M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Pas du tout !
M. Pascal Savoldelli. Tout se décidera donc au sein d’une commission mixte à mon sens plus « partisane » que « paritaire ».
La CMP réunit sept députés et sept sénateurs. Ses débats ne font pas l’objet d’un compte rendu…
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Bien sûr que si !
M. Pascal Savoldelli. Ils ne sont ni filmés ni publics. Bref, on décide de la vie de nos concitoyens en conclave. Entre parenthèses, le dernier conclave n’a pas été fameux !
Les communistes et les écologistes, qui ont des groupes parlementaires dans les deux chambres, ici et à l’Assemblée nationale, n’y sont pas représentés, hormis comme suppléants et, évidemment, sans droit de vote… Tant pis pour les électeurs qui ont voté pour eux et pour les aspirations de changement dans le pays.
Tout cela est encore légal, mais excusez-moi de penser que c’est illégitime.
Il y a peu, notre collègue Bruno Retailleau était encore ministre. Il est également président du parti Les Républicains (LR) et sénateur. Il a d’autres qualités encore…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Lesquelles ? (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Pascal Savoldelli. Mais même lui est venu à la rescousse du Gouvernement ! Je l’ai entendu regretter le 49.3 et évoquer la loi spéciale. Bref, il s’agit, là encore, de continuer sans rien changer. C’est toujours légal, mais illégitime dans le pays.
Madame, monsieur les ministres, si le Gouvernement cherchait véritablement un « compromis », comme je l’entends une fois de plus cette après-midi, il nous aurait communiqué ses amendements avant le début du débat ! Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Où est-elle, la « nouvelle méthode » ? À la place, il va distiller ses amendements de-ci de-là. Je ne trouve pas que ce soit une bonne méthode.
S’il voulait écouter, il aurait de nouveau sollicité le suffrage universel. Je sais que cette option fait débat, y compris au sein des différents groupes parlementaires. Mais où sont les référendums annoncés ? Je ne les vois pas.
Au total, le Gouvernement a une nouvelle fois été désavoué par l’Assemblée nationale, à l’issue d’un vote sans précédent : une seule voix en faveur du budget ! Et il continue à faire comme d’habitude, « comme d’hab », diraient certains jeunes…
De quelle légitimité le Gouvernement dispose-t-il pour appeler au compromis quand même ses derniers fidèles ne votent pas son budget ? Avouez qu’il y a tout de même un problème.
Il est un peu compliqué de se figurer ce que peut bien être la crédibilité – je ne fais pas d’attaques ad hominem ; je parle de politique – des deux ministres présents dans l’hémicycle cet après-midi, ce dont je les remercie au passage, quand même ceux qui sont censés les soutenir ne votent pas leur budget. Et pourtant, ils font « comme d’hab », comme si de rien n’était…
Mes chers collègues, quelle est la légitimité de ce gouvernement dans nos débats, au Sénat ? Certes, ici, nous avons l’habitude d’échanger de manière respectueuse ; ce sera encore le cas cette fois-ci, ne vous inquiétez pas. Mais lorsque les ministres nous répondront « avis favorable » ou « avis défavorable », quelle sera leur crédibilité ? Difficile à dire… Surtout, entre qui et qui le Gouvernement a-t-il l’intention d’arbitrer en bout de course ? La question se pose.
Mes chers collègues, en somme, les députés ne vont pas décider, les sénateurs et les sénatrices décideront un peu et le Gouvernement, lui, décidera beaucoup, via une loi spéciale ou un autre artifice permettant de contourner le débat. Tout cela aussi est légal – il n’y a pas de problème –, mais ce n’est toujours pas légitime à nos yeux.
Voilà qui ne peut qu’accentuer la colère, justifiée, des Français face à un gouvernement au service d’une minorité, les plus riches, et dont le seul objectif est de complaire aux créanciers, qui ont intérêt à la dette.
Nous pourrions d’ailleurs nous interroger sur la vraie nature du compromis. C’est une bonne question, non ? Y a-t-il un compromis avec le capital ? Vous a-t-il encouragés à un compromis ? Pour notre part, nous n’avons rien vu de ce côté-là…
Comme tout le monde, j’ai entendu Mme la ministre des armées indiquer mercredi que l’époque des « dividendes de la paix » était révolue. Je pose donc une question simple : qu’en est-il des « dividendes de la guerre » ?
On peut parler d’austérité ou de rigueur : à chacun son lexique. Qu’il s’agisse du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ou du projet de loi de finances (PLF), ce que vous nous proposez, c’est un budget de rationnement de la population ; et tout cela pour subventionner l’industrie d’armement.
Je le dis avec mes mots, ma sensibilité et mon histoire familiale : cette situation me bouleverse, car vous ouvrez un boulevard au populisme d’extrême droite ; et je ne combats pas l’extrême droite comme je combats mes autres adversaires politiques. Je tenais à le dire avec fermeté.
M. le président. Je vous prie de bien vouloir conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. À mon sens, il faut que, dans cet hémicycle, nous envoyions un signal.
Pour notre part, nous avons fait des alertes et nous défendrons des amendements. Ne nous dites pas que nous ne travaillerions pas : nous avons lancé des enquêtes et formulé des propositions, qu’il s’agisse des cabinets de conseil, des retraites, des pénuries de médicaments, des 211 milliards d’euros versés aux entreprises ou encore de l’Accord économique et commercial global (Ceta) ! La présente motion n’est nullement un refus de débat !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. J’ai écouté avec attention et intérêt, comme je le fais toujours, M. Savoldelli.
Cher collègue, il serait bien regrettable que, sur un malentendu, votre motion soit adoptée. Vous en seriez privé de votre temps de parole et des débats auxquels vous et les membres de votre groupe aspirez légitimement.
Heureusement qu’un certain nombre de procédures permettent d’échanger les différents points de vue dans cet hémicycle. C’est ainsi que nous faisons ici, et je souhaite que cela continue. Nous avons l’habitude de débattre dans le respect, avec le sens de l’écoute, avec vivacité parfois, mais en général sans éclat de voix. Votre intervention en était d’ailleurs l’illustration, et je salue votre contribution au débat démocratique.
Je ne souhaite donc pas que votre motion soit adoptée.
J’appelle chacune et chacun – M. le président de la commission des finances le fera mieux que moi – à faire en sorte que l’organisation de nos travaux permette des débats nourris.
Mme et M. les ministres, M. le président de la commission des finances et moi-même avons déjà abordé un certain nombre de sujets. J’insiste sur l’importance de bien poser les enjeux, en faisant preuve de hauteur de vue. Bien entendu, « hauteur de vue » ne signifie pas « approche verticale depuis Paris », avec tout ce que cela peut supposer de condescendant et de désagréable, d’ailleurs dans les deux sens.
Nous devons avoir une vision au service de l’objectif de redressement de nos comptes publics, non pas uniquement dans un souci comptable, mais parce que, derrière, il y a le soutien à un certain nombre de politiques qui ont besoin d’être réorientées.
La commission émet un avis très défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable.
Monsieur le sénateur Savoldelli, au fond, vous avez fait une déclaration de méthode, en parlant de légalité et d’illégitimité.
M. Pascal Savoldelli. C’est vrai !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Vous avez ainsi posé la question du fait majoritaire et du fait minoritaire en démocratie.
Les citoyens, dites-vous, ont parfois le sentiment que leur parole ne compte pas. Or nous sommes dans un hémicycle parlementaire, devant les élus de la Nation, représentant nos concitoyens. La question que vous soulevez relève plus de la démocratie représentative en général que du budget à proprement parler.
M. Pascal Savoldelli. Nous discutons votre budget, madame !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Certes, monsieur le sénateur. Mais laissez-moi vous répondre.
Vous affirmez que le débat est faussé. Or, quand un gouvernement renonce à l’utilisation d’un certain nombre d’outils constitutionnels auxquels l’exécutif a habituellement recours, le débat est précisément moins faussé que les précédents, à supposer qu’ils l’aient été !
Lors de chaque vote, l’obtention d’une majorité représente un enjeu. À l’Assemblée nationale, on l’a constaté pour chacun des 3 500 amendements examinés, à tel point que le texte final ne correspondait plus du tout à la version du Gouvernement.
M. Thomas Dossus. Il n’a pas été voté du tout !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Personne !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … personne. Et comme ce n’était plus le budget de personne, il n’a été adopté par personne.
M. Pascal Savoldelli. Parce qu’il est mauvais !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous devons donc dégager une majorité débouchant sur l’adoption d’un budget, le budget de la Nation, soutenu par tous ceux qui peuvent le soutenir.
Vous avez également indiqué que notre système était, à vos yeux, vicié, en raison du rôle important du chef de l’État sous la Ve République.
Je le dis très calmement : pour moi, l’enjeu des heures et des jours qui viennent est de savoir distinguer le débat, tout à fait légitime et nécessaire, de la présidentielle de 2027 de celui du projet de loi de finances pour 2026.
M. Pascal Savoldelli. C’est celui qui a dissous qui vous a nommée !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Dans cet hémicycle, nous pouvons tracer des pistes, mais les votes ne sauraient être dominés par le scrutin présidentiel qui aura lieu dans dix-huit mois ; nous avons besoin d’un budget pour dans six semaines !
Je ne peux pas vous suivre, monsieur le sénateur, lorsque vous affirmez que le Gouvernement fait « comme d’habitude ». Si je n’étais pas ministre des comptes publics auparavant, j’étais parlementaire en des temps où il y avait une majorité absolue. Il y a aujourd’hui beaucoup de différences avec cette époque ; permettez-moi d’en mentionner quelques-unes.
Nous, Gouvernement, ne pourrons pas être l’arbitre, comme vous dites, « en bout de course ». Nous n’utilisons plus les outils, en particulier le 49.3, qui le permettent. Nous n’avons plus la majorité absolue, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Nous ne serons donc pas les arbitres en bout de course. Je l’ai dit, ce n’est pas notre budget.
Vous vous demandez à quoi vont servir les ministres au banc du Gouvernement : je vous réponds avec respect et sympathie. Comme nous l’avons fait amendement par amendement à l’Assemblée nationale, nous chercherons ici à éclairer les parlementaires sur les conséquences de chaque vote. Lorsque nous émettrons un avis favorable ou défavorable, il s’agira pour nous non pas d’indiquer une préférence, mais de vous informer des conséquences des dispositions proposées. Ensuite, le vote des parlementaires est, par définition, souverain.
Le Gouvernement n’a pas tenté une quelconque « machination ». Nous avons été nommés le 12 octobre dernier. Le projet de loi de finances a été déposé en conseil des ministres le 14 octobre, soit moins de vingt-quatre heures pleines de travail après notre nomination. Nul ne peut dire qu’il y a eu une volonté de priver les parlementaires du temps de travail nécessaire sur le budget. Nous avons simplement tenu à le déposer dans des conditions telles que le délai de soixante-dix jours, avant le 31 décembre, puisse encore être respecté.
Notre budget serait un budget de « rationnement », dites-vous ? Quand le déficit est à 5,4 % du PIB, quand 31 % de notre PIB est consacré aux dépenses sociales, quand nous nous préparons à investir près de 7 milliards d’euros de plus dans notre défense, qui est une défense non pas offensive, mais de dissuasion, on ne peut pas parler de rationnement.
Qu’il doive y avoir des débats – nous en aurons beaucoup – sur la répartition de l’effort, sur la manière de piloter nos finances publiques et sur les priorités, c’est une évidence. Mais dire aux Français que nous instaurons le rationnement pour mieux nous préparer à la guerre, c’est bel et bien faire fausse route.
Nous voulons précisément préserver nos priorités sociales, économiques et industrielles, dans un contexte où il faut défendre notre pays et notre continent, non pas en cherchant la guerre, mais en agissant pour l’éviter. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Les élus de notre groupe s’abstiendront sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
Pour faire écho à l’intervention de M. le président de la commission des finances, je précise que nous avons travaillé de manière pragmatique, dans le sens de l’intérêt général. Nous avons ainsi déposé de nombreux amendements et nous souhaitons qu’ils soient examinés. Cela étant, je tiens à souligner que la naïveté dont Mme la ministre fait preuve aujourd’hui me semble quelque peu feinte…
Sauf erreur de ma part, un certain nombre de députés soutiennent tout de même ce gouvernement. Or l’on n’a pas vraiment fixé de cadre pour construire un compromis entre eux et le reste de l’Assemblée nationale ; moyennant quoi, à l’issue d’un débat budgétaire flottant, sans cap ni projet, il ne s’est trouvé qu’un seul député pour voter en faveur du projet de loi de finances !
Madame, monsieur les ministres, le fait est que nos institutions ne permettent pas de construire de compromis, en raison, notamment, d’un mode d’élection des députés vicié, incapable de refléter la diversité des opinions – d’où notre appel au scrutin proportionnel.
Aujourd’hui, votre méthode est en échec. Votre projet de budget préserverait des marges de manœuvre, notamment pour la transition écologique : c’est aussi ce qu’on nous avait affirmé l’an dernier. Or il suffit d’observer la trajectoire des émissions de CO2 depuis que votre seule boussole est la réduction du déficit pour voir que vous avez échoué.
Vous n’avez qu’une vision comptable, pas une vision politique pour le pays. Voilà pourquoi nous sommes dans l’impasse aujourd’hui.
L’an dernier, la méthode retenue a consisté à nous faire revoter sur des amendements qui avaient été adoptés par le Sénat et dont nous avons dû faire notre deuil trois jours avant que M. Barnier ne soit censuré.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il faut évidemment débattre du budget, ce que l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable nous empêcherait de faire.
M. Raynal évoquait un climat d’inquiétude. Je pense que nos concitoyens seraient encore plus inquiets si une institution comme le Sénat n’était pas capable de mener un débat budgétaire ordonné sur le projet de loi de finances pour 2026.
Monsieur Savoldelli, il n’y a pas que dans le Val-de-Marne que les citoyens s’expriment. Nous avons tous à cœur d’aller à la rencontre de nos concitoyens dans nos départements respectifs ; de dialoguer avec eux sur les marchés de Noël ou à l’occasion de cérémonies. Nous entendons aussi les maires, reçus voilà quelques jours à peine au Sénat, à l’occasion du Congrès des maires de France.
Nous tenons à relayer les préoccupations qui s’expriment sur le terrain, notamment par nos amendements. Les quelque 2 500 amendements déposés sur la première partie du projet de loi de finances sont la meilleure preuve de notre volonté de débattre et d’enrichir le texte ; car le débat a une vertu, monsieur Savoldelli : il permet de confronter des visions, des projets.
Vous vous drapez dans des valeurs. Elles sont respectables. Mais je me souviens aussi de la dernière participation de membres du parti communiste français (PCF) à un gouvernement, celui de Lionel Jospin. Sauf erreur, ce gouvernement a procédé à des privatisations massives, pour 210 milliards de francs à l’époque. (Mme Frédérique Espagnac s’exclame.)
M. Pascal Savoldelli. Et vous, vous étiez où politiquement, à ce moment-là ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est un gouvernement qui a fait des dizaines de milliards de cadeaux fiscaux en contrepartie des 35 heures. Il serait intéressant de discuter de tout cela lors de l’examen des articles.
En conséquence, les élus du groupe RDPI voteront contre la motion tendant à opposer la question préalable.
M. Pascal Savoldelli. C’est petit bras !
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.
M. Thierry Cozic. Les membres du groupe socialiste s’abstiendront sur cette motion.
J’entends évidemment les remarques formulées par nos collègues du groupe CRCE-K. Simplement, je pense qu’il est souhaitable d’avoir des échanges approfondis sur le projet de loi de finances pour 2026.
Le présent texte est un budget de souffrance pour nombre de nos concitoyens. La justice fiscale y est pour ainsi dire inexistante. La transition écologique est sacrifiée. L’effort demandé aux collectivités territoriales est considérable.
Mes chers collègues, nous avons tous intérêt à faire évoluer ce projet de loi. Tout au long de la discussion, les élus du groupe socialiste défendront leurs amendements. Nous voulons prendre le temps de débattre avec l’ensemble d’entre vous.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° I-66, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 62 :
| Nombre de votants | 343 |
| Nombre de suffrages exprimés | 262 |
| Pour l’adoption | 18 |
| Contre | 244 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pierre Barros. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pierre Barros. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, après trente-huit jours de débats à l’Assemblée nationale, et un rejet quasi unanime, le projet de loi de finances fait son entrée au Sénat en séance publique. Encore une fois, cette entrée est particulièrement remarquée.
Nous nous attendions à voir un projet de loi de finances paré d’ornements issus de trente-huit jours de discussions à l’Assemblée nationale. C’est finalement un texte dépouillé, dans son état d’origine et façonné voilà plusieurs mois par un Premier ministre désavoué, que l’on nous demande d’examiner.
Ce PLF est à l’image de ce qui attend les Français : un avenir qui va les priver du service public et va encore davantage amputer leur budget.
En apparence, le PLF pour 2026 s’organise autour d’un déficit de 4,7 % du PIB. Mais, derrière ce chiffre, il y a une dure réalité : la trajectoire retenue suppose un ajustement structurel de 0,8 point de PIB, soit 23 milliards d’euros, et un effort structurel total de 1,2 point de PIB, soit plus de 35 milliards d’euros.
Si la moitié de cet ajustement est mécanique, donc non pilotable, liée à l’évolution de la charge de la dette, à la baisse des dividendes publics et à l’élasticité des recettes, l’autre moitié, elle, relève d’un choix politique : la baisse des dépenses publiques, aux dépens des services publics et, plus encore, des collectivités territoriales.
À la suite de la présentation en avant-première du projet de loi de finances pour 2026 par le Gouvernement, le 15 octobre dernier, André Laignel a ainsi déclaré : « Ce budget est probablement le plus mauvais qu’on n’a jamais eu en ce qui concerne les collectivités territoriales. »
Madame, monsieur les ministres, il faut le dire clairement : ce PLF, ce n’est pas 17 milliards d’euros de dépenses en moins et 14 milliards d’euros de recettes en plus, comme vous l’annoncez, mais 23 milliards d’euros de baisses des dépenses et seulement 12 à 13 milliards d’euros de recettes nouvelles. C’est ce que précise la direction générale du Trésor dans son rapport économique, social et financier.
La présentation discutable à laquelle vous procédez masque une vérité encore plus brutale. Sur ces 12 milliards d’euros de recettes, près de la moitié existent déjà en 2025. Je parle ici de la prolongation de la surtaxe sur les bénéfices des grandes entreprises, divisée par deux cette année, soit 4 milliards d’euros, et de la reconduction de la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR), à hauteur de 1,5 milliard d’euros.
La moitié de l’effort en recettes repose ainsi sur des mesures déjà prises. L’autre moitié, c’est-à-dire 100 % de l’effort nouveau en recettes, sera directement payée par les travailleurs et les travailleuses, via la désindexation du barème de l’impôt sur le revenu, qui imposera 200 000 nouveaux foyers ; par les retraités, via la médiocre réécriture d’un abattement déjà injuste ; et pour terminer par la maigre taxe sur les holdings, qui ne devrait rapporter que 900 millions d’euros par an. À force de contorsions, cette taxe tient davantage de l’incitation à l’optimisation fiscale que d’un véritable instrument de justice fiscale.
Voilà donc le véritable PLF pour 2026 : un budget de rigueur pour les ménages, un budget de continuité pour les grandes entreprises et un budget de confort pour les grandes fortunes.
Comme si cela ne suffisait pas, la majorité sénatoriale veut aller plus loin. Voilà quelques jours, elle proposait ainsi de rendre 4 milliards d’euros aux grandes entreprises et de sabrer dans ce qu’il reste du milliard d’euros prélevé sur les holdings.
L’objectif est clair : protéger des fortunes déjà placées sous perfusion et assistées par le pacte Dutreil, qui permet d’exonérer 75 % des transmissions patrimoniales censément professionnelles. Cette niche atteindra d’ailleurs 4,2 milliards d’euros cette année, soit huit fois plus que l’an dernier.
À propos de soutien fiscal, j’évoquerai un autre sujet que vous esquivez méthodiquement : les aides publiques aux entreprises.
Les chiffres existent, et ils ne sont pas contestés au sein de notre assemblée. En tout, 211 milliards d’euros d’aides publiques sont accordés aux entreprises sans contrepartie ni contrôle. Même si l’on s’en tient au périmètre plus resserré de la seule loi de finances, les chiffres restent élevés : 88 milliards d’euros de dépenses fiscales, dont 26 milliards d’euros au sens strict et 7 milliards d’euros de subventions directes.
Face à de tels montants, on aurait pu imaginer que le PLF pour 2026 soit amélioré a minima par des mesures de tri, de contrôle et de recentrage des aides aux entreprises, c’est-à-dire par des actes de responsabilité. Il n’en est rien. La majorité sénatoriale a même affiché son intention de rétablir la niche Madelin dans sa version actuelle.
Le « pack » d’économies du Gouvernement ne touchera aucune des dépenses fiscales métropolitaines bénéficiant aux entreprises privées. Le discret montant de 1,5 milliard d’euros d’économies annoncé porte uniquement sur les subventions à l’audiovisuel public et aux chambres de commerce et d’industrie (CCI).
Autrement dit, vous touchez dans ce PLF à moins de 1 % de ces 211 milliards d’euros, et les cibles que vous identifiez ne sont pas celles qui le méritent. Vous vous attaquez une nouvelle fois à des services publics.
Je le dis comme ancien maire et comme parlementaire : quand il s’agit de faire les poches du service public ou encore des collectivités territoriales, vous n’hésitez pas ; mais quand il s’agit d’ouvrir celles des grandes fortunes de ce pays, vous avez la vue qui se trouble et la main qui tremble.
Seulement, faire les poches des communes à l’heure où les besoins sont manifestes pour la population, c’est prendre un risque démocratique majeur, surtout à quelques mois des élections municipales.
Durcir les charges imposées aux collectivités territoriales, amputer leurs ressources et réduire les mécanismes de compensation ne produit pas seulement un déséquilibre budgétaire. Un tel choix politique fragilise les communes, abîme la République et entraîne une contraction mécanique de l’investissement local.
J’en veux pour preuve, à titre d’illustration, les dotations attribuées aux collectivités territoriales par l’État.
Depuis 2018, la dotation globale de fonctionnement (DGF) n’est plus indexée sur l’inflation. Pour 2026, 578 millions d’euros manquent ainsi dans les caisses. Au total, depuis 2018, en prenant en compte les abondements de 2023, 2024 et 2025, 4,5 milliards d’euros se sont envolés au détriment du service public local.
Alors que l’évidence commande un rattrapage, vous gelez les enveloppes. Le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) subit la même punition : son recentrage frappe les collectivités territoriales à hauteur de 800 millions d’euros. Et je ne parle même pas de l’effet désastreux de la reconduction du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), mesure inventée par la majorité sénatoriale, qui occupera – je l’imagine et je l’espère – une place importante dans nos débats.
Le coup de grâce est, sans conteste, la modification de la dynamique de TVA. Cette mesure sonne la fin pure et simple de la compensation des impôts locaux que l’État a supprimés.
Vous commencez par la minoration de 25 % de la compensation de la réduction des bases des locaux industriels instaurée en 2021. La « dimension fortement péréquatrice » de cette réforme est une justification d’une rare indécence au regard des réalités sociales et environnementales des territoires industriels ; ces territoires qui cumulent sols pollués, friches lourdes, risques industriels et parfois poches de pauvreté.
Voilà la vérité : les territoires que vous pénalisez sont parmi les plus abîmés de France.
En résumé, ce que l’État avait donné d’une main, il le reprend désormais de l’autre. C’est une drôle de manière de concevoir la décentralisation. C’est davantage une recentralisation par les moyens et une tromperie démocratique.
Cette tromperie ou, devrais-je dire, cette dérive ne se limite pas à un article ou un arbitrage. C’est la dérive d’un budget qui répond à une logique nouvelle et inquiétante : celle de la montée en puissance des moyens militaires, totalement déconnectée des autres postes de dépenses, qui sont, eux, gelés, amputés, comprimés.
Les chiffres sont implacables. Les crédits de la défense augmentent de 6,7 milliards d’euros et la contribution à l’Union européenne progresse de 7,1 milliards d’euros pour accompagner ce tournant militariste, tandis que la politique agricole commune (PAC) recule et que le soutien aux régions ultrapériphériques s’érode.
Mardi dernier, le Parlement européen a approuvé la bascule totale vers l’économie de guerre. Des journées de travail allongées, des droits sociaux rabotés, des travailleurs sommés de se conformer aux besoins de l’industrie de l’armement : nous sommes décidément bien loin de l’Europe sociale, qui servait hier d’étendard politique.
Tirons-en la conclusion qui s’impose, en toute lucidité : l’effort structurel que vous exigez vient anticiper vos échecs diplomatiques.
Vous nous présentez aujourd’hui un PLF dépouillé des ajustements votés par l’Assemblée nationale, qui est aussi un PLF de va-t-en-guerre, bien loin des réalités sociales de nos concitoyennes et concitoyens.
Pis, vous oubliez qu’en cas de crise ce sont toujours les collectivités territoriales et les services publics qui s’érigent en remparts, au côté de l’État et qui, à la fin, se retrouvent bien seuls, en première ligne, sur le front de toutes les batailles.
Au cours du mandat qui s’achève, les élus municipaux ont traversé maintes et maintes crises. Nous aurions espéré au moins de votre part du respect pour ces femmes et ces hommes qui, en s’engageant, font vivre chaque jour la République. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)