compte rendu intégral

Présidence de M. Loïc Hervé

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Communication relative à deux commissions mixtes paritaires

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Par ailleurs, j’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2025 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2026
Article liminaire

Loi de finances pour 2026

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2026, considéré comme rejeté par l’Assemblée nationale (projet n° 138, rapport n° 139, avis nos 140 à 145).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, nous commençons aujourd’hui l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2026, relative aux recettes.

Après plus de 125 heures de débats – il s’agit d’un record sous la Ve République – et l’examen de près de 3 500 amendements, l’Assemblée nationale n’a pas adopté de texte. Nous repartons donc du projet de loi initial, qui vise à ouvrir un chemin pour conserver notre crédibilité, financer nos grandes priorités stratégiques et répondre aux urgences du quotidien.

Ce texte est construit autour d’un objectif clair et de principes qui permettent de l’atteindre.

L’objectif est de poursuivre l’effort de redressement des comptes publics amorcé en 2025, afin que le déficit soit inférieur à 5 % du PIB en 2026.

Il y va de notre capacité à financer, quoi qu’il arrive, des politiques publiques essentielles et à pérenniser notre modèle social.

Il y va également de la crédibilité de notre pays à un moment où tout le monde nous regarde : nos partenaires internationaux et nos créanciers, qui attendent que nous respections les engagements que nous avons pris, mais également nos concurrents et nos adversaires, qui se délectent chaque fois que la France n’est pas au rendez-vous de l’histoire.

Pour atteindre ce résultat, le Gouvernement propose de s’appuyer sur trois principes lisibles et transparents.

Le premier principe consiste à geler en euros courants les dépenses de l’État et de ses opérateurs. Il s’agit d’un effort significatif. En contrepartie de l’augmentation de certains crédits, tels que ceux des armées, sur lesquels je reviendrai, les ministères et les opérateurs devront réaliser des économies significatives sur le reste de leurs dépenses.

Le deuxième principe est la stabilisation du niveau des dépenses de santé dans le PIB. Lesdites dépenses ont été très dynamiques ces dernières années et ont franchi un palier lors de la pandémie. Nous proposons donc de les faire croître en 2026 à la hauteur de la progression des moyens que nous pouvons y consacrer.

Le troisième principe est la stabilisation des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales en volume, ce qui les conduira, si notre proposition est adoptée, à augmenter de 2,4 milliards d’euros. Ces dépenses ont, elles aussi, beaucoup crû ces dernières années ; nous souhaitons que leur progression soit limitée en 2026 à l’inflation.

Le Gouvernement vous propose – je sais que la Haute Assemblée est attentive à ce point – de financer nos nouvelles priorités avant tout par des mesures de maîtrise et de réallocation de la dépense publique. Il s’agit de retrouver des marges de manœuvre pour servir les Français, non de raboter pour moins servir.

Étant également ministre de la fonction publique, je vous le dis : le service public n’est pas une variable d’ajustement. Il est indissociable de la République, indispensable aux Français. Chaque ministre aura toutefois la mission de défendre devant vous à la fois des priorités et des mesures d’économies. L’argent doit aller là où il est le plus utile.

Ces priorités, nous les assumons.

La première, c’est la souveraineté et la sécurité. Au total, 6,7 milliards d’euros supplémentaires seront mobilisés au profit de nos armées pour accélérer notre effort de défense, selon des modalités qui seront discutées dans le cadre du prochain projet de loi de programmation militaire (LPM). Nous comptons également renforcer les moyens des ministères de la justice et de l’intérieur, en prévoyant, par exemple, plusieurs centaines de millions d’euros pour faire face à l’insécurité, à la criminalité organisée et au narcotrafic.

La deuxième, c’est la poursuite de nos investissements pour l’avenir. Les budgets de l’éducation nationale et de la recherche augmenteront, afin, notamment, de mener à bien la réforme essentielle de la formation initiale des personnels enseignants. De même, nous poursuivrons les efforts engagés en matière de transition écologique et énergétique.

La troisième, c’est bien sûr l’adaptation de notre société au vieillissement de la population. Nous vous proposons ainsi de consacrer 5 milliards d’euros supplémentaires aux politiques en faveur de la santé et de l’autonomie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons ensemble, dans les prochains jours, des débats importants. Je sais que vous les attendez et qu’ils seront nourris, puisque vous avez déposé en tout et pour tout 2 649 amendements.

Roland Lescure, David Amiel et moi-même, ainsi peut-être que d’autres ministres, siégerons tour à tour au banc du Gouvernement. Nous sommes prêts à débattre avec vous, qu’il s’agisse du pouvoir d’achat de ceux qui travaillent dur chaque jour, des entreprises et du coût du travail, pour que notre pays continue de produire et de s’enrichir, ou encore de la justice fiscale et, en particulier, de la lutte contre la suroptimisation.

Nous aurons des discussions sur la transition écologique, l’agriculture et le logement. Nous débattrons aussi des finances locales, de leur contribution à l’effort de redressement du pays et de la fiscalité locale.

Je souhaite également que nous puissions examiner les amendements visant à prolonger l’expérimentation de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA). Nous devons pouvoir conduire cette expérimentation à son terme en disposant d’une évaluation des compétences sociales des départements dans la perspective d’une réforme plus structurelle, annoncée par M. le Premier ministre lors des assises des départements de France.

Ces débats, ces priorités, ce budget, qui est celui du Parlement, ne pourront pas se traduire dans les faits pour les Français si nous sombrons dans l’impuissance, si nous refusons la discussion et le compromis.

L’objectif du Gouvernement est très clair, et je sais que c’est aussi le vôtre : il est de construire un compromis avec les forces politiques, pour donner un budget au pays avant le 31 décembre prochain.

La semaine dernière, l’Assemblée nationale n’a pas adopté la première partie du projet de loi de finances. Là où certains formulent un constat d’échec, je ne veux pas me laisser aller au fatalisme ambiant.

J’ai la conviction, je le dis avec sincérité, que nous pouvons trouver un compromis pour donner un budget au pays, pour lui permettre de sortir de l’incertitude et de l’attentisme auxquels on le croyait condamné voilà encore quelques semaines.

L’examen des quelque 3 500 amendements déposés à l’Assemblée nationale aura été pour vos collègues députés l’occasion de nombreux débats sur notre fiscalité. Toutes les positions ont pu s’exprimer et, parfois, des compromis ont été trouvés. C’est ce travail que nous devons poursuivre ensemble, afin d’aboutir à un texte équilibré, qui pourra ensuite être adopté.

Les avancées obtenues ces dernières semaines ne doivent pas masquer le fait que notre pays reste exposé à un grand risque : celui que ferait peser notre incapacité collective à changer de modèle politique et à savoir nous mettre d’accord sur l’essentiel.

Ne pas adopter de budget avant la fin de l’année serait faire courir un grand risque au pays tout entier. Échouer reviendrait à acter l’affaiblissement durable de notre pays plutôt que le sursaut de toute une nation qui se donne de nouveau les moyens de créer, d’entreprendre, d’innover, d’assurer sa sécurité et, au fond, de réussir.

Depuis plusieurs mois, dans mes fonctions gouvernementales, j’ai pu dialoguer avec les représentants de tous les groupes politiques, avec beaucoup d’entre vous. Par-delà les différences de sensibilités et les combats, souvent âpres, qui nous opposent depuis des années, j’ai vu émerger une majorité, non pas pour soutenir le Gouvernement, – tant s’en faut ! –, mais pour redonner une base de stabilité au pays, pour lui fixer un cap.

L’élection présidentielle aura lieu en 2027. En attendant, en 2026, il convient que les entreprises, les Français et les familles puissent de nouveau se projeter, recruter et investir.

Nous aurions du temps devant nous, entend-on ici et là. Au fond, nous pourrions ne pas nous mettre d’accord : ce ne serait pas si grave. Il serait même urgent d’attendre et nous pourrions nous contenter d’une loi spéciale à compter du 1er janvier 2026. Je veux illustrer concrètement ce que cela signifierait.

Pour l’agriculture, cela voudrait dire, par exemple, que nous n’aurions pas les moyens de soutenir les viticulteurs dans la crise qu’ils traversent.

Pour les collectivités territoriales, cela voudrait dire une interruption du soutien de l’État à l’investissement, qu’il s’agisse des communes, des départements ou des régions. Les départements, qui sont pourtant dans une situation très difficile, ne pourraient ainsi être soutenus, alors qu’ils font face à la progression de leurs dépenses sociales. Le Gouvernement a d’ailleurs proposé de porter les crédits du fonds de sauvegarde en faveur des départements à 600 millions d’euros.

Pour la défense, cela voudrait dire des retards dans les investissements et l’équipement de nos forces, alors que la guerre est à nos portes.

Pour la transition écologique, cela voudrait dire des retards dans la décarbonation de notre économie, de nos logements et de nos transports.

Pour l’éducation nationale, cela entraînerait un report de la réforme de la formation des enseignants, qui, si elle était mise en œuvre, apporterait beaucoup aux professeurs et aux élèves.

Pour les solidarités, cela voudrait dire que nous devrions reporter de nouveau notre soutien à l’aide sociale à l’enfance (ASE), alors que les besoins sont criants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne veux contraindre personne à faire des choix souverains ; c’est votre rôle de parlementaires. Je souhaitais simplement vous donner six exemples des multiples répercussions d’une absence de budget avant la fin du mois de décembre. Ces répercussions seront concrètes pour les Français. Elles seront aussi concrètes pour les comptes publics.

Le texte qui vous est soumis est un projet, au sens littéral du terme. Il sera évidemment amendé, transformé et, si vous le décidez, il sera voté. Ce sera alors non pas le projet d’un homme, d’une femme ou d’un parti, mais bien celui de la Nation, tel qu’il aura été adopté et amendé par ses représentants.

M. Thierry Cozic. C’est beau ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Au Sénat comme précédemment à l’Assemblée nationale, le Gouvernement est au service du Parlement pour faire aboutir la procédure budgétaire. (Marques dironie sur les travées des groupes SER et GEST.)

J’y insiste : ces débats, ces priorités, ce budget du Parlement ne pourront pas devenir une réalité pour les Français si nous manifestons notre impuissance et si nous refusons le débat.

Je sais que vous avez de l’espoir et de la détermination pour le pays. Nous en avons aussi ! Ensemble, sans nous compromettre ni nous mentir, nous pouvons nous mobiliser pour la France et les Français.

Certains ont dit qu’il n’y aurait pas de compromis, mais les dernières semaines ont montré qu’un chemin était possible, par exemple pour les recettes de la sécurité sociale. Nous devons continuer à trouver ici, ensemble, ce chemin.

Le Sénat – je le dis avec solennité –, au début de l’année 2025, s’est pleinement engagé pour que nous parvenions à sortir de la crise que nous connaissions alors. Je sais pouvoir compter sur vous, une fois encore, pour contribuer à un débat exigeant, utile et équilibré pour le bien de notre pays. C’est là notre devoir. Je suis ici avec vous pour que ce débat puisse avancer dans les meilleures conditions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Roland Lescure, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. Monsieur le président, madame la ministre de l’action et des comptes publics, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes à mi-parcours du débat parlementaire du projet de loi de finances et, vous en conviendrez, cet examen est inédit à bien des égards.

Tout d’abord, M. le Premier ministre s’est engagé à ne pas recourir à l’article 49.3 de la Constitution pour que les parlementaires puissent user pleinement de leur pouvoir de débattre et de voter.

C’est cette logique de débat qui s’est exercée jusqu’à la semaine dernière à l’Assemblée nationale, les députés étant évidemment les premiers concernés par l’application de cette règle, décidée par M. le Premier ministre. Même si nous avons des différences sur le fond, je tiens, à cette occasion, à saluer le travail et l’engagement de vos collègues députés tout au long de l’examen du texte. Je ne doute pas qu’il en sera de même ici.

Ensuite, cet examen est inédit par sa durée. Les débats, sur la seule première partie, auront duré trente-huit jours. Ils auront été l’occasion pour chacun de rappeler, voire de clarifier, ses positions.

Enfin, comme l’a indiqué Mme la ministre de l’action et des comptes publics, la partie recettes a été rejetée vendredi soir à la quasi-unanimité de l’Assemblée nationale. C’est donc la copie initiale du Gouvernement qui vous est présentée.

Ce rejet résulte de l’adoption de mesures clivantes et, il faut le reconnaître, inopérantes. Si l’on ne tient pas compte de ces dernières, la copie de l’Assemblée nationale aurait conduit à un déficit de 5,3 % du PIB, bien supérieur à notre cible, qui correspond à un effort selon nous indispensable.

Nous nous sommes en effet fixé l’objectif collectif de ramener le déficit bien en dessous de la barre des 5 % du PIB. Or la copie budgétaire rejetée comportait à la fois trop d’impôts et trop de déficits. Ce n’était pas, vous en conviendrez, le budget du Gouvernement. Nous n’avons donc été ni surpris ni déçus du vote de l’Assemblée nationale.

Au moins, nous savons le budget que l’Assemblée nationale ne veut pas. L’enjeu des prochaines semaines est désormais de construire celui que la Nation veut. Il appartient aux deux chambres de le bâtir ensemble. Le compromis est nécessaire et je reste persuadé qu’il est possible.

L’examen du projet de loi de finances s’ouvre aujourd’hui au Sénat en séance publique. Il s’agit d’une étape importante dans la construction de ce compromis.

J’attends de ces débats qu’ils aboutissent à un déficit maîtrisé. Monsieur le rapporteur général, je vous ai entendu exprimer votre attachement à cet objectif lundi dernier, lors de votre conférence de presse. J’en déduis qu’il existe des convergences sur ce point – j’y reviendrai.

Il s’agit aussi d’avancer vers la construction d’un compromis avec vos collègues députés, qui, pour beaucoup, ne pensent pas comme la majorité sénatoriale. Les groupes parlementaires d’un même parti n’ont d’ailleurs pas toujours les mêmes approches au Sénat et à l’Assemblée nationale.

J’espère que nos discussions nous permettront de nous accorder au sujet des moyens et, pourquoi pas – on peut toujours rêver ! –, de parvenir à une commission mixte paritaire (CMP) conclusive.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez un rôle très important à jouer. Vous avez d’ailleurs fait preuve d’une attitude constructive lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), en rappelant votre attachement à un déficit limité – une variable qui m’est chère, en tant que ministre de l’économie et des finances.

Malgré l’échec de la CMP, qui a mis en lumière quelques désaccords fondamentaux déjà connus, vous avez montré des convergences sur un certain nombre de sujets. Il est en tout cas essentiel de construire un compromis, qu’il s’agisse du budget de la sécurité sociale ou du budget de l’État.

Au-delà de nos différences de chapelles, de préférences et d’idéaux, qui sont tout à fait légitimes, il est de notre devoir de donner de la stabilité, de la visibilité et de la confiance aux Français, à nos entreprises, mais aussi – c’est important – aux investisseurs.

Permettez-moi de rappeler rapidement le cadre dans lequel ces débats doivent, selon le Gouvernement, se tenir.

Nous conservons l’objectif d’un déficit public inférieur à 3 % en 2029. Ce n’est pas pour satisfaire Bruxelles, ni pour plaire aux marchés, ni parce que nous nous y sommes engagés auprès de nos partenaires européens : c’est tout simplement parce que la stabilisation de la dette publique est un élément essentiel de notre souveraineté et de notre prospérité.

Je rencontre presque chaque semaine mes homologues européens. J’échange aussi régulièrement avec des investisseurs. Ils sont préoccupés par la situation française, mais tous ont confiance en notre capacité de redressement. J’en veux pour preuve que, cette semaine, nous avons complété le programme d’émission de titres de dette du pays pour 2025 : plus de 300 milliards d’euros ont été levés tout au long de l’année, sans aucune difficulté. C’est un élément important.

Je note également que la Commission européenne a rendu cette semaine un avis sur le projet de budget transmis par le Gouvernement. Elle considère que la réduction du déficit proposée est conforme aux règles européennes et va dans la bonne direction.

De fait, ce budget nous place sur le chemin d’un déficit inférieur à 3 % en 2029. Il décrit une trajectoire de redressement atteignable et prend pour base une réduction du déficit des administrations publiques dans leur ensemble à 4,7 % l’année prochaine.

Je sais que cette trajectoire vous importe, tout comme la souveraineté financière et la prospérité de la France. Et le contexte nous encourage à agir, car les chiffres économiques de cette année confirment que nos fondamentaux sont sains.

La cible de 5,4 % de déficit, que nous avons votée pour 2025 – j’étais à l’époque député –, sera atteinte.

En outre, pendant que vos collègues députés débattaient, l’économie française ne s’est pas arrêtée. L’acquis de croissance à la fin du troisième trimestre, c’est-à-dire le chiffre que l’on obtiendrait pour 2025 si la croissance était nulle au quatrième trimestre, est déjà légèrement supérieur ce que nous prévoyions pour l’ensemble de l’année. Notre prévision est donc confortée. La France fait mieux que l’Allemagne, que l’Italie et que la zone euro dans son ensemble.

L’économie française continue de croître et, pour l’année prochaine, nous anticipons une légère accélération : le taux de croissance devrait être d’environ 1 %, grâce notamment à la demande domestique.

Notre taux de chômage a légèrement augmenté : il a atteint 7,7 % au troisième trimestre de cette année, en raison, en particulier, de l’incertitude économique, mais reste proche de son plus bas niveau depuis quarante ans.

Le taux d’inflation devrait s’élever à 1,1 % en moyenne cette année. La crise inflationniste est donc définitivement derrière nous, et le pouvoir d’achat des Français continue d’augmenter : il progresse de 0,8 % cette année. Le Gouvernement peut tabler sur un redressement de la consommation des ménages en 2026.

Enfin, le taux d’épargne des ménages a atteint un niveau historique, près de 19 %, au deuxième trimestre de 2025.

Permettez-moi de m’arrêter un instant sur ce facteur, car l’une des hypothèses clés de notre prévision de croissance pour l’année prochaine est que nos concitoyens aient confiance, qu’ils puisent enfin dans leur épargne. Pour cela, nous avons tous et toutes un rôle à jouer.

L’incertitude politique actuelle engendre des inquiétudes économiques. Nous devons la lever. L’enjeu de ces débats est non seulement de doter la France d’un budget et de préserver sa croissance, mais aussi de rassurer nos concitoyens sur notre capacité à tenir nos comptes.

Ce qui se passera ces prochains jours sera donc décisif. Notre prévision de croissance est réaliste, mais elle repose sur cette hypothèse clé : ménages et chefs d’entreprise vont garder confiance en l’avenir.

C’est précisément parce que nos fondamentaux sont encore bons, en dépit d’un contexte international particulièrement tourmenté – vous le reconnaîtrez –, que c’est le moment d’agir résolument pour redresser nos finances publiques.

Voici la réalité des faits. Notre déficit public était le plus élevé de la zone euro en 2024, et nous serons les derniers, avec la Belgique, à le ramener sous les 3 % en 2029. Notre dette, à la fin de l’année 2025, devrait avoisiner 116 % du PIB. Proportionnellement, la France est le pays le plus endetté de l’Union européenne, derrière la Grèce et l’Italie. Notre note de crédit, vous le savez, a été dégradée par toutes les grandes agences de notation. Nous nous endettons nettement plus cher que nos voisins et le coût de notre dette a augmenté significativement. Le taux de nos obligations à dix ans dépasse de plus de 70 points celui des obligations allemandes. Enfin, la charge de la dette était de 60 milliards d’euros en 2024. Elle s’élèvera à 65 milliards d’euros cette année et à près de 74 milliards d’euros l’année prochaine. Même si nous continuons à respecter nos objectifs, qui sont déjà ambitieux, elle atteindra 100 milliards d’euros en 2029 !

Si tous ces chiffres peuvent sembler abstraits à ceux qui nous écoutent, l’impact de cette dynamique est bien réel pour les Français.

Quand le taux d’emprunt de l’État augmente, les taux des prêts à la consommation et des crédits immobiliers augmentent en conséquence. De même, des sommes colossales, équivalentes au budget annuel de nos plus grands ministères, sont versées à nos créanciers, au lieu de financer la rénovation de nos écoles, de nos commissariats et de nos hôpitaux, ou encore l’augmentation des salaires de nos agents en première ligne. Les conséquences sont donc très concrètes !

Les indicateurs que je viens de citer sont inquiétants, mais la situation n’est pas irrémédiable. Ils nous invitent à une action résolue et immédiate.

D’autres pays ont fait cet effort avant nous : je pense au Canada et à la Suède, dans les années 1990, ou plus récemment à la Grèce, au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie. Ces exemples sont la preuve qu’un chemin est possible. Ils nous rappellent surtout que l’on peut sortir de la spirale de l’endettement sans renoncer ni à notre croissance ni à notre modèle social, à condition qu’un consensus efficace se fasse jour en faveur d’un objectif et d’une méthode.

En revanche – les exemples de quelques pays voisins en attestent –, plus on repousse le rétablissement des finances publiques, plus l’effort est douloureux.

Au Portugal, la TVA a dû être relevée de manière extrêmement forte. En Italie, la réforme des retraites a conduit à des départs après 67 ans. En Lituanie, les salaires des fonctionnaires et les pensions de retraite ont baissé drastiquement.

Dans ces pays, le rétablissement des comptes publics a été mené dans des conditions macroéconomiques défavorables, suivant un calendrier dont les pouvoirs publics avaient refusé d’être les maîtres et pour un coût, en termes de croissance et d’inégalités, qu’aucun d’entre nous ne souhaite à la France.

Pour éviter ces ajustements particulièrement douloureux, c’est maintenant et collectivement que nous devons consentir les efforts adaptés.

La France n’est forte que si elle est prospère. Pour réussir, il nous faut un cap. Le nôtre est clair : adopter un budget qui mette un coup d’arrêt à la dérive de la dette et rétablisse nos comptes publics, tout en préservant la croissance, l’emploi et la transition écologique, et en faisant en sorte que l’effort soit équitablement réparti. (M. Thomas Dossus sexclame.)

Ce triple objectif peut être atteint. Il y va de la pérennité de nos services publics et de notre modèle social. Il y va aussi de la préservation de notre souveraineté, de la qualité de la signature de la France, de sa puissance et de sa crédibilité. Il y va enfin de notre responsabilité face aux générations futures.

Chacun dans son rôle, nous avons une responsabilité commune : doter la France d’un budget exigeant pour 2026.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’heure du compromis est arrivée, car le temps nous est compté.

Je sais pouvoir compter sur vous pour un débat apaisé, rigoureux et constructif, qui débouche dans les temps sur un compromis raisonnable, dont j’espère que l’Assemblée nationale se saisira, afin que nous puissions parvenir à un accord global.

J’y insiste, ce compromis devient urgent. C’est aujourd’hui que nous devons agir, car le redressement de nos finances publiques est la condition d’une prospérité retrouvée pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, comment en sommes-nous arrivés là ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. À l’orée de ce débat budgétaire, qui va nous occuper pendant quelque temps après avoir mis en ébullition l’Assemblée nationale, je tiens à prendre quelques minutes pour rappeler calmement le contexte et les enjeux.

Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2022 sont responsables d’une dégradation sans précédent des finances publiques de notre pays.

Je me dois de citer, pour l’édification de notre assemblée, ces propos de Bruno Le Maire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Devant la mission d’information de la commission des finances du Sénat sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, celui qui était alors ministre de l’économie et des finances déclarait le 30 mai 2024 : « Vous laissez entendre que tous les signaux étaient au rouge à l’automne 2023… […] Tous les indicateurs n’étaient pas négatifs, comme je l’ai démontré. […] Les recettes d’impôt sur le revenu, de TVA, étaient supérieures aux prévisions […] tandis que les chiffres de croissance […] étaient meilleurs qu’attendu. Il n’est donc pas possible d’affirmer que tous les feux étaient au rouge fin 2023 […], car cela ne correspond pas à la réalité des faits. »

Est-ce bien le même ministre des finances qui prenait la plume, en cet automne 2023, pour écrire au Président de la République : « Je tiens à vous alerter sur les risques de dérive de nos comptes publics et de dégradation de notre notation souveraine. […] À ce jour, aucune exécution n’est garantie. Cette dérive nous éloigne de notre objectif de 4,4 % de déficit public en 2024 » ?

Monsieur le ministre, madame la ministre, il est temps de le reconnaître : le Gouvernement a alors menti à la représentation nationale.