M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous enchaînons cet automne les textes budgétaires difficiles, cette mission porte l’effort budgétaire le plus significatif du projet de loi de finances pour 2026.
La situation de nos finances publiques et les décisions qu’elle nous contraint à prendre n’enchantent effectivement personne et, en responsabilité, nous obligent à examiner les dépenses de manière pragmatique.
Si la baisse est nécessaire, elle mérite toutefois une pluriannualité et une pente plus douce, afin d’impliquer les acteurs et de leur donner de la visibilité. Pour autant, si des économies doivent être réalisées, elles doivent épargner au maximum ce qui contribue efficacement à l’insertion par l’emploi.
Pour 2026, les crédits de cette mission sont en baisse de 2,4 milliards d’euros, soit près de 12 %, ce qui les fait revenir à leur niveau de 2021, après une augmentation poursuivie jusqu’en 2024. Seuls les crédits consacrés à l’indemnisation des demandeurs d’emploi sont en augmentation, en prévision d’une hausse du chômage attendue en 2026. C’est une raison supplémentaire, peut-être, de faire porter l’effort sur l’insertion vers l’emploi.
Notre groupe, qui se veut responsable, ne refuse pas a priori et par principe les baisses de dépenses ; il souhaite l’effort de tous en proportion de ses capacités et examine chaque proposition sous un angle pragmatique et non idéologique.
Toutefois, je prônais il y a quelques jours, lors de l’examen du projet de budget de la sécurité sociale, un retour à l’équilibre des comptes en misant en grande partie sur le retour au travail et la préservation de notre modèle social en travaillant plus et mieux.
Le projet de budget qui nous est présenté ici nous apparaît donc difficile et en décalage, car il ne permet pas le nécessaire retour à l’emploi de ceux qui en sont éloignés. Il est en décalage également avec ce que nous voyons sur le terrain.
Jeudi dernier, je me suis rendue dans une petite ville du nord de mon département, la Meurthe-et-Moselle, non loin de la frontière luxembourgeoise, pour participer à l’inauguration d’un bac pro dans la rénovation du patrimoine historique, au sein d’une unité de formation par apprentissage quasiment unique à l’échelon national.
Deux élèves y avaient été orientés par leur mission locale du Sud-Ouest. Ils avaient traversé la France pour suivre cette formation, coconstruite avec une entreprise locale, l’entreprise Le Bras Frères, qui a participé notamment à la rénovation de Notre-Dame.
Ce simple exemple montre l’enjeu que représentent pour nos jeunes, mais aussi pour nos entreprises, tout à la fois l’apprentissage et les missions locales.
Nous suivrons sur de nombreux points la ligne de Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, Frédérique Puissat, considérant certaines diminutions trop brutales pour un seul exercice budgétaire.
Tel est le cas de la réduction de 13 % des moyens de fonctionnement des missions locales.
Ainsi, nous défendrons un amendement visant à maintenir l’enveloppe de l’an dernier, laquelle marquait déjà une diminution par rapport à l’exercice précédent. En effet, alors que les besoins augmentent, une nouvelle baisse des crédits risquerait d’allonger les délais et de dégrader la qualité de l’accompagnement, voire de détruire plusieurs centaines d’emplois.
Favoriser l’insertion durable des jeunes nous apparaît indispensable, dans un contexte où le taux de chômage de ces derniers demeure élevé et risque de s’accroître, de même que leur niveau d’incertitude face à l’avenir.
La situation des crédits alloués à l’insertion par l’activité diffère, en ce que leur baisse de 11 % intervient après plusieurs années de forte augmentation. Nous la jugeons toutefois abrupte. Nous défendrons donc un budget plus élevé que ce qui est proposé et examinerons la proposition de Mme la rapporteure pour avis au regard de l’avis du Gouvernement. Si un accord peut être trouvé avec les acteurs concernés sur une perspective pluriannuelle d’efforts soutenables, nous ne nous y opposerons pas.
J’en terminerai en évoquant les deux lignes de crédits sur lesquelles les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen sont les plus réservés : l’apprentissage et l’insertion par l’emploi des personnes handicapées.
En ce qui concerne l’emploi des personnes handicapées, nous défendrons un amendement visant à maintenir le niveau des aides au poste dans les entreprises adaptées.
S’agissant de l’apprentissage, si le soutien public a atteint 16 milliards d’euros cette année, nous ne pourrons approuver les coupes envisagées dans ce texte, alors que les aides à l’employeur ont déjà été réduites de 650 millions d’euros en 2025. Même en tenant compte d’une éventuelle diminution du nombre des contrats en 2026, le budget proposé entraînera nécessairement une nouvelle baisse du montant de l’aide aux entreprises.
Or, comme ils nous le disent souvent sur le terrain, les employeurs ont déjà connu trois montants d’aide différents depuis 2023. Ne sapons pas définitivement leur confiance et laissons-leur de la visibilité. La dynamique favorable à l’apprentissage et la qualité de l’accompagnement des apprentis sont des éléments précieux pour l’insertion professionnelle du jeune, dont le retour au travail reste essentiel.
Dans le même esprit, nous nous opposerons à la suppression de l’aide de 500 euros au permis de conduire pour les apprentis de plus de 18 ans.
Pour ma part, j’étais même favorable à son extension aux jeunes de moins de 17 ans et j’avais interrogé le Gouvernement à ce sujet, mais il faut savoir raison garder… (Sourires.) En effet, cette perte nuirait à la mobilité des apprentis, notamment dans les zones rurales ou périurbaines, où le permis reste essentiel pour trouver un emploi ou s’y maintenir.
Mes chers collègues, si notre groupe souhaite encourager toutes les initiatives en faveur d’une plus grande efficience de nos politiques publiques, les coupes proposées dans les crédits de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » nous paraissent importantes et abruptes. Elles mériteraient d’être envisagées dans une perspective pluriannuelle. Le retour vers l’emploi doit être accompagné, soutenu et envisagé comme un investissement nécessaire pour l’avenir de notre pays.
Nous porterons sur les amendements un regard attentif et pragmatique.
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur spécial applaudit également.)
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier nos collègues rapporteurs de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » de la qualité de leurs travaux.
Respecter la valeur travail suppose de respecter la trajectoire financière de l’État, car les crédits que nous répartissons sont le produit du travail des Français.
Avant d’aborder les programmes de la mission, je voudrais rappeler quelques éléments généraux.
Nous poursuivons les mêmes objectifs que le Gouvernement : renforcer les outils d’insertion professionnelle, dynamiser la négociation collective et améliorer les conditions du dialogue social.
Les crédits de paiement de la mission pour 2026 s’élèvent à 17,65 milliards d’euros, soit une diminution de 11,8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2025. Cette évolution traduit un effort réel de maîtrise de la dépense, afin de revenir à un niveau plus conforme aux orientations macroéconomiques et au cadrage établi avant la crise sanitaire. Nous devons collectivement retrouver un équilibre, après plusieurs années exceptionnelles.
Cependant, cet effort ne doit pas nous conduire à ignorer les réalités du terrain. Nous pouvons faire mieux avec moins, si les moyens sont adaptés et bien ciblés. Monsieur le ministre, vous pourrez compter sur le Sénat pour rappeler cette exigence de cohérence.
Certaines baisses pourraient être porteuses de risques si elles ne sont pas accompagnées des garanties nécessaires. Je pense, notamment, aux aides aux employeurs en matière d’apprentissage ou d’emploi des jeunes, dont la diminution importante en 2026 pourrait fragiliser l’élan récent ; j’y reviendrai.
Monsieur le ministre, France Travail ne doit pas subir d’injonctions paradoxales, pour reprendre les mots de Mme la rapporteure pour avis, au moment où la situation de l’emploi se tend. Ainsi, après plusieurs trimestres de hausse, les inscriptions à France Travail demeurent à un niveau élevé, et les nouveaux publics issus de la réforme du revenu de solidarité active (RSA) ou du contrat d’engagement jeune (CEJ) ont besoin d’un accompagnement renforcé.
Dans ce contexte, la diminution des effectifs de l’opérateur, telle qu’elle est envisagée, nous semble devoir être réexaminée, surtout à la lumière des attaques massives et répétées, ainsi que des piratages de données, dont il a été la cible. C’est pourquoi nous soutiendrons la proposition visant à stabiliser le plafond d’emploi, afin de permettre un accompagnement à la hauteur de tous les enjeux.
Nous sommes également attentifs aux moyens alloués aux contrats d’engagement jeune et aux missions locales, acteurs indispensables au soutien des publics les plus fragiles.
S’agissant du programme 102, « Accès et retour à l’emploi », qui permet d’accompagner les personnes les plus éloignées de l’emploi, les crédits diminuent de 4,3 % en 2026. Il faut procéder à une telle baisse de manière prudente, au moment même où les indicateurs du chômage des jeunes repartent à la hausse. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) observe, notamment, que le chômage des moins de 25 ans progresse, sur un trimestre, toutes catégories confondues. Nous devons éviter de fragiliser des dispositifs essentiels pour ces publics.
Nous sommes également vigilants concernant les moyens alloués à l’insertion des personnes en situation de handicap et à l’insertion par l’activité économique (IAE). En effet, si cette dernière a connu une croissance importante depuis 2018, la baisse proposée pour 2026 doit s’accompagner d’une trajectoire claire et partagée avec les acteurs. C’est pourquoi nous voterons l’amendement de Mme le rapporteur pour avis visant à rétablir des crédits adaptés, en cohérence avec les engagements pris.
Enfin, l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) doit continuer à être évaluée avec rigueur. La proposition est, certes, intéressante, mais elle doit respecter la clause de non-concurrence et ne pas fragiliser les autres opérateurs, surtout au regard du coût du dispositif. Une montée en charge maîtrisée et limitée reste donc nécessaire à ce stade.
S’agissant de la formation professionnelle et de l’apprentissage, nous devons dépasser la seule logique budgétaire. Ce dernier est un investissement de 16 milliards d’euros, essentiel pour l’avenir des jeunes et la compétitivité de nos entreprises. Cette politique a démontré son efficacité ; il est indispensable de ne pas casser sa dynamique.
Le Gouvernement annonce une rationalisation des aides versées aux employeurs, notamment pour les niveaux de formation les plus élevés.
Cette intention peut s’entendre, mais nous devons veiller à ce qu’une telle baisse de crédits ne conduise ni à fragiliser les filières ni à brider les ambitions des jeunes. Les prévisions en termes d’effectifs des apprentis pour 2026 devront être réalistes et actualisées. Je rappelle que, en 2025, une réduction de 650 millions d’euros des aides avait déjà été votée. La poursuite de cet effort en 2026 doit donc s’accompagner d’une trajectoire de long terme.
En outre, la suppression de l’aide de 500 euros pour le permis de conduire nous invite à une réflexion d’ensemble, notamment au regard des annonces du Président de la République sur les voies nouvelles d’accès au permis. Il serait cohérent de préserver les moyens permettant à tous les jeunes, y compris les apprentis, de lever un obstacle majeur à l’insertion professionnelle.
J’en arrive, enfin, à France Compétences, dont le déficit structurel doit conduire à un recentrage des missions, conformément au cadrage pluriannuel.
Le programme 111, « Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail », voit ses crédits baisser, mais continuera à bénéficier du soutien de l’État dans le cadre du cinquième plan Santé au travail pour 2026-2030 (PST 5). Ce dernier est un levier important de prévention des risques professionnels et d’amélioration durable de la qualité de vie au travail.
Le programme 155, « Soutien des ministères sociaux », bénéficie de crédits en hausse de 2,8 %, un effort que nous saluons, tant il est nécessaire dans un contexte de transformation profonde des politiques publiques.
Au total, comme je l’ai rappelé, les crédits de la mission atteignent 17,65 milliards d’euros en 2026. La baisse des fonds alloués aux programmes 102, « Accès et retour à l’emploi », et 103, « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi », se poursuit, prolongeant la trajectoire engagée dès 2025.
Cette évolution marque clairement le retour à une discipline budgétaire plus conforme au cadrage déterminé en 2022 et à la sortie progressive des mesures exceptionnelles liées à la crise sanitaire.
Cinq ans après le « quoi qu’il en coûte », nous retrouvons une logique plus soutenable. Comme l’écrivait le Nivernais Romain Rolland : « L’équilibre est la règle souveraine des plus grands comme des plus petits ».
Sous réserve de l’adoption de certains amendements, le groupe Union Centriste votera en faveur des crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur spécial applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette année, la situation budgétaire particulièrement alarmante appelle à une exigence certaine en matière de réduction des dépenses.
Rappelons, tout d’abord, que le budget de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » s’est considérablement accru entre 2019 et 2024, de plus de 60 %.
Toutefois, l’on ne saurait répondre à la nécessité bien réelle de baisser certaines dépenses au détriment de politiques menées avec fruit depuis longtemps. Je songe, bien entendu, à l’apprentissage. On peut souligner que la politique de ces dernières années fut une réussite – elle l’est toujours –, avec un nombre de contrats passé de 320 000 en 2018 à plus de 880 000 en 2024. L’apprentissage est une force, voire une nécessité, pour nombre de nos entreprises.
L’année dernière, afin d’assurer un meilleur ciblage des dépenses, nous avions soutenu la proposition de M. le rapporteur spécial, Emmanuel Capus, visant à plafonner les niveaux de prise en charge des formations de niveau licence, master et doctorat.
Cette année, les crédits consacrés à l’aide aux employeurs d’apprentis diminuent de plus de 30 %, conséquence en 2026 de la réforme du barème de ladite aide. Toutefois, il semble que le nombre réel d’entrées en apprentissage sera supérieur aux prévisions du Gouvernement. Sur ce point, monsieur le ministre, nous sommes preneurs de chiffres, pour rassurer tant les entreprises que les apprentis.
J’en arrive aux missions locales. Je crois qu’elles nous ont tous sollicités, dans cet hémicycle, quant au risque de leur disparition et aux inquiétudes qu’elles ont fait remonter depuis les territoires.
En effet, pour 2026, le Gouvernement prévoit une baisse de 13 % des moyens qui leur sont alloués, laquelle fait suite à une diminution de 5 % dans le projet de loi de finances de l’année dernière. Il nous faut entendre leurs inquiétudes, même si s’interroger sur les missions et les organisations que nous finançons est tout à fait louable.
De même, l’insertion par l’activité économique enregistre une baisse sévère de 11 % de ses crédits. Il faut toutefois être transparent et rappeler que, entre 2018 et 2024, ceux-ci avaient augmenté de plus de 78 %.
Dans l’ensemble, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiennent la tendance à la baisse globale des crédits de cette mission, tout en restant attentifs aux diminutions trop brutales concernant certains acteurs.
Pour conclure, comme vous le savez, mes chers collègues, notre groupe estime que la dépense d’argent public doit toujours être pertinente, et encore davantage cette année eu égard au contexte.
Aussi estimé-je, personnellement, que l’efficacité de certains acteurs mériterait d’être davantage évaluée, afin de mieux cibler les dépenses publiques. En effet, il est tout à fait normal que nous cherchions à rationaliser au mieux nos organisations. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, les crédits demandés pour 2026 au titre de la mission que nous examinons s’élèvent à 17,65 milliards d’euros, soit une baisse de 11,8 %, une proportion semblable à celle qui nous avait été proposée l’an passé.
Cependant, il est important de le rappeler, de 2019 à 2024 le budget de cette mission avait augmenté de 60 %. Cette décroissance bienvenue doit désormais être pilotée, afin de ne pas nuire aux politiques publiques déjà en vigueur et de gagner en efficience.
Je salue notre rapporteure pour avis, Mme Frédérique Puissat, pour son travail. En commission des affaires sociales, c’est parce que nous avons gardé à l’esprit le contexte économique que certaines diminutions de crédits nous ont paru trop brutales, monsieur le ministre, du moins dans la mesure où elles auraient lieu sur un seul et même exercice budgétaire.
En effet, l’année 2025 a été marquée par l’entrée en vigueur des principales mesures de la réforme de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, telles qu’elles sont prévues par la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, chère à Pascale Gruny.
Ainsi, l’inscription sur les listes de France Travail de tous les bénéficiaires du RSA est effective. L’accompagnement de ces derniers se poursuivra en 2026. Dans ce contexte, l’opérateur bénéficie de moyens budgétaires en très légère augmentation. En revanche, s’agissant des moyens humains à sa disposition, prenons garde à ne pas placer France Travail devant des injonctions contradictoires.
En effet, comme je le soulignais à l’instant, la loi pour le plein emploi a considérablement ajouté aux missions dévolues à l’opérateur. Par conséquent, la suppression de 515 équivalents temps plein travaillé (ETPT) dès l’année prochaine risquerait de restreindre le nombre de bénéficiaires du RSA accompagnés ou de mettre à mal l’exercice des missions de lutte contre les comportements abusifs.
C’est pourquoi un amendement visant à revenir sur cette diminution, afin de stabiliser les effectifs de France Travail, sera présenté au nom de la commission des affaires sociales.
S’agissant des autres acteurs de l’insertion dans l’emploi, nous avons validé la tendance à la baisse des crédits demandés. Toutefois, il nous semble que les efforts demandés pour 2026 sont trop importants et se feraient au détriment de l’insertion dans les territoires.
Par exemple, les crédits du programme 102 supportent une réduction de 13 % des moyens de fonctionnement alloués aux missions locales. Cette diminution risque de fragiliser l’accompagnement mené par ces acteurs incontournables. Nous proposons donc d’augmenter de 77 millions d’euros les fonds qui leur sont destinés, afin de maintenir l’enveloppe au niveau voté l’an passé. Personnellement, j’ai été saisi par plusieurs missions locales du Gard.
Précisons d’emblée que de telles augmentations de crédits, dans un contexte contraint, seraient compensées par une réduction du volet national du plan d’investissement dans les compétences (PIC), dont le manque de lisibilité quant à ses effets réels sur les entrées en formation et la complexité du pilotage budgétaire ont souvent été pointés par notre commission des affaires sociales, ainsi que par la Cour des comptes.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis. Très bien.
M. Laurent Burgoa. Enfin, mes chers collègues, nous aurons l’occasion d’échanger sur les moyens consacrés à la formation professionnelle, notamment à l’apprentissage. Sur ce point, gardons à l’esprit que les employeurs ont besoin de stabilité, afin d’être incités à s’inscrire dans une telle démarche.
Je ne puis que vous inviter, mes chers collègues, à suivre les orientations décidées en commission des affaires sociales.
Je remercie nos rapporteurs de leur travail et leur disponibilité. Le groupe Les Républicains votera pour les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicain, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Michel Masset applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission que nous examinons n’est pas n’importe laquelle pour nos concitoyens, puisqu’il s’agit de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ».
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, elle fait l’objet de 17,65 milliards d’euros de crédits de paiement, soit une baisse sensible de 11,8 % par rapport à l’année dernière. Si elle peut susciter des interrogations, cette diminution ne résulte cependant pas d’un désengagement de l’État. Elle traduit plutôt un recentrage de nos politiques, dans un contexte de chômage au plus bas depuis quinze ans, évalué, je le rappelle, à 7,5 % au deuxième trimestre 2025.
À ce sujet, j’attire votre attention sur deux points.
D’une part, concernant le programme 102, « Accès et retour à l’emploi », malgré le contexte de chômage historiquement bas que je viens de mentionner, près d’un quart des demandeurs d’emploi le sont depuis plus d’un an, le taux de chômage chez les 15-24 ans s’élève à 19 % et l’accès au marché du travail reste plus difficile pour les personnes en situation de handicap. Je précise, en outre, que ces taux sont bien plus élevés en outre-mer avec, par exemple, plus de 50 % de chômeurs dans certaines petites communes de La Réunion.
D’autre part, le programme 103, « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi », en nette diminution cette année, en grande partie en raison du recul des aides aux employeurs d’apprentis, demeure pourtant un instrument stratégique pour soutenir les transitions professionnelles, renforcer les filières d’avenir et sécuriser les parcours.
Au-delà des lignes budgétaires, nous devons nous souvenir du rôle de cette mission.
Cette mission, c’est d’abord l’insertion et le maintien dans l’emploi des publics les plus fragiles. C’est au travers des crédits qui lui sont alloués qu’est financé l’accompagnement des demandeurs d’emploi de longue durée, des jeunes sans qualification, des allocataires du RSA et des personnes en situation de handicap.
Cette mission, c’est ensuite l’apprentissage, qui a profondément changé le visage de la formation en France depuis 2018. Les aides aux employeurs et les exonérations sociales ont permis d’atteindre des niveaux historiques : plus d’un million de jeunes formés chaque année.
Cette mission, c’est encore notre capacité à accompagner les reconversions, préserver l’emploi lors d’un choc économique, former dans les secteurs stratégiques tel que le nucléaire, le maritime, le ferroviaire ou l’hôtellerie-restauration.
Sans cette mission, les mutations économiques seraient subies et jamais anticipées. Les réajustements proposés par le Gouvernement répondent donc à des réalités, dont la baisse tendancielle du chômage, les excès de certains dispositifs et la nécessité de maîtriser notre déficit.
Toutefois, nous devons aussi entendre les inquiétudes fortes des acteurs de terrain : celles des missions locales, qui redoutent un affaiblissement du contrat d’engagement jeune ; celles des entreprises adaptées et de l’insertion par l’activité économique, pour lesquelles une baisse trop brutale des crédits remettrait en cause des parcours d’insertion déjà fragiles ; celles du monde de l’apprentissage, inquiet des effets cumulés de la réduction des aides et des exonérations.
Notre rôle, c’est d’éviter que les corrections nécessaires ne deviennent des ruptures et de veiller à ce que la trajectoire budgétaire ne compromette ni la réforme de France Travail ni la capacité d’accompagner les publics les plus éloignés de l’emploi, ni la dynamique de montée en compétences de notre économie.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants défendra donc des mesures de réajustement responsables et votera pour les crédits de la mission.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent texte s’inscrit, malheureusement, dans la droite ligne du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, tel qu’il a été déposé par le Gouvernement sur le bureau de l’Assemblée nationale en octobre 2025 et amendé et voté par le Sénat la semaine dernière.
Les mantras qui ont présidé à l’élaboration des deux textes sont les mêmes : refus de l’augmentation des recettes et de la mise à contribution des plus riches ; choix du sabrage des dépenses et de l’abandon des plus vulnérables.
Dans le cadre des débats sur le PLFSS, vous démontriez déjà, chers collègues du côté droit de l’hémicycle, votre conviction selon laquelle les grandes fortunes et les très grandes entreprises ne doivent pas participer à l’effort de redressement de la dette publique. Ces dernières contribuent, certes, à l’économie française, mais, selon vous, cela leur confère un véritable totem d’immunité.
Pourtant elles n’ont pas fait que contribuer : elles ont aussi, et surtout, engrangé des bénéfices importants. Et, depuis 2017, bénéficié de réductions fiscales diverses et variées.
Or vous savez, tout comme moi, que les travailleurs contribuent tout autant à l’économie française. N’y a-t-il pas de totem d’immunité pour eux ? Non ! Nous déplorons ce « deux poids, deux mesures ». En effet, dans votre logiciel, chers collègues, les grandes entreprises ont visiblement plus de droits que nos concitoyens, notamment pour ce qui relève de l’impôt et de la possibilité de s’enrichir.
Mon collègue Thierry Cozic ne dénonçait pas autre chose lors de la discussion générale du projet de loi de finances pour 2026. Ainsi, il rappelait la prédilection du Gouvernement et de la droite pour le maintien des aides publiques au secteur privé.
De ces préférences coupables, vous avez fait la démonstration, chers membres de la majorité sénatoriale, puisque vous avez, au cours des derniers jours, supprimé 8 milliards d’euros de recettes fiscales par rapport au texte du Gouvernement. Pour arriver à ce résultat, entre autres exploits, signalons votre rejet de la surtaxe sur les grandes entreprises, pour 4 milliards d’euros tout de même…
Cette baisse spectaculaire illustre votre appétence pour une société structurée autour de la sécession des riches. Par ailleurs, elle jette le doute sur votre souci de la cohésion sociale et du vivre ensemble. Vos choix témoignent d’un sens de la responsabilité particulier : vous acceptez que certains reçoivent plus que ce qui leur est dû, mais pas qu’ils le restituent en cas de crise budgétaire.
Pour notre part, nous en avons pris acte et nous avons voté, ce jeudi, contre la première partie du PLF, relative aux recettes. À présent que nous discutons de sa seconde partie, consacrée aux dépenses, alors que les recettes ont été largement rabotées, qui doit payer ? Toujours les mêmes !
Plus particulièrement, il s’agit des bénéficiaires des politiques publiques financées par les crédits de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux », à savoir les travailleurs, les personnes éloignées de l’emploi et les jeunes à qui est refusée l’occasion d’entrer dans l’emploi.
La mission que nous examinons est ainsi fragilisée de toutes parts. Je vais vous indiquer la manière dont ses crédits devraient évoluer en 2026 par rapport à 2025, où ils étaient déjà insuffisants, si le texte restait inchangé.
Ainsi, pour l’insertion par l’activité économique, on constaterait une baisse globale spectaculaire de près de 30 % du budget.
Pas moins de 60 000 personnes ne seraient plus accompagnées si les choses devaient rester en l’état. David Cluzeau, président de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes), le dénonce : « On est face à un budget d’appauvrissement général, c’est au-delà de l’austérité. Pas un seul secteur de l’ESS n’est épargné. »
Concernant les missions locales, la baisse dramatique des autorisations d’engagement, d’un montant de 77,2 millions d’euros, est telle que ces structures perdraient 1 081 équivalents temps plein, sur un total national d’environ 14 000.
Les jeunes sont particulièrement touchés par les baisses de crédits, non seulement au sein de la présente mission, mais aussi dans tout le PLF. Ainsi, la Banque des territoires souligne que ce texte vise à une baisse significative des objectifs d’entrées en contrat d’engagement jeune, soit 16 160 de moins par rapport à 2025.
France Travail est aussi frappée très négativement, les sommes qui lui seraient allouées étant réduites de 187,54 millions d’euros. Cela devrait se traduire par des suppressions de postes, avec 515 équivalents temps plein de moins en 2026.
Dans ce contexte, quel sera l’avenir d’expérimentations telles que le programme Avenir Pro, mené depuis 2020, dont France Travail est un partenaire incontournable ?
Le journal Les Échos souligne pourtant que, grâce au suivi administratif exhaustif des élèves en bac professionnel permis par cette expérimentation, ces derniers s’en sortent nettement mieux que les autres, notamment dans les territoires ruraux. Ainsi, un an après la fin de leur scolarité, ceux qui ne poursuivent pas leurs études et qui ont bénéficié d’Avenir Pro ont un taux d’emploi supérieur de vingt points aux autres.
Pour ce qui concerne les Territoires zéro chômeur de longue durée, l’expérimentation a bénéficié en 2025 d’un budget maintenu à 79,63 millions d’euros, avec quatre-vingt-trois territoires habilités.
Cependant, en 2026, ce montant subirait une baisse importante, en dépit des engagements de l’État, puisqu’il serait fixé à 68,8 millions d’euros, alors même que de nouveaux territoires ont été habilités en 2025, ce qui induit mécaniquement des dépenses plus importantes.
En outre, je rappelle que l’État s’était engagé à financer cette expérimentation de manière plus ambitieuse que ce qui est prévu dans le PLF 2026, en vertu de la loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée. Cette dernière a étendu l’expérimentation jusqu’en 2026, tout en prévoyant de veiller à la viabilité des emplois créés. On cherche donc la cohérence…
Par ailleurs, la fragilisation de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » traduit les politiques de défiance systématique de l’exécutif et de la majorité sénatoriale vis-à-vis des personnes privées d’emploi. Ces dernières sont systématiquement suspectées de ne pas faire assez d’efforts et d’arbitrer en faveur du loisir, ce dernier fût-il vécu dans la misère.
Cette défiance envers les travailleurs, les chômeurs et les personnes éloignées de l’emploi s’est manifestée de multiples manières depuis 2017.
Ainsi, les réformes de l’assurance chômage ont été marquées par le choix du durcissement et de la dégressivité, avec un allongement de la durée minimale de cotisation. De même, le refus d’offres d’emploi ou de formation, même peu adaptées, entraîne désormais la suspension ou la suppression d’allocations.
Cette évolution, humiliante pour des allocataires qui ont pourtant cotisé afin de bénéficier d’un salaire différé au moment opportun, s’inscrit dans une logique répressive et constitue une double peine pour les personnes éloignées de l’emploi.
Aujourd’hui encore, j’affirme que rien ne peut se faire en réduisant les travailleurs au statut d’unités de production dépouillées de droits.
De manière plus générale, je veux souligner, en m’appuyant sur les propos du philosophe et professeur au Collège de France Alain Supiot, que la flexibilisation de l’emploi, présentée comme un remède au chômage, a en réalité gravement affecté la protection sociale, fragilisé les salariés et mis les travailleurs en concurrence entre eux. Elle a affaibli les solidarités et les actions collectives.
C’est la raison pour laquelle les politiques publiques financées par la mission que nous examinons devraient être revues sous l’angle d’une redéfinition du travail et de la prise en compte de l’état professionnel des personnes. Cette approche permettrait de garantir une continuité du statut social tout au long de la vie, indépendamment des changements de situation : emploi, chômage et formation.
Une telle logique serait cohérente avec l’objectif de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée. Son principe, comme le rappelle une étude dont les conclusions sont parues en 2022 dans la revue Travail et Emploi, vise à l’exhaustivité : tous les chômeurs de longue durée qui se portent volontaires, y compris les « invisibles » qui n’étaient pas inscrits à Pôle emploi, devraient pouvoir en bénéficier, sans sélection préalable, et avec un temps de travail choisi par le travailleur en fonction de ses besoins et de ses contraintes.
Une telle démarche obéit au présupposé, qui est aussi celui de l’IAE et de Chantier école, selon lequel personne n’est inemployable. Ainsi, c’est bien le marché du travail qui dysfonctionne, et non les personnes. Sans minimiser les efforts que chacun doit accomplir, c’est à la collectivité de se mobiliser pour mettre fin à des modes d’organisation défaillants, qui font des individus le problème.
La logique d’accompagnement de chacun et d’insertion par le travail a émergé par nécessité dans les années 1970, lors de l’apparition du chômage de masse. Désormais, le Gouvernement lui tourne le dos avec son projet de budget, alors que le besoin n’en a pas disparu !
Je relève les efforts de Mme le rapporteur pour avis tendant à rétablir un certain nombre de crédits. Cependant, cela se fait au détriment des PIC, les plans d’investissement dans les compétences, ce que nous ne pouvons accepter. Nous ne voterons donc pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Thomas Dossus applaudissent également.)