M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C’est sciemment qu’il n’a pas dit la vérité. Les textes que j’ai cités sont limpides : ce qui a été dit devant les députés et devant les sénateurs était l’inverse de ce qui était dit au même moment au sein de l’exécutif. Ce n’est pas acceptable.

Les multiples notes internes au Gouvernement, versées récemment au débat public, prouvent clairement l’existence de ces mensonges. Je m’en tiens, par ce propos, à un strict rappel de faits portés très récemment à ma connaissance en tant que parlementaire.

Malheureusement, nous n’avons pas fini de payer les pots cassés. Nous subissons les conséquences de cette funeste dérive, qui nous a conduits au niveau de déficit que nous connaissons.

La première marche d’une consolidation budgétaire qui devra se poursuivre, car elle est nécessaire, jusqu’en 2029 – espérons d’ailleurs qu’elle permettra de rétablir la situation – a été franchie en 2025. Elle nous a déjà coûté 0,4 point de PIB cette année. En 2026, la deuxième marche doit nous coûter le double, soit environ 0,8 point de PIB.

Après des années où l’argent public a coulé à flots, avec des résultats décevants sur le plan économique, le contrecoup est rude. L’assouplissement monétaire décidé par la Banque centrale européenne (BCE) aurait dû nous apporter un peu d’air, mais l’effet récessif des économies budgétaires contracte la demande, qu’il s’agisse de l’investissement ou de la consommation des ménages.

Cela signifie-t-il qu’il faut renoncer à ces économies ? Bien sûr que non ! Ces efforts, rendus nécessaires par la dégradation des années passées, doivent être accomplis. Plus tôt nous les fournirons, plus leurs effets bénéfiques se cumuleront dans le temps.

Nos taux d’intérêt ont remonté. Notre stock de dette continue d’augmenter. Notre note s’est dégradée. Notre spread a successivement croisé ceux du Portugal, de l’Espagne, de la Grèce et de l’Italie. En conséquence, la charge de la dette dépassera 100 milliards d’euros en 2029.

Madame la ministre, lors de votre récente audition, j’ai noté votre nouvel élément de langage : la « vigilance collective ». Je trouve heureux que vous fassiez ainsi vôtre la ligne de conduite du Sénat, véritable lanceur d’alerte budgétaire depuis plusieurs années.

Je vous l’ai déjà dit, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2026, nous ferons preuve, pour notre part, d’une loyauté exigeante. Ce ne sera pas de trop, si l’on en croit les atermoiements auxquels ont donné lieu les cibles de déficit public.

Permettez-moi un bref rappel de la chronologie. Le 15 juillet dernier, le Premier ministre François Bayrou annonce une cible de déficit à 4,6 % du PIB. Mi-septembre, on observe une première inflexion : son successeur annonce une cible révisée à 4,7 % du PIB. Le 8 octobre, il semblerait que le Gouvernement se satisfasse d’un déficit autour de 5 %. Enfin, le 15 octobre devant la commission des finances du Sénat, vous-même allez plus loin en déclarant que « les 5 % ne sont pas un fétiche ».

Le Gouvernement choisit de s’éloigner de l’objectif avant même le débat parlementaire. Sachez que nous ferons tout notre possible pour garantir le sérieux de la trajectoire budgétaire. La majorité sénatoriale en est en effet convaincue : dépasser le seuil de 5 % de déficit, ou seulement s’en approcher, consacrerait la reconnaissance implicite de l’impuissance gouvernementale, que vous avez évoquée tout à l’heure, à redresser les comptes publics. Le seuil de 4,7 % de déficit est le bon. C’est parce que les temps sont difficiles que nous devons être ambitieux.

Le cadrage global étant fait, j’en viens aux dispositions du PLF 2026 à proprement parler. Que proposons-nous, au Sénat ?

Vous allez peut-être nous trouver gentiment conservateurs. En effet, nous nous en sommes tenus aux lignes directrices fixées avant l’été, lorsque nous avons présenté la contribution de ce que j’appelle le « club des cinq » du Sénat au Premier ministre d’alors, François Bayrou. C’est à l’aune de cette contribution et des principes d’effort collectif qui la guident que nous proposons d’amender le budget déposé par le Gouvernement.

Vous trouverez peut-être normal qu’en cinq mois le Sénat n’ait pas changé d’avis. Pourtant, il arrive qu’en cinq mois certains engagements changent…

M. Olivier Paccaud. La surtaxe !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Devant notre commission des finances, vous affirmiez ainsi en juin dernier : « Je partage pleinement votre exigence de clarté, de stabilité et de lisibilité pour les acteurs économiques. Certains points peuvent être affirmés sans détour : la surtaxe d’impôt sur les sociétés n’existera plus en 2026. » Merci ! Et vous ajoutiez : « Ce gouvernement n’a nulle intention de recourir à une baguette magique fiscale pour combler des écarts dont la cause est la hausse de la dépense ».

Vous me direz que vous parliez au nom d’un autre gouvernement : c’est vrai. Mais vous êtes toujours la même ministre : c’est également vrai. (Mme la ministre sourit.)

Que faut-il en déduire, vu le nombre de gouvernements qui se succèdent sous la présidence d’Emmanuel Macron ? Les Français, les entreprises de notre pays doivent-ils considérer tous les engagements gouvernementaux comme précaires et incertains, au motif que ceux qui les prennent ne seront peut-être plus membres du Gouvernement quelque temps plus tard ?

Pour notre part, nous n’avons pas changé d’avis, et je reprends vos mots pour me les approprier : le Sénat n’a nulle intention de recourir à une baguette magique fiscale pour combler des écarts dont la cause est, pour une grande part, la hausse de la dépense.

Vous le savez, nous proposons de supprimer la surtaxe d’impôt sur les sociétés. Cette mesure n’a été acceptée par le Parlement que pour une année, et surtout parce que Michel Barnier avait enfin fait la lumière, en arrivant à Matignon le 5 septembre 2024, sur l’état catastrophique de nos finances publiques.

La surtaxe d’impôt sur les sociétés a été votée uniquement comme une mesure d’urgence.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je ne disais rien d’autre à cette tribune, voilà un an, en parlant « d’état d’extrême urgence budgétaire ».

Madame, monsieur les ministres, vous rencontrez tout comme moi des chefs d’entreprise, ainsi que les représentants des PME, des grandes sociétés et des salariés. Vous le savez, les décisions d’investissement nécessitent de la stabilité fiscale. C’est ce que propose le Sénat ; et dans les engagements du Sénat figure aussi le redressement des finances publiques.

Nous n’avons pas pointé la désastreuse dérive des comptes publics de notre pays, avec le président de la commission des finances, Claude Raynal, pour proposer nous-mêmes furtivement une dégradation. C’est pourquoi les 4,7 % de déficit restent notre cible pour l’année 2026.

Les 4 milliards d’euros d’allégement de la fiscalité des entreprises que propose la commission des finances sont donc intégralement gagés par des propositions d’économies sur le budget de l’État. Nous aurons l’occasion de les discuter lors de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances.

Encore une fois, le Sénat reste fidèle à ses engagements. Nous avions fixé avant l’été l’objectif d’un retour des crédits à leur niveau de 2019. C’est en effet la dernière année où nous avons, grâce à une croissance plus soutenue, atteint les 3 % de déficit public. Nous nous attelons à retrouver ce niveau dans les années qui viennent.

Comme nous ne cessons de le répéter, le pays, ses entreprises et ses habitants ont besoin de baisses de dépenses et non de hausses d’impôts. Le budget pour 2026 doit être l’occasion de traduire ces paroles en actes, pour en faire autre chose qu’une simple rengaine ou un mauvais refrain.

C’est pourquoi la commission des finances propose également de faire de la taxe sur les holdings une vraie taxe anti-optimisation, et non une taxe de rendement pesant sur les activités opérationnelles des entreprises…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je croyais que vous ne vouliez pas d’impôts ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous proposons également de supprimer la réforme de la franchise en base de TVA, qui revient par la fenêtre après être sortie – et comment ! – par la porte du Parlement, ainsi que la taxe plastique – encore une taxe proposée par le Gouvernement !

Nous voulons supprimer la surtaxe sur l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) photovoltaïques, dont l’État voulait conserver une partie.

Nous voulons enfin préserver les contours actuels du dispositif de réduction de l’impôt sur le revenu pour la souscription au capital des PME (IR-PME). Surtout, nous voulons éviter que ne soit remise en cause à la va-vite, presque au débotté, la défiscalisation des investissements outre-mer.

Enfin, je dirai un mot des collectivités territoriales. À cet égard aussi, le Sénat reste fidèle à sa ligne de conduite. Il tiendra, comme l’an dernier, son engagement d’une contribution raisonnée et raisonnable au redressement des comptes publics.

Rappelons-nous simplement que, sur 40 euros de dette accumulée depuis 2019, les collectivités territoriales ne sont responsables que de 1,10 euro.

Par ailleurs, en 2025, la dépense locale a progressé moins vite que la dépense des administrations centrales et que la dépense des administrations de sécurité sociale : la stigmatisation des collectivités territoriales doit cesser ! Ces dernières ne sont ni un poids ni un fardeau. Elles sont – nous en sommes certains – un véritable atout pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Vincent Capo-Canellas et Marc Laménie applaudissent également.)

Ce constat doit nous conduire à réduire leur effort à 2 milliards d’euros. Nous allégerons donc la copie du Gouvernement…

M. Laurent Burgoa. Très bien !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. … en supprimant le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) applicable aux communes. De même, nous diviserons par deux le montant du Dilico applicable aux intercommunalités et aux départements.

Mes chers collègues, je vous confirme au passage que le Dilico de l’année 2025 sera bien remboursé en trois tiers, conformément au projet de loi de finances, le premier tiers étant versé dès l’année 2026. Il s’agissait d’un impératif pour le Sénat. Cet engagement est tenu par le Gouvernement…

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. … et je l’en remercie.

La commission proposera concomitamment de réduire significativement l’effort de compensation de la réduction des valeurs locatives des locaux industriels en le plafonnant à 2 % des recettes de fonctionnement de chaque collectivité territoriale concernée. Ces deux mesures conjuguées améliorent la soutenabilité des efforts demandés, qui provoquaient déjà de vives protestations dans nos territoires.

Enfin, le Sénat proposera d’abonder de 300 millions d’euros supplémentaires le fonds de sauvegarde des départements pour prendre en compte leurs difficultés financières récurrentes. Il faudra bien un jour engager une grande réforme des finances départementales.

Telle est, mes chers collègues, mon analyse de ce projet de budget. Avant de conclure, je me dois à présent d’évoquer la méthode.

Madame, monsieur les ministres, je crois en votre sincérité lorsque vous appelez à un travail collectif, avec les parlementaires, pour trouver des solutions utiles à la France, répondant aux besoins et aux attentes des Français.

Toutefois – j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire –, la méthode du Gouvernement doit encore être grandement améliorée. C’est peu de le dire !

L’Assemblée nationale a passé trente-huit jours à discuter du budget, pour aboutir à un seul vote favorable pour 404 votes défavorables. À l’évidence, le Gouvernement doit revoir sa pratique des institutions.

En ces temps troublés, il est important de respecter et de faire fonctionner nos institutions, celles de la République. Nous ne devons ni les ignorer ni chercher à en changer. Il faut voter un budget avec ceux dont c’est la fonction autant que la mission : les députés et les sénateurs.

Le Parlement n’a pas besoin de nouveaux débats budgétaires spécifiques, imaginés lors d’une allocution improvisée sur le perron de Matignon, en pleine discussion des textes financiers, au mépris de notre Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Stéphane Fouassin, Hervé Gillé et Jean-Marie Mizzon applaudissent également.)

En conclusion, je vous propose de laisser le Sénat débattre, conformément à l’esprit de nos institutions. Comme les Français nous le demandent, mettons-nous au travail pour donner un budget à la France avant le 31 décembre prochain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ainsi que sur des travées du RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je me réjouis évidemment que nous entamions enfin l’examen du projet de loi de finances pour 2026 cette après-midi, après un démarrage pour le moins contrarié.

Le dépôt de ce texte par le Gouvernement a tout d’abord pris du retard. Puis l’Assemblée nationale a continué d’étudier la première partie du projet de loi de finances jusqu’à vendredi dernier, à quelques heures du couperet des quarante jours d’examen.

Pour ce qui nous concerne, la commission des finances a avancé autant que possible, « en temps masqué », comme elle le fait chaque année, en parallèle de l’Assemblée nationale, dans l’examen du volet des dépenses. Je remercie d’ailleurs l’ensemble des membres de la commission, ainsi que les rapporteurs pour avis, de la qualité de leurs travaux et des échanges qui ont nourri nos réunions.

Permettez-moi de remercier également les administrateurs de la commission, qui, en temps réel, ont produit les commentaires des très nombreux articles additionnels votés par l’Assemblée nationale. Ce travail était indispensable ; pour partie, il s’est malheureusement révélé inutile, le volet des recettes ayant finalement été rejeté, entraînant le rejet de l’ensemble du PLF.

Et que dire du temps de mise au point de l’agenda de nos travaux, qui n’a pu être arrêté définitivement qu’en début de semaine ?

Au moment où commence notre discussion en séance, nous sommes face à une crise des finances publiques doublée d’une crise politique.

La dernière loi de programmation des finances publiques (LPFP) – on n’ose même plus en parler, bien que ce texte date de 2023 ! – visait un déficit public inférieur à 3 % en 2027. Cet objectif est renvoyé, au mieux, à 2029, les années 2023 et 2024 s’étant traduites par un dérapage inédit, hors période de crise, de 1,4 point de PIB. Ce dérapage rend plus long et bien plus douloureux le retour vers les 3 %, niveau qui nous rapprocherait de la stabilisation de notre dette.

Comme si cela ne suffisait pas, la dissolution décidée par le Président de la République en juin 2024 a doublé la crise des finances publiques d’une crise politique.

Les difficultés auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés tiennent indéniablement au fait que ceux qui sont très largement responsables de ces crises sont également ceux qui doivent proposer les voies et moyens pour nous en sortir. Les Français, majoritairement, ne le comprennent pas. Ils ne comprennent pas davantage nos travaux parlementaires, leur durée, leurs rites, les avancées et retours en arrière auxquels ils donnent lieu.

Ce moment si singulier nous confère une responsabilité particulière : l’Assemblée nationale ayant rejeté à la quasi-unanimité le volet recettes du projet de loi de finances, le Sénat se doit de voter un texte pouvant servir de base à une commission mixte paritaire, en vue, si possible, du vote définitif d’un budget d’ici à la fin de l’année.

Nous le savons, nous vivons des temps de plus en plus incertains. Les systèmes économiques et diplomatiques mondiaux patiemment bâtis depuis la Seconde Guerre mondiale sont remis en cause dans leurs fondements même. Le retour de la guerre aux frontières de l’Europe interroge le calibrage de nos armées et de notre défense nationale. Notre tissu productif, tant national qu’européen, subit un nouveau choc, aussi bien économique que technologique, que la confrontation sino-américaine complexifie tous les jours.

Mes chers collègues, faire abstraction de ces réalités au cours de nos débats serait faire preuve d’une légèreté coupable. Nous ne parlons pas de simples éléments de décor ou de paysage, mais du monde dans lequel la France évolue et dans lequel elle doit conserver son rang.

Dans ce contexte – je le concède – déjà bien trop anxiogène, qui ne manque pas de peser sur l’activité économique, la France ne peut se permettre d’entretenir plus longtemps la crise politique. Elle doit retrouver une certaine stabilité.

Je sais que chacun d’entre nous a en tête l’intérêt supérieur de la France et des Français. Dès lors, adopter un budget d’ici à la fin de l’année est la seule option sérieuse qui doive nous guider. Ne pas le faire reviendrait à aggraver la situation à tous les niveaux ; à faire reculer plus encore l’investissement et la consommation ; à devoir demain faire face à une aggravation de nos charges d’intérêts. Pouvons-nous vraiment nous le permettre ? En Italie, le financement des services publics s’est trouvé peu à peu affecté par la charge de la dette : je ne crois pas que cet exemple soit particulièrement inspirant.

Le coût de l’incertitude politique depuis la mi-2024 a été réévalué par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) à 0,8 point de PIB pour la période 2024-2026, soit environ 24 milliards d’euros de manque à gagner pour notre pays. Notre économie a-t-elle vraiment les moyens de supporter le fardeau supplémentaire de l’incertitude politique, alors que nous devons déjà redresser nos comptes publics pour sortir du mauvais pas dans lequel ces dernières années de dérive budgétaire nous ont placés ?

Selon moi, la véritable question n’est donc pas tant celle de l’objectif, à savoir redresser rapidement nos comptes publics, que celle de la trajectoire, du rythme et des moyens pour l’atteindre.

Notre sempiternel débat entre baisse des dépenses et hausse des recettes ne doit être ni instrumentalisé ni caricaturé.

Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) nous a confirmé que l’intégralité de l’effort structurel du budget de Michel Barnier revu par François Bayrou provenait de hausses d’impôts, sans que s’en émeuvent particulièrement ceux qui étaient alors membres du Gouvernement et qui, depuis, ont retrouvé ces travées…

Gardons-nous des effets de tribune. Je souhaite qu’au contraire le pragmatisme, l’écoute et le sens des responsabilités nous animent collectivement pendant ces débats.

M. Michel Canévet. C’est bien !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Dès le début de la crise sanitaire, puis PLF après PLF et à la faveur de nos débats relatifs aux finances publiques, j’ai demandé qu’il soit mis fin aux baisses d’impôts promises tant aux particuliers qu’aux entreprises. Non seulement ces mesures n’ont pas produit de surplus de croissance ou de consommation, mais elles n’ont jamais été gagées par des baisses de dépenses équivalentes.

M. Michel Canévet. C’est une façon de voir !

M. Thomas Dossus. C’est du bon sens !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Il aura fallu les résultats catastrophiques de 2023 et 2024 pour que cette évidence soit reprise clairement par la Cour des comptes.

À quoi assiste-t-on finalement depuis l’an dernier ? Au report des plus de 60 milliards d’euros d’impôts rendus aux entreprises et aux particuliers – je rappelle que 20 % des particuliers représentaient 50 % de l’enveloppe supprimée au titre de la taxe d’habitation – sur l’ensemble de la population, y compris ceux qui n’avaient bénéficié d’aucun allégement. Dès lors, comment la justice fiscale ne serait-elle pas au cœur de nos débats ? Elle aurait d’ailleurs dû l’être plus sérieusement lors de l’examen du PLFSS.

Bien sûr, la tentation sera grande, sur nos travées, de s’en tenir à la pureté des convictions, au confort des habitudes et aux divisions de toujours. Mais permettez-moi de vous prévenir, mes chers collègues : le risque serait grand, dans ce cas, que la copie rendue par le Sénat ne soit qu’un simple témoignage, comme ce sera le cas pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Si, comme je le souhaite, une loi de financement de la sécurité sociale est votée à l’issue d’une nouvelle, puis dernière lecture à l’Assemblée nationale, l’apport sénatorial risque de se limiter – vous le savez – à quelques amendements rédactionnels. Ce n’est pas ce que j’attends de notre assemblée.

Pour ce qui est du projet de loi de finances, le Sénat sortirait grandi de ces débats si, par son sens éprouvé du compromis, il créait les conditions d’une commission mixte paritaire conclusive.

À l’évidence, le texte final ne sera celui de personne en particulier…

M. Bruno Retailleau. Ou celui des socialistes !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Le but est qu’il puisse être adopté par une Assemblée nationale que nous savons particulièrement divisée.

Nul doute que la voie est étroite. Nul doute non plus que, si nous ne la trouvions pas, dans l’esprit de nos concitoyens, nous en porterions collectivement la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ainsi que sur des travées des groupes GEST et RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion n° I-66 tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par MM. Savoldelli, Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° I-66.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2026 (n° 138, 2025-2026).

Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l’article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant pour dix minutes maximum, un orateur d’opinion contraire pour dix minutes maximum, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond, et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la motion.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, jeudi dernier, dans mon département du Val-de-Marne, j’organisais avec mon collègue et camarade député Nicolas Sansu un atelier législatif sur le budget.

Dans la salle, on trouvait des chauffeurs Uber et des livreurs Deliveroo inquiets du seuil de TVA, mais aussi des salariés de Sanofi Maisons-Alfort. Leur usine a été cédée à un groupe allemand. Avec elle, nous abandonnons une part de notre souveraineté sanitaire ; pourtant, Sanofi reste dans le top des entreprises ayant le plus profité des 211 milliards d’euros d’aides publiques sans aucune contrepartie.

Étaient également présents des agents hospitaliers, qui nous ont alertés sur les franchises médicales et sur la psychiatrie, abandonnée ; des élus locaux, qui savent qu’une fois de plus la dette de l’État se reportera sur les collectivités territoriales ; des salariés de GRDF Kremlin-Bicêtre, dont le site reste menacé de fermeture ; des cheminots du RER C et du RER D, qui font face à la dégradation de leurs conditions de travail et à la vente du patrimoine immobilier de la SNCF (M. Marc Laménie acquiesce.) ; des locataires du parc social, dont les fonds de rénovation des logements ont été coupés.

Tous m’ont demandé : « Mais pourquoi a-t-on l’impression que tout est fait dans notre dos ? Pourquoi notre parole ne compte-t-elle jamais ? » Voilà la réalité de notre pays.

Ces habitants-là, ceux de la banlieue, comme ceux de la ruralité et de l’outre-mer, où la pauvreté explose, forment le cœur de notre économie. Ils travaillent et veulent être parties prenantes du débat.

Or ces travailleurs et travailleuses, ces retraités et ces étudiants ne décident pas. Pour ce budget, leur parole ne compte pour rien. Ils le savent. C’est là l’origine d’une colère sourde qui monte parmi le peuple et c’est la véritable raison de notre motion.

Je vous le dis sincèrement, nous pensons que le débat est faussé. Il est cadenassé. Tout est fait pour imposer un budget d’inégalités ; un budget minoritaire dans la population ; un budget disqualifié pour rassembler les Français.

En somme, la question qui se pose, c’est celle de la légitimité démocratique de ce budget.

Ceux que je côtoie au quotidien, comme une majorité de nos concitoyens, ont massivement rejeté les politiques d’Emmanuel Macron aux élections européennes de 2024.

Un mois plus tard, toujours en 2024, une majorité d’électeurs, certes relative, a placé le Nouveau Front populaire (NFP) en tête lors des élections législatives. Et pourtant, de 49.3 en vaudevilles de recomposition gouvernementale, les politiques publiques restent toujours les mêmes.

Songez que 73 % des Français pensent que le débat sur le budget est politicien ; que 70 % d’entre eux pensent que le Président de la République a trop de pouvoir. Comment leur donner tort ?

Selon un sondage sorti hier, seuls 8 % des Français pensent que ce projet de loi de finances est un bon budget.

Oui, ce budget est illégitime, et ce d’abord parce que le projet présenté est minoritaire : les électeurs n’ont pas voté pour cette politique.

Madame la ministre, vous me répondrez par la désormais célèbre maxime de M. le Premier ministre : « Le gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez. » Mais la représentation nationale a voté : elle a voté la censure du gouvernement Barnier en décembre 2024 ; elle a refusé la confiance au gouvernement Bayrou en septembre 2025 ; et votre majorité, si l’on peut dire, vous a elle-même condamnés à rétropédaler après ce qui a constitué le gouvernement le plus court de l’histoire de la Ve République.

Pourtant, on nous met sur la table un budget élaboré par Michel Barnier, scénarisé par François Bayrou, puis déposé par le gouvernement Lecornu.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Non !

M. Pascal Savoldelli. Ce budget a déjà été censuré ; il a déjà été rejeté ; et maintenant il fait – j’en ai bien peur – l’objet d’arrangements que je qualifierai d’erratiques.

Le débat a eu lieu à l’Assemblée nationale. Il aura peut-être lieu au Sénat, certes, mais la majorité sénatoriale et le Gouvernement promettent de cultiver les faux-semblants.

Dans ce contexte, la gauche ne peut ni ne veut jouer le rôle d’arbitre.

Ce débat est faussé en tout point. Bien sûr, le Gouvernement sait que les Français sont très majoritairement opposés au 49.3, qui, à lui seul, symbolise ce coup d’État permanent qu’est la Ve République. Cet article a permis le coup de force de la réforme des retraites en 2023, qui laisse un goût amer à travers tout le pays. Mais l’abandon du 49.3 n’est qu’un affichage. Il ne garantit rien et personne n’est dupe.

Même s’ils sont privés de majorité absolue depuis 2022, les gouvernements successifs continuent d’utiliser tous les artifices institutionnels dont ils disposent pour bloquer toute remise en cause du pouvoir des plus riches. La Constitution de la Ve République le permet. C’est tout à fait légal, mais je me permets de penser que c’est illégitime.

Il y a bien des 49.3 déguisés, des 49.3 dissimulés. Nous ne sommes pas dans une réelle délibération collective.

Madame la ministre, monsieur le ministre, vous bloquez les autorisations de crédits : c’est légal, mais illégitime.

Vous avez tout fait pour retarder les débats en sachant ce qui pouvait arriver après, c’est-à-dire les ordonnances, tout en vous en défendant. C’est également légal, mais illégitime.

Monsieur le rapporteur général, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous allez opérer un toilettage sévère du projet de loi de finances…