M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vos propos rejoignent effectivement la question que m’a posée le sénateur Étienne Blanc lors de la discussion générale. Les cryptoactifs sont un enjeu central de la lutte contre le blanchiment du trafic de drogue, qui charrie des masses financières considérables, mais ce trafic n’est pas le seul concerné. De fait, le développement de ces actifs permet de dissimuler les transactions puis de réintroduire l’argent dans l’économie dite légale. Des exemples ont été donnés ; madame la sénatrice Goulet, vous avez fait référence aux transactions réalisées à Dubaï dans votre propos introductif.
En France, de premiers travaux ont été menés sur cette question dans le cadre de l’examen de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte. Une négociation a ensuite été menée à l’échelle européenne avant l’adoption du règlement du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme. Ce texte vise, en particulier, à interdire aux prestataires de services sur actifs numériques de détenir des comptes anonymes ou permettant l’anonymisation du titulaire d’un compte client. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic a d’ailleurs anticipé sur l’entrée en vigueur d’un certain nombre de ces dispositions.
Dès lors, je tiens à souligner l’importance du sujet, la nécessité de mettre en œuvre de manière pratique ces mesures et d’en assurer le suivi. Le ministre des finances aura l’occasion, le 7 novembre prochain, de revenir devant Tracfin pour préciser un certain nombre d’entre elles.
Au lieu d’un rapport qui sera remis dans six mois, travaillons ensemble dès maintenant sur cette question. Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Monsieur Savoldelli, l’amendement n° 5 est-il maintenu ?
M. Pascal Savoldelli. Mon amendement ne se réduit pas à une demande de rapport, d’autant que je connais les réticences que ces demandes peuvent susciter : ses signataires se placent aux côtés de l’État. Cette proposition s’inscrit dans le prolongement de la commission d’enquête et constitue la traduction des principes de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Il ne s’agit pas d’un amendement idéologique ! Il vise à nous mettre en situation d’exercer un contrôle sur les flux et sur les intérêts en jeu.
Aussi, afin que le Parlement joue son rôle, il serait bon que le Sénat comme l’Assemblée nationale disposent d’une évaluation du problème. Que l’État se dote de cet outil, car je ne pense pas que la question sera remise sur la table lors de l’examen du projet de loi de finances ou de textes sur d’autres sujets – il n’y aura pas matière à cela. Cette mesure est pertinente au nom de la vigilance et de la précaution.
Je maintiens cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Le Sénat déteste les demandes de rapport ; c’est une tradition.
Dans le cadre des travaux sur cette proposition de loi et de ceux que j’ai menés ultérieurement, il a été démontré que 100 % des dossiers de criminalité impliquent la présence de cryptoactifs en tout ou partie. Pourtant, je mets au défi ne serait-ce que 5 % de mes collègues de nous expliquer le fonctionnement de la blockchain… Je vous ai même parlé lors de la discussion générale d’un ministère, et pas l’un des moindres, qui utilisait des logiciels incompatibles entre eux, preuve qu’une acculturation est absolument nécessaire.
Un chapitre du document de politique transversale Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’impositions de toutes natures et de cotisations sociales porte sur le sujet ; y figurent trois ou quatre directives qui concourront à cet objectif. Cette question est donc d’actualité.
Je ne sais pas quel sera le vote du groupe Les Républicains, mais il faut mener une réflexion sur le sujet et acculturer au fonctionnement de la blockchain, car il est nécessaire de la comprendre du fait des enjeux fiscaux. De fait, il y aura sans doute un concours Lépine de la fiscalité des cryptoactifs durant l’examen du projet de loi de finances.
Les mixeurs sont déjà interdits en France. Malgré les textes, la pratique continue, mais ailleurs : l’opération s’effectue dans le cloud, n’importe où, et la notion de territoire n’a plus guère de sens dans ce domaine. Aussi, il faut témoigner de notre volonté d’agir. Dès lors, le Gouvernement serait bien avisé de formuler plutôt un avis de sagesse.
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission ?
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. Je partage complètement l’objectif. Pour s’assurer de le prendre en compte et au regard de l’enjeu, la commission, mes chers collègues, émet un avis favorable sur cet amendement. Peut-être améliorerons-nous la rédaction de ce dernier au cours de la navette pour mieux parvenir à nos fins, mais le rapport mérite de figurer dans le texte, étant donné le sujet.
Je compte sur le Gouvernement pour émettre plutôt un avis de sagesse et permettre ainsi l’adoption de l’amendement.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. David Amiel, ministre délégué. J’entends ce qui a été dit. Nous partageons tous l’objectif : il faut avancer sur cette question. Nous convenons également de son urgence. J’aurais préféré, avec votre accord, que le Gouvernement et l’administration commencent à travailler avec le Parlement le plus rapidement possible, sans attendre la remise d’un rapport. Toutefois, je comprends qu’il s’agit pour le Sénat de manifester en cet instant sa volonté politique d’avancer sur ce thème, raison pour laquelle le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Mme Nathalie Goulet. Excellent ! Bravo !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 7.
TITRE V
RENFORCER LE RÔLE DES GREFFIERS DES TRIBUNAUX DE COMMERCE
Article 8
I. – Le dernier alinéa de l’article L. 123-2 du code de commerce est complété par les mots : « afin notamment de prévenir les risques de fraude ».
II. – (Supprimé – (Adopté.)
Article 9
À titre expérimental, les greffiers de trois tribunaux de commerce peuvent, aux seules fins de lutte contre la fraude, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, accéder aux données cadastrales relatives aux immeubles détenus par des personnes morales immatriculées dans leur ressort.
L’expérimentation est conduite pour une durée de deux ans à compter du 1er janvier 2027.
Les greffiers des trois tribunaux de commerce mentionnés au premier alinéa concluent une convention avec l’administration fiscale définissant les conditions d’accès aux données cadastrales mentionnées au même premier alinéa.
L’accès aux données cadastrales est organisé de manière à garantir la traçabilité des consultations. Les données recueillies ne peuvent être cédées à des tiers ni utilisées à des fins commerciales.
Le Gouvernement transmet au Parlement, six mois avant le terme de l’expérimentation, un rapport d’évaluation portant notamment sur :
1° Le nombre de consultations effectuées ;
2° Les cas de fraude ou d’anomalie détectés ;
3° Les effets sur la qualité du contrôle des greffiers ;
4° Les recommandations sur une éventuelle généralisation.
Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article – (Adopté.)
Après l’article 9
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, M. J.B. Blanc et Mme Housseau, est ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l’article L. 123-1 du code de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les associations exerçant une activité économique, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement équivaut à une session de rattrapage. Je vous ai déjà expliqué lors de la discussion générale tout le bien que je pensais de l’enregistrement aux greffes des tribunaux de commerce des associations dont l’objet est d’ordre économique et dont l’activité atteint un certain niveau. J’ai bien compris que cela n’emportait la conviction ni de la commission ni du Gouvernement. Néanmoins, je maintiens mollement – c’est exceptionnel ! – cet amendement, car je ne suis pas femme à renoncer. En effet, siégeant dans cette maison depuis bientôt dix-neuf ans, je sais que l’on peut toujours avoir des surprises…
Monsieur le ministre, il faudra regarder de près ce sujet. Travaillons avec les greffes, car on ne peut pas laisser des associations – j’ai en tête un exemple précis – qui réalisent 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires et qui emploient plus de 150 salariés sans aucun contrôle, ni des bénéficiaires effectifs ni des bilans. Ce genre de situation doit être jugulé. Telle est la raison du présent amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis. Je souhaite tout d’abord préciser, pour éviter une confusion, que nous partageons la volonté de l’auteur de l’amendement de renforcer au maximum le dispositif de lutte contre le blanchiment. Toutefois, Nathalie Goulet vient de dire : « Il faudra… »
Cet amendement a pour objet l’immatriculation des associations ayant une activité économique au registre du commerce et des sociétés. J’exprimerai les mêmes réserves que celles qui ont justifié le rejet de la mesure en commission des lois.
Premièrement, ce n’est pas la vocation initiale du registre du commerce et des sociétés. Celui-ci assure à des entités commerciales la délivrance d’un Kbis, dont les associations, par définition, n’ont pas besoin. En adoptant cet amendement, nous intégrerions au registre si ce n’est des millions, en tout cas des milliers d’entités supplémentaires, au statut complètement hétérogène.
Deuxièmement, en matière de lutte contre le blanchiment, des obligations sont déjà imposées aux associations exerçant une activité économique, avec des effets de seuil.
Troisièmement, l’amendement nous semble assez irréaliste. C’est sans doute pourquoi Nathalie Goulet le défend en employant le futur, après avoir indiqué au cours de la discussion générale que sa mesure devra faire l’objet d’une attention et d’un cadrage particuliers. On ne peut pas légiférer par un simple amendement sur un tel sujet, d’autant que la commission d’enquête avait non pas traité, mais simplement évoqué le contrôle des associations.
Faute d’un examen suffisamment approfondi de la question, la commission demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. J’irai dans le sens de M. le rapporteur pour avis. J’entends votre interpellation sur cette question, madame la sénatrice, car vous avez raison : nous devons nous pencher sur le rôle des associations. Vous en avez d’ailleurs mentionné un certain nombre à la tribune.
Toutefois, l’amendement, tel qu’il est proposé, embrasserait un champ beaucoup plus large que celui que vous voulez cibler. La définition même des « associations exerçant une activité économique » ouvre probablement la porte au contrôle de très nombreuses entités. Elle leur imposerait une double procédure, c’est-à-dire à la fois l’inscription au répertoire national des associations et l’inscription au registre du commerce et des sociétés (RCS). Elle rendrait, par conséquent, payantes des démarches qui sont pour l’instant gratuites et, par cet empilement, elle complexifierait considérablement la tâche des organismes de contrôle et de collecte des données.
Une vraie question se pose, comme vous le soulignez. Cet amendement, dans sa rédaction actuelle, n’apporte pas la bonne réponse, mais il faut assurément continuer à travailler sur le sujet. C’est la raison pour laquelle j’en demande le retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Ayant plutôt eu la main heureuse aujourd’hui, je suis votre avis, monsieur le ministre, et retire mon amendement. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 6 novembre 2025 :
(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
Proposition de loi visant à libérer l’accès aux soins dentaires, présentée par M. Raphaël Daubet (texte de la commission n° 85, 2025-2026) ;
Proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles, présentée par Mme Sophie Briante Guillemont et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 90, 2025-2026).
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
À l’issue de l’espace réservé au groupe RDSE et au plus tard de seize heures à vingt heures :
Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l’article 89, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues (texte n° 551, 2024-2025) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade (texte de la commission n° 88, 2025-2026).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quarante.)
nomination de membres de commissions
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, pour la commission des finances et pour la commission des affaires économiques.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, ces candidatures sont ratifiées : M. Jean-Baptiste Blanc est proclamé membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Marc Séné ; Mme Sophie Primas est proclamée membre de la commission des finances, en remplacement de M. Jean-Baptiste Blanc. ; M. Marc Séné est proclamé membre de la commission des affaires économiques.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
JEAN-CYRIL MASSERON