M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Je vous remercie pour cet amendement : il participe au débat que nous souhaitons avoir dans les semaines et les mois à venir.

C'est donc une demande de retrait que je vous adresse, madame la sénatrice.

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour explication de vote.

M. Martin Lévrier. Je souhaite apporter une petite précision sur ce sujet, qui avait été étudié en long, en large et en travers – c'était il n'y a pas si longtemps… – lors du travail sur l'institution d'un système universel de retraite.

Pour information, à l'attention de M. Capus, je précise donc que les calculs faisaient plutôt état, en définitive, d'une forme d'égalité de traitement entre les deux systèmes, la prise en compte des primes compensant la règle des vingt-cinq meilleures années. (Mme la ministre le confirme.) Grosso modo, pour une grande majorité d'entre eux, l'application aux fonctionnaires des règles de liquidation du privé donnait lieu à des pensions équivalentes à celles qu'ils perçoivent dans le régime actuel.

Toutefois, un problème demeurait : certaines catégories de fonctionnaires se trouvaient terriblement lésées, en particulier les enseignants et certaines professions hospitalières. Il faut donc être très prudent sur ce sujet, qui n'est pas aussi simple qu'il ne le paraît, et prendre tout le temps nécessaire pour bien l'étudier.

En tout état de cause, il ne faut pas laisser croire qu'il existerait en la matière une distorsion de traitement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 215 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1253 rectifié, présenté par MM. Chasseing et Rochette, Mme Lermytte, M. Grand, Mme Bourcier, M. V. Louault, Mme L. Darcos, MM. Médevielle, Chevalier, Capus, A. Marc et Brault, Mme Paoli-Gagin, MM. Wattebled, Malhuret, Menonville et Khalifé, Mme Dumont, MM. H. Leroy, Bacci, Fargeot et Lévrier, Mme P. Martin, M. Bleunven et Mme Romagny, est ainsi libellé :

Après l'article 11 septies

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – L'article L. 3121-27 du code du travail est ainsi modifié :

1° Le mot : « trente-cinq » est remplacé par le mot : « trente-sept » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation, la trente-sixième et la trente-septième heure hebdomadaires de travail ne sont pas soumises à l'impôt sur le revenu mentionné à l'article 79 du code général des impôts mais elles sont soumises à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale prévues respectivement aux articles L. 136-1 et L. 136-2 du code de la sécurité sociale. Elles sont exonérées de toute autre cotisation ou contribution sociale à la charge de l'employeur et du salarié. »

II. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du I est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Les Français travaillent en moyenne moins que leurs voisins européens : 666 heures travaillées par habitant en France, contre 730 en Allemagne. Le taux d'emploi des 16-64 ans est bien sûr plus faible dans notre pays. Quant au volume total d'heures travaillées par travailleur à temps complet, il était en 2023 de 1 673 en France, contre 1 790 en Allemagne.

Cela n'empêche pas les Allemands de travailler à temps partiel : en tenant compte du temps partiel, les travailleurs allemands travaillent chacun 1 350 heures par an, contre 1 450 heures pour les travailleurs français. Ce qui est capital, c'est le nombre d'heures de travail par habitant : c'est cela qui détermine le volume total de travail, qui est plus important en Allemagne qu'en France.

J'y insiste : le fait qu'en Allemagne un temps plein corresponde en moyenne à 1 790 heures, soit 40 heures par semaine, au lieu de 35 heures en France, n'empêche pas, bien au contraire, le travail à temps partiel, dont la prévalence est plus importante qu'en France et s'accommode parfaitement d'un volume global d'heures travaillées supérieur.

C'est pourquoi nous souhaitons ouvrir, par cet amendement, un débat sur le passage du temps de travail de 35 à 37 heures par semaine dans notre pays. Depuis 1945, nous fonctionnons selon un système social-libéral : ce sont les entreprises et leurs salariés qui créent les richesses et, sur cette base, alimentent la sécurité sociale par diverses contributions – cotisations, TVA, CSG, CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale).

Nous devons créer les conditions de la compétitivité de nos entreprises, avec les salariés et avec les dirigeants. Les exonérations doivent bien sûr continuer, mais il faut aussi une coconstruction du maintien de nos acquis sociaux entre les élus, les partenaires sociaux et le Gouvernement.

M. le président. L'amendement n° 572 rectifié septies, présenté par MM. Henno et Marseille, Mmes Sollogoub, Romagny, Guidez, Bourguignon, Loisier et Vermeillet, MM. Fargeot et Longeot, Mme Tetuanui, MM. Levi, L. Hervé, Courtial, J.M. Arnaud, Dhersin, Delahaye et Cigolotti, Mme Jacquemet, MM. Pillefer et Maurey, Mmes Housseau et Gacquerre, M. Kern, Mmes Perrot, Antoine et Billon, MM. Bleunven, Bonneau, Cadic, Cambier, Canévet, Capo-Canellas et Cazabonne, Mme de La Provôté, M. Delcros, Mmes Devésa et Doineau, M. Duffourg, Mme Florennes, M. Folliot, Mme N. Goulet, M. Haye, Mme Herzog, MM. Hingray, Lafon, Laugier, P. Martin, Menonville et Mizzon et Mmes Morin-Desailly, Patru, O. Richard, Saint-Pé et Vérien, est ainsi libellé :

Après l'article 11 septies

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Au 3° de l'article L. 3123-1, au troisième alinéa de l'article L. 3121-41 et au sixième alinéa de l'article L. 3121-44 du code du travail, les mots : « 1 607 heures » sont remplacés par les mots : « 1 619 heures » ;

II. – Au second alinéa de l'article L. 611-1 du code général de la fonction publique, les mots : « 1 607 heures » sont remplacés par les mots : « 1 619 heures ».

III. – L'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« ...°  La dernière heure de la durée de travail annuel visée au 3° de l'article L. 3123-1, au troisième alinéa de l'article L. 3121-41 et au sixième alinéa de l'article L. 3121-44 du code du travail. »

IV. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Le groupe Union Centriste en a la conviction très forte : notre pays doit créer des richesses non seulement pour financer sa solidarité – aujourd'hui, c'est ce dont il est question –, mais aussi pour assurer son rayonnement. Naturellement, il faut investir plus et investir mieux ; mais il faut aussi plus de travail.

Nous avons retenu les leçons d'autres propositions ou du débat de l'année dernière sur la journée de solidarité, puis sur la suppression de deux jours fériés. Nous avons bien constaté qu'il y avait un problème. Pour nous, le travail doit payer. C'est pourquoi nous avançons cette proposition de douze heures de travail supplémentaires par an rémunérées, soit une heure par mois ou quinze minutes par semaine. Nous laissons parallèlement aux partenaires sociaux le soin d'en organiser les modalités, car nous sommes attachés au paritarisme.

Notre démarche consiste – dans la continuité des principes rappelés par M. Chasseing – à considérer que nous ne pourrons pas nous en sortir si nous ne créons pas plus de richesses. Pour produire plus de richesses, il faut investir plus et mieux, mais surtout réaugmenter le temps de travail.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Indéniablement, ce sujet doit être mis sur la table. Le Premier ministre l'a d'ailleurs promis dans le cadre du lancement de la conférence sur les retraites et le travail ; c'est une démarche absolument nécessaire.

L'an dernier, nous avions présenté un amendement sur une journée de solidarité. À l'époque, l'on m'avait répondu qu'il s'agissait d'une journée non rémunérée. La proposition dont nous débattons aujourd'hui porte, elle, sur des heures rémunérées et cotisées, lesquelles renforceraient les recettes de la sécurité sociale.

Mais si le débat est ouvert, il convient, très sincèrement, d'admettre qu'un report s'impose. L'avis de la commission est donc défavorable, même si je partage totalement l'intention des auteurs de ces amendements.

Nous avons travaillé sur les recettes, mais cette proposition fait partie des solutions. Comme l'a montré le rapport que nous avons rédigé dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), avec Mme Poncet Monge, plusieurs leviers s'offrent à nous : on peut travailler sur les recettes, on peut travailler sur les moindres dépenses, mais on peut aussi travailler sur la quantité de travail.

Il importe de favoriser une meilleure croissance. Le PIB doit être moins médian qu'il ne l'est aujourd'hui, il doit être renforcé. Avec un meilleur PIB, vous le savez, nous n'aurions pas de déficit.

L'augmentation du temps de travail constitue donc une voie possible. Face à une démographie sur les actifs défavorable, la question se pose, mais pas dans le cadre d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale ; elle relève plutôt d'une loi sur le travail.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. Le sujet est effectivement fondamental. Combien d'heures faut-il travailler dans notre pays ? Cette interrogation a suscité de nombreux débats ces dernières années, et il est légitime de la reposer.

Est-il opportun, comme l'a rappelé la rapporteure générale, de lancer un tel débat par voie d'amendement dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ? La question peut être évoquée, mais nous n'aurons ni le temps ni les conditions nécessaires pour l'approfondir.

La toile de fond de la réflexion est la production. Chacun sait que notre pays ne produit pas assez. Nous ne devons donc surtout renoncer ni à la croissance ni à l'augmentation du PIB, car nous en avons besoin. Même les questions de répartition des richesses se résolvent plus aisément lorsqu'il y a davantage de richesses à répartir. Je souscris donc pleinement au méta-objectif de renforcer la capacité de notre pays à produire plus et à créer des richesses, ce qui permettra à la fois de financer notre système social et d'améliorer le niveau de vie de nos concitoyens. Je peux donc souscrire à cette préoccupation essentielle.

Dans ce contexte, il faudra interroger sur la façon dont se répartit le travail : le nombre de travailleurs et la quantité de travail effectuée par chacun. L'équation est simple, mais elle doit être posée.

Concernant le nombre de travailleurs, il ne faut surtout renoncer ni à l'emploi des jeunes ni à celui des seniors. Les jeunes doivent entrer plus tôt dans le travail ; les seniors doivent accepter d'y rester un peu plus longtemps. Ces deux fondamentaux resteront valables.

Reste ensuite la question de l'équilibre entre le nombre de travailleurs et la quantité de travail par personne. C'est précisément l'enjeu que vous soulevez. La piste existe, le débat est pertinent et pourra être abordé dans le cadre de la conférence sur les retraites, le travail et l'emploi. Certains souhaiteront s'en saisir. Nous progresserons dans cette réflexion.

Pour des raisons tenant davantage au processus qu'au fond, l'avis du Gouvernement sur ces amendements est défavorable.

Mme Nathalie Goulet. Quel dommage !

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Le Canard enchaîné de ce mercredi rapportait le propos du président Marseille selon lequel « Les Panzerdivisions sont prêtes à démarrer ! » (Sourires sur les travées du groupe UC.) Nous y voilà donc, avec cet amendement n° 572 rectifié septies, qui vise à porter la durée annuelle de travail de 1 607 à 1 619 heures.

Cette version « remasterisée » des deux jours fériés vendue l'année dernière au Gouvernement, issue de la fameuse « boîte à outils » sénatoriale, reviendrait donc à faire travailler les salariés quinze minutes de plus par semaine.

Mme Anne-Sophie Romagny. Oh là là !...

M. Rémy Pointereau. Quel malheur !

Mme Silvana Silvani. L'augmentation de sept heures annuelles est présentée comme un moindre effort produisant des effets extraordinaires : une hausse 0,4 % du PIB, une amélioration du solde des administrations publiques de 0,2 point de PIB, un rendement supérieur à 10 milliards d'euros par an… Bref, la solution à tous les problèmes serait l'allongement du temps de travail. À se demander pourquoi personne n'y aurait songé plus tôt.

Mme Silvana Silvani. Je ferai trois remarques. D'abord, votre mesure épargne, comme par hasard, le patronat et les revenus financiers. Ensuite, elle vise les travailleurs dont vous prétendez régulièrement défendre le pouvoir d'achat et les conditions de travail. Enfin, elle s'attaque, parmi les travailleurs, aux plus précaires, les cadres majoritairement au forfait n'étant pas impactés.

Mme Anne-Sophie Romagny. Ils font bien plus que 35 heures ! (Mme Nathalie Goulet lève le poing en signe de lutte.)

Mme Silvana Silvani. En conclusion, il s'agit simplement d'une provocation qui a le mérite d'afficher la réalité de vos ambitions : défendre les puissants et les intérêts du Medef. (Mmes Émilienne Poumirol et Cathy Apourceau-Poly applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour explication de vote.

Mme Corinne Féret. C'est le troisième jour de débat sur ce projet de loi de financement de la sécurité sociale et, chaque jour, nous avons droit à une surprise ! Aujourd'hui, une nouveauté surgit au détour de ces deux amendements.

Lors de chaque PLFSS, les années passées, en fin de débat, nous avions droit à un amendement visant à reculer l'âge de départ à la retraite. Cette année, pour la première fois, ni vu ni connu, avant midi et demi, un amendement « discret » propose tout simplement d'augmenter le temps de travail, la durée légale.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il n'y a pas d'heure !

Mme Corinne Féret. Et, comme toujours, l'effort serait demandé aux salariés.

La rapporteure générale et le ministre répondent : « ce n'est pas le moment », et donnent un avis défavorable. J'aurais préféré les entendre dire qu'il s'agissait d'une proposition inattendue. Au lieu de cela, on nous suggère qu'il faudrait y revenir plus tard, car « cela pourrait être une bonne solution ».

Vous irez donc dire aux Français qu'un samedi, à midi et demi, vous avez voté une augmentation du temps de travail ! Vous leur expliquerez, ainsi qu'aux partenaires sociaux, qu'on leur laissera du temps pour s'organiser dans le cadre du dialogue social – c'est ce qu'a suggéré M. Henno.

Réalisez-vous de ce que vous proposez aujourd'hui dans ce PLFSS ? Il ne s'agit même plus d'un « musée des horreurs » : je ne trouve plus de qualificatif. (Mme Pascale Gruny s'exclame.) Heure après heure, surgissent des propositions totalement inacceptables en l'état. Que direz-vous, lorsque vous retournerez dans vos départements, pour expliquer de telles mesures ?

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour explication de vote.

M. Martin Lévrier. À l'inverse de certains d'entre vous, je dirai qu'il s'agit d'un beau débat – même s'il n'a pas sa place dans un PLFSS.

C'est un beau débat à condition de sortir d'une approche binaire : plus d'heures ou moins d'heures. Les femmes et les hommes qui travaillent ne sont pas des machines.

M. Martin Lévrier. La productivité d'une machine est linéaire ; celle d'un être humain ne l'est pas.

Je prends un exemple simple. L'an dernier, lors de l'examen du même texte, nous examinions entre vingt et vingt-deux amendements par heure, contre treize ou quatorze cette année. Pourtant, nous sommes les mêmes !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Nous avons vieilli !

M. Martin Lévrier. Ce débat devient passionnant dès lors que nous abandonnons les postures et les positions binaires.

J'ai auditionné des entreprises de plus de 2 000 salariés passées aux 32 heures avec l'accord unanime du personnel. Elles avaient prévu des recrutements, mais elles n'ont finalement embauché personne parce que la productivité a fortement augmenté et que les salariés se trouvaient mieux au travail. Tous les paramètres doivent être pris en compte. On ne peut réduire ce débat à une simple question horaire. Nous devons changer de logiciel, observer le monde tel qu'il est et cesser de traiter les travailleurs comme des machines.

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. J'aurais rarement été aussi souvent d'accord avec mon collègue Lévrier et Mme la rapporteure générale : un tel débat ne peut avoir lieu dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Mme Monique Lubin. Si cet amendement était adopté, il dégraderait encore l'image que nos concitoyens ont de la politique.

L'un des péchés originels de la dernière réforme des retraites fut d'ignorer la question du travail. Nous avons parlé des retraites sans débattre du travail ! Or il faut regarder le travail différemment de ce qu'il était il y a cinquante ou soixante-dix ans. Certains métiers permettent éventuellement un allongement du temps de travail ; d'autres, certainement pas.

Il faudra donc ouvrir deux débats à travers peut-être deux projets de loi distincts – les partenaires sociaux doivent évidemment y travailler, mais le Parlement aussi. Le premier débat doit porter sur ce qu'est le travail aujourd'hui, sur les modalités d'organisation et d'adaptation du travail, métier par métier. Et le deuxième débat doit porter sur ce qui en découlera en termes de retraite.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Les deux amendements sont différents et ne peuvent recevoir la même analyse.

Daniel Chasseing concède que la durée du travail par emploi en France se situe dans la moyenne européenne, voire au-dessus de celle de l'Allemagne. La conclusion logique devrait-elle être d'augmenter cette durée ? C'est paradoxal…

Une autre solution existe : il faut davantage d'emplois. Avons-nous besoin de plus d'emplois ? Oui, la transition démographique et la transition numérique l'exigent.

On me répondra qu'il faut aussi tenir compte du rapport démographique – c'est d'ailleurs votre argument. Le faible taux d'emploi des seniors résulte largement – beaucoup le reconnaissent – de la sous-performance française dans les conditions de travail et le management, bien éloignés de ceux de nos voisins européens. Mais le rapport démographique se dégrade aussi en raison de votre souhait de diviser drastiquement le flux migratoire, contrairement à l'Italie ou à l'Allemagne, que vous voulez quasiment ramener à zéro. Cela dégrade le rapport démographique, problème qui vient se surajouter au choix de nos concitoyens d'avoir moins d'enfants.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny, pour explication de vote.

Mme Anne-Sophie Romagny. Il demeure manifestement difficile pour certains de croire en la valeur travail, ce que je déplore.

Pour votre information, madame Silvani, les cadres effectuent plus de 35 heures par semaine.

Monsieur Lévrier, j'entends votre argument sur l'efficience, mais la question des cotisations demeure.

Madame Poncet Monge, si la solution consistait simplement à créer des emplois d'un coup de baguette magique, cela se saurait.

Je reviendrai sur la proposition de mon collègue Olivier Henno. L'effort demandé est minimal pour un impact macroéconomique majeur : une heure supplémentaire par mois, soit quinze minutes par semaine. J'entends que cela puisse être compliqué à mettre en œuvre pour certains métiers, mais il ne s'agit que de quinze minutes par semaine ! Cet effort sera quasiment imperceptible dans la vie quotidienne de la majorité des Français.

En contrepartie, cet ajustement rapportera plus de 10 milliards d'euros de ressources nouvelles par an. Parmi les mesures examinées depuis le début de ce PLFSS, c'est l'une des plus efficaces et des moins douloureuses pour redresser les comptes sociaux.

Ainsi, nous préservons la sécurité sociale sans augmenter les impôts ni toucher aux droits. Nous améliorons le PIB et réduisons le déficit public. Ce débat mérite d'être mené. Peut-être le PLFSS n'est-il pas le texte idéal pour le faire – je vous entends, monsieur le ministre, il faut ouvrir une vraie discussion –, mais si nous repoussons toujours le sujet, nous ne progresserons jamais. L'urgence impose d'agir. Il faut un point de départ. Si nous différons sans cesse, on ne s'en sortira pas !

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.

Mme Frédérique Puissat. Je ne reprendrai pas tout ce qui a été dit. Le débat sur le temps de travail demeure un débat classique. Et, comme souvent, nous ne parviendrons probablement pas à tomber d'accord d'un bout à l'autre de l'hémicycle.

Autre habitude : les médias ne retiennent que ce débat-là,...

Mme Laurence Rossignol. C'est vous qui l'avez lancé !

Mme Frédérique Puissat. ... comme si toutes nos autres heures de travail parlementaire étaient passées par pertes et profits. J'espère qu'il en ira autrement cette année.

Ce qui est nouveau, monsieur le ministre – et j'aimerais vous entendre sur ce point –, c'est que le débat sur le paritarisme progresse chez les partenaires sociaux ; je crois modestement que nous y avons contribué par les positions que nous défendons. Il progresse non pas tant sur le temps de travail, mais sur la productivité. Il me semble que les partenaires sociaux sont prêts à travailler sur ce thème, lequel entraîne évidemment des conséquences sur le temps de travail.

Le débat n'est donc pas vain. Il clivera sans doute cet hémicycle. Pour ce qui concerne le groupe Les Républicains, nous vous suivrons afin de faire progresser ces réflexions chez les partenaires sociaux et de pouvoir y revenir de manière plus structurée, peut-être dans le cadre d'un projet de loi relatif au travail et à l'emploi.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.

M. Olivier Henno. Coluche disait : c'est toujours le bon moment pour discuter des choses importantes. Or, pour nous, le temps de travail fait partie des sujets essentiels.

Monsieur le ministre, il ne s'agit pas d'un amendement d'appel, mais d'une conviction profonde. J'entends la leçon : le Gouvernement propose, le Parlement discute et les parlementaires votent. C'est ce que nous ferons.

Je veux répondre à mes collègues. Pour nous, il s'agit d'une mesure de justice sociale. (Protestations indignées sur les travées des groupes SER et CRCE-K.) Lorsque le temps de travail diminue, le pays s'appauvrit ; et lorsque le pays s'appauvrit, ce sont les plus modestes et les plus fragiles qui trinquent !

À l'inverse, lorsque le pays travaille davantage – en 1958, par exemple –, il s'enrichit, et ce sont les plus modestes et les plus fragiles qui en bénéficient. (Protestations sur les travées du groupe SER.) Voilà pourquoi nous sommes très attachés à cette mesure.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour explication de vote.

Mme Pascale Gruny. Je crois aussi qu'il s'agit d'un débat sain – nous l'avons d'ailleurs régulièrement. Il constitue un enjeu majeur.

Je rejoins Mme Lubin, mais je ferai un petit rappel : la loi Robien permettait, avant les 35 heures, une réduction négociée du temps de travail. En effet, toutes les entreprises ne peuvent pas s'adapter à un même cadre obligatoire.

Vous avez ensuite imposé les 35 heures. Une entreprise près de chez moi, MBK, qui faisait des vélos, est passée à 32 heures dans le cadre de la loi Robien sans aucune difficulté. Mais dans le transport routier de marchandises, secteur où je travaillais, la situation fut tout autre : les chauffeurs venaient me dire leur désaccord, car l'on avait retiré des déplacements avec des conséquences directes sur leur bulletin de paie.

Ce qui paraît bon sur le papier ne l'est pas toujours dans la réalité ! Nous vivons cela tous les jours. Songez à ce que les 35 heures ont produit à l'hôpital : quel chantier ! Nous le regrettons d'ailleurs chaque jour et nous en parlons tout le temps.

Le temps de travail doit être repensé. Ce débat manqua lors de la loi de 2023, car il ne pouvait être mené dans un projet de loi de financement. Nous l'avions demandé, Mme Borne l'avait promis, mais nous ne l'avons jamais eu. Voilà pourquoi la discussion resurgit aujourd'hui. Il faudra bien l'ouvrir...

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur Henno, Coluche disait aussi : « Il paraît qu'il faut faire payer les pauvres, car ils sont plus nombreux que les riches » !

Mme Monique Lubin. Excellent !

Mme Cathy Apourceau-Poly. C'est d'ailleurs ce que nous faisons depuis hier : faire payer les pauvres plutôt que les riches.

Je ne peux pas laisser dire que ceux qui sont contre l'augmentation du temps de travail ne défendraient pas la valeur travail !

La valeur travail, c'est la dignité ; nul ne dit le contraire. Ne prétendez donc pas que ceux qui refusent l'allongement du temps de travail rejettent la valeur travail. Les travailleurs travaillent, madame Romagny ! (Mme Anne-Sophie Romagny s'exclame.)

Vous irez dire à une aide à domicile abîmée par la vie qu'elle peut travailler un petit quart d'heure de plus par-ci ou par-là. Vous irez le dire aux égoutiers ou aux femmes de ménage dans les hôtels. Vous leur expliquerez que l'effort est minimal !

Les 35 heures et les 32 heures ont généré davantage de productivité, moins d'arrêts maladie…

Mme Cathy Apourceau-Poly. … et davantage de fidélité à l'entreprise. Des rapports le démontrent. Il est toujours facile de prolonger le temps de travail quand il s'agit des bras des autres : pas de souci dans ce cas, on peut tout faire !

Pour notre part, nous sommes totalement opposés à l'idée de faire travailler davantage pour le même salaire. (Vives protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Les travailleurs ne veulent pas de ça, madame Romagny ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il ne s'agit pas du même salaire !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Fichet. J'ai une pensée pour les 15 000 travailleurs de l'agroalimentaire du Finistère, ceux qui travaillent à la chaîne. On peut aussi penser aux travailleurs hospitaliers, à ceux du bâtiment, etc.

Après vingt ans de travail à la chaîne, à accrocher des poulets, un salarié subit en général plusieurs opérations liées à des troubles musculo-squelettiques. Au bout de trente ans, il se retrouve en arrêt de longue durée et en situation de souffrance. Cette souffrance va durer jusqu'à la fin de sa vie.

Augmenter la durée de travail – même de quarante minutes – accélère le handicap de ces travailleurs, qui n'ont pas d'autre choix que d'aller travailler à la chaîne. La problématique est exactement la même pour les employés du bâtiment ou pour les aides à domicile, qui doivent soulever des charges.

Avant d'imaginer des gains liés à l'augmentation du temps de travail, il faut mesurer les conséquences sur les arrêts maladie, la sécurité sociale et l'ensemble de notre système de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)