d'avancer encore. Nous en reparlerons, mais vous pouvez constater que nous respectons les termes du protocole.

Madame Malet, vous avez évoqué le BQP. Celui-ci fonctionne très bien, nous sommes satisfaits de ce qu'il produit à La Réunion. Le BQP a l'avantage de la souplesse, qualité que nous voulons absolument préserver, car je crains qu'y introduire de la rigidité ne soit contre-productif.

Cependant, je suis d'accord avec vous : il est vrai que cet outil de lutte contre la vie chère doit aussi permettre d'encourager l'économie locale. Cet aspect n'a sans doute pas encore été assez développé. Il s'agit pourtant d'un enjeu économique tout autant que de souveraineté alimentaire. Il faut continuer à y travailler ensemble.

Madame Bélim, là encore, je le concède, faire baisser les coûts de la construction constitue l'un des leviers d'action majeurs. Je travaille d'ores et déjà à la rédaction du décret d'application de la loi dont vous avez été à l'initiative, notamment pour tout ce qui concerne les matériaux environnementaux, puisque c'est la question majeure, et les environnements régionaux. Je m'engage à faire en sorte qu'il soit publié avant la fin de l'année ; nous aurons donc l'occasion de discuter de ses premières moutures.

Voilà les quelques points sur lesquels je souhaitais revenir. Je m'en tiens là, monsieur le président, au risque d'aborder toutes les dispositions de ce texte.

Mon approche est bienveillante, car je sais aussi les écueils de ce projet de loi qui n'embrasse pas tous les sujets, certes, mais qu'il faut voir comme une base de travail intéressante.

L'examen des amendements nous donnera l'occasion d'enrichir ce texte. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'espère que vous le voterez in fine, parce que vous aurez adopté un certain nombre d'amendements issus de votre assemblée, mais aussi parce que ce texte reprend un certain nombre des travaux que vous avez conduits. Nous voyons bien qu'une coconstruction est tout à fait possible.

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer

TITRE Ier

AGIR POUR LE POUVOIR D'ACHAT ET COMPENSER LES EFFETS DE L'ÉLOIGNEMENT

Chapitre Ier

Baisser les prix par un renforcement des dispositifs de lutte contre la vie chère

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer
Article 1er

Avant l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 119, présenté par Mme Corbière Naminzo, MM. Gay et Lahellec, Mme Margaté et M. Xowie, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l'article L. 910-1-A du code de commerce, après les deux occurrences du mot : « revenus », sont insérés les mots : « et des loyers résidentiels et commerciaux ».

La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Ce projet de loi appréhende les concitoyens ultramarins comme s'ils n'étaient que des consommateurs. Les Ultramarins se heurtent à la vie chère non seulement quand ils vont faire leurs courses, mais dans tous les moments de leur vie, en premier lieu lorsqu'ils doivent se loger.

La proportion de locataires est plus importante dans les outre-mer que dans l'Hexagone. Ainsi, on dénombre 40 % de locataires dans l'Hexagone, contre 54,7 % en Guadeloupe, 49,6 % en Guyane et 45,4 % à La Réunion, alors même que les prix des loyers sont plus élevés dans les outre-mer que dans l'Hexagone : +3 % en Martinique, +5 % en Guadeloupe et même +10 % en Guyane, selon l'Insee. Dans la mesure où les revenus y sont les plus faibles de France, le logement représente un poste de dépense bien plus important pour les ménages dans les outre-mer.

Pour de nombreuses familles, il est tout simplement impossible de payer son loyer à la fin du mois, comme le montre le chiffre record des impayés. En 2023, 7 800 impayés ont fait l'objet d'un signalement à la caisse d'allocations familiales de La Réunion. Il est donc urgent de mieux surveiller le coût des loyers.

C'est pourquoi cet amendement vise à étendre les compétences des observatoires des prix, des marges et des revenus, en y intégrant le niveau des loyers résidentiels et commerciaux, pour que ces organismes puissent fournir une information régulière sur leur évolution. C'est nécessaire.