Mme Françoise Gatel, ministre. Je termine ainsi mon propos introductif. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente et aura la faculté de répondre à la réplique pendant une minute ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s’il est désormais nécessaire de poser la question de la dette, de la contenir et de la réduire, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur le sens à donner à ce débat.
Nous savons que, dans leur immense majorité, les collectivités ont un réel souci de bonne gestion. Depuis la crise du covid, au cours de laquelle leur action, indispensable, a été remarquable, elles ont dû faire face à l’inflation et à la hausse des coûts de l’énergie. Malgré la suppression totale de la taxe d’habitation sur les résidences principales, qui représentait plus de 21 milliards d’euros de recettes, et malgré la disparition progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), elles ont su faire des choix courageux.
Dès lors, à quoi bon soulever une fois encore la question de la responsabilité des collectivités locales ? Nous devrions plutôt engager, sans œillères, une discussion sur les transferts de compétences, notamment sur les transferts rampants, qui ne sont jamais – ou si peu, ou si mal – compensés. Leur multiplication met à mal l’idée même de décentralisation.
Le Premier président de la Cour des comptes se plaît à pointer le rôle « significatif » des collectivités territoriales dans la dégradation de la situation des finances publiques dans leur ensemble. Je veux lui dire que, si la part desdites collectivités dans le déficit a progressé de 10 milliards d’euros depuis 2017, celle de l’État a, quant à elle, bondi de plus de 880 milliards d’euros au cours de la même période. De même, le projet de loi de finances pour 2026 prévoit que la contribution des collectivités territoriales représentera plus de 15 % de l’effort budgétaire global, alors que leur dette ne représente que 8 % de la dette publique, soit 262 milliards d’euros sur un total de 3 305 milliards d’euros.
Ma question est simple : en quoi les collectivités, soumises à une règle d’or qui leur impose de voter des budgets en équilibre, sont-elles responsables du déficit ? Que M. Moscovici ose donc désigner les vrais responsables, sans transformer les collectivités locales en boucs émissaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Mireille Jouve, vous interpellez M. Moscovici. Je lui transmettrai le message, mais il l’a sans doute déjà entendu.
Je pense sincèrement ce que j’ai dit tout à l’heure. Au nom du Gouvernement, je peux affirmer qu’aucun membre de ce gouvernement, ni du précédent, n’a dit que les collectivités étaient responsables de ce déficit.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Du précédent, si !
Mme Françoise Gatel, ministre. En tout cas, vous n’entendrez jamais cela dans ma bouche. Je sais, madame de La Gontrie, que les gouvernements se succèdent rapidement, mais le dernier n’a guère eu le temps de dire ce qu’il pensait… (Sourires.)
Une chose est sûre, nous n’avons qu’un seul budget : celui de la France. Si nous avons eu l’occasion de dire que l’État avait peut-être été un peu trop cigale, il faut aussi rappeler que le budget de la France n’est pas en équilibre depuis plus de cinquante ans. Nous avons connu des périodes où la DGF n’avait pas été revalorisée à hauteur de l’inflation ; d’ailleurs, dans les années 2015, celle-ci a baissé très significativement. Il y a donc eu des aléas et des trous d’air.
Ce que nous vous proposons, c’est d’affirmer notre volonté collective de redresser nos finances et de limiter l’endettement. Il s’agit d’un effort collectif, auquel nous demandons aux collectivités de participer. En effet, il ne faut pas oublier que l’État finance la justice, les forces de police, les forces de gendarmerie, etc. Pendant la crise sanitaire, il est même intervenu pour aider les entreprises et pour éviter la destruction du tissu économique. On peut penser ce que l’on veut de la manière dont cet argent a été dépensé, mais il est indéniable qu’il a bénéficié en partie à l’ensemble des Français.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements en 2024, la Cour des comptes aborde la question du soutien de l’État à l’investissement local, qui, nous le savons, est essentielle pour tous les territoires de France.
Permettez-moi tout d’abord de me réjouir que le Gouvernement ait pris en compte les propositions que nous avons formulées pour sauver le fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT). Cela permettra notamment de poursuivre les actions du plan France Ruralités.
En revanche, madame la ministre, je veux vous alerter sur les risques que ferait peser sur nos territoires ruraux la suppression de la DETR – car c’est bien de cela qu’il s’agit ! –, que le Gouvernement propose de diluer dans un fonds unique regroupant l’ancienne DETR, l’ancienne DSIL et aussi l’ancienne dotation politique de la ville (DPV).
La DETR, je le rappelle, est un outil financier au service des territoires ruraux, un outil simple, bien connu et apprécié de tous les élus ruraux.
Pourquoi casser ce qui marche bien ? Alors qu’il y a tant de problèmes à régler dans notre pays, pourquoi en créer là où il n’y en a pas, madame la ministre ?
Nous comptons sur vous pour ne pas envoyer ce mauvais message aux communes rurales et pour maintenir la DETR dans sa forme actuelle, qui, j’y insiste, est très appréciée des élus locaux.
Surtout, ne mettez pas en avant l’argument séduisant de la simplification pour justifier cette mesure. Nous pouvons facilement simplifier la vie des élus tout en maintenant la DETR. Je suis prêt à en parler avec vous.
Madame la ministre, accepteriez-vous de nous aider à sauver la DETR, en renonçant à ce projet de fusion ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et SER.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Oui, bien sûr !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur Delcros, j’aime beaucoup votre question, car la réponse s’y trouve ! (Sourires.)
Permettez-moi de vous exposer l’origine de cette proposition, qui consiste à regrouper les dotations que vous avez citées dans un fonds d’intervention territoriale (FIT) – c’est ainsi que nous l’avons nommé.
Il est envisagé de créer ce fonds, sans diminution des enveloppes financières concernées – c’est important –, pour répondre aux demandes de simplification des élus et des préfets.
Vous avez raison : la DETR vise une certaine catégorie de communes et ses modalités de calcul sont bien définies. Il en est de même pour la DSIL, que tout le monde connaît dans cet hémicycle, et pour la DPV.
Vous savez comme moi, parce que vous siégez à la commission d’élus de la DETR de votre département, que les préfets, qui font toujours preuve d’une agilité et d’une grande écoute des territoires, parviennent à soutenir certains projets des communes grâce à la DETR ou à la DSIL, quelquefois même en combinant les deux ou en ayant en plus recours à des crédits provenant du fonds vert.
Lorsque nous avons proposé de créer le FIT tel qu’il figure dans le projet de loi de finances, notre idée était de faire en sorte que tous les crédits soient consommés à la fin de l’année, ce qui n’est jamais le cas.
Je ne préjuge pas des discussions qui auront lieu au Sénat sur ce point.
Je vous assure toutefois, et vous le savez très bien, qu’au sein de cette enveloppe globale de dotations nous avons isolé la DETR. Nous avons d’ailleurs pris soin de préciser que, si le FIT était mis en place, les critères d’éligibilité à cette dotation ne changeraient pas. Les communes qui y étaient éligibles le seront donc toujours, et de la même manière.
Je sais qu’il faut tenir compte du poids des mots et que ces derniers sont parfois des symboles. C’est pourquoi vous pouvez avoir l’impression que la DETR, parce qu’elle n’est plus mentionnée de manière isolée, a disparu. Je tiens à vous rassurer : ce n’est pas du tout le cas.
Nous aurons certainement l’occasion de débattre de ce sujet durant l’examen du projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour la réplique.
M. Bernard Delcros. Madame la ministre, je vous remercie de cette ouverture ; c’est en tout cas ainsi que je comprends vos propos.
Toutefois, je suis persuadé, et je ne suis pas le seul à le penser, que toutes les explications du monde ne suffiront pas à justifier la suppression de la DETR. Le Sénat mènera le combat pour la sauver de façon déterminée ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et SER, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos collectivités ont du talent, ce talent même qui, trop souvent, manque à l’État. Quand elles ne sont pas maltraitées, elles font systématiquement les bons choix budgétaires.
Cette bonne gestion, si on la compare à celle de l’État, peut se mesurer à une seule aune : l’investissement.
La dynamique d’investissement du bloc communal a ainsi continué de croître l’an dernier, et ce à un rythme accéléré. Après une année 2023 où les investissements ont progressé de 8 %, en 2024, les communes ont augmenté de 10 % leurs dépenses en la matière. C’est cela, le bon sens communal, madame la ministre !
De même, les dépenses réelles d’investissement des régions ont progressé de 6,6 %, en 2024, comme en 2023.
Parlons enfin de nos départements, dont les finances et la liberté d’action sont malmenées depuis si longtemps. Nous connaissons bien les conséquences de cette situation sur le terrain : les départements n’ont d’autre choix que de réduire leur dynamique d’investissement, qui s’établit, en moyenne, à 3,7 % en 2024.
Voici donc la leçon que nous devons apprendre de nos collectivités : quand nous leur laissons suffisamment de liberté et de marge de manœuvre, elles privilégient les dépenses d’investissement plutôt que celles de fonctionnement.
Madame la ministre, comment l’État compte-t-il s’inspirer des élus locaux pour donner la priorité aux dépenses d’investissement sur ses dépenses de fonctionnement ? Comment, par ailleurs, allez-vous diminuer la facture que le projet de loi de finances fait peser sur nos collectivités, afin de les laisser continuer à investir, c’est-à-dire à préparer l’avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, votre question est intéressante, car les dépenses d’investissement sont des dépenses qui visent à préparer l’avenir. Comme je l’ai déjà indiqué, les collectivités réalisent à peu près 70 % de l’investissement public.
Toutefois, nous savons que les collectivités ne peuvent investir que si elles dégagent des excédents de fonctionnement : ce n’est que si leur budget de fonctionnement est équilibré qu’elles peuvent ensuite investir.
Dans le projet de loi de finances que vous aurez à examiner, le Gouvernement propose de préserver la capacité de fonctionnement des collectivités territoriales. Nous prévoyons ainsi d’augmenter les crédits de la DSR de 150 millions d’euros et ceux de la dotation de solidarité urbaine (DSU) de 140 millions d’euros.
Il a également maintenu une enveloppe de crédits pour accompagner les collectivités qui investissent, tout en prenant en compte le fait que, comme l’a souligné le rapporteur général de manière pertinente, dans les cycles électoraux, l’année du scrutin est en général une année de baisse de l’investissement.
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la ministre, nous comptons vraiment sur vous, car, comme vous le savez, les bons gestionnaires se trouvent plutôt parmi les collectivités. L’État devrait s’inspirer de leurs méthodes de saine gestion. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la fiscalité locale doit servir à financer les services publics locaux. Voilà une évidence qui se heurte aujourd’hui à une réalité plus complexe.
Depuis la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, les communes sont en effet privées d’un outil crucial de fiscalité directe locale, dont elles avaient la maîtrise.
Pour neutraliser la perte de ressources communales, l’État a mis en place un outil de compensation, le coefficient correcteur, dit Coco. (Sourires.) Entré en vigueur en 2021, il vise à ce que le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) perçu par une commune – composé désormais de l’ancienne part départementale de TFPB, désormais transférée, et de la part communale – corresponde à l’euro près à ce que la commune percevait auparavant au titre de sa part de la taxe d’habitation et de sa part de la TFPB.
Les communes pour lesquelles le montant du reversement de la part départementale de TFPB est supérieur à la perte des ressources de la taxe d’habitation sont dites surcompensées et se voient alors prélevées au bénéfice des communes dites, à l’inverse, sous-compensées.
Ce dispositif a été vivement critiqué, car il désavantage les communes rurales, qui sont souvent plus contributrices que les communes urbaines, et il supprime le lien entre l’impôt local et le territoire concerné.
Son mécanisme est désormais encore plus contestable : en raison de l’effet du Coco sur la dynamique des assiettes, les communes rurales se voient infliger une double peine, tandis que leurs contribuables sont trompés.
Dans la mesure où le coefficient correcteur est figé dans le temps, son effet multiplicateur sur le produit de la TFPB est constant et cela s’ajoute désormais à la dynamique des bases. En d’autres termes, les collectivités qui investissent pour leur attractivité, l’accueil de la population et le développement économique de leur territoire sont conduites à partager, à cause du Coco, la croissance du produit de la TFPB obtenue grâce à la construction de nouveaux logements ou aux résultats des entreprises. Le Coco apparaît donc dès lors comme un mécanisme non plus compensatoire, mais confiscatoire.
Madame la ministre, n’est-il pas temps de revenir aux fondamentaux ? Comment envisagez-vous de corriger et de neutraliser l’impact du Coco sur la dynamique de l’assiette foncière des communes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Jean-Claude Anglars, j’apprécie que la gravité du sujet ne vous empêche pas de faire preuve d’humour ! (Sourires.)
Vous me posez en fait deux questions.
La première la suppression de la taxe d’habitation, qui a fait disparaître le lien entre les habitants, les citoyens et la commune. Il s’agit là d’un sujet de fond qui, à mon avis, ne sera pas traité dans le projet de loi de finances.
La seconde concerne la pertinence de ce que vous appelez le Coco, à savoir le coefficient correcteur qui a été créé pour compenser la perte de recettes, pour les communes, provoquée par la suppression de la taxe d’habitation.
Nous serons sans doute, monsieur le sénateur, en désaccord sur l’appréciation de ce mécanisme. Ce système est fiable, car il est stable dans le temps. Il est contrôlé chaque année et l’État en demeure le garant, car il prend à sa charge tout écart éventuel entre les versements et les prélèvements.
En 2023, l’État a ainsi pris à sa charge 728 millions d’euros, ce qui était nécessaire pour garantir la compensation à l’euro près des communes sous-compensées. En 2021, l’abondement de l’État a été de 581 millions d’euros, pour équilibrer le dispositif et rattraper les effets du fameux coefficient correcteur.
Ce dispositif ne crée donc ni perdants structurels ni situations de fragilisation durable d’une collectivité. Ce principe de neutralité entre collectivités est le garant de la pertinence du coefficient correcteur. En outre, le Conseil constitutionnel a validé le mécanisme, estimant que sa création est conforme à l’objectif d’équité territoriale.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis des années, le Sénat plaide pour que les élus locaux se voient octroyer davantage d’autonomie fiscale. Force est pourtant de constater que cette autonomie se réduit comme peau de chagrin.
Il va de soi que j’assume mon soutien à la réforme visant à supprimer la taxe d’habitation. J’estimais alors que, pour diverses raisons, cette réforme renforcerait le pouvoir d’achat de nombreux foyers. C’est toujours le cas.
Néanmoins, je dois reconnaître qu’en dépit d’une compensation de la part de l’État la suppression de la taxe d’habitation a suscité beaucoup d’inquiétudes et entraîné des conséquences parfois contre-productives.
Dans un moment crucial pour notre pays, qui a besoin de décentralisation – le débat qui nous occupera après celui-là portera d’ailleurs sur ce sujet –, le temps est venu de réformer le schéma de nos finances locales.
Au lendemain des élections sénatoriales de 2023, mon collègue Didier Rambaud a soulevé à plusieurs reprises la question du lien fiscal entre un habitant et sa commune.
Sous réserve d’une réforme globale du schéma des finances locales, pour que chaque strate de collectivité dispose d’un impôt clairement identifié, que pense le Gouvernement de l’organisation d’une réflexion portant sur la création d’un nouveau lien fiscal entre un habitant et sa commune ?
Il s’agirait non pas d’ajouter une taxe à la taxe foncière, mais bien de repenser tout le système. Beaucoup de foyers, en effet, ne comprennent plus où vont leurs impôts, où ils sont décidés, ni même où ils sont votés.
Il devient donc urgent de recréer de la lisibilité à cet égard. Ce serait dans l’intérêt des élus locaux, mais cela permettrait aussi, plus largement, de préserver le consentement à l’impôt dans notre pays. (Mme Mireille Jouve applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, votre question, comme un grand nombre de celles qui m’ont déjà été posées, dépasse le strict cadre du projet de loi de finances.
Vous posez une question de fond, si je puis dire, que l’on peut reformuler ainsi : à quel moment allons-nous entreprendre la mise à jour du système de financement des collectivités locales ?
Pour avoir longtemps siégé sur les travées de cette assemblée, je sais que nous appelions régulièrement de nos vœux cette réforme, qui n’est pas un petit chantier.
Lorsque nous réformons, nous ne cessons de le faire de manière partielle, impôt par impôt, dotation par dotation, en prévoyant des compensations. Nous avons ainsi construit un système de rustines, qui est unique au monde. En dehors de quelques spécialistes des finances locales présents dans cet hémicycle, nous sommes tous parfois un peu perdus et incapables de comprendre comment le système fonctionne.
C’est pourquoi, comme vous, monsieur le sénateur, je considère qu’il est nécessaire d’entreprendre avec sérieux une véritable réforme des finances locales.
Voilà qui nécessite beaucoup de courage et d’endurance. En effet, les tentatives de réforme n’ont jamais abouti.
Nous devrions commencer par la question : qui fait quoi ? En fonction de ce que chaque collectivité devra faire – c’est le « quoi » –, il nous faudra définir les recettes nécessaires, en créant, comme cela se fait dans certains grands pays européens, en Allemagne par exemple, des dotations à partir d’impôts nationaux. Si chaque collectivité est dans une situation particulière, elles ont toutes les mêmes obligations. Chacune doit donc jouir d’une capacité de financement assurée par l’État et, sans doute, disposer aussi d’un levier fiscal, comme le souhaitent certains d’entre vous, pour lui permettre de mener ses propres politiques, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Ce chantier est très important. Je ne prendrai qu’un exemple, qui a été avancé par M. Éric Woerth. Il estime que les départements dont les dépenses sont essentiellement d’ordre social et les recettes constituées de DMTO se trouvent dans une situation d’incohérence entre compétences et ressources. Dès lors, il demande que les départements bénéficient d’une part de la contribution sociale généralisée (CSG) nationale.
Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question, qui constitue aussi une ouverture pour mener une réflexion sur certains dossiers sur lesquels il convient d’avancer.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la situation financière des départements devient critique. Il y a trois ans, quinze d’entre eux étaient en difficulté ; ils sont désormais trente-cinq à être dans cette situation. Certains d’entre eux affichent une épargne nette, voire brute, négative.
Cette dégradation est le fruit non pas d’une mauvaise gestion, mais d’un effet ciseaux : alors que leurs dépenses sociales progressent fortement, leurs recettes sont figées depuis la suppression de la part départementale de la taxe foncière départementale, qui a été remplacée par l’octroi d’une fraction de la TVA, qui ne compense ni la volatilité des droits de mutation ni la hausse structurelle des charges sociales.
Les départements supportent les conséquences sociales des difficultés économiques de notre pays. Ils ne peuvent plus être la variable d’ajustement d’une politique d’austérité qui les prive de moyens, tout en leur transférant toujours plus de charges.
Il avait pourtant été annoncé que leur situation particulière serait prise en compte. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Aucune mesure structurelle n’a été engagée. Pis encore, de nouvelles ponctions sont prévues dans le projet de loi de finances pour 2026, par exemple 280 millions d’euros au titre du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico).
La création d’un fonds de sauvegarde allait dans le bon sens, mais son enveloppe demeure insuffisante. Madame la ministre, comptez-vous pérenniser et renforcer ce fonds et mieux le cibler pour aider les départements les plus en difficulté ?
C’est une question de cohérence républicaine. L’État ne peut pas, d’un côté, confier aux départements des missions toujours plus lourdes, de l’autre, les laisser affronter seuls la tempête sociale.
Oui, le redressement des finances publiques est nécessaire, mais il doit être proportionné. Les départements ne demandent pas de faveur. Ils souhaitent seulement que l’État tienne ses engagements et compense intégralement les charges qu’il décide d’instaurer. À défaut, la décentralisation elle-même perdra son sens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Je vous remercie, madame la sénatrice Briquet, de cette question, qui porte sur les collectivités sans doute actuellement le plus en difficulté.
Je vous remercie, en même temps, d’avoir rappelé que la France a un déficit budgétaire et que cela a des effets sur l’ensemble des services publics, y compris sur ceux qui sont assurés par les collectivités.
D’une manière générale, lorsqu’un transfert de compétences intervient, dont le coût est calculé au moment du transfert, une clause de revoyure doit être prévue – le Sénat a d’ailleurs beaucoup insisté sur ce point. En effet, quand les collectivités se voient imposer, par l’État ou par la loi, de nouvelles normes et dépenses obligatoires qu’elles ne peuvent pas refuser, une révision des conditions financières du transfert s’impose.
Par ailleurs, on en parle peu, même si je l’ai évoqué dans mon propos liminaire : nous devons être très attentifs aux normes. Nous sommes en effet confrontés à une surenchère en la matière. Je souhaite que nous soyons plus frugaux en ce qui concerne le flux de normes et que nous travaillions sur le stock.
Madame la sénatrice, nous serons en léger désaccord sur ce point : le budget 2026 est un budget non pas d’austérité, mais frugal, qui permet d’envisager un redressement de nos comptes. Ce n’est pas tout à fait la même chose.
Le projet de loi de finances, tel qu’il sera soumis à votre examen, prend en compte la particularité des départements. Nous proposons en effet d’alimenter le fonds de sauvegarde, comme cela a été le cas non pas en 2025, mais en 2024, à hauteur de 100 millions d’euros. En 2026, nous le ferons à hauteur de 300 millions d’euros, afin d’aider la trentaine de départements en difficulté.
Le fonds de sauvegarde a vocation à être conjoncturel. En effet, si le produit des DMTO a beaucoup baissé, nous assistons depuis quelques mois à un frémissement à la hausse, même si la situation varie fortement selon les territoires.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Madame la ministre, je vous écoute attentivement, mais votre gouvernement ne réduit pas seulement les budgets des communes, il réduit aussi la démocratie vécue. Il faut le dire !
À quelques mois des élections municipales, ce n’est pas qu’une affaire de chiffres, c’est aussi un signal politique. On bride l’action locale, on conditionne l’engagement, on place les scrutins sous tutelle budgétaire.
Après un prélèvement de 5,7 milliards d’euros en 2025, le budget 2026 – le vôtre, madame la ministre – prévoit encore près de 8 milliards supplémentaires de contributions, directes ou indirectes, imposées aux collectivités territoriales. C’est colossal ! Cela représente l’équivalent d’un quart de leur épargne brute, alors que celle-ci est déjà en recul de 7 % cette année et est fragilisée par le désengagement continu de l’État.
Au-delà de ces montants se dévoile une philosophie de Gouvernement, une manière de penser la décentralisation non plus comme un partage de responsabilités publiques, mais comme une chaîne hiérarchique de la rigueur.
Le meilleur exemple est le Dilico 2, dont le montant double, pour s’élever à 2 milliards d’euros – 1,2 milliard pour le bloc communal. Il concernera trois fois plus de municipalités que l’an dernier. C’est l’esprit du dispositif qui inquiète surtout les élus : si la croissance des dépenses locales est supérieure à 1 %, soit le taux de croissance du PIB, les sommes mises en réserve ne seront pas restituées.
La réalité contredit ce soupçon : les collectivités sont à l’origine de 70 % de l’investissement public, pour une dette équivalant à 9 % du PIB. Nous le savons tous.
Madame la ministre, si les collectivités doivent à ce point se plier à la trajectoire de l’État, quelle place leur reste-t-il pour l’initiative ?
Plus profondément, peut-on encore parler de décentralisation quand la libre administration devient à ce point conditionnelle ?