PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Candidatures à des commissions
M. le président. J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, d'une part, et de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, d'autre part, ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
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Communication d'un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à son application, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport s'est prononcée, par quatorze voix pour et quatorze voix contre, sur le projet de maintien de M. Didier Samuel à la présidence de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
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Lutte contre les fraudes sociales et fiscales
Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales (projet de loi n° 24, texte de la commission n° 112, rapport n° 111, avis nos 104 et 106).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque j'ai présenté le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 à l'Assemblée nationale, la semaine dernière, j'ai évoqué quatre risques pesant sur la pérennité de notre système de protection sociale : la concurrence internationale des modèles sociaux ; les excès du repli individualiste ; l'incapacité de s'adapter aux transitions économiques et démographiques ; les abus.
La fraude sociale menace non seulement la sécurité sociale, mais aussi le principe même de solidarité. Dès lors que la société choisit de mutualiser ses ressources et de faire contribuer tout le monde pour protéger les plus vulnérables, la fraude ne relève plus seulement de l'abus : elle devient une trahison de la confiance sur laquelle repose la solidarité. Non seulement l'argent est volé, mais c'est l'idée même de justice qui est abîmée, dès lors que s'installe une inégalité presque morale entre ceux qui respectent la règle et ceux qui l'enfreignent.
La lutte contre la fraude sociale ne se réduit pas à un exercice comptable et à un ensemble de sanctions visant à recouvrer les 13 milliards d'euros détournés. Elle doit être au cœur de la consolidation de notre pacte social. À cet égard, je tiens à saluer l'engagement constant du Sénat, de ses rapporteurs sur ce projet de loi ainsi que de votre collègue Nathalie Goulet.
L'engagement du Gouvernement n'est pas nouveau. Sous l'impulsion de Gabriel Attal et de Thomas Cazenave, une feuille de route inédite pour lutter contre toutes les fraudes était lancée en mai 2023.
Un an plus tard, un premier bilan en était réalisé ; les chiffres parlent d'eux-mêmes.
En ce qui concerne les fraudes aux cotisations sociales, l'Urssaf a vu le montant de ses redressements augmenter : 1,6 milliard d'euros redressés en 2024, contre 500 millions en 2017 et 800 millions en 2022.
En ce qui concerne les prestations sociales, le nombre de fraudes détectées par les caisses d'allocations familiales (CAF) a crû de 20 % en 2024 par rapport à l'année précédente. Les CAF ont réalisé 32 millions de contrôles et près de 49 000 cas de fraude ont été identifiés.
Je ne développerai pas davantage ce bilan, mais je souhaite profiter de ce moment pour remercier l'ensemble des administrations de la sécurité sociale et de France Travail qui ont permis la mise en œuvre de cette politique de lutte contre la fraude et son accélération.
En dépit d'une volonté politique très forte et d'une mise en œuvre opérationnelle remarquable de la feuille de route que j'ai évoquée, les fraudeurs s'adaptent – vous le savez. Le Gouvernement a donc souhaité vous soumettre ce nouveau projet de loi, qui a été élaboré main dans la main avec les caisses de sécurité sociale et France Travail.
L'objet du texte est avant tout d'accélérer le passage de la suspicion à la détection, de la détection à la sanction, et de la sanction au recouvrement. Voilà qui doit nous permettre tout à la fois de restaurer la confiance et d'assurer la pérennité de notre modèle social.
Dans le champ de la fraude sociale, ce texte vise donc d'abord à améliorer la détection.
Une telle amélioration passe, en particulier, par un meilleur usage et un meilleur partage des informations entre les administrations, afin de faciliter le traitement des fraudes.
Songez, par exemple, à l'affaire de cette société d'audioprothèses qui surfacturait systématiquement les dispositifs pris en charge par l'assurance maladie. La fraude a été détectée et elle a donné lieu, conformément aux dispositions qui prévalent actuellement dans notre droit, au dépôt d'une plainte pénale par chacune des soixante caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) concernées. Par l'article 4 de ce projet de loi, nous proposons qu'il n'y ait plus qu'un seul dépôt de plainte et un seul interlocuteur par parquet. Voilà qui garantira l'accélération du traitement des affaires et permettra d'obtenir davantage de condamnations pour escroquerie.
Je pourrais aussi évoquer l'affaire, jugée cet été, de cette conductrice de taxi du Var qui avait détourné 2,3 millions d'euros de l'assurance maladie en surfacturant des trajets qui n'avaient jamais été réalisés. En prévoyant la généralisation de la facturation par géolocalisation des transports sanitaires, l'article 7 de ce projet de loi garantira une juste facturation pour tous les transporteurs.
La détection sera également améliorée dans la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). L'article 12 donne ainsi davantage de moyens aux caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat), qu'il s'agisse du renforcement des pénalités financières en matière, par exemple, de sous-déclaration des accidents du travail, ou de l'accroissement des pouvoirs de contrôle des agents.
Un autre volet du projet de loi permet de mieux sanctionner les fraudes relatives aux allocations chômage, les revenus illicites et le travail dissimulé.
Là encore, je citerai des exemples très concrets de fraudes auxquelles nous voulons répondre.
Ainsi, lors d'une perquisition, on a découvert des produits illicites d'une valeur de 100 000 euros chez un trafiquant de drogue. Celui-ci s'est vu infliger une pénalité fiscale forte, mais, côté sphère sociale, on ne lui a demandé que 9 200 euros. Si l'article 14 du présent texte est adopté, le trafiquant devra s'acquitter demain, pour le même délit, d'un montant de contribution sociale généralisée (CSG) cinq fois plus élevé.
En ce qui concerne l'assurance chômage, nous sommes régulièrement interpellés à propos de situations où un fraudeur bénéficie d'allocations sans résider en France de manière effective, faute de contrôles suffisants. Grâce à l'article 13, les indemnisations chômage ne pourront être versées que sur un compte bancaire domicilié en France ou dans l'espace unique de paiement en euros de l'Union européenne.
Enfin, dernier exemple, il arrive que le titulaire d'un compte personnel de formation (CPF), agissant en collusion avec des fraudeurs, s'inscrive à une formation sans s'y rendre. Pour éviter cette dérive, l'article 13 prévoit que le titulaire d'un compte CPF devra rembourser les frais de formation s'il ne se présente pas à l'examen de certification.
Concernant spécifiquement l'assurance maladie, le projet de loi prévoit de lever l'interdiction de cumul pour les mêmes faits d'une pénalité financière et d'une sanction conventionnelle, que les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) sont aujourd'hui tenues de respecter.
Ainsi, actuellement, une pharmacie qui facture massivement des médicaments onéreux non délivrés peut être déconventionnée. Cette mesure n'est toutefois pas toujours dissuasive, car la pharmacie peut continuer de fonctionner. Le projet de loi permettra de cumuler le déconventionnement avec des pénalités financières particulièrement dissuasives.
Enfin, ce projet de loi vise à améliorer l'efficacité du recouvrement. L'article 21, en particulier, permet notamment le recouvrement des cotisations éludées en cas de travail dissimulé. À cette fin, il crée une procédure de « flagrance sociale ». Très concrètement, on s'assurera que les entreprises ne disparaissent pas pendant la période du contrôle en gelant leurs actifs. Voilà qui garantira le paiement effectif des cotisations non versées par l'entreprise coupable de travail dissimulé.
Ce projet de loi permet également à France Travail de mieux recouvrer les allocations chômage indûment versées, grâce à deux dispositions concrètes : la personne qui fraude ne pourra plus invoquer le respect de la quotité non cessible et non saisissable des prestations qui lui sont versées ; en outre, elle pourra voir son compte bancaire directement débité des sommes indûment perçues.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des mesures que j'ai citées, je veux réaffirmer une conviction : la sécurité sociale n'est pas un simple ensemble d'administrations, de guichets et de prestations ; elle constitue notre héritage, un socle de valeurs fondamentales qu'il nous appartient de faire prospérer.
Pour cela, l'argent des cotisations sociales doit être utilisé de manière juste, équitable et transparente. La tricherie et l'abus sont intolérables. Les mesures que nous proposons sont une condition du rétablissement de la confiance dans la solidarité ; à défaut, on laissera se développer le chacun-pour-soi.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de revenir aujourd'hui devant la Haute Assemblée pour discuter d'un sujet qui, je le sais, vous est cher : celui de la lutte contre la fraude et contre l'argent sale.
La semaine dernière, j'étais déjà au banc du Gouvernement pour l'examen de l'importante proposition de loi de Nathalie Goulet et Raphaël Daubet, que vous avez adoptée, pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment.
Il nous revient aujourd'hui, comme nous en étions convenu, de compléter notre arsenal de lutte contre la fraude, ou plutôt, devrais-je dire, contre toutes les fraudes.
C'est en effet la particularité de ce projet de loi que d'aborder dans le même mouvement la lutte contre la fraude fiscale et la lutte contre la fraude sociale. Cette dernière regroupe, comme ma collègue Stéphanie Rist l'a indiqué, la lutte contre la fraude aux cotisations et la lutte contre la fraude aux prestations, dont une partie est d'ailleurs réalisée par des professionnels.
Tel est l'enjeu essentiel de ce texte : s'attaquer au « business » de la fraude, à ceux qui ont fait de la fraude une profession en exploitant nos retards technologiques et nos lacunes réglementaires, en s'appuyant sur des failles juridiques qu'il s'agit précisément de combler.
Nous ne partons pas de rien, puisque le nombre de fraudes détectées a considérablement augmenté ces dernières années. En quatre ans, le montant des fraudes que nous parvenons à détecter a doublé : il atteint 20 milliards d'euros en 2024, soit l'équivalent de la construction de mille collèges, ou encore le double du budget de la justice. C'est considérable !
Ce progrès ne vient pas de nulle part. Il est dû d'abord à l'effort de nos agents des douanes, de la direction générale des finances publiques (DGFiP), des caisses de la sécurité sociale, que je tiens à mon tour à saluer, etc.
Il est dû aussi à la mise en œuvre du plan lancé par le Gouvernement, sous l'impulsion de Gabriel Attal, puis de Thomas Cazenave, pour donner à nos services plus de moyens humains et technologiques et pour renforcer la coopération entre les administrations : plus de moyens humains, disais-je, puisque 800 nouveaux emplois ont été créés dans les services de contrôle fiscal ; plus de moyens technologiques également, puisque l'intelligence artificielle et l'exploitation des données via leur croisement automatisé, ce que l'on appelle, en mauvais français, le data mining, permettent de mieux orienter et de mieux cibler les contrôles, donc de mieux détecter les montages frauduleux.
Toutefois, les fraudeurs eux aussi innovent. Sans cesse ils exploitent nos faiblesses et cherchent à avoir un temps d'avance.
Le texte que nous vous soumettons aujourd'hui est donc une loi de riposte, qui repose sur trois convictions.
Première conviction : face à la fraude numérique, il nous faut une riposte numérique. La technologie doit changer de camp. Il convient que la puissance numérique soit du côté de la République, et non du côté des délinquants. Face à une délinquance 3.0, à une fraude 3.0, nous devons donner à nos agents des moyens 3.0.
Grâce au travail réalisé en commission – je tiens à cet égard à remercier particulièrement le rapporteur pour avis Bernard Delcros –, le texte proposé permet de dématérialiser les preuves dans le cadre des enquêtes pour fraude bancaire : fini le temps où des agents transportaient des valises pleines de documents papier lors des échanges entre les établissements bancaires et les services de contrôle fiscal, avec à la clé une perte de temps et d'énergie considérable.
Le contrôle des terminaux de paiement sera également amélioré. Un certain nombre d'entre eux sont trafiqués pour que l'argent soit envoyé directement sur un compte à l'étranger.
Nous souhaitons également multiplier les croisements et les échanges de données entre les administrations – ce point a été évoqué à l'instant par ma collègue Stéphanie Rist, je n'y reviens donc pas.
Deuxième conviction : moins il y a de formulaires, moins il y a de fraude. Si cette dernière se niche dans nos lacunes technologiques, elle prospère aussi dans les zones grises, les lenteurs, l'opacité administratives.
C'est la raison pour laquelle les services doivent collaborer davantage. Les dispositions qui vous sont présentées le permettent. Les échanges entre les douanes et le fisc ou entre les complémentaires santé et l'assurance maladie, par exemple, seront renforcés. Le contrôle sur les formations financées par le CPF sera également accru : il faut vérifier que l'argent versé sert bien à préparer un examen et non à alimenter des officines frauduleuses.
Troisième conviction, enfin : il faut continuer à frapper, encore plus vite, encore plus fort, contre tous les professionnels de la fraude. J'insiste sur le mot « tous ». Outre les fraudeurs stricto sensu, il y a aussi, en effet, tous ceux qui permettent, facilitent et encouragent la fraude.
En amont, nous devons viser tous ceux qui élaborent des schémas frauduleux depuis des officines douteuses ou qui mettent en ligne des kits permettant de frauder sur YouTube, TikTok et autres réseaux sociaux.
En aval, il convient évidemment de lutter contre le blanchiment. Nous en avons longuement parlé la semaine dernière, et nous continuerons de le faire en examinant ce projet de loi. Nous proposons notamment de renforcer un certain nombre d'obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Ceux qui montent des schémas frauduleux, ceux qui organisent la triche, devront être poursuivis avec les outils les plus puissants, y compris ceux, d'ailleurs, qui sont utilisés actuellement dans la lutte antimafia et contre le crime organisé. Les peines de prison comme les amendes encourues devront être encore renforcées.
Avant de conclure, je voudrais insister sur un point important : il ne saurait y avoir de législation sans un diagnostic préalable. Or, en matière de lutte contre la fraude, nous sommes encore loin de disposer d'un panorama complet de l'état des lieux, même si des progrès ont été réalisés.
Les chiffres que j'ai cités sont ceux de la fraude détectée : ce ne sont pas des estimations de la fraude réelle. (Mme Nathalie Goulet approuve.) Le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) a réalisé, dans un rapport important, une estimation de la fraude sociale. En ce qui concerne la fraude fiscale, des travaux récents du Conseil d'analyse économique (CAE) fournissent des ordres de grandeur (Mme Nathalie Goulet mime la brasse coulée.), mais il est clair que nous avons besoin d'établir, de manière beaucoup plus ferme, des bases de données solides et fiables.
Le Conseil d'évaluation des fraudes (CEF), dont la création était une des mesures du plan de Gabriel Attal, sera de nouveau réuni dans les prochaines semaines : autour de la table prendront place les services concernés et les experts indépendants.
Mme Nathalie Goulet. Et moi !
M. David Amiel, ministre délégué. Je souhaite y associer également les représentants syndicaux. Il s'agit de fiabiliser nos estimations et d'affiner nos stratégies de contrôle.
Ce projet de loi est donc celui d'une République lucide et déterminée : lucide, parce qu'elle regarde en face la réalité d'une fraude organisée, internationale et numérique ; déterminée, parce qu'elle se dote des moyens de réagir, de se moderniser et de protéger ceux qui respectent les règles.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP – Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)
Mme Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi s'annonce déterminant. En liant son examen à celui des textes budgétaires, le Gouvernement a choisi d'en faire l'un des garants de l'acceptabilité des mesures d'effort demandées aux Français.
Il est vrai que les pertes causées aux finances publiques par ceux qui ne respectent pas les règles du jeu sont triplement inacceptables.
Commençons par rappeler que, dans le champ de la protection sociale, le manque à gagner est estimé à 13 milliards d'euros par an, au bas mot.
Ensuite, le montant total de la fraude que les organismes de sécurité sociale ont été en mesure de détecter, en 2024, n'a été que de 2,9 milliards d'euros.
Enfin, sur les près de 7 milliards d'euros de cotisations sociales éludées à cause du travail dissimulé, seuls 121 millions d'euros ont pu être recouvrés.
Dans ce triste contexte, la commission des affaires sociales a soutenu les articles initiaux du texte, tout en élargissant leur périmètre et en approfondissant les mesures proposées lorsque cela était nécessaire.
Toutefois, il nous a semblé que la portée des dispositions prévues n'était pas à la hauteur des enjeux annoncés. Se satisfaire de mesures techniques, parfois même marginales, signifierait poursuivre la lutte contre la fraude à armes inégales.
Ainsi, en ce qui concerne des dispositions qui relèvent de sa compétence, la commission a fortement enrichi le texte, notamment en adoptant douze articles additionnels.
Parmi les fraudeurs, nous n'avons épargné personne : ni les entreprises qui pratiquent le travail dissimulé, ni les bénéficiaires de prestations sociales indues, ni les professionnels de santé coupables d'agissements frauduleux, ni, encore moins, les sociétés éphémères et autres forbans des temps modernes.
Nous avons tenté de donner aux acteurs de la lutte contre la fraude sociale les outils dont ils ont besoin pour remplir leur mission de détection, de recouvrement et de sanction face à des fraudeurs qui exploitent les trois faiblesses ataviques de la puissance publique : une bienveillance parfois naïve ; l'asymétrie d'informations au détriment des contrôleurs ; la lenteur des procédures mises en œuvre.
Sur le volet de la formation professionnelle, la commission a adopté l'article 13, qui oblige le titulaire d'un CPF à se présenter aux épreuves de sa formation certifiante, afin d'éviter que des inscriptions ne soient monnayées contre rétribution.
De même, nous avons adopté l'article 25, qui confère un pouvoir de contrainte à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), lui permettant de recouvrer les sommes frauduleusement mobilisées par le titulaire d'un CPF.
Nous avons également prévu le caractère immédiatement exécutoire de la contrainte délivrée contre un organisme de formation fraudeur.
La commission a adopté par ailleurs l'article 16, qui prévoit la création d'un dispositif de sanction administrative mobilisable par les services régionaux de contrôle de la formation professionnelle.
Elle a de surcroît introduit deux nouveaux articles : l'article 16 bis, qui permet de mieux sanctionner les organismes de formation professionnelle relevant de logiques d'emprise, d'entrisme ou de charlatanisme, et l'article 16 ter, qui enrichit le contrôle a priori des prestataires déclarant une activité de formation professionnelle.
L'article 13 ter réprime les professionnels qui se prévalent frauduleusement de la qualité d'opérateur de conseil en évolution professionnelle sans habilitation de France Compétences.
À l'article 13 bis, la commission a créé les canaux nécessaires d'échange des banques et des greffes des tribunaux de commerce vers la Caisse des dépôts et consignations, l'objectif étant de déclencher les contrôles le plus en amont possible et de bloquer précocement les versements de fonds aux sociétés suspectes.
En ce qui concerne le travail dissimulé, la commission a adopté l'article 21, qui facilite le recouvrement des cotisations éludées par le biais d'un dispositif de flagrance sociale. Elle a aussi soutenu l'article 22, qui renforce les obligations incombant aux maîtres d'ouvrage au regard du respect par les sous-traitants de l'interdiction du travail dissimulé. Nous avons renforcé le régime prévu, qui vise à lutter contre le travail illégal dans les chaînes de sous-traitance en cascade, qui sont de plus en plus complexes. Enfin, la commission a adopté un article 22 bis, qui simplifie et durcit le dispositif de la « liste noire », sur laquelle sont publiés les noms des entreprises condamnées pour travail dissimulé.
Nous avons également donné à France Travail les moyens de détecter et de recouvrer les prestations indûment versées, notamment en matière de fraude à la condition de résidence en France.
Mme Nathalie Goulet. Enfin !
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. La commission a adopté l'article 27, qui accroît l'efficacité du recouvrement des indus frauduleux par l'opérateur, en l'autorisant à saisir directement les indus chez des tiers débiteurs du fraudeur.
Par l'article 28, introduit par la commission, nous avons choisi de doter les services de France Travail d'un accès au fichier des compagnies aériennes, d'un droit de communication auprès des opérateurs de téléphonie ou encore d'une possibilité de traiter les données de connexion des assurés inscrits auprès de l'organisme.
Vous l'avez compris, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous propose de ne pas considérer la fraude comme inéluctable. Elle vous invite à adopter le projet de loi dans la version issue de ses travaux, complétée par de nouveaux amendements qui vous seront proposés. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Corinne Bourcier et M. Michel Masset applaudissent également.)
M. Olivier Henno, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, Frédérique Puissat, avec son dynamisme coutumier, vient de vous présenter notre état d'esprit, qui est de faire évoluer le droit pour répondre à la métamorphose qu'a connue la fraude sociale. Cette dernière est entrée dans une nouvelle ère : elle est plus complexe, plus systématique et quelquefois, malheureusement, plus lucrative.
Vous l'avez dit, madame la ministre, monsieur le ministre, il s'agit d'une fraude de réseaux, organisée, parfois la même, d'ailleurs, que celle qui est à l'œuvre pour MaPrimeRénov', les certificats d'économies d'énergie ou encore la taxe carbone.
Face à ce constat, la commission a entendu donner aux caisses de sécurité sociale, aux services de contrôle et aux départements les moyens de muscler leur jeu face aux fraudeurs. En clair, il s'agit de transférer aux administrations sociales les mêmes moyens que ceux dont dispose le fisc, c'est-à-dire la DGFiP. La lutte contre la fraude à la sécurité sociale passe par le partage d'informations entre les différents acteurs de cette politique publique.
Je vais détailler maintenant le contenu des articles.
L'article 2 donne aux agents habilités des organismes de sécurité sociale l'accès aux données patrimoniales de la DGFiP. La commission a choisi d'étendre cet accès à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), ainsi qu'aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
L'article 6 a aussi inscrit les MDPH et les services des départements chargés du versement des prestations sociales sur la liste des organismes susceptibles de bénéficier d'un partage d'informations en cas de suspicion de fraude. Dans la même logique, nous avons étendu aux organismes de la branche famille le bénéfice du dispositif prévu par l'article 10.
L'article 5 met en place une meilleure coordination des actions de lutte contre la fraude entre les organismes de l'assurance maladie obligatoire et ceux de l'assurance maladie complémentaire, en reprenant les apports des travaux réalisés à cet égard par la commission des affaires sociales lors du dernier PLFSS. Nous avons ainsi souhaité renforcer les synergies en adoptant un dispositif permettant aux organismes de prévoyance de mieux lutter contre les fraudes aux indemnités journalières.
Enfin, l'article 4 vise à faciliter les poursuites engagées contre les fraudeurs, en créant la possibilité de déposer une plainte unique au nom de tous les organismes de sécurité sociale concernés, lorsque plusieurs d'entre eux sont lésés.
Le texte de la commission comporte aussi – cela a été dit par Frédérique Puissat – un volet de mesures relatives aux comportements abusifs des employeurs, des assurés sociaux et des professionnels de santé.
À l'article 7, nous proposons de rendre obligatoire, à compter de 2027, la géolocalisation des véhicules de transport sanitaire et des entreprises de taxi ayant signé une convention avec une CPAM.
L'article 12 procède à une rénovation du régime des sanctions et des pénalités financières applicables en cas d'agissements frauduleux relatifs aux aides versées par la branche AT-MP, tout en prenant en compte la spécificité de chaque entreprise.
L'article 17 a pour objet de renforcer la lutte contre la fraude et les pratiques de surprescription des professionnels de santé ; ces deux sujets sont toutefois distincts et ne sauraient être amalgamés – nous aurons certainement l'occasion d'aborder ce point au cours du débat. Nous avons prévu la levée de l'interdiction du cumul entre la sanction conventionnelle et la pénalité financière.
L'article 17 ter, adopté par la commission, vise à permettre la suspension provisoire du droit au tiers payant pour les assurés ayant été condamnés pour fraude ou pour tentative de fraude.
Par ailleurs, l'article 24 bis, introduit en commission, étend les actions de lutte contre la fraude au revenu de solidarité active (RSA), notamment pour lutter contre les abus de droit de la part de certains bénéficiaires autoentrepreneurs.
Enfin, l'article 29, qui a été adopté par notre commission, vise à permettre aux organismes de sécurité sociale de suspendre les prestations à titre provisoire en cas de doute sérieux de fraude.
Au terme de cette énumération des mesures du projet de loi, ne nous berçons pas d'illusions : aucun dispositif, aucun traitement de données ne permettra à lui seul de venir à bout de la fraude sociale ou fiscale. Ce constat ne doit pas néanmoins entamer notre détermination à agir, car rien n'est plus insupportable que le détournement de la générosité collective au profit d'un enrichissement personnel indu.
Je voudrais à cet égard saluer le travail des agents des caisses de sécurité sociale, des organismes complémentaires ou encore des collectivités territoriales qui luttent contre la fraude au quotidien. Lors de nos auditions, nous avons pu constater leur dévouement, mais aussi leur motivation, et nous espérons que les moyens accordés par ce texte simplifieront leur tâche, qui est importante.
Nous vous invitons donc, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi. Je ne vous cache pas qu'avec Frédérique Puissat, comme cela a été dit, nous nous sentons en mission pour lutter contre toutes les fraudes, partout et tout le temps. Nous sommes conscients aussi que l'adoption de ce texte ne marquera pas la fin de l'histoire : lutter contre les fraudes est un long chemin – ce n'est pas Nathalie Goulet qui dira le contraire (Mme Nathalie Goulet apprécie.) –, parfois semé d'embûches.