Présidence de Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
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Garantir la qualité des services de gestion des déchets
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, la discussion de la proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 221, résultat de travaux n° 50, rapport n° 49).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi.
Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un Français produit en moyenne huit fois son poids en déchets ménagers chaque année, ce qui représente 615 kilogrammes par habitant, un chiffre en hausse de plus de 4 % en dix ans. Près de la moitié sont des ordures ménagères résiduelles non triées et non revalorisées.
En quarante ans, la quantité de déchets produits par les ménages a doublé, entraînant une hausse continue des coûts liés à la collecte et au traitement. Entre 2000 et 2022, ces dépenses sont ainsi passées de 9,4 milliards d'euros à 21,6 milliards d'euros.
La collecte et le traitement des ordures ménagères sont un service public indispensable et particulièrement visible lorsqu'il n'est pas assuré. En effet, les grèves des éboueurs nous rappellent à quel point sont essentiels ces femmes et ces hommes « que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal », disait le Président de la République en 2020.
Il serait évidemment tout à fait souhaitable de réduire la production des déchets à la source en luttant contre le suremballage, contre le gaspillage et contre les incitations publicitaires à acheter des produits qui sont finalement jetés sans avoir été consommés ou utilisés. Les gouvernements successifs ayant été assez timides sur la question, malgré quelques avancées récentes sur la fast fashion, les collectivités sont confrontées à cette question cruciale de la collecte et du traitement des déchets et doivent chercher elles-mêmes la bonne formule pour en réduire la production.
La loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement et la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dites lois Grenelle, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec) ont fixé des objectifs, dont celui, prioritaire, de la réduction de la production de déchets.
À cette fin, la tarification incitative devait concerner 15 millions d'habitants en 2020 et 25 millions d'habitants en 2025. Ce système, qui lie la tarification au volume de production de déchets, a vocation à encourager les usagers à modifier leurs comportements : diminuer leur production de déchet, trier davantage et adopter un mode de consommation plus responsable.
Selon la Cour des comptes, en 2022, quelque 6 millions de Françaises et de Français étaient concernés par la tarification incitative, et 200 collectivités l'avaient mise en place selon le principe du pollueur-payeur.
Cette incitation peut prendre la forme d'une taxe ou d'une redevance.
La taxe d'enlèvement des ordures ménagères incitative (Teomi) est toujours déterminée en fonction de la valeur locative du logement, mais on lui assortit une part variable liée au volume de déchets produits.
La redevance d'enlèvement des ordures ménagères incitative (Reomi) est directement liée au service rendu. Elle comporte une part variable et une part calculée en fonction du volume des déchets produits et de la composition des foyers. Elle peut inclure un nombre de levées annuel. Auquel cas, le service est facturé directement par la collectivité gestionnaire.
La majorité des collectivités ayant instauré une tarification incitative ont choisi la redevance, qui, à en croire le rapport du commissariat général au développement durable, donne de meilleurs résultats. En effet, alors que la production de déchets est réduite à 234 kilogrammes par habitant dans les collectivités appliquant la taxe incitative, ce chiffre diminue à 134 kilogrammes dans les collectivités ayant opté pour la redevance incitative.
À Besançon, par exemple, la redevance incitative, couplée à d'autres dispositifs de sensibilisation, a permis de réduire de moitié la production de déchets depuis 2008.
Les méthodes de calcul de ces deux types de taxation sont différentes, mais aucune n'est liée au niveau de revenu du foyer. Cela pose des problèmes de justice sociale qui n'étaient pas forcément visibles lorsque le coût d'enlèvement des ordures ménagères ne représentait qu'une part marginale du budget des familles.
Or, comme je l'ai évoqué en commission, un rapport du Sénat de 2014 a révélé que la contribution des usagers avait déjà quadruplé entre 1990 et 2010. L'État étant en pleine recherche de nouvelles recettes, il ne cesse d'augmenter la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Au bout de la chaîne, les conséquences pour le contribuable sont lourdes.
Au 1er janvier 2025, la TGAP s'élevait à 65 euros la tonne pour les déchets enfouis et à 41 euros la tonne pour les déchets incinérés. Pour ce qui concerne les déchets enfouis, elle pourrait passer de 65 euros à 105 euros la tonne en 2030.
Le montant perçu par l'État au titre de cette taxe dépasse actuellement 1,3 milliard d'euros. Mais, il faut le dire, ces recettes ne sont malheureusement pas utilisées pour aider les collectivités à assurer leurs dépenses d'investissement destinées, notamment, à améliorer le tri.
Le surcoût de gestion de ce service pour les collectivités est estimé entre 240 millions et 450 millions d'euros d'ici à 2030, selon qu'elles parviendront ou non à enfouir moins de déchets et à réaliser les investissements nécessaires.
Le projet de loi de finances (PLF) 2026 n'est pas de nature à nous rassurer. Il prévoit une nouvelle baisse du fonds vert, dont l'un des objets est de financer les actions contribuant à réduire la production d'ordures ménagères résiduelles, notamment la généralisation du tri à la source et la valorisation des biodéchets.
Alors que les crédits du fond vert ont été divisés par deux entre 2024 et 2025, passant de 2,5 milliards d'euros à 1,15 milliard d'euros, ils devraient de nouveau être divisés par deux ou presque en 2026. Ce désengagement de l'État pèse sur la fiscalité locale et, bien entendu, ce sont les contribuables qui paient la facture.
Dans le même temps, il faut savoir que la France, en raison de la non-atteinte de ses objectifs de recyclage, a dû régler en 2023 une amende de 1,5 milliard d'euros à l'Union européenne au titre de la contribution plastique.
Si le passage à la tarification incitative repose sur un principe d'égalité devant les charges, il a des répercussions sur certains usagers. Je pense en particulier aux familles nombreuses, qui produisent inévitablement plus de déchets, mais aussi, par exemple, aux personnes vivant seules dans une grande maison et assujetties à une taxe foncière élevée.
Aussi, face à ces situations, il nous paraît opportun de permettre aux collectivités gestionnaires d'inclure des critères sociaux dans l'élaboration de leurs grilles tarifaires. Selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), près de la moitié des collectivités qui sont passées en tarification incitative ont réduit la production d'ordures ménagères résiduelles de 30 % à 50 %.
Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) a publié en 2024 un rapport intitulé Faire de la transition écologique un levier de l'inclusion sociale, réalisé en partenariat avec l'Agence de l'environnement, de l'Ademe et le soutien du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ce document souligne que la transition écologique est porteuse de risques sociaux pour les plus modestes, qu'il convient d'anticiper et de prévenir.
Nous ne pouvons fermer les yeux sur le coût de ce service, qui est supporté par les collectivités et se répercute sur les usagers. Cette réalité, je la vis dans mon département, la Dordogne, où des associations d'usagers se sont créées pour réclamer davantage de justice et d'équité à la suite de la mise en place de la redevance incitative, qui a conduit à supprimer le porte-à-porte et à installer des points d'apport volontaire (PAV).
Cette contestation étant légitime, elle essaimera certainement ailleurs – nous en entendons d'ailleurs déjà parler –, d'autant plus que le coût de la vie devient de plus en plus élevé et que les salaires, évidemment, ne suivent pas.
La proposition de loi que je vous propose résulte d'une expérience, d'un vécu, d'observations de terrains. Elle a pour but essentiel de permettre aux collectivités qui le souhaitent d'instaurer une tarification sociale. Actuellement, la réglementation ne les autorise pas à le faire pour les déchets, alors qu'elle le permet pour les services de l'eau, de la petite enfance, ou encore des transports.
Or les familles nombreuses et modestes ne sont pas les seules à être touchées ; les ménages avec enfants en bas âge, les personnes incontinentes et/ou âgées le sont aussi. Il en va de même pour les associations caritatives comme les Restos du Cœur, qui doivent, après tri, prendre en charge financièrement les rebuts des dons alimentaires des grandes surfaces.
La guerre des poubelles aura-t-elle lieu ? Je le crois si nous continuons à ignorer la colère de nos concitoyens, qui constatent que plus ils trient, plus ils paient. Si ces derniers sont convaincus de la nécessité de réduire leurs déchets, ils vivent d'autant plus mal le coût de la collecte qu'il devient insupportable pour certaines familles.
Nous devons faire de la transition écologique un levier de solidarité, plutôt qu'un facteur d'inégalités.
À l'article 1er, nous matérialisons le principe d'égalité en créant une tarification sociale tenant compte des revenus et de la composition des ménages. Et non, monsieur le rapporteur, je ne crois pas que cette tarification sociale puisse être comprise comme un droit à produire davantage de déchets. Au contraire, cette mesure de justice sociale est l'une des voies menant à l'apaisement, en ce qu'elle évitera des incivilités et des dépôts sauvages.
Quant à devoir fournir des données telles que sa situation fiscale ou médicale pour profiter de la mesure, nous savons que la collectivité gestionnaire est tenue par le droit au respect de la confidentialité.
L'article 2, qui impose un point d'apport volontaire pour 200 habitants pour un meilleur maillage, j'affirme qu'il est conforme à l'avis du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires du 6 décembre 2023.
À mes nombreux collègues qui cherchent actuellement à réaliser des économies budgétaires, je tiens à dire que cette proposition de loi n'est pas de nature à leur compliquer la tâche. Elle a pour seul objectif de permettre aux élus qui le souhaitent d'instaurer, par délibération, une tarification incitative sociale adaptée à leur territoire.
À l'aune de la promesse d'une nouvelle étape de décentralisation, il s'agit simplement de faire confiance aux élus locaux en respectant le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
Mme Marie-Claude Varaillas. Mes chers collègues, je serai attentive à l'ensemble de nos échanges et me tiendrai disponible tout au long du débat pour vous convaincre de la pertinence de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Christian Bilhac applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue au Sénat pour votre baptême dans cet hémicycle !
Madame la présidente, mes chers collègues, la collecte, le transport et le traitement des déchets constituent un défi logistique, écologique et surtout budgétaire pour nos territoires.
Chaque année, ce sont environ 559 kilogrammes de déchets ménagers par personne qui sont collectés. Ces seize dernières années, nous avons réduit notre production de déchets de seulement 5 %. Pour le dire très explicitement, nous ne parvenons plus à réduire significativement les quantités de déchets que nous produisons en France.
Face à de tels enjeux, le législateur a intelligemment choisi de faire confiance à nos collectivités, qui sont les plus à même de déterminer l'organisation et le mode de financement les plus appropriés au service public de gestion des déchets. En effet, nous avons qu'il existe un lien direct entre la quantité de déchets et le financement de leur collecte.
Les communes peuvent décider d'assumer l'intégralité de la compétence, mais c'est devenu très rare : ce n'est plus le cas que de six communes en France, majoritairement insulaires. Le choix le plus courant est de transmettre à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou à un syndicat mixte soit l'ensemble de la compétence, soit la seule partie transport et traitement.
Depuis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), la compétence collecte et traitement des déchets ménagers est une obligation pour les EPCI, qui peuvent aussi faire le choix – ils le font de plus en plus souvent – de se regrouper au sein d'un syndicat mixte.
Pour résumer, en France, 1 169 structures, qui peuvent être des communes, des EPCI ou des syndicats mixtes, sont chargées d'assurer la collecte, le transport ou le traitement des déchets.
Afin de financer l'exercice de leur compétence, ces structures disposent d'une relative latitude.
Elles peuvent choisir de faire reposer le financement sur les contribuables par le biais de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Celle-ci n'est pas calculée sur le volume de déchets générés par chaque foyer, mais résulte de l'application d'un taux, librement fixé par la collectivité et corrélé à la valeur locative du bien qui sert de base à la taxe foncière. Ce choix a été fait par 63 % des 1 169 collectivités ou groupements compétents.
Ce mode de financement présente l'avantage de favoriser une relative – j'insiste sur ce mot – équité sociale : plus la valeur locative du bien est élevée, plus le coût du service l'est aussi. En revanche, il décorrèle le montant payé du service, et donc de la quantité de déchets produits, ce qui n'incite pas les usagers à limiter leur production de déchets.
Les collectivités peuvent également décider d'instaurer une redevance d'enlèvement des ordures ménagères (Reom), proportionnelle au service rendu, donc à la quantité de déchets émise par le foyer. Ce mécanisme présente l'inconvénient de ne pas du tout tenir compte de la valeur du bien immobilier – donc, indirectement, les moyens dont dispose le foyer – pour déterminer le montant à régler, mais il pousse à réduire la production de déchets.
La volonté du législateur de réduire la quantité de déchets ménagers produits l'a conduit à prévoir, pour chacune de ces deux modalités de financement, une part incitative. L'idée est de faire payer une part fixe aux ménages, forfaitaire, et une part variable, ce qui les incite à réduire la quantité de déchets ultimes et à mieux trier les déchets valorisables comme les emballages et les biodéchets.
Dans les faits, même si la Teomi et la Reomi, c'est-à-dire la Teom et la Reomi incitatives, connaissent une certaine progression, elles restent globalement peu fréquentes : dans la pratique 72 % des Français sont assujettis à la Teom classique, c'est-à-dire sans part incitative.
Tout comme elles sont relativement libres d'organiser et de financer cette compétence comme elles l'entendent, les collectivités jouissent d'une certaine marge de manœuvre concernant les modalités de collecte.
Même si des contraintes existent selon la densité de population, les collectivités ont globalement le choix entre différentes formes de collecte. La collecte en porte-à-porte est bien sûr la plus répandue, mais nos territoires se sont adaptés en créant d'autres modes de collecte.
Je ne vais pas toutes les citer, mais vous connaissez par exemple la collecte souterraine pneumatique, la collecte par voie fluviale, la collecte multiflux, la collecte de biodéchets, la collecte des encombrants, la collecte des déchets d'équipements électriques et électroniques, la reprise des déchets par le distributeur, ou encore les fameux points d'apport volontaire (PAV), que cette proposition de loi cherche à généraliser massivement.
Face à cette très grande variété des situations, qui reflète la diversité de nos territoires et de nos usages, nos collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky ont déposé une proposition de loi dont je tiens à dire qu'elle a le mérite de soulever des enjeux extrêmement importants, même si, dans sa grande majorité, la commission des finances ne partage pas les solutions qu'elle préconise.
Que cherchent à faire les auteurs de cette proposition de loi et pourquoi ne nous semble-t-il pas opportun de l'adopter, en tout cas en l'état ?
Cette proposition de loi est censée donner aux collectivités la faculté de moduler le montant de la Reom ou de la part incitative de la Teom en fonction de certains critères sanitaires ou sociaux : les revenus du foyer, le nombre de personnes qui y vivent ou la présence d'une personne qui « connaît des problèmes de santé entraînant une production élevée de déchets ».
Je reconnais le caractère séduisant de cette démarche. Après tout, il ne s'agit que d'ouvrir une faculté et, de prime abord, les critères évoqués semblent légitimes. Mais après avoir creusé la question, je suis convaincu que cette disposition serait la source de très nombreuses difficultés pratiques. Les auditions que j'ai conduites m'ont conforté dans ce point de vue.
Tout d'abord, l'instauration d'une tarification incitative sur critères sociaux, si elle se traduit par un droit renforcé à produire davantage de déchets lorsque l'on a moins de moyens, risque paradoxalement de favoriser une hausse de la production de déchets. (Mme Marie-Claude Varaillas et M. Alexandre Basquin protestent.) Elle pourrait donc, je le dis comme je le pense, avoir un effet contre-productif sur l'environnement.
Ce n'est pas parce que l'on a moins de revenus que l'on ne peut pas diminuer sa production de déchets. Nous devons tous, quels que soient nos revenus, chercher à réduire la quantité de déchets que nous produisons.
Néanmoins, ce n'est pas le seul problème que pose le texte : permettre aux collectivités de tenir compte des revenus pour déterminer le montant de la Reom ou de la Teom supposerait une clarification des organismes ayant accès à des informations aussi confidentielles que la situation fiscale des foyers concernés. Nous voyons bien les questions de confidentialité en cascade que poserait un tel mécanisme.
C'est d'autant plus gênant que la rédaction proposée ne signifie absolument pas que le montant de la Reom ou de la Teom va diminuer pour les personnes aux revenus modestes. Ce n'est pas précisé.
Mme Cécile Cukierman. Il fallait déposer un amendement !
M. Olivier Paccaud, rapporteur. J'ai lu et relu l'article 1er, et sa rédaction peut simplement signifier que le montant de la Reom ou de la Teom acquittée par les classes moyennes ou les plus aisés pourra augmenter, ce qui ne répondra pas à l'objectif de réduire le nombre d'impayés.
En ce qui concerne les problèmes de santé entraînant une production élevée de déchets, il semblerait que la proposition de loi vise principalement les personnes incontinentes, auxquelles vous avez fait référence. Or la rédaction proposée couvre des situations beaucoup plus nombreuses, qui nous laissent imaginer toutes les difficultés de tarification que cela créerait.
Comment mesurerait-on la part des déchets liés à l'incontinence ? Comment garantirions-nous le respect du secret médical, à moins de solliciter un certificat médical, que les personnes concernées seront peut-être réticentes à fournir ?
Au bout du compte, ne risquons-nous pas de complexifier la situation et de compliquer la tâche de nos collectivités, qui n'ont vraiment pas besoin de nouvelles normes – sur ce point, elles sont malheureusement bien dotées ! Le mot « hypercomplexification » a d'ailleurs été prononcé à de très nombreuses reprises lors des auditions que nous avons menées.
J'ai la même lecture des autres dispositions de la proposition de loi. Le texte vise à rendre obligatoire, lorsque la collecte s'appuie sur des points d'apport volontaire, la mise à disposition par les collectivités d'au moins un PAV pour 200 habitants.
Un tel maillage minimal serait extrêmement contraignant pour les collectivités, alors même que, dans la majorité des cas, la collecte des déchets, en particulier celle des ordures ménagères résiduelles, repose surtout sur des modalités mixtes alliant apport volontaire et collecte en porte-à-porte.
Par ailleurs, est-il adéquat de retenir la même densité pour tout le territoire national ? Reconnaissez que 200 habitants en zone urbaine, ce n'est pas pareil que 200 habitants en zone rurale… M. Fournier le sait très bien, et je ne parle même pas de la montagne ! (Sourires.) Vous imaginez le nombre de bacs de collecte qu'il faudrait dans les grandes villes pour respecter ce critère ? Rue de Vaugirard, il en faudrait un tous les cinquante mètres ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE-K.)
Même si je partage une partie du diagnostic, je reste sceptique sur le dispositif. Ne contraignons pas davantage les décideurs locaux dans leurs choix de gestion par des politiques coûteuses pour les collectivités ! Le droit actuel est de nature à répondre à la variété des situations, même si cela suppose un dialogue permanent, et je ne sous-estime pas les difficultés qui peuvent naître ici ou là.
Enfin, l'instauration d'un comité des usagers prévue à l'article 3 est a priori satisfaite par le droit existant. Il n'est donc pas nécessaire de légiférer sur ce point.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, je reconnais à cette proposition de loi le mérite de lancer le débat, mais la commission des finances vous propose de rejeter chacun de ses articles, ainsi que les deux amendements – une fois, bien sûr, que le débat aura eu lieu ! (MM. Stéphane Le Rudulier et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Michel Fournier, ministre délégué auprès de la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé de la ruralité. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est en effet la première fois que j'ai l'honneur de m'exprimer devant votre assemblée, et je suis heureux que ce soit sur un sujet aussi concret et essentiel pour nos territoires que celui de la gestion de nos déchets.
La proposition de loi qui nous réunit aujourd'hui ouvre un débat important, celui de la qualité du service rendu à nos concitoyens et des conditions dans lesquelles nos collectivités peuvent l'assurer durablement. Le Gouvernement en partage bien sûr pleinement l'objectif, même s'il diverge sur les moyens proposés, à commencer par l'instauration, à l'article 1er, d'une tarification sociale du service public de gestion des déchets.
Cette proposition part d'une volonté que nous partageons toutes et tous : celle d'une plus grande équité pour les ménages les plus modestes. Mais, comme l'a justement rappelé M. le rapporteur, il nous semble qu'elle ne constitue pas la réponse la plus adaptée à cet objectif.
En effet, la tarification incitative vise à responsabiliser les usagers, en faisant varier leur contribution selon la quantité de déchets produits. Son objectif est donc non pas de moduler la charge fiscale, mais d'encourager la réduction à la source. Y introduire des critères sociaux reviendrait à détourner le dispositif de sa vocation première et, surtout, à brouiller le signal adressé aux citoyens, à savoir que moins l'on produit, moins l'on paie.
Cette proposition pourrait aussi créer une rupture d'égalité devant la charge publique, en introduisant une différence de traitement sans lien direct avec la finalité environnementale du dispositif. Elle instaurerait également un traitement différencié entre les territoires, puisque chaque collectivité pourrait déterminer les critères socio-économiques qu'elle considère justifiés.
Mme Cécile Cukierman. Cela s'appelle la différenciation !
M. Michel Fournier, ministre délégué. Les obstacles techniques et juridiques sont également majeurs. Comment identifier précisément les foyers éligibles à un tarif social ? Comment articuler ce mécanisme avec les modalités actuelles de calcul de la Teom ou de la Reom, établies par les services fiscaux sur la base de la taxe foncière ? Comment traiter les situations particulières liées à des problèmes de santé générant une production accrue de déchets spécifiques ?
Ces difficultés, qui ont été largement soulignées lors des auditions menées par le rapporteur, nourrissent la crainte légitime d'une complexification pour les collectivités locales.
En définitive, cette réforme serait difficile à appliquer, peu lisible pour les usagers et fragile sur le plan juridique. Néanmoins, il est possible de répondre au souci de solidarité qui l'inspire en actionnant d'autres leviers, plus efficaces et déjà opérationnels.
Je pense notamment aux aides sociales locales des centres communaux d'action sociale (CCAS) ou des centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) pour les foyers les plus modestes, ou encore au fonds de solidarité logement, qui a vocation à aider les ménages en difficulté à payer, par exemple, la Teom ou la Reom. (Marques d'agacement sur les travées du groupe CRCE-K.)
Ainsi, tout en saluant l'intention de justice sociale qui sous-tend cette proposition, le Gouvernement sera défavorable à l'article 1er, par cohérence avec l'objectif environnemental et la clarté d'action qui doivent guider la politique publique des déchets.
En ce qui concerne l'article 2, qui prévoit d'imposer un maillage obligatoire des points d'apport volontaire, le Gouvernement partage également le constat du rapporteur : appliquer une règle uniforme à toutes les situations ne semble pas satisfaisant.
Le cadre juridique actuel est clair. L'article R. 2224-26 du code général des collectivités territoriales confie au maire ou, plus souvent, au président du groupement compétent, la responsabilité d'établir, par arrêté, les modalités de collecte des déchets. Il appartient donc aux communes ou, plus fréquemment, à leurs groupements d'adapter aux besoins du territoire le nombre et la taille des points d'apport volontaire qu'ils implantent.
Il serait pour le moins délicat d'imposer un ratio national, en l'occurrence un point d'apport pour 200 habitants, dans une commune comme la mienne, où l'habitat est dispersé. (Mme Cécile Cukierman proteste.) Cela reviendrait à nier la diversité des situations locales et à limiter la marge d'appréciation des élus locaux, qui savent mieux que nous, à Paris, quel maillage est le plus pertinent pour leur territoire.
C'est d'autant plus vrai que les collectivités disposent souvent de modes de collecte complémentaires : lorsqu'une collecte en porte-à-porte est assurée, le besoin de points d'apport volontaire s'en trouve naturellement réduit.
En réalité, et je vous le dis en tant qu'élu local, mesdames, messieurs les sénateurs, une telle disposition introduirait une contrainte supplémentaire, à rebours de la demande constante des élus locaux d'une plus grande souplesse dans la fixation des règles de collecte.
Mme Marie-Claude Varaillas. C'est bien le sujet !
M. Michel Fournier, ministre délégué. Plutôt que d'imposer un seuil rigide, le Gouvernement estime préférable de renforcer l'accompagnement technique des collectivités, avec l'appui des agences et des services de l'État dans les territoires, en développant des outils méthodologiques d'aide à la décision, ainsi que, le cas échéant, un accompagnement sur site.
Cette approche pragmatique permettrait, je le crois très profondément, d'adapter le maillage aux réalités de tous les territoires, auxquels il faut faire confiance – je sais que c'est un principe important au sein de votre assemblée –, sans alourdir inutilement le cadre législatif. C'est pourquoi nous sommes également défavorables à cette mesure.
 
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                            
