M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Bitz, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce matin la proposition de loi visant, dans son intitulé adopté par la commission des lois, à créer un répertoire national des personnes inéligibles.
Je tiens à remercier l'auteure de la proposition de loi, Sophie Briante Guillemont, de cette initiative, ainsi que le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen de l'avoir fait inscrire à l'ordre du jour.
Ce texte a été adopté à l'unanimité par la commission des lois, qui a vu dans la création d'une base de données unique centralisant l'ensemble des informations relatives à l'inéligibilité des personnes majeures une mesure bienvenue, et ce pour deux raisons principales.
En amont des élections, une telle base de données permettrait aux services chargés de recevoir les déclarations de candidature d'effectuer un contrôle rapide et exhaustif de l'absence d'inéligibilité des candidats.
En aval des élections, elle limiterait le risque d'annulation par le juge pour des motifs d'inéligibilité qui auraient dû être identifiés lors du dépôt des candidatures. Cela pourrait contribuer, in fine, à restaurer la confiance des citoyens dans le processus électoral.
En effet, alors même que la vérification de l'absence d'inéligibilité revêt une importance décisive au regard de la sincérité du scrutin, il n'existe pas, aujourd'hui, d'instrument de contrôle systématique et automatique permettant de valider, dans les délais contraints de l'enregistrement incombant aux préfectures, qu'aucun candidat ne se trouve dans une situation d'inéligibilité.
Comme l'a rappelé l'auteure de la proposition, il existe quatre principaux types d'inéligibilité : celles qui résultent d'une condamnation pénale ; celles qui sont prononcées par le juge électoral, notamment en cas de violation de la législation relative aux comptes de campagne ; celles qui sont liées à l'absence de capacité juridique et qui concernent les personnes placées sous tutelle ou sous curatelle ; et, enfin, les inéligibilités fonctionnelles, variables selon l'élection, qui visent principalement à éviter les conflits d'intérêts et qui, à la différence des trois autres motifs, sont subjectives et relatives.
S'il existe des outils permettant d'assurer un contrôle a priori de l'absence d'inéligibilité, ce contrôle demeure extrêmement restreint. En particulier, le casier judiciaire national n'est pas équipé pour assurer une transmission automatisée aux préfectures des B2, qui mentionnent l'éventuelle peine d'inéligibilité.
En conséquence, les services des préfectures sont contraints de faire une demande expresse pour chaque candidat, ce qui rend le système actuel inadapté au volume à traiter, au regard, d'une part, du nombre de candidats – plus de 900 000 candidatures ont été enregistrées aux élections municipales de 2020 –, d'autre part, de la tendance à la hausse du nombre de peines complémentaires d'inéligibilité.
À cet égard, la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a rendu obligatoire le prononcé de ces peines, si bien que, en 2024, on comptait environ 16 000 condamnations.
Certes, des améliorations sont en cours. La nouvelle application B2+, qui sera déployée par le ministère de la justice d'ici à la fin de l'année, devrait permettre aux préfectures, lors des prochaines élections municipales, d'obtenir le B2 des candidats dans un délai maximal de quarante-huit heures. Toutefois, le contrôle ne pourra toujours pas être systématique ni intégral.
Par ailleurs, il n'existe pas davantage de système d'information centralisé répertoriant les décisions de placement sous tutelle ou curatelle. En effet, le registre des mesures de protection des majeurs protégés prévu par la loi Bien Vieillir du 8 avril 2024 n'a pas encore vu le jour.
Quant aux décisions prononçant l'inéligibilité rendues par les juridictions administratives et par le Conseil constitutionnel, elles sont transmises aux services du ministère de l'intérieur sans que le caractère intégral et immédiat de la transmission puisse être garanti avec certitude.
Dans ce contexte, la proposition de Sophie Briante Guillemont de créer un fichier national des personnes inéligibles présente un intérêt évident, en tout premier lieu pour les services chargés d'enregistrer les candidatures.
C'est pourquoi la commission a adopté à l'unanimité la proposition de loi, en y apportant quelques modifications, de manière à assurer l'efficacité, l'opérationnalité et la lisibilité du dispositif.
Tout d'abord, la commission a modifié à deux titres la liste des informations ayant vocation à figurer dans le futur fichier.
D'une part, dans un objectif de minimisation et de proportionnalité des données traitées, tel qu'il est posé par le règlement général sur la protection des données (RGPD) et par la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, elle a supprimé certaines données, comme la nationalité ou le domicile, qui sont apparues sans lien avec la finalité du traitement.
D'autre part, elle a jugé nécessaire d'ajouter à cette liste la totalité des prénoms et le lieu de naissance, afin de garantir l'identification univoque de la personne concernée.
En outre, dans sa version initiale, la proposition de loi comportait plusieurs dispositions relatives aux modalités de gestion, d'alimentation et de consultation du fichier.
La commission a jugé que celles-ci relevaient davantage du règlement que de la loi. À titre d'exemple, il reviendra au Gouvernement de décider à quel ministère la gestion du fichier doit être confiée. Le texte a ainsi été resserré sur ses seules dispositions de nature législative.
Évidemment, souligner l'intérêt que présenterait ce nouveau fichier n'empêche pas de rappeler les contraintes techniques et budgétaires auxquelles serait soumise sa mise en œuvre. En particulier, la commission n'ignore pas les importants développements informatiques qui seraient nécessaires.
Du reste, nous en convenons tous, le fichier ne pourrait assurément pas être opérationnel dès les prochaines élections municipales. La commission a toutefois jugé souhaitable de donner un horizon temporel raisonnable à la mise en œuvre de cet outil, en retenant la date du 31 décembre 2029.
De plus, la commission a renforcé l'effectivité du dispositif en rendant obligatoire la consultation du nouveau fichier par les autorités compétentes pour recevoir les déclarations de candidature.
À ce sujet, il convient de prévoir des mesures de coordination complémentaires, de manière à rendre applicable cette obligation de consultation aux élections régies par d'autres textes que le seul livre Ier du code électoral, notamment les élections sénatoriales qui nous sont chères, les élections des représentants au Parlement européen ou encore les élections relatives aux Français établis hors de France.
Tel est l'objectif des amendements que la commission des lois vous présentera tout à l'heure, mais aussi de l'amendement déposé par l'auteure de ce texte.
Je rappellerai, pour conclure, que la commission a également adopté, par souci de clarté, deux modifications de forme. Elle a ainsi regroupé l'ensemble des dispositions au sein d'un nouvel article L. 45-2 du code électoral, qui prendrait sa place dans le chapitre relatif aux conditions d'éligibilité et d'inéligibilité.
Par ailleurs, elle a renommé le futur dispositif « répertoire national des personnes inéligibles », par cohérence avec l'appellation déjà retenue en matière électorale.
Si elle était adoptée, cette proposition de loi créerait un outil de contrôle efficace des candidatures aux élections, au service d'une concurrence équitable entre candidats et de la sincérité du scrutin.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois vous propose d'adopter le texte ainsi modifié. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi soulève un enjeu majeur de rigueur démocratique.
En effet, contrôler l'éligibilité des candidats revient à conforter la crédibilité du processus électoral, le bon déroulement d'une élection et, en bout de chaîne, l'image de la démocratie.
Comme l'a rappelé l'auteure de la proposition de loi, l'annulation de l'élection législative de 2024 dans la deuxième circonscription du Jura a marqué les esprits : un candidat était qualifié au second tour alors qu'il était sous curatelle et, à ce titre, inéligible.
Il est vrai que des moyens de contrôle existent ; ils permettent aux préfectures, pour chaque élection, de contrôler les candidatures. Rien n'est cependant systématisé ni formalisé dans un fichier unique.
En déposant cette proposition de loi, Mme la sénatrice Sophie Briante Guillemont a donc pour ambition de centraliser les décisions d'inéligibilité prononcées par les juridictions, par le juge de l'élection, ainsi que les mesures de protection juridique limitant la capacité électorale.
Une telle initiative parlementaire permet de répondre aux difficultés que le Conseil constitutionnel est amené à constater a posteriori. Elle permet également de satisfaire les recommandations de la Cour des comptes.
Madame la sénatrice, votre proposition a le mérite de viser clairement un triple objectif politique : garantir la transparence des candidatures, renforcer la crédibilité de la vie publique et maintenir la confiance des citoyens dans nos institutions.
En centralisant des informations aujourd'hui dispersées, le dispositif que vous appelez de vos vœux permettrait de fluidifier les contrôles opérés par les services de l'État au moment du dépôt des candidatures.
Si le Gouvernement comprend votre intention, qui est fort pertinente, la mise en œuvre d'une telle proposition de loi serait néanmoins loin d'être évidente d'un point de vue technique, mais aussi d'un point de vue juridique.
Sur le plan opérationnel, il convient de rappeler que l'ensemble des informations relatives aux inéligibilités sont déjà accessibles : elles figurent dans le casier judiciaire et les décisions de justice sont soumises au principe de publicité.
La création d'un répertoire centralisé soulève également la question du rapport entre son coût et son utilité réelle, d'autant que la réalité statistique de l'inéligibilité ne plaide pas en sa faveur. Ainsi, en 2018, seulement 10 678 peines d'inéligibilité ont été prononcées, ce qui concerne moins de 0,022 % du corps électoral. Certes, comme vous l'avez rappelé, c'est déjà trop.
Pour prendre un exemple concret, lors des dernières élections municipales, celles de 2020, près de 62 000 candidatures ont fait l'objet d'une demande de communication du bulletin n° 2 du casier judiciaire dans le cadre du contrôle d'éligibilité a priori par les services préfectoraux. Un seul cas d'inéligibilité a alors été constaté. J'y insiste : un seul !
Par ailleurs, le nouveau service B2+, qui sera déployé par le ministère de la justice d'ici à la fin de l'année, permettra aux services préfectoraux d'obtenir, pour les élections municipales et communautaires de mars prochain, le B2 d'un candidat dans un délai maximal de vingt-quatre à quarante-huit heures. Une systématisation du contrôle est à l'étude, afin que les services puissent traiter plus rapidement l'intégralité des candidatures et, ainsi, rendre, dans des délais très courts, un avis sur l'éligibilité des candidats. Ce nouveau mécanisme contribuera à simplifier le contrôle de l'éligibilité, à garantir son efficacité et sa transparence.
Un dispositif complémentaire permet déjà aujourd'hui au juge, lorsque l'inéligibilité d'un élu est découverte après les élections, de prononcer la démission d'office de ce dernier. Cela met immédiatement fin à son mandat et relance le processus électoral.
N'oublions pas non plus – c'est une réalité – que les cas d'inéligibilité sont aussi souvent connus localement, grâce notamment à la proximité avec le territoire des services de l'État, qui identifient facilement des candidats frappés d'inéligibilité.
Sur le plan technique, la mise en œuvre de l'outil envisagé dans ce texte demanderait la création de lourdes interconnexions entre les systèmes du ministère de la justice, du Conseil constitutionnel et du ministère de l'intérieur. Elle impliquerait de normaliser la codification des peines et de créer des interfaces de consultation. Cela engendrerait des coûts de développement, de maintenance et de sécurisation non négligeables.
Cette proposition de loi est donc à la fois clairement légitime en ce qui concerne la vision qui la sous-tend, pertinente en raison de l'objectif visé, mais également complexe à mettre en œuvre. Elle répond à une préoccupation réelle de transparence démocratique, étant entendu que des outils existent – casier judiciaire, échanges entre administrations –, qui permettent d'assurer, dans une large mesure, la régularité du processus électoral.
Dans ces conditions, et sans remettre en cause l'esprit du texte, il paraît raisonnable au Gouvernement d'adopter une position de sagesse, tout en reconnaissant, comme je l'ai dit, les vertus politiques du dispositif proposé et en soulignant les limites techniques et juridiques de sa mise en œuvre.
Cette proposition de loi devrait s'accompagner d'un engagement clair en faveur d'un travail interministériel structuré avec le ministère de la justice, afin d'envisager, dans un temps plus long, l'émergence d'une solution pleinement articulée avec les systèmes d'information existants ou intégrée à d'autres chantiers numériques de l'État.
Dans cet esprit d'équilibre et de responsabilité, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à saluer aujourd'hui la démarche de vos collègues, tout en réservant votre position sur le fond, dans l'attente d'une analyse plus approfondie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE, ainsi qu'au banc des commissions.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme nous le constatons depuis le début de cette discussion, ce que nous voulons tous, c'est garantir la sincérité du suffrage et la sécurité juridique des élections.
Le texte que nous examinons est non pas un texte technique, mais un texte de confiance, aussi bien envers les électeurs qu'envers l'administration et, au fond, la démocratie elle-même.
Il vise à répondre d'ailleurs aux recommandations convergentes de la Cour des comptes et d'un rapport inter-inspections de 2020.
Le constat est préoccupant : les services préfectoraux ne disposent pas toujours des informations nécessaires pour vérifier l'éligibilité des candidats.
Ce constat est ancien, il a été fait maintenant depuis un certain nombre d'années. Certaines jurisprudences nous ont montré que la difficulté était réelle. C'est pourquoi je souhaite vous faire part, madame la ministre, de notre étonnement face à la position de sagesse du Gouvernement sur ce texte.
Comme cela a été rappelé, 80 000 personnes par an sont déclarées inéligibles, dont 16 000 au titre de condamnations pénales. Lors des élections municipales de 2020, par exemple, sur 900 000 candidatures, seulement 6 % d'entre elles ont fait l'objet d'une vérification auprès du casier judiciaire national pour détecter une éventuelle inéligibilité. Ce chiffre illustre à lui seul l'insuffisance criante de nos moyens de contrôle actuels.
L'affaire de la deuxième circonscription du Jura a été rappelée. Celle-ci n'est pas anecdotique. Elle est révélatrice d'une défaillance structurelle, liée à l'absence d'un dispositif centralisé permettant à l'administration de connaître en temps réel les situations d'inéligibilité.
Certes, la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a prévu la possibilité de demander la transmission du B2 du casier judiciaire des candidats, mais, faute de transmission automatisée, les demandes des préfectures doivent être réalisées une par une, dans des délais souvent contraints.
Le nouveau service du ministère de la justice, qui sera déployé à la fin de l'année 2025, ne permettra pas davantage de systématiser les contrôles, car, comme cela a été rappelé par l'auteure de la proposition de loi, l'inéligibilité peut être prononcée par plusieurs voies et toutes les décisions ne sont pas consignées au casier judiciaire national.
La commission des lois, dans sa grande sagesse – je ne le dis que sur ce texte, madame la présidente (Sourires.) –, a, grâce au travail de son rapporteur, enrichi le texte initial, d'une manière que certains qualifieront sans doute de substantielle, mais je n'irai pas jusque-là.
Elle a ainsi renommé le dispositif en « répertoire » – il s'agit toujours d'un fichier, mais le terme est moins stigmatisant –, dans un souci de cohérence avec les outils électoraux déjà existants.
Elle a inscrit dans la loi l'obligation pour les autorités compétentes de consulter le répertoire, sinon, en effet, le texte ne servirait à rien.
Enfin, elle s'est montrée favorable à la possibilité d'interconnecter le casier judiciaire national avec les fichiers d'autres ministères que celui de la justice, dans l'hypothèse où la gestion du répertoire serait confiée à un autre ministère. Cela n'est pas totalement illogique, puisque c'est le ministère de l'intérieur qui est en charge de l'organisation des élections. Il convient de penser au caractère opérationnel du projet.
Le groupe socialiste soutient pleinement cette initiative, mais son efficacité dépendra des conditions de sa mise en œuvre. Nous formulons trois exigences à cet égard.
Une exigence de coordination, tout d'abord. Nous plaidons pour une articulation fluide – l'emploi de ce terme indique que nous sommes très optimistes – entre le ministère de l'intérieur, la Chancellerie, le Conseil d'État, le Conseil constitutionnel et les services chargés de la protection juridique des majeurs. Cette coopération interministérielle sera, évidemment, indispensable.
Une exigence de réactivité, ensuite. Un tel dispositif n'aura de valeur que s'il est mis à jour en temps réel. À titre personnel, c'est ma plus grande préoccupation. Un décalage, même ponctuel, entre la levée d'une inéligibilité et sa radiation effective du répertoire pourrait conduire à priver un citoyen de son droit de se présenter à une élection. Nous le savons, l'existence d'un répertoire obsolète serait presque plus dangereuse que l'absence de répertoire, car elle créerait une illusion de sécurité.
Le code électoral prévoit une possibilité de recours, lorsqu'une préfecture refuse d'enregistrer une candidature pour raison d'inéligibilité, mais nous savons tous ici, dans la mesure où nous avons tous déjà été candidats, que le délai pendant lequel on peut déposer sa candidature est parfois un petit peu court. La question de savoir comment tout cela s'articulera est donc posée, mais je laisse à l'auteure de la proposition de loi, au rapporteur et aux ministères compétents le soin de régler ce détail, qui n'est pas que technique.
Enfin, notre dernière exigence a trait à la protection des libertés publiques. On touche à des données sensibles, relatives à la vie judiciaire et aux droits civiques. La consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) sera, de ce point de vue, très importante.
Le rapporteur a proposé que le dispositif entre en vigueur au plus tard le 31 décembre 2029. En dépit de l'instabilité gouvernementale actuelle, je pense que ce mécanisme, qui réclame une coordination interministérielle, pourra être opérationnel à cette date. Évidemment, nous aurions souhaité qu'il puisse l'être pour les élections municipales de 2026, mais vous nous répondriez sans doute, madame la ministre, que ce n'est pas possible, et je crains que nous ne puissions qu'être d'accord avec vous sur ce point, compte tenu des difficultés à résoudre.
Le groupe socialiste soutient totalement cette proposition de loi. Le chantier est considérable, puisque, selon les estimations, nous devrions recenser plus de 950 000 candidatures lors des prochaines élections municipales. Les préfectures seront donc confrontées de nouveau aux difficultés que nous avons évoquées. Nous espérons que les services de l'administration de l'État sauront y faire face. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui part d'un constat simple : notre démocratie repose sur la confiance. Mais pour que celle-ci soit pleinement effective, encore faut-il que les règles du jeu électoral soient connues, respectées et, surtout, appliquées.
Nous avons tous en mémoire les dernières élections législatives, au cours desquelles le Rassemblement national a présenté, dans le Jura, un candidat qui était placé sous curatelle renforcée et, par conséquent, inéligible.
Il nous paraît donc nécessaire, tout autant qu'à l'auteure de la proposition de loi, dont nous partageons la préoccupation, que, compte tenu des manquements de certains partis, l'administration puisse avoir accès à un outil fiable pour être en mesure de vérifier, avant une élection, si un candidat est ou non inéligible.
Ce texte crée, à cette fin, un répertoire. Son accès serait limité aux autorités compétentes. Il recenserait les personnes dont le droit d'être élu a été suspendu à la suite d'une condamnation pénale, d'une décision administrative ou constitutionnelle, ou encore en raison d'un régime de protection juridique. C'est, au fond, un instrument de clarté et de fiabilité.
On entend parfois l'expression d'inquiétudes à l'idée de créer un fichier de plus. Convenons cependant qu'il est souhaitable que l'État sache, avec précision, qui peut ou non se présenter à une élection, en particulier à une époque où la transparence est devenue une condition de la confiance publique.
De plus, ce répertoire ne serait pas inutile : depuis quelques années, grâce au travail de la presse et de la justice indépendante, les juridictions prononcent de plus en plus souvent des peines d'inéligibilité.
Il ne s'agit pas, au travers de cette proposition de loi, de raviver des souvenirs douloureux, mais simplement de constater que nul, en République, n'est dispensé de faire preuve d'exemplarité. Comme le proclame la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse », tous les citoyens étant égaux à ses yeux. L'existence de ce répertoire permettrait, sans stigmatiser personne, d'éviter que l'on ne confonde la salle d'audience avec la salle du conseil municipal.
Mes chers collègues, nous devons veiller à ce que ce dispositif soit proportionné, protégé et utilisé uniquement par les autorités habilitées. Cependant, pour des raisons de principe, il nous semble difficile de nous opposer à sa création : il s'agit moins de punir que de prévenir. En adoptant ce texte, nous rappellerions que le droit à être élu est aussi une responsabilité.
En somme, sans prétendre que ce texte, à lui seul, permettra de moraliser la vie politique – il en faudrait bien davantage pour cela ! –, il faut reconnaître que celui-ci apporte une pierre utile à l'édifice de la confiance en politique. En effet, en démocratie, la probité des élus est indispensable et, parfois, un peu de mémoire administrative ne fait pas de mal.
C'est pourquoi, le groupe CRCE-K votera ce texte avec enthousiasme, tout en restant vigilant sur ses modalités d'application. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous soutiendrons et voterons ce texte relatif à la création d'un fichier national des personnes inéligibles. Notre collègue du RDSE Sophie Briante Guillemont a eu une bonne idée.
Le groupe écologiste est pourtant plutôt prudent, en général, en ce qui concerne la création, la manipulation et les modes de consultation des fichiers. Indépendamment de la question de savoir si leur création est pertinente, notre prudence vient de la mauvaise utilisation qui pourrait en être faite, les dérives de l'exercice du pouvoir étant, hélas ! trop connues et de plus en plus visibles.
Je commencerai par la question du coût, madame la ministre, qui est fréquemment avancée pour s'opposer à des propositions de loi. On nous dit qu'il n'y a pas de sous. Mais, je le répète souvent, la démocratie a un coût ! Un coût que le Gouvernement oublie parfois sciemment, quand cela l'arrange, comme lors de l'examen de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, qui prévoit l'organisation d'un double scrutin, ce qui grèvera considérablement les finances des collectivités territoriales concernées. Mais cela n'a pas empêché le Gouvernement, à l'époque, de soutenir le texte !
Nous ne pouvons pas non plus souhaiter que nos concitoyens participent davantage à la vie politique, sans nous assurer du bon déroulement des élections.
Certes, le nombre de candidatures a diminué lors des élections législatives de 2024 – peut-être est-ce dû aux alliances électorales qui ont été contractées alors. Il y a toutefois eu des problèmes : les orateurs précédents ont rappelé le cas de cette personne sous curatelle qui avait réussi à passer le premier tour dans sa circonscription.
Est-il donc plus responsable financièrement de risquer de voir une élection annulée et d'avoir à en réorganiser une autre, comme cela s'est passé en 2024, ou de procéder à un contrôle a priori des candidatures ? La question mérite d'être posée.
Ce texte vise en fait à mettre en œuvre une recommandation que la Cour des comptes a formulée dans son rapport de novembre 2024 sur l'organisation des élections. Elle préconisait ainsi de « donner accès aux agents des bureaux des élections des préfectures, ainsi qu'aux autres autorités chargées d'examiner la recevabilité des candidatures aux élections, à un répertoire spécifique construit à partir du casier judiciaire national, qui ne comporterait que les informations nécessaires à cet examen ».
J'ai d'ailleurs relevé, dans ce rapport, une information qui m'avait surpris et qui a influé sur notre réflexion sur ce texte. La Cour des comptes indique ainsi que, comme l'a souligné Marie-Pierre de La Gontrie, « pour les élections municipales de 2020, sur 902 465 candidatures, seules 62 000 candidatures ont fait l'objet d'une demande de délivrance du B2 », soit moins de 7 % d'entre elles. Je rappelle que sur ce document figurent les condamnations judiciaires à des peines d'inéligibilité.
Devons-nous alors prévoir un contrôle exhaustif dans le cadre d'une telle vérification des candidatures ? Est-ce ce que les citoyens souhaitent ? Je ne le pense pas.
Le problème réside dans le morcellement des informations, le volume des candidatures à traiter et les délais contraints pour effectuer les recherches.
Cette proposition de loi constitue une parfaite réponse, puisqu'elle vise à créer un fichier consultable par les autorités chargées de recevoir les déclarations de candidature à une élection. La gestion technique et administrative de ce fichier serait confiée au ministère de l'intérieur, responsable de l'organisation des élections.
Les services préfectoraux ne peuvent pas tout faire, particulièrement dans des délais si contraints.
Nous, écologistes, préférerions, comme nous l'avons souvent dit et comme nous continuerons à le faire, que le temps du personnel dans les préfectures soit mieux utilisé, afin qu'il puisse répondre aux besoins de l'ensemble de nos concitoyens et des usagers. Je pense, par exemple, aux demandes en matière de droits des étrangers : à cet égard, le système est défaillant, comme l'a montré Amnesty International dans sa dernière étude, qui pointe les difficultés rencontrées par les travailleurs étrangers pour obtenir des papiers ou un rendez-vous. Le nombre de recours et de référés administratifs sur le sujet le prouve d'ailleurs, et cela coûte très cher à l'État.
Nous entendons la réticence du Gouvernement sur cette proposition de loi. Je sais que les temps sont durs, que la tendance est de n'avancer quasiment sur rien.
Permettez-moi toutefois de citer de nouveau le rapport de la Cour des comptes : « En réponse à la Cour, le ministère de l'intérieur fait part de son accord avec cette recommandation […] et précise qu'il a entamé avec le ministère de la justice des échanges exploratoires visant à étudier les différentes options de création d'un tel répertoire, qui vont être poursuivis en vue des élections municipales de 2026. »
La commission des lois, sur l'initiative de son rapporteur, a reporté, avec une grande prudence, l'entrée en vigueur du dispositif à 2030. Dès lors, madame la ministre, pourquoi s'opposer à ce texte ? Il représente un petit pas en avant pour sécuriser les prochaines élections et contribuer à redonner confiance à nos électeurs. Il ne devrait poser de problème à personne. Il apporte une réponse cohérente à un problème sérieux, en instaurant un procédé de vérification exhaustif et simplifié des candidatures aux élections.
Notre groupe le votera avec enthousiasme ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE. – M. Martin Lévrier applaudit également.)