M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi présentée par notre collègue Raphaël Daubet, dont l'ambition est de répondre à un enjeu majeur de santé publique : faciliter l'accès de nos concitoyens aux soins dentaires.
Pour y parvenir, il est proposé de créer une nouvelle profession de santé qui pourra se voir déléguer certains actes, ainsi que la réalisation de missions de prévention.
Comme l'a rappelé Mme la rapporteure, la loi Rist 2 de 2023 avait ouvert la voie à la création d'un assistant dentaire de niveau 2, censé pouvoir accomplir certains actes complémentaires.
Cette loi créait non pas une nouvelle profession, mais un niveau supplémentaire au sein de la profession existante. Plus de deux ans après sa promulgation, aucun texte d'application n'a toutefois encore vu le jour. Cette mesure est donc restée lettre morte.
C'est précisément la correction qu'apporterait la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui en créant une profession à part entière, avec un cadre clair, une formation dédiée et de véritables missions.
Ce texte est d'autant plus important que beaucoup de nos concitoyens peinent à obtenir un rendez-vous chez le dentiste, en particulier dans les zones rurales, comme cela a été rappelé.
Si les assistants dentaires jouent un rôle indispensable auprès des praticiens, leurs missions sont aujourd'hui limitées. Aucune délégation de tâche n'est possible et la prévention bucco-dentaire reste trop souvent absente.
Le texte que nous examinons propose donc de créer un nouveau métier, assistant en prophylaxie bucco-dentaire, dont la dénomination a été modifiée, à bon escient, par Mme la rapporteure. Il est, en effet, plus aisé de parler d'assistant en santé bucco-dentaire.
Ces nouveaux professionnels de santé auront deux types de missions. En cabinet, d'une part, ils pourraient participer, sous la supervision d'un chirurgien-dentiste, à certains actes comme les détartrages, le contrôle des muqueuses ou encore l'accompagnement postopératoire. Hors du cabinet, d'autre part, ils mèneraient des actions de prévention dans les écoles, les Ehpad ou les établissements médico-sociaux.
Bien sûr, un encadrement strict est prévu. Le nombre d'assistants sera d'abord limité pour garantir le contrôle effectif du praticien et prévenir toute dérive vers une industrialisation des soins.
L'accès à la nouvelle profession sera par ailleurs réservé aux assistants dentaires expérimentés via la formation continue. Un décret en Conseil d'État, préparé en concertation avec les ordres et les académies, précisera la liste des actes autorisés afin de garantir la sécurité des patients et la qualité des soins.
J'insiste sur ce point : la prévention bucco-dentaire est un véritable enjeu de santé publique. Chez les enfants comme chez les personnes âgées, un meilleur suivi permet d'éviter des pathologies beaucoup plus lourdes.
Dans les Ehpad, les nouveaux assistants seraient en mesure d'identifier rapidement les situations à risque et de faciliter l'orientation des patients vers un dentiste. En cabinet, leur présence permettrait aux praticiens de se consacrer davantage aux interventions les plus techniques.
Mes chers collègues, cette proposition de loi est à la fois pragmatique et ambitieuse. Elle constitue une avancée attendue par les professionnels et devrait améliorer l'accès aux soins dentaires de nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte.
Mes chers collègues, je vous remercie particulièrement de votre attention : il n'est pas simple d'intervenir en dernière position sur une proposition de loi qui fait l'unanimité ! (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE, RDPI et INDEP.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi créant la profession d'assistant en santé bucco-dentaire
Article unique
Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Aux intitulés du livre III de la quatrième partie et du titre IX du même livre III, après le mot : « dentaires », sont insérés les mots : « , assistants en santé bucco-dentaire » ;
2° Le chapitre III bis du même titre IX est ainsi modifié :
a) L'intitulé est ainsi rédigé : « Chapitre III bis : Assistants dentaires et assistants en santé bucco-dentaire » ;
b) Après l'article L. 4393-18, sont insérés des articles L. 4393-18-1 à L. 4393-18-10 ainsi rédigés :
« Art. L. 4393-18-1. – L'assistant en santé bucco-dentaire est un professionnel de santé qui exerce sous la responsabilité et le contrôle effectif d'un chirurgien-dentiste ou d'un médecin exerçant dans le champ de la chirurgie dentaire. Il participe aux actes d'imagerie à visée diagnostique, aux actes prophylactiques, aux actes de prophylaxie orthodontique et à des soins postchirurgicaux.
« Le nombre d'assistants en santé bucco-dentaire contribuant aux actes d'imagerie à visée diagnostique, aux actes prophylactiques, aux actes de prophylaxie orthodontique ou à des soins postchirurgicaux ne peut, sur un même site d'exercice de l'art dentaire, excéder le nombre de chirurgiens-dentistes ou de médecins exerçant dans le champ de la chirurgie dentaire effectivement présents.
« L'assistant en santé bucco-dentaire peut intervenir, sans le contrôle effectif mais sous la responsabilité du chirurgien-dentiste ou du médecin exerçant dans le champ de la chirurgie dentaire, dans le cadre d'actions de prévention, d'éducation à la santé bucco-dentaire ou de suivi prophylactique réalisées dans un établissement de santé mentionné à l'article L. 6111-1, un établissement social et médico-social mentionné à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ou un établissement d'enseignement scolaire mentionné aux titres I à IV du livre IV de la deuxième partie du code de l'éducation.
« Une convention entre le chirurgien-dentiste ou le médecin exerçant dans le champ de la chirurgie dentaire et la structure d'accueil fixe les conditions d'intervention de l'assistant en santé bucco-dentaire.
« La liste des activités et des actes que l'assistant en santé bucco-dentaire peut se voir confier ainsi que les conditions de leur réalisation sont déterminées par décret en Conseil d'État pris après avis de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie nationale de chirurgie dentaire. Les conseils nationaux des ordres intéressés sont également consultés.
« Art. L. 4393-18-2. – L'assistant en santé bucco-dentaire exerce dans un cabinet dentaire, un établissement de santé mentionné à l'article L. 6111-1, un établissement social et médico-social mentionné à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, un établissement d'enseignement scolaire mentionné aux titres I à IV du livre IV de la deuxième partie du code de l'éducation ou dans toute structure autorisée à délivrer des soins bucco-dentaires.
« L'assistant en santé bucco-dentaire est soumis au secret professionnel.
« Art. L. 4393-18-3. – Peuvent exercer la profession d'assistant en santé bucco-dentaire les assistants dentaires qui justifient d'une durée d'exercice minimale de leur profession et sont titulaires du titre de formation français permettant l'exercice de cette profession.
« Les modalités de la formation, notamment les conditions d'accès, la durée d'exercice minimale de l'exercice de la profession d'assistant dentaire, le référentiel des compétences ainsi que les modalités de délivrance de ce titre, sont fixés par arrêté du ministre chargé de la santé, après avis d'une commission comprenant des représentants de l'État, des chirurgiens-dentistes et des assistants dentaires et dont la composition est fixée par décret.
« Art. L. 4393-18-4 et L. 4393-18-5. – (Supprimés)
« Art. L. 4393-18-6. – Par dérogation à l'article L. 4393-18-3, l'autorité compétente peut autoriser individuellement les étudiants en chirurgie dentaire qui ont obtenu un niveau de connaissance suffisant à exercer la profession d'assistant en santé bucco-dentaire dans les cabinets dentaires pendant la durée de leurs études.
« Le niveau de formation requis et les conditions de mise en œuvre de cette autorisation sont fixés par décret.
« Art. L. 4393-18-7. – L'autorité compétente peut, après avis d'une commission composée notamment de professionnels, autoriser individuellement à exercer la profession d'assistant en santé bucco-dentaire les ressortissants d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui, sans posséder le titre de formation mentionné à l'article L. 4393-18-3, sont titulaires :
« 1° De titres de formation délivrés par un ou plusieurs États, membres ou parties, et requis par l'autorité compétente de ces États, membres ou parties, qui réglementent l'accès à cette profession ou son exercice, et permettant d'exercer légalement ces fonctions dans ces États ;
« 2° Ou, lorsque les intéressés ont exercé dans un ou plusieurs États, membres ou parties, qui ne réglementent ni la formation, ni l'accès à cette profession ou son exercice, de titres de formation délivrés par un ou plusieurs États, membres ou parties, attestant de la préparation à l'exercice de la profession, accompagnés d'une attestation justifiant, dans ces États, de son exercice à temps plein pendant un an ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente au cours des dix dernières années ;
« 3° Ou d'un titre de formation délivré par un État tiers et reconnu dans un État, membre ou partie, autre que la France, permettant d'y exercer légalement la profession. L'intéressé justifie avoir exercé la profession pendant trois ans à temps plein ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente dans cet État, membre ou partie.
« Dans ces cas, lorsque l'examen des qualifications professionnelles attestées par l'ensemble des titres de formation initiale, de l'expérience professionnelle pertinente et de la formation tout au long de la vie ayant fait l'objet d'une validation par un organisme compétent fait apparaître des différences substantielles au regard des qualifications requises pour l'accès et l'exercice de la profession d'assistant en santé bucco-dentaire en France, l'autorité compétente exige que l'intéressé se soumette à une mesure de compensation.
« Selon le niveau de qualification exigé en France et celui détenu par l'intéressé, l'autorité compétente peut soit proposer au demandeur de choisir entre un stage d'adaptation ou une épreuve d'aptitude, soit imposer un stage d'adaptation ou une épreuve d'aptitude, soit imposer un stage d'adaptation et une épreuve d'aptitude.
« La nature des mesures de compensation selon les niveaux de qualification en France et dans les autres États, membres ou parties, est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé.
« La délivrance de l'autorisation d'exercice permet à l'intéressé d'exercer la profession dans les mêmes conditions que les personnes titulaires du titre mentionné à l'article L. 4393-18-3.
« L'assistant en santé bucco-dentaire peut faire usage de son titre de formation dans la langue de l'État qui le lui a délivré. Il est tenu de faire figurer le lieu et l'établissement où il l'a obtenu.
« Dans le cas où le titre de formation de l'État d'origine, membre ou partie, est susceptible d'être confondu avec un titre exigeant en France une formation complémentaire, l'autorité compétente peut décider que l'assistant en santé bucco-dentaire fait état du titre de formation de l'État d'origine, membre ou partie, dans une forme appropriée qu'elle lui indique.
« L'intéressé porte le titre professionnel d'assistant en santé bucco-dentaire.
« La composition et le fonctionnement de la commission mentionnée au premier alinéa du présent article ainsi que les conditions dans lesquelles l'intéressé est soumis à une mesure de compensation sont déterminés par décret en Conseil d'État.
« Art. L. 4393-18-8 (nouveau). – L'assistant en santé bucco-dentaire, ressortissant d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, qui est établi et exerce légalement les activités d'assistant en santé bucco-dentaire dans un État, membre ou partie, peut exécuter en France des actes professionnels, de manière temporaire ou occasionnelle.
« Lorsque l'exercice ou la formation conduisant à la profession n'est pas réglementé dans l'État où il est établi, le prestataire de services doit justifier avoir exercé dans un ou plusieurs États, membres ou parties, pendant un an au moins à temps plein ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente au cours des dix années précédentes. L'exécution de cette activité est subordonnée à une déclaration préalable qui est accompagnée de pièces justificatives dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. Le prestataire joint une déclaration concernant les connaissances linguistiques nécessaires à la réalisation de la prestation.
« L'assistant en santé bucco-dentaire prestataire de services est soumis aux conditions d'exercice de la profession ainsi qu'aux règles professionnelles applicables en France. L'assistant en santé bucco-dentaire prestataire de services ne peut exercer que sous la responsabilité et le contrôle effectif d'un chirurgien-dentiste ou d'un médecin.
« Les qualifications professionnelles de l'assistant en santé bucco-dentaire prestataire de services sont vérifiées par l'autorité compétente, après avis d'une commission composée notamment de professionnels, avant la première prestation de service. En cas de différence substantielle entre les qualifications du prestataire et la formation exigée en France, de nature à nuire à la santé publique, l'autorité compétente soumet le professionnel à une épreuve d'aptitude.
« L'assistant en santé bucco-dentaire prestataire de services peut faire usage de son titre de formation dans la langue de l'État qui le lui a délivré. Il est tenu d'y faire figurer le lieu et l'établissement où il l'a obtenu.
« Dans le cas où le titre de formation de l'État d'origine, membre ou partie, est susceptible d'être confondu avec un titre exigeant en France une formation complémentaire, l'autorité compétente peut décider que l'intéressé fait état du titre de formation de l'État d'origine, membre ou partie, dans une forme appropriée qu'elle lui indique.
« La prestation de services est réalisée sous le titre professionnel de l'État d'établissement, de manière à éviter toute confusion avec le titre professionnel français. Toutefois, dans le cas où les qualifications ont été vérifiées, la prestation de services est réalisée sous le titre professionnel français.
« La composition et le fonctionnement de la commission mentionnée au quatrième alinéa du présent article ainsi que les modalités de vérification des qualifications professionnelles sont déterminés par décret en Conseil d'État.
« Art. L. 4393-18-9 (nouveau). – L'assistant en santé bucco-dentaire, lors de la délivrance de l'autorisation d'exercice ou de la déclaration de prestation de services, doit posséder les connaissances linguistiques nécessaires à l'exercice de la profession et les connaissances relatives aux systèmes de poids et mesures utilisés en France.
« Le contrôle de la maîtrise de la langue doit être proportionné à l'activité à exercer et réalisé une fois la qualification professionnelle reconnue.
« Art. L. 4393-18-10 (nouveau). – Les personnes ayant obtenu un titre de formation ou une autorisation requis pour l'exercice de la profession d'assistant en santé bucco-dentaire sont tenues de se faire enregistrer auprès du service ou de l'organisme désigné à cette fin par le ministre chargé de la santé avant leur entrée dans la profession.
« L'enregistrement de ces personnes est réalisé après vérification des pièces justificatives attestant de leur identité et de leur titre de formation ou de leur autorisation. Elles informent le même service ou organisme de tout changement dans leur situation professionnelle.
« La procédure d'enregistrement est sans frais.
« Il est établi, pour chaque département, par le service ou l'organisme désigné à cette fin, des listes distinctes de ces professions, portées à la connaissance du public.
« Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret. » ;
c) (nouveau) La dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 4393-8 est supprimée ;
d) (nouveau) L'article L. 4393-18 est abrogé ;
3° Après l'article L. 4394-4, il est inséré un article L. 4394-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4394-4-1. – L'usage sans droit de la qualité d'assistant en santé bucco-dentaire ou d'un diplôme, certificat, ou autre titre légalement requis pour l'exercice de cette profession est puni comme le délit d'usurpation de titre prévu à l'article 433-17 du code pénal.
« Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables de ce délit, dans les conditions prévues à l'article 121-2 du même code. Elles encourent les peines prévues pour le délit d'usurpation de titre aux articles 433-17 et 433-25 dudit code. » ;
4° (nouveau) Au premier alinéa de l'article L. 4011-1, après la référence : « L. 4393-8, », est insérée la référence : « L. 4393-18-1, » ;
5° (nouveau) Au deuxième alinéa du IV de l'article L. 6323-1-11, après le mot : « chirurgiens-dentistes, », sont insérés les mots : « des assistants en santé bucco-dentaire, ».
M. le président. Sur l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, je n'ai été saisi d'aucun amendement.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'article unique de la proposition de loi, dont la commission a ainsi rédigé l'intitulé : proposition de loi créant la profession d'assistant en santé bucco-dentaire.
Je rappelle que le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 22 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 341 |
| Pour l'adoption | 341 |
| Contre | 0 |
Le Sénat a adopté à l'unanimité. (Applaudissements.)
M. Martin Lévrier. Bravo !
4
Création d'un fichier national des personnes inéligibles
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, la discussion de la proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles, présentée par Mme Sophie Briante Guillemont et plusieurs de ses collègues (proposition n° 884 [2024-2025], texte de la commission n° 90, rapport n° 89).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, auteure de la proposition de loi.
Mme Sophie Briante Guillemont, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous nous apprêtons à débattre part d'un constat.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, personne n'est capable de dire combien il existe, aujourd'hui en France, de personnes inéligibles ni exactement de qui il s'agit. C'est un problème pour les services enregistrant les candidatures, mais aussi pour notre démocratie.
L'éligibilité est un droit fondamental appartenant à la catégorie des droits dits politiques : celui de prendre part directement à la direction des affaires publiques de son pays, c'est-à-dire de se présenter aux élections.
Le fait de perdre ce droit n'a rien d'anodin. Hormis les inéligibilités dites fonctionnelles, qui sont liées à une fonction particulière pouvant avoir une influence sur le corps électoral dans un territoire et pour un temps déterminé, les autres inéligibilités prévues par la loi sont prononcées par le juge. Ce sont uniquement celles-ci qui nous occuperont aujourd'hui.
Historiquement, la conception française de ce droit va de pair avec la notion de devoir. Tout mandat de représentant exige d'être à la hauteur de la fonction. Cela implique un certain discernement – c'est la raison pour laquelle les majeurs protégés en ont été privés –, ainsi que des qualités morales : les citoyens ayant commis certains faits ne peuvent pas prétendre représenter les Français.
Si ces notions ont quelque peu évolué, le droit d'éligibilité est devenu plus subjectif avec le temps, et davantage attaché à la personne qu'au citoyen. Le droit électoral français reflète cette distinction.
Quatre juges peuvent actuellement prononcer l'inéligibilité : le juge pénal, le juge administratif, le Conseil constitutionnel et le juge des contentieux de la protection, auparavant dénommé juge des tutelles.
Le juge pénal prononce de plus en plus de peines complémentaires d'inéligibilité. Depuis la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, cette exigence a été renforcée : la peine complémentaire d'inéligibilité est désormais obligatoirement prononcée pour certains crimes et délits, dans une optique de probité et d'exemplarité.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Entre 2015 et 2017, moins de cinquante condamnations ont entraîné une mesure d'inéligibilité. Pour la seule année 2024, on en recense en revanche près de 16 000, alors même que ces peines ne sont prononcées que dans 42 % des cas et sont expressément écartées par le juge pour le reste des condamnations.
Pour leur part, le juge administratif et le Conseil constitutionnel peuvent prononcer l'inéligibilité d'un candidat dans deux cas de figure : lorsque les manœuvres électorales de ce dernier ont été exposées et, seconde situation, lorsque les règles de financement des campagnes électorales ont été enfreintes.
Si la première situation concerne de rares cas, le nombre de ceux qui relèvent de la seconde explose. L'accroissement du nombre de contentieux en matière de comptes de campagne est d'ailleurs un sujet en lui-même, étant donné la complexité des règles applicables.
Entre 2021 et 2025, le Conseil constitutionnel a ainsi rendu plus de cinq cents décisions d'inéligibilité pour les seuls candidats aux élections législatives et sénatoriales. En ce qui concerne le juge administratif, qui a compétence sur les élections locales et sur celles des représentants français au Parlement européen, le ministère de l'intérieur n'a pas été en mesure de nous fournir de chiffres.
À ces situations où l'inéligibilité est prononcée comme une peine ou une sanction s'ajoute le cas particulier des majeurs protégés. En 2024, plus de 60 000 personnes ont été placées sous tutelle ou curatelle.
Le code électoral prévoit l'inéligibilité de ces personnes, non pas dans un objectif répressif, mais, dans la continuité des raisons historiques que j'évoquais précédemment, en raison de leur capacité limitée à représenter leurs concitoyens et, potentiellement, à gouverner.
Ce dernier point mériterait peut-être d'être débattu, mais tel n'est pas l'objet de la présente proposition de loi. Celle-ci vise en effet non pas à modifier les motifs d'inéligibilité, mais simplement à recenser les personnes concernées.
Au total, plus de 80 000 personnes par an sont ainsi déclarées inéligibles, sans que nous soyons capables de centraliser cette information.
Les sources de l'inéligibilité sont donc multiples, ses fondements variés, ses justifications diverses ; et l'information en la matière éclatée, morcelée, pour ne pas dire, dans certains cas, inaccessible.
En vertu de la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, dite loi Bien Vieillir, les mesures liées au majeur protégé devraient être regroupées dans un fichier dédié. Toutefois, le décret d'application n'est pas encore paru à ce jour.
En attendant la création d'un tel fichier, la seule manière de vérifier effectivement qu'un candidat n'est pas sous tutelle ou sous curatelle est d'obtenir son acte de naissance. En la matière, une simple déclaration sur l'honneur ne saurait suffire, en particulier lorsqu'elle provient d'une personne dont les facultés sont altérées ou qui ne peut pas veiller sur ses propres intérêts.
Les décisions du juge administratif sont notifiées au ministère de l'intérieur, qui ne tient pour le moment aucun registre recensant ces décisions. Celles du Conseil constitutionnel sont publiées au Journal officiel et ne sont pas anonymes, mais elles ne font pas l'objet d'une centralisation.
Enfin, concernant le casier judiciaire national, les services en charge de l'enregistrement des candidatures peuvent théoriquement demander, en vertu de la loi de 2017 précitée, la transmission du bulletin n° 2 (B2) des candidats. En pratique, cependant, le système ne permet aucune transmission automatisée. Les demandes doivent donc être réalisées une par une.
Pour donner un ordre de grandeur, le ministère de l'intérieur attend environ 950 000 candidatures aux prochaines élections municipales. Cela représente près d'un million de demandes de B2 à transmettre manuellement dans un délai plus que restreint, les autorités ne disposant que de quatre jours entre le dépôt de la candidature et la remise du récépissé.
C'est, disons-le franchement, matériellement impossible. Dès lors, le ministère de l'intérieur n'a d'autre choix que de procéder par échantillonnage. De fait, lors des élections municipales de 2020, seulement 6 % des candidatures avaient fait l'objet d'une vérification du B2 et une seule inéligibilité avait été détectée.
Face à ce constat, un rapport inter-inspections, remis en juin 2020 par l'inspection générale des finances, l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale des affaires étrangères, ainsi qu'un rapport de la Cour des comptes rendu à l'automne 2024 préconisent tous deux la création d'un répertoire national des personnes inéligibles.
Tel est l'objet de la proposition de loi que je vous soumets aujourd'hui, enrichie par l'excellent travail du rapporteur Olivier Bitz, que je tiens à saluer et à remercier.
Soyons clairs, ce répertoire ne crée ni n'éteint aucun droit. Il a pour but non pas de juger ou de sanctionner, mais seulement de recenser. Il rassemblerait les décisions d'inéligibilité déjà rendues, qu'elles émanent du juge pénal, du juge administratif et du Conseil constitutionnel, ainsi que les mesures de tutelle et de curatelle.
L'objectif est double : d'une part, faciliter le travail des préfectures et, dans le cas de l'élection des conseillers des Français de l'étranger, des consulats ; d'autre part, garantir la sincérité du processus électoral.
Aujourd'hui, les agents chargés d'enregistrer les candidatures doivent, en quatre jours, consulter le casier judiciaire des candidats, vérifier leurs actes de naissance et lire le Journal officiel. C'est tout à fait impossible.
Un tel répertoire vise donc simplement à rendre le contrôle réalisable. Ce serait d'ailleurs aussi un progrès en matière de protection des données personnelles : actuellement, lorsque l'autorité compétente pour enregistrer une candidature reçoit le B2 d'un candidat, elle obtient toutes ses condamnations, y compris celles qui sont sans lien avec une éventuelle incapacité à se présenter aux élections.
Le répertoire, au contraire, se limiterait à l'information strictement nécessaire, à savoir la mention de l'inéligibilité effective.
Enfin, il s'agit également de renforcer la confiance dans le processus électoral. L'an dernier, dans la deuxième circonscription du Jura, une élection législative a été annulée au motif que l'un des candidats, placé sous curatelle renforcée, était inéligible. L'information a été révélée par la presse entre les deux tours, mais la machine électorale était déjà lancée. Il a fallu attendre la saisine du Conseil constitutionnel et sa décision, que l'on connaissait à l'avance, pour que l'élection soit finalement annulée.
Une telle situation n'est pas seulement absurde ; elle est coûteuse, tant pour l'État que pour la démocratie. Organiser une élection implique en effet de mobiliser des moyens et du personnel, d'agencer les bureaux de vote, d'imprimer des affiches et des bulletins ou encore de recruter des scrutateurs.
C'est aussi appeler aux urnes des citoyens, auxquels il est tout de même difficile d'expliquer qu'une personne inéligible est passée entre les mailles du filet.
Nous le savons, les élections partielles enregistrent des taux de participation souvent déplorables, ce qui nuit chaque fois un peu plus à la démocratie représentative.
Bien sûr, la mise en place d'un tel registre aura un coût initial, cela a été relevé lors des auditions. Toutefois, comme le souligne également le rapport, des gains de coût et de temps sont aussi espérés à long terme, car l'objectif est d'éviter d'annuler des élections.
Un tel outil, qui a vocation à s'appliquer à toutes les élections françaises, est indispensable pour garantir la sincérité et la solidité de nos procédures électorales. Il y va également de la crédibilité de la justice : ses décisions doivent être respectées.
Pour terminer, j'aimerais revenir sur un point d'ordre technique. Aussi bien pendant les travaux de rédaction du texte que pendant l'examen du rapport est apparue de façon évidente la grande complexité de notre droit des élections, en particulier celle du code électoral. Il n'est pas rare que ses articles contiennent des renvois en cascade vers une autre partie du code, puis vers une autre, puis encore une autre, ce qui rend la navigation dans ce code et la compréhension particulièrement complexes.
Une partie du droit électoral n'est même pas codifiée. C'est le cas, d'ailleurs, en dehors des élections législatives, des dispositions concernant les représentants des Français de l'étranger.
Il faudra donc un jour mener à terme un chantier d'ampleur : la clarification et l'harmonisation du code électoral. Les citoyens et les candidats doivent pouvoir disposer d'une loi claire et intelligible.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi a vocation à apporter de la lisibilité à notre administration et à renforcer la confiance dans le processus électoral. Ces deux objectifs sont particulièrement chers au groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, que je remercie d'avoir fait inscrire ce texte à l'ordre du jour.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de voter en faveur de la création d'un répertoire national des personnes inéligibles. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST. – Mme Nadia Sollogoub, ainsi que MM. Martin Lévrier et Jean-Claude Tissot applaudissent également.)


