M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Grégory Blanc. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, comment qualifier ce budget ?

En vérité, nous sommes face à un texte technique ; à un budget administratif, centré sur le seul enjeu comptable, sans compréhension de ce qui se passe dans le pays et sans vision claire.

Page après page, nous y découvrons une compilation de mesures techniques sans cohérence, sans autre ligne directrice que la courbe du déficit…

Vos choix, madame, monsieur les ministres, vont tous dans le sens d’un affaiblissement de la puissance publique : affaiblissement en matière écologique ; affaiblissement en matière économique, tout particulièrement dans les domaines du bâtiment et du logement ; affaiblissement technologique, avec le recul des ambitions du plan France 2030 ; affaiblissement de nos infrastructures publiques – je rappelle que de nombreux départements, exsangues, sont obligés de fermer des ponts, faute de pouvoir les entretenir.

Il en est de même pour la justice : les crédits augmentent légèrement, mais, sans le dire, le plan Prison de 15 000 places est abandonné, faute de moyens suffisants.

Les programmes liés à la recherche, à la modernisation des entreprises et au financement des investissements stratégiques voient une nouvelle fois leurs crédits diminuer, respectivement de 84 %, 8 % et 5 %, après avoir déjà subi une coupe budgétaire de 534,7 millions d’euros au mois de janvier dernier.

Le risque pèse particulièrement sur les start-up et l’écosystème d’innovation : France Digitale alerte d’ailleurs sur un recul des aides, des trésoreries contraintes, des recrutements gelés, et, plus généralement, un risque de décrochage pour le secteur si stratégique de la French Tech.

Pourtant, la droite sénatoriale propose d’aller plus loin encore.

Mes chers collègues, vous faites le choix de l’affaiblissement de l’État. Il s’agit là d’un contresens économique et, ce qui est plus grave encore, géopolitique. Le moment que nous vivons appelle précisément un réarmement stratégique.

Depuis l’adoption du projet de loi de finances pour 2025, voilà moins d’un an, la configuration géopolitique a été littéralement bouleversée. Cependant que la guerre se poursuit en Ukraine, les enjeux de sécurité s’accroissent et revêtent des formes hybrides ; le grand frère américain quitte la famille et nous met sous tension. Pour la première fois, la Chine baisse ses émissions de CO2 et déploie sa puissance industrielle dans le domaine des énergies renouvelables, désormais quasiment hors d’atteinte. Le monde est face à un dérèglement climatique que les mouvements de repli nationaliste et l’appât du gain à court terme empêchent de résoudre : les conclusions de la COP de Belém l’ont démontré.

En un an, nous avons basculé dans un autre monde. Sous l’impulsion de la Russie, de la Chine et maintenant des États-Unis, un puissant mouvement pousse à l’effacement du multilatéralisme. Et, dans ce contexte, notre pays semble fragmenté comme jamais.

Ne nous y trompons pas : c’est bien l’affaiblissement de l’État qui permet au crime organisé et internationalisé d’occuper l’espace. De la même manière, c’est bien l’affaiblissement de l’État qui aboutit au recul de notre système éducatif dans le classement Pisa. C’est bien l’affaiblissement de l’État-providence, au nom de la seule maîtrise comptable, qui renforce les colères et les extrêmes.

Dans un tel moment, affaiblir l’État en optant pour un budget décliniste revient à nous mettre en danger. Nous avons besoin d’un État stratège, qui investit, qui organise, qui régule.

Climat, souveraineté, cohésion sociale : voilà les trois défis qu’il nous faut relever.

Le premier défi, à savoir le défi climatique, est bien documenté : atteindre la neutralité carbone requiert plus de 70 milliards d’euros par an, 35 milliards d’euros annuels devant être d’origine publique.

À moyen terme, sans cet effort, c’est notre productivité qui est mise à mal. En effet, une température de 40 degrés Celsius fragilise notre productivité, attaque nos rendements agricoles et endommage nos routes. Pourtant, cette année encore, vous proposez de sabrer dans les crédits de la transition énergétique. La question climatique n’est pas une option : les mouvements de sol, les feux et les inondations sont là. Demain, cela coûtera plus cher à tous.

Le deuxième défi est celui de la souveraineté. Nous entendons les arguments en faveur d’une augmentation des budgets militaires. Toutefois, si la menace est hybride, comment supprimer les crédits destinés au plan France 2030 et au numérique ? Pourquoi abaisser le fonds économie circulaire, alors que, faute de terres rares et de matières premières, nous devons impérativement mettre l’accent sur le recyclage, le réemploi et la refabrication ? Nous avons besoin d’une industrie forte, d’une industrie qui se projette.

Assurer notre souveraineté, c’est aussi s’appuyer sur une diplomatie outillée. Or, à l’heure où les institutions internationales s’effondrent, votre réponse consiste à diminuer encore l’aide au développement. C’est le meilleur moyen de jeter les pays du Sud dans les bras de la Russie et de la Chine. Face à ces puissances, le pari du militaire n’existe qu’avec celui de la coopération. Faire l’un sans l’autre relève de la posture : cela revient à nous affaiblir non seulement humainement, mais aussi diplomatiquement, économiquement et géopolitiquement.

Le troisième défi est celui de la cohésion nationale. Il ne peut pas y avoir de chemin pour une société qui se désagrège. Nous devons retrouver le sens d’un récit commun en affirmant les solidarités qui nous unissent.

Dans un contexte budgétaire tendu, le sentiment d’engagement réciproque, de solidarité entre riches et pauvres doit être réel. Oui, le débat sur la justice fiscale est sur la table.

Franchement, chers collègues de la droite sénatoriale, comment osez-vous qualifier de folie fiscale la volonté de baisser les impôts pour ceux qui ont moins et d’augmenter ceux des foyers qui ont plus ? Vous semblez confondre rééquilibrage fiscal et folie fiscale, si bien que l’on en vient à s’inquiéter : seriez-vous atteints de troubles idéologiques, de névrose dogmatique ? Ne versez pas dans l’autocaricature !

M. Vincent Capo-Canellas. Et réciproquement ! (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Grégory Blanc. L’ascenseur social est cassé. Dans cette France d’héritiers, vous sabrez en premier dans tout ce qui concourt à l’émancipation et à la mobilité sociale : l’école, le sport, la culture, la valorisation du travail et de l’effort. Pour notre part, nous voulons une société en mouvement où les gens se croisent, où les cultures se mixent.

Dans un monde où nous côtoyons Poutine, Xi Jinping, Narendra Modi, Erdogan et les autres, comment certains ici peuvent-ils raisonnablement penser que l’heure est au libéralisme débridé, au moins d’impôt et à l’affaiblissement de l’État ?

Si ce budget administratif est un « canard sans tête », pour reprendre l’expression de M. le rapporteur général de la commission des finances, ne le transformez pas en budget « autruche », la tête enfouie dans le sable, refusant les réalités du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Yannick Jadot. Excellent !

M. Grégory Blanc. Nous proposons un autre chemin, pour un État stratège qui régule, qui réoriente les flux financiers.

Oui, d’autres choix s’imposent. Oui, cela implique de mettre vos amis à contribution, d’abord pour résoudre le problème du déficit. En quoi serait-il immoral que ceux qui ont été largement assistés et soutenus – à raison, d’ailleurs – au moment des crises du covid et de l’inflation renvoient aujourd’hui l’ascenseur ? Comment pensez-vous faire nation si les hauts patrimoines qui se sont enrichis continuent de faire sécession ?

Les chiffres de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) sont têtus : depuis 2020, les classes moyennes ont supporté l’essentiel du nouvel ajustement budgétaire, qui représente un effort de 120 milliards d’euros. Que proposez-vous, sinon de les taxer toujours plus, en maintenant le gel du barème de l’impôt sur le revenu ?

Les choses sont claires : faites payer ceux qui suroptimisent avant de faire payer ceux qui travaillent.

Nous proposerons différents outils de fiscalité à cet effet : taxe Zucman, taxe sur les holdings, relèvement des droits de succession, remise en cause du pacte Dutreil, etc. Il nous faut 25 milliards d’euros – que le chat soit blanc ou gris, peu importe, ce qui compte, c’est qu’il attrape la souris. (Sourires sur les travées du groupe GEST.)

Parallèlement, il faut assurer la relance économique et la réorientation des flux financiers. Face à ces enjeux aussi, l’État régulateur est attendu ; mais stupéfaction ! Que proposez-vous pour réorienter l’épargne et mieux soutenir la productivité ? Rien. Que proposez-vous pour soutenir l’investissement des entreprises ? Rien. C’est même l’inverse, une régression ! Que proposez-vous pour soutenir la consommation, les achats des classes populaires et moyennes ? Rien ! Aucune mécanique nouvelle !

Pourtant, partout, la demande est atone. Le taux d’épargne du revenu disponible brut progresse sans cesse, jusqu’à atteindre 18 %. La France devient chaque jour davantage un pays d’héritiers.

Nous, nous voulons une épargne qui soutienne notre appareil productif. Nous voulons une politique budgétaire qui soutienne le bâtiment, les investissements des entreprises dans le numérique et la décarbonation ; une politique budgétaire qui relance la consommation. À cet effet, nous défendrons de nombreux amendements.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, les enjeux ont changé. Le monde a changé…

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il change en permanence !

M. Grégory Blanc. Pourtant, vous restez figés dans vos dogmes.

Mieux d’État : oui ! Le débat est ouvert. En revanche, moins d’État : non !

M. Grégory Blanc. Le pays a besoin d’un budget qui réunit, qui fédère, qui dessine un horizon, qui met notre société en mouvement malgré les difficultés, non d’un tract caricatural et dogmatique aux couleurs du Medef et à la sauce du CAC 40,…

M. Roland Lescure, ministre. Pas sûr qu’ils soient d’accord avec vous…

M. Grégory Blanc. … mettant le marché au cœur de tout.

Dans le monde des empires et du dérèglement climatique, nous avons besoin d’un État plus fort, d’un État stratège qui nous protège de toutes les menaces. C’est ce que nous défendrons tout au long de cette discussion budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST ainsi que sur des travées des groupes SER et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.

M. Aymeric Durox. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, en 2025, nous fêtons un triste anniversaire. Depuis maintenant cinquante ans, la droite et la gauche ont été incapables de faire adopter un seul budget à l’équilibre. Pour notre pays, nous célébrons un demi-siècle de faillite économique, marqué par l’augmentation du chômage, la désindustrialisation et une dette s’alourdissant au point de réduire considérablement nos marges de manœuvre pour investir dans le futur.

Ce sont également cinquante années de faillite morale et politique. Nos dirigeants ont décidé de faire reposer sur nos enfants le poids de leur incapacité à gouverner et à bien gérer nos finances.

Ces cinquante années de dette et de déficit ont abouti à ce que la Cour des comptes nomme le « nœud coulant », à savoir une situation devenue hors de contrôle. La dette connaît un effet boule de neige et les citoyens sont de plus en plus étranglés par les impôts et taxes, notre pays détenant le triste record en la matière.

Selon les mots mêmes de la Cour des comptes, seuls des décisions courageuses et un changement de cap clair pourront redresser nos comptes publics.

Depuis plusieurs années, les Français ont compris que seul le Rassemblement national (RN) pouvait prendre ces décisions et incarner ce changement de cap.

N’en déplaise à nos détracteurs, pas un seul centime des 3 500 milliards d’euros de dette n’est imputable au Rassemblement national. Pas une seule délocalisation, pas une seule vente de nos fleurons à l’étranger, pas une seule mauvaise décision n’est imputable au Rassemblement national.

Bien sûr, les forces politiques représentées dans cet hémicycle, qui ont été au pouvoir un jour ou l’autre, ne sont non plus responsables de rien… La dette, c’est forcément la faute aux crises ou aux Gaulois réfractaires qui n’acceptent plus d’être tondus pour faire vivre un système à bout de souffle – que dis-je, un système désormais en état de mort clinique.

Pourtant, la responsabilité de ceux qui, l’an dernier, par un marché de dupes, sont parvenus à se maintenir au pouvoir pendant encore quelques mois est très claire, et les Français l’ont compris.

Le Rassemblement national est arrivé très largement en tête aux élections européennes, puis au premier tour des élections législatives. Vos manœuvres indignes ne font que retarder l’échéance que les Français attendent, comme en témoignent les sondages pour la prochaine élection présidentielle.

Oui, les Français attendent et veulent le programme du Rassemblement national… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Rietmann. Plus dure sera la chute !

M. Aymeric Durox. Nous sommes aux portes du pouvoir.

Mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2026 finira de convaincre les Français de la nécessité impérieuse d’un changement de politique pour notre pays. En effet, le budget que le Gouvernement nous propose ne fait qu’aggraver notre déclin…

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Vous ne nous épargnez pas beaucoup non plus !

M. Aymeric Durox. On nous inflige encore et toujours des hausses d’impôts, de taxes et de redevances en tout genre ! Augmentation de 28 milliards d’euros des dépenses publiques ; augmentation de la participation de la France au budget de l’Union européenne de 6 milliards d’euros, alors que l’Union européenne tente de nous imposer le Mercosur et qu’en juin 2024 les Français ont déclaré ne plus vouloir de cette Europe gangrenée par un appareil technocratique inefficace, qui ne respecte pas l’intérêt du peuple français ; augmentation de la dette de 110 milliards d’euros, soit deux points de PIB supplémentaires.

Le bilan du Mozart de la finance n’est, décidément, que de la poudre de perlimpinpin. La Macronie est désormais soutenue, d’un côté, par les socialistes, comme la corde soutient le pendu, socialistes qui font semblant de croire à l’abrogation de la réforme des retraites ; et, de l’autre, par des Républicains en train de se déchirer – leurs députés ne veulent pas retourner aux urnes, par peur de perdre leurs sièges, et leurs sénateurs oublient qu’ils soutenaient il y a peu les gouvernements Barnier et Bayrou, lesquels proposaient un budget tout aussi inacceptable.

Vous êtes tous collectivement responsables d’une dette qui n’aura servi à rien. Cette dernière atteint 3 500 milliards d’euros – 1 000 milliards d’euros pour la seule Macronie –, alors que nos services publics n’ont jamais été aussi exsangues et ruinés. Bientôt, nous le savons, le remboursement de la dette constituera le premier poste de dépense de la Nation.

Voilà votre bilan : vous nous laissez à la merci de nos créanciers, du FMI et de Bruxelles, qui, demain, si rien ne change, nous imposeront un plan d’austérité digne de celui de la Grèce ou de l’Italie.

En attendant, la France « bouge encore », comme dirait Reagan. Il faut donc continuer de la saigner à grand renfort de taxes.

Vous voulez accroître de 10 milliards d’euros les recettes de l’impôt sur le revenu : en d’autres termes, vous augmentez les impôts des classes moyennes et des classes populaires. En parallèle, vous tapez dans les tickets-restaurant et les affections longue durée (ALD) – j’en passe et des pires…

Quand il s’agit de faire les poches des Français qui travaillent et qui contribuent, vous êtes toujours au rendez-vous. Aussi, vous avez perdu la confiance de nos compatriotes, comme le montrent la baisse de la consommation, les niveaux d’épargne historiques et les records de défaillances d’entreprises.

M. Olivier Rietmann. Que proposez-vous pour les entreprises ?

M. Aymeric Durox. Si vous ne parvenez pas à redresser notre pays, c’est parce que vous refusez de tailler dans les dépenses qui entretiennent votre système.

Vous refusez de vous attaquer à l’immigration et aux clandestins.

Vous refusez de vous attaquer aux fraudeurs. Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, dont nous venons d’achever l’examen, nous avons proposé de passer à la carte Vitale biométrique. Vous avez rejeté cette mesure par lâcheté, alors que les faux assurés nous font perdre plusieurs centaines de millions d’euros chaque année.

Vous refusez de vous attaquer à l’État mammouth et aux agences inutiles.

C’est parce que vous êtes prisonniers de votre idéologie et de votre naïveté (M. Olivier Rietmann sexclame.) que vous refusez la politique du bon sens, celle qui permettra le redressement de nos finances et de la France ; celle que nous mènerons bientôt, quand nous serons au pouvoir.

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Christian Bilhac. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le sort du projet de loi de finances pour 2026 marquera une étape déterminante pour notre pays.

En rejetant massivement la première partie, consacrée aux recettes, le 21 novembre dernier, l’Assemblée nationale a enclenché une mécanique qui, si elle aboutit, risque de donner un nouveau coup de boutoir à notre cohésion sociale.

L’intérêt supérieur de la Nation aurait pu conduire nos collègues députés à dépasser les logiques des partis, parfois dogmatiques, souvent stériles, empêchant tout compromis. L’utilisation en dernier ressort d’armes constitutionnelles dont s’est, semble-t-il, privé M. le Premier ministre vise précisément à éviter que la France ne soit prise en otage par des calculs politiciens. Pourtant, nombreux sont ceux qui préfèrent capitaliser sur l’instabilité actuelle pour préparer les échéances électorales de 2027, au mépris de nos institutions.

La situation dont nous héritons aujourd’hui nous interpelle. Comment notre pays, longtemps puissance économique de premier plan, doté d’une politique industrielle et agricole forte, se trouve-t-il relégué au rang d’économie de rattrapage ?

La vision d’un État stratège, qui s’est imposée à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, était bonne. Toutefois, l’intensification de la mondialisation, conjuguée à l’abandon progressif de toute ambition industrielle, a fini par plonger la France dans une forme de « décrochage sous anesthésie » ; et, en Europe, notre pays a sans doute plongé plus bas que les autres. En vingt ans, son PIB par habitant a reculé du douzième au vingt-cinquième rang. Retrouver la place occupée aujourd’hui par l’Autriche exigerait une progression de près de 30 % – c’est dire le chemin perdu.

Notre productivité s’est contractée de 3,5 points depuis 2019 et, malgré des dépenses considérables, nos performances éducatives se dégradent. La France continue de chuter dans le classement Pisa et présente l’un des plus faibles niveaux de qualification de l’Union européenne.

Certains ont pu être séduits par les mirages d’un commerce mondial apaisé et ruisselant. Or le déclassement nous frappe et nous regardons avec envie les centaines de milliards d’euros que l’Allemagne va investir dans ses armées et ses infrastructures.

Un statu quo sur le budget nous ralentirait davantage, alors que certains signaux traduisent un sursaut. Ainsi, la France est la première destination européenne pour les investissements étrangers, depuis 2018, et ce malgré ses défauts. Je pense en particulier à sa lourdeur administrative, pointée comme le premier obstacle à l’installation en France.

Il nous appartient donc de prendre les bonnes décisions pour garantir notre développement économique, social et humain, à commencer par les arbitrages du budget pour 2026, pierre angulaire des moyens dévolus à l’action publique.

En haut de nos priorités figurent les missions régaliennes de l’État, qui sont aujourd’hui en déshérence – j’exagère à peine ! –, à l’exception de l’effort consacré à la défense.

Les crédits de l’éducation nationale jouent un rôle central pour notre jeunesse. Ceux de la justice sont en légère progression, mais c’est insuffisant au regard des retards accumulés ; et que dire de la santé ? L’offre de soins est bien trop souvent devenue défaillante avec l’aggravation des déserts médicaux ou la situation des hôpitaux, asphyxiés par la bureaucratie et dont les urgences sont saturées.

En matière de sécurité intérieure, je m’alarme du développement des polices municipales : ces dernières pallient les carences de l’État, qui devrait assurer cette mission régalienne. Sur le terrain de la lutte contre le narcotrafic et contre les nouvelles formes de criminalité, y compris numériques, la situation ne fait qu’empirer, malgré le courage des professionnels et des militants sur le terrain, qui paient le prix du sang. À ce titre, je tiens à rendre hommage à Amine Kessaci en adressant mes pensées à sa famille.

Nos concitoyens veulent bien payer des impôts et des cotisations, mais ils demandent en retour des services publics performants. C’est un peu comme au restaurant : on veut retrouver dans l’assiette le montant de l’addition ! (Sourires.)

J’en viens aux compétences non régaliennes exercées par l’État et les collectivités territoriales. À ce titre, des économies sont possibles : nous devons lutter contre le gaspillage lié à la suradministration de nos politiques publiques par les ministères, les opérateurs et agences de l’État, les hauts conseils et autres comités Théodule. Non seulement les doublons de compétences nous coûtent très cher en frais de structure, mais ils ne garantissent pas des services opérationnels.

Il n’est qu’à voir le tourisme, dont les compétences sont partagées entre les services du ministère, les opérateurs, le comité régional du tourisme, le comité départemental, l’office de tourisme du parc ou du pays, sans oublier celui de l’intercommunalité.

Il en est de même pour les routes. Voilà vingt ans, on n’avait que les routes départementales et les routes nationales : à l’évidence, cela ne suffisait pas… On a donc ajouté les routes métropolitaines et les routes régionales. Aujourd’hui, trois autorités différentes s’occupent de moins de 10 % du réseau routier, quand les départements en gèrent toujours plus de 90 %. Je pourrais dresser des constats similaires au sujet du logement…

En définitive, la suradministration coûte environ 100 milliards d’euros par an. Pourtant, personne ne s’y attaque.

Sans rationalisation de l’organisation de l’action publique et de la dépense des deniers publics, perdus dans la gabegie du millefeuille administratif et des compétences, le budget pour 2026 ne suffira à rétablir ni l’équilibre des comptes de la Nation ni l’efficacité de ses actions.

Je l’admets, il est difficile d’y parvenir sans volonté ni majorité politique. Je déplore que, cette année encore, nous ayons confié les clés du budget aux services de Bercy, qui ont manié le seul outil qu’ils maîtrisent : le rabot. Pourtant, la seule dépense qui résiste au rabot, c’est celle de la bureaucratie ! (Sourires.)

En conséquence, on a missionné des chercheurs pour comprendre les rouages de la machine bureaucratique ; pour mettre au point un outil capable de la simplifier enfin.

Ce nouvel outil que j’appelle de mes vœux doit être composé de courage et de volonté politiques.

Le pays attend des décisions audacieuses afin de rétablir la confiance de nos concitoyens envers l’exécutif et leurs représentants au Parlement avant les échéances électorales de 2027.

Avant tout, il faut renforcer la justice fiscale pour renforcer le contrat social et le consentement à l’impôt. Malheureusement, il semble que nous soyons plus proches de la fracture fiscale.

Être républicain, c’est préserver l’équilibre entre les développements économique et social. C’est défendre un projet humain véritablement juste, dans l’esprit de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de notre devise républicaine : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

L’exigence républicaine n’est pas antinomique de la reconnaissance de la réussite économique des plus fortunés. Loin de stigmatiser ces derniers, il s’agit de les associer à l’effort fiscal national pour le bien commun. Un consensus devrait pouvoir se faire jour pour empêcher le dévoiement de notre droit fiscal par les plus riches.

La taxe Zucman, que certains membres du RDSE soutiendront de nouveau, a bel et bien le mérite de s’attaquer à un angle mort de notre fiscalité. Mais ce n’est pas en taxant davantage Bernard Arnault que l’on augmentera le salaire des caissières. Une fiscalité plus juste ne reviendra pas, à elle seule, sur le sentiment de déclassement de nos forces vives : jeunes, chefs d’entreprise, classes moyennes, agriculteurs, employés de services, ouvriers ou encore soignants.

Le danger principal qui pèse sur la vitalité de notre économie, c’est son enracinement, car les rentes d’hier inhibent les innovations de demain. Soutenir notre effort d’innovation est notre seule chance de mettre un coup d’arrêt à la submersion technologique venue d’Asie et des États-Unis et d’élever la qualité de vie pour tous.

Pour y parvenir, la France doit viser un modèle de croissance qui élève durablement sa richesse par habitant, ce qui implique au moins quatre révolutions pour lesquelles le RDSE fera des propositions.

Premièrement, il faut augmenter la production en soutenant la réindustrialisation.

Deuxièmement, il faut élever le taux d’emploi des personnes faiblement qualifiées, qu’il s’agisse des jeunes ou des seniors.

Troisièmement, il faut réorienter les finances publiques vers des dépenses en faveur de la croissance, mais aussi des jeunes et de la cohésion sociale.

Quatrièmement et enfin, il faut une nouvelle décentralisation, clarifiant les financements et compétences des collectivités territoriales.

Les élus du RDSE se prononceront en fonction des débats et du sort de leurs amendements. Leur objectif est de faire émerger un compromis acceptable pour l’Assemblée nationale et, ce faisant, de doter la France d’un budget avant la fin de l’année. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Vincent Louault et Patrick Kanner applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je vais essayer d’esquisser l’approche d’ensemble du groupe Union Centriste sur ce projet de loi de finances. Bernard Delcros et Michel Canévet interviendront plus particulièrement sur les collectivités territoriales et sur les dispositifs fiscaux.

Dans cet exercice que nous devons conduire ensemble, nous ne pouvons pas faire abstraction du contexte mondial, des tensions très vives pesant sur la sécurité en Europe et des risques de conflit. Nous sommes également face à des risques financiers majeurs. Nous devons donc être responsables ; mais le sens de la responsabilité ne saurait conduire à tout accepter.

Nous sommes partis d’une hypothèse : l’instabilité coûte plus cher que le compromis. Nous le pensons toujours. Toutefois, à cette conviction s’ajoute une interrogation : ne vaut-il pas mieux ne pas avoir de budget qu’accepter un budget trop dépensier, trop axé sur la fiscalité, qui de ce fait affaiblirait la croissance et la confiance ? C’est en tout cas la question qui a surgi à la suite des différents votes de l’Assemblée nationale.

Nous abordons évidemment l’exercice budgétaire avec la volonté de réussir. Mais cette réussite dépend également de l’issue de son parcours parlementaire.

Nous sommes peut-être en train de changer de paradigme, avec un budget qui serait issu de compromis parlementaires.

La fin annoncée du 49.3 porte ainsi son lot d’espérance, mais aussi parfois de doute. Nous sommes constructifs, mais vigilants quant au contenu de la copie finale et, forcément, exigeants au regard de la situation.

À l’inverse, penser que la démarche serait vaine d’emblée, du fait de l’hypothèse de la loi spéciale ou de celle des ordonnances, serait renoncer par avance. Évidemment, il est plus facile de considérer qu’il n’y a pas de solution à cette situation politique très contrainte, dont il faudrait avant tout dénoncer les responsables – car ce sont toujours les autres…

Je tiens à remercier nos collègues députés : ils ont d’eux-mêmes considéré que le volet consacré aux recettes, tel qu’il résultait de leurs débats, n’était pas viable. Nous allons montrer que l’on peut faire mieux que cette collection de taxes et d’impôts.

Partir de la copie du Gouvernement est sans doute plus aisé – c’est en tout cas plus réaliste –, mais il faut y apporter des améliorations. S’il existe des points d’accord, un certain nombre de préoccupations persistent.

Nos convictions sont claires : un pays qui ne maîtrise pas ses finances est un pays qui ne compte pas sur la scène mondiale. C’est un pays qui ne maîtrise pas son avenir. C’est un pays qui devra réduire ses prestations de manière précipitée et abrupte ; qui connaîtra des hausses de taux d’intérêt, synonymes d’appauvrissement pour l’ensemble des Français.

Attention au nœud coulant de la dette. Les charges d’intérêt atteignaient 30 milliards d’euros en 2020 : elles s’élèveront à 74 milliards d’euros en 2026 et, nous dit-on, à 100 milliards d’euros en 2029. La dette pourrait atteindre 235 % du PIB en 2050, affirmait ce matin même l’Institut Montaigne.

Les termes de l’équation sont connus : il faut réaliser 120 à 140 milliards d’euros d’économies en quatre ans. Nous sommes donc face à la quadrature du cercle. On peut refuser de le voir, mais nous ne pourrons échapper à ce constat, sinon les marchés financiers se rappelleront à nous.

L’évolution de nos dépenses depuis 2001 est pour une bonne part due aux retraites et à la sphère sociale. Le travail de refondation du financement de ces domaines devra être engagé dès l’élection présidentielle.

On peut penser que certaines baisses d’impôts sont la cause de nos maux, mais il ne faut pas oublier la réalité de la dérive de nos comptes sociaux. Il faut aussi changer d’angle de vue : s’il n’y avait pas eu ces allégements d’impôts, quelle serait aujourd’hui la situation de l’emploi ou celle de nos recettes fiscales ?

On parle souvent du train de vie de l’État, de sa réforme ; mais réformer prend du temps et ne se décrète pas au stade d’un PLF, d’autant qu’un certain nombre d’administrations sont d’ores et déjà « à l’os », même si elles disposent parfois des réserves de productivité.

Nous voulons rester en deçà de 4,7 % de déficit et non pas de 5 %. Pour ce faire, nous ne voulons cependant ni surtaxer ni surimposer, alors que, en la matière, nous atteignons déjà des sommets.

Il faudra être équitable dans la répartition de l’effort, car c’est la condition du succès. À cet égard, un effort perçu comme inéquitable ne serait pas accepté. À ce titre, la situation des plus vulnérables et celle des classes moyennes devront être regardées précisément. Je pense à l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu (IR), mais aussi à l’abattement sur les pensions de retraite. Des efforts doivent être faits, mais ils doivent être progressifs et engagés avec discernement, car les classes moyennes, qu’il s’agisse des actifs ou des retraités, ne doivent pas être systématiquement les dindons de la farce ou, à tout le moins, se faire plumer.

De la même façon, le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile est un point important pour nous. Beaucoup de familles en bénéficient et ce dispositif joue un rôle majeur, en particulier pour le maintien à domicile des personnes âgées et dépendantes ainsi que pour la garde d’enfants. Nous ne sommes pas favorables à une réforme brutale, qui conduirait à un retour du travail au noir.

Outre le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile, nous appelons l’attention sur d’autres points clés de ce PLF : le barème de l’impôt sur le revenu, le coût de l’énergie – sur laquelle, et j’en prends acte avec plaisir, M. le Premier ministre souhaite se pencher –, la surtaxe d’impôt sur les sociétés (IS) qui, avec la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), pose la question de la répartition de l’effort entre les ménages et les entreprises.

Les efforts budgétaires, bien sûr, ne doivent pas casser la croissance ; ils doivent à tout le moins l’affecter aussi peu que possible. Le prix du temps est une notion à prendre en compte : différer les efforts, c’est les payer plus cher demain.

Si nous ne voulons pas sacrifier l’avenir, nous devons garder à l’esprit un certain nombre de réalités. En particulier, il existe un risque de ras-le-bol fiscal. Que 10 % des contribuables paient 75 % de l’IR, nous devrons nous le rappeler dans nos débats : il n’y a pas de solution miracle en matière de fiscalité, et toute hausse de celle-ci a un effet récessif ; or nous sommes déjà au plus haut. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)