Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rappelons quelques chiffres : le montant estimé de la fraude fiscale se situe entre 60 milliards et 80 milliards d’euros par an, soit plus de cinq fois le montant de la fraude sociale, à savoir environ 13 milliards d’euros par an, selon le Haut Conseil du financement de la protection sociale.
La fraude sociale et fiscale est une anomalie. Pourquoi des fraudes aussi importantes depuis tant d’années sans mesures d’envergure mises en place pour les stopper ? (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Les fraudes sociales et fiscales sont inacceptables : elles minent le consentement à l’impôt chez nos concitoyens. Comment expliquer que l’on refuse de faire les investissements nécessaires pour lutter contre ces fléaux, par exemple le recrutement d’inspecteurs des impôts, alors que ces investissements auraient une efficacité immédiate en permettant le recouvrement de sommes très importantes qui se chiffrent en milliards d’euros ?
Je suis favorable à certaines des évolutions qui sont proposées dans ce projet de loi, mais je regrette son manque d’ambition en matière de lutte contre la fraude fiscale. La défense des plus aisés semble malheureusement le tropisme de ce gouvernement, comme en témoigne le refus de taxer les très grandes fortunes alors que la situation budgétaire de notre pays est très difficile et nécessite, de la part des plus riches, un geste de solidarité.
La fraude sociale dans notre pays est entourée de nombreux préjugés, alors même que les ménages n’en sont pas les principaux responsables. Ainsi, les entreprises et travailleurs indépendants sont à l’origine de 56 % des fraudes sociales, selon le Haut Conseil du financement de la protection sociale. Le réseau des Urssaf est la première victime des fraudes sociales : près de 7 milliards d’euros de cotisations seraient éludés du fait du travail dissimulé, lequel constitue l’essentiel de la fraude sociale.
La part des assurés, et notamment des titulaires des minima sociaux, reste faible dans l’ensemble. La fraude au RSA, sur lequel l’attention de nos collègues de droite se concentre encore et toujours,…
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Bien sûr !
M. Jean-Luc Fichet. … ne représente que 1,5 milliard d’euros sur l’ensemble de la fraude évaluée, alors que le taux de non-réclamation du RSA atteint 34 %, ce qui fait économiser plus de 3 milliards d’euros à l’État, autant d’argent qui reste dans les caisses publiques.
De même, il faut certes lutter contre la fraude à l’allocation aux adultes handicapés (AAH), mais celle-ci est minime. En outre, avec un taux de non-recours de 61 %, c’est l’une des aides les moins réclamées dans notre pays.
Nous partageons les objectifs globaux de ce projet de loi en tant qu’il vise à mieux prévenir, à mieux détecter, à mieux lutter, à mieux sanctionner, à mieux recouvrer. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est ainsi favorable à tout ce qui permet de mettre en commun et d’exploiter les informations nécessaires à la lutte contre la fraude.
Je veux mettre l’accent sur les dispositions de ce projet de loi qui me paraissent bienvenues : la mise en place par les organismes de sécurité sociale d’un programme de lutte contre la fraude ; l’autorisation du traitement des données de santé par les mutuelles ; l’élargissement du droit de communication des agents des CPAM aux fins de lutter contre la fraude ; la création d’un régime de sanction administrative visant les manquements des organismes de formation professionnelle à leurs obligations ; l’autorisation de cumul d’une sanction conventionnelle avec une pénalité financière en cas de fraude des professionnels de santé ; la création d’une procédure de flagrance sociale en cas de constat d’infraction à la législation sur le travail dissimulé ; la révision des dispositions relatives aux obligations et à la solidarité financière des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre.
Il convient aussi de lutter contre la fraude sur les retraites tout en gardant à l’esprit qu’elle est limitée.
De même, je suis favorable à l’amélioration du recouvrement des fraudes aux allocations chômage, mais il ne faut pas accroître, par des procédures de recouvrement, la fragilité des personnes concernées, surtout en cas d’erreur commise de bonne foi, par manque d’informations ou par omission.
Les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain auraient vraiment souhaité voter ce texte, car la fraude sociale ou fiscale, en soi, est intolérable. Il est totalement légitime de récupérer l’argent de la fraude, grâce auquel il pourrait être possible, par exemple, de supprimer les franchises médicales sur les médicaments.
Malheureusement, le texte que nous examinons aujourd’hui a été dénaturé par les travaux de notre commission. La majorité sénatoriale de droite, fidèle à ses vieilles lunes, a fait pencher celui-ci dans le sens d’une stigmatisation des plus précaires. La droite sénatoriale a ainsi accentué encore le déséquilibre initial du projet de loi : modestie des dispositions de lutte contre la fraude fiscale ; empilement de mesures parfois très démagogiques contre la fraude sociale.
Les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain présenteront tout au long des débats en séance des amendements tendant à corriger cette mauvaise pente du texte.
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui, que l’on nous présente sous le titre ambitieux de « lutte renforcée contre les fraudes sociales et fiscales », s’inscrit dans un moment politique particulier : celui d’un gouvernement qui, après avoir fragilisé la puissance publique et multiplié les cadeaux fiscaux aux grandes entreprises, prétend désormais rétablir la justice par la suspicion.
Derrière un vernis d’équité, ce projet de loi obéit à la même logique que celle qu’ont suivie les derniers budgets : faire porter l’effort sur les plus modestes tout en épargnant les acteurs économiques les plus puissants.
Sur les trente articles du texte, plus des deux tiers concernent les allocataires de prestations sociales : renforcement des contrôles, interconnexion de fichiers, croisement des données personnelles, possibilité de suspension conservatoire des droits, sur simple soupçon.
Rien d’équivalent n’est prévu pour lutter contre la fraude fiscale à grande échelle : pas de moyens nouveaux pour la DGFiP ; pas d’extension du reporting pays par pays ; pas de transparence sur l’usage des aides publiques ; pas même une réflexion sur la taxation des profits transférés vers les États non coopératifs ; assignation à résidence pour les chômeurs, mais rien contre ceux qui délocalisent leur patrimoine et leurs actifs.
Or, chacun le sait ici, la fraude sociale représente entre 2 milliards et 3 milliards d’euros par an selon la Cour des comptes, quand la fraude et l’évasion fiscales dépassent les 100 milliards d’euros. Et pourtant, ce texte concentre 100 % de sa rigueur sur 3 % du problème.
C’est le cœur du déséquilibre : une loi qui prétend viser toutes les fraudes, mais qui s’attaque surtout aux plus faibles.
De plus, ce projet de loi procède à une extension sans précédent des capacités de surveillance numérique, alors même que la Défenseure des droits a mis en garde contre ces dérives. Elle souligne les risques de discrimination algorithmique, d’erreurs massives de ciblage et d’atteintes au droit à la vie privée. Nous le savons déjà, recourir aux algorithmes dans la gestion des allocations, comme le fait la Caisse nationale des allocations familiales, conduit à des pratiques de contrôle discriminatoires, au détriment notamment des femmes seules et des familles étrangères.
En ce sens, ce projet de loi franchit une ligne rouge : il introduit une forme de présomption de culpabilité numérique contraire à nos principes républicains.
Il s’inscrit aussi dans une vision économique profondément erronée : alors que notre pays connaît une croissance structurellement faible, que la productivité stagne et que l’investissement industriel reste en berne, le Gouvernement choisit de concentrer son énergie sur la répression des plus modestes.
Or la faiblesse de la croissance s’explique avant tout par le sous-investissement productif, la concentration des profits et le partage inégal de la valeur ajoutée. Autrement dit, c’est par la politique de l’offre, la dérégulation et la baisse des impôts pour les plus riches que sont minées nos capacités collectives. Plutôt que de cibler ceux qui soi-disant fraudent pour survivre, mieux vaudrait s’attaquer à ceux qui contournent l’impôt pour spéculer et, plutôt que d’automatiser la suspicion, mieux vaudrait planifier la justice fiscale et sociale.
Il faudrait renforcer les moyens humains et techniques de la DGFiP et des douanes face à la fraude fiscale internationale.
Il faudrait lourdement cibler la fraude là où elle coûte réellement cher à la Nation : dans les montages financiers internationaux, et non dans les erreurs administratives des allocataires.
Il faudrait aussi conditionner le versement des aides publiques au respect de critères de probité fiscale et sociale, ou encore créer un haut-commissariat à la lutte contre l’évasion fiscale chargé de coordonner les enquêtes à l’échelle européenne.
Cette liste est loin d’être exhaustive.
Ce texte n’est pas neutre. À l’image du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il traduit une vision de la société où la pauvreté devient suspecte, où la solidarité est perçue comme un coût, où l’on contrôle les citoyens au lieu de contrôler le capital.
Il y a là un projet politique qui renverse le sens de la République sociale. Il substitue à la fraternité le soupçon, à la justice fiscale l’injustice algorithmique, à la solidarité le tri social. Nous croyons au contraire qu’une véritable lutte contre la fraude doit s’attaquer à toutes les fraudes, surtout celles qui minent nos recettes publiques et détruisent la confiance dans l’impôt. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales a été examiné en conseil des ministres en même temps que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale dans l’objectif affiché de contribuer au redressement des comptes.
La lutte contre la fraude sociale, cette fraude qui, en premier lieu, prive la sécurité sociale de ses justes recettes de cotisations, est un objectif qui aurait dû s’imposer depuis bien longtemps, comme la lutte contre la fraude fiscale, et ce dans toutes ses composantes.
Ce troisième texte budgétaire est-il censé permettre un meilleur consentement aux mesures antisociales du PLF et du PLFSS, en plus d’y intégrer une recette prévisionnelle qui viendrait en déduction de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) ?
On le répète, la fraude sociale représente 13 milliards d’euros tandis que la fraude fiscale, selon les estimations, atteint 100 milliards d’euros. Or, par inversion de ces ordres de grandeur, dix-huit des vingt-sept articles du projet gouvernemental, soit les deux tiers, étaient consacrés à la fraude sociale. Manque d’inspiration ou défaut de volonté politique, la fraude fiscale, qui représente 86 % de la fraude totale en retenant la fourchette basse, n’était l’objet, initialement, que de 14 % des articles – 14 %, c’est aussi le poids de la fraude sociale, qui concentre l’essentiel des mesures du texte, dans le total de la fraude…
Je ne sous-estime aucunement la fraude sociale,…
Mme Nathalie Goulet. Ah !
Mme Raymonde Poncet Monge. … qui doit être combattue sans réserve. Mais force est de constater que, là encore, le projet gouvernemental traite bien inégalement ses trois composantes.
Le Haut Conseil du financement de la protection sociale le rappelle : « Quelle que soit la convention retenue […], l’essentiel de la fraude trouve son origine dans les pertes associées aux cotisations. » Cette fraude aux cotisations, qui représente 56 % du montant total de la fraude sociale, représente autant de pertes de recettes pour notre sécurité sociale. Le reste de la fraude se répartit entre la facturation de prestations indues par les professionnels de santé, à hauteur de 10 % du total, et la fraude aux prestations, essentiellement le RSA et la prime d’activité, à hauteur d’un tiers. Or je rappelle que, pour ce qui est des prestations indûment versées, la réforme de la solidarité à la source tarira sensiblement et tendanciellement les fraudes et les erreurs.
Notons aussi le manque d’ambition des mesures concernant la fraude aux cotisations des microentrepreneurs, laquelle fraude, qui connaît une progression nette, est évaluée désormais entre 1,3 milliard et 1,7 milliard d’euros, grevant d’autant les recettes sociales et entraînant les travailleurs dans la précarité. Mais il est vrai que ce modèle est fortement encouragé par le Gouvernement, d’autant qu’il améliore les statistiques du chômage…
L’examen du texte en commission a permis d’y insérer davantage d’articles traitant des recettes sous l’angle de la lutte contre la fraude aux cotisations. Cela nous satisfait. Nous nous félicitons de l’adoption de notre amendement visant à renforcer les sanctions contre la fraude au travail dissimulé pour les rendre réellement dissuasives.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Raymonde Poncet Monge. Pourtant, nous pensons que les amendes encourues en de pareils cas doivent être plus sévères. Le travail partiellement dissimulé ne doit plus être un pari globalement gagnant. Le montant des amendes doit être relevé et les moyens de contrôle dont disposent notamment les inspecteurs et contrôleurs du travail doivent être renforcés.
Selon le Haut Conseil du financement de la protection sociale, le niveau du recouvrement se situe très en deçà des évaluations comme du montant des fraudes détectées. Ainsi, concernant, là encore, les cotisations, 10 % seulement des sommes redressées au titre de la lutte contre le travail dissimulé sont recouvrées, alors même que leur montant est déjà faible eu égard aux sommes éludées.
Enfin, un certain nombre d’amendements que nous avions déposés afin de lutter contre la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles ont été déclarés irrecevables par la commission en application de l’article 45 de la Constitution. Pourtant, nous estimons que cette sous-déclaration constitue bien souvent une fraude qui prive de leurs droits les salariés victimes et a pour effet une sous-estimation de la sinistralité, donc du taux de cotisation d’une branche à la logique assurantielle.
Dans son avis sur le projet de loi, la Défenseure des droits nous alerte sur le risque qu’il soit porté atteinte à plusieurs droits et libertés. Rejoignant ses préoccupations, nous présenterons des amendements pour y parer, car la lutte contre la fraude ne saurait justifier des restrictions disproportionnées du droit à accéder à des moyens convenables d’existence, qui est un droit constitutionnel, ou du droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’objectif de la lutte contre la fraude devrait être d’établir le juste droit et le juste prélèvement en veillant à moduler l’effort public en fonction des ordres de grandeur de la fraude fiscale et de la fraude sociale, tout ciblage disproportionné alimentant le populisme sans améliorer l’efficacité de l’action publique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis vraiment désolée que Mme la ministre de la santé ait dû quitter l’hémicycle : la présence de nouveaux ministres au banc était très rafraîchissante, car cela m’ôtait de l’esprit le sentiment que j’allais encore radoter, puisque c’est tout de même ce que je fais depuis dix ans ! (Sourires.)
Savez-vous, monsieur le ministre, que j’ai déjà été traitée de menteuse ici même ? Je vais néanmoins rappeler quelques évidences.
Il est impossible de mener une politique de lutte contre la fraude sociale si l’on n’apure pas la base des bénéficiaires. La Cour des comptes, dans le rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale pour 2021, nous explique que « la comparaison entre le répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l’assurance maladie (Rniam) et le recensement de la population française […] fait apparaître un écart d’environ 2,5 millions d’assurés […] ». Autrement dit, cet écart – minime !… – signifie que 2,5 millions de personnes bénéficient du régime sans y avoir droit.
À la page 43 du rapport de certification pour 2023, ce diagnostic est conforté, « [e]n dépit, est-il précisé, des actions réalisées depuis lors, qui ont abouti en 2023 à la fermeture de 270 000 droits ouverts à tort, soit 768 000 fermetures au total depuis 2021 ». On a donc quelques raisons de s’inquiéter…
Le rapport de certification pour 2024 indique que la situation persiste, dressant le constat d’« un écart résiduel d’environ 2,4 millions de personnes » entre le nombre des assurés enregistrés au Rniam et celui des résidents recensés par l’Insee.
Quant au rapport conjoint rendu au mois d’avril 2023 par l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’inspection générale des finances (IGF) – celui-là est assez formidable ! –, il y est expliqué que les difficultés de mise à jour demeurent et que, « avec d’importantes approximations structurelles dans les données existantes sur les populations résidentes et assurées » – vous voyez le problème –, « l’exploration de l’écart entre les deux dénombrements semble aporétique » – que ceux qui ne connaissent pas la signification de cet adjectif consultent Google : cela signifie que cette exploration se heurte à une contradiction insurmontable.
L’ensemble de ces rapports convergent pour souligner la fragilité persistante du contrôle des droits et de l’identification des assurés sociaux. Nous parlons donc là non pas d’une fraude qui serait le fait de personnes pauvres ou immigrées, mais du décalage qui existe entre le nombre des bénéficiaires de notre système et le nombre de ceux qui y ont réellement droit en tant que résidents.
Nous sommes en droit de demander un rapport sur cette question ; je l’ai fait à plusieurs reprises, sans jamais l’obtenir. En tout cas, il va bien falloir régler ce problème.
Ce projet de loi traite de bien d’autres sujets, comme la fraude transfrontalière, à propos de laquelle les explications continuent de manquer, ou, à l’article 8, la lutte contre certaines pratiques frauduleuses dans le secteur des VTC, dont il a été question tout à l’heure.
Ce secteur, c’est le Far West ! En l’espèce, monsieur le ministre, nous avons affaire à des sociétés non pas éphémères, mais jetables, qui n’ont probablement pas reçu le guide de la mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf), chère à Stéphane Sautarel. C’est un problème.
Le temps de parole dont je dispose – quatre minutes – est trop court, monsieur le ministre, pour que je puisse vous interroger, à la suite de plusieurs de mes collègues, sur les moyens des services d’enquête ou sur le dernier rapport – très intéressant – de la commission des infractions fiscales ; pour que je puisse féliciter vos services pour le très beau document de politique transversale – l’orange budgétaire – sur la Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’impositions de toutes natures et de cotisations sociales, que j’ai dévoré ; ou encore pour vous dire que je suis candidate pour intégrer la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA), dont j’ai appris l’existence à la page 135 dudit document. (Sourires.)
Il me reste une minute pour vous parler de la dette hospitalière.
Monsieur le ministre, la dette hospitalière, c’est « Zézette épouse X » ! (Sourires.) Je veux ici vous parler d’un sujet qui m’a été soufflé par le service de lutte contre les fraudes du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, en ma qualité de rapporteur spéciale de la mission budgétaire « Action extérieure de l’État ».
Des étrangers se cassent la jambe au ski ; opérés et plâtrés, ils se présentent pour régler leurs frais médicaux et de séjour, mais se trouvent dans l’impossibilité de payer, car le système hospitalier le leur interdit ! Conséquence : alors même qu’ils n’ont nullement l’intention de frauder, ils se retrouvent fichés, ce qui les empêche par la suite de solliciter un nouveau visa. Les établissements hospitaliers français affichent à ce titre une créance impayée de 150 millions d’euros : il faut absolument trouver le moyen de régler ce problème.
Monsieur le ministre, il me reste quinze secondes pour vous dire que vos préoccupations sont aussi les nôtres. Comme je vous l’ai déjà dit, un fraudeur heureux est un fraudeur qui revient ; faisons en sorte qu’il ne revienne pas ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains et sur des travées des groupes INDEP, RDPI et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Khalifé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Khalifé Khalifé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les montants des fraudes sociales – entre 13 milliards et 20 milliards d’euros, selon les estimations – et des fraudes fiscales – entre 14 milliards et 52 milliards d’euros – soulèvent avant tout, indépendamment de toute conviction politique, un problème moral et éthique, mais également financier.
Il y a là un enjeu de justice pour les contribuables et de crédibilité pour notre système, qui repose sur la confiance et sur l’idée que chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses droits.
Je remercie nos rapporteurs ainsi que le président de la commission des affaires sociales, et tiens à vous dire, monsieur le ministre, que je me réjouis de voir le Gouvernement s’emparer de ce fléau en y consacrant un projet de loi dédié, avec le triple objectif annoncé d’adapter, de développer et de compléter les outils visant à lutter contre ce type de malversations en organisant le partage d’informations, en renforçant les contrôles et en rendant le recouvrement plus effectif.
Moderniser les moyens de détection et assurer un bon niveau de recouvrement, cela devient une urgence absolue, car, mes chers collègues, la situation est plus qu’alarmante.
Par manque de temps – loin de moi l’idée d’éluder les autres aspects de la question –, je limiterai mon propos à la fraude sociale.
Rien que pour la sécurité sociale, selon le Haut Conseil du financement de la protection sociale, environ 2 milliards d’euros de fraudes sont détectés, soit seulement 20 % du montant total des estimations, tandis que 600 millions d’euros seulement sont recouvrés.
L’Urssaf concentre l’essentiel de la fraude, avec des pertes évaluées à presque 8 milliards d’euros, principalement liées au travail dissimulé. En dépit des 34 000 actions de contrôle menées en 2024, le montant des redressements ordonnés s’élève la même année à 1,5 milliard d’euros seulement, cependant que le taux de recouvrement n’atteint même pas 1 %.
Concernant la branche famille, la fraude au RSA, à la prime d’activité et aux aides au logement est estimée à presque 4 milliards d’euros ; seuls 449 millions d’euros d’indus ont été détectés en 2024.
Quant à la branche maladie, elle a identifié un peu moins de 1 milliard d’euros de fraude, en partie imputable à certains professionnels et centres de santé.
Enfin, la branche retraite a détecté un peu moins de 200 millions d’euros de fraude, correspondant notamment au versement de pensions maintenues après décès.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la structuration actuelle de la lutte contre la fraude sociale porte ses fruits. Il n’en reste pas moins que nous sommes encore loin d’être à la hauteur de l’ampleur réelle du phénomène et, surtout, des réseaux – professionnels, pour certains – qui l’alimentent.
Ce projet de loi apporte certes des réponses utiles, mais est-ce suffisant ? Aucun des différents articles qui le composent, dans le détail desquels je n’entrerai pas, ne prévoit de croiser les données en recourant en particulier aux techniques modernes de l’intelligence artificielle, du data mining ou du data streaming. Nous regrettons en particulier que nos trois amendements relatifs à l’utilisation de l’intelligence artificielle n’aient pas été retenus, bien que nous ayons spécifiquement prévu un contrôle humain.
Pour conclure, je veux dire que ce texte marque une étape importante. Il nous appartiendra de veiller à sa pleine application, d’en mesurer les effets, tout en renforçant la lutte contre la fraude, y compris par l’usage de l’intelligence artificielle moderne, en lien avec la Cnil pour ce qui est du traitement des données. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de l’aveu même du Conseil d’État, ce projet de loi ne constitue pas une réforme d’ampleur des outils de lutte contre les fraudes sociales et fiscales.
Loin de la volonté affichée, ce texte manque manifestement d’ambition.
Décevant, il reste néanmoins utile pour mieux détecter, mieux sanctionner et mieux recouvrer, objectifs que nous ne pouvons que partager.
Toutefois, si nous pouvons souscrire au renforcement des échanges d’informations, à la criminalisation de l’escroquerie aux finances publiques en bande organisée ou encore à la responsabilisation des intermédiaires financiers, nous contestons la présentation même de ce texte, une présentation qui mêle tous les types de fraude au sein d’un même projet de loi, dans une sorte d’ensemble flou et indistinct, selon un relativisme qui cherche à biaiser le débat, voire à orienter idéologiquement cet objectif commun de lutte contre les fraudes.
Le projet qui nous est soumis est bien celui-ci : près de vingt articles pour lutter contre les 13 milliards d’euros de fraude sociale et seulement sept articles pour lutter contre la fraude fiscale, estimée au bas mot à 60 milliards d’euros.
Trois fois moins de mesures pour six fois plus de fraudes en volume ! Le déséquilibre dans les priorités gouvernementales est ici manifeste.
Pour ce qui est des articles relevant de la commission des finances, ils restent très techniques et, disons-le, timides. Dans les heures qui viennent, nous proposerons donc de muscler ce texte au moyen de plus d’une dizaine d’amendements structurants. Nous défendrons notamment le renforcement de la transparence et une prévention accrue des montages agressifs menant à l’évasion fiscale. Nous devrons envisager de demander à ces officines de l’évasion de transmettre au fisc leurs dispositifs, leurs montages et leurs schémas trente jours avant – je dis bien « avant », et non « après » – leur livraison, leur commercialisation ou leur diffusion au public en ligne.
Nous proposerons de permettre à toute association agréée d’exercer les droits reconnus à la partie civile.
Nous demanderons de mieux sanctionner les professionnels qui donnent aux fraudeurs les moyens intellectuels, techniques et matériels de commettre leurs délits.
Nous défendrons aussi un amendement visant à intégrer le blanchiment dans la liste des infractions pénales pour lesquelles les agents de la DGFiP pourraient concourir aux enquêtes menées par la justice.
Enfin, nous demanderons que soient évalués les moyens de l’État consacrés à la lutte contre la fraude fiscale, à l’évasion fiscale, à l’optimisation fiscale et au blanchiment de capitaux, car l’essentiel, dans ce domaine, est que la puissance publique dispose de moyens matériels et humains pour lutter véritablement et efficacement contre ce phénomène tentaculaire.
C’est la raison pour laquelle il m’apparaîtrait de bonne politique que nous saisissions l’occasion offerte par l’examen de ce texte pour créer un vrai choc de régulation et d’encadrement de l’industrie de l’évasion et de l’optimisation fiscales.
Face aux aléas politiques qui ne manquent pas d’affecter nos administrations et d’altérer leurs ressources, face à des vendeurs de montages fiscaux toujours plus créatifs, ingénieux et agressifs, nous devrons nous armer pour détecter et assécher en amont ces stratégies délétères d’optimisation.
En ce sens, certains proposent la création d’une autorité indépendante anti-optimisation,…