Présidence de M. Alain Marc

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Dossier législatif : projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer
Avant l'article 1er

Lutte contre la vie chère dans les outre-mer

Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer (projet n° 870 [2024-2025], texte de la commission n° 64, rapport n° 63).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, de toute évidence, la vie chère dans les outre-mer n'est pas un phénomène conjoncturel. Elle ne doit pas non plus être regardée comme une donnée économique à laquelle il faudrait se résoudre et s'habituer.

La vie chère dans les outre-mer est bel et bien un fléau structurel, qui ronge injustement depuis des décennies le pouvoir d'achat de nos compatriotes ultramarins.

Le constat est unanimement partagé. Aucun territoire n'est épargné : l'écart de prix par rapport à l'Hexagone oscille généralement autour de 15 % et dépasse souvent 40 % en ce qui concerne les produits alimentaires.

Ces chiffres sont connus. Ils ne sont pas le résultat du hasard ni du seul éloignement géographique ; ils révèlent en revanche un déséquilibre économique durable, une fracture d'égalité entre les citoyens d'un même pays.

Voilà une fracture sociale dont on parle trop peu. Voilà une injustice à laquelle je ne m'habituerai pas. Voilà l'un des combats prioritaires que j'entends mener.

Si vous pouvez compter sur moi, vous pouvez aussi compter sur la détermination du Gouvernement tout entier. La vie chère est le premier sujet concernant les outre-mer qu'a évoqué le Premier ministre ici même lors de sa déclaration de politique générale.

La qualifiant d'« urgence des urgences », il m'a confié pour mission d'en faire ma priorité et d'être la ministre de la lutte contre les abus et contre les ententes qui pèsent sur le portefeuille de nos compatriotes ultramarins. C'est bien mon intention.

Dans les trois océans, nos compatriotes attendent une chose simple : que les prix baissent.

Ce projet de loi vise donc un objectif simple, mais essentiel : corriger une injustice et rendre davantage effective notre devise républicaine, en avançant sur le chemin de l'égalité.

En effet, la cherté de la vie n'est pas seulement une question économique : c'est aussi une question de cohésion nationale.

Quand les écarts de prix deviennent aussi massifs, ils se traduisent en écarts de destins. Quand une famille ultramarine dépense, pour un même panier de courses, presque 50 % de plus qu'une famille vivant dans l'Hexagone, alors elle vit une inégalité concrète et quotidienne qui nourrit un sentiment d'abandon. Or, quand la République ne répond pas à ce type d'inégalité, elle s'affaiblit.

Il y a, bien entendu, ce qui relève de facteurs économiques « naturels », contre lesquels nous ne pouvons lutter qu'indirectement : le coût de l'éloignement, évidemment, mais aussi la taille réduite des marchés, qui limite la concurrence.

Mais il y a aussi des causes qui relèvent d'avantages et d'habitudes hérités de l'histoire, et contre lesquels nous pouvons agir plus fortement et plus directement : des positions dominantes qui étouffent les nouveaux entrants et qui freinent la baisse des prix, ou encore une dépendance trop forte aux importations.

Avant d'en venir au contenu du projet de loi que nous examinons aujourd'hui, je dirai un mot de la méthode qui a conduit à son élaboration et qui me guidera tout au long de nos débats.

Ce projet de loi n'est pas né dans un bureau ministériel, il n'est pas le produit d'une seule main, d'un seul groupe politique ou d'un seul camp. Il est le fruit d'une concertation approfondie avec les parlementaires ultramarins. De cette démarche est né un texte profondément transpartisan, qui rassemble bien au-delà des clivages politiques habituels.

Beaucoup d'articles sont inspirés de propositions de loi venues de bords différents, parfois même opposés. Je pense à celle de la députée Béatrice Bellay, à celle du sénateur Victorin Lurel, dont l'engagement constant en faveur de l'égalité réelle en outre-mer a marqué durablement de son empreinte le ministère dont j'ai la charge, ou encore à celle de la présidente de la délégation aux outre-mer, Micheline Jacques, dont le travail de terrain et l'esprit de rassemblement ont contribué à dépasser les appartenances partisanes.

Nous avons également puisé dans les conclusions de la mission d'information relative à la lutte contre la vie chère outre-mer de cette même délégation.

Je n'oublie pas le travail concerté et efficace qui a été mené avec la sénatrice Audrey Bélim, auteure d'une proposition de loi expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer, qui a conduit à la promulgation de la loi du 13 juin 2025. Cette loi permettra notamment l'utilisation de matériaux de construction locaux ou issus des régions voisines non européennes, ce qui entraînera de fait des baisses de coûts.

Une telle convergence des analyses et des propositions illustre ce qu'est, au fond, la bonne manière de légiférer dans le contexte politique que nous connaissons : un moment où la recherche du compromis est non pas une faiblesse, mais une exigence démocratique.

J'en viens maintenant aux dispositions du projet de loi proprement dit, que la commission des affaires économiques a d'ores et déjà commencé à enrichir, dans une démarche également transpartisane.

Ce texte se compose de quatre titres, dont chacun représente un axe d'action pour lutter contre le fléau de la vie chère en outre-mer.

Le titre Ier, « Agir pour le pouvoir d'achat et compenser les effets de l'éloignement », comprenait à l'origine cinq articles.

L'article 1er, qui permettait aux entreprises de commerce de détail d'exclure le prix du transport du seuil de revente à perte, a été supprimé par la commission.

Cet article aurait rendu possibles des baisses de prix importantes pour les consommateurs. Nombre d'entre vous ont toutefois souligné qu'il faisait courir le risque de renforcer les positions dominantes des gros distributeurs et de fragiliser le commerce de proximité.

Nous considérions pour notre part que ce risque était à relativiser. En effet, l'importance du prix du transport dans les prix de détail n'apparaît pas suffisante pour que les petits et moyens distributeurs disparaissent au profit des plus gros. En outre, le modèle économique des petits acteurs, davantage axé sur la proximité, diffère de celui des plus gros distributeurs.

Je respecte toutefois votre choix et ne vous proposerai pas d'amendement de rétablissement de cet article. Nous verrons, lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, si les députés souhaitent le réintroduire ou si nous proposerons nous-mêmes un dispositif plus robuste.

L'article 2 renforce le bouclier qualité prix (BQP), en lui fixant un objectif plus clair : réduire le différentiel de prix par rapport à l'Hexagone, en l'élargissant aux services. Les Ultramarins doivent en effet avoir accès à des prestations de téléphonie ou d'entretien automobile à des prix plus raisonnables.

Ses dispositions visent à s'assurer également de la qualité des produits qui seront pris en compte dans le BQP. Des mécanismes de responsabilité sont ainsi introduits : un name and shame pour les entreprises qui refuseraient de signer l'accord et des sanctions pour celles qui ne respecteraient pas leurs engagements.

En un mot, nous proposons non pas une simple modernisation du BQP, mais une véritable refondation de cet outil, qui a par ailleurs fait ses preuves.

La commission des affaires économiques a par ailleurs fait le choix de muscler, en l'élargissant aux présidents d'exécutifs, le pouvoir d'alerte et de demande d'analyse au préfet en cas de prix excessifs prévu à l'article 3. Nous soutenons cette évolution ambitieuse.

Elle a choisi également d'accompagner l'expérimentation, prévue à l'article 4 d'un service public de gestion logistique en Martinique, dit « e-hub » : ce dernier pourra être élargi plus facilement et plus rapidement à d'autres territoires. Son accès sera par ailleurs encadré afin de favoriser les petites entreprises locales, ainsi que celles qui respectent des critères sociaux et environnementaux. Le Gouvernement salue cette démarche.

Nous croyons en cette expérimentation qui permettra de réduire les coûts logistiques, facilitera l'accès au commerce en ligne pour les petites entreprises et les habitants et créera des emplois dans les métiers de la logistique et de la maintenance.

Enfin, l'article 5, supprimé par la commission au motif qu'il s'agissait d'une habilitation à légiférer par ordonnance, fait l'objet d'un amendement de rétablissement du Gouvernement visant à inscrire un dispositif « en dur » dans le texte.

L'objectif de cet article est de réduire les frais d'approche sur les produits de grande consommation importés outre-mer – ils représentent en moyenne près de 9 % du prix final d'un produit – en s'appuyant sur un système de péréquation entre les produits de grande consommation et les produits à plus forte valeur ajoutée.

Il s'agit d'un article déterminant pour achever la mise en œuvre du protocole d'objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère signé en Martinique en octobre 2024.

L'amendement de rétablissement que je présenterai tout à l'heure vise à instaurer un mécanisme de péréquation volontaire, qui pourra être mis en place par l'ensemble des acteurs de la chaîne de commercialisation des produits dans chaque territoire concerné.

Ce mécanisme, dont l'objectif est de faire baisser les prix de vente des produits de grande consommation, comprendra ainsi les entreprises du secteur du commerce de détail, leurs fournisseurs – producteurs, grossistes et importateurs – ainsi que les entreprises de fret maritime et les transitaires.

Il sera non pas limité à la Martinique, mais étendu à l'ensemble des collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution, ainsi qu'à Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna.

Un organisme dédié sera créé par les acteurs de la chaîne de commercialisation des produits. Il aura la charge de percevoir directement leurs contributions et d'opérer les restitutions destinées à réduire les prix des produits de grande consommation concernés.

Comme le protocole le prévoyait à son point 12, ce mécanisme fera notamment appel à des contributions volontaires et privées, parmi lesquelles celles de la CMA CGM. Toutefois, cette entreprise ne pourra pas être la seule à y participer, sans quoi le dispositif ne saurait légitimement tenir.

Comme prévu au point 13, l'État accompagnera ce projet par l'expertise de ses services, mais les modalités juridiques retenues ne prévoient pas sa participation financière, ce qui serait tout simplement contraire à la réglementation de l'Union européenne sur les aides d'État. Nous y reviendrons lors de la discussion des amendements.

Je souhaite, comme vous, aboutir à un dispositif qui fonctionne. Je vous invite donc à voter cet amendement.

L'engagement et la responsabilité des acteurs sont le fondement même de la mise en œuvre du protocole d'objectifs et de moyens martiniquais, qui a d'ores et déjà permis, en moins d'un an, une baisse des prix de plus de 10 % en moyenne.

Suivant cette même logique de responsabilisation, le titre II, « Renforcer la transparence sur les avantages commerciaux consentis aux distributeurs et des sanctions », comprenait initialement quatre articles ; il en compte désormais sept dans le texte issu des travaux de la commission.

Le titre II a pour origine un constat simple : la transparence est la condition de la confiance. Sans données fiables et sans contrôle effectif, il n'y a pas de régulation possible et il y a légitimement méfiance.

C'est pourquoi ses articles renforcent les obligations des grandes enseignes sans fragiliser les petits commerces, puisqu'ils ne concernent que les entreprises exploitant des surfaces de plus de 400 mètres carrés.

Les dispositions proposées visent à lever l'opacité sur la formation des prix, à identifier les abus de position dominante et à restaurer la confiance du consommateur.

La commission des affaires économiques a choisi de les renforcer au travers de trois nouveaux articles que le Gouvernement soutient.

Je proposerai néanmoins une réécriture de l'article 6 quater, qui pose, dans sa rédaction actuelle, plusieurs difficultés juridiques, notamment au regard du secret des affaires et du secret fiscal.

Le titre III vise, quant à lui, à « renforcer la concurrence ». Il comprend notamment un article 10 relatif à l'Autorité de la concurrence. Il ajoute à son collège deux membres supplémentaires disposant d'une expertise spécifique sur les économies ultramarines, et crée un service d'instruction dédié pour mieux traiter les spécificités des dossiers qui concernent ces territoires.

Enfin, le titre IV, « Soutenir le tissu économique ultramarin », illustre le fait que notre ambition dépasse largement la seule régulation.

Notre objectif à moyen terme doit être une véritable transformation économique des territoires ultramarins. Il faut rompre avec la dépendance aux importations, favoriser la production locale et l'autonomie alimentaire, ou encore améliorer la compétitivité économique.

Pour ce faire, ce projet de loi comprend trois articles importants : l'article 13 protège les produits substituables aux importations pour éviter que les producteurs ultramarins soient évincés de leurs propres marchés, tandis que les articles 14 et 15 favorisent l'accès des petites et moyennes entreprises ultramarines à la commande publique.

Ce travail de renaissance économique dépasse largement ce projet de loi et il est d'ores et déjà engagé : une circulaire adressée aux préfets ultramarins le 10 juillet dernier leur a demandé de bâtir, à moyen terme, de véritables stratégies de transformation économique autour des filières locales que sont l'agriculture, la pêche, l'énergie ou le numérique.

Telle est la condition pour bâtir une économie de production tournée vers la diversification, mais aussi vers une meilleure intégration régionale.

Nous le savons, la lutte contre la vie chère passera aussi par une plus forte inscription des territoires ultramarins dans leur environnement régional, et donc par une meilleure adaptation des normes européennes à leurs réalités.

Tel est le sens de la décision prise dans le cadre du Comité interministériel des outre-mer du 10 juillet dernier visant à demander au secrétariat général des affaires européennes de préparer une proposition d'adaptation des textes européens aux réalités ultramarines, en vue de la soumettre à la Commission européenne.

Vous le voyez, nous agissons bien au-delà de ce projet de loi. Ce texte déjà ambitieux a été amélioré par le travail remarquable de la commission des affaires économiques. Il le sera encore davantage, j'en suis sûre, par nos travaux de cet après-midi. C'est en tout cas dans cet état d'esprit que je m'inscris.

Nous voulons envoyer un signal fort : celui d'un État qui agit pour lutter contre une injustice vécue quotidiennement et qui est, pour ainsi dire, intériorisée par nos compatriotes.

La vie chère aggrave les fractures, mais lorsqu'elle est combattue avec constance, elle devient une épreuve de vérité pour la République. Soyons donc à la hauteur ! (MM. François Patriat, Bernard Buis et Vincent Louault applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. Frédéric Buval, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est soumis à notre assemblée aujourd'hui, sur une thématique de la plus haute importance pour nos concitoyens ultramarins, est un rescapé de l'instabilité politique qui touche notre pays depuis plusieurs mois.

Cela peut sembler difficile à croire, dans la mesure où près de dix ministres ont occupé le portefeuille des outre-mer depuis 2017, rarement pour plus d'un an. Pour autant, la situation économique et sociale des outre-mer est telle que l'inaction n'était pas envisageable.

Je tiens à rappeler quelques faits en la matière et à dénoncer leurs conséquences sur le quotidien des Ultramarins.

Les crises sociales liées à la vie chère se succèdent et se ressemblent. Que l'on évoque 2009 en Guadeloupe et en Martinique, 2012 à La Réunion, 2017 en Guyane ou encore 2024 de nouveau en Martinique, les constats restent les mêmes.

À chaque fois, le Gouvernement a réagi par une loi : loi pour le développement économique des outre-mer en 2009, dite Lodéom, loi « Lurel » relative à la régulation économique outre-mer en 2012, loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer en 2017, dite loi Érom, et maintenant ce projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer.

La situation a-t-elle connu une amélioration sensible grâce à cette agitation législative ? Les chiffres sont éloquents : les écarts de prix avec l'Hexagone mesurés par l'Insee ont légèrement progressé depuis 2010. Ils s'échelonnent de 9 % à La Réunion à 31 % en Polynésie française, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe affichant des écarts de prix proches de 15 %.

Surtout, ces écarts sont bien plus élevés si l'on considère les produits alimentaires : en 2022, ils atteignaient 36,7 % à La Réunion, jusqu'à 40,2 % en Martinique et 41,8 % en Guadeloupe.

Un panier de courses de 100 euros dans un supermarché hexagonal coûtera 140 euros à Fort-de-France ! C'est inacceptable, alors que le revenu moyen y est plus faible et que la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté y est plus élevée.

Les causes de ces écarts sont bien identifiées. Elles ont été analysées avec précision, encore récemment, par la délégation aux outre-mer.

La vie chère est un phénomène multifactoriel auquel la taille et l'isolement des territoires ultramarins contribuent fortement. L'étroitesse des marchés domestiques et la composition du tissu économique, constitué essentiellement de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME), tirent les prix vers le haut et ne permettent pas les économies d'échelle.

L'éloignement par rapport à l'Hexagone, qui est la principale source des importations, implique par ailleurs des frais d'approche très élevés.

Plus encore, le faible nombre d'acteurs économiques dans le secteur de la distribution est la traduction d'un environnement peu concurrentiel, où quelques grands groupes bien connus exploitent les franchises locales d'entreprises hexagonales et bénéficient de situations oligopolistiques.

Plusieurs de ces grands groupes ont adopté une logique d'intégration verticale qui leur permet de contrôler toute la chaîne de valeur d'un produit, au détriment des acteurs indépendants. Les barrières à l'entrée sont donc nombreuses.

Dans le même temps, la dépendance aux importations provenant de l'Hexagone traduit une survivance d'un modèle économique obsolète et une intégration régionale insuffisante. Le tissu productif reste spécialisé dans un nombre limité de productions, notamment agricoles, destinées à l'exportation et non à satisfaire les besoins locaux.

La dernière crise de la vie chère dans mon territoire a été apaisée, à défaut d'être éteinte, par la signature d'un protocole visant à faire baisser les prix de 6 000 produits alimentaires.

Un an plus tard, la moitié du chemin seulement a été parcourue. Les engagements de la collectivité territoriale de Martinique et de l'État en matière fiscale – abaissement de l'octroi de mer et de la TVA sur ces produits – ont été tenus. En conséquence, la hausse des prix des produits alimentaires sur un an y est plus faible que dans l'Hexagone et plus faible encore que dans tous les autres territoires d'outre-mer.

Pour autant, ces progrès ne seront pas confirmés dans la durée si l'État revient aujourd'hui sur la parole donnée. Je pense en particulier aux engagements pris solennellement par le préfet lors de la signature du protocole d'objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère en Martinique, et repris par les ministres successifs, en ce qui concerne la compensation des frais d'approche.

L'exaspération, voire la colère, des populations ultramarines à ce sujet est forte : les braises de la contestation pourraient de nouveau aisément se rallumer. Restons donc attentifs aux attentes de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme le rapporteur et M. Vincent Louault applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme Micheline Jacques, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux le dire en introduction de mon intervention : malgré son titre ambitieux, ce projet de loi ne nous paraît, malheureusement, en aucun cas de nature à changer fondamentalement la donne dans le domaine de la lutte contre la vie chère dans les outre-mer.

Depuis plusieurs mois, les gouvernements successifs présentent ce texte comme une initiative majeure, qui serait à même d'avoir un effet économique significatif pour le pouvoir d'achat de nos compatriotes ultramarins. Nous en espérions par conséquent beaucoup.

Or, après avoir travaillé ce texte en profondeur et écouté l'ensemble des parties prenantes, nous considérons pour notre part que les différentes mesures proposées, même cumulées, ne devraient avoir qu'un effet mineur sur la formation des prix en outre-mer, du moins à court terme.

Il importe donc, en tout premier lieu, de ne pas donner de faux espoirs qui engendreraient bientôt d'amères déceptions chez nos concitoyens ultramarins : en aucun cas ce projet de loi ne fera disparaître le phénomène de la vie chère en outre-mer. Tout au plus contribuera-t-il à améliorer modestement la situation, par un renforcement de la législation facilitant l'accès aux produits de première nécessité. Tout au plus aboutira-t-il à plus de transparence. C'est certes mieux que rien, mais c'est tellement insuffisant…

Pour illustrer ce constat, j'évoquerai brièvement quelques sujets essentiels que ce projet de loi ne traite pas, alors qu'ils pourraient pourtant permettre le développement de l'économie des territoires ultramarins.

La vie chère, ce sont des prix trop élevés par rapport à des revenus insuffisants. Si le projet de loi comprend des dispositions destinées à modérer voire à faire baisser les prix, il est totalement silencieux sur la question des revenus du travail et ne contient que peu de pistes pour soutenir le tissu économique ultramarin.

Or, nous le savons bien, au moins une partie de l'écart de prix entre l'Hexagone et les territoires ultramarins s'explique par des raisons structurelles. Aussi la hausse des revenus du travail, par l'activité économique, l'accroissement des richesses et la création d'emplois, doit-elle être un des axes essentiels de la lutte contre la vie chère.

Un autre dossier majeur n'est pas même abordé : celui de l'insertion des territoires ultramarins dans leur environnement régional. Bien sûr, cette question relève pour une bonne part du droit de l'Union européenne, mais ce n'est pas une raison suffisante à nos yeux pour faire l'impasse sur ce sujet.

Le fait que le commerce des territoires ultramarins se fasse très majoritairement avec l'Hexagone et, plus largement, avec les pays européens, constitue dans bien des cas une aberration économique et environnementale, source de surcoûts qui impactent directement les prix pour les consommateurs.

Que les crevettes de Madagascar doivent transiter par Rungis pour être vendues à Mayotte ou que les citrons du Brésil doivent passer par l'Hexagone pour être commercialisés en Guyane n'a aucun sens !

Mme Évelyne Perrot. Très juste !

Mme Micheline Jacques, rapporteur. Le troisième exemple de sujet laissé en déshérence est celui de l'économie informelle, qui pèse pourtant sur la situation économique de bon nombre de nos compatriotes ultramarins.

Au total, vous l'aurez compris, nous avons été très déçus par ce projet de loi. Celui-ci nous apparaît avant tout comme un texte d'affichage, comme un outil de communication par lequel le Gouvernement souhaite montrer aux populations ultramarines qu'il agit en faveur de leur pouvoir d'achat, alors qu'il se contente de mesures mineures, dont certaines vont certes dans le bon sens, mais auront vraisemblablement un impact peu significatif.

La commission des affaires économiques a néanmoins adopté le projet de loi en y apportant plusieurs modifications au travers de vingt et un amendements.

Elle a souhaité notamment soutenir le tissu économique local en supprimant l'article 1er, qui aurait permis d'abaisser le seuil de revente à perte au profit de la grande distribution et au détriment des petits commerces, mais aussi en valorisant davantage les produits locaux dans le bouclier qualité prix, tout en étendant ce dernier aux services.

Elle a proposé en outre des garanties supplémentaires pour éviter que l'expérimentation du e-hub prévue à l'article 4 ne se fasse pas au détriment des entreprises martiniquaises.

La commission a par ailleurs supprimé l'article 5 qui habilitait le Gouvernement à mettre en place, par ordonnance, un mécanisme de péréquation visant à réduire les frais d'approche. Nous étudierons tout à l'heure le nouveau mécanisme fonctionnel proposé par le Gouvernement par voie d'amendement.

À cet égard, la commission a émis une réserve au sujet d'une modification qui était très attendue par notre collègue Frédéric Buval, compte tenu des accords signés en Martinique en octobre 2024.

Les autres modifications adoptées par la commission visent à renforcer la transparence sur les avantages commerciaux consentis aux distributeurs, les sanctions appliquées en cas de manquement aux engagements, ainsi que les pouvoirs des instances chargées de lutter contre la vie chère. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer, que nous examinons cet après-midi, s'impose.

S'il vient compléter plusieurs propositions de loi déjà examinées et adoptées, il aurait pu, de l'avis de tous et comme l'ont souligné les rapporteurs, dont je salue au passage le travail, aller plus loin et comporter des mesures plus concrètes pour nos concitoyens ultramarins.

Ce texte est en effet très attendu. Lors de l'examen de la proposition de loi de notre collègue Victorin Lurel en mars dernier, le Gouvernement avait renvoyé plusieurs mesures à ce projet de loi.

Ce dernier comporte néanmoins – cela a été dit – plusieurs insuffisances. Première insuffisance, des mesures relatives à l'octroi de mer auraient pu être avancées pour atteindre l'objectif affiché de lutte contre la vie chère.

En effet, l'incidence de l'octroi de mer n'est aujourd'hui qu'imparfaitement compensée par l'application d'une taxe sur la valeur ajoutée à taux zéro ou à un taux inférieur au taux métropolitain sur certains produits.

L'octroi de mer est une taxe essentielle à l'équilibre économique des départements et régions d'outre-mer (Drom), qui protège la production locale en rétablissant une compétitivité-prix raisonnable. Il garantit l'autonomie fiscale et budgétaire des collectivités ultramarines et permet de fournir les services publics dont la population a besoin. Nous serons donc attentifs aux amendements éventuels portant sur l'octroi de mer.

Il conviendra, à notre avis, de lancer une réflexion globale impliquant l'ensemble des collectivités locales pour évaluer cet impôt et proposer des pistes d'évolution.

La deuxième insuffisance que je souhaitais mentionner concerne les marchés concurrentiels et les centrales d'achat en territoire ultramarin.

Le sujet des centrales d'achat me tient à cœur et nous en avons beaucoup parlé dans le cadre des débats sur les lois Égalim. Les accords-cadres conclus au niveau national entre les fournisseurs et les centrales d'achat comportent des conditions générales de vente qui excluent quasi systématiquement les Drom et les collectivités d'outre-mer (COM) de leur circuit d'approvisionnement ou de leur circuit de promotion.

L'argument avancé lors de l'adoption de la première loi Égalim en 2018 était le fonctionnement bien spécifique du bouclier qualité prix, qui, on le voit, n'apporte toujours pas de véritable réponse au problème de la vie chère.

Cette exclusion se traduit par l'impossibilité d'approvisionner lesdits territoires dans le cadre des contrats négociés par les centrales d'achat des groupes, et donc à des prix plus intéressants.

Ainsi, les habitants des Drom-COM ne bénéficient pas des tarifs avantageux, des promotions marketing ou des opérations spécifiques qui sont proposés par les distributeurs en métropole.

En conséquence, les commerçants de ces territoires s'approvisionnent auprès des fournisseurs à des prix à l'exportation qui sont souvent beaucoup plus élevés et qui sont surtout assortis de marges.

L'autre solution pour ces commerçants est de solliciter l'importateur-grossiste local, qui est souvent l'agent de la marque sur le territoire. Ces importateurs-grossistes appartiennent fréquemment à des groupes qui assurent eux-mêmes, par ailleurs, la distribution. Cela revient donc pour le commerçant à s'approvisionner chez son propre concurrent.

Ces contraintes de marché sont lourdes de conséquences financières pour nos concitoyens. Elles ne permettent pas une libre concurrence loyale et vertueuse pour le consommateur et contribuent au prix élevé des produits de grande consommation dans les Drom-COM.

Dans son rapport d'avril dernier, la délégation aux outre-mer préconisait notamment d'interdire l'exclusion des outre-mer du champ d'application territorial des conditions générales de vente des contrats entre centrales d'achat, distributeurs et fournisseurs.

Cette mesure contribuerait à un meilleur accès des Ultramarins aux produits de grande consommation dans le cadre d'une concurrence qui doit être organisée. À mon sens, elle doit cependant être approfondie avec les industriels et les distributeurs pour bien en appréhender l'ensemble des modalités.

En métropole, nous savons combien les centrales d'achat peuvent présenter des avantages, mais aussi beaucoup d'inconvénients.

Bien que ce texte soit incomplet, le groupe Union Centriste le votera. Par solidarité avec nos concitoyens des territoires ultramarins, nous soutenons en effet toute mesure allant dans le sens d'une meilleure qualité de vie et de la lutte contre la vie chère. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. Pierre-Jean Verzelen et Vincent Louault applaudissent également.)