M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier.

M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'accès aux soins dentaires est bien un enjeu de santé publique. Près de 6 millions de Français vivent dans une zone sous-dotée, et les délais pour obtenir un rendez-vous sont souvent de plusieurs mois.

Les effectifs des chirurgiens-dentistes en activité ont augmenté depuis les années 2010 en France : ceux-ci sont aujourd'hui 49 000, contre 42 000 en 2012. Mais la densité de l'offre reste insuffisante sur le territoire. En effet, cette croissance doit être rapportée à la hausse des besoins, qui découle de l'augmentation de la population et de son vieillissement. De plus, une part importante des chirurgiens-dentistes, près de 30 %, partira à la retraite d'ici à 2030, quasiment demain.

Leur répartition territoriale reste inégale. La problématique de ce qu'on appelle les déserts dentaires est particulièrement prégnante dans les zones rurales. En plus des inégalités territoriales, les inégalités socio-économiques d'accès aux soins dentaires sont marquées. On peut même dire que l'accès aux soins dentaires est un marqueur social.

Il faut donc dégager du temps pour les chirurgiens-dentistes et améliorer l'accès aux soins. Pour cela, il nous est proposé de créer une nouvelle profession d'assistant en santé bucco-dentaire. Cette mesure est demandée par les acteurs du secteur.

Une profession d'assistant dentaire existe déjà pour aider les praticiens durant les consultations. Les assistants préparent les instruments et aident le praticien dans les tâches administratives, mais leurs compétences cliniques sont limitées. Elles se limitent à des actes d'hygiène ; les assistants n'effectuent aucun acte directement dans la bouche du patient. Si les quelque 17 000 assistants dentaires permettent de dégager du temps médical, ce statut a ses limites.

C'est le constat qui a conduit Stéphanie Rist à faire voter, en 2023, la loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, qui crée la profession d'assistant dentaire de niveau 2, capable d'assumer des missions élargies par rapport à celles des assistants dentaires. Mais, faute d'actes réglementaires, ce statut n'a jamais été concrétisé. La lenteur de l'État, il faut le dire, n'aide pas à résoudre les défis auxquels notre système de santé est confronté.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Il n'y a pas que l'État…

M. Bernard Jomier. De telles professions existent déjà chez nos voisins. En Belgique ou en Suisse, les hygiénistes dentaires font des détartrages et effectuent des opérations de parodontie. Ils contribuent à la prévention bucco-dentaire dans les établissements scolaires ou les établissements pour personnes âgées.

La présente proposition de loi tend à créer un statut d'assistant en santé bucco-dentaire. Ce professionnel, de niveau bac+2, exercera des missions cliniques et techniques sous le contrôle du chirurgien-dentiste, mais également, de manière autonome, des missions de prévention, hors des cabinets dentaires, dans les établissements scolaires et médico-sociaux, comme les Ehpad. La création de cette profession permettra de renforcer la prévention en soins dentaires et de libérer du temps médical pour les chirurgiens-dentistes.

En transférant une partie des missions de prévention et de suivi au profit de professionnels spécifiquement formés, ce texte participe au tournant préventif dont notre système de santé a tant besoin. En effet, le déploiement d'assistants en santé bucco-dentaire permettra de mener des actions de prévention sur tout le territoire, y compris en dehors des cabinets médicaux. Cette démarche d'aller-vers est intéressante. Les visites dans les établissements scolaires et médico-sociaux aideront à repérer en amont les situations et comportements à risque et faciliteront, le cas échéant, l'intervention du chirurgien-dentiste.

La délégation d'une partie des compétences à ces nouveaux assistants permettra aux chirurgiens-dentistes de se concentrer sur les actes les plus techniques et complexes. On peut espérer un effet de réduction des délais et d'amélioration de l'accès aux soins. Les praticiens pourront mieux prendre en charge les patients souffrant de pathologies plus complexes et un cadre sécurisé d'exercice sera maintenu.

Le développement de cette nouvelle profession pourrait également réduire le manque de données sur la santé bucco-dentaire des Français, qui est particulièrement criant pour les jeunes et les plus âgés. On peut espérer que les assistants en santé bucco-dentaire pourront récolter ces données grâce à leurs visites dans les établissements scolaires et les Ehpad.

Adopter cette proposition de loi libérera du temps médical, réduira les inégalités d'accès aux soins et améliorera la prévention. Ce texte représente une avancée, que nous attendions, et j'en remercie donc l'auteur.

Attention toutefois, madame la ministre, à ne pas avancer et reculer en même temps, en favorisant l'accès aux soins dentaires tout en réduisant les remboursements de ces mêmes soins, comme cela a été fait les années précédentes, et comme cela nous sera encore demandé lors de l'examen du PLFSS. Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 23 septembre dernier, le groupe RDSE a déposé cette proposition de loi visant à libérer l'accès aux soins dentaires.

Je tiens tout d'abord à remercier notre collègue Raphaël Daubet, qui a donné au Sénat l'occasion de discuter de ce sujet de santé publique. Malheureusement, le Gouvernement prévoit, dans le PLFSS pour 2026, d'étendre les participations forfaitaires aux actes réalisés par les chirurgiens-dentistes, ce qui aura pour conséquence d'augmenter le reste à charge pour nos concitoyens et, surtout, d'aggraver les inégalités sociales et territoriales en santé dentaire.

Pour rappel, selon les dernières données disponibles, les enfants d'agriculteurs, d'ouvriers, d'inactifs, de même que les enfants scolarisés en zones d'éducation prioritaire (ZEP) ou en zone rurale sont plus significativement atteints par la carie. De manière générale, dans l'ensemble de la population, les inégalités de santé bucco-dentaire sont fortement corrélées avec les inégalités sociales.

Selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), 25 % des adultes n'ont consulté aucun dentiste au cours des deux dernières années. Cette proportion atteint 40 % chez les personnes à faible revenu ou sans complémentaire santé. Les renoncements aux soins pour les jeunes sont deux fois plus importants dans les classes sociales défavorisées. Et 45 % des ouvriers non qualifiés déclarent au moins une dent manquante non remplacée, contre 29 % des cadres.

Les inégalités constatées traduisent une exposition inégale au risque, car les habitudes favorables à la santé bucco-dentaire sont plus répandues dans la population qui bénéficie d'un meilleur niveau d'éducation et de revenus. De plus, le recours aux soins est inégal, en raison du faible remboursement des soins dentaires par la sécurité sociale. Le 100 % santé a corrigé un peu cet écart, mais les soins dentaires demeurent des soins extrêmement coûteux, qui reposent sur la prise en charge par les complémentaires.

Enfin, les inégalités sont aussi territoriales, puisque la répartition des chirurgiens-dentistes n'est pas régulière, ce qui se traduit par des délais d'attente excessifs, des renoncements aux soins et une prévention insuffisante. Dans ma région, les Hauts-de-France, il y avait, en 2023, 43 praticiens pour 100 000 habitants, contre 63 praticiens en moyenne en France.

Face à ce constat, la loi de 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification avait prévu la création de la profession d'assistant en médecine bucco-dentaire. En l'absence de publication des textes réglementaires d'application pour la création du statut d'assistant dentaire de niveau 2, la pénurie de chirurgiens-dentistes s'aggrave.

La création d'une nouvelle profession de santé, distincte des assistants dentaires, à laquelle seraient confiées les missions de prophylaxie, d'orthodontie, de suivi post-chirurgical et d'imagerie, semble faire consensus parmi les professionnels de santé. Créer cette profession d'assistant en santé bucco-dentaire, comme la commission des affaires sociales l'a renommée, semble apporter une solution au manque de personnel.

Ces futurs diplômés de niveau 5, qui exerceront sous la responsabilité d'un chirurgien-dentiste, pourront également intervenir de manière autonome dans le cadre d'actions de prévention et d'éducation à la santé bucco-dentaire, ce qui permettra d'augmenter le temps médical disponible pour les chirurgiens-dentistes.

Nous avons simplement une réserve sur ce dispositif, concernant les moyens mis en place par l'assurance maladie et l'ordre des chirurgiens-dentistes pour s'assurer que l'exercice sera bien fait sous la responsabilité du professionnel de santé et garantir le contrôle effectif par ce dernier. Les centres de santé dentaire financés par des fonds d'investissement ont des pratiques parfois frauduleuses, vous le savez. Ils pourraient être tentés de recruter uniquement des assistants en santé bucco-dentaire pour maximiser leurs marges. La présence effective des chirurgiens-dentistes sera un véritable enjeu pour la réussite de cette nouvelle profession.

Mon groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier l'auteur de cette proposition de loi, notre collègue Raphaël Daubet, ainsi que le groupe RDSE, d'avoir fait de la santé dentaire une priorité pour cette niche parlementaire. Loin de tout cynisme, mes chers collègues, les « sans-dents » ne sont pas une caricature. Ce sont les oubliés de nos territoires.

Car oui, l'inégalité d'accès aux soins dentaires est sans doute la plus criante et la plus inacceptable. La combattre doit être une priorité. Je le rappelle ici : les 10 % des territoires les plus dotés ont une accessibilité aux soins dentaires 7,8 fois supérieure à celle des 10 % les moins dotés.

À ces inégalités territoriales s'ajoutent des inégalités économiques. En 2023, parmi les personnes les plus modestes, environ une sur dix a dû renoncer à des soins dentaires pour des raisons financières, soit quatre points de plus que dans l'ensemble de la population. Plus globalement, les soins dentaires sont ceux auxquels les citoyens renoncent le plus souvent, en raison notamment de restes à charge plus élevés que dans la plupart des autres secteurs.

Clairement, le PLFSS pour 2026 ne va pas arranger les choses. Après la hausse du ticket modérateur à 40 % en 2023, les participations forfaitaires seront étendues aux actes et consultations dentaires, et même doublées, selon le texte initial.

Revenons à la proposition de loi. Si ce texte n'est pas une solution miracle et ne résout pas les inégalités économiques d'accès aux soins, il apporte une première réponse à l'inégalité territoriale. En créant le statut d'assistant dentaire de niveau 2, cette proposition de loi participe à l'amélioration du partage des tâches en soins dentaires. Cette mesure est attendue et plébiscitée par l'ensemble de la profession. Permettre aux assistants en santé bucco-dentaire de réaliser des actes d'imagerie, de prévention, ou encore des soins post-chirurgicaux, aidera les chirurgiens-dentistes à regagner du temps médical. Ainsi, les populations issues de territoires sous-dotés auront accès à davantage de soins, plus rapidement, et surtout à une prévention encore trop négligée.

En outre, la création de ce statut constitue une véritable reconnaissance du rôle essentiel des assistants dentaires. En mai 2023, la loi Rist 2 visait déjà à créer le statut d'assistant dentaire de niveau 2, mais des problèmes rédactionnels avaient empêché la publication des décrets d'application. Pour aller dans le détail, la loi Rist 2 exigeait notamment un baccalauréat, alors que le niveau requis devait être bac+2. En conséquence, aucun référentiel de formation n'avait pu être validé par les professionnels. Par ailleurs, l'exigence de présence du chirurgien-dentiste empêchait le déploiement d'actes de prévention dans les établissements médico-sociaux, scolaires ou auprès des publics vulnérables.

Aujourd'hui, cette proposition de loi vise à corriger ces insuffisances, et le groupe écologiste s'en félicite. Pour autant, la vigilance doit rester de mise afin que ce statut ne soit pas dévoyé au profit, une fois de plus, d'une financiarisation galopante, notamment dans le secteur dentaire. Ce statut d'assistant de niveau 2 ne doit pas devenir un outil favorisant la multiplication d'actes inutiles – je pense par exemple aux redondances d'actes d'imagerie observées dans de nombreux centres dentaires à but lucratif.

Enfin, il ne faut pas oublier que le secteur dentaire fait face à d'importantes difficultés de formation. Près de la moitié des chirurgiens-dentistes qui s'installent chaque année en France ont été formés à l'étranger. Ils représentent aujourd'hui 14 % des praticiens exerçant sur notre territoire, contre 4 % en 2012. Le plus souvent, leur formation est insuffisante, et cela a donné lieu à de nombreux signalements d'actes mal réalisés auprès de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

Formation, lutte contre la financiarisation, lutte contre les inégalités d'accès aux soins, le chemin reste long, mais ce texte va dans le bon sens. En conséquence, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, CRCE-K et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m'exprime aujourd'hui non seulement en tant qu'oratrice du groupe RDSE, mais également en tant que médecin exerçant sur un territoire proche de la Belgique, où la profession d'hygiéniste dentaire existe depuis plusieurs années déjà.

La proposition de loi présentée par notre collègue Raphaël Daubet constitue une excellente initiative. Elle traduit, sur le plan législatif, une demande de longue date de la profession. Son adoption permettra à la fois de dégager du temps médical pour les chirurgiens-dentistes, d'améliorer la prise en charge des pathologies complexes et de renforcer la prévention ainsi que l'offre de soins dentaires sur l'ensemble des territoires. Elle s'inscrit pleinement dans la dynamique des montées en compétences, devenues aujourd'hui indispensables.

La santé bucco-dentaire n'échappe pas aux difficultés d'accès aux soins : les délais s'allongent, la prévention recule et les inégalités territoriales se creusent. Cette proposition de loi apporte une réponse concrète et efficace, par la création d'une nouvelle profession de santé, l'assistant en santé bucco-dentaire, dotée d'une formation de niveau 5 et de compétences encadrées.

Cette évolution est le fruit d'un consensus né de l'échec du dispositif d'assistant dentaire de niveau 2, resté lettre morte faute de référentiel validé et de niveau de qualification suffisant. Pourquoi ce texte est-il décisif ? Parce que déléguer, c'est soigner mieux. L'assistant en santé bucco-dentaire pourra, sous la responsabilité du praticien, réaliser des actes d'imagerie à visée diagnostique, des actes prophylactiques tels que le détartrage, et certains gestes d'orthodontie ou de suivi post-chirurgical. Il pourra surtout mener, sans la présence physique du chirurgien-dentiste, des actions de prévention hors du cabinet, notamment dans les écoles, les établissements médico-sociaux et les Ehpad. J'insiste sur ce dernier point, car la santé bucco-dentaire constitue un rempart particulièrement efficace contre la dénutrition de nos aînés.

Ce dispositif représente un levier majeur pour dégager du temps médical au bénéfice des praticiens et un outil puissant pour aller à la rencontre des publics les plus vulnérables. L'exercice en cabinet de groupe ou en centre de santé est désormais majoritaire : le nombre de centres dentaires est passé de 896 en 2020 à 1 252 en 2023. Dans le même temps, l'augmentation constante du nombre d'assistants dentaires entre 2013 et 2023 témoigne de l'existence d'un vivier de professionnels formés, prêts à évoluer vers un niveau de qualification supérieur.

Cette proposition de loi répond donc à un besoin des patients et à une attente forte de la profession. Je salue l'équilibre trouvé par la commission des affaires sociales, notamment l'accès réservé aux assistants dentaires déjà en exercice et le respect du principe de responsabilité du praticien. Ces garde-fous garantissent à la fois une perspective d'évolution de carrière pour les assistants dentaires, la qualité et la sécurité des soins, et une libération de temps médical là où il fait le plus défaut.

Ce texte ne se limite pas à une réforme de métier, il porte une véritable vision de santé publique. En renforçant la prévention bucco-dentaire dès l'enfance, nous réduirons les pathologies évitables, les hospitalisations, la douleur chronique et, in fine, les coûts pour l'assurance maladie. Prévenir, c'est éviter des soins invasifs et coûteux pour les patients, c'est redonner du temps aux dentistes pour les actes de haute technicité. Prévenir, c'est traiter les causes plutôt que de courir après les conséquences.

En résumé, cette nouvelle profession constitue une réponse immédiate, territorialisée, compatible avec les pratiques de coordination et attractive pour les professionnels, qui attendent des perspectives d'évolution et une juste reconnaissance. C'est aussi un message d'unité adressé aux équipes de soins : chaque compétence compte, chacun doit pouvoir exercer au meilleur niveau de responsabilité.

Chers collègues, nous avons souvent, dans cet hémicycle, appelé à faire confiance aux soignants. Aujourd'hui, nous transformons cet appel en acte, grâce à un dispositif solide, équilibré et sécurisé. Pour toutes ces raisons, le groupe RDSE recommande, bien évidemment, l'adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans les années 1950, avec sa chanson Blouse du dentiste, Henri Salvador montrait combien cette visite, perçue comme un supplice, inspirait la peur. Aujourd'hui, ce ne sont plus les soins que redoutent les Français, mais bien la difficulté à trouver ce fameux fauteuil. Justement, cette proposition de loi vise à réduire la fracture dans l'accès aux soins dentaires.

Les chiffres, hélas, parlent d'eux-mêmes. Malgré une hausse de plus de 15 % du nombre de chirurgiens-dentistes en quinze ans, les inégalités territoriales demeurent abyssales. Je n'ai de dent contre personne, mais nous ne pouvons pas continuer ainsi ! Nous comptons en moyenne un chirurgien-dentiste pour 1 400 habitants, mais les 10 % de territoires les mieux dotés bénéficient d'une accessibilité près de huit fois supérieure à celle des 10 % les moins bien pourvus. Parmi les professions de santé, la chirurgie dentaire présente l'une des plus fortes inégalités d'accès territorial.

C'est dans ce contexte qu'intervient la proposition de loi déposée par notre collègue Raphaël Daubet, enrichie par la rapporteure Guylène Pantel et adoptée à l'unanimité en commission. Elle crée une nouvelle profession de santé, l'assistant en santé bucco-dentaire. Ce métier, de niveau bac+2, sera inscrit au RNCP. Il s'exercera sous la responsabilité d'un chirurgien-dentiste, tout en bénéficiant d'une réelle autonomie pour mener des actions de prévention. La profession, comme le Sénat, soutient cette initiative concrète, car elle va dans le bon sens.

Avant d'en venir aux aspects positifs, il convient toutefois de rappeler ce qui aurait dû être fait. Nous ne devrions pas être ici ce matin. La loi Rist 2 du 19 mai 2023 avait déjà ouvert la voie à un élargissement des missions des assistants dentaires. Mais faute de décrets d'application, rien n'a vu le jour : aucun texte, aucun référentiel de formation, aucun professionnel concerné. Les ambitions du législateur sont restées lettre morte.

Lorsque le Parlement vote une loi, il faut que l'exécutif l'applique. Sinon, la crédibilité même du travail législatif s'en trouve affaiblie. Nous attendons donc du Gouvernement l'engagement clair que les décrets d'application de cette nouvelle loi soient publiés dans un délai raisonnable après sa promulgation.

Voyons maintenant le verre à moitié plein. Ces deux années ont permis de bâtir un dispositif plus solide et de créer une profession à part entière. Les obstacles identifiés ont été corrigés : le niveau de formation est précisé, la présence physique du chirurgien-dentiste n'est plus systématiquement exigée. Cette proposition de loi met en œuvre une logique d'aller-vers : vers les écoles, les Ehpad, les établissements médico-sociaux. Aller vers, sous la responsabilité d'un chirurgien-dentiste, mais sans exigence de contrôle constant, constitue une évolution de bon sens, au bénéfice des publics les plus vulnérables.

Aujourd'hui, la prévention bucco-dentaire s'adresse surtout aux jeunes, via le dispositif « M'T dents ». Pour les autres publics, elle demeure insuffisante. Chez les personnes âgées, 75 % des résidents d'Ehpad présentent un état bucco-dentaire dégradé ; 42 % d'entre eux n'ont pas consulté depuis plus de cinq ans, et une majorité d'établissements n'organisent aucun dépistage. Les conséquences sont connues : troubles de l'alimentation, dénutrition, douleurs chroniques, autant de situations évitables.

Chez les personnes en situation de handicap, le constat est tout aussi préoccupant. Merci, madame la ministre, d'en avoir parlé. Beaucoup d'établissements médico-sociaux n'ont plus de lien avec un cabinet dentaire. Les troubles sensoriels, la peur du soin ou le manque de formation des équipes rendent les consultations très difficiles. La Cour des comptes soulignait déjà, il y a plus de dix ans, la nécessité de développer les interventions dans les institutions accueillant des personnes handicapées. Cette proposition de loi répond précisément à cette recommandation.

Elle permettra à des professionnels spécifiquement formés de repérer les situations à risque, de sensibiliser les équipes et de mener des actions de prévention auprès des publics fragiles. Il me paraît essentiel que la formation de ces nouveaux assistants intègre des modules sur le handicap et le vieillissement : apprentissage de la communication adaptée, sensibilisation sensorielle, utilisation de pictogrammes ou de matériel spécifique. Ces compétences rendront la santé bucco-dentaire réellement accessible à tous.

Les déserts médicaux sont aussi dentaires. La création de cette nouvelle profession constitue donc un véritable outil d'organisation du temps médical. La délégation de certaines tâches – prophylaxie, imagerie, suivi postopératoire – pourrait libérer deux à trois heures par jour et par cabinet. Ce serait un gain considérable, tant pour les chirurgiens-dentistes que pour les patients. L'objectif est non pas de substituer les uns aux autres, mais de mieux articuler les compétences, et de permettre aux chirurgiens-dentistes de se concentrer sur les actes les plus techniques en confiant aux assistants la prévention, l'éducation à la santé bucco-dentaire et le suivi des patients à risque.

Pour éviter tout excès, la délégation sera strictement encadrée : le nombre d'assistants ne pourra excéder celui des praticiens présents sur le site ; les actes orthodontiques seront limités à la prophylaxie orthodontique ; toute intervention hors cabinet devra être formalisée par une convention avec la structure d'accueil. Il s'agit donc d'une délégation maîtrisée, comparable à ce qui a déjà été fait pour les assistants médicaux ou les infirmiers en pratique avancée.

Surtout, cette proposition de loi constitue une réponse concrète aux déserts dentaires. Le temps libéré dans les cabinets permettra d'accueillir davantage de patients et de réduire les délais d'attente. En créant cette nouvelle profession, nous donnons à la fois de l'air à nos dentistes et un meilleur accès aux soins à nos concitoyens. C'est une proposition de loi de confiance, d'organisation et d'équité territoriale. Le groupe Union Centriste la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la fracture territoriale en matière de santé publique est une réalité, et l'accès aux soins dentaires n'y échappe pas. Cette situation s'explique à la fois par une répartition inégale des chirurgiens-dentistes et par un nombre insuffisant de praticiens sur l'ensemble du territoire. Les zones rurales apparaissent ainsi très largement sous-dotées, tandis que les professionnels se concentrent dans les milieux urbains, privilégiant souvent l'exercice en cabinet de groupe ou en centre de santé.

Ces inégalités territoriales d'accès aux soins dentaires sont aggravées par l'impossibilité, pour les praticiens, de déléguer certaines tâches. En effet, le statut et la formation actuels des assistants dentaires ne leur permettent pas d'intervenir sans le contrôle direct du chirurgien-dentiste, ce qui empêche toute délégation de tâches.

Pourtant, la médecine a depuis plusieurs années accepté la délégation d'actes. Je pense notamment aux infirmiers et infirmières en pratique avancée, qui apportent un appui essentiel aux médecins dans la prise en charge de patients atteints de pathologies ciblées, ou encore aux orthoptistes, qui contribuent eux aussi à renforcer la qualité du parcours de soins. Bien que cette évolution soit positive, les chirurgiens-dentistes demeurent seuls face à une multitude de missions. L'impossibilité de déléguer a pour conséquence directe de réduire l'offre de soins disponible pour nos concitoyens.

L'initiative de notre collègue Raphaël Daubet est donc bienvenue. La proposition de loi que nous examinons ce matin est très attendue, tant par les chirurgiens-dentistes que par les assistants dentaires. Elle fait suite à l'échec, pour diverses raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas, de la loi Rist 2 du 19 mai 2023, dont les dispositions visaient déjà à élargir les missions des assistants dentaires.

Cette proposition de loi crée, par son article unique, une profession d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire, distincte de celle d'assistant dentaire. Les missions de ce nouvel assistant seraient doubles. D'une part, il assurerait une mission clinique et technique, sous le contrôle réel du praticien. D'autre part, il exercerait une mission de prévention en dehors des cabinets dentaires, sans être placé sous supervision directe.

Je me félicite que la commission ait partagé l'objectif de l'auteur de cette proposition de loi tout en y apportant des améliorations.

Limiter l'accès à la nouvelle profession aux assistants dentaires après une durée minimale d'exercice était souhaitable. De même, il était utile de souligner que la responsabilité du chirurgien-dentiste serait en jeu lorsque les missions du nouveau professionnel seront effectuées hors du lieu d'exercice.

Je me réjouis enfin que la commission ait remplacé le terme d'« assistant en prophylaxie bucco-dentaire » par celui d'« assistant en santé bucco-dentaire ». En effet, cette terminologie permet de mieux appréhender le rôle de ce nouveau professionnel dans sa globalité.

Avant de conclure, je tiens à saluer Mme la rapporteure, notre collègue Guylène Pantel, pour la qualité de ses travaux.

Créer une nouvelle profession d'assistant en santé bucco-dentaire, c'est libérer du temps médical. C'est aussi améliorer la prise en charge des patients et renforcer la prévention. C'est enfin redonner confiance aux territoires actuellement sous-dotés en offre de soins dentaires.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, RDPI, UC et Les Républicains.)