Mme Silvana Silvani. Nous proposons de conditionner à un certain nombre de critères sociaux les aides accordées au secteur agricole.
Chaque année, les vendanges connaissent leur lot de faits tragiques. Des traitements inhumains sont infligés à des travailleurs saisonniers dénutris, hébergés dans des conditions extrêmes d’insalubrité, forcés à travailler sur de larges amplitudes horaires, dans des conditions météorologiques difficiles et pour une paye dérisoire, lorsqu’elle leur est seulement versée…
Concrètement, les grands groupes du capitalisme agricole français et les multinationales du luxe, comme LVMH, exploitent la misère de travailleurs précaires, voire organisent le retour d’une forme d’esclavage. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Oh là là…
Mme Silvana Silvani. Or les mêmes grandes entreprises parviennent à s’exonérer de toute responsabilité en ayant recours à la sous-traitance. Si trois personnes ont récemment été condamnées à de la prison ferme pour s’être rendues coupables de traite d’êtres humains, la société viticole donneuse d’ordre s’en est tirée à bon compte : elle n’a eu à acquitter qu’une faible amende, de 75 000 euros. Au sommet de la chaîne de décision, les multinationales du luxe n’ont eu à répondre d’aucun crime.
Le dispositif TO-DE coûtera plus de 620 millions d’euros aux finances sociales en 2026. C’est autant d’argent public qui n’ira pas aux finances sociales et qui ne doit pas être orienté vers des entreprises maltraitantes.
Il convient donc de conditionner le bénéfice de ces aides à l’existence d’un logement digne, à la protection des salariés lors des canicules, à la remise en cause de la rémunération à la tâche ou encore à la prise en charge des frais de transport des salariés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 1314.
Mme Raymonde Poncet Monge. L’exonération de cotisations TO-DE constitue un soutien à l’activité agricole, en particulier dans les filières dépendant fortement du travail saisonnier. Toutefois, cet outil doit s’inscrire dans un cadre garantissant le respect des droits des travailleurs.
Les difficultés récurrentes, et documentées, constatées dans l’hébergement, la rémunération et l’organisation du travail des saisonniers montrent la nécessité d’assortir ces aides publiques d’exigences sociales claires et vérifiables.
La Confédération paysanne le soulignait déjà en 2023, en rappelant le fait suivant : la conditionnalité sociale des aides figurant dans le règlement de la politique agricole commune (PAC), tout soutien accordé dans ce cadre doit être soumis au respect des droits des personnes et du travail.
Cette même année, six travailleurs saisonniers perdaient la vie dans les vignes françaises en l’espace d’une semaine, du fait de leurs conditions de travail et des fortes chaleurs ; six !
Au-delà, comme le souligne le Conseil économique, social et environnemental (Cese), les productions agricoles exigent une importante main-d’œuvre saisonnière à faible revenu. En résultent de fortes tensions dans l’accès au logement et l’indisponibilité d’un parc sous-dimensionné. Les besoins de logement des saisonniers n’en sont que plus difficile à satisfaire, si bien que ces travailleurs sont parfois contraints de vivre dans des conditions peu acceptables.
En conditionnant ces exonérations à l’existence d’un hébergement conforme aux normes de salubrité et de sécurité – ce n’est pas beaucoup demander ! – et à l’assurance d’une rémunération au moins équivalente aux standards légaux et conventionnels les plus protecteurs, nous entendons rétablir un juste alignement entre l’aide publique et l’exemplarité sociale attendue.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour présenter l’amendement n° 1691.
Mme Annie Le Houerou. À mon tour, je défends ces dispositions, présentées par les trois groupes de gauche de notre assemblée.
Par ces trois amendements identiques, nous exprimons une exigence simple, mais fondamentale : les aides publiques versées au secteur agricole doivent être conditionnées au respect du droit du travail et de la dignité humaine, ni plus ni moins.
Au cours des dernières années, chacun de nous a été marqué par des faits divers insupportables. Mme Poncet Monge l’a rappelé, plusieurs travailleurs saisonniers sont morts lors d’épisodes de canicule.
J’ajoute que nombre de ces salariés sont logés dans des conditions indignes et que l’on a constaté des abus manifestes dans l’organisation du travail.
Certes, ces situations restent minoritaires, mais elles jettent un profond discrédit sur l’ensemble de la profession. Surtout, elles rappellent que ce sont toujours les travailleurs les plus précaires qui paient le prix de telles dérives.
Il est selon nous de notre responsabilité de législateurs de dire clairement que les deniers publics ne peuvent pas financer des pratiques bafouant les droits fondamentaux. C’est le sens de ces dispositions, visant à conditionner l’exonération TO-DE au respect de quelques règles élémentaires : un jour de repos hebdomadaire doit être garanti, un logement décent doit être assuré et une protection minimale doit être accordée.
Nous entendons, en somme, veiller à l’application du droit commun. Il ne s’agit pas de pénaliser les exploitations agricoles vertueuses, qui représentent l’immense majorité. Au contraire, nous proposons de les soutenir, en évitant une concurrence déloyale fondée sur le contournement des règles sociales.
Les aides publiques doivent encourager de bons comportements et non pas cautionner des abus. Notre politique agricole doit, plus largement, être cohérente avec les valeurs de la République, l’exigence de dignité au travail et l’impératif de justice sociale. Telle doit être notre ambition collective.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, nous n’admettons pas davantage que vous les situations que vous décrivez et que vous n’êtes d’ailleurs pas seuls à dénoncer. Toutefois, je m’interroge : faut-il cibler un dispositif d’exonération des cotisations patronales ? Cette politique relève-t-elle de la sécurité sociale ? (Protestations sur des travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Nous proposons une simple conditionnalité de l’aide !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Le Gouvernement est bien sûr très attentif à ces enjeux. Il vise lui aussi l’amélioration des conditions de travail des travailleurs occasionnels du secteur agricole.
L’objectif de l’exonération TO-DE est de soutenir les entreprises agricoles employeuses de main-d’œuvre occasionnelle, lesquelles sont confrontées à des crises récurrentes ainsi qu’à la concurrence internationale exercée sur les prix.
Le droit du travail contient quant à lui un vaste corpus de règles visant à protéger les travailleurs et à leur assurer des conditions de travail dignes. L’employeur qui s’y soustrait s’expose à des sanctions administratives et pénales. Le droit du travail n’est pas une option.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est vrai !
Mme Laurence Rossignol. Tout est dans le « cependant »…
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. … le dispositif TO-DE n’est selon nous pas le bon outil pour inciter les entreprises à prendre des mesures plus favorables que les dispositions du code du travail.
Mme Raymonde Poncet Monge. Alors, quel est l’outil approprié ?
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Bref, votre cause est juste, mais l’instrument proposé ne nous semble pas adapté. Pour cette raison, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Il y a quelques jours, nos collègues de la droite sénatoriale nous donnaient des leçons extrêmement vigoureuses de lutte contre les fraudes fiscale et sociale. Tout le monde ici renchérissait de sévérité, surtout, d’ailleurs, face à la fraude sociale.
Pour notre part, nous étions également mobilisés. Nous avons donc pu voter un certain nombre de dispositions ensemble.
Aujourd’hui, nous passons aux travaux pratiques : qu’est-ce que le non-respect du code du travail, sinon de la fraude ?
Chers collègues, nous vous proposons d’ajouter aux sanctions pénales une sanction de nature économique. Il y a quelques jours, vous nous expliquiez justement qu’il fallait supprimer le tiers payant…
Mme Laurence Rossignol. … pour les assurés sociaux qui avaient fraudé, au motif qu’ils méritaient une double peine.
J’en déduis qu’en cas de fraude la double peine vaut pour les salariés, non pour les employeurs. Franchement, soyez cohérents, tout le monde y gagnera. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Monsieur le ministre, un de vos arguments me laisse quand même dubitatif.
Vous nous dites en substance que le budget de la sécurité sociale n’est pas le bon véhicule pour mettre en œuvre une politique sociale. Nous examinons pourtant je ne sais combien d’amendements et de dispositifs tendant à soutenir l’activité économique, à aider tel ou tel secteur, ce qui n’est pas l’objet de la sécurité sociale.
Ce n’est pas l’objet de la sécurité sociale d’aider une filière agricole ; pas du tout ! Mais, à l’occasion, on utilise le budget de la sécurité sociale pour pallier les carences de l’État…
Mme Raymonde Poncet Monge. Très bien !
M. Bernard Jomier. Il est légitime de vouloir aider telle ou telle filière, mais les crédits dont il s’agit devraient figurer au projet de loi de finances. Or on préfère placer ces dispositions dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale – nous en avons largement l’habitude.
En l’occurrence, nous pointons la nécessité de mieux protéger les droits sociaux des salariés de la filière viticole. Cette question relève bien du budget de la sécurité sociale, mais vous laissez entendre que nous sommes à côté de la plaque… Cette distorsion de la réalité est à tout le moins intéressante.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre, j’ai un peu de mal à comprendre vos arguments : les dispositions de ces trois amendements identiques relèvent tout simplement du bon sens.
Les employeurs dont il s’agit seraient « tenus de garantir aux travailleurs occasionnels des conditions de logement digne, de participer à la prise en charge de leurs frais de transport, de mettre en place un plan de réexamen de la rémunération à la tâche ainsi que d’appliquer un plan canicule ». C’est quand même la base !
Il s’agit de faire respecter la loi et le code du travail. Nous ne parlons pas du tout d’une incitation, mais d’une aide qu’il convient de conditionner. À cette fin, il faut veiller à l’application du code du travail, notamment garantir la dignité de ces salariés, ce qui paraît somme toute logique.
Nous parlons d’argent public, de crédits relevant du budget de la sécurité sociale : les règles doivent être correctement appliquées. Après toutes les déclarations que nous avons entendues lors de l’examen du texte relatif à la fraude sociale, je ne comprendrais pas que le Sénat n’aille pas dans ce sens.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Mes chers collègues, à qui ces dispositions sont-elles destinées ? Toutes les entreprises viticoles ne sont pas concernées.
Nous parlons de celles et ceux qui font le choix d’aller chercher des hommes et des femmes, en général des hommes, pour récolter le raisin à la main. Il s’agit rarement du viticulteur du coin, qui gère une petite exploitation familiale. Ces dispositions visent surtout les grands, et même les très grands groupes ; les très grandes terres ; les très grands vins, qui appartiennent à peu près toutes et tous à des magnats de l’industrie, à des entreprises du luxe, en général étrangères.
Refuser de conditionner ces aides, c’est donc refuser de s’attaquer à celles et ceux qui ne respectent pas le code du travail. Il s’agit en réalité de grands propriétaires, non d’exploitants familiaux.
Monsieur le ministre, vous vous heurtez à un autre obstacle : le débat relatif au conditionnement des aides publiques, qui monte aujourd’hui dans notre société.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr !
M. Fabien Gay. Nos concitoyens n’accepteront pas longtemps encore que les subventions directes, les niches fiscales ou les exonérations de cotisations patronales ne soient soumises à aucune condition !
Le Gouvernement et la droite sénatoriale, travaillant main dans la main, durcissent chaque jour les conditions d’attribution des prestations sociales. Mais, quand on parle du capital, ce ne serait pas possible…
Il y va du respect du code du travail et, au-delà, de la dignité humaine. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRCE-K.) Les hommes et les femmes dont nous parlons, qui sont souvent des étrangers en situation irrégulière, se retrouvent dans des exploitations où le mot d’ordre est : « Tu bosses et tu te tais. » Vous ne proposez rien pour mettre fin à la double exploitation qu’ils subissent.
Le fait de conditionner ces exonérations serait vraiment un minimum.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Chers collègues de la droite sénatoriale, vous avez conditionné cette prestation minimale d’existence qu’est le revenu de solidarité active (RSA) à quinze heures d’activité. (Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Daniel Fargeot. Mais c’est normal !
Mme Raymonde Poncet Monge. Je le répète, la France reçoit des fonds de la PAC. Or en vertu du règlement de cette politique, tout soutien octroyé à ce titre est conditionné au respect des droits des personnes et du travail. À l’évidence, on en est loin – j’en veux pour preuve la situation de l’hébergement, que j’ai évoquée tout à l’heure.
Monsieur le ministre du travail, vous dites que cet outil n’est pas le bon. J’en déduis qu’il faut recourir aux inspecteurs du travail : combien sont-ils ? Quelle est, pour ce corps, la courbe des effectifs ? Combien de contrôles les inspecteurs en fonction peuvent-ils mener dans ces exploitations ? Comment le ministère du travail et ses inspecteurs ont-ils pu laisser mourir les six travailleurs que je citais ? On ne doit pas exercer de telles tâches par temps de canicule ; mais, sauf exception, les pauvres travailleurs occasionnels ne peuvent pas revendiquer eux-mêmes l’application du droit du travail, et vous le savez.
J’y insiste, comment est-il possible que six travailleurs aient pu mourir, au cours d’une même semaine, dans ces exploitations du fait de la canicule ? Si les entreprises ne respectent pas le règlement de la PAC, il faut commencer par leur retirer ces fonds.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends que les inspecteurs du travail laissent mourir des gens : un tel propos est peut-être un peu excessif… (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Très excessif !
M. Fabien Gay. Personne n’a dit cela !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Je suis aussi là pour défendre le corps des inspecteurs du travail, qui mènent une action remarquable et dont nous avons rétabli les effectifs. Il me semblait nécessaire d’opérer cette mise au point.
Mme la présidente. La parole est à M. Sebastien Pla, pour explication de vote.
M. Sebastien Pla. Mes chers collègues, je tiens à témoigner en tant qu’exploitant agricole.
Les auteurs de ces amendements ont raison de vouloir conditionner les aides dont nous parlons. Je le constate en Languedoc, les prestataires de travaux tendent aujourd’hui à se multiplier. Ils embauchent de pauvres gens, venant très souvent de l’autre côté de la Méditerranée ou de l’Europe de l’Est, leur piquent leur passeport et bénéficient des exonérations TO-DE sans aucune condition.
Les inspecteurs du travail font très bien leur boulot – le problème, c’est qu’ils ne sont pas assez nombreux. Mais, quand ces entreprises se font attraper, c’est sur le malheureux exploitant que retombe la responsabilité pénale de l’embauche de ces personnes. Or il n’a aucun moyen de contrôle, et pour cause, les salariés agricoles dont nous parlons travaillent à la journée.
Nous sommes face à un système mafieux : c’est une réalité partout, que l’on parle des maraîchages, du vignoble ou d’autres secteurs encore. À l’évidence, l’attribution de ces aides doit être mieux encadrée.
De telles entreprises bénéficient d’exonérations TO-DE. Pour ma part, je ne suis pas d’accord. Il faut conditionner ces aides : mes chers collègues, vous avez entièrement raison. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour explication de vote.
Mme Pascale Gruny. Les inspecteurs du travail mènent un certain nombre de contrôles. Je ne sais pas s’ils sont assez nombreux…
Mme Laurence Rossignol. Il n’y en a pas assez, tout le monde le sait !
Mme Pascale Gruny. En tout cas, peut-être devraient-ils aller dans les entreprises qui ne vont pas bien au lieu de se rendre dans celles où il n’y a pas de problème, et d’où ils repartent sans avoir eu la moindre sanction à prononcer. Cette question mériterait d’être examinée.
J’étais membre de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, dont le rapporteur était Fabien Gay et le président Olivier Rietmann. Nous avons préconisé, entre autres, le conditionnement des aides publiques. Mais, au lieu de traiter les questions une par une, mieux vaudrait procéder globalement.
Je ne voterai donc pas ces trois amendements identiques, même si un certain nombre de situations sont effectivement scandaleuses. Des logements indignes sont proposés aux saisonniers. Pis encore, on a déploré plusieurs décès parmi eux, et c’est inacceptable.
C’est aussi aux chefs d’exploitation de veiller au respect des règles. Dans le secteur du transport routier, où j’ai travaillé, le chargeur est responsable de la sous-traitance. C’est le principe en droit français. Il faut donc regarder ce qui se passe sur le terrain, en contrôlant les agences d’intérim.
Employons tous les moyens de contrôle dont nous disposons, appliquons les sanctions prévues. Quant à la conditionnalité des aides, elle doit être traitée dans sa globalité.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1173, 1314 et 1691.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 1121 rectifié bis, présenté par MM. Montaugé, Pla, Gillé et Lurel, Mme G. Jourda, MM. Redon-Sarrazy et Bourgi, Mmes Poumirol et Artigalas, M. Omar Oili, Mme Conway-Mouret, MM. Michau, Bouad, Tissot et Mérillou et Mmes Bélim et Monier, est ainsi libellé :
Après l’article 9 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le VI de l’article L. 741-16 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un paragraphe VI… ainsi rédigé :
« VI…. – Lorsqu’elles réalisent plus de 75 % de leur chiffre d’affaires au titre d’activités issus des produits de la vigne tels qu’énumérés aux articles L. 665-1 à L. 665-9 du présent code, les sociétés coopératives agricoles définies aux articles L. 521-1 à L. 521-7 bénéficient des mesures énoncées au I du présent article. »
II. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à Mme Émilienne Poumirol.
Mme Émilienne Poumirol. Par cet amendement, notre collègue Franck Montaugé propose d’étendre le dispositif d’exonération TO-DE aux caves coopératives, lesquelles sont au cœur de nos bassins viticoles : elles transforment, valorisent et commercialisent le travail des exploitations.
Si les caves décrochent, les débouchés essentiels sont perdus. Cette situation serait d’autant plus redoutable que la filière est fragile. Elles emploient bien sûr des travailleurs saisonniers et font face aux mêmes contraintes de main-d’œuvre que les autres structures, dans la conjoncture particulièrement difficile que nous venons d’évoquer. Elles sont pourtant exclues du dispositif TO-DE.
Les coopératives majoritairement viticoles doivent en bénéficier : c’est une mesure de soutien à l’emploi local et à la filière, dans des territoires où les possibilités de développement économique demeurent très limitées et où l’attractivité se contracte. Bien entendu, les conditionnalités dont nous venons de parler pendant un quart d’heure sont absolument nécessaires.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. L’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Ces dispositions créent une confusion entre les entreprises de production agricole, qui bénéficient de l’exonération TO-DE, et les coopératives agricoles, qui sont là pour mutualiser leurs ressources et doivent normalement faire appel à une main-d’œuvre beaucoup plus pérenne.
Le Gouvernement ne sous-estime évidemment pas l’importance de la filière viticole pour l’industrie et le commerce français. C’est bien pourquoi, en 2024, plus de 230 millions d’euros ont été déployés pour soutenir les entreprises vitivinicoles au titre du fonds d’urgence.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet à son tour un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Sebastien Pla, pour explication de vote.
M. Sebastien Pla. Monsieur le ministre, au titre du budget de 2025, nous avons déjà débattu de ces questions – vous n’étiez pas alors membre du Gouvernement – et l’exonération TO-DE a été accordée aux coopératives d’utilisation du matériel agricole (Cuma), ainsi qu’aux coopératives de transformation de fruits et légumes. Quelle différence y a-t-il entre une coopérative de transformation de fruits et légumes et une coopérative de transformation de raisin en vin ? C’est exactement la même chose !
Cet amendement tend, en fait, à combler un trou dans la raquette. Il s’agit de mettre fin à une distorsion de traitement entre différentes coopératives agricoles.
Nous ne parlons pas de structures de la taille de Sodiaal, de Lactalis ou de je ne sais quelle multinationale, mais de petites coopératives locales, créées par les viticulteurs à l’échelle de leur territoire. Ces derniers n’ont pas forcément les moyens de transformer et de vendre leurs produits eux-mêmes : ils optent donc pour cet outil de cohésion territoriale, qui est également un amortisseur de crise.
Dans le rapport que nous avons consacré à la question, Daniel Laurent, Henri Cabanel et moi-même pointons la problématique des caves coopératives. Nous insistons sur les difficultés financières auxquelles elles font face. Entre autres pistes d’accompagnement et d’aide, nous évoquons l’exonération TO-DE. Pourquoi ? Parce que ces caves embauchent énormément de main-d’œuvre à l’époque des vendanges, qui ne dure que deux mois.
Ces salariés sont bien souvent des demandeurs d’emploi et des étudiants, qui se familiarisent ainsi avec l’économie agricole avant d’entrer dans le circuit et de cotiser comme les autres.
Lorsque ces coopératives cessent de fonctionner, c’est l’intégralité de la chaîne qui s’effondre. Sans elles, tous les viticulteurs vous demanderont demain des exonérations de charges : ils ne pourront plus s’en sortir, puisque les caves coopératives vitivinicoles ne seront plus en mesure de les rémunérer correctement.
Cette mesure, qui ne coûtera pas grand-chose, vous permettra de sauver une filière en grande difficulté. Je le répète, ces coopératives sont assises sur une coopération volontaire et territoriale.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Mes chers collègues, j’abonde dans le sens de M. Pla. À l’origine, les caves coopératives sont des groupements de petits viticulteurs ayant entrepris de vinifier ensemble. Je suis bien placé pour le savoir, la première cave coopérative vitivinicole ayant vu le jour dans l’Hérault.
Nous sommes face à une question d’équité. M. Pla vient de citer les coopératives d’utilisation de matériel agricole, plus connues sous le nom de Cuma. En l’occurrence, nous parlons de caves dans lesquelles les viticulteurs vinifient ensemble.
Quelle différence y a-t-il entre un vigneron qui vinifie dans sa cave particulière et plusieurs vignerons qui se regroupent pour vinifier dans une cave coopérative ? C’est la même chose. Je ne vois pas pourquoi les uns bénéficieraient de l’exonération TO-DE et les autres non.
Il faut être raisonnable. Reconnaissons-le, nous sommes face à un défaut d’équité entre les Cuma et les caves coopératives.
Je ne reviendrai pas sur les difficultés de notre viticulture, que le changement climatique et la baisse de rendement des caves coopératives placent en mauvaise posture – les frais des caves coopératives tendent en effet à augmenter, car les rendements, qui en sont les diviseurs, diminuent progressivement.
Il ne faut pas aggraver encore cette injustice en refusant d’étendre l’exonération TO-DE aux caves coopératives. La demande formulée au travers de cet amendement me semble justifiée.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Permettez-moi de revenir un instant au sujet précédent. Il faut bel et bien conditionner l’exonération TO-DE à l’attribution de logements décents… (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Eh bien, il fallait voter nos amendements !
M. Daniel Chasseing. Le respect de cette règle doit être contrôlé lors de la demande d’exonération…
Mme Raymonde Poncet Monge. C’est cela !
M. Daniel Chasseing. En ce sens, je suis d’accord avec Mme Gruny.
Quant au présent amendement, qui a pour objet les coopératives vitivinicoles, nous le voterons. Comme l’a dit M. Cabanel, il n’y a pas de différence entre un vigneron qui a sa propre cave et un groupement de vignerons constitué autour d’une cave coopérative. En outre, cette exonération est déjà accordée aux Cuma. N’aggravons pas la situation des vignerons, qui font déjà face à beaucoup de problèmes.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel est inséré dans le projet de loi, après l’article 9 quater.
Article 9 quinquies (nouveau)
I. – Le A du I de l’article L. 136-4 du code de la sécurité sociale est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° Le montant des dons en nature de produits tirés des activités mentionnées au premier alinéa du présent A, effectués à destination de personnes morales habilitées au titre de l’article L. 266-2 du code de l’action sociale et des familles. »
II. – La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale résultant du I est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


