Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Questions d'actualité au Gouvernement
dermatose nodulaire contagieuse
incendie criminel au lycée champollion de dijon
difficultés d'accès au label « reconnu garant de l'environnement » pour les artisans
projet de loi de finances pour 2026 (i)
enjeux de la santé mentale en outre-mer
projet de loi de finances pour 2026 (ii)
fonction publique dans les outre-mer
projet de loi de finances pour 2026 (iii)
programmation pluriannuelle de l'énergie
projet de loi de finances pour 2026 (iv)
projet de loi de finances pour 20226 (v)
état des négociations sur le mercosur
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
Dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Sécurisation des marchés publics numériques
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli
Vote sur la déclaration du Gouvernement
Présidence de M. Gérard Larcher
1
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
J'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à respecter nos valeurs essentielles : le respect des uns et des autres, mais aussi, plus prosaïquement, celui du temps de parole.
dermatose nodulaire contagieuse
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Médevielle. Madame la ministre, tout a été dit – ou presque – sur la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) : infos, infox et intox… Il n'en demeure pas moins que la DNC est l'une des maladies les plus graves en matière de santé animale.
La situation est explosive sur le terrain. Nos éleveurs du Sud-Ouest – et maintenant de toute la France – sont sur le pied de guerre. Les mesures sanitaires sont très difficiles à accepter.
L'épizootie qui a repris en Ariège et en Haute-Garonne s'étend en effet aux départements voisins. Nous avons été pris de vitesse par le virus et, faute d'une communication et d'une pédagogie suffisantes, nous avons perdu la bataille des médias : tout le monde s'insurge contre les abattages, en invoquant des arguments plus ou moins farfelus.
Le dépeuplement complet d'un troupeau est un choc terrible pour les éleveurs. Madame la ministre, vous n'êtes pas sans savoir que les revendications dépassent désormais la seule problématique de l'abattage de bovins. Ne pensez-vous pas que la communication de votre ministère a été insuffisante ? Face à cette situation, que vous ne maîtrisez plus, comment comptez-vous reprendre la main ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, merci de votre question sur ce sujet, qui, hélas ! occupe l'actualité depuis quelques jours.
Hier, sur l'initiative du Premier ministre, le Gouvernement a tenu deux réunions de crise exceptionnelles, parce que nous sommes dans un moment stratégique, où il importe d'ériger la vaccination de masse en priorité nationale.
Monsieur le sénateur, vous êtes, je crois, vétérinaire… (M. Pierre Médevielle fait un signe de dénégation.) Ou peut-être est-ce l'un de vos collègues qui doit m'interroger plus tard…
M. le président. Il est derrière vous ! (Rires et applaudissements.)
Mme Annie Genevard, ministre. Monsieur le président du Sénat, je sais trouver en vous une oreille attentive. (Sourires.)
Monsieur le sénateur, nous devons procéder à une vaccination massive, rapide et départementalisée, sous l'autorité d'un préfet chargé de coordonner les campagnes de vaccination. Nous disposons de suffisamment de doses : nous pourrons compter sur 900 000 doses pour vacciner 750 000 bovins.
Dans le cas de l'Ariège, j'ai demandé que les bêtes des mille exploitations que compte le département soient vaccinées avant la fin du mois de décembre. Nous procéderons de même, avec la même rapidité, pour l'ensemble des départements qui sont concernés par la zone vaccinale et la zone réglementée.
Par ailleurs, nous avons mobilisé une force vétérinaire puissante, en faisant appel à des professionnels retraités, à des libéraux, ou encore à des vétérinaires d'État et de l'armée. Nous avons bien sûr besoin de vaccins, mais aussi de bras pour vacciner.
Nous avons également renforcé les contrôles. En effet, la propagation de la maladie ne s'explique pas par un manque d'information, monsieur le sénateur. Nous avons informé massivement. Elle est due à une absence de discipline individuelle et collective. Chacun doit respecter les consignes de limitation de mouvements.
Enfin, nous avons créé une aide pour les petits éleveurs de la zone réglementée, qui sont fragilisés par cette crise. Nous déploierons des allégements de charges sociales et fiscales, et un fonds de soutien de plus de 10 millions d'euros, pour ne laisser personne sur le bord du chemin.
J'en suis persuadée, nous surmonterons cette terrible crise sanitaire, comme nous avons su vaincre, par le passé, toutes les grandes épizooties qu'a connues le monde de l'élevage, dont il s'est toujours relevé avec courage.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Annie Genevard, ministre. Sachez-le, monsieur le sénateur, nous sommes totalement et prioritairement mobilisés pour faire reculer ce virus. L'objectif est clair : l'éradiquer ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Fabien Genet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour la réplique.
M. Pierre Médevielle. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Les éleveurs qui sont touchés par la crise ou qui vont l'être ont certes besoin d'attention, de compassion, et de mesures fiscales et financières comme celles que vous venez d'annoncer, ce dont je vous remercie en leur nom. Mais ce qu'ils veulent avant tout, c'est parler de l'avenir.
C'est pour cette raison que les agriculteurs d'Occitanie vous ont invitée à revenir à leur rencontre pour dialoguer et aborder des lendemains qui s'annoncent si difficiles.
La dimension humaine de la crise n'a pas été suffisamment bien appréhendée. C'est regrettable, et cela a entraîné quelques débordements. Nous devons aider les éleveurs à franchir ce cap difficile. Pour cela, ils ont besoin de clarté, d'attention, et, surtout, d'un accompagnement de tous les instants.
Voilà ce qu'ils attendent de nous. Madame la ministre, nous n'avons pas le droit de les décevoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
crise agricole (i)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Ma question s'adresse à monsieur le Premier ministre.
Une fois encore, le monde agricole est au cœur d'une crise très profonde. L'Occitanie est l'épicentre d'un vaste mouvement de colère : l'Ariège, la Haute-Garonne, les Hautes-Pyrénées et bien d'autres départements sont touchés par la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Des éleveurs crient leur détresse…
Cette crise sanitaire se déroule avec le Mercosur en toile de fond.
Les pouvoirs publics mettent en avant le principe de souveraineté alimentaire. Faut-il rappeler qu'il ne s'agit pas que d'un concept ? Sans exploitants, pas d'agriculture, pas de produits agricoles, et donc plus de souveraineté alimentaire !
Alors, je le dis avec gravité, les réponses apportées dans l'urgence ne sauraient faire office de stratégie durable. Il n'est plus possible d'attendre que les agriculteurs soient aux abois pour voler à leur secours !
Il n'est plus acceptable de laisser des exploitations disparaître et d'importer des produits agricoles labélisés « moins-disant » jusqu'à en déséquilibrer notre balance commerciale agroalimentaire.
Il est intolérable d'apprendre le suicide d'un exploitant parce qu'il est dans l'impasse morale et financière.
Et il n'est pas tenable de laisser les vétérinaires en première ligne au milieu d'une crise à la charge émotionnelle aussi forte.
La crise de la DNC, au regard de la faiblesse des signaux d'alerte, démontre un véritable échec en matière de gestion de crise. Faute d'anticipation, la décision de l'abattage systématique tombe comme un couperet. Nous voyons tous le résultat : des barrages et une révolte contagieuse !
Un travail doit être fait en amont. Il convient à la fois d'accentuer la recherche pour trouver d'autres voies que l'abattage total d'un cheptel, d'écouter les exploitants à l'échelle la plus fine possible, et de conduire une expérimentation territoriale de nouveaux protocoles.
Monsieur le Premier ministre, comment le Gouvernement entend-il répondre à la nécessité de nous armer en amont pour anticiper et gérer les crises que nous ne manquerons pas de connaître encore et encore ? Face à l'ampleur de la crise, c'est à vous, monsieur le Premier ministre, d'adresser aux éleveurs un message fort. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Madame la présidente Carrère, je vais commencer par la fin de votre question. Pour mieux préparer les crises de demain, et je sais qu'il existe au Sénat un consensus sur le sujet, nous allons devoir mener un combat politique, intellectuel et culturel pour préserver la foi dans la science et dans les scientifiques.
M. François Patriat. Très bien !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. En effet, de nouvelles pathologies vont émerger à cause du réchauffement climatique. Elles toucheront les êtres humains, mais aussi les animaux, qu'il s'agisse de bétail ou d'animaux de compagnie. Dans les temps qui viendront, la place centrale de la recherche et de la science devra être réaffirmée.
Cela étant dit, votre question me donne l'occasion de faire le point, dans la continuité des propos d'Annie Genevard, sur les politiques que déploie le Gouvernement en Occitanie et, plus globalement, dans le Sud-Ouest. Notre action porte non seulement sur les zones où des foyers de contamination ont été mis au jour, mais aussi dans les zones voisines. L'objectif est de créer un cordon sanitaire pour protéger le bétail, mais aussi nos éleveurs.
Comme l'a dit la ministre de l'agriculture, notre priorité est la vaccination. Nous disposons déjà de 500 000 doses, et 400 000 autres ont été commandées. L'acheminement représente un défi logistique important. À cet égard, je tiens à remercier les armées françaises, qui concourent largement au conditionnement et à l'acheminement, par voie aérienne militaire et par voie terrestre, de ces vaccins.
Les doses doivent être rendues disponibles au plus près de chaque élevage. C'est déjà le cas dans plusieurs départements et, dès demain, un réassort important va permettre une montée en puissance significative du dispositif.
Au-delà des doses, nous devons répondre au défi des bras : le président du Sénat nous ayant rappelé qu'il était derrière nous, je tiens à dire que nous devons tous nous tenir derrière nos vétérinaires, qui subissent des menaces absolument inacceptables. (Applaudissements.)
Nous ne pouvons faire face à une épizootie sans faire confiance à la science, et en premier lieu à cette profession, qui se mobilise de manière admirable et remarquable. Non seulement les vétérinaires en activité, mais aussi, monsieur le président, les vétérinaires retraités, les élèves vétérinaires qui sont encore en école, ou même les vétérinaires des armées se mobilisent. Dès demain, vingt vétérinaires militaires et trois cent quarante-sept vétérinaires issus des corps de sapeurs-pompiers vont ainsi se déployer sur la zone.
Notre politique de vaccination doit être véritablement départementale : à la main des préfets, en lien avec les présidents de chambre d'agriculture, les groupements de défense sanitaire (GDS) et l'ensemble des représentations syndicales. De la sorte, nous pouvons déployer des actions sur-mesure et ne manquer de rien.
La montée en puissance du dispositif va se poursuivre jusqu'à la fin du week-end, conformément aux instructions que nous avons données aux préfets. Monsieur le ministre des relations avec le Parlement, monsieur le sénateur de l'Ariège, la vaccination des bêtes des mille exploitations de l'Ariège d'ici au 31 décembre de l'année est un objectif clé et nous l'atteindrons. Le préfet coordinateur organisera notre réponse.
Par ailleurs, nous devons veiller, mesdames, messieurs les sénateurs – j'entre dans les détails, mais je sais que ces questions comptent pour vous – à ce que les interdictions de transport de bétail soient respectées. Si le virus se propage, c'est bel et bien qu'un certain nombre d'acteurs ont malheureusement contourné les interdictions.
Sans montrer personne du doigt, il me faut bien appeler chacun à faire preuve de responsabilité : il est inacceptable que des éleveurs qui respectent les règles subissent non pas des désagréments, mais de véritables drames parce qu'une infime minorité refuse d'appliquer la moindre de ces règles. Des instructions ont donc été données pour l'éviter.
Madame la présidente Carrère, vous nous invitez à poursuivre notre politique de gestion de crise et à répondre aux attentes du terrain. À cet égard, il est urgent de se pencher sur les effets de la vaccination. Je pense en particulier aux répercussions économiques pour certains éleveurs et certains territoires, notamment celles qui sont liées aux conséquences sur les exportations.
L'exemple de la Savoie est éloquent : les broutards font souvent un aller-retour en Italie ou en Espagne à des fins d'engraissement. Il est donc indispensable de discuter avec Rome, Madrid, mais aussi Bruxelles, pour donner de la visibilité sur le statut à l'export de ces bêtes, une fois qu'elles auront été vaccinées.
J'ai demandé au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, aux ministres délégués chargés du commerce extérieur et de l'Europe et, évidemment, à la ministre de l'agriculture, qui l'est déjà pleinement, de se mobiliser. Ce besoin de visibilité est une priorité, comme en témoignent les saisines qui nous ont été adressées encore ce matin depuis l'Aveyron et ailleurs.
Enfin, monsieur le sénateur Médevielle, vous avez interrogé la ministre de l'agriculture sur les mesures d'accompagnement. Nous avons instauré des exonérations de cotisations sociales, nous défiscalisons les aides, et nous accordons des aides à la trésorerie, mais cela ne suffit pas. Aussi avons-nous débloqué un premier fonds d'urgence de 10 millions d'euros.
Je souhaite que ce fonds soit le plus territorialisé possible : il sera à la main des préfets pour qu'ils mènent des actions sur-mesure, notamment à destination des tout petits élevages. Nous le voyons, les toutes petites structures familiales – n'entendez rien de péjoratif dans ce qualificatif, au contraire – sont les plus exposées. Nous devons donc disposer d'un outil adapté et, surtout, réactif.
La rapidité avec laquelle nous allons aider ces exploitations jouera un rôle clé dans notre réponse, que ce soit pour leur devenir, pour le moral et le respect des éleveurs, mais aussi pour la relation entre l'État et ces derniers. D'autres mesures sont à venir. Je pense notamment aux politiques qui permettront aux éleveurs de reconstituer leur cheptel.
En effet, ce que veut un éleveur, au-delà des aides, c'est avant tout de pouvoir redémarrer très vite son activité. À cet égard, nous devrons très vite appliquer sur le terrain ce qui a été prévu au sujet des génisses. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
crise agricole (ii)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Jean-Jacques Michau. Je veux, en préambule, affirmer mon soutien total et indéfectible aux éleveurs frappés par la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), comme l'ont fait les deux cents élus rassemblés lundi à Foix. Nous avons tous été profondément choqués de voir des scènes montrant les forces de l'ordre face à des agriculteurs éprouvés, inquiets et à bout.
Madame la ministre, vous êtes venue à Toulouse pour répondre à ce malaise, mais la réunion à laquelle vous avez participé n'a pas satisfait la profession et a entraîné de nouvelles mobilisations.
Vous avez annoncé la création d'une cellule de dialogue scientifique. Dans ce cadre, les propositions des chambres d'agriculture de Haute-Garonne et d'Ariège et celles des syndicats seront-elles étudiées, dès lors, bien sûr, qu'elles ne remettent pas en cause l'expertise scientifique ?
Vous avez répondu hier à une demande forte des éleveurs en intensifiant la vaccination. C'est en effet l'un des principaux leviers pour répondre à la crise. À cet égard, je veux saluer l'engagement des vétérinaires, qui sont pleinement mobilisés.
Madame la ministre, vous avez annoncé que des aides financières seraient attribuées aux éleveurs dont les troupeaux ont été abattus. Dans quels délais les versements seront-ils effectués ? Par ailleurs, à quelles aides pourront accéder tous les autres, ceux qui ne pourront ni commercialiser, ni exporter leur bétail, ni éviter des coûts supplémentaires de contention et d'alimentation ?
Madame la ministre, nous le savons, les crises sanitaires vont se multiplier. Quelle politique structurée comptez-vous mener pour soutenir tous nos éleveurs et leur permettre de poursuivre leur activité et de vivre dignement ?
Alors que la tension dans les territoires est nourrie par les inquiétudes autour du Mercosur et de l'avenir de la politique agricole commune (PAC), quelles réponses concrètes apporterez-vous à la détresse réelle et profonde du monde paysan ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Akli Mellouli applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire. Monsieur Jean-Jacques Michau, vous êtes le sénateur de l'Ariège, dont la terre est actuellement éprouvée par la survenue de la dermatose nodulaire contagieuse.
En ce qui concerne votre première question sur le délai de délivrance des indemnisations, les deux premiers éleveurs qui ont été touchés par la maladie ont déjà perçu un acompte. En effet, j'ai tenu à ce que les acomptes puissent être versés aux éleveurs dans les jours suivant la perte de leur troupeau. C'est important.
Bien sûr, cela n'enlève rien à la douleur d'avoir perdu son cheptel, qui est profonde. Venant d'une région d'élevage, je comprends le drame personnel que représente la perte de son cheptel pour l'éleveur et sa famille, mais aussi pour la communauté villageoise.
Pour autant, il nous faut indemniser la perte des bovins, les pertes d'exploitation et la désinfection des bâtiments d'élevage en mobilisant le fonds d'urgence que vient de mentionner M. le Premier ministre.
Quant à la proposition de créer une cellule de dialogue scientifique, que j'ai formulée à la suite de mon déplacement à Toulouse, il s'agit pour le Gouvernement de faire un pas de côté en mettant autour de la table des représentants du monde de l'élevage de la partie de l'Occitanie qui est touchée par la DNC, des personnalités représentatives choisies par la présidente de région et par le préfet de région, et des experts reconnus en matière de santé animale.
L'idée est d'examiner le protocole maison, si je puis dire – par exemple, le protocole ariégeois – avec ceux qui ont un avis autorisé pour le faire, en ayant toujours en perspective la sécurité sanitaire. Je vous remercie d'ailleurs des propos responsables que vous avez eus à cet égard. Ce qui est en jeu, c'est la protection de l'élevage contre cette maladie redoutablement contagieuse et mortelle.
Il s'agirait d'une instance de dialogue et d'échange…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Annie Genevard, ministre. … entre scientifiques et professionnels. J'en attends beaucoup. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
situation agricole en france
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le Premier ministre, alors que, depuis des mois, le monde agricole exprime une colère profonde et légitime, une crise sanitaire majeure frappe désormais nos campagnes et menace directement la sécurité alimentaire du pays.
Partout sur le territoire, des agriculteurs voient leurs revenus s'effondrer, tandis que leurs élevages sont frappés par des crises sanitaires à répétition : grippe aviaire, dermatose nodulaire contagieuse, épizooties non maîtrisées… Les abattages massifs et les mises à l'arrêt des exploitations qui en découlent, et font souvent l'objet d'indemnisations tardives ou insuffisantes, engendrent de la détresse humaine.
Ces situations ne relèvent pas de la fatalité, mais résultent de choix politiques, qui ont affaibli les outils publics de prévention et de gestion des risques sanitaires. La situation est aggravée par une pénurie dramatique de vétérinaires, en particulier dans les zones agricoles. La prévention recule, les soins sont retardés, la surveillance sanitaire se dégrade. Les exploitations sont fragilisées, mais aussi la sécurité sanitaire des aliments, la santé animale et, in fine, la santé publique.
La politique agricole commune (PAC) est au cœur de cette impasse. Elle subventionne principalement en fonction de la surface de l'exploitation et du capital, favorisant ainsi la concentration des terres et l'élimination sociale des fermes paysannes, au lieu de garantir des revenus, de l'emploi et une agriculture vivante sur nos territoires.
La PAC post-2027 s'annonce encore plus inquiétante : budgets menacés, mise en concurrence accrue… Le projet de renationalisation risque de transformer définitivement l'agriculture en simple variable d'ajustement économique.
Dans ce contexte, la poursuite des accords de libre-échange et la signature de l'accord avec le Mercosur constitueraient une fuite en avant, qui aurait pour conséquence d'accélérer la disparition de l'élevage paysan et d'affaiblir notre souveraineté alimentaire.
Monsieur le Premier ministre, combien de crises sanitaires devrons-nous encore subir avant qu'il soit décidé d'effectuer un changement de cap réel dans notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Madame la présidente Cukierman, si vous le permettez, je ne répéterai pas ce que je viens de répondre à la présidente Carrère au sujet de la crise vétérinaire. J'apporterai simplement quelques précisions, avant de vous répondre sur le Mercosur et sur la PAC.
En ce qui concerne la crise vétérinaire, heureusement que nous avons augmenté le nombre de vétérinaires formés depuis huit ou neuf ans : par rapport à 2016, ils sont actuellement près de 50 % de plus à sortir d'école, et ils seront 75 % de plus à l'horizon de 2030.
Toutefois, vous avez raison, le sujet n'est pas seulement le nombre de vétérinaires ; c'est aussi leur répartition géographique. Vous le savez bien, vous qui êtes élue d'un département à la fois rural et urbain, la répartition entre les vétérinaires de ville, qui s'occupent principalement des animaux de compagnie, et les vétérinaires en milieu rural, qui s'occupent de l'élevage et travaillent avec nos éleveurs, est une question importante.
Nous allons avoir des discussions en matière de planification avec l'ordre des vétérinaires. Je crois pouvoir déjà tirer comme conclusion temporaire – je le dis en me tournant vers la ministre de l'agriculture – que nous avons besoin de vétérinaires mobiles, de façon à pouvoir nous adapter en fonction de la situation sanitaire. Nous voyons bien que l'avenir sera aux solutions que je qualifierais de « prêt-à-porter », c'est-à-dire taillées en fonction des situations territoriales.
Les questions économiques liées à l'agriculture dépassent le domaine de l'économie : elles posent une question de modèle de société, de relations entre l'agriculteur et le consommateur, d'aménagement du territoire, de protection de l'environnement et, avant tout, de souveraineté. Nous avons beaucoup parlé de défense en début de semaine, mais la souveraineté alimentaire est également un élément clé de notre souveraineté nationale.
Sur le Mercosur, les choses sont claires : vous connaissez les positions du Gouvernement sur le fond ; elles ont largement été expliquées. Le Sénat s'est mobilisé, a discuté, a voté. Si la Commission européenne souhaite passer en force en cette fin de semaine et organiser un vote, la France votera contre le traité du Mercosur. (Applaudissements sur diverses travées.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Bravo !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Cela étant dit, il convient également d'avancer sur la PAC. Je vous remercie de mentionner les négociations sur la réforme de la politique agricole commune, car elles commencent maintenant. Or, comme vous le savez, dans toutes les bonnes négociations, il vaut mieux réussir son entrée en matière. Cela aide à aboutir à un texte plus acceptable, ou, à défaut d'être consensuel, plus efficace.
Sur la politique agricole commune, la France doit dire deux choses dès son entrée dans les négociations, qui vaudront jusqu'à leur terme. Ainsi, il n'y aura pas de surprise, que ce soit pour les partenaires européens ou pour la Commission.
La première tient dans l'intitulé de la PAC : une politique « commune » exclut, par définition, la différenciation par pays. La manière avec laquelle la Commission introduit l'idée qu'une part de la politique agricole commune pourrait être adaptée par pays peut sembler sympathique au premier abord, mais nous savons ce que cela cache.
Ce serait le début d'une concurrence déloyale entre pays. Cela pourrait aussi nourrir la confusion entre les politiques d'accompagnement des ruralités et de l'agriculture, alors que nous savons bien que tout ce qui est agricole n'est pas forcément rural et inversement. La PAC doit rester un outil d'accompagnement de la production.
Voilà le premier point que nous avons rappelé au commissaire européen à l'agriculture, qui est crucial.
Le deuxième fera, j'en suis certain, l'objet d'un consensus au sein de cette assemblée : il ne doit pas manquer un centime sur le programme de la future PAC. Il y va de la relation entre la France et les institutions européennes. En effet, l'histoire de la construction européenne est émaillée de grands marqueurs, qui ne sont pas que symboliques : à l'instar du programme Ariane et de la monnaie unique, la politique agricole commune en est un.
La négociation commence maintenant, et nous aurons besoin de la mobilisation de l'ensemble des groupes politiques du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
incendie criminel au lycée champollion de dijon
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Ma question porte sur l'incendie criminel qui a visé le collège Champollion vendredi dernier, dans le quartier des Grésilles, à Dijon.
Monsieur le ministre de l'intérieur, monsieur le ministre de l'éducation nationale, je tiens tout d'abord à saluer votre présence sur les lieux dès lundi et à vous remercier d'avoir pris des engagements fermes de soutien à ces établissements : une sécurisation renforcée et une reprise rapide de l'enseignement. Ils ont été très appréciés.
Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez qualifié cet incendie et le saccage des locaux d'actes d'intimidation, qui s'attaquent au symbole de la République et, plus encore, aux enfants. Les premiers éléments laissent en effet supposer un lien avec le narcobanditisme qui sévit dans ce quartier depuis plusieurs mois et contre lequel de nombreuses actions, dont deux démantèlements, ont été menées par les forces de l'ordre.
En effet, ce même collège a déjà subi des tirs de mortier il y a quelques mois. La médiathèque, qui se trouve à quelques pas du collège, a également été incendiée en mars dernier, et l'école primaire de ce quartier l'avait été lors des émeutes de 2023.
Les personnels éducatifs, les élus, les habitants et les enfants – surtout les élèves – restent soudés face à ces violences récurrentes et à ces atteintes aux services publics. Je sais que le Gouvernement fera son possible pour aider le conseil départemental et la municipalité et permettre à ces élèves de réintégrer l'établissement au plus vite une fois qu'il aura été sécurisé.
Nous le savons, le ressort du narcotrafic consiste à maintenir la population sous le joug de la peur. Hier, à Marseille, le Président de la République a redit que l'État serait le plus fort et gagnerait sa bataille contre le narcobanditisme, déclarant : « À mesure que l'on serre, ils réagiront. »
Monsieur le ministre, dans le combat de longue haleine qui est engagé par les forces de l'ordre et l'ensemble des services de l'État et des collectivités territoriales, quels sont les moyens mis en œuvre pour soutenir les populations de ces quartiers, qui sont les premières exposées aux pressions quotidiennes des réseaux mafieux, à Dijon comme ailleurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, le ministre de l'éducation nationale et moi-même nous sommes en effet rendus à Dijon, dans le quartier des Grésilles, auprès de la communauté éducative du collège Champollion, qui a été victime d'un incendie criminel. Nous étions accompagnés de nombreux élus dont la maire de Dijon, le président du conseil départemental, François Sauvadet, le président du conseil régional et des parlementaires, dont vous faisiez partie.
Je confirme ce que j'ai déclaré aux médias sur place : nous avons de bonnes raisons de penser qu'il s'agit d'un acte de représailles, en réponse aux coups sévères qui ont été portés au trafic de stupéfiants aux Grésilles depuis de nombreux mois.
Vous le savez, en septembre dernier, nous avons procédé à un démantèlement qui a permis d'interpeller les sept principaux chefs des réseaux de trafic de ce quartier. De ce fait, il n'y existe plus de point de deal. C'est tout du moins ce que les acteurs de terrains nous disent, et en particulier les policiers, ce pour quoi je les ai remerciés.
Le ministre de l'éducation nationale et moi-même allons évidemment accompagner et soutenir la communauté éducative pour que le collège reprenne le plus vite possible son activité.
Ensuite, très concrètement, qu'allons-nous faire pour éviter que le trafic ne se réimplante ? Tout le sujet est là.
Nous allons avant tout continuer notre action, qui est d'abord une action d'occupation du terrain.
J'ai rencontré les effectifs présents sur place de manière permanente. À cet égard, je salue la police municipale de Dijon, qui est également présente aux Grésilles. Ce travail permet de recenser les personnes se livrant aux trafics et de les disperser, donc de rassurer la population.
S'y ajoute le travail de démantèlement ; le travail judiciaire, mené en profondeur. Si de nouveaux réseaux viennent à s'implanter dans ce quartier, nous les démantèlerons sans retard. À cette fin, nous utiliserons tous les outils à notre disposition, dont ceux de la loi de juin dernier visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Ce texte nous permet d'utiliser des techniques spéciales d'enquête renforcées. Surtout, il donne aux préfets les moyens de prendre des mesures de police administrative, par exemple des interdictions de paraître, qui, dans ce quartier, seront très utiles.
Madame la sénatrice, vous pouvez compter sur notre détermination à accompagner la communauté éducative de ce collège et à maintenir l'ordre dans le quartier des Grésilles. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
difficultés d'accès au label « reconnu garant de l'environnement » pour les artisans
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. Grégory Blanc. Ma question s'adresse à M. le ministre de la ville et du logement.
Monsieur le ministre, j'ai fait chez moi, le week-end dernier, le point avec un certain nombre d'artisans du bâtiment, qui – vous le savez – ont manifesté ce matin devant la préfecture d'Angers, comme ils manifestent devant toutes les préfectures de France aujourd'hui.
M. François Patriat. Ils feraient mieux de travailler…
M. Grégory Blanc. Tous m'ont dit la même chose : oui, il faut maintenir des normes environnementales et écologiques très ambitieuses, mais il faut aussi faire preuve de bon sens dans leur application. En effet, ont-ils ajouté, la simplification, ce n'est pas moins de normes : c'est moins de paperasse pour accéder aux chantiers et, parallèlement, plus de contrôles sur site. Il s'agit de vérifier, en inspectant le travail exécuté, que l'argent public est bien utilisé.
Aujourd'hui, les parcours de rénovation sont fracturés. Or il faut de la stabilité, ce qui suppose de mettre fin aux stop and go. Nous en avons connu un certain nombre, qu'il s'agisse de MaPrimeRénov' ou de la fin des monogestes.
Ne serait-ce qu'au cours des deux dernières années, le bâtiment a perdu 40 000 emplois.
En l'état, la qualification « Reconnu garant de l'environnement » (RGE) est non seulement une source de fraude pour ceux qui savent remplir les dossiers, mais aussi un frein pour les TPE et pour la massification des rénovations. Des pourparlers ont lieu depuis de nombreux mois avec votre ministère et, pourtant, tout est bloqué.
Monsieur le ministre, ma question est la suivante : quand allez-vous adopter un décret réformant ces dispositifs, pour qu'ils deviennent plus simples en restant tout aussi ambitieux écologiquement ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville et du logement.
M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, merci de cette question tout à fait pertinente, particulièrement en ce jour où de nombreux artisans et chefs d'entreprise manifestent pour dire leur inquiétude.
Non seulement les chantiers sont de moins en moins nombreux, mais – vous le soulignez avec raison – les difficultés administratives s'accumulent. La « paperasse » à remplir, pour reprendre le mot que vous avez employé, provoque beaucoup de difficultés.
Il faut évidemment simplifier ces démarches administratives. Je ne manquerai pas de le dire au président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), avec lequel je dois m'entretenir tout à l'heure : à mon sens, il est nécessaire de considérer d'une manière plus globale les enjeux relatifs au RGE.
Nous avons pour ambition commune d'améliorer la qualité de l'habitat, notamment pour faire face aux enjeux de rénovation thermique. Les démarches dont il s'agit doivent être mises en œuvre de la façon la plus simple possible.
En la matière, le Gouvernement poursuit son action, notamment en dotant de plus de 4,6 milliards d'euros l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Ces fonds seront en particulier destinés à MaPrimeRénov', que vous avez citée.
Ce dispositif sera maintenu. Ses objectifs seront même rehaussés, puisque nous visons environ 120 000 rénovations d'ampleur l'an prochain.
L'ambition est très claire : éviter à tout prix les stop and go, qui sont délétères pour les particuliers et les copropriétés comme pour nos artisans. Il va de soi que nous maintenons l'effort ; mais, pour éviter tout effet de stop and go, il faut faire en sorte de ne pas commencer l'année sous le régime de la loi spéciale. Il est donc fondamental d'avoir un budget si nous voulons aider nos artisans partout où c'est possible, notamment avec MaPrimeRénov'. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour la réplique.
M. Grégory Blanc. Monsieur le ministre, il faut bien un budget, mais il faut un budget pour MaPrimeRénov' ! Il faut un budget pour reprendre le soutien aux travaux monogestes. Il faut un budget pour avoir une haute ambition au titre de la rénovation énergétique, pour être au rendez-vous de l'Histoire en matière de neutralité carbone…
M. François Patriat. Il faut commencer par voter le budget !
M. Grégory Blanc. Vous le savez, 10 % seulement des entreprises du bâtiment sont aujourd'hui qualifiées RGE. Je le répète, il est urgent d'ouvrir davantage ce label. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Rémi Cardon et Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudissent également.)
projet de loi de finances pour 2026 (i)
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le Premier ministre, vous avez souhaité que le Parlement, et notamment le Sénat, soit au cœur de la fabrique du budget. Dès lors, jugez-vous acceptables les propos tenus ici même par votre ministre de l'économie, lundi dernier, désignant le Sénat comme le responsable de la dégradation budgétaire ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Laurent Burgoa. Scandaleux !
M. Mathieu Darnaud. Je le dis avec gravité et solennité. Depuis plusieurs mois, nous nous sommes attachés à élaborer un budget responsable, conforme à la trajectoire que vous avez vous-même indiquée,… (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme Silvana Silvani. Voilà le résultat !
M. Mathieu Darnaud. … un budget qui permette de faire des économies tout en supprimant quelque 8 milliards d'euros d'impôts supplémentaires.
À nos yeux, on ne peut pas construire un budget en faisant les poches des Français,… (Protestations sur les mêmes travées.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Taxez les riches !
M. Mathieu Darnaud. … des entreprises et de nos collectivités territoriales. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Si notre copie a été dégradée, c'est simplement parce qu'il a fallu accepter l'amendement du Gouvernement qui creuse le déficit public à 5,3 % du PIB… (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Mais c'est vous !
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le Premier ministre, à présent, il faut trouver des économies supplémentaires. Nous ne sommes plus qu'à quelques encablures de la commission mixte paritaire (CMP).
M. Pascal Savoldelli. C'est une explication de vote !
M. Mathieu Darnaud. Dès lors, ma question est très simple. Plutôt que de vous ériger en censeur, comme l'a fait votre ministre, allez-vous réellement mettre sur la table de nouvelles sources d'économies ? (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, monsieur le président Darnaud, mesdames, messieurs les sénateurs, cette question me permet de faire un point d'étape en vous disant comment j'envisage et surtout comment je ressens la suite des opérations, pour donner un budget à la France d'ici à la fin de l'année.
Soyez-en assurés : le Gouvernement respecte et respectera toujours le Parlement et les parlementaires… (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Pas votre ministre !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Or, respecter le Parlement, c'est partir du principe que les parlementaires sont responsables de ce qu'ils ont voté, tout simplement.
Ce rappel étant formulé, nous sommes face à une réalité chiffrée : celle de notre déficit, qu'il convient de réduire.
La tâche est immense, vous le savez. Avant moi, François Bayrou et Michel Barnier s'y sont attelés…
M. Rachid Temal. Sans succès !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Il faut rendre hommage à leur action.
Les questions de recettes et de dépenses ont également été traitées, du temps de mes prédécesseurs, avec beaucoup de difficultés ; chacun a dû avancer pour que nous obtenions les compromis nécessaires. D'ailleurs, certains des instruments fiscaux dénoncés aujourd'hui figuraient dans les copies budgétaires élaborées par eux. Il a bien fallu les accepter, même lorsque nous n'étions pas d'accord.
Monsieur le président Darnaud, comme vous le rappelez, nous sommes à quelques encablures de la commission mixte paritaire. Je vois bien que les négociations vont être difficiles.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Eh oui !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Tout d'abord, les positions de l'Assemblée nationale sont assez éloignées de celles du Sénat ; cela étant, la commission mixte paritaire, où le Gouvernement n'est pas représenté, a vocation à permettre des convergences.
Je suis un défenseur du bicamérisme. À de nombreuses reprises dans notre histoire – je le rappelle –, des positions qui pouvaient paraître très éloignées avant la CMP ont réussi à converger au sein de cette dernière.
Néanmoins, la situation est un peu plus compliquée encore : les positions des uns et des autres sont parfois dures à identifier et, à l'évidence, il est très difficile de les faire converger entre les différents groupes politiques. Dans cet hémicycle, la situation est plus classique et probablement plus claire ; mais, dans celui de l'Assemblée nationale, elle est bien moins évidente.
M. Alain Milon. C'est sûr…
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. À ce titre, je salue tout particulièrement M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, et M. Philippe Juvin, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale : vous le savez en tant que président de groupe, la tâche qu'ils assument depuis plusieurs semaines est loin d'être facile.
Je tiens aussi à souligner la qualité du travail accompli avec vous et devant vous par Mme la ministre de l'action et des comptes publics, Amélie de Montchalin. Au-delà de nos divergences d'opinions politiques, on peut reconnaître que le Gouvernement s'est tenu à la disposition de tout un chacun.
Soyons honnêtes : la difficulté ne s'arrête pas là. Parfois, les positions sont difficiles à identifier au sein des groupes politiques ; parfois même, elles divergent entre les groupes d'une même formation politique à l'Assemblée nationale et au Sénat.
M. Rachid Temal. Pas chez Les Républicains, par hasard ? (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Je pense au Parti socialiste aussi. (Protestations sur les mêmes travées. – Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Patrick Kanner. Oh non !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Je le dis sans malice. La réalité, c'est que notre vie politique est fragmentée. Or le budget est le document le plus politique de l'année : par définition, la fragmentation que connaissent les partis politiques se retrouve dans l'exercice que nous sommes en train de vivre.
M. Olivier Paccaud. C'est le budget d'Olivier Faure !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. C'est le budget du Gouvernement tel qu'il a été amendé par le Sénat, monsieur le sénateur. Le projet de loi de finances (PLF) a été rejeté par l'Assemblée nationale.
Gardons-nous des mensonges. Nous sommes entre gens responsables : ici, il n'y a pas de groupe de La France insoumise (LFI) ou du Rassemblement national (RN).
M. Loïc Hervé. Encore heureux !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Eh bien, il va falloir continuer de se battre pour que cela dure.
Les membres de la commission mixte paritaire confronteront donc deux versions de ce budget : la copie initiale du Gouvernement et la copie du Sénat. L'Assemblée nationale n'a examiné que la partie recettes : elle n'a regardé que quelques éléments de la partie dépenses en commission et n'y a pas consacré une minute en séance.
On constate donc une désynchronisation très importante entre, d'une part, le Sénat, qui a travaillé de nombreuses heures, de nombreux jours et même plusieurs semaines sur la seconde partie du PLF et, de l'autre, une Assemblée nationale fragmentée,…
M. Pascal Savoldelli. Ce budget n'était pas bon !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. … que vous connaissez, où ce travail n'a pas été fait.
Cette situation s'impose autant à vous qu'à moi ; encore plus à moi qu'à vous, puisque je suis chargé de diriger le Gouvernement. C'est une simple réalité.
Quoi qu'il en soit, il faut que l'on ait un budget avant la fin de l'année. Ce matin, lors du conseil des ministres, j'ai insisté sur le fait que les membres du Gouvernement devaient se plier en six d'ici à vendredi et samedi prochains, pour accompagner les parlementaires sur ces voies de compromis.
Il va falloir davantage de clarté. Il va falloir que les gens se parlent davantage. Je n'en dirai pas plus long publiquement ; toujours est-il que la commission mixte paritaire se réunit maintenant dans un peu plus de quarante-huit heures. Voilà plusieurs jours que je demande à toutes les formations politiques d'organiser une commission mixte paritaire à blanc, à titre préparatoire, pour que les membres du Gouvernement puissent faire des propositions, y compris des propositions d'économies nouvelles s'il le faut. Nous n'avons eu que peu de succès à l'Assemblée nationale, quels que soient les bancs. Vous le savez, monsieur le président Darnaud…
M. Mathieu Darnaud. Nous sommes au Sénat, monsieur le Premier ministre !
Mme Frédérique Puissat. Ici, vous en avez eu !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Certes, mais le bicamérisme, ce sont deux chambres. J'observe d'ailleurs que, mardi prochain, le Sénat se prononcera le matin, donc en premier, suivi l'après-midi par l'Assemblée nationale.
Je vous le répète en toute bonne foi, je ne cherche pas le soutien de qui que ce soit. Je ne cherche qu'un peu de bienveillance afin d'éviter le désordre. Je cherche à faire en sorte que, globalement, l'État, les services publics fonctionnent.
Les élections municipales auront lieu au mois de mars prochain. Le monde économique est inquiet. Nous devons arriver à doter la France d'un budget. À cet égard, le seul esprit qui compte est l'esprit d'intérêt général : je sais que vous allez y concourir en tant que président de groupe.
Puisqu'il vous reste un peu de temps de parole, peut-être allez-vous nous indiquer les éléments sur lesquels vos collègues sont prêts à bouger en vue d'un compromis ; les éléments de fond que le groupe Les Républicains peut mettre sur la table,… (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme Cécile Cukierman. On va vous laisser ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. … permettant ainsi aux autres groupes politiques du Sénat et de l'Assemblée nationale d'avancer.
Adopter le budget, c'est agir dans l'intérêt de la Nation. Mais cela suppose que chacun fasse un pas vers l'autre, sans renoncer à sa liberté, mais avec le sens de l'intérêt général. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP et SER. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
M. Martin Lévrier. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour la réplique.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le Premier ministre, j'aurai du mal à résumer en trente secondes ce que nous avons mis, ici, six mois à bâtir.
Chers collègues de gauche, comme disait Pierre Mendès France, gouverner, c'est choisir.
Mme Monique Lubin. Exactement !
M. Mathieu Darnaud. Je le confirme, le temps du budget est un temps politique. Il faut choisir entre, d'une part, les tenants de la taxe et de la surtaxe et, de l'autre – c'est notre cas au sein du groupe Les Républicains –, les tenants des économies. (Protestations sur les travées du groupe SER. – Mme Audrey Linkenheld s'exclame.)
M. Patrick Kanner. En faveur des plus aisés !
M. Mathieu Darnaud. Notre but est d'être utiles en donnant un budget à la France et aux Français. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
enjeux de la santé mentale en outre-mer
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Solanges Nadille. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées.
Il y a quinze jours, la Guadeloupe était frappée d'effroi. Au Gosier, un psychiatre a perdu la vie, poignardé par l'un de ses patients au sein même du centre médico-psychologique (CMP) où il exerçait.
Ce drame absolu n'est pas un simple fait divers. Il est le symptôme violent d'un système de santé mentale à bout de souffle.
Dimanche dernier encore, c'est une ancienne députée de la Nation et ancienne coordinatrice interministérielle contre les violences faites aux femmes en outre-mer, qui, avec une citoyenne anonyme, a été sauvagement agressée au Moule. Ces actes tragiques révèlent l'impérieuse nécessité de protéger ceux qui soignent comme ceux qui sont soignés.
En Guadeloupe, l'établissement public de santé mentale (EPSM) suit aujourd'hui 20 % de patients de plus qu'en 2019. Les besoins explosent, mais les moyens suivent-ils ?
La situation de notre jeunesse est encore plus alarmante. Dans une étude récente, la Mutualité française dresse ce constat sans appel : dans nos outre-mer, près de quatre jeunes sur dix souffrent de dépression. En Guyane, c'est plus d'un jeune sur deux. Mais le plus grave, c'est le silence.
Alors que la souffrance est plus forte chez nous, le recours aux soins y est plus faible : seulement 30 % des jeunes Ultramarins osent consulter. Pourquoi ? Par peur de la stigmatisation, certes, mais surtout parce que, dans nos territoires, l'offre de soins est illisible, fragmentée et trop souvent inaccessible. Nos jeunes se heurtent à un parcours du combattant, là où ils devraient trouver une main tendue.
Madame la ministre, mes questions sont simples. L'agence régionale de santé (ARS), garante de l'offre de soins, ne peut se contenter d'une gestion comptable. Quand doterez-vous nos EPSM et nos structures de proximité de moyens humains et financiers à la hauteur, face à l'explosion des troubles psychiatriques ? Concrètement, quelles mesures d'urgence allez-vous déployer pour que les problèmes de santé mentale de nos jeunes Ultramarins cessent d'être une fatalité et pour que nos soignants puissent enfin exercer sans risquer leur vie ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, chargée de l'autonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice Nadille, avant tout, permettez-moi de m'associer à l'hommage que vous venez de rendre au psychiatre récemment assassiné en Guadeloupe par l'un de ses patients. De même, je tiens à exprimer mon entier soutien à la ministre Justine Benin, qui, comme vous l'avez rappelé, a été victime d'une agression.
Ces événements nous rappellent, comme bon nombre de faits divers déplorés au fil des jours, à quel point les enjeux de santé mentale sont prégnants dans notre pays. C'est d'ailleurs pourquoi M. le Premier ministre a souhaité déclarer la santé mentale grande cause nationale pour 2026,…
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. … comme l'avait fait Michel Barnier pour 2025.
Face à la multiplication des troubles psychiatriques, vous nous demandez les actions concrètes mises en œuvre par le Gouvernement, particulièrement en direction des jeunes.
Tout d'abord, j'insiste sur le fait que les crédits consacrés à la santé mentale augmentent. Dans le cas de la réforme du financement de la psychiatrie, huit régions ont ainsi bénéficié d'un rattrapage financier : la Guadeloupe en fait partie. À ce titre, 12 millions d'euros ont été alloués aux territoires ultramarins.
Ces moyens viendront soutenir les établissements publics de santé mentale, qui, vous l'avez rappelé, ont bien besoin de notre aide, notamment en Guadeloupe. Mais, dans ce domaine, nous restons placés face à un véritable défi humain : il faut recruter un certain nombre de professionnels – psychiatres, infirmiers ou encore psychologues. Or, dans ce secteur, la pénurie de soignants est durable, ce qui entraîne un certain nombre de difficultés. Mais l'État se mobilise : en témoignent divers dispositifs destinés à renforcer l'attractivité de ces métiers.
En outre, plusieurs dispositions ont été prises en direction des plus jeunes. Nous renforçons notamment les maisons des adolescents, le développement des équipes mobiles de pédopsychiatrie et l'intervention des professionnels de santé mentale en milieu scolaire. Nous déployons, en parallèle, le dispositif de repérage précoce.
M. le président. Madame la ministre, il faut conclure.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Madame la sénatrice, voilà quelques exemples de moyens mis à disposition pour répondre aux enjeux de santé mentale, en particulier en Guadeloupe. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
projet de loi de finances pour 2026 (ii)
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Laurent Somon. Monsieur le Premier ministre, je souhaite revenir à mon tour sur les propos tenus ce lundi au Sénat par votre ministre de l'économie – je m'abstiens volontairement d'y associer les finances : Mme de Montchalin semble en avoir assumé, depuis l'installation du Gouvernement, l'intégralité du pilotage.
« Houston, we have a problem », a-t-il déclaré, en bon français. Je vous le confirme en bon picard : we have a problem. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ce problème, c'est le mépris persistant à l'égard du Parlement et plus encore du Sénat ; et cela suffit.
Monsieur le ministre, je ne prendrai qu'un exemple précis : l'amendement de la commission des finances tendant à tirer les conséquences de la gestion du plan France 2030, marquée depuis deux exercices par des surestimations manifestes. Vous avez vous-même proposé, en fin de gestion, des annulations successives de 1,2 milliard et de 1,6 milliard d'euros de crédits.
Sur la base des éléments transmis au Sénat par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), nous avons proposé de sincériser ces crédits à hauteur de 1 milliard d'euros. Il ne s'agissait ni d'un désengagement ni d'une remise en cause du plan. Nous entendions procéder à un exercice élémentaire de sincérité budgétaire.
Dans ces conditions, les informations erronées, pour ne pas dire fallacieuses, qui ont circulé, entretenues par certains services relevant de Matignon, ne sont pas acceptables. Elles trahissent une forme de mépris institutionnel à l'égard du Parlement.
En outre, je dénonce un véritable manque de transparence dans la gestion de ces fonds. J'en veux pour preuve la publication insuffisante des documents de contrôle, voire l'absence pure et simple et de ces derniers.
Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous rappeler à vos services que, dans ce pays, c'est le Parlement qui décide et le Gouvernement qui exécute ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Jacques Grosperrin. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'action et des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Somon, sans doute pouvons-nous apprendre collectivement des discussions qui nous occupent depuis plusieurs semaines. On peut être en désaccord sans être dans le mépris… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Les amendements que vous citez ne sont pas des amendements de manipulation : ce sont des amendements de sincérité. À cet égard, je tiens à rappeler calmement quelques faits, car – vous le soulignez vous-même – ces débats ont donné lieu à un vaste mouvement de désinformation.
Au titre des amendements déposés par le Gouvernement, on a longuement débattu des conséquences du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) sur le déficit public. M. Milon vous le confirmera, à l'instar de Mme Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales, il a beaucoup été question, au cours de nos travaux, des transferts entre l'État et la sécurité sociale.
M. Alain Milon. Tout à fait !
Mme Frédérique Puissat. Exactement !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez tous désormais, le PLFSS, tel qu'il a été définitivement adopté hier, opère 4,6 milliards d'euros de transferts entre l'État et la sécurité sociale.
M. Max Brisson. Ce n'est pas la question !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je tiens à rappeler, sans aucun mépris ni esprit de polémique, que le Sénat avait lui-même proposé, dans sa propre copie du PLFSS, 5,7 milliards d'euros. Le Gouvernement a retenu la somme de 4,6 milliards d'euros. C'est d'ailleurs un des éléments de compromis transpartisans qui ont émergé entre le groupe centriste, le groupe Les Républicains du Sénat, le groupe écologiste de l'Assemblée nationale et votre collègue député Thibault Bazin, rapporteur général de la commission des affaires sociales et membres du groupe de la Droite républicaine. Il me semble nécessaire de le rappeler.
L'enjeu de sincérisation a été évoqué. Nous avons fait les comptes et je reste à votre disposition pour vous montrer en quoi les 5,3 % de déficit sont la conséquence de vos votes au titre de la première partie du PLF… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Non !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je pense aux 8 milliards d'euros évoqués il y a quelques instants par le président Darnaud et à un certain nombre de dispositions prises au titre des dépenses.
M. Max Brisson. Répondez à la question ! C'est France 2030 !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Précisément, j'ai sincérisé les comptes de France 2030 avec M. le ministre de l'économie. Nous nous sommes ainsi assurés que tous les engagements pris seraient tenus ; qu'il n'y aurait pas d'excédent de trésorerie ici ou là.
Enfin, le déficit constaté est la conséquence d'un PLFSS assurant moins de transferts entre l'État et la sécurité sociale que ce que votre chambre avait suggéré. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour la réplique.
M. Laurent Somon. Madame la ministre, je tiens à insister sur les pratiques de lobbying dont cet amendement a fait l'objet, en amont de son examen.
Je ne saurais compter le nombre de parlementaires appelés, sollicités parfois de manière insistante, pour s'opposer à cette diminution de crédits. Tous l'ont été sur la base d'informations erronées, de contre-vérités, voire de raccourcis grossiers – tous à l'exception du principal intéressé : M. le rapporteur général, qui est pourtant à l'origine de cet amendement, et, accessoirement, du rapporteur spécial, que j'ai l'avantage de bien connaître…
Ce procédé est inacceptable. Quoi que vous en disiez, il traduit un profond mépris du Parlement. Ce sont là des méthodes d'un autre temps.
Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, nous vous le disons clairement, en espérant ne plus subir de telles pratiques à l'avenir : la transparence et la sincérité des données sont indispensables pour nouer des relations solides. En permettant de comprendre les positions des uns et des autres, elles renforcent la confiance en vue d'une collaboration positive. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
fonction publique dans les outre-mer
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique. Elle porte sur le nouveau régime des congés de maladie des fonctionnaires et contractuels de l'État dans les outre-mer.
Le 27 juin 2024, un décret réformant le régime de prise en charge de ces congés a été publié. Vues de l'Hexagone, ces mesures semblent positives, mais leur déclinaison outre-mer est une véritable catastrophe.
En incluant la prime de vie chère dans le régime indemnitaire, vous créez un énorme préjudice financier et provoquez peut-être des drames humains. Non seulement des milliers de fonctionnaires vont perdre 67 % à 100 % de leurs primes, mais les dispositions de ce décret doivent être appliquées à titre rétroactif pour plus d'une année, avec saisie sur salaire à compter du 1er janvier 2026.
Les fonctionnaires malades, notamment ceux qui souffrent de pathologies graves et lourdes telles que les cancers, très prévalents dans nos territoires, seront privés d'une part importante de leur rémunération. Pourtant, ils resteront sur place et devront ainsi subir l'obsédante question de la vie chère.
Cette réforme est en fait un outil de régulation budgétaire ; un expédient à mon sens assez cynique et amoral.
Nous sommes face à une véritable bombe sociale : il est urgent de la désamorcer en révisant ce décret. En particulier, il faut exclure la majoration de vie chère du régime indemnitaire, au même titre que l'indemnité de résidence et le supplément familial de traitement (SFT). J'ai dit ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État.
M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur Victorin Lurel, je tiens à rappeler ce qui s'est passé ces derniers mois tout en ajoutant quelques éléments à ceux que vous avez mentionnés.
Depuis l'accord signé, en octobre 2023, par six des sept organisations syndicales représentatives et traduit par un décret de juin 2024, le Gouvernement a apporté des garanties supplémentaires pour les congés de maladie de longue durée.
Vous le savez, du fait d'un jugement du Conseil d'État datant de 2011, les agents de l'État ne pouvaient pas, jusqu'alors, bénéficier de la majoration assurée dans le cas des congés de maladie de longue durée. Ils s'exposaient, en outre, à des risques de récupération en cas d'indus.
Au titre des congés de maladie de longue durée, cet accord a permis le maintien de la majoration à hauteur de 33 % la première année et de 60 % les deuxième et troisième années. Il s'agit bien de garanties supplémentaires.
En parallèle, la protection sociale complémentaire des agents de l'État a fait l'objet d'un certain nombre de travaux, lesquels se déploient ministère par ministère. Ils renforcent encore les garanties apportées aux intéressés, y compris pour l'indemnisation des congés de maladie ordinaires, de courte durée.
Cet accord est en cours de déploiement. Nous y avons consacré de nombreux échanges avec les membres de la Haute Assemblée, qu'il s'agisse des outre-mer ou de l'Hexagone.
Je n'oublie pas non plus la fonction publique territoriale d'outre-mer. À cet égard, je salue l'extension de la protection sociale complémentaire en matière de prévoyance, adoptée par le Sénat et votée conforme par l'Assemblée nationale.
Monsieur le sénateur, ma collègue Naïma Moutchou et moi-même restons à votre disposition pour échanger sur cette question.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour la réplique.
M. Victorin Lurel. Monsieur le ministre, j'ai dit, mais vous ne m'avez pas entendu. L'accord que vous évoquez a été signé par les centrales syndicales nationales : or ces dernières ont totalement oublié les outre-mer.
Mon but, en posant cette question, est de prévenir une nouvelle fronde sociale. Aujourd'hui, la colère couve ; cette fronde est déjà à l'œuvre et elle ne va pas manquer de s'intensifier.
Pour ma part, je vous invite à recevoir dans votre bureau une délégation de syndicalistes et de parlementaires. Sans doute les écailles vous tomberont-elles des yeux ; peut-être même vivrez-vous une véritable épiphanie !
Nous attendons votre invitation avec confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Akli Mellouli applaudit également.)
projet de loi de finances pour 2026 (iii)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, qui, lundi dernier, dans notre hémicycle, a jugé inacceptable le budget élaboré par notre assemblée ; pour qui nous devons sortir de l'ornière ; autrement dit, aux yeux de qui la majorité sénatoriale est tout simplement irresponsable. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Monsieur le ministre, pour les membres du groupe auquel j'appartiens, être responsable, c'est réformer plutôt que taxer ; c'est choisir d'arbitrer entre différentes politiques publiques ; en un mot, c'est essayer de gouverner.
Les dangereux irresponsables de la majorité sénatoriale vous ont proposé plusieurs pistes de réforme, qu'il s'agisse des agences de l'État, de la fonction publique, de la fiscalité énergétique, du logement ou encore des collectivités territoriales. Ils ont voté une indexation différenciée du barème de l'impôt sur le revenu ; une mesure applicable aux impôts des retraités les plus aisés.
Finalement, ces sénateurs irresponsables ont fait preuve de courage et de créativité. (Protestations sur les travées du groupe SER. – M. Jean-François Husson applaudit.) En d'autres termes, ils ont pratiqué l'art de la politique selon Vauban.
Monsieur le ministre, ma question est simple : quelle est votre définition d'un homme politique responsable ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. (Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, veuillez laisser M. le ministre répondre.
M. Yannick Jadot. Oui ! Ça suffit, les insoumis ! (Sourires sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pendant un instant, j'ai eu l'impression d'être à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. Max Brisson. Ça suffit ! Assumez !
M. Roland Lescure, ministre. Mais c'est bien au sein de la Chambre haute que je me trouve.
Je voudrais remercier la sénatrice Christine Lavarde, dont la question me permet de répondre aux interpellations, émanant de deux groupes au moins, relatives à mon intervention de lundi soir.
Voilà huit ans que je suis élu ou membre de gouvernement…
M. Fabien Genet. C'est bien le problème !
M. Roland Lescure, ministre. J'ai toujours souhaité répondre aux interpellations, d'où qu'elles viennent, avec respect, franchise, sincérité et conviction. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et INDEP.)
Si vous avez entendu que je traitais quiconque d'« irresponsable » (Oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.), c'est soit que je me suis mal exprimé (Ah ! sur les mêmes travées.), soit que nous sommes dans un dialogue de sourds, ce que je regrette.
En effet, ce que j'ai dit lundi, c'est que, si nous voulons avoir un budget susceptible d'être voté dans les deux assemblées, il va falloir que tout le monde fasse des efforts.
M. Olivier Paccaud. Les socialistes aussi !
M. Rachid Temal. Ils en font !
M. Roland Lescure, ministre. Et je continue de le penser et de le dire !
Vous pouvez, certes, vous renvoyer la balle les uns aux autres,…
M. Olivier Paccaud. Ce sont vos amis !
M. Roland Lescure, ministre. … ou même nous la renvoyer.
Mais il se trouve que je passe beaucoup de temps avec nos partenaires européens, et je peux vous dire, comme je l'ai fait lundi, que si nous terminons avec un déficit public à 5,3 % du PIB, là, ce sera effectivement irresponsable !
M. Stéphane Sautarel. C'est votre faute !
M. Roland Lescure, ministre. Lundi, j'ai indiqué qu'un projet de loi de financement de la sécurité sociale allait sans doute être adopté définitivement – il l'a été hier à l'Assemblée nationale – et qu'avec ce texte et le projet de loi de finances voté par le Sénat, le déficit public atteindrait 5,3 % du PIB.
M. Jean-François Husson. Par votre faute !
M. Roland Lescure, ministre. Monsieur le rapporteur général Husson, vous pouvez m'interpeller comme vous le souhaitez ! Je vous ai répondu avec sincérité, conviction et franchise, sur la base d'éléments factuels et chiffrés.
Encore une fois, avec le projet de loi de finances tel que l'avait présenté par le Gouvernement et le projet de loi de financement de la sécurité sociale,…
M. le président. Il faut conclure.
M. Roland Lescure, ministre. … le déficit public s'établissait à 5 %. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Là, nous sommes à 5,3 %. Je vous le dis en toute franchise : il va falloir faire des efforts. (Mêmes mouvements.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, je vous ai écouté, et je ne sais toujours pas ce qu'est un « homme politique responsable » selon vous !
Responsables, nous, nous continuerons à l'être dans les jours à venir, en refusant de sacrifier l'avenir au présent. Et je vous invite à l'être vous aussi, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, en utilisant le 49.3 ; c'est la seule solution aujourd'hui qui rende possible ce qui semble impossible ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Exclamations sur les travées du groupe SER.)
programmation pluriannuelle de l'énergie
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Patrick Chauvet. Ma question s'adresse à M. le ministre de la souveraineté énergétique et j'y associe mon collègue Vincent Delahaye.
La France n'a toujours pas de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). C'est insensé ! Sans ce document, nous ne savons pas où nous allons d'un point de vue énergétique. Résultat, nos documents énergétiques sont totalement obsolètes et nombre d'appels d'offres sont en attente, notamment en matière d'éolien en mer. Le monde de l'énergie renouvelable est en partie bloqué.
La PPE a failli être adoptée en quasi catimini au mois de mai dernier, puis à la fin du mois juillet. Et depuis, nous n'avons plus eu de nouvelles. Où en est-on ?
Il y a deux choses que nous ne comprenons pas.
Premièrement, pourquoi la PPE est-elle encore en attente ? Qu'est-ce qui bloque ? Est-elle prête ? À la fin du mois de juillet, nous avions obtenu l'assurance que cette programmation prendrait en compte les propositions du Sénat. Est-ce exact ? Si oui, quelles orientations de notre Haute Assemblée avez-vous prises en compte ? Ou alors, il se peut qu'elle soit encore en cours d'élaboration. Mais, dans ce cas, dites-le-nous, et précisez-nous aussi dans quel sens vous envisagez de la modifier. Êtes-vous en train de négocier avec tel ou tel ? Certains échos qui nous parviennent semblent l'indiquer.
Deuxièmement, lors des dernières questions au Gouvernement, un collègue sénateur vous a remercié de « l'attention » que vous lui « portez au quotidien ». Les mots sont forts. Ce collègue a bien de la chance. Ni moi ni Daniel Gremillet ne faisons l'objet d'une attention au quotidien. (Mme Sophie Primas applaudit.) Cette « attention » est-elle en lien avec la PPE ? Monsieur le ministre, pourquoi tant de mystère ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. Décidément, c'est ma journée ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le sénateur Patrick Chauvet, je vous remercie de votre question, qui me permet de préciser les raisons pour lesquelles la programmation pluriannuelle de l'énergie – elle est effectivement en phase de finalisation – n'est pas encore rendue publique.
Vous le savez, voilà quelques jours, Réseau de transport d'électricité (RTE) a publié une actualisation de ses projections de demande d'électricité, en les revoyant – il faut le reconnaître – à la baisse dans des proportions importantes. Étant donné que face à chaque demande, il faut de l'offre, nous sommes conduits à réajuster nos prévisions pour adapter la programmation pluriannuelle de l'énergie à ces nouveaux éléments.
Tous les parlementaires font l'objet de ma plus grande attention. Je ne sais donc pas à quel sénateur ni à quelle déclaration vous faites référence.
Il est en revanche une chose que je puis vous certifier : depuis que M. le Premier ministre m'a chargé de conduire la réflexion sur le sujet, j'ai eu l'occasion d'échanger avec le sénateur Gremillet, notamment sur sa proposition de loi. Celle-ci continue son chemin. Convenez tout de même avec moi que, depuis son passage à l'Assemblée nationale, c'est devenu un objet bien différent du texte adopté par le Sénat.
J'ai donc consulté des sénateurs et des députés de tous les groupes, afin de connaître les attentes des uns et des autres.
Je soumettrai dans les jours à venir des propositions au Premier ministre, qui aura – je l'espère – l'occasion d'échanger avec vous et, au-delà, avec nos concitoyens sur l'avenir énergétique de la France.
Car il y a un point sur lequel, je pense, nous nous retrouvons toutes et tous : pour assurer son avenir, la France a besoin d'une production énergétique décarbonée – aujourd'hui, 60 % de notre énergie vient de l'étranger, et elle est carbonée – souveraine et forte, qui nous permette de réindustrialiser. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour la réplique.
M. Patrick Chauvet. Monsieur le ministre, je vous encourage au dialogue et à la concertation.
M. Roland Lescure, ministre. Avec plaisir !
M. Patrick Chauvet. Nous espérons que l'énergie ne soit pas une énième victime collatérale du marasme politique actuel et qu'elle ne fasse pas l'objet de tractations ou de marchandages politiciens totalement étrangers à l'intérêt de la Nation ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
projet de loi de finances pour 2026 (iv)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le Premier ministre, je souhaiterais, moi aussi, revenir sur les propos qui ont été tenus ce lundi au Sénat par votre ministre de l'économie. (Encore ! sur les travées du groupe SER.)
Il vient de nous dire qu'il ne fallait pas se renvoyer la responsabilité les uns aux autres. Mais nous pouvons au moins comparer à ce jour le bilan du Gouvernement et celui du Sénat.
Votre bilan, monsieur le Premier ministre, c'est d'avoir tout cédé à la gauche :… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Si seulement !
Mme Sophie Primas. … fin du prélèvement forfaitaire unique (PFU), suspension de la réforme des retraites, recul du gel budgétaire, et j'en passe !
Le bilan du Sénat, c'est la suppression de 8 milliards d'euros de hausse d'impôts et de taxes pour protéger les Français et les entreprises. C'est un effort demandé aux collectivités territoriales ramené à 2 milliards d'euros, plutôt que 4,7 milliards d'euros dans votre projet de budget. C'est la fin du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) pour les communes.
M. Olivier Paccaud. Tant mieux !
Mme Sophie Primas. Ce sont 6 milliards d'euros d'économies proposés par notre groupe, dont 4 milliards d'euros adoptés par le Sénat.
D'un point de vue sectoriel, ce sont des avancées très concrètes, notamment pour le logement, un sujet qui nous est cher. C'est l'enclenchement du statut du bailleur privé, que nous devons améliorer en commission mixte paritaire.
Mme Frédérique Puissat. Très bien !
Mme Sophie Primas. Ce sont 400 millions d'euros de marges d'investissement supplémentaires rendues aux bailleurs sociaux pour construire et rénover. C'est l'exclusion de l'investissement locatif de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), afin que les classes moyennes investissent dans la pierre, quand l'épargne n'a jamais été aussi élevée. C'est l'extension du bail réel solidaire, qui permet aux ménages modestes d'accéder à la propriété.
Autant d'exemples qui montrent ce qu'est le bilan du Sénat : des mesures utiles et concrètes au service du quotidien des Français, de la production française et de la TVA !
Monsieur le Premier ministre, à la veille de la réunion de la commission mixte paritaire, allez-vous reconnaître à sa juste valeur le travail constructif et responsable du Sénat plutôt que de le laisser dénigrer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Frédérique Puissat. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'action et des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Madame la sénatrice Primas, ce n'est pas moi qu'il faut convaincre de l'utilité du Sénat ou de l'intérêt des dispositions qui ont été votées au sein de la Chambre haute. Je vous rappelle que le Gouvernement ne siège pas au sein de la commission mixte paritaire. (M. Mathieu Darnaud s'exclame ironiquement.)
Ce sont les membres de cette dernière qu'il faut convaincre d'intégrer les mesures concernées dans le compromis, l'idée étant que chacun fasse un pas pour aboutir à un déficit public à 5 % du PIB. Car l'objectif de la commission mixte paritaire est bien d'avoir un échange entre sénateurs et députés, des Républicains jusqu'aux socialistes, sur la cible, en l'occurrence 5 % de déficit public, et sur les moyens de l'atteindre.
Au fond, la question à laquelle nous sommes confrontés, c'est : l'ordre ou le désordre ? Le Premier ministre, avec son gouvernement, a choisi l'ordre, la stabilité.
Mme Frédérique Puissat. C'est ça…
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Pour y parvenir, comme il n'y a pas de majorité absolue, nous avions le choix entre échanger, négocier, dialoguer avec, d'un côté, le parti socialiste et les forces de gauche républicaines (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE et SER.) ou, de l'autre, le Rassemblement national.
M. Rachid Temal. Et voilà !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Et je vous confirme que ce n'est effectivement pas avec le Rassemblement national que le Premier ministre et son gouvernement ont choisi de travailler. En conscience, nous avons fait le choix de travailler avec le parti socialiste et les forces de gauche républicaines.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce faisant, nous restons, je le crois, fidèles à des valeurs que nous avons en partage. Il ne me semble pas que le gaullisme ait jamais été complaisant avec l'extrême droite. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Max Brisson. Laissez le général de Gaulle tranquille !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je rappelle simplement que l'alternative au dialogue, au compromis et au travail, c'est l'absence de budget. Et sans budget, il n'y aura ni stabilité ni, surtout, de France forte dans un monde où nous devons intensifier nos efforts de défense,…
M. Max Brisson. Le 49.3 !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … assurer la sécurité et répondre aux crises, notamment sanitaires.
M. Max Brisson. Le 49.3 !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Monsieur le sénateur, jusqu'à nouvel ordre, le 49.3 n'est, me semble-t-il, pas un outil que l'on peut utiliser…
M. Max Brisson. Si !
M. le président. Il faut conclure.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Seul le Premier ministre peut l'enclencher, et je ne crois pas que cela se passe au Sénat ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER. – M. Yannick Jadot applaudit également. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rachid Temal. Rappelez de Gaulle !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour la réplique.
Mme Sophie Primas. Madame la ministre, je vous rassure : nous choisissons l'ordre, mais nous ne renierons pas l'essentiel. Et nous vous demandons que les conclusions de la CMP soient votées à l'Assemblée nationale, quitte à utiliser le 49.3. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marion Canalès. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la santé et, aurais-je souhaité ajouter, « de la protection de l'enfance ».
M. Rachid Temal. Bravo !
Mme Marion Canalès. Chaque année, 20 000 enfants de moins de 5 ans bénéficient d'une première mesure de protection.
Plus de 600 enfants de 0 à 2 ans, des bébés, ont été accueillis, car ils ont subi des violences sexuelles cette année : deux bébés par jour ! Ce chiffre, sans doute sous-estimé, est effroyable, et les conséquences de ces violences sont catastrophiques. Les violences et négligences graves ont des effets irréversibles sur le développement des tout-petits.
Mais la protection de l'enfance peut être efficace – c'est une bonne nouvelle –, à condition d'intervenir suffisamment tôt pour que les dégâts ne soient pas irrémédiables.
C'est le sens du protocole de santé standardisé appliqué aux enfants bénéficiant avant l'âge de 5 ans d'une mesure de protection de l'enfance (Pegase), expérimenté dans six régions et treize départements. Et je veux le dire à mes collègues des Bouches-du-Rhône, du Pas-de-Calais, du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de Maine-et-Loire, de Savoie, de Vendée, du Gard, des Ardennes et d'autres départements dans lesquels ce programme est déployé : avec des soins adaptés, ces tout-petits de vos départements en grand danger retrouvent leur capacité et un développement normal. Enfin, une bonne nouvelle !
Mais, en réalité, une menace plane. Madame la ministre, vous travaillez actuellement à la rédaction de l'arrêté de généralisation : ce qui semble se préparer, c'est un parcours low cost pour ces enfants. Il n'est pas envisageable de vider le programme Pegase de sa substance !
Pouvez-vous nous assurer ici que vous allez veiller à ce que cette expérimentation, qui a fait ses preuves sur un public ultra-vulnérable, soit généralisée avec la même qualité, les mêmes moyens et la même exigence ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, chargée de l'autonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice, tout d'abord, permettez-moi de remercier les 130 000 professionnels qui œuvrent chaque jour aux côtés des enfants qui sont remis à la protection de l'enfance.
Je suis d'accord avec vous : nous ne sommes collectivement pas encore à la hauteur face aux besoins concrets de ces enfants.
Nous le savons, sur 400 000 enfants relevant de la protection de l'enfance, nombreux sont ceux qui subissent des délais d'attente pour être placés et aussi des retards et des difficultés de scolarisation. En outre, et vous l'avez aussi pointé, il y a de nombreux défis à relever en matière de santé, notamment de santé mentale, et de protection des enfants, encore trop souvent victimes du proxénétisme. Ce sont des défis majeurs.
Je réaffirme l'engagement total de la ministre Stéphanie Rist et de l'ensemble du Gouvernement pour avancer avec détermination sur la protection de l'enfance.
Mme Laurence Rossignol. Déjà une minute de lieux communs…
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Le projet de budget pour 2026 rend compte de la priorité du Gouvernement en la matière, avec une hausse de 55 millions d'euros.
Dès 2026, le parcours coordonné de soins pour les enfants et les jeunes protégés sera mis en place pour renforcer la prise en charge de santé, notamment en santé mentale. L'objectif est évidemment de garantir la qualité de ce parcours.
Mme Laurence Rossignol. Et Pegase ?
M. Rachid Temal. Généralisation ou pas ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Mais nous savons aussi qu'il faut faire des efforts beaucoup plus structurels. C'est l'ensemble de la politique de protection de l'enfance qui doit être retravaillée.
C'est pourquoi les ministres Rist et Darmanin ont annoncé un futur projet de loi dédié à la protection de l'enfance, dans une stratégie de refondation de cette politique publique. Son objectif est clair : replacer le parcours de vie de l'enfant au cœur de notre système.
M. Rachid Temal. Et Pegase ? Vous le généralisez ? :
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. La ministre Rist réunira d'ailleurs au début de l'année 2026 un comité de pilotage dédié…
M. le président. Il faut conclure.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. … qui associera les parlementaires, dont vous-même, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour la réplique.
Mme Marion Canalès. Madame la ministre, je ne vous demandais pas un exposé général sur la protection de l'enfance.
Ma question est simple. Elle concerne le programme Pegase, qui est expérimenté dans six régions et treize départements. Le dispositif a fait ses preuves. Il a permis d'aider plus de 1 000 enfants, qui s'en sortent beaucoup mieux et qui peuvent reprendre le cours de leur vie. Il doit être généralisé.
Aujourd'hui, votre ministère travaille à une généralisation au rabais. La question est : allez-vous généraliser Pegase tel qu'il a été conçu, avec les mêmes exigences ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)
projet de loi de finances pour 20226 (v)
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Vial. Monsieur le Premier ministre, depuis votre nomination, vous avez fixé deux priorités : doter la France d'un budget et réaliser des économies.
Mais aujourd'hui, le constat est implacable : il n'y aura vraisemblablement pas de budget – nous nous dirigeons vers une loi spéciale –, et il n'y aura pas d'économies.
Car les concessions les plus lourdes que vous avez faites au parti socialiste – c'est le cas notamment de l'abandon de la réforme des retraites – l'ont été sans contrepartie notable en matière d'économies budgétaires.
Mme Frédérique Puissat. Très bien !
M. Cédric Vial. Finalement, votre position de Premier ministre n'est-elle pas la seule chose que vous aurez réussi à sauver pendant cette discussion budgétaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'action et des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, le temps presse. Il nous reste quarante-huit heures avant la commission mixte paritaire. Et si nous voulons les mettre utilement à profit, la priorité du moment n'est, je le crois, plus de se demander si le Gouvernement cherche à durer ou à agir pour les Français ici et maintenant.
Je pense que tout le monde l'a bien compris : un pays va mieux quand il a tout à la fois un budget et un gouvernement. Quand il n'a ni l'un ni l'autre, en général, il ne permet pas aux citoyens, aux entreprises, aux familles de se projeter.
Le Premier ministre a demandé à chacun quel était son objectif : jouer l'élection présidentielle de 2027 ou travailler pour les Français maintenant ? Si nous sommes là, c'est parce que nous voulons travailler pour les Français maintenant.
Il y a beaucoup de désinformation. Contrairement à un bruit qui circule malheureusement dans le pays, le PLFSS voté hier contient plus d'économies que les trois précédents, imposés par 49.3 : 4,6 milliards d'euros d'économies dans le PLFSS pour 2026 voté hier, contre 4,3 milliards d'euros pour 2025, 3,5 milliards d'euros pour 2023 et 1,7 milliard d'euros pour 2022. Revenons aux faits !
Si nous voulons réussir cette commission mixte paritaire dans deux jours, il faut qu'il y ait des échanges entre les sénateurs et les députés, entre les partis. Trouvons une méthode qui nous permette de travailler dans un moment où les délais sont très contraints ; ne laissons pas le temps jouer contre nous. C'est, me semble-t-il, ce qu'attendent les Français.
Dans les communes, dans les départements – vous connaissez bien les territoires – et dans les entreprises, où nous sommes nombreux à avoir travaillé, les Français savent se mettre d'accord. Les partenaires sociaux aussi savent trouver des accords. Pourquoi n'y arriverions-nous pas ici, à Paris, dans les hémicycles ? Nous avons su le faire sur le PLFSS, dans une assemblée fragmentée,…
M. Mathieu Darnaud. En lâchant tout !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … avec des votes qui allaient des Républicains jusqu'aux écologistes.
À mon sens, pour le budget, pour nos armées, pour le ministère de l'intérieur, pour la justice, pour l'agriculture, nous pouvons et nous devons faire de même ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour la réplique.
M. Cédric Vial. Madame la ministre, j'ai entendu vos explications. Mais le mot que nous aurions aimé entendre, c'est : « pardon ». (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)
Pardon pour la dissolution inexplicable et le chaos politique et démocratique que cette dernière a produit !
Pardon pour la situation insoutenable dans laquelle vous avez conduit notre pays en le noyant sous les flots de la dette ou du déficit public !
Pardon pour les propos inexcusables tenus au Sénat par votre ministre, M. Lescure (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.), qui refuse d'assumer sa responsabilité et afflige ceux qui, ici, ont fait le choix de défendre l'intérêt public !
Mme Laurence Rossignol. Vous êtes des petites choses, les LR ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Cédric Vial. Pardon pour les prélèvements préjudiciables, qui seront immanquablement faits sur le dos des collectivités locales, quand ces dernières assument pourtant leurs responsabilités avec des budgets à l'équilibre !
Pardon pour vos tergiversations indéfendables sur la politique énergétique du pays, qui mettent en cause sa sécurité, sa souveraineté et sa crédibilité !
Pardon pour votre inconstance irresponsable dans la mise en œuvre de la politique en direction de la jeunesse, du secteur audiovisuel ou de l'éducation !
Mme Laurence Rossignol. Nous ne sommes pas à la messe !
M. Cédric Vial. Pardon pour votre naïveté coupable en matière de politique d'immigration ou de sécurité !
Pardon pour votre incurie inacceptable dans l'accompagnement des enfants en situation de handicap, laissant des familles et des élèves dans des situations indignes de la République !
Pardon pour la situation inextricable dans laquelle vous avez plongé en quelques années notre pays et sa jeunesse.
Pardon ! Pardon ! Pardon !
M. Patrick Kanner. C'est Le Grand Pardon ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Cédric Vial. Des excuses préalables, voilà ce que nous attendions de vous !
M. le président. Il faut conclure. (Rires sur les travées du groupe SER.)
M. Cédric Vial. Mais vous n'assumez rien, et vous ne changerez donc rien pour les Français. Le Sénat n'y pourra rien. C'est à nos compatriotes que je dis : « Pardon ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
état des négociations sur le mercosur
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin. La colère gronde chez les agriculteurs français et européens. Je le disais il y a quelques jours à Copenhague au commissaire Hansen : nos agriculteurs n'ont pas le moral. Ils l'exprimeront demain devant le Conseil européen.
On peut noter au minimum quatre irritants les concernant directement : la crise de la dermatose ; les inquiétudes sur la future politique agricole commune (PAC) ; le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour les engrais en particulier ; enfin, la signature imminente de l'accord entre les pays du Mercosur et l'Union européenne, que la Commission européenne veut à toute force imposer.
Sur ce dernier point, nous avons émis ici hier un signal fort en disant que nous refusions catégoriquement cet accord et que nous souhaitions la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) par le Gouvernement. Nous considérons en effet que la procédure utilisée par la Commission est antidémocratique et dangereuse, parce que déséquilibrée pour nos agriculteurs et sans garantie pour les consommateurs.
Hier, le ministre chargé du commerce extérieur nous a expliqué ce que nous savions déjà sur l'accord lui-même, sans nous convaincre. Mais nous avons retenu que le Gouvernement ne souhaitait pas saisir la CJUE, alors que c'est un élément important du rapport de force et une garantie du respect des procédures européennes.
Les deux assemblées vous ont envoyé pratiquement le même message. Pourquoi ne souhaitez-vous pas y répondre positivement ? Pourquoi risquer, à côté de la fronde des agriculteurs, une fronde du Parlement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Jean-François Rapin, vous avez entendu tout à l'heure le Premier ministre le dire avec beaucoup de clarté, comme l'avait fait la ministre de l'agriculture : la France considère que les conditions ne sont en aucun cas réunies pour qu'un vote puisse intervenir sur l'accord du Mercosur. Si la Commission devait toutefois passer en force, notre pays voterait non, et s'y opposerait avec beaucoup de fermeté.
Nous en sommes convaincus, c'est une question de justice et de considération vis-à-vis du monde agricole, qui traverse une crise sans précédent. Mais c'est aussi une question qui touche à notre souveraineté alimentaire. On parle beaucoup de la souveraineté industrielle : terres rares, défense, etc. Mais la souveraineté alimentaire est une composante essentielle de la souveraineté européenne.
Certes, le ministre délégué l'a dit hier, la saisine de la CJUE n'est pas l'option que nous avons retenue jusqu'à présent, car elle n'est pas suspensive de la procédure en cours.
Et l'opposition que nous avons marquée à la signature éventuelle d'un accord dans les prochains jours se double d'une mobilisation du Président de la République et du Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, pour obtenir, Mercosur ou pas Mercosur, des concessions de la part de la Commission européenne au service de nos agriculteurs.
Certaines de ces concessions ont été obtenues. Nous avons enregistré des succès…
Mme Kristina Pluchet. Il n'y a rien de concret !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. C'est le cas notamment de la clause de sauvegarde, qui a été adoptée de manière transpartisane au Parlement européen hier et qui nous permettra de protéger les agricultrices et les agriculteurs européens.
D'autres avancées sont en train d'être obtenues, même s'il faut qu'elles puissent se concrétiser.
C'est le cas des mesures miroirs et des limites maximales de résidus, sur lesquelles nous attendons que la Commission présente des engagements fermes dans le cadre des réglementations alimentaires…
Mme Kristina Pluchet. Inapplicables !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. C'est le cas également des contrôles sur lesquels le commissaire que vous avez mentionné a annoncé des mesures, avec une augmentation des dispositifs de contrôle dans l'Union européenne et dans les pays tiers. Nous attendons d'en voir le résultat concret.
Mme Kristina Pluchet. Impossible !
Mme Kristina Pluchet. C'est du pipeau !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. C'est le cas de la politique agricole commune. Nous souhaitons qu'elle reste commune et sanctuarisée dans ses moyens.
M. le président. Il faut conclure.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Dans tous ces combats, la France n'est pas seule. Vous avez l'entendu, la Hongrie, la Pologne, l'Autriche et même l'Italie par la voix de sa présidente du conseil des ministres se sont ralliées à la France pour défendre aujourd'hui nos agriculteurs et nos agricultrices. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Marc Laménie et Bernard Fialaire applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour la réplique.
M. Jean-François Rapin. Monsieur le ministre, tout ce que vous m'avez dit, je le sais déjà.
Mais refuser de saisir la CJUE sous prétexte que cela n'aurait pas d'effet suspensif est, à mes yeux, une erreur. La saisine est une arme offensive, pour marquer l'opposition de la France.
Je me permets aussi de nuancer respectueusement vos propos sur la présidente du conseil des ministres de l'Italie. Cette dernière a simplement annoncé que le report pouvait s'imposer actuellement ; elle n'a jamais dit qu'elle s'opposerait à l'accord.
Mais, encore une fois, le Parlement, dans sa quasi-totalité, a demandé la saisine. Saisissez donc la CJUE, nom d'un chien ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 7 janvier 2026, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq,
est reprise à seize heures quarante, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
2
Dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi visant à assouplir les contraintes à l'usage de dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation et à sécuriser l'action des forces de l'ordre, présentée par M. Pierre Jean Rochette et plusieurs de ses collègues (proposition n° 66, texte de la commission n° 197, rapport n° 196).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Jean Rochette, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
M. Pierre Jean Rochette, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une voiture, un téléphone et une arme : voilà le parfait kit de base du criminel moyen en 2025. Ces trois outils sont autant de pistes à exploiter pour les forces de l'ordre, mais encore faut-il leur en donner les moyens techniques et législatifs.
Ce travail a déjà été fait pour le bornage téléphonique, qui est devenu un acte presque banal, mais essentiel à la résolution de nombreuses enquêtes en matière de narcotrafic et de terrorisme, notamment.
À l'instar de ce qui est possible pour leurs communications, il est indispensable que les forces de l'ordre disposent d'un outil opérationnel et efficace pour s'attaquer à la mobilité des criminels, traquer leurs déplacements et les toucher dans leurs flux.
Encadrés correctement, avec une marge de manœuvre suffisante, les dispositifs de lecture automatique des plaques d'immatriculation (Lapi) répondraient parfaitement à ce besoin et constitueraient un apport décisif à la lutte contre la criminalité.
Ces dispositifs désignent l'ensemble des algorithmes permettant la lecture automatisée d'une plaque d'immatriculation. En France, on en compte environ 650 – ce qui est trop peu – dans le parc étatique. Fixes ou mobiles, ils sont majoritairement utilisés par les services des douanes, la police nationale et la gendarmerie nationale, à des fins de prévention et de répression des infractions.
Ils revêtent un intérêt tout particulier lorsque la nature de l'infraction nécessite la plus grande réactivité : je pense en particulier aux attaques terroristes, aux alertes enlèvement et aux tentatives de viol. Nous savons que, pour ces méfaits-là, le temps est une arme et qu'il faut aller vite.
Ces dispositifs servent également à lutter contre les modes de criminalité qui engendrent des flux importants, tels que le trafic d'êtres humains, les réseaux de passeurs et le trafic de drogue. Plus largement, ils permettent de limiter l'engagement humain et les prises de risque pour nos forces de l'ordre.
À titre d'exemple, au Royaume-Uni, les dispositifs Lapi sont à l'origine de 80 % des interventions policières, tandis que, aux États-Unis, ils conduisent à enregistrer 50 millions de plaques d'immatriculation par jour.
Si l'utilité de la technologie Lapi n'est plus à prouver, les remontées du terrain font cependant état d'un outil qui est loin d'être utilisé à son plein potentiel. On observe trois principaux points de blocage : des possibilités d'usage limitées ; un nombre trop restreint d'infractions ; des délais de conservation de données excessivement courts et un manque de matériel.
Ce texte entend y remédier et libérer le potentiel de cette technologie par un assouplissement raisonnable et réaliste de sa réglementation. En l'état actuel du droit, les articles L. 233-1 et L. 233-1-1 du code de la sécurité intérieure fixent une liste exhaustive d'infractions pour lesquelles les forces de l'ordre sont autorisées à mettre en œuvre les dispositifs Lapi.
Plutôt qu'une liste incomplète, qui deviendra vite obsolète face à l'évolution galopante de la criminalité, j'avais initialement proposé un seuil de gravité à partir duquel l'usage des dispositifs Lapi par les forces de l'ordre serait autorisé.
L'élargissement de la liste proposé par le rapporteur, qui a été adopté en commission, représente un bon compromis, permettant de concilier mise en œuvre convenable des dispositifs Lapi et respect de la vie privée. Cette liste comprend désormais les infractions d'évasion réalisées par violence, effraction ou corruption.
Dans les deux cas, le seuil de gravité et la liste exhaustive ont en commun de ne cibler qu'un certain niveau d'infraction, car les dispositifs Lapi n'ont, en aucun cas, vocation à être utilisés pour de petites infractions ou des incivilités du quotidien.
J'en viens au délai de conservation des données.
La France se distingue dans l'Union européenne comme l'un des pays où les données Lapi sont conservées le moins longtemps, avec un délai initial de quinze jours, ne pouvant être allongé qu'à un mois seulement en cas de rapprochement positif.
Cela va complètement à l'encontre de la logique appliquée en matière de finalités autorisées pour l'usage de ces technologies, voulant que celles-ci soient réservées aux infractions d'une particulière gravité, qui sont par nature difficiles à combattre.
Les enquêteurs présents sur le terrain vous le diront, un délai de conservation des données court permet de résoudre de petites enquêtes de courte durée, là où les affaires complexes nécessitent des délais plus longs. Il semble donc indispensable d'allonger les délais de conservation des données en cohérence avec la gravité des infractions ciblées.
Le passage à un délai initial d'un mois, pouvant aller jusqu'à deux mois en cas de rapprochement positif, qui a été adopté par la commission, constitue une avancée positive. Toutefois, il me semble intéressant de converger vers le modèle belge.
En effet, la Belgique prévoit un délai de conservation des données Lapi d'un mois, pouvant être prolongé jusqu'à un an uniquement en cas de rapprochement positif, sous réserve de sa validation par un juge.
En prévoyant un délai supplémentaire réellement significatif en cas de rapprochement positif, ce mécanisme donne de véritables latitudes aux enquêteurs et préserve la vie privée. C'est précisément cet équilibre qui doit être recherché au travers de ce texte.
Ce principe est d'ailleurs appliqué en France pour l'accès des forces de l'ordre aux données téléphoniques. Dans cette logique, je vous proposerai, au cours de nos débats, un amendement visant à allonger les délais de conservation des données, s'inspirant du mécanisme belge.
Enfin, concernant le manque de matériel, la technologie Lapi n'a d'intérêt que si elle est accompagnée d'un maillage fin sur tout le territoire et de la mise en place de caméras capables de capter une image de bonne qualité. Or, je le répète, le parc étatique n'est composé que de 650 dispositifs, contre 5 000 en Belgique et 13 000 au Royaume-Uni, alors que ces territoires sont d'une superficie respectivement dix-huit fois et deux fois inférieure à celle de la France.
À cette sous-dotation manifeste s'ajoute la vétusté du matériel : de nombreuses caméras sont vieilles de dix ans et affichent un taux de déchet dans les images traitées allant jusqu'à 40 %.
L'article 3, adopté par la commission, apporte une première réponse en permettant aux autorités publiques – les principales concernées étant les communes – de recourir à un conventionnement avec les forces de l'ordre pour l'installation et la mise à disposition de données Lapi.
Si cette mesure va, là encore, dans le bon sens, il me semble que le texte passe, en l'état, à côté du gisement précieux que sont les réseaux autoroutiers, en particulier les gares de péage. Je vous proposerai donc un amendement visant à étendre le champ de l'article 3 aux sociétés concessionnaires d'autoroute.
Je vous le redis, mes chers collègues, le texte adopté en commission va dans le bon sens en ce qu'il acte de premières avancées significatives pour assurer un usage raisonnable et pleinement efficace des technologies Lapi, en réduisant l'asymétrie des moyens entre les forces de l'ordre et la criminalité organisée et en conciliant la vie privée et l'intérêt de l'enquête.
À cet égard, je remercie l'excellent rapporteur Christophe-André Frassa (Sourires.) et les sénateurs de la commission des lois pour les échanges constructifs que nous avons eus. Notre capacité à faire aboutir un texte équilibré sur ce sujet envoie un signal positif, en prévision des débats qui nous attendent dans les années à venir en matière de conciliation du développement technologique et les libertés publiques.
Aujourd'hui, nous parlons de Lapi ; demain, nous évoquerons probablement l'intelligence artificielle (IA) et les nombreux enjeux qu'elle soulève : défi de la souveraineté, garde-fous à mettre en place, développement sur mesure pour les usages opérationnels, etc.
Avant de finir, je tiens également à remercier le ministre de l'intérieur et son cabinet de leur implication sur ce sujet, d'autant qu'ils ont œuvré pour que le Gouvernement engage la procédure accélérée sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC, RDPI et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour parler d'un sujet que certains connaissent très bien, celui des dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation.
Cette technologie, qui consiste en un algorithme permettant de lire automatiquement les plaques d'immatriculation, est utilisée depuis plusieurs années par les collectivités territoriales pour le contrôle du stationnement payant.
Les dispositifs Lapi peuvent également être mis en œuvre par les forces de sécurité intérieure dans deux cas.
D'une part, la police et la gendarmerie nationales sont autorisées à les utiliser pour la préservation de l'ordre public, lors de grands rassemblements de personnes, ou pour la prévention du terrorisme.
D'autre part, les services de police et de gendarmerie nationale et les douanes peuvent s'en servir pour faciliter la constatation, le rassemblement des preuves et la recherche des auteurs de certaines infractions limitativement énumérées : actes de terrorisme, infractions criminelles, infractions liées à la criminalité organisée, trafic de stupéfiants, vols de véhicule, etc.
Les échanges que j'ai pu avoir avec les forces de l'ordre ont mis en lumière la grande utilité opérationnelle de cette technologie pour l'élucidation des enquêtes, par exemple pour retrouver rapidement l'auteur d'une infraction.
Prenant acte de l'efficacité de ces dispositifs en matière répressive, l'excellent Pierre Jean Rochette (Rires sur les travées du groupe INDEP.), dont je salue le travail, a déposé une proposition de loi devant permettre leur utilisation accrue par les forces de sécurité intérieure.
À cet effet, le texte prévoit en son article 1er d'élargir les finalités permettant l'utilisation de dispositifs Lapi. Dans sa version initiale, il autorisait les forces de sécurité intérieure à s'en servir pour la répression des crimes et de l'ensemble des délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, et non plus seulement pour la répression de certaines infractions limitativement énumérées, ce qui aurait concerné plus de 2 300 délits.
La commission s'est montrée favorable à l'élargissement du champ infractionnel, qui apparaît utile et justifié par deux objectifs de valeur constitutionnelle : la recherche des auteurs d'infractions pénales et la protection des forces de l'ordre.
Néanmoins, elle a souhaité circonscrire le dispositif pour écarter le risque d'une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée. En effet, la mise en œuvre de dispositifs Lapi ne lui est pas apparue utile pour la répression de l'ensemble des infractions punies d'au moins 5 ans d'emprisonnement, telles que les dénonciations calomnieuses ou encore le harcèlement scolaire.
La commission a donc fait le choix d'élargir le champ infractionnel actuellement en vigueur aux seules infractions pour lesquelles l'utilisation des dispositifs Lapi pourra être utile, comme les infractions de vol aggravé, de recel, d'évasion ou d'aide à l'entrée et au séjour irrégulier.
Nous vous présenterons tout à l'heure un amendement visant à compléter cette liste d'infractions pour y intégrer les faits d'escroquerie et de soustraction d'enfant, pour lesquels l'utilisation des dispositifs Lapi semble utile.
L'article 2 prévoit de doubler les durées de conservation des données collectées, qui passeraient ainsi de quinze jours à un mois en cas de correspondance entre ces données et un fichier existant, tel que le fichier des objets et des véhicules signalés (FOVeS). Ainsi, les données pourraient être conservées deux mois, au lieu d'un mois.
Cet article a été adopté sans modification par la commission, qui a considéré que les durées de conservation proposées apparaissaient proportionnées. Cet allongement est en effet justifié par de réelles contraintes opérationnelles, comme l'ont montré les auditions que j'ai menées.
Les investigations conduisent parfois à identifier une personne ou un véhicule d'intérêt plusieurs mois après les faits, alors même que les données ont déjà été effacées, ce qui ne permet plus de retracer les mouvements du véhicule.
En outre, de nombreuses garanties existent d'ores et déjà. La consultation des données est par exemple interdite tant qu'il n'y a pas eu de correspondance avec un fichier et les données sont automatiquement détruites au-delà des délais autorisés.
Par conséquent, la commission a estimé que le dispositif proposé permettait d'assurer la protection du droit au respect de la vie privée, tout en facilitant la conduite des investigations.
Enfin, l'article 3 prévoyait initialement de rendre obligatoire, à partir de 2028, l'intégration de dispositifs Lapi à l'ensemble des caméras de vidéoprotection déjà installées ou qui le seront à l'avenir. Ainsi, les forces de sécurité intérieure auraient été autorisées à récupérer ces données pour la préservation de l'ordre public et la répression des infractions que j'ai évoquées précédemment.
La commission a souhaité remplacer cette obligation par un système de conventionnement facultatif entre les forces de sécurité intérieure et les autorités publiques compétentes pour installer des systèmes de vidéoprotection.
Cela permettrait à ces autorités d'intégrer éventuellement des dispositifs Lapi sur leurs caméras, puis de mettre à disposition des forces de sécurité intérieure les données collectées pour la répression d'infractions ou la préservation de l'ordre public.
Les clauses types de ces conventions seraient fixées par un décret en Conseil d'État, qui préciserait, d'une part, les modalités de financement de l'intégration de dispositifs Lapi aux caméras et, d'autre part, les règles de collecte et de partage des données.
Vous l'aurez compris, la commission a pris acte du fait que les acteurs concernés n'étaient pas favorables à l'intégration obligatoire de dispositifs Lapi à l'ensemble des caméras de vidéoprotection disposées sur le territoire national. Ces dispositifs seraient en particulier inutiles sur des caméras situées dans les zones piétonnes des grandes villes.
Cette obligation aurait en outre engendré un coût budgétaire non négligeable pour les collectivités territoriales compétentes, qui seraient contraintes d'installer des caméras de vidéoprotection alors qu'elles sont déjà confrontées à une situation financière difficile.
Afin de préserver le principe de libre administration des collectivités territoriales, la commission a estimé qu'il était préférable d'instaurer un système facultatif permettant le cofinancement des dispositifs Lapi intégrés.
Mes chers collègues, les ajustements auxquels a procédé la commission des lois ont permis, j'en suis convaincu, d'aboutir à un texte équilibré qui renforcera l'efficacité de l'action des forces de sécurité intérieure, tout en assurant le respect des libertés locales et des exigences constitutionnelles en matière de protection de la vie privée.
C'est pourquoi je vous invite à voter cette proposition de loi, sous réserve de l'adoption de l'amendement que j'ai tout à l'heure annoncé et d'un amendement rédactionnel. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi, déposée au Sénat par plusieurs de vos collègues, sur l'initiative de Pierre Jean Rochette, revêt une importance particulière, puisqu'il s'agit de donner aux forces de sécurité plus de moyens d'agir.
Les dispositifs Lapi sont autorisés depuis une quinzaine d'années dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée, le vol de véhicules et les infractions au code de la route. Ils facilitent le travail d'analyse et de recoupement, limitant l'engagement direct des forces de sécurité et les risques y afférents.
Ce texte s'inscrit au carrefour de plusieurs enjeux majeurs – la sécurité routière, la tranquillité publique et la lutte contre les incivilités au volant – et veille à garantir le respect de nos libertés publiques.
Permettez-moi tout d'abord de souligner la qualité de la coconstruction législative qui a présidé à l'élaboration de ce texte, notamment en commission des lois.
Cette proposition de loi est la preuve de la capacité du Gouvernement et du Sénat, en particulier, à anticiper les besoins du terrain et à y apporter des réponses concrètes. Je tiens à remercier la commission des lois, notamment sa présidente, Muriel Jourda, et le rapporteur de ce texte, Christophe-André Frassa, qui a mené un travail approfondi et constructif, pour ne pas dire excellent.
Le Gouvernement a eu à cœur de travailler en bonne intelligence avec la Chambre haute, dans un esprit de collaboration respectueuse de l'initiative parlementaire. Ce dialogue a porté ses fruits et le texte issu des travaux de votre commission est le résultat d'un véritable effort conjoint.
Il concilie les objectifs initiaux visés par M. Rochette et ses collègues et les préoccupations du Gouvernement, notamment en matière de sécurité juridique et de respect des principes constitutionnels.
Je salue également les améliorations apportées en commission qui renforcent la clarté et la robustesse du dispositif législatif. Elles illustrent parfaitement ce que peut être une action publique concertée et efficace au service de l'intérêt général.
L'enjeu de ce texte consiste, principalement, à mieux protéger nos concitoyens sur les routes et dans l'espace public. La vidéoverbalisation, soit la constatation d'infractions à distance grâce à des caméras de vidéoprotection, est un outil moderne au service de la sécurité routière et de la tranquillité publique.
Depuis quelques années, les pouvoirs publics ont entrepris d'élargir les possibilités de verbalisation à distance afin de lutter contre les comportements dangereux ou inciviques au volant.
Ainsi, dès 2018, la liste des infractions routières pouvant être constatées sans interception a été significativement étendue. Cette évolution visait à améliorer le respect du code de la route et à diversifier les moyens de lutte contre les principales causes d'accident, tout en soulageant les forces de l'ordre de tâches de verbalisation chronophages.
Il y va également de la tranquillité publique : lutter contre les incivilités au volant, comme les stationnements illicites gênants ou les conduites dangereuses en milieu urbain, permet d'améliorer la qualité de vie de tous, piétons comme automobilistes. Personne ici ne souhaite que nos centres-villes se transforment en zones de non-droit routier où l'incivisme mettrait en péril la sécurité ou troublerait la sérénité de la collectivité.
La technologie Lapi s'avère précieuse pour atteindre ces objectifs. Ces dispositifs, qu'ils soient fixes ou embarqués, permettent, en lisant les plaques, l'identification instantanée des véhicules contrevenants.
Couplés à des caméras de vidéoprotection, ils facilitent l'identification des véhicules commettant des infractions ainsi que le travail d'enquête qui s'ensuit. En d'autres termes, ces systèmes confèrent aux forces de l'ordre une capacité de réaction et d'investigation nettement accrue, y compris contre des infractions multiples et organisées, par exemple les rodéos urbains coordonnés.
Mieux identifier pour mieux sanctionner : telle est la promesse de cet outil.
M. Bruno Belin. Très bien !
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Derrière la sanction, nous visons toutefois avant tout la prévention, tant la certitude d'être identifié et verbalisé découragera les comportements illicites.
Les maires et les élus locaux, en première ligne pour garantir la tranquillité publique dans nos communes, attendent depuis longtemps un cadre juridique clair pour utiliser ces technologies, en lien avec les forces de sécurité.
Actuellement, les polices municipales ne sont pas autorisées à mettre en œuvre elles-mêmes un dispositif Lapi visant à collecter en temps réel toutes les plaques d'immatriculation filmées, même dans le but de répondre ultérieurement à des réquisitions judiciaires.
En l'état du droit, seules la police nationale, la gendarmerie nationale et les douanes peuvent déployer de tels systèmes pour la prévention et la répression d'infractions.
Le projet de loi relatif à l'extension des prérogatives, des moyens, de l'organisation et du contrôle des polices municipales et des gardes champêtres, que votre assemblée examinera dans les prochaines semaines, vise à doter les polices municipales et les gardes champêtres d'outils pleinement efficaces pour le constat des infractions que ceux-ci seront autorisés à relever.
Il s'agit d'assurer une cohérence avec le droit en vigueur, qui prévoit déjà que les services de police et de gendarmerie nationales peuvent recourir à des dispositifs Lapi pour la poursuite d'infractions de même nature.
Si les collectivités territoriales peuvent contribuer au financement de ces caméras, elles ne le font aujourd'hui que par le biais de conventions avec le ministère de l'intérieur, lesquelles encadrent le processus et garantissent que les communes n'ont pas accès aux données collectées.
Cette situation a pu engendrer une certaine insécurité juridique ainsi que des frustrations. Des municipalités équipées de vidéoprotection souhaitent ainsi renforcer la surveillance du trafic ou du stationnement grâce aux dispositifs Lapi, mais se heurtent à des limites légales floues ou contraignantes.
Votre proposition de loi répond utilement à ces préoccupations légitimes en offrant un cadre légal explicite et sécurisé pour l'usage des Lapi par les collectivités, en partenariat avec l'État.
Certains pourraient s'étonner de l'essor que nous donnons à ces dispositifs, mais nous n'introduisons pas un nouvel outil dont il faudrait prudemment tester l'efficacité : la technologie Lapi est une réalité déjà ancrée en France. Elle ne constitue pas un saut dans l'inconnu ; elle est le prolongement naturel de moyens existants.
Ces caméras sont déployées depuis plus d'une décennie au sein des forces de sécurité intérieure. On dénombre aujourd'hui 484 dispositifs fixes de ce type sur l'ensemble du territoire national ; près de 500 équipements, fixes ou mobiles, lisant automatiquement les plaques, opèrent déjà quotidiennement pour prévenir ou constater des infractions.
Ils servent à repérer les véhicules volés ou signalés, à surveiller les grands axes routiers, les abords de nos frontières, de nos ports ou de nos aéroports, et à appuyer les enquêtes judiciaires ; ils équipent les véhicules de patrouille de police ou de gendarmerie, mais aussi, dans un autre registre, ceux des sociétés chargées du contrôle du stationnement payant dans les grandes villes.
Le maillage technologique existe ; cette proposition de loi vise à en optimiser et à en sécuriser l'emploi.
Aborder un tel sujet technologique et sécuritaire impose, enfin, d'évoquer les libertés publiques et la proportionnalité. Dans cet hémicycle, comme au sein de la société, certains s'interrogent : jusqu'où aller dans l'usage de la vidéosurveillance automatisée ? Où placer le curseur entre efficacité policière et respect de la vie privée ?
Ces questionnements sont légitimes et le Gouvernement y a été particulièrement attentif. Notre ligne de conduite est claire : nous croyons à une utilisation équilibrée des technologies de sécurité, dans le strict respect des droits fondamentaux de nos concitoyens.
Cette proposition de loi apporte, à cet égard, des garanties concrètes en cantonnant l'usage des Lapi à des finalités graves et légitimes. Toute tentation d'utiliser ces dispositifs pour surveiller indûment les citoyens ou pour traquer la moindre infraction bénigne est exclue.
Le texte initial prévoyait de sanctuariser le fait de ne pas utiliser ce dispositif pour les infractions mineures, en réservant la consultation des données Lapi aux seuls crimes et délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, afin, précisément d'apporter des garanties face aux craintes de dérives liberticides ou d'usage disproportionné.
La rédaction issue des travaux de la commission des lois a finalement opté pour une énumération précise des infractions concernées, mais l'esprit demeure identique : il s'agit exclusivement de faits d'une particulière gravité ou d'une grande complexité. Sont ainsi visés, à titre d'exemple, le terrorisme, la criminalité organisée, les trafics de véhicules, les vols avec violence, les évasions de détenus dangereux, l'aide aux filières d'immigration clandestine ou encore la contrebande organisée.
En ciblant ainsi les usages, nous évacuons toute possibilité d'utiliser la technologie Lapi pour sanctionner le moindre dépassement mineur ou pour surveiller abusivement les déplacements du grand public. Seules des menaces sérieuses à l'ordre public et à la sécurité justifieront l'exploitation de ces données, et ce, toujours sous le contrôle de l'autorité judiciaire, s'agissant d'enquêtes pénales.
Enfin, ce point est capital, le dispositif législatif prévoit une surveillance étroite de la conformité et de la proportionnalité de ces systèmes par les autorités compétentes en matière de libertés publiques.
La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), gardienne de nos données personnelles, sera pleinement impliquée : elle devra ainsi donner un avis avant qu'un arrêté du ministre de l'intérieur fixe les normes techniques auxquelles devront se conformer les systèmes de vidéoprotection. Ce gage procédural garantit que les dispositifs déployés respecteront des standards précis de protection de la vie privée.
De plus, le décret en Conseil d'État annoncé encadrera strictement les conventions passées entre les collectivités et les forces de l'ordre, et définira une convention type.
L'objectif, mesdames, messieurs les sénateurs, consiste donc à concilier l'efficacité policière, le respect des libertés publiques et la rationalité de l'action. Je vous assure que le Gouvernement partage pleinement cette philosophie. Nous ne cédons ni à un angélisme naïf ni à une approche sécuritaire aveugle qui négligerait les libertés. Nous traçons un chemin exigeant, mais nécessaire : celui d'une sécurité respectueuse de nos valeurs républicaines.
Les technologies telles que la lecture automatisée des plaques d'immatriculation ne doivent être ni diabolisées ni idéalisées. Elles constituent un outil, et seulement un outil, au service de la loi. Il nous appartient, en tant que responsables publics, il vous appartient, en tant que législateur, d'en définir les limites et les conditions d'emploi avec sagesse.
Tel est précisément l'objet de cette proposition de loi, à laquelle le Gouvernement est favorable. Pour conclure, et afin de souligner l'importance que nous accordons à ce texte, je vous annonce d'ailleurs l'engagement de la procédure accélérée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. - Mme Isabelle Florennes applaudit également.))
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui un sujet qui, s'il n'est peut-être pas le plus spectaculaire, est devenu absolument central dans le quotidien de nos forces de sécurité : la lecture automatisée des plaques d'immatriculation.
Cette technologie, désormais ancrée dans les pratiques, accompagne les flux de circulation, renforce les contrôles aux frontières, facilite le travail des douanes et constitue, pour les enquêteurs, un repère précieux dans la reconstitution des déplacements.
Ce dispositif existe depuis plus de quinze ans et son apport opérationnel est reconnu par l'ensemble de ses utilisateurs. Les résultats parlent d'eux-mêmes, et les femmes et les hommes qui mènent les enquêtes savent à quel point ces outils peuvent faire basculer un dossier.
Pourtant, par un paradoxe bien français, alors que ces technologies se répandent dans de nombreux secteurs, y compris privés, celles d'entre elles qui devraient servir notre sécurité demeurent limitées par un cadre juridique devenu trop étroit. Parallèlement, les organisations criminelles font évoluer leurs propres méthodes, se numérisent et se déplacent plus vite et plus loin.
Ce constat s'impose dans tous les domaines : vols de véhicules destinés à l'exportation, trafics sillonnant le territoire, réseaux de passeurs ou repérages en amont d'actions violentes, la route est devenue leur premier outil logistique. Ne pas adapter notre droit reviendrait à refuser de voir une réalité à laquelle nos forces de l'ordre sont quotidiennement confrontées.
Le texte porté par notre excellent collègue Pierre Jean Rochette répond précisément à cet enjeu.
Loin de générer une complexité supplémentaire, il apporte de la cohérence et du bon sens ; il nous invite à hisser enfin nos dispositifs de sécurité au niveau des menaces contemporaines.
Nos forces de sécurité disposent trop souvent de moyens insuffisants pour suivre des déplacements. Parfois, un véhicule suspect n'apparaît dans une affaire qu'après plusieurs semaines d'investigation ; au moment où cette information deviendrait utile, les données ont déjà été supprimées. Ce décalage fragilise les enquêtes et, dans certains cas, nuit à la manifestation de la vérité.
Pour corriger cet état de fait, le texte propose trois avancées essentielles.
Premièrement, la proposition de loi clarifie le périmètre d'utilisation du dispositif Lapi. Il s'agit non pas de le généraliser, mais de concentrer son usage sur les infractions où la mobilité joue un rôle clé : vols organisés, filières criminelles ou évasions, c'est-à-dire dans les situations où il a une véritable efficacité, et seulement dans ces situations. C'est le choix de l'efficacité et de la responsabilité.
Deuxièmement, le délai de conservation des données est allongé pour correspondre à la réalité des enquêtes. Cette extension tient compte du temps long des investigations, au cours desquelles les connexions entre les individus, les lieux et les véhicules n'apparaissent pas toujours immédiatement. Les garde-fous demeurent, ils sont solides et vérifiables : les données inutiles ne seront pas conservées, les accès resteront strictement limités et l'ensemble sera encadré par des contrôles exigeants.
Troisièmement, enfin, s'agissant des collectivités, le texte propose une coopération. Nous saluons ce choix qui respecte la liberté locale tout en permettant de bâtir, territoire par territoire, des dispositifs adaptés. L'objectif n'est pas d'imposer, mais d'harmoniser et de rendre possible ce qui ne l'est pas suffisamment actuellement.
Mes chers collègues, il nous appartient d'écouter celles et ceux qui sont sur le terrain, d'entendre leurs besoins et de leur fournir des outils qui ne sont ni intrusifs ni extravagants, mais simplement adaptés à leur mission de protection.
Le dispositif Lapi est un instrument concret de sécurité publique ; il ne remplace pas l'expertise humaine, il la renforce ; il ne diminue pas nos libertés, il contribue à les protéger.
La sécurité n'est pas un obstacle à la liberté, elle en est la condition la plus élémentaire. L'adoption de ce texte contribuera à mieux protéger nos concitoyens et à soutenir l'effort de nos forces de l'ordre.
Vous l'aurez compris, les membres du groupe Les Indépendants voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)
M. Bruno Belin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la sécurité est la première préoccupation de nos concitoyens. Dès lors, tout ce qui y concourt doit être envisagé. C'est pourquoi le dispositif Lapi doit être soutenu.
Cette discussion nous renvoie aux débats que nous avons eus, il y a quelques jours, lors de l'examen des crédits de la mission « Sécurité », dont je suis le rapporteur spécial. Je me souviens notamment des auditions du directeur général de la police nationale (DGPN) et du directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), qui sont demandeurs de tels outils.
Certes, nous nous sommes félicités de l'augmentation des crédits au-delà de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) ainsi que des avancées du plan immobilier ; toutefois, il importe également de donner à nos forces de sécurité tous les moyens nécessaires au bon cheminement de leurs investigations. Nous disposons ici d'un système qui a fait ses preuves.
Bien évidemment, la question des libertés publiques ne saurait être écartée.
Les autorités compétentes, telles que la Cnil ou le Défenseur des droits, doivent disposer d'un droit de regard et pouvoir s'exprimer sur ce dispositif. Ayons toutefois conscience que nous traitons d'une technique qui n'est ni intrusive ni invasive ; elle possède une visée informative et, surtout, un caractère dissuasif.
Les nombreux élus ayant exercé un mandat municipal peuvent en attester : les communes qui ont mis en œuvre la vidéoprotection savent à quel point ce système améliore la situation. Il convient ainsi de généraliser cet outil sur les axes de circulation et dans les grands centres urbains, car cela contribuera à renforcer la sécurité.
J'apporte donc un soutien total à ce texte, tout en invitant à faire preuve d'imagination : des outils similaires existent déjà dans les gares et les aéroports ainsi qu'aux péages autoroutiers. Le texte que nous voterons cet après-midi doit permettre de passer des conventions avec les gestionnaires de ces lieux, parfois sous régime privé, afin d'assurer la transmission des informations à l'ensemble des forces de sécurité.
S'il fallait un exemple pour illustrer l'utilité d'une telle mesure, je citerais le dispositif « Alerte enlèvement », sujet auquel nous sommes tous particulièrement sensibles. Imaginez l'atout que représenterait ce système, grâce aux informations recueillies et à l'apport de l'intelligence artificielle, pour sécuriser un axe de déplacement.
Pour ces raisons, et sous réserve du respect des libertés individuelles que j'ai évoqué, je suis favorable à cette proposition et je souhaite la faire aboutir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe votera en faveur de la proposition de loi portée par notre collègue Pierre Jean Rochette et les membres du groupe Les Indépendants, dans le cadre de leur espace réservé. (Ah ! sur les travées du groupe INDEP.)
Nous soutiendrons ce texte pour deux raisons principales : d'une part, parce qu'il apporte une réponse adaptée à des problématiques précises ; d'autre part, parce que le travail réalisé en commission des lois a permis d'aboutir à une rédaction équilibrée et proportionnée.
Le dispositif de lecture automatisée des plaques d'immatriculation représente aujourd'hui un outil d'une grande efficacité pour les enquêtes, notamment lorsqu'il s'agit de retrouver, dans les meilleurs délais, l'auteur présumé d'une infraction en retraçant les déplacements de son véhicule.
Toutefois, l'utilité de ce système est juridiquement très circonscrite. À ce stade, seules les douanes, la police nationale et la gendarmerie nationale sont légalement habilitées à le déployer, et ce uniquement dans le cadre de procédures limitées : terrorisme, criminalité organisée, vol et recel de véhicules, infractions douanières commises en bande organisée ou, à titre temporaire, lors de grands événements.
Force est de constater que, aujourd'hui, pour un vol aggravé ou une évasion réalisée par violence, effraction ou corruption, notre droit ne permet pas aux forces de l'ordre de recourir à ces dispositifs dans le cadre d'une enquête de droit commun.
Comment expliquer une telle situation à nos concitoyens, alors que ceux-ci sont de plus en plus nombreux à ne pas avoir confiance en la justice et à douter de son efficacité ? Mes chers collègues, pourquoi nous priver d'outils efficaces et utiles à la manifestation de la vérité, qui permettraient d'éviter des classements sans suite faute d'avoir pu identifier les personnes mises en cause ?
Au-delà de son caractère utile, cette proposition de loi nous semble équilibrée. Là où le texte initial visait à élargir le recours à ces dispositifs pour l'ensemble des crimes et délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, vous avez souhaité, monsieur le rapporteur, circonscrire ce champ d'application à des infractions spécifiques : vols aggravés et recels, évasions réalisées par violence, effraction ou corruption, et infractions d'aide à l'entrée ou au séjour irrégulier.
Le périmètre d'utilisation passe ainsi d'environ 2 400 crimes et délits à trois types d'infraction bien identifiés, pour lesquels l'usage d'un véhicule immatriculé s'avère récurrent. Ce texte est donc équilibré et ne constitue en rien une dérive liberticide ; il préserve notre État de droit.
N'oublions pas la maxime de Jean de La Fontaine selon laquelle « l'adversaire d'une vraie liberté est un désir excessif de sécurité ».
Dans la rédaction issue de la commission, je ne retrouve pas un tel désir excessif : les durées de conservation des données collectées par les dispositifs sont allongées pour passer d'un à deux mois en cas de rapprochement positif contre actuellement quinze jours à un mois. Cet allongement se justifie par des contraintes opérationnelles. Je rappelle d'ailleurs que de nombreuses garanties existent déjà en la matière.
Je ne constate pas davantage d'excessivité dans la possibilité de conventionnement entre les autorités publiques compétentes et les forces de l'ordre pour le partage des données.
Enfin, je ne distingue toujours rien de tel en ce qui concerne les clauses de la convention type fixant les modalités de financement et d'intégration des données ainsi que les règles de collecte ou de partage, qui seront définies par un décret en Conseil d'État.
En réalité, ce texte apporte de la cohérence vis-à-vis de nos concitoyens comme de l'évolution même de notre droit.
Il préfigure les débats que nous aurons, je l'espère, en février prochain, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'extension des prérogatives, des moyens, de l'organisation et du contrôle des polices municipales et des gardes champêtres, où il sera également question d'élargir le recours aux dispositifs Lapi.
En attendant, je vous invite, mes chers collègues, à voter ce texte avec nous. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi de Pierre Jean Rochette qui tend à élargir et à encadrer l'usage des dispositifs de lecture automatisée des plaques d'immatriculation.
Utilisés pour le contrôle du stationnement payant ou du respect du code de la route, ces dispositifs de lecture algorithmique peuvent également servir à la prévention et à la répression de certaines infractions graves par la police, la gendarmerie ou les douanes.
C'est dans ce second cadre que s'inscrit cette proposition de loi, laquelle vise, par ses trois articles, à « lever les points bloquants liés à leur usage ».
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n'est pas opposé à la poursuite de l'utilisation des outils Lapi déjà déployés. Ceux-ci démontrent leur efficacité pour retrouver des véhicules volés, pour lutter contre la criminalité organisée et le narcotrafic, ou encore pour prévenir et pour réprimer le terrorisme, conformément au cadre juridique issu des lois de 2003, 2006 et 2016.
Ce cadre, établi depuis de nombreuses années, a évolué au gré des progrès technologiques et de l'émergence de nouvelles menaces, tout en tenant compte, sous le regard vigilant du Conseil constitutionnel, de la nécessaire protection des droits et libertés. La généralisation de ces systèmes ne va pas, en effet, sans soulever des interrogations fondamentales quant à sa proportionnalité, son effet sur les libertés publiques et la responsabilité des collectivités.
Dans sa version initiale, la proposition de loi allait très loin à cet égard, en autorisant le recours aux dispositifs Lapi pour tous les crimes et délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Cela représentait près de 2 300 infractions, dont certaines étaient sans lien avec la circulation ou avec la criminalité organisée, comme le harcèlement scolaire.
Une telle extension serait non seulement disproportionnée, mais également contraire à la directive européenne Police-Justice, laquelle exige que les données à caractère personnel soient collectées par les autorités répressives pour des finalités déterminées, explicites et légitimes.
À l'inverse, cette rédaction exclurait étrangement des infractions pourtant liées aux véhicules, au motif que celles-ci seraient punies de moins de cinq ans de détention.
C'est pourquoi notre groupe a souscrit aux réécritures présentées par le rapporteur Christophe-André Frassa et adoptées par la commission des lois. Nous approuvons le maintien des infractions déjà prévues et l'ajout de nouvelles catégories, à la condition que ces dernières demeurent cohérentes avec l'usage actuel de cet outil.
La reformulation de l'article L. 233-1 du code de la sécurité intérieure doit ainsi permettre d'élargir son champ d'application sans pour autant transformer les dispositifs Lapi en un instrument de surveillance massive des véhicules et de leurs occupants.
Dans ce même esprit d'efficacité raisonnée au service des enquêtes menées, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne s'oppose pas à l'allongement modéré des délais de conservation des données, comme prévu à l'article 2.
Rappelons que le Conseil constitutionnel avait validé le dispositif en 2006 en soulignant que la brièveté des délais, huit jours à l'époque, offrait une garantie contre un système généralisé de contrôle et un gage de respect de la vie privée.
Nous veillerons à ce que ces durées n'ouvrent pas la porte à une conservation massive des données, un risque que pourraient induire certains amendements déposés sur ce texte.
Ni conservation massive de données ni surveillance généralisée par les algorithmes, cet équilibre justifie également notre vigilance quant à l'intégration des dispositifs Lapi dans tous les systèmes de vidéoprotection existants dans notre pays, qu'il s'agisse de ceux des collectivités locales mentionnées à l'article 3 ou de ceux des opérateurs privés visés dans certains amendements ou dans les propos de l'auteur du texte.
L'article 3 initial tendait à imposer que, à partir de 2028, tous les systèmes de vidéoprotection des collectivités intègrent un dispositif Lapi au moment de leur renouvellement.
Or ni la police nationale, ni la gendarmerie nationale, ni les collectivités locales, que nous avons reçues en audition avec le rapporteur, ne demandent que tout système de vidéoprotection déployé sur la voie publique soit systématiquement doté de cet outil.
D'abord, une telle mesure déposséderait les services de police, de gendarmerie et des douanes du choix de l'emplacement où ils souhaitent mettre en œuvre un tel dispositif, qu'il soit fixe ou mobile.
Ensuite, cela conduirait à des situations absurdes telles que l'installation d'outils de lecture de plaques dans des zones piétonnes dépourvues de circulation automobile.
Enfin et surtout, une telle obligation de généralisation s'avérerait coûteuse pour les collectivités et contreviendrait quelque peu au principe de leur libre administration. Comment les communes ou les intercommunalités feraient-elles face à ce surcoût avéré, alors même que les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui servent à cofinancer leurs caméras actuelles, subissent des coupes dans le projet de loi de finances pour 2026 ?
Bref, il est heureux que, en écho à notre analyse, le rapporteur Christophe-André Frassa ait proposé à la commission des lois, qui les a validés, des ajustements conduisant à supprimer cette obligation faite aux collectivités locales ainsi qu'aux forces de sécurité. Mieux vaut envisager des conventions volontaires entre les acteurs concernés pour encadrer les modalités de partage des données, ainsi que l'identification et le financement des caméras équipées.
Pour parfaire les précautions nécessaires au respect des libertés individuelles et locales, le groupe socialiste propose d'ailleurs que le décret en Conseil d'État prévu par le rapporteur, en sus de l'arrêté technique du ministère, soit soumis à l'avis préalable de la Cnil, laquelle a déjà rendu des avis précieux en la matière.
Vous l'aurez compris, nous voterons en faveur de cette proposition de loi si le texte soumis au vote final évolue bien dans le sens que je viens d'évoquer. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et INDEP.)
M. Ian Brossat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi visant à assouplir les contraintes relatives à l'usage des dispositifs de lecture automatisée des plaques d'immatriculation et à sécuriser l'action des forces de l'ordre.
De quoi s'agit-il précisément ?
Selon la Cnil, ces dispositifs désignent tout algorithme permettant la lecture automatisée d'une plaque d'immatriculation.
Mis en œuvre par les forces de l'ordre et par les douanes, cet outil permet à la fois de prévenir et de réprimer certaines infractions. À ce jour, il est utilisé pour constater les infractions au code de la route, lors de grands rassemblements de personnes, mais également pour lutter contre le terrorisme, la criminalité, le vol ou la contrebande.
Ces systèmes sont déployés sur l'ensemble du territoire, particulièrement dans les zones frontalières, portuaires et aéroportuaires, ainsi que sur les grands axes de transit national ou international.
La photographie saisit non seulement la plaque d'immatriculation, mais également les occupants des véhicules. Depuis 2007, ce dispositif facilite quotidiennement les enquêtes judiciaires ; nous ne remettons nullement cet apport en question. La sécurité de nos concitoyens est primordiale et nous œuvrons constamment en ce sens.
Pour autant, nous nous trouvons en présence d'un dispositif de surveillance algorithmique, une technique qui tend à se généraliser. Dès lors, que faire ? Comment nous assurer que son usage reste strictement proportionné et encadré ?
Je regrette qu'aucune étude d'impact, qu'aucun avis du Conseil d'État ou de la Cnil ne nous permette de savoir ce qu'il en est.
Comment, dès lors, savoir si ce texte est équilibré ? Comment pouvons-nous légitimement légiférer dans ces conditions ? Nous pensons qu'on ne peut pas adopter des mesures aussi intrusives à la légère. Tout en saluant le travail du rapporteur, qui a permis de circonscrire l'usage de ce dispositif à des infractions précises, nous émettons donc un certain nombre de réserves.
En 2024, la Cnil rappelait qu'« une vigilance particulière doit entourer la mise en œuvre des Lapi en raison des risques potentiels qu'ils comportent au regard de la protection des libertés individuelles et de la vie privée ».
Où est cette vigilance particulière quand on légifère à l'aveugle et sans étude d'impact ? Pourtant, je le rappelle, le Conseil d'État comme la Cnil peuvent être saisis pour avis sur des propositions de loi. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ?
Nous devons travailler avec sérieux, en particulier s'agissant de règles aussi sensibles. Il est de notre devoir de protéger nos concitoyens contre toutes les dérives. Ces craintes n'ayant pas été écartées, une majorité des membres de notre groupe s'abstiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Marc Laménie applaudit.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, cher Pierre Jean Rochette, mes chers collègues, assouplir, simplifier, sécuriser : ces mots, souvent présents dans les intitulés des projets et propositions de loi qu'il nous revient d'examiner, devraient emporter notre assentiment. Le diable se cachant dans les détails, c'est toutefois à l'aune du contenu du présent texte que je m'exprimerai au nom de mon groupe.
Les dispositifs Lapi, qui recouvrent un ensemble d'algorithmes permettant la lecture automatisée des plaques d'immatriculation, sont utilisés depuis une dizaine d'années. Ils furent d'abord présentés comme un outil de lutte contre la criminalité organisée, le vol de véhicule et la lutte contre le terrorisme.
S'ils ne sont donc a priori employés que dans le cadre des enquêtes, qu'ils visent à faciliter, ou à des fins de prévention et de répression des infractions par les douanes, la police nationale et la gendarmerie, le code de la sécurité intérieure prévoit toutefois que ces dispositifs de surveillance mobile peuvent être utilisés de manière plus étendue sur décision de l'autorité administrative.
La proposition de loi initiale proposait d'étendre l'usage de ces dispositifs à l'ensemble des crimes et délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, d'allonger le délai de conservation maximum des données et de généraliser l'utilisation de ces dispositifs pour l'ensemble des systèmes de vidéoprotection.
Nous n'apprécions pas les lois « cliquet » qui étendent au droit commun des mesures conçues comme exceptionnelles. Le Conseil national des barreaux (CBN) nous a alertés : « La philosophie initiale de la loi instaurant les Lapi était de réserver ce dispositif à des infractions d'une particulière gravité. […] La proposition de loi tend à modifier en profondeur cet équilibre. » (Mme la ministre déléguée le conteste.)
Le CNB souligne du reste le risque réel que cette proposition de loi se heurte aux exigences de la directive 2016-680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, dite directive Police-Justice.
Sur les sujets relatifs à la surveillance, on nous sert toujours l'argumentation simpliste selon laquelle « s'il n'y a rien à se reprocher, il n'y a pas à s'inquiéter », ce qui est bien évidemment faux. Un tel argument, en effet, ne tient compte ni du respect de la vie privée et des libertés individuelles ni, plus concrètement, des dérives auxquelles certains outils peuvent donner lieu dès lors qu'ils sont placés entre les mains de personnes peu scrupuleuses des droits et libertés fondamentales garantis par la Constitution et, de manière générale, de l'État de droit.
S'agissant de sujets aussi sensibles que la protection des données, notamment, l'absence d'étude d'impact et d'avis du Conseil d'État nous conduit à douter de la sincérité du présent débat, quand bien même la démarche législative est légitime.
On ne peut pas justifier l'allongement de la durée de conservation des données par la lenteur des enquêtes. Si la durée des enquêtes est trop longue, c'est du reste peut-être que les réformes successives de la police judiciaire ne sont pas aussi efficaces et salutaires que ce qu'on a essayé de nous vendre.
La Cnil n'a pas encore publié d'avis sur la présente proposition de loi, mais elle a récemment rendu une délibération sur les évolutions réglementaires des dispositifs Lapi, en rappelant qu'« une vigilance particulière doit entourer la mise en œuvre des Lapi en raison des risques potentiels qu'ils comportent au regard de la protection des libertés individuelles et de la vie privée ».
Le travail du rapporteur, que je salue, a certes contribué à améliorer le texte initial, puisque, sur son initiative, la commission a circonscrit le champ infractionnel permettant l'usage des Lapi à des fins répressives par les forces de sécurité intérieures aux seules infractions pour lesquelles l'utilisation de ces dispositifs pourra se révéler utile, à savoir les infractions de vol aggravé, de recel ou d'évasion.
L'extension de l'usage des Lapi aux infractions d'aide à l'entrée et au séjour irrégulier nous paraît parfaitement inadaptée. Je présenterai donc, au nom de mon groupe, un amendement visant à revenir sur cette extension.
Sur l'initiative du rapporteur, la commission a également supprimé, à l'article 3, la date d'entrée en vigueur de la généralisation de l'obligation d'intégration de dispositifs Lapi sur les systèmes de vidéoprotection appartenant aux autorités publiques, à laquelle elle a substitué la possibilité, pour les autorités compétentes, de conclure une convention avec les services de police, de gendarmerie et des douanes, afin de permettre le partage des données collectées par les dispositifs de contrôle automatisé.
Si ces modifications introduites par la commission aux articles 1er et 3 étaient nécessaires, notre groupe regrette que les mécanismes de surveillance de masse généralisés soient considérés comme l'alpha et l'oméga de notre arsenal de lutte contre les crimes les plus sérieux et que leur usage soit étendu, sans réflexion approfondie sur les risques qu'ils font peser sur les droits et libertés garantis par notre Constitution.
En conséquence, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne pouvant souscrire à la position ni de l'auteur ni du rapporteur de la présente proposition de loi, il votera contre ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme souvent en matière de sécurité, il est avant tout question de mesure. L'efficacité de l'action policière ne saurait exonérer le législateur du respect des droits et du principe de proportionnalité.
Il ne s'agit pas de choisir entre sécurité et liberté : il convient de les articuler sans affaiblir la première ni sacrifier la seconde.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui part d'un constat que nul ne conteste : les dispositifs de lecture automatisée de plaque d'immatriculation constituent désormais un outil pleinement intégré au dispositif opérationnel des forces de sécurité intérieure.
Leur utilité est établie, tant en matière de prévention que de répression de certaines infractions graves, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée ou encore le vol de véhicules.
L'efficacité ne saurait toutefois justifier à elle seule un assouplissement sans limite du cadre juridique enserrant ces dispositifs, qui, par nature, s'appliquent à des données sensibles liées aux déplacements des personnes et à leur vie privée.
C'est précisément cet équilibre que la version initiale du texte peinait à atteindre. L'approche large et abstraite retenue faisait en effet courir le risque d'une banalisation d'un outil intrusif dont l'usage aurait été généralisé sans garantie suffisante.
Le groupe RDSE estime donc que le travail de recentrage opéré par la commission était non seulement utile, mais nécessaire.
À l'article 1er, la commission a opéré un recentrage salutaire, puisqu'elle a limité l'élargissement du champ infractionnel aux situations pour lesquelles l'usage des dispositifs Lapi présente une utilité opérationnelle avérée, tels les vols aggravés, le recel ou les infractions d'évasion. Ce recentrage permet d'améliorer les procédures de recherche des auteurs d'infraction et la protection de l'ordre public tout en ménageant le respect de la vie privée.
Nous nous interrogeons toutefois sur l'inclusion des infractions d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers dans le champ des infractions justifiant l'usage des Lapi.
Le groupe RDSE partage pleinement l'objectif de lutter contre les réseaux de passeurs et les filières organisées qui prospèrent sur la détresse humaine, en tirant profit de l'exploitation de personnes vulnérables. Mais la vocation première de ce texte étant de renforcer l'outillage opérationnel des forces de l'ordre, il ne faudrait pas qu'il soit mobilisé comme un instrument de politique migratoire.
Cette interrogation sur le périmètre retenu par l'article 1er constitue un point de vigilance réel, qui pèsera dans l'appréciation finale que notre groupe portera sur ce texte.
L'article 2, qui prévoit l'allongement des durées de conservation des données Lapi, suscite également des interrogations légitimes. Nos travaux ont toutefois montré que les délais actuels constituent un véritable frein aux enquêtes, notamment lorsque l'identification d'un véhicule d'intérêt intervient plusieurs semaines après les faits.
Enfin, à l'article 3, la commission a fait un choix que nous soutenons pleinement, celui de la liberté et du pragmatisme. En supprimant l'obligation d'intégration des dispositifs Lapi dans les systèmes de vidéoprotection des collectivités territoriales, elle a en effet préservé le principe de libre administration et privilégié la prise en compte des réalités financières et opérationnelles locales.
Le recours à une faculté de conventionnement offre une souplesse bienvenue : il permettra un partage efficace des données lorsque cela est pertinent, sans imposer une norme uniforme et coûteuse.
En dépit des grandes qualités de ce texte, la rédaction de l'article 1er pourrait empêcher un vote unanime et favorable de ce texte. Chacun des membres de notre groupe se décidera au terme de la discussion des amendements. (MM. Pierre Jean Rochette et Hussein Bourgi applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Florennes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Isabelle Florennes. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je constate qu'à chaque fois qu'il s'agit d'accorder aux forces de l'ordre de nouveaux moyens techniques afin de lutter contre la délinquance, se pose le dilemme entre la sécurité des citoyens et la protection des libertés individuelles.
Dans une démocratie, il est primordial de s'interroger sur toute atteinte potentielle aux libertés fondamentales, notamment sur les atteintes relatives au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles.
En 1995, lors des débats qui ont donné lieu à l'adoption de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, l'installation de caméras de vidéosurveillance dans l'espace public a donné lieu à de vives discussions.
Si ces débats étaient nécessaires, ils furent parfois excessifs. Quelque trente ans plus tard, nous n'avons pas sombré dans la dictature en raison de l'installation de caméras. La vidéoprotection réglementée et encadrée fait désormais partie de notre quotidien et personne ne s'en plaint.
Toutes les études d'opinion montrent d'ailleurs que les Français soutiennent très majoritairement l'installation de caméras et que non seulement ils en réclament davantage, mais qu'ils sont même favorables au recours à des algorithmes pour l'exploitation des vidéos.
À l'heure où la technologie fait partie intégrante de notre quotidien, d'où viennent les réelles menaces d'atteinte à notre vie privée ? Proviennent-elles de la puissance publique et des mesures sécuritaires qu'elle a prises ou qu'elle souhaite prendre, ou alors des sociétés privées non européennes leaders en matière de nouvelles technologies ? Qui n'a jamais utilisé une application d'aide à la conduite et d'assistance à la navigation ?
Sous le couvert du principe de production participative, ces applications stockent des millions de données sur nos déplacements et sur nos modes de consommation, dressant ainsi notre profil de voyageur-consommateur. La plus connue de ces applications est devenue la propriété d'un grand groupe de services technologiques, fondé en 1998 dans la Silicon Valley, qui saura, à terme, trouver le meilleur usage de ces données dans son seul intérêt privé.
Nos libertés publiques me paraissent donc davantage menacées par des entreprises privées que par les mesures que les pouvoirs publics et les élus peuvent adopter.
Un autre sujet de réflexion concerne la réponse à apporter aux nouvelles pratiques des délinquants. Comment, par exemple, dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic dont nous débattrons ce soir, réprimer les go fast, ces convois de véhicules transportant des stupéfiants et roulant à très grande vitesse afin d'échapper aux contrôles routiers, lesquels sont impuissants à lutter contre ces pratiques ?
Ayant dressé un cadre général, j'en viens maintenant au texte de notre collègue Pierre Jean Rochette, dont je salue le travail.
Il nous propose d'élargir les possibilités d'usage du dispositif de lecture automatisée de plaques d'immatriculation.
Lors des travaux de la commission des lois, M. le rapporteur Christophe-André Frassa a su proposer des ajustements judicieux, tout en reconnaissant l'utilité de ce texte. Je vous en remercie, mon cher collègue.
En limitant le champ de mise en œuvre des Lapi à des fins répressives, il a tenu compte des préoccupations exprimées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés concernant la protection des libertés individuelles et de la vie privée, dans sa délibération du 13 juin 2024 portant avis sur un projet d'arrêté modifiant l'arrêté du 18 mai 2009 portant création d'un traitement automatisé de contrôle des données signalétiques des véhicules.
Cette proposition de loi contribuera à faciliter le travail de nos forces de l'ordre, en leur faisant notamment gagner du temps, ce qui leur permettra de redéployer sur d'autres tâches les moyens humains normalement mobilisés lors des contrôles routiers. Elle pourra également contribuer à la reconstitution de trajets dans le cadre d'enquêtes judiciaires.
En cette période de vœux, il est à espérer que ce texte aura également un effet dissuasif sur les jeunes se livrant de manière illégale et dangereuse à des rodéos urbains.
En conclusion, l'assouplissement encadré de l'usage des dispositifs Lapi aura des effets positifs sur la sécurité de nos concitoyens. C'est pourquoi le groupe Union Centriste se prononcera favorablement lors du vote de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ne nous y trompons pas : cette proposition de loi ne parle pas seulement et exclusivement de technique. Elle parle tout simplement de la sécurité des Français. Elle parle surtout de notre capacité collective à regarder le réel en face.
Une fois encore, ce texte est l'occasion d'un débat, que nous ne pouvons plus repousser, sur l'usage des nouvelles technologies par nos forces de l'ordre et, donc, du cadre juridique qui doit en permettre le déploiement : un cadre clair, cohérent, exigeant et protecteur.
Souvenez-vous des jeux Olympiques, mes chers collègues : nous avions commencé ce débat. Vidéosurveillance algorithmique, intelligence artificielle, dispositifs expérimentaux : du fait de leur caractère exceptionnel, les jeux Olympiques ont servi de laboratoire. Et c'est très bien !
Mais nous ne pouvons plus nous réfugier derrière l'exceptionnel pour penser la sécurité des Français au quotidien. Car la délinquance, elle – cela a été dit –, ne fait pas d'expérimentation. Elle innove, elle s'adapte, elle utilise toutes les technologies disponibles.
Et nous ne pouvons plus nous permettre d'empiler des régimes dérogatoires, en bricolant des cadres temporaires ou en multipliant les expérimentations sans lendemain. Ce ne serait ni sérieux ni responsable ni à la hauteur des enjeux.
Nous ne devons pas subir l'avenir. Notre rôle est au contraire de l'anticiper, en pensant lucidement et courageusement ce que j'appellerai le policier augmenté de demain : un policier mieux protégé, plus efficace, plus encadré par la loi et, donc, plus légitime.
Oui, la course à la technologie est totalement frénétique. L'intelligence artificielle progresse à une vitesse fulgurante, proposant des technologies qui ont déjà fait leurs preuves en matière de production et de reconnaissance d'images ou de voix, mais aussi par leurs capacités à identifier, à confondre et à élucider.
Faut-il en faire un tabou au nom des libertés publiques et individuelles ? Bien sûr que non : le maintien de l'ordre a d'ailleurs toujours reposé sur une forme de conciliation ; une conciliation exigeante, parfois inconfortable, mais nécessaire entre sécurité et liberté. Refuser ce débat au nom de fantasmes orwelliens, c'est insulter l'intelligence du Parlement, c'est caricaturer notre démocratie et c'est, en réalité, laisser le terrain libre à l'impuissance.
Ce que nous devons faire, au contraire, c'est ouvrir un débat apaisé, rationnel et exigeant, comme nous le faisons aujourd'hui. Il nous faut sortir de l'idéologie, de la peur, et construire enfin un arsenal juridique de droits clairs et durables.
La sécurité des Français mérite bien mieux que des postures : elle mérite une forme de courage, de lucidité, de responsabilité. C'est exactement ce à quoi ce texte nous appelle. Je tiens à remercier son auteur, ainsi que notre excellent rapporteur, Christophe-André Frassa, qui a peaufiné la copie initiale.
Pour toutes les raisons que je viens d'indiquer, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à assouplir les contraintes à l'usage de dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation et à sécuriser l'action des forces de l'ordre
Article 1er
L'article L. 233-1 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :
« Art. L 233-1. – I. – Les services de police et de gendarmerie nationales et des douanes peuvent mettre en œuvre des dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants, en tous points appropriés du territoire, en particulier dans les zones frontalières, portuaires ou aéroportuaires ainsi que sur les grands axes de transit national ou international, afin de faciliter la constatation et de permettre le rassemblement des preuves et la recherche des auteurs des infractions suivantes :
« 1° Les actes de terrorisme ;
« 2° Les infractions criminelles ou liées à la criminalité organisée au sens des articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale ;
« 3° Les infractions de vol et de recel de véhicules volés ;
« 4° Les infractions de vol aggravé et de recel ;
« 5° Les infractions d'évasion réalisées par violence, effraction ou corruption ;
« 6° Les infractions d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers prévues et réprimées par les articles L. 823-1 à L. 823-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
« 7° Les infractions de contrebande, d'importation ou d'exportation commises en bande organisée, prévues et réprimées par le dernier alinéa de l'article 414 du code des douanes ainsi que la constatation, lorsqu'elles portent sur des fonds provenant de ces mêmes infractions, de la réalisation ou de la tentative de réalisation des opérations financières définies à l'article 415 du même code.
« II. – Les dispositifs mentionnés au I peuvent également être mis en œuvre, dans les mêmes conditions, aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme.
« III. – La mise en œuvre de tels dispositifs est également possible par les services de police et de gendarmerie nationales, à titre temporaire, pour la préservation de l'ordre public, à l'occasion d'événements particuliers ou de grands rassemblements de personnes, par décision de l'autorité administrative. »
Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 7
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« …°Les infractions d'escroquerie ;
« …°Les infractions de soustraction de mineurs prévues aux articles 227-8 à 227-10 du code pénal ;
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Le présent amendement, comme je l'ai évoqué lors de la discussion générale, vise à étendre l'usage des dispositifs Lapi à la répression des infractions d'escroquerie et de soustraction de mineur.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Permettez-moi de rebondir sur les propos qui ont été tenus lors de la discussion générale. Le présent texte, tout comme la présente proposition du rapporteur, vise, de manière très encadrée, un certain type d'infractions. L'équilibre de la rédaction satisfait à l'objectif du Gouvernement, qui consiste à donner tous les moyens nécessaires aux forces de sécurité tout en garantissant les libertés publiques, que de nombreux orateurs ont évoquées.
L'avis est favorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. Lors des travaux de la commission, vous avez présenté cet amendement de manière très succincte, renvoyant de plus amples explications à la séance publique, monsieur le rapporteur.
Je suis donc un peu frustrée, mon cher collègue, car j'aimerais connaître les raisons qui motivent l'ajout de ces deux infractions.
Si ces raisons paraissent évidentes pour ce qui est des infractions de soustraction de mineur, il en va différemment de l'escroquerie. Pourquoi avoir recours aux Lapi pour ce type d'infraction ? Est-ce en lien avec la lutte contre la criminalité organisée ?
En l'absence d'explications sur ce point, mon groupe demeure réservé quant à cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Les dispositifs Lapi sont déjà utilisés déjà dans les zones frontalières portuaires et aéroportuaires, ainsi que sur les grands axes routiers nationaux ou internationaux, à des fins de prévention du terrorisme.
Le rapporteur du Sénat propose d'élargir le périmètre d'application des dispositifs Lapi aux infractions concernant l'aide à l'entrée et au séjour irréguliers, ce dont mon groupe s'inquiète.
Les dispositifs de technologie de surveillance pourraient en effet être déviés de leur finalité de prévention des crimes graves, au profit de la recherche et de la traque des personnes qui aident les personnes migrantes.
Dès lors que ces dernières ont passé les frontières, ces personnes peuvent s'efforcer de leur accorder un accueil digne de ce nom, les aider à réunir les conditions leur permettant de régulariser leur situation, voire à se rendre, ensuite, dans un pays qui les acceptera, ce qui suppose parfois de traverser la France.
Nous déplorons chaque année de nombreux décès en raison des conditions terribles dans lesquelles les migrants passent les frontières, que ce soit dans les Alpes ou dans la Manche.
Or les dispositions de l'alinéa 8 ne feront qu'aggraver cette situation, sans remédier au problème des passeurs. Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons la suppression de cet alinéa.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la possibilité, introduite dans le texte par la commission la semaine dernière, pour les forces de l'ordre, de recourir aux dispositifs Lapi, non pas pour lutter contre les activités que vous indiquez, mon cher collègue, mais pour rechercher les auteurs d'infractions d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers.
Il ressort en effet des auditions que j'ai conduites que le recours aux dispositifs Lapi serait particulièrement utile pour la répression de ces infractions, qui, contrairement à ce que vous indiquez, sont considérées comme graves, et peuvent à ce titre être punies d'une peine de cinq ans d'emprisonnement, et même de dix ans lorsqu'elles sont commises en bande organisée.
Comme vous le constatez, nos approches divergent, mon cher collègue. Notre objectif n'est pas de traquer des personnes qui feraient preuve d'humanité : il est de lutter contre de funestes desseins.
L'avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Je souscris aux propos du rapporteur. Le Gouvernement partage l'objectif de lutter contre les réseaux de passeurs, objectif dans le cadre duquel l'usage des dispositifs Lapi peut se révéler extrêmement utile.
L'avis est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Il va de soi que je partage moi aussi l'objectif de lutte contre les réseaux de passeurs et le crime organisé. Je souligne simplement que la rédaction actuelle ne garantit pas que les dispositifs Lapi ne seront pas utilisés à d'autres fins.
Or les gouvernements passent. L'exécutif qui sera chargé de l'application de ce texte dans six mois, un an ou deux ans ne sera pas le même qu'aujourd'hui. La loi doit être rédigée de telle sorte qu'elle empêche toute dérive, ce qui n'est pas le cas à ce stade.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Le troisième alinéa de l'article L. 233-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Aux première et deuxième phrases, les mots : « de quinze jours » sont remplacés par les mots : « d'un mois » ;
2° À la dernière phrase, la seconde occurrence des mots : « d'un » est remplacée par les mots : « de deux ».
Mme la présidente. L'amendement n° 4 rectifié ter, présenté par M. Rochette, Mme Bourcier, MM. Brault, Chasseing, Chevalier et Capus, Mme L. Darcos, M. Laménie, Mme Lermytte, MM. V. Louault, A. Marc et Wattebled, Mme Aeschlimann, MM. Belin et Delia et Mme Romagny, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 233-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :
« Art. L. 233-2. – I. – Pour les finalités mentionnées aux articles L. 233-1 et L. 233-1-1, les données à caractère personnel collectées à l'occasion des contrôles susmentionnés peuvent faire l'objet de traitements automatisés mis en œuvre par les services de police et de gendarmerie nationales et les services des douanes et soumis aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
« II. – Ces traitements comportent une consultation du traitement automatisé des données relatives aux véhicules volés ou signalés ainsi que du système d'information Schengen. Ces traitements comportent également une consultation du traitement automatisé de données du système d'immatriculation des véhicules, du traitement automatisé du système de contrôle automatisé ainsi que des traitements de données relatives à l'assurance des véhicules.
« III. – Les données à caractère personnel collectées par les traitements automatisés mentionnés au I sont conservées pour une durée d'un an à compter de leur enregistrement sans préjudice des nécessités de leur conservation pour les besoins d'une procédure pénale ou douanière.
« Peuvent avoir accès aux données ainsi collectées et ayant fait l'objet d'un rapprochement positif avec les traitements mentionnés au II :
« 1° Pour les finalités mentionnées aux articles L. 233-1 et L. 233-1-1, les personnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes, individuellement désignés et dûment habilités, pour une durée maximale d'un mois à compter de leur collecte ;
« 2° Après autorisation et sous le contrôle d'un magistrat, pour les besoins exclusifs des enquêtes judiciaires et des instructions portant sur les infractions mentionnées à l'article L. 233-1, les officiers et agents de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale ainsi que les agents des douanes investis de missions de police judiciaire, individuellement désignés et dûment habilités, pour une durée maximale d'un an à compter de leur collecte.
« IV. – Aux fins de prévenir et de réprimer les actes de terrorisme et de faciliter la constatation des infractions s'y rattachant, les personnels individuellement désignés et dûment habilités des services de police et de gendarmerie nationales spécialement chargés de ces missions peuvent avoir accès à ces traitements. »
La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Comme je l'ai indiqué lors de la discussion générale, cet amendement vise à étendre à un an la durée de conservation des données, uniquement en cas de rapprochement positif et avec l'accord d'un magistrat, sur le modèle du dispositif belge. Dans le cadre d'écoutes téléphoniques, les forces de l'ordre ont la possibilité d'étendre de la sorte les délais de conservation des fadettes, ce qui leur permet de travailler plus sereinement.
En fixant des délais de conservation trop courts, nous laissons aux criminels une chance de bénéficier de l'effacement des données.
Je précise que si cet amendement était adopté, l'amendement n° 5 rectifié bis n'aurait plus d'objet.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Le présent amendement a été rectifié depuis son examen par la commission ce matin. La rédaction que nous avons examinée instaurant à mon sens un cadre insuffisamment précis, la commission a, sur ma proposition, émis un avis défavorable sur cet amendement.
Lors des auditions – vous étiez présente, madame Linkenheld –, j'ai toutefois exprimé, à titre personnel, mon intérêt pour le modèle belge, qui, sous réserve d'une autorisation du juge, permet d'étendre à un an la durée de conservation des données. Il me paraît donc pertinent d'explorer cette piste.
Dans ces conditions, et puisque la commission ne s'est pas de nouveau réunie depuis la rectification de cet amendement, je m'en remettrai, toujours à titre personnel, à la sagesse du Sénat sur cet amendement, étant entendu que la commission s'est prononcée en défaveur de cet amendement, mais dans sa première version.
Mme Audrey Linkenheld. Mais c'est le même amendement !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Non ! Par l'amendement que nous avons examiné, ce matin, en commission, il s'agissait de se caler sur l'expérimentation en cours pour les douanes, en étendant le délai de conservation des données à quatre mois pour l'ensemble des forces de sécurité intérieure. J'avais alors donné un avis défavorable, car je trouvais que l'expérimentation qui venait à peine de commencer devait se poursuivre.
Excusez-moi, madame la présidente, je suis un peu plus long que prévu, mais, comme dirait l'autre, « je ne crie pas, j'explique ». (Sourires.)
La commission a suivi mon avis et ne s'est pas réunie depuis lors pour examiner l'amendement entièrement réécrit de M. Rochette, qui propose à présent de se caler sur ce qui se passe en Belgique, c'est-à-dire de conserver les données pendant une année entière, en prévoyant un délai de consultation d'un mois au-delà duquel le juge, et uniquement le juge, décide s'il faut aller plus loin.
L'avis de la commission reste défavorable ; à titre personnel, j'émets toutefois un avis de sagesse.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. L'augmentation de la durée de conservation des données est pour nous un enjeu fondamental. Vous avez d'ailleurs tous évoqué ce point dans la discussion générale. Même s'il convient, bien évidemment, d'encadrer cette pratique, le Gouvernement a émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. Je vais moi aussi essayer de m'expliquer sans m'énerver (Sourires.), même si, possiblement, il y aurait de quoi ! Très sincèrement, cette proposition de loi comporte trois articles qui ne sont pas très longs. De nombreuses auditions ont eu lieu et j'ai participé à un grand nombre d'entre elles. J'ai échangé avec l'auteur de la proposition de loi et avec le rapporteur. Nous avons examiné le texte une première fois, puis une deuxième fois, en commission. Nous avons été nombreux à rappeler, lors de la discussion générale, le nécessaire équilibre entre liberté et sécurité. Le groupe SER a précisé à quelles conditions il voterait favorablement ce texte, et l'une d'entre elles était précisément de préserver l'article 2, au regard de ce que le Conseil constitutionnel a indiqué dès 2006, à savoir que la brièveté du délai de conservation – qui, je le rappelle, est aujourd'hui de huit jours – est une garantie de l'absence de surveillance généralisée et du respect de la vie privée.
Or voilà que l'on nous propose que ce délai passe de huit jours à un an, sans que nous ayons eu l'occasion d'échanger sur le sujet, même si je remercie le rapporteur de ses précisions, de son avis à titre personnel et d'avoir pris le temps de s'expliquer. Certes, le dispositif serait encadré, nous l'avons entendu, mais tout de même ! Si le délai passe de huit jours à un an, je ne suis pas sûre que la garantie de brièveté invoquée par le Conseil constitutionnel serait respectée. Auparavant, nous comptions en jours ; désormais, nous compterions en mois, voire en années.
Dans ces conditions, les membres de mon groupe ne voteront pas cet amendement. S'il était adopté, nous ne voterions pas l'article et cela remettrait totalement en cause l'avis que nous pouvons avoir sur cette proposition de loi.
Mme la présidente. En conséquence, l'article 2 est ainsi rédigé et l'amendement n° 5 rectifié bis n'a plus d'objet.
Article 3
Le chapitre III du titre III du livre II du code de la sécurité intérieure est complété par un article L. 233-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 233-3. – Une convention de mise à disposition des données collectées par les dispositifs de contrôle mentionnés à l'article L. 233-1 et installés sur les systèmes de vidéoprotection mis en œuvre sur la voie publique peut être conclue entre les autorités publiques compétentes au sens de l'article L. 251-2 et les services de police et de gendarmerie nationales et des douanes.
« Cette convention organise les modalités d'accès des services de police et de gendarmerie nationales et des douanes aux données collectées et identifie les systèmes de vidéoprotection supplémentaires devant être équipés desdits dispositifs. Elle précise également les modalités de financement des dispositifs supplémentaires de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules. Elle établit que l'exploitation des données collectées est du ressort exclusif des services de police et de gendarmerie nationales et des douanes.
« Les données mises à disposition des services de police et de gendarmerie nationales et des douanes peuvent être utilisées dans les conditions et les limites fixées au présent chapitre.
« Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent article et détermine les clauses d'une convention type.
« Les normes techniques auxquelles se conforment les systèmes de vidéoprotection mentionnés au premier alinéa du présent article sont fixées par un arrêté du ministre de l'intérieur, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. »
Mme la présidente. L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par M. Rochette, Mme Bourcier, MM. Brault, Capus, Chasseing et Chevalier, Mme L. Darcos, M. Laménie, Mme Lermytte, MM. V. Louault, A. Marc et Wattebled, Mme Aeschlimann, MM. Belin et Delia et Mme Florennes, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après la référence :
L. 251-2
insérer les mots :
ou les sociétés concessionnaires d'autoroutes
La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Nous proposons d'étendre le dispositif de conventionnement prévu pour les Lapi aux sociétés concessionnaires d'autoroutes. En effet, il est évident que plus il y a de capteurs pour collecter des données, plus le travail des forces de l'ordre est facilité par la suite.
Je rappelle le chiffre que j'ai déjà cité dans la discussion générale. En France, nous comptons 650 Lapi contre 5 000 en Belgique, pays qui est pourtant dix-huit fois plus petit que le nôtre, et 13 000 au Royaume-Uni, pays qui est deux fois et demie plus petit que le nôtre. Notre retard est donc considérable et le conventionnement avec les sociétés d'autoroutes nous permettrait de le rattraper.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement vise à ce que les forces de sécurité intérieure puissent récupérer l'ensemble des données Lapi collectées par les caméras de vidéoprotection, en dotant de ce dispositif les sociétés autoroutières via la signature d'une convention.
À mon sens, il est satisfait, puisque l'article 3, tel qu'adopté par la commission, prévoit la possibilité pour les autorités publiques compétentes d'installer des systèmes de vidéoprotection et de conclure des conventions avec les forces de sécurité intérieure, afin de mettre à la disposition de celles-ci les données Lapi collectées par leurs caméras. Or une circulaire d'octobre 1996 relative à l'application de l'article 10 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité précise que la notion d'autorité publique compétente pour installer un système de vidéoprotection sur la voie publique englobe certains concessionnaires, tels que les sociétés concessionnaires d'autoroutes.
Mon cher collègue, je vous demande donc de retirer votre amendement ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Même avis.
Mme la présidente. Monsieur Jean Rochette, l'amendement n° 3 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Pierre Jean Rochette. Je suis disposé à retirer cet amendement, mais je ne suis pas certain que nous soyons tout à fait d'accord. En effet, ces données Lapi existent déjà, en réalité, et l'objet de cet amendement est de faire en sorte qu'elles remontent directement au système de traitement central Lapi (STCL). C'est la raison pour laquelle nous proposions qu'une convention soit signée.
Ce sujet rejoint certaines problématiques liées aux ports ou aux gares. Au-delà, il rappelle aussi certaines questions que nous nous étions posées au sujet des portiques écotaxe. Je ne veux pas réveiller un vieux débat, mais, en réalité, les portiques écotaxe s'ajoutaient aux dispositifs déjà en place sur le réseau autoroutier.
Par conséquent, je ne voudrais pas que le texte soit dénaturé parce que nous n'aurions pas prévu cette possibilité. L'idée est tout de même que, dans le cas d'un réseau en délégation de service public ou en concession, des capteurs installés puissent collecter des données pour les envoyer au STCL. Tel est l'unique objet de cet amendement.
Monsieur le rapporteur, si vous me garantissez que cela est déjà prévu, je le retirerai ; si vous n'en êtes pas certain, je préfère le maintenir.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Rochette, c'est prévu, et cela peut passer par une convention. Vous pouvez donc retirer votre amendement.
M. Pierre Jean Rochette. Je le retire !
Mme la présidente. L'amendement n° 3 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 8, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 3, deuxième phrase
Après le mot :
financement
rédiger ainsi la fin de la phrase :
desdits dispositifs supplémentaires.
II. – Alinéa 6
Remplacer les mots :
au premier alinéa
par les mots :
aux premier et deuxième alinéas
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il est rédactionnel, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Monsieur le rapporteur, je reprendrai l'argument que vous venez d'invoquer auprès de M. Rochette : votre amendement est déjà satisfait. Avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. J'aimerais comprendre. Soit cet amendement est rédactionnel et il n'a pas d'incidence, soit il introduit une nouvelle notion, qui est déjà inscrite dans notre droit, d'après Mme la ministre. Je n'ai pas d'avis, en l'occurrence, mais je ne comprends pas comment un amendement rédactionnel pourrait être satisfait.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Cet amendement est en effet rédactionnel. Mais le point qui y est soulevé est déjà pris en compte. C'est la raison pour laquelle, en dépit de son caractère rédactionnel, nous émettons un avis défavorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par Mme Linkenheld, MM. Bourgi et Chaillou, Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Kanner et Kerrouche, Mme Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
Conseil d'État
insérer les mots :
, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés,
La parole est à Mme Audrey Linkenheld.
Mme Audrey Linkenheld. L'avis de la Cnil est pour l'instant prévu uniquement pour l'arrêté du ministère de l'intérieur portant sur les normes techniques des dispositifs Lapi que nous installerions par convention volontaire entre les collectivités, les autorités publiques compétentes – qui comprennent peut-être les sociétés concessionnaires d'autoroutes – et les forces de sécurité, à savoir la police, la gendarmerie et les douanes.
Comme je l'indiquais dans la discussion générale, nous proposons, à l'article 3, que l'avis de la Cnil porte plus généralement sur l'ensemble du décret pris en Conseil d'État qui viendra encadrer ces fameuses conventions.
Au regard de tout ce que nous avons entendu jusqu'à présent, cet avis me semble particulièrement bienvenu. La Cnil a déjà rendu des avis, notamment sur le STCL auquel mon collègue vient de faire référence. Sur un sujet aussi sensible, il serait opportun de s'assurer de ce que la Commission préconise.
Je rappelle que nous examinons une proposition de loi, de sorte que le texte n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact, pas plus que d'un avis du Conseil d'État ou d'un avis préalable de la Cnil.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ma chère collègue, votre amendement est tout à fait pertinent. Au regard de la loi Informatique et libertés, il semble en effet utile de prévoir un avis préalable de la Cnil sur le décret en Conseil d'État qui précisera, notamment, les règles de collecte et de partage des données Lapi avec les forces de sécurité intérieure.
Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. C'est un avis défavorable. (M. le rapporteur et Mme Audrey Linkenheld protestent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour explication de vote.
M. Pierre Jean Rochette. Je précise que la Cnil est la première autorité que nous avons sollicitée dans le travail préparatoire de ce texte. À titre personnel, je suis plutôt favorable à ce que cela continue. Par conséquent, cet amendement ne me semble pas poser de difficulté et je le soutiendrai.
Toutefois, je le redis, car c'est important : la Cnil, du début jusqu'à la fin de la préparation de ce texte, a été associée à nos travaux.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Après l'article 3
Mme la présidente. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Bourgi, Mmes Bélim et Harribey et MM. Omar Oili et Mérillou, est ainsi libellé :
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 233-2 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un article L. 233-... ainsi rédigé :
« Art. L. 233-... - I. – Aux fins de faciliter la constatation des infractions de stationnement très gênant mentionnées à l'article R. 417-11 du code de la route, celles-ci sont dépénalisées et deviennent des infractions relevant d'un système de contrôle automatisé.
« Les dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation peuvent être utilisés, sur l'ensemble du territoire, pour constater à distance les faits de stationnement très gênant mentionnés à l'article R. 417-11 du code de la route, y compris lorsqu'ils sont commis sur des trottoirs, passages piétons, pistes cyclables, voies réservées (bus, taxis, cycles) ou emplacements protégés.
« Les constations effectuées par dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation produisent les mêmes effets qu'une contravention constatée par un agent assermenté, sous réserve des règles de procédure pénale et du respect des garanties fondamentales, notamment en matière de droit à l'information et de contestation.
« II. - Les modalités d'usage des dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation pour la constatation des infractions de stationnement très gênant, ainsi que les conditions techniques de preuve, sont précisées par décret en Conseil d'État. »
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Depuis la dépénalisation du stationnement payant en 2018, les dispositifs Lapi peuvent être utilisés pour le contrôle du stationnement payant ou du code de la route. Depuis la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019, les collectivités territoriales peuvent recourir à des dispositifs Lapi afin de verbaliser le non-respect des règles de circulation, en particulier celles qui sont liées aux voies de circulation réservées aux véhicules de transport en commun, aux taxis et aux véhicules utilisés pour le covoiturage.
Le présent amendement vise à compléter et à parfaire la réglementation en vigueur, en intégrant l'infraction de stationnement très gênant dans le champ des dispositifs Lapi. Aujourd'hui, pour être valablement constatée, cette contravention de quatrième classe nécessite la présence d'un agent assermenté, ce qui limite considérablement l'efficacité de la répression et de la régulation de l'espace public.
La dépénalisation de cette infraction permettrait, premièrement, d'accroître le nombre de constats effectués, notamment dans les zones denses des centres-villes où les agents assermentés ne peuvent raisonnablement pas être postés en permanence ; deuxièmement, de renforcer la fluidité et la sécurité de la circulation, en particulier pour les piétons et les cyclistes systématiquement gênés par certains stationnements abusifs ; troisièmement, de rationaliser et d'optimiser l'emploi des moyens humains en réservant la présence d'agents assermentés aux fonctions de surveillance et de contrôle à la sortie des établissements scolaires, par exemple.
Pour prolonger l'échange que nous avons eu en commission des lois, ce matin, avec M. le rapporteur, qui m'a indiqué que l'amendement était satisfait, je l'invite à consulter la publication en ligne sur le site de la Cnil en date du 5 juin de cette année, qui explique exactement l'inverse.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Mon cher collègue, l'article L. 233-1-1 du code de la sécurité intérieure autorise la police et la gendarmerie nationales à utiliser les dispositifs Lapi pour la répression des infractions au code de la route, parmi lesquelles les infractions de stationnement très gênant.
Vous anticipez peut-être sur le projet de loi relatif à l'extension des prérogatives, des moyens, de l'organisation et du contrôle des polices municipales et des gardes champêtres, que nous examinerons bientôt. Mais, en l'occurrence, ce que vous demandez, avec certains de vos collègues, à travers cet amendement est satisfait. Je sollicite donc son retrait ; à défaut, l'avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Comme vient de l'indiquer M. le rapporteur, cet amendement est satisfait. En outre, le sujet reviendra dans les débats que vous aurez à conduire dans le cadre du projet de loi sur les polices municipales et les gardes champêtres.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Madame la ministre, il y a un paradoxe. Vous m'indiquez que l'amendement est satisfait, mais vous me renvoyez à un débat que nous aurons ultérieurement. C'est bien la preuve qu'il ne l'est pas, car s'il l'était, nous n'aurions pas ce débat, ni aujourd'hui ni plus tard.
Monsieur le rapporteur, vous me dites que la police et la gendarmerie peuvent constater cette infraction. Je n'ai pas dit l'inverse. Je dis simplement que les policiers et les gendarmes doivent être présents physiquement pour la constater. Je voudrais lever cet obstacle et ce verrou, afin d'éviter d'avoir à mobiliser systématiquement les polices municipales pour venir constater une infraction.
J'ai donc bien compris le sens de votre réponse, la vôtre ainsi que celle de madame la ministre. Elles ne sont pas satisfaisantes, j'en prends acte, et nous aurons le débat lors de l'examen du projet de loi sur les polices municipales et les gardes champêtres. Je vous dis toutefois que ce n'est pas respectueux des échanges que nous avons ni du travail de fond que nous menons. Si l'amendement est satisfait, rien ne sert de revoir le sujet dans quelques mois ; s'il ne l'est pas, nous pouvons en débattre dès aujourd'hui.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. Encore une fois, à travers ce débat et les explications qui sont données, nous constatons que le sujet est plus compliqué qu'il n'en a l'air.
En effet, ce qui est couvert par le texte, c'est ce qu'il est possible de faire avec des caméras contrôlées par la police, la gendarmerie ou les douanes.
Or ce dont parle mon collègue Hussein Bourgi, ce que nous connaissons à Montpellier comme à Lille ou ailleurs, c'est un dispositif qui relève de la gestion municipale, dont font notamment partie les voitures Lapi. Nous les voyons tourner partout dans nos villes pour contrôler le stationnement, mais, sauf erreur de notre part – et c'est le sens de notre question –, elles ne peuvent aujourd'hui sanctionner que le non-paiement du stationnement et non pas le stationnement gênant, le « GCUM », comme on dit de manière polie… Tel est l'objet de cet amendement.
Par conséquent, il ne peut pas être satisfait, puisque ce texte ne mentionne pas les caméras des voitures Lapi, mais seulement celles qui sont installées par la police, la gendarmerie et les douanes. Nous avons d'ailleurs bien indiqué, dans l'article 3, que le seul lien qui peut exister entre les forces de sécurité et les collectivités territoriales est un lien de collaboration, mais que les données qui dépendent des forces de sécurité n'ont pas à être connues des collectivités. C'est un autre sujet, dont nous pourrons débattre, que celui de savoir s'il faut que ces données soient mieux partagées ou pas. Mais en l'espèce, il faut dire les choses clairement et ne pas se contenter de renvoyer le débat à un autre texte, même s'il est vrai que le sujet relève plus de la police municipale que de la police nationale.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3 bis (nouveau)
Aux premiers alinéas des articles L. 285-1, L. 286-1 et L. 287-1 du code de la sécurité intérieure, les mots : « n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic » sont remplacés par les mots : « n° … du … visant à assouplir les contraintes à l'usage de dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation et à sécuriser l'action des forces de l'ordre » – (Adopté.)
Article 4
I. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
II. – L'éventuelle perte de recettes résultant pour l'État du I est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Madame la ministre, nous voici parvenus au dernier article de ce texte, qui pose la question du gage. Vous nous avez dit d'entrée de jeu, lors de la discussion générale, que vous souteniez la démarche de notre excellent collègue Pierre Jean Rochette, et vous l'avez soutenue.
La question est donc désormais la suivante : le Gouvernement lève-t-il le gage, même s'il semble qu'il n'y en ait pas besoin, étant donné que nous sommes à moyens constants ? Madame la ministre, roulement de tambour…
M. Hussein Bourgi. C'est Noël !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Si seulement…
Malheureusement, nous ne le ferons pas, car nous estimons que le texte est applicable à moyens constants, de sorte que le gage n'est que théorique.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ce n'est plus Noël…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il aurait fallu le dire au début de la discussion !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Si nous sommes à moyens constants, comme vient de le dire Mme la ministre, nous pouvons voter contre l'article 4, car le gage n'est plus nécessaire. C'est pourquoi je suggère à l'ensemble de nos collègues qui soutiennent ce texte de voter contre l'article 4.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite remercier l'auteur de la proposition de loi, Pierre Jean Rochette, ainsi que ceux de nos collègues qui se sont associés à son initiative, sans oublier l'excellente commission des lois, son rapporteur, sa présidente et ceux, parmi nous, qui en font partie.
Comme l'a rappelé le rapporteur spécial de la commission des finances, Bruno Belin, dans la discussion générale, les questions liées à la sécurité ou aux sécurités, notamment à la sécurité intérieure, représentent un budget non négligeable, comme nous avons pu le constater dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances. Ce budget comporte de nombreuses dispositions qui intéressent non seulement la police nationale, la gendarmerie nationale et la sécurité civile, mais également, l'administration des douanes, qui est rattachée au ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Cela a été largement rappelé par mes collègues.
En effet, certains d'entre nous représentent des départements frontaliers et, pour ma part, dans les Ardennes, l'administration des douanes joue un rôle important.
Je salue également les polices municipales et les collectivités territoriales, qui pourront utiliser les dispositifs Lapi dans le cadre d'un partenariat.
Enfin, je tiens à féliciter l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur des nombreuses auditions qu'ils ont conduites avec la commission des lois.
Le groupe INDEP soutiendra cette excellente initiative. (MM. Pierre Jean Rochette et Laurent Somon applaudissent.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à assouplir les contraintes à l'usage de dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation et à sécuriser l'action des forces de l'ordre.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 129 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 254 |
| Pour l'adoption | 232 |
| Contre | 22 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-quatre, est reprise à dix-huit heures vingt-six.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Sécurisation des marchés publics numériques
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, la discussion de la proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques, présentée par M. Denis Wattebled et plusieurs de ses collègues (proposition n° 8, texte de la commission n° 200, rapport n° 199).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Denis Wattebled, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC – M. Simon Uzenat applaudit également.)
M. Dany Wattebled, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie de me donner l'occasion de présenter cette proposition de loi, qui s'inscrit dans la continuité des travaux de la commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française. J'ai eu l'honneur d'être le rapporteur de cette commission d'enquête, qui a travaillé pendant plusieurs mois sous la présidence de notre collègue Simon Uzenat, que je salue. Après 51 auditions, 3 déplacements et les témoignages de représentants de 134 structures, nous avons pu dresser un panorama complet, concret, parfois dérangeant, mais toujours instructif.
Nous sommes partis d'un constat simple : la commande publique est l'un des moteurs importants de l'économie française. Elle représente 400 milliards d'euros par an, 14 % du PIB et 80 % des marchés portés par les collectivités. Dans nos territoires, nous avons tous entendu ces témoignages d'élus et d'entreprises qui peinent à naviguer dans des procédures à la fois lourdes, complexes et parfois anxiogènes. Sont ainsi dénoncés la crainte du contentieux, la peur du pénal, l'empilement des obligations et, parfois, le sentiment d'une machine administrative qui s'éloigne du terrain.
Au fil des auditions, un sujet s'est imposé, presque malgré nous : la montée en puissance de la commande publique numérique, non pas comme une catégorie technique, mais comme un enjeu de souveraineté, de sécurité et de liberté pour nos politiques publiques.
Certaines réponses ont eu le mérite d'être d'une franchise inhabituelle. Lorsque nous avons demandé au président de Microsoft pour l'Europe de garantir que les données des citoyens français hébergées par Microsoft France ne seraient jamais transmises à des autorités étrangères sans l'accord des autorités françaises, la réponse a été : « Non, je ne peux pas le garantir. »
Voilà une vérité sans détour ! Ce n'est pas un procès à charge, c'est le résultat du droit extraterritorial américain, issu du Cloud Act et du Foreign Intelligence Surveillance Act (Fisa) – et de la mise en œuvre de ces dispositifs. Cela doit nous alerter.
Nous avons longuement travaillé sur le cas du Health Data Hub, devenu la plateforme des données de santé. Lors de son audition, la ministre de la santé de l'époque, Agnès Buzyn, nous l'avait affirmé clairement : c'était Microsoft ou rien. Cette décision grave était justifiée par une note de son cabinet, validée par une contre-expertise de la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (Dinsic), avec l'aval de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).
Résultat : 80 millions d'euros engagés et 60 millions de données françaises transférées outre-Atlantique. Cherchez l'erreur ! On nous a expliqué que ce choix était provisoire, qu'il était contraint par l'urgence, qu'il n'existait aucune alternative.
Six mois plus tard, l'urgence est devenue l'habitude, le provisoire une dépendance, et la dépendance une doctrine. Une doctrine en contradiction totale avec les discours que nous tenons ici même, et jusqu'au sommet de l'État, sur la souveraineté numérique, la protection des données et l'indépendance stratégique.
Nous avons récidivé avec le grand marché Microsoft pour l'éducation nationale, passé sans avis conforme de la direction interministérielle du numérique (Dinum), alors même que l'État demandait aux rectorats d'éviter ces solutions. Nous parlons ici de 152 millions d'euros sur quatre ans.
Plus grave encore, nous apprenons cette semaine que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a renouvelé pour trois années supplémentaires son contrat avec l'éditeur américain Palantir Technologies. Je ne vous ferai pas l'affront de vous rappeler que cette société a été fondée en 2003 avec l'aide d'In-Q-Tel, un fonds d'investissement de la CIA. C'est le comble ! Là encore, il y a un décalage entre les discours et les actes.
Le président-directeur général de l'Union des groupements d'achats publics (Ugap), qui est le premier acteur national de mutualisation des achats publics, reconnaît qu'il ne conseille pas suffisamment ses clients en matière de souveraineté numérique et que des progrès doivent encore être accomplis.
C'est le moins que l'on puisse dire, notamment si l'on se penche sur un accord-cadre du 17 septembre 2024, valable pour six ans. Nous parlons ici de 760 millions d'euros pour l'achat de licences Microsoft : 460 millions pour les ministères, 300 millions pour les collectivités.
Au total, si vous faites le compte, tout cela représente 1 milliard d'euros ! Un milliard d'euros qui n'iront ni à nos entreprises, ni à nos acteurs européens, ni à nos solutions souveraines ; 1 milliard d'euros qui financent notre propre dépendance aux technologies étrangères…
Rappelons un fait simple, parmi d'autres. Elon Musk a profité pendant vingt ans des milliards de la commande publique américaine. Pas de discours ou de grandes incantations, mais des marchés ! Vous ne m'enlèverez pas de l'esprit une conviction simple : nos entreprises ont besoin non pas de subventions compassionnelles, mais de commandes publiques courageuses.
Le paradoxe est là. Nous avons les outils, mais nous ne les utilisons pas. En France, nous avons une doctrine, un droit, des labels, des acteurs français et européens robustes, innovants et compétitifs. Dans la pratique, pourtant, nous persistons à héberger des données publiques sur des solutions exposées à des législations étrangères, ou à acheter des services numériques sans nous assurer que ces données ne puissent pas partir ailleurs. La commission d'enquête a conclu qu'il s'agissait non seulement d'un risque juridique, mais aussi d'un risque stratégique majeur.
C'est dans ce contexte qu'est née la recommandation n° 24, qui inspire la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. L'objectif de cette dernière est simple, presque évident : protéger les données publiques françaises. C'est un texte de protection et de bon sens.
Avec cette proposition de loi, nous voulons atteindre deux objectifs : sécuriser juridiquement les acheteurs et faire de la commande publique un levier pour nos propres acteurs.
Nous avons encore du travail : directives européennes, Small Business Act, structuration des filières, montée en puissance du cloud de confiance. Mais ce texte est une première étape essentielle.
Je veux saluer le travail remarquable de notre rapporteure, Olivia Richard. Chacun a pu mesurer l'écoute et la rigueur dont elle a fait preuve et se féliciter de sa volonté de sécuriser juridiquement le dispositif.
L'amendement qu'elle a proposé en commission visait à consolider l'équilibre du texte et à en assurer la pleine conformité avec le droit français et européen, tout en préservant l'objectif politique que nous visons : mieux protéger nos données publiques les plus sensibles.
Je souhaite également rappeler que l'article 31 de la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, dite loi Sren, sur lequel s'appuie utilement cette réécriture, demeure aujourd'hui privé d'effet faute de décret d'application. Cet article, pourtant essentiel pour définir et encadrer les données sensibles, n'a aucune portée tant que ce décret n'a pas été pris.
C'est pourquoi, madame la ministre, monsieur le ministre, j'en appelle solennellement au Gouvernement : que le décret d'application de l'article 31 soit publié dans les plus brefs délais, afin que les acheteurs publics disposent enfin du cadre clair et opérationnel que le Parlement a voulu. Il n'y a que dans notre pays que les lois adoptées mettent autant de temps à être appliquées...
Pardonnez-moi de vous le dire de but en blanc, mais nous sommes en guerre économique. Chaque jour compte. C'est pourquoi je porterai un amendement simple afin d'avancer l'entrée en vigueur du dispositif à l'année suivant la promulgation de la loi.
Cette mesure me semble justifiée par l'urgence croissante d'atteindre la souveraineté numérique face à la multiplication des cyberattaques et aux risques d'ingérence étrangère touchant les collectivités.
Depuis 2024, le marché français et européen du cloud souverain a atteint un niveau de maturité suffisant pour répondre aux besoins des grandes collectivités, d'autant que le texte ne concerne que les données sensibles et prévoit des dérogations en cas de contraintes particulières.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris : cette proposition de loi marque une évolution de bon sens, vers une souveraineté nécessaire. La sagesse populaire dit que nécessité fait loi. C'est le cas aujourd'hui. Je vous invite donc, après nos débats, à adopter ce texte avec conviction, pour que la commande publique soit enfin pleinement au service de notre souveraineté numérique. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Briante Guillemont et M. Pierre Jean Rochette applaudissent également.)
Mme Olivia Richard, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par notre collègue Dany Wattebled vise à renforcer la sécurité et la confidentialité des données publiques hébergées à distance ou « en nuage » – une expression très poétique.
Ce texte est le fruit d'un travail engagé il y a bientôt un an, dans le cadre de la commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique, dont notre collègue Dany Wattebled était rapporteur.
Son engagement, ainsi que celui de son président Simon Uzenat, que je salue, et de Catherine Morin-Desailly, dont nous connaissons tous l'engagement ancien et l'expertise sur ce sujet, a permis de mettre au jour de véritables failles dans la protection des données des citoyens français.
En effet, si le risque de cyberattaque est bien identifié en France depuis quelques années – chaque semaine, et encore ce matin, nous en apporte une nouvelle illustration –, un autre risque, moins visible, est souvent minimisé, y compris par nos services publics : celui d'un détournement de données par l'effet des législations extraterritoriales.
De fait, comme l'a démontré la commission d'enquête sénatoriale, les données hébergées en nuage auprès de prestataires étrangers, et notamment de grandes entreprises américaines, sont soumises à des règles de communication sur lesquelles nous n'avons pas la main, et qui permettent tous les abus.
Aux États-Unis, avec le Fisa et le Cloud Act, mais également désormais en Inde et en Chine, les autorités administratives sont en mesure de contraindre les entreprises à leur révéler le contenu d'une communication ou d'une information qu'elles détiennent, y compris lorsque celles-ci sont hébergées sur des serveurs hors de leur territoire national.
Aussi, lorsque nous recourons à des entreprises étrangères pour l'hébergement en nuage de données stratégiques, nous exposons celles-ci à un risque réel et documenté d'interception par des autorités étrangères, sans qu'il soit possible d'être alerté de telles opérations.
Or, devant les crissements géopolitiques actuels, la lucidité et le pragmatisme nous imposent désormais de ne plus céder à la naïveté et d'agir, enfin, pour préserver notre souveraineté.
Il faut à cet égard souligner que certains ont été précurseurs dans cette prise de conscience. Je veux notamment saluer ici l'action du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui a entrepris une stratégie numérique exemplaire depuis de nombreuses années, afin de sécuriser les services offerts à nos concitoyens vivant hors de France.
Grâce au recours à un service d'hébergement en nuage interne, le ministère garantit un contrôle intégral d'opérations hautement sensibles telles que le vote en ligne, la dématérialisation du registre d'état civil ou encore le registre des Français établis hors de France. Il assure ainsi la continuité et la sécurité des services, tout en se conformant aux cadres juridiques français et européen.
Ce volontarisme est un exemple qui démontre qu'une réelle souveraineté des opérations numériques est atteignable à court ou moyen terme.
Pour les autres administrations publiques, des progrès plus hétérogènes ont été atteints ces dernières années, notamment grâce au renforcement progressif de notre cadre juridique.
L'article 31 de la loi Sren impose ainsi depuis 2023 aux administrations publiques et aux opérateurs de l'État d'héberger leurs données sensibles dans un cloud souverain, c'est-à-dire un cloud français ou européen qui présente de fortes garanties de sécurité.
Le périmètre des données jugées sensibles correspond, aux termes de cette loi, aux données nécessaires à l'accomplissement des missions essentielles de l'État, dont la violation serait susceptible de causer une atteinte à la sécurité publique, à la santé des personnes ou encore à la propriété intellectuelle.
Les travaux de la commission d'enquête ont toutefois permis de démontrer que ces exigences de protection ne sont encore que partiellement appliquées. Il est en effet estimé que les fournisseurs souverains de prestations cloud représentent seulement 63 % des commandes effectuées par des administrations publiques, ce qui est encourageant, mais qui laisse encore de trop fortes marges de progression.
Par ailleurs, si nous disposons de ces chiffres concernant le niveau de protection des données de l'État, aucun suivi n'est effectué pour évaluer le niveau de protection des données détenues par les autres acheteurs publics, en particulier par les collectivités territoriales. Nous savons pourtant que les collectivités détiennent des données sensibles, et que celles-ci font fréquemment l'objet de cyberattaques, preuve de l'attrait qu'elles peuvent représenter.
Pour répondre à ces défaillances, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à renforcer substantiellement le niveau de protection des données publiques, en confiant les données de l'ensemble des acheteurs publics à des prestataires français ou européens.
La commission des lois a pleinement souscrit aux objectifs qui sous-tendent la proposition de loi : ils sont l'aboutissement d'un travail sérieux et utile et vont dans le sens d'une prise de conscience collective de l'urgence de protéger notre souveraineté numérique. Elle a néanmoins adopté des modifications du texte afin, d'une part, de le rendre plus cohérent face aux risques établis et au cadre juridique existant et, d'autre part, de faciliter sa mise en œuvre, notamment pour les collectivités territoriales.
Premièrement, dans une volonté de clarté et d'efficacité du dispositif, la proposition de loi, dans la version qui vous est soumise, vise à rendre obligatoire l'hébergement souverain des seules données sensibles, selon le périmètre arrêté par la loi Sren.
Ce périmètre a été jugé pertinent par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) puisque toute donnée détenue par une entité publique ne représente pas forcément un intérêt justifiant d'une protection maximale.
En restreignant les obligations d'hébergement aux seules données sensibles, la commission a en outre assuré la conformité du texte au cadre juridique européen. En effet, en raison des directives européennes propres aux marchés publics, mais également des engagements internationaux de la France et de l'Europe dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), toute « préférence européenne » dans les marchés publics doit être strictement justifiée et proportionnée.
Un dispositif écartant de manière systématique les opérateurs américains aurait ainsi pu être analysé comme une discrimination et une entrave à l'accès aux marchés, et aurait dès lors fait peser de graves risques de contentieux pour les acheteurs publics.
Deuxièmement, la commission a souhaité tenir compte des contraintes opérationnelles qui pèsent sur les petits acheteurs, au premier rang desquels les petites collectivités territoriales. C'est un sujet sur lequel la commission d'enquête relative à la commande publique a d'ailleurs beaucoup insisté : ces collectivités n'ont ni les ressources humaines, ni les moyens opérationnels, ni les leviers financiers pour faire face à la hausse continue des normes en matière d'achat public.
Je rappelle à cet égard que, si la sécurisation de nos données publiques est un impératif non négociable, elle emporte néanmoins des coûts qui ne sont pas marginaux. La Cour des comptes estime ainsi que le recours à une offre certifiée SecNumCloud, c'est-à-dire souveraine et hautement sécurisée, suppose des tarifs jusqu'à 40 % supérieurs aux offres traditionnelles.
En conséquence, afin de garantir le caractère réaliste et opérationnel du texte, la commission a exclu de son champ d'application les petites communes de moins de 30 000 habitants, ainsi que les communautés de communes.
Ce seuil correspond au périmètre arrêté par un autre texte créant des obligations nouvelles en matière de cybersécurité, le projet de transposition de la directive NIS 2, qui est en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Cet alignement permet ainsi de constituer un ensemble cohérent de mesures nouvelles afin de sécuriser les systèmes informatiques des grandes collectivités.
En outre, la commission a prévu un dispositif de dérogation pour toute collectivité qui aurait déjà engagé un projet nécessitant un recours à un service d'informatique en nuage, qui rencontrerait des difficultés techniques pour se conformer au dispositif proposé ou qui justifierait de surcoûts importants.
Loin de minimiser la portée du texte, ce mécanisme dérogatoire tient compte de l'état de préparation des acheteurs à ces nouvelles exigences, et laisse aux entreprises françaises et européennes le temps de développer leurs produits et d'abaisser leurs coûts. Les auditions conduites ont en effet démontré que le marché européen du cloud est en plein essor, ce qui implique qu'à moyen terme des paliers technologiques seront atteints et que les coûts seront réduits.
Dès lors, la date d'entrée en vigueur retenue par la commission des lois est le 1er janvier 2028. Pourquoi ce délai de deux ans ? Il paraît nécessaire à plusieurs égards. Le texte doit tout d'abord être examiné à l'Assemblée nationale et être promulgué en cas de vote conforme. Ensuite, les collectivités, qui vont faire face à des échéances électorales ces prochains mois, devront prendre connaissance de ces nouvelles normes, cartographier les données sensibles qu'elles détiennent, étudier les offres souveraines disponibles et entamer la passation de nouveaux marchés d'hébergement.
Ce délai doit permettre aux collectivités d'agir avec précision plutôt qu'avec précipitation, car l'objectif final est bien de parvenir à la sécurisation effective des systèmes informatiques et des données de nos concitoyens.
Toutefois, l'auteur du texte nous soumettra dans quelques instants un amendement visant à modifier cette date afin de fixer une entrée en vigueur un an après la promulgation du texte. Cette proposition, qui permettra de lever les incertitudes quant au calendrier de la navette parlementaire, me semble tout à fait judicieuse, et répond aux exigences que je viens d'exposer. Je salue donc cette proposition de compromis.
Ainsi, mes chers collègues, il me semble que les ajustements opérés par la commission ainsi que ce dernier amendement sont de nature à faciliter l'appropriation large et massive de ces nouveaux enjeux de souveraineté numérique par les acheteurs publics, sans ajouter de complexité démesurée à leurs missions.
Ce texte prend la mesure des défis auxquels la France et l'Europe sont désormais contraintes de faire face, avec un dispositif pragmatique, ambitieux et, n'ayons pas de scrupule à le rappeler, très largement précurseur au sein de l'Union européenne.
Avant de conclure, je souhaite saluer une fois de plus l'auteur de cette proposition de loi, Dany Wattebled,…
M. Pierre Jean Rochette. Bravo !
Mme Olivia Richard, rapporteure. … qui, par son engagement sans relâche, a provoqué une véritable prise de conscience au sein de notre institution. J'espère que ce texte nous permettra de franchir une nouvelle étape vers une souveraineté numérique française. (Applaudissements.)
M. Pierre Jean Rochette. C'est sûr !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne Le Hénanff, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, monsieur le sénateur Wattebled, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse de débattre avec vous aujourd'hui de la question de la commande publique numérique, sujet qui se situe au cœur de mon engagement et de celui du Gouvernement pour la souveraineté numérique.
Cette souveraineté numérique repose sur trois piliers clairs : une offre nationale et européenne de services numériques innovants et compétitifs, l'identification de nos dépendances pour œuvrer à les réduire avec nos partenaires européens, et la volonté de faire respecter nos règles et nos valeurs en Europe.
C'est cette approche équilibrée qui guide notre politique en matière de cloud : faire de celui-ci un levier de compétitivité pour nos entreprises et un outil majeur de la modernisation de l'action publique, tout en développant une offre de confiance qui garantisse l'hébergement des données publiques dans le respect de notre droit, de nos exigences de sécurité et de nos valeurs.
Pour atteindre ces objectifs, nous ne partons pas d'une feuille blanche. La souveraineté numérique se construit depuis 2021 et la stratégie du cloud se décline en trois piliers : le cloud de confiance, pour protéger les données particulièrement sensibles ; la doctrine « cloud au centre » pour enclencher la transition des administrations vers les clouds ; le soutien à l'offre nationale de cloud dans le cadre de France 2030.
Par ailleurs, nous avons levé progressivement les freins à la concurrence, d'abord en structurant la filière avec la création, en 2022, du comité stratégique de filière cloud, puis en poursuivant ce travail avec l'adoption, en 2023, par le Parlement de la loi dite Sren. Cette stratégie repose ainsi sur une idée simple : le cloud peut renforcer notre souveraineté numérique à condition d'être maîtrisé, sécurisé et encadré.
Concernant les administrations, l'adoption de la doctrine « cloud au centre » place désormais le cloud comme une solution de référence. Celui-ci est devenu un levier structurant de modernisation de l'action publique, de performance et d'innovation. La transition vers le cloud emporte un enjeu de sécurisation des données, et notamment des plus sensibles d'entre elles.
C'est tout le sens du travail conduit depuis plusieurs années, notamment avec l'appui déterminant de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). La mise en place de la qualification SecNumCloud constitue une avancée majeure. Elle permet d'identifier les offres capables de garantir un très haut niveau de sécurité, de protection des données sensibles et de résistance aux risques d'ingérence, notamment liés à des législations extraterritoriales. Des offres de plus en plus nombreuses sont qualifiées et utilisées désormais par les administrations.
La protection des données publiques dans l'espace numérique ne peut se réduire à la seule problématique des lois extraterritoriales. Elle repose également sur des politiques ambitieuses de cybersécurité et sur la capacité à sensibiliser les acteurs face aux risques cyber, à prévenir et à détecter les cyberattaques et à accroître notre cyberrésilience.
C'est tout l'objet du projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, déjà adopté par le Sénat et qui sera prochainement examiné à l'Assemblée nationale. Dans la continuité de la revue nationale stratégique de 2025, qui a érigé à juste titre la cyberrésilience de la Nation au rang d'objectif stratégique, le Gouvernement présentera prochainement sa stratégie nationale de cybersécurité à l'horizon 2030.
Dans ce contexte, je souhaite saluer l'initiative parlementaire qui nous réunit aujourd'hui. Je tiens tout d'abord à remercier Dany Wattebled, l'auteur de cette proposition de loi, dont les travaux s'inscrivent dans le prolongement de la commission d'enquête sur la commande publique qu'il a conduite avec Simon Uzenat. Ces travaux s'inscrivent également dans la continuité du rapport gouvernemental de la sénatrice Nadège Havet en 2021.
Je souhaite également saluer le travail de la rapporteure, Olivia Richard, et en particulier sa volonté de rechercher un équilibre juridiquement solide, opérationnel et compatible avec le cadre existant.
Plus largement, je souhaite témoigner devant vous de l'engagement et de la mobilisation du Gouvernement pour faire évoluer le cadre applicable aux marchés publics numériques, y compris au niveau européen.
Première étape, lors du sommet franco-allemand à Berlin consacré à la souveraineté numérique, nous avons lancé un groupe de travail pour définir ce qu'est un service numérique européen, jalon d'une préférence européenne.
Deuxième étape, la directive-cadre européenne sur les marchés publics sera révisée au cours du premier semestre 2026.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit totalement dans cette dynamique, avec la volonté de nourrir le débat public et l'ambition de concilier modernisation, sécurité, innovation et souveraineté. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je serai bref, car beaucoup a déjà été dit, mais je voudrais rappeler un élément qui figurait en filigrane des interventions précédentes. Quand l'État ou une collectivité passe un marché public numérique, il s'agit d'un choix qui n'est pas simplement technique ; c'est aussi un choix géopolitique.
Dans le contexte international que nous connaissons aujourd'hui, la neutralité numérique n'existe pas. Chacun sait à quel point les technologies numériques, et plus spécifiquement l'intelligence artificielle ou le cloud, sont instrumentalisées par des puissances extraeuropéennes et peuvent constituer autant de vulnérabilités pour notre pays.
Ces vulnérabilités étaient l'un des éléments essentiels mis en lumière par le rapport de la commission d'enquête sénatoriale, présidée par M. Uzenat et dont M. Wattebled était le rapporteur, laquelle a souligné la nécessité de reprendre la main sur un certain nombre d'achats publics, en particulier à la lumière du nouveau contexte international.
Je salue le travail réalisé par la commission d'enquête et celui de la commission pour préciser et rendre la plus opérationnelle possible cette proposition de loi. Ce texte part d'un constat et d'un impératif : garantir que les collectivités territoriales, à l'instar de l'État, protègent les données sensibles lors de leurs marchés publics numériques.
Le texte qui est proposé ne crée pas de nouvelle contrainte arbitraire : il étend aux collectivités les exigences que l'État s'applique déjà, en cherchant la voie la plus pragmatique, la plus efficace et la plus opérationnelle possible. Les travaux en commission ont permis de mieux cibler la mesure, de l'inscrire clairement dans les conditions d'exécution des marchés publics et de sécuriser son articulation avec le droit européen.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà du vote des lois, ce qui compte, c'est qu'elles soient appliquées. Vous y êtes très sensibles, car trop de rapports d'évaluation pointent l'écart entre les intentions du législateur et la mise en œuvre des textes, ce qui parfois s'explique par le fait que les réalités techniques et opérationnelles n'ont pas été assez prises en compte. Le travail qui a été effectué sur cette proposition de loi permet de surmonter cette difficulté.
Nous aurons encore des débats au cours de la navette sur ce texte, auquel nous sommes favorables, car il répond à cet impératif essentiel qu'est la souveraineté numérique. Nous sommes donc très heureux de continuer à y travailler avec vous. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et RDPI. – M. Simon Uzenat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Margueritte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. David Margueritte. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Dany Wattebled, issue des travaux de la commission d'enquête dont il était le rapporteur, présente un enjeu majeur pour la souveraineté de notre pays et la sécurité de nos données publiques. Elle entend répondre à des objectifs totalement légitimes, qui présentent une acuité particulière dans le contexte actuel.
Les administrations et nos collectivités territoriales recourent de plus en plus à des solutions d'hébergement en nuage. Très souvent, ces solutions sont proposées, on le sait, par des prestataires situés en dehors de l'Union européenne, compte tenu de la concentration extrêmement forte du secteur autour d'Amazon, de Microsoft et de Google.
Chacune et chacun mesure les effets et les conséquences de cette dépendance. Le risque que des autorités étrangères accèdent à des données sensibles est bien réel, en raison de la problématique très bien exposée par Mme la rapporteure et par l'auteur de la proposition de loi, à savoir celle des lois extraterritoriales qui permettent à des États tiers de se faire transmettre des données, y compris lorsque celles-ci sont hébergées sur le territoire français et contre l'avis de notre pays.
Notre collègue Dany Wattebled a rappelé tout à l'heure la réponse édifiante faite par le représentant de Microsoft dans le cadre de la commission d'enquête : elle suffit à elle seule à démontrer l'intérêt et la pertinence de cette proposition de loi, à laquelle le groupe Les Républicains sera favorable.
Nous avons de nombreux cas en tête, qu'il s'agisse des données de santé ou des données de l'enseignement supérieur confiées à des entreprises américaines. Le risque est donc évident pour nos collectivités et les acheteurs publics, ce qui motive notre soutien.
Plus précisément, je voudrais insister sur deux points pour expliquer le soutien de mon groupe.
D'abord, le contexte politique est particulièrement tendu, comme je viens de l'expliquer. Il justifie la protection des données qui contiennent des informations sensibles dans le cadre des commandes publiques.
La protection des données publiques est un enjeu non seulement de souveraineté, mais aussi économique.
La France ne part pas de zéro ; Mme la ministre l'a rappelé tout à l'heure. Les travaux de notre collègue Wattebled s'inscrivent dans la continuité de ce qui a été fait depuis 2021, avec la mise en place d'outils importants, notamment la stratégie « cloud au centre », qui permettent d'héberger les données les plus sensibles dans des espaces souverains.
La deuxième raison qui justifie pleinement le soutien de notre groupe est que ce texte a été utilement modifié par la commission des lois.
Nous comprenons parfaitement l'objectif de l'auteur du texte, qui est d'élargir le dispositif existant aux collectivités territoriales pour protéger toutes les données publiques, quelles qu'en soient les sources. L'ambition est légitime.
Toutefois, comme l'a rappelé Mme la rapporteure, une application uniforme et sans discernement, d'une certaine manière, poserait des difficultés à la fois juridiques et opérationnelles, avec un risque d'inconstitutionnalité et d'incompatibilité avec les règles de concurrence qui prévalent pour la passation de marchés publics.
C'est ainsi que le texte de la commission des lois ne s'applique pas aux communes de moins de 30 000 habitants, et ce pour trois raisons.
La première est évidente : ces collectivités ne disposent pas de la ressource humaine ou de l'expertise technique qui leur permettrait de faciliter la passation de tels marchés.
La deuxième raison est financière : une augmentation du coût comprise entre 25 % et 40 % ne serait pas soutenable dans le contexte budgétaire que nous connaissons, cela porterait atteinte au développement des services publics ou aux investissements des collectivités.
La troisième raison est que le risque d'interception de données sensibles pour ces collectivités est moins fort que pour celles de la strate supérieure.
Nous considérons par ailleurs que l'application du texte à partir de 2028 est une bonne solution pour permettre d'adapter le marché au développement du cloud souverain.
Le chemin proposé par la commission des lois concilie utilement la souveraineté numérique et les contraintes budgétaires, opérationnelles et juridiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous étudions cet après-midi la proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques. Ce texte s'inscrit dans la suite de la commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française.
En 2021, le Premier ministre avait chargé ma collègue du groupe RDPI, Nadège Havet, d'une mission qui a abouti à la publication d'un rapport intitulé Pour une commande publique sociale et environnementale : état des lieux et préconisations. Ce sujet collectif nécessite une attention continue de toute la représentation politique.
Votre démarche, mon cher collègue Wattebled, s'inscrit en vérité dans une dynamique essentielle de souveraineté, puisqu'elle vise à renforcer le niveau de protection des données hébergées en nuage par les acheteurs publics. Dans un contexte géopolitique incertain, cette volonté doit faire consensus.
Ce texte viendra compléter un ensemble de dispositions réglementaires et législatives adoptées ces dernières années afin de protéger les données dites sensibles.
Au sein du groupe Les Indépendants, le président Claude Malhuret avait déjà abordé, par le prisme de TikTok, le problème essentiel de l'exploitation des données par des puissances étrangères.
Nous partageons entièrement votre objectif, à savoir renforcer la protection face aux risques d'ingérence et de dépendance, notamment au moyen de clauses contraignantes pour les prestataires.
Toutefois, la rédaction initiale de l'article unique présentait des fragilités juridiques, limitant son applicabilité. En effet, elle introduisait une règle exorbitante par rapport au droit dérivé européen, ce qui aurait pu justifier son rejet par la Commission européenne.
En outre, une révision du règlement européen sur les marchés publics est prévue au premier semestre 2026, offrant potentiellement un cadre plus adapté pour orienter les fonds publics vers des solutions européennes.
La notion de « données publiques » n'était quant à elle pas suffisamment définie. Cette ambiguïté créerait une insécurité juridique, d'autant que le champ d'application du texte était très large, couvrant tout marché impliquant, même accessoirement, des prestations d'hébergement ou de traitement de données en nuage. Une portée si étendue rendrait le dispositif difficilement opérationnel.
Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale du 8 juillet 2025 – je salue une nouvelle fois le travail de son président, M. Simon Uzenat, et de son rapporteur, M. Dany Wattebled, également auteur de la proposition de loi – souligne la forte exposition de l'État et des collectivités aux risques d'ingérence numérique.
Malgré l'existence d'outils déjà mobilisables, les garanties restent insuffisantes, car certains opérateurs, même implantés en Europe, peuvent rester soumis à des législations extraterritoriales. Seule une clause de non-exposition aux lois étrangères permettrait une protection effective, à condition que son application soit vérifiable.
Madame la rapporteure, vous avez donc proposé une réécriture du texte pour le rendre juridiquement robuste et opérationnel.
Vous avez également prévu l'exclusion des communes de moins de 30 000 habitants, ainsi que des communautés de communes : elles risqueraient de ne pas disposer de ressources humaines et techniques suffisantes pour adapter leurs marchés publics.
Le texte de la commission prévoit enfin un mécanisme de dérogation, dans certains cas, pour les collectivités ou les EPCI, qui, à la date d'entrée en vigueur de l'article, auraient déjà engagé un projet nécessitant le recours à un service d'informatique en nuage.
Nous voterons par conséquent en faveur de ce texte, modifié en commission avec l'accord de son auteur, mais aussi en faveur de l'amendement déposé en séance publique par M. Wattebled afin de maintenir une pression suffisante sur les acteurs concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Laurent Somon et Mme Dominique Vérien applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christophe Chaillou. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, sur l'initiative de Dany Wattebled et de son groupe Les Indépendants, a été cosignée par de nombreux sénateurs de différents groupes, car elle constitue la traduction législative directe des travaux de la commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française, dont il a été le rapporteur.
Je veux à mon tour saluer le travail mené par cette commission, sous la dynamique présidence de notre collègue Simon Uzenat. Elle a rappelé une réalité qui s'impose à tous aujourd'hui : la vulnérabilité de nos données face aux législations extraterritoriales.
Ce constat prend, bien sûr, une résonance toute particulière dans un contexte politique et numérique en profonde mutation. La donnée est devenue une ressource stratégique, un attribut de puissance et, par conséquent, une cible. Cela nous impose de protéger nos données stratégiques contre les risques d'interception ou d'ingérence, qu'il s'agisse du Cloud Act américain ou d'autres législations.
Cette initiative n'est pas isolée ; elle s'inscrit dans un édifice législatif cohérent que nous bâtissons depuis plusieurs années, avec une accélération ces derniers mois. Ce texte prolonge ainsi l'esprit de la loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, dite loi Sren, de mai 2024, ou le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et à la cybersécurité, en cours d'examen à l'Assemblée nationale.
Nous avions déjà, lors de différents débats, plaidé pour la sécurisation des données sensibles de l'État et, malheureusement, l'actualité nous rappelle cruellement l'urgence à agir.
Cet impératif de souveraineté se double d'une dimension économique majeure. Représentant près de 400 milliards d'euros par an, la commande publique constitue un levier d'action essentiel pour l'État et les collectivités territoriales. L'auteur de la proposition de loi, M. Wattebled, l'a bien rappelé tout à l'heure : il y a un enjeu tout particulier en ce qui concerne le numérique.
Dès lors, il est légitime, et même indispensable, d'aligner notre puissance d'achat sur nos objectifs stratégiques. En orientant ces investissements vers des solutions garantissant la protection de nos données, nous faisons non seulement acte de prudence, mais nous contribuons aussi activement à la consolidation d'un écosystème numérique européen fiable et pérenne.
Ce texte a été enrichi et amélioré par Mme la rapporteure. Son engagement a permis, avec le soutien de la commission des lois, de trouver un chemin pour dégager une solution opérationnelle.
Les différents orateurs qui m'ont précédé l'ont dit, nous ne pouvons que souscrire aux évolutions proposées : le recentrage sur les données sensibles, l'exonération pour les communes de moins de 30 000 habitants et, enfin, l'introduction de mécanismes de dérogation pour des projets déjà engagés ou en cas d'impossibilité technique.
Ce texte rassemble largement, parce qu'il est urgent et nécessaire. Il résulte d'un travail transpartisan de qualité, raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, INDEP, UC et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alexandre Basquin.
M. Alexandre Basquin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi marque un pas important dans la recherche d'une solution à la question fondamentale de l'hébergement et de la protection des données. Je la salue pleinement et, pour couper court au suspense, je précise d'emblée que le groupe CRCE-K la votera sans réserve.
Pour autant, même si elle traite uniquement des marchés publics numériques, permettez-moi, dans le temps qui m'est imparti, d'aborder la question des données dans son ensemble : le fameux big data.
Je le fais en ma qualité de technocritique assumé. Les données personnelles sont devenues le pétrole de l'industrie numérique et le modèle économique de ces géants du numérique est essentiellement basé sur la monétisation de nos données. C'est un modèle extrêmement rentable : pour preuve, la valorisation boursière des géants du numérique dépasse, et de très loin, le PIB de certains États. C'est tout bonnement vertigineux !
Nos données personnelles sont devenues un véritable business. Elles sont constamment moissonnées, captées, exploitées à l'aide de robots et d'algorithmes hyperpuissants – le pire est sans doute à venir avec l'intelligence artificielle –, se retrouvant dans de nombreuses mains sans que nous le sachions vraiment.
De surcroît, elles sont souvent hébergées sur des serveurs situés à l'étranger ou détenus par des sociétés étrangères. C'est le cas de nos données de santé, qui sont hébergées sur des serveurs implantés aux États-Unis et gérés par Microsoft. L'administration américaine pourrait donc y avoir accès sur simple demande légale. Je rejoins donc la recommandation de la commission d'enquête sur la commande publique, qui réclame à cet égard une solution souveraine.
Je veux aussi évoquer les courtiers en données numériques, les fameux Data Brokers, qui font énormément d'argent sur notre dos dans des conditions particulièrement opaques, en achetant et en revendant nos données personnelles à des entreprises, à des administrations et à des gouvernements, avec des procédés bien ficelés qu'il serait trop long de décrire ici.
Je voudrais cependant vous faire part de deux exemples assez révélateurs.
La société américaine Clearview AI, spécialiste de la reconnaissance faciale, détient une base de données de 3 milliards de visages qui ont été pillés sur les réseaux sociaux, mais aussi sur les sites publics.
Je voudrais citer également la société Acxiom, qui s'honore de posséder des données sur 2,5 milliards de personnes.
Ces Data Brokers savent tout de nous, y compris les choses les plus intimes. Je trouve cela extrêmement dangereux, parce que notre vie privée ne l'est absolument plus, ce qui fait d'ailleurs dire à l'ancien PDG de Google, Eric Schmidt : « Pour le citoyen de demain, l'identité sera la plus précieuse des marchandises. »
L'activité des Data Brokers est proprement scandaleuse. C'est pourquoi le groupe CRCE–K a déposé une proposition de loi pour interdire le courtage de données numériques sur le sol français. J'en fais pour ma part un combat éthique, et il me semble que ce doit être un combat collectif.
Enfin, pour terminer, permettez-moi de soulever une certaine forme d'hypocrisie gouvernementale.
Le Gouvernement ne cesse de parler de souveraineté numérique, mais nous savons que certains ministères choisissent des solutions numériques américaines. C'est le cas de l'éducation nationale, qui a renouvelé ses licences Microsoft, ou de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui confie ses données à Palantir Technologies, entreprise pourtant fondée par le libertarien Peter Thiel.
Dans cette période où les ingérences étrangères ne cessent de progresser, je trouve que c'est particulièrement effarant.
Je pourrais aussi parler des nombreuses cyberattaques à l'encontre de nos administrations, mais je ne veux pas être trop long.
En tout état de cause, il nous faut être beaucoup plus offensifs, courageux et fermes sur la question des données. Nous devons, à mon sens, sortir de la mainmise, de la domination des géants du numérique. Avoir les données, c'est avoir le pouvoir. Il y va de la solidité de notre pacte social et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, GEST et INDEP. – Mme Sophie Briante Guillemont et M. Bernard Buis applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un monde où les questions de souveraineté se font de plus en plus pressantes, où la guerre hybride, faite d'attaques cyber et de désinformation, nous menace de plus en plus, nous nous penchons sur une proposition de loi issue des travaux de la commission d'enquête sur la commande publique, dont Dany Wattebled était rapporteur.
Cette commission a notamment mis en lumière la particulière vulnérabilité de notre pays en matière d'hébergement des données publiques sensibles, nos solutions numériques étant assujetties à des droits étrangers extraterritoriaux.
Cette faille fait peser de nombreux risques sur la souveraineté numérique de la France : perte de contrôle des données sensibles, risque d'utilisation de ces données à des fins de renseignement économique, dépendance accrue vis-à-vis d'acteurs étrangers, vulnérabilité face aux changements de politique étrangère.
Si les risques techniques et juridiques quant à la sécurité du système sont bien identifiés, la mise en place d'un label de qualité SecNumCloud par l'Anssi n'est à l'évidence pas suffisante, comme en témoigne le renouvellement par le ministère de l'éducation nationale, via un accord-cadre, de ses licences Microsoft en mars 2025, pour un montant estimé à 75 millions d'euros sur quatre ans. Ce marché comprend également une partie cloud. Le ministère de l'éducation nationale n'a même pas saisi pour avis la direction interministérielle du numérique (Dinum)…
Alors, certes, nous connaissons les difficultés pour localiser les prestataires répondant aux marchés publics, mais l'auteur de la proposition de loi a tenté de mettre en place un cadre plus clair pour les critères de stockage des données : exclure les prestataires qui seraient soumis à des lois étrangères qui l'obligeraient à communiquer ces données à des autorités étrangères ; garantir que les données soient hébergées sur le territoire de l'Union européenne dans des conditions assurant leur protection contre toute ingérence par d'autres États.
Ce principe est clair et plus efficace que les prescriptions actuelles, qui ont démontré leurs limites.
C'est pourquoi nous regrettons un peu les modifications apportées par la commission des lois, que nous avons déjà connue plus ambitieuse sur ces sujets.
La rapporteure a rappelé le risque d'inconventionnalité et d'inconstitutionnalité du dispositif proposé, lequel conduisait indirectement à écarter les acteurs non européens de la commande publique de cloud. Elle a toutefois rappelé que les textes français et européens, ainsi que les engagements internationaux de la France, notamment l'accord sur les marchés publics de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), admettaient de telles restrictions d'accès pour des motifs impérieux d'intérêt général.
Encore une fois, la guerre hybride tend à nous démontrer que les données restent un point d'entrée pour la déstabilisation d'un État, même si, selon l'Anssi, toutes les données détenues par des entités publiques ne présentent pas le même intérêt pour des puissances étrangères. Selon nous, la rédaction initiale de la proposition de loi répond bien à un motif impérieux d'intérêt général.
La frilosité dont notre commission a fait preuve nous amène à exprimer de vraies réserves, car les modifications qu'elle a apportées au texte semblent le vider d'une partie de son ambition, en diminuant son efficacité pour protéger nos données.
En se fondant sur une mesure existante, dont la commission d'enquête a démontré qu'elle n'était pas bien appliquée, en se basant sur la formulation « veiller à », en abandonnant une obligation claire pesant sur l'acheteur public qui aurait pu permettre l'annulation contentieuse des marchés passés en méconnaissance de celle-ci, l'amendement déposé par la rapporteure en commission restreint l'intérêt de ce texte.
Nous partageons les réserves sur les coûts que cela représenterait pour les collectivités territoriales, puisque 80 % des marchés publics ont été lancés par elles en 2023. Il s'agit bien d'un facteur limitant, car le recours à un prestataire souverain présentant de fortes garanties de sécurité risque d'entraîner un surcoût pour ces acheteurs. Ainsi, pour un même prestataire, les tarifs des offres qualifiées SecNumCloud sont supérieurs de l'ordre de 25 % à 40 % à ceux des autres offres.
Cependant, les vols de données récents dans les systèmes de prise de rendez-vous pour des renouvellements de titres dans certaines mairies devraient nous alerter.
Je crains que les modifications de la commission s'apparentent à un pas de côté. L'obstacle reste devant nous et il faudra bien le franchir.
Pour autant, malgré nos réticences sur le manque d'efficacité de ce qui est désormais proposé, nous voterons pour ce texte, en espérant qu'il soit amélioré lors de la navette. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de Dany Wattebled, qui vise à garantir, pour la passation des marchés publics, la souveraineté numérique de la France et la confidentialité de nos données sensibles.
Avant d'aborder le fond de ce texte, je tiens à saluer l'initiative de notre collègue, qui met en œuvre une des recommandations de la commission d'enquête sur les coûts et les modalités de la commande publique, dont il était le rapporteur.
Tout comme la loi sur le narcotrafic, également issue de travaux préalables du Sénat, cette proposition de loi fait visiblement consensus dans son principe. Le texte a été modifié par notre commission des lois dans un sens qui nous paraît opportun. Je tiens d'ailleurs à saluer les travaux de la rapporteure.
La souveraineté numérique et la confidentialité de nos données sensibles sont deux sujets d'une importance fondamentale pour la France et pour la protection de nos intérêts.
La commission d'enquête a découvert de fortes vulnérabilités concernant les données publiques hébergées par certains acteurs non européens, en raison de leur soumission à un cadre juridique extraterritorial.
En d'autres termes, lorsque l'administration ou les collectivités décident de faire appel, dans le cadre d'un marché public numérique, à certaines entreprises de cloud étrangères, les données risquent d'être transmises aux pays d'origine de ces fournisseurs.
Trois États concentrent principalement le risque : les États-Unis, l'Inde et la Chine. Ces pays ont en effet adopté des textes permettant à leurs services, pour des motifs de sécurité ou d'intérêt général, d'accéder aux données hébergées sur leur cloud, y compris lorsqu'elles concernent des administrations ou des citoyens étrangers.
Ainsi, en vertu de la législation américaine, notamment le Foreign Intelligence Surveillance Act (Fisa) et le Cloud Act, les États-Unis peuvent contraindre un fournisseur de cloud à transmettre des données sur des citoyens étrangers, même si les serveurs ne sont pas hébergés aux États-Unis. Des législations semblables existent aussi en Chine et en Inde.
On comprend bien le risque : en choisissant une solution étasunienne, chinoise ou indienne, nos administrations et nos collectivités peuvent, sans toujours en avoir pleinement conscience, rendre certaines de leurs données accessibles aux gouvernements de ces États.
Dans les faits, selon la Cour des comptes, et sans grande surprise, trois fournisseurs de cloud américains, à savoir Amazon, Microsoft et Google, captent 70 % des parts de marché en Europe. Les fournisseurs européens, eux, ont connu une diminution de leurs parts de marché, de 27 % en 2017 à 16 % en 2021.
Face à cette situation, la France a progressivement affirmé, avec la stratégie dite « cloud au centre », puis avec la loi Sren de mai 2024, un objectif de cloud souverain immunisé autant que possible contre les réglementations extraterritoriales.
Ainsi, l'article 31 de la loi Sren encadre l'hébergement des données présentant une sensibilité particulière pour l'État et ses opérateurs : celles-ci doivent être confiées à des prestataires offrant un niveau de sécurité élevé et une véritable protection contre l'accès d'autorités étrangères, une qualification spécifique étant délivrée par l'Anssi.
La proposition de loi que nous étudions aujourd'hui, telle que modifiée par la commission, vise précisément à étendre le dispositif de l'article 31 de la loi Sren aux grandes collectivités territoriales : régions, départements, communes de plus de 30 000 habitants et principales intercommunalités.
Grâce à une entrée en vigueur différée, les collectivités et les prestataires souverains disposeront du temps nécessaire pour adapter leurs contrats, leurs infrastructures et leurs pratiques.
Nous estimons donc que ce texte permettra effectivement de s'assurer que les données les plus sensibles des personnes publiques ne pourront plus être consultées ou exploitées par des États tiers, en particulier lorsqu'il ne s'agit pas, ou plus, de partenaires alignés avec nos intérêts.
Le groupe du RDSE, considérant notre autonomie stratégique comme fondamentale, votera naturellement ce texte. (Applaudissements sur des travées des groupes SER, GEST, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2013, je rédigeais, au nom de la commission des affaires européennes, un rapport intitulé L'Union européenne, colonie du monde numérique ?
Treize ans plus tard, nos anticipations sont devenues une réalité – cela va même parfois au-delà de ce que nous imaginions ! Internet est devenu un terrain d'affrontement mondial pour la domination du monde par l'économie et la connaissance, un théâtre de cyberattaques en tout genre, toujours plus nombreuses. Les données, nouvel « or noir » du numérique, constituent désormais un actif stratégique majeur. Leur maîtrise est vitale pour notre autonomie et pour le devenir de nos économies et de nos démocraties.
Pourtant, pour leur hébergement et leur traitement, en dépit de nos préconisations d'alors, nous continuons à recourir à des acteurs extra-européens aux comportements prédateurs et aux profits insensés.
Trois grands acteurs américains détiennent ainsi près de 70 % du marché de l'informatique en nuage en Europe, et ce alors même que la loi américaine sur la surveillance permet toujours à l'État fédéral de recueillir, auprès de leurs directions des systèmes d'information, les données des Européens, qu'elles soient personnelles ou publiques, sensibles ou non, sans leur consentement, ni même qu'ils en soient avertis.
La raison invoquée est toujours la même : nous n'aurions pas d'entreprise capable. Pourtant, elles existent bel et bien, elles sont d'ailleurs présentes chaque année au Forum InCyber de Lille, à Vivatech ou aux universités d'Hexatrust – vous le savez aussi, madame la ministre, puisque nous nous sommes déjà croisés lors de ces rendez-vous. (Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique acquiesce.)
Les entreprises françaises y sont nombreuses, ce qui témoigne de la vitalité de l'innovation dans notre pays et de l'excellence de nos écoles d'ingénieurs.
Dans le cadre de notre commission d'enquête sur la commande publique, présidée par Simon Uzenat, nous avons auditionné les représentants de ces entreprises avec le rapporteur Dany Wattebled, auteur de la présente proposition de loi. Ils nous ont tous dit, ou presque, à quel point il était difficile, voire impossible, d'accéder à la commande publique, car tout était verrouillé, alors qu'elles avaient besoin de ce levier pour se développer, consolider la filière et assurer par là même notre souveraineté, ou à tout le moins une progressive autonomie.
En attendant, en l'absence de pilotage stratégique au plus haut niveau de l'État ces dernières années, la Dinum n'en a longtemps fait qu'à sa guise. Nous nous sommes souvent interrogés sur le recours par différents ministères à des solutions extra-européennes.
Le plus grand scandale, dont vous m'avez souvent entendu parler, est d'avoir confié à Microsoft, sans appel d'offres spécifique, la plateforme des données de santé des Français. J'ai interrogé le Gouvernement le 16 juillet 2020 sur ce choix aberrant, au moment même, ironie du calendrier, où la Cour de justice de l'Union européenne invalidait pour la deuxième fois l'accord de transfert des données des Européens vers les États-Unis.
Rapport après rapport, au nom de mon groupe Union Centriste ou de la commission des affaires européennes du Sénat, seule ou avec plusieurs collègues, je n'ai cessé de plaider pour l'urgence d'une stratégie globale et offensive assurant notre souveraineté, ainsi que pour une régulation assortie d'une politique industrielle volontariste passant par la commande publique.
En effet, la reprise en main de notre destin numérique passe par ce qu'ont su faire les Américains et les Chinois avec leurs entreprises domestiques : utiliser la commande publique dans ce secteur comme levier de développement des entreprises françaises et européennes. La commande publique représente quand même 2 000 milliards d'euros par an !
Il n'est donc que temps de nous doter d'un Small Business Act et d'un Buy European Act – pardonnez-moi pour les anglicismes – pour dynamiser la compétitivité de l'informatique en nuage et pour assumer le choix de nos propres systèmes d'intelligence artificielle, qui façonnent déjà notre monde. Je martèle cela depuis quinze ans !
À la suite du rapport Draghi et compte tenu de la nouvelle donne géopolitique mondiale, les yeux des représentants de l'Union européenne se dessillent un peu, et la Commission européenne a enfin inscrit à son programme de travail pour 2026 la révision des directives sur les marchés publics, adoptées en 2014. Il ne faut plus attendre pour agir.
Cette proposition de loi, issue des constats de notre commission d'enquête, est donc très utile. Elle s'inscrit dans le prolongement d'une réflexion que j'avais menée en tant que présidente de la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique. Avec le rapporteur, Patrick Chaize, nous avions œuvré pour que l'article 31 de ce texte prévoie une obligation pour les administrations d'État et les opérateurs associés de confier l'hébergement et le traitement de leurs données sensibles ou définies comme telles exclusivement à des acteurs français et européens.
Madame la ministre, vous le savez très bien, puisque nous avons travaillé ensemble dans le cadre de la navette parlementaire pour donner à ce texte une véritable portée. (Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique acquiesce.)
En somme, la proposition de loi que nous étudions aujourd'hui conforte cet article 31. Notre rapporteure Olivia Richard, s'inspirant d'autres travaux réalisés ces derniers temps au Sénat, notamment sur le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, a proposé d'élargir son périmètre aux données sensibles ou stratégiques des collectivités territoriales.
Bien entendu, cela concernera les collectivités de plus de 30 000 habitants, seuil retenu dans le projet de loi que je viens de citer pour l'ensemble des dispositifs de protection contre les cyberattaques et harmonisé au niveau européen.
Se prémunir des cyberattaques, c'est non seulement protéger nos infrastructures physiques, mais également nos systèmes d'information et nos logiciels de traitement de données ; c'est aussi sensibiliser les élus à ce sujet et accroître la cybermaturité et la cyberrésilience des Français.
Comme nous l'avons préconisé à l'occasion de l'examen du projet de loi Résilience, qui vise notamment à transposer la directive NIS 2, il faut laisser du temps aux différentes entités, dont les collectivités et les entreprises, pour s'organiser.
La protection de nos données stratégiques et les gains en autonomie sont désormais un impératif. Pour autant, nous devons respecter les exigences européennes et les impératifs opérationnels des acheteurs publics.
Le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte, proposé par notre collègue Dany Wattebled à partir d'une recommandation de la commission d'enquête sur la commande publique et modifié par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, SER. – M. Akli Mellouli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il arrive toujours un moment où un pays doit regarder en face les vulnérabilités qui fragilisent sa souveraineté et choisir d'y remédier. C'est tout l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui : affirmer que la maîtrise de nos infrastructures numériques critiques n'est plus une option, que c'est une condition essentielle de notre indépendance.
Les travaux de la commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique, constituée sur l'initiative du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ont mis en lumière une réalité qui ne peut plus être ignorée : en Europe, l'immense majorité du stockage en nuage repose sur quelques acteurs, qui peuvent se trouver contraints, par application extraterritoriale de lois étrangères, de remettre à d'autres puissances nos données, qui sont souvent exploitées à des fins d'intelligence économique.
Autrement dit, même si nos administrations font héberger leurs données au sein de l'Union européenne, y compris sous le label SecNumCloud, celles-ci ne sont pas pleinement à l'abri. Qui pourrait considérer cette situation comme acceptable pour nos données les plus critiques ? La protection de ces dernières est un impératif démocratique.
Nous connaissons le contexte : multiplication des cyberattaques, durcissement des tensions internationales, extension de l'extraterritorialité des lois, guerre cognitive… La donnée publique est un actif à haute valeur ajoutée et un enjeu stratégique majeur, de surcroît dual par nature et cible privilégiée des acteurs malveillants.
Certes, la loi Sren et la doctrine « cloud au centre » ont posé les premiers jalons essentiels, mais elles ne couvrent pas l'ensemble des situations et restent imparfaitement appliquées, faute de décrets d'application, dont certains sont attendus depuis plus d'un an. Ce sont ces zones grises que notre proposition de loi entend couvrir.
Ainsi, pour les marchés touchant à l'hébergement ou au traitement de données sensibles, les prestataires garantiront un hébergement intracommunautaire et, cumulativement, une protection contre toute application de normes extraterritoriales étrangères. Il ne s'agit pas du tout d'ériger des barrières injustifiées. Au contraire, la mesure est proportionnée, limitée, et elle tient compte de la diversité de nos collectivités. Les plus petites communes ne seront pas concernées.
Un calendrier progressif, réaliste, prévoit une application en 2028, voire en 2027, si l'amendement n° 1 rectifié ter de notre collègue Dany Wattebled, auteur de la proposition de loi, est adopté. C'est un compromis qui nous semble équilibré, car il laisse au marché le temps de se mettre à niveau et de se structurer.
Le texte est donc à la fois réaliste dans son ambition et fidèle à l'esprit d'une souveraineté qui ne se décrète pas, mais se construit technologiquement, avec nos ingénieurs et nos industriels européens.
En fixant des règles claires, nous consolidons un écosystème émergent, dont dépendra demain notre capacité à ne plus subir les diktats technologiques des autres sur nos fondamentaux.
L'absence de cloud souverain européen a constitué une erreur stratégique – nous sommes tous d'accord sur ce point –, mais, désormais, nous ne sommes plus dupes et nous ne raterons pas le second train. La construction d'un EuroStack de bout en bout est une impérieuse nécessité pour l'Europe.
La marge de progression de l'adoption du cloud dans nos administrations est une opportunité pour structurer une offre cohérente, concurrentielle et de confiance, afin de protéger véritablement ce capital informationnel quand il est sensible et de l'activer pour le bien de tous quand il est dormant. La souveraineté numérique n'est pas une nébuleuse insaisissable ; elle est justement à construire dans le nuage.
L'État privilégie déjà, pour une large part, des solutions européennes. Amplifions cet élan, saisissons l'occasion de faire de la commande publique un véritable levier stratégique au service tant de nos entreprises que de notre souveraineté. Dans le contexte budgétaire qui est le nôtre, la commissaire aux finances que je suis estime également que c'est un gage de meilleure gestion de nos deniers publics, dans une approche plus circulaire de la dépense publique.
Cette proposition de loi n'est donc qu'un début. Pour aller plus loin, nous devrons intégrer cette dimension dans les critères de notation des offres et encadrer les dérogations.
Mes chers collègues, voter ce texte, c'est adresser trois messages clairs : à nos concitoyens, nous disons que leurs données publiques sensibles seront protégées avec le même sérieux que leurs libertés ; à nos partenaires européens, nous montrons que la France choisit d'assumer son rôle moteur aux côtés de l'Allemagne dans la construction d'une autonomie numérique commune ; aux entreprises européennes, nous signalons que leurs efforts pour développer des solutions fiables et sécurisées seront soutenus durablement.
Pour une Europe numérique plus forte, ainsi que cela a été dessiné lors du sommet de Berlin, où vous étiez, madame la ministre, monsieur le ministre, pour une France qui maîtrise son destin technologique et pour une démocratie qui protège son bien le plus précieux – sa liberté chérie –, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Simon Uzenat. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés à un moment important, à la suite des travaux de notre commission d'enquête, dont je salue très chaleureusement le rapporteur, Dany Wattebled. Cette démarche est profondément transpartisane, ce que toutes les prises de parole d'aujourd'hui illustrent à merveille.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour dire stop à notre impuissance devant les législations extraterritoriales, stop à notre inertie devant notre décrochage, dont nos incohérences au plus haut niveau de l'État depuis plusieurs années ont été la cause – vous n'en portez pas la responsabilité, madame la ministre, monsieur le ministre.
Cela a été dit, les menaces des législations extraterritoriales étaient identifiées par le Gouvernement dès 2021 ; malheureusement, les actes n'ont pas suivi.
Notre souveraineté en matière de numérique et de données est évidemment un enjeu économique, pour l'emploi et l'innovation, mais c'est aussi un enjeu démocratique. De ce point de vue, la réélection de Donald Trump a été un électrochoc salutaire : le temps n'est plus aux prétextes, il est aux solutions.
Or des solutions, nous en avons. Ce texte de compromis en fait partie, madame la rapporteure, et nous le soutiendrons, mais nous ne devons pas perdre de vue l'horizon.
Cet horizon, c'est que, par nature, toutes les données publiques sont sensibles. Sans doute, leur degré de sensibilité peut varier, mais, entre le développement de l'intelligence artificielle, en particulier générative, et l'importance prise par le pilotage par la donnée – au sein de l'État, des collectivités et des hôpitaux, mais aussi des entreprises –, toutes les données sont sensibles, nous devons intégrer ce fait.
Au sein de la commission d'enquête, nous avions proposé une hiérarchisation : au minimum, l'objectif est de garantir l'immunité des données aux législations extraterritoriales et, pour les données les plus sensibles, recourir aux solutions SecNumCloud.
Nous avançons sur ce chemin, nous franchissons cet après-midi un cap, mais nous devrons aller plus loin.
Du reste, nous le répétons, les opérateurs économiques français et européens sont prêts, ils n'attendent que cela, n'espèrent que des marchés, avec des montants à la hauteur des enjeux, et de la visibilité dans le temps.
Reprenons l'exemple d'AWS : l'expansion de cette entreprise est très largement due au fait qu'elle a décroché l'appel d'offres de la CIA (Central Intelligence Agency), pour un montant de plus de 600 millions de dollars.
Or, du point de vue tant du coût que de la sécurité, les opérateurs français et européens sont au rendez-vous, ils sont compétitifs, l'exemple de la gendarmerie, dans notre pays, l'illustre parfaitement.
En matière de formation et de conseil, nous devons également être au rendez-vous ; les services de l'État et les centrales d'achat doivent accompagner nos collectivités locales.
C'est vrai, nous attendons avec impatience la révision des directives sur les marchés publics, nous avons envoyé des messages très clairs en faveur de l'instauration d'un principe général de préférence européenne.
Nous soutenons l'étape que représente l'adoption de ce texte, mais ce n'est qu'une étape et nous ne devons pas perdre de vue l'objectif. Nous ne devons plus perdre de temps, tant notre souveraineté économique est la condition de notre souveraineté démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, RDPI, INDEP et RDSE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à l'examen du texte de la commission.
proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques
Article unique
I. – (Supprimé)
II (nouveau). – Après l'article 31 de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, il est inséré un article 31-1 ainsi rédigé :
« Art. 31-1. – I. – Le I de l'article 31 est applicable aux régions, aux départements, aux communes dont la population est supérieure à 30 000 habitants, aux communautés urbaines, aux communautés d'agglomération ainsi qu'aux métropoles.
« II. – Lorsque, à la date d'entrée en vigueur du présent article, une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale mentionnés au I a déjà engagé un projet nécessitant le recours à un service d'informatique en nuage ou qu'il justifie de difficultés techniques ou d'un risque de surcoût important, cette collectivité territoriale ou cet établissement public de coopération intercommunale peut déroger au même I. »
III (nouveau). – Le II entre en vigueur le 1er janvier 2028.
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Au premier alinéa du I de l'article 27 de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, la seconde occurrence du mot : « et » est remplacée par le mot : « à ».
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Olivia Richard, rapporteure. Il s'agit d'un amendement de coordination avec l'article 27 de la loi Sren, qui définit la notion de service informatique en nuage.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Anne Le Hénanff, ministre déléguée. Je comprends bien, madame la rapporteure, votre objectif, qui consiste à harmoniser deux définitions.
Toutefois, il convient d'avoir à l'esprit que la définition figurant à l'article 31 de la loi Sren est opérationnelle pour l'Anssi dans le cadre du label SecNumCloud.
Il est par conséquent souhaitable de maintenir la distinction entre les définitions, car l'harmonisation que vous proposez aurait des effets de bord considérables non seulement pour l'Anssi, mais encore pour la sécurité juridique de la filière du cloud.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement et, à défaut, émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame la rapporteure, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?
Mme Olivia Richard, rapporteure. Non, je remercie Mme la ministre de ses explications et je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 3 est retiré.
L'amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Wattebled et Uzenat, Mme Lermytte, MM. Chasseing, Chevalier, Grand et Brault, Mme L. Darcos, M. Capus, Mmes Paoli-Gagin, Bourcier, Muller-Bronn et N. Delattre, M. Reynaud, Mmes Antoine et Saint-Pé, M. Daubresse et Mmes Aeschlimann, F. Gerbaud et Josende, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
vigueur
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
un an après la promulgation de la présente loi.
La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Le présent amendement vise à fixer l'entrée en vigueur du texte à un an après sa promulgation.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Olivia Richard, rapporteure. Je remercie l'auteur de la proposition de loi pour cette proposition de compromis, qui permet d'aboutir judicieusement à une rédaction tenant compte de la navette parlementaire et de ses aléas.
Pour couper court à toute incertitude, il propose une date d'entrée en vigueur « glissante », si j'ose dire, ce que je trouve tout à fait pertinent.
L'avis est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. Nous progressons, au cours de notre discussion, sur les modalités de mise en œuvre du dispositif proposé.
L'un de nos débats porte sur la pertinence d'une date d'entrée en vigueur « glissante », comme l'a dit Mme la rapporteure.
Cette solution a certes ses avantages, mais elle présente aussi des inconvénients, car cela crée une forme d'incertitude pour les collectivités concernées, qui devront engager des travaux lourds techniquement, puisqu'il s'agit d'identifier les données sensibles, de disposer de l'architecture informatique adéquate et de prévoir, le cas échéant, une migration.
Le délai d'un an proposé suffira-t-il pour toutes les collectivités ? J'ai un doute à ce sujet, d'où mon avis défavorable sur cet amendement. Néanmoins, nous pourrons continuer d'y travailler dans le cadre de la navette.
Puisqu'il s'agit du dernier amendement sur cette proposition de loi, je tiens à conclure en vous remerciant de nouveau pour ce texte, monsieur le sénateur. Les différentes prises de parole en discussion générale l'ont montré, la volonté de sécuriser les données sensibles hébergées par les collectivités locales est transpartisane et il y a une volonté commune – cet amendement le montre aussi – d'identifier la meilleure manière de mettre techniquement ce dispositif en place, en tenant compte des différents niveaux de maturité des collectivités.
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.
M. Dany Wattebled. Je veux répondre au ministre en trois points.
Premièrement, nous ne ciblons dans ce texte que les régions, les départements, les communes de plus de 30 000 habitants et les grandes intercommunalités, des collectivités qui sont équipées techniquement pour répondre à la contrainte. Soyons quand même conscients que c'est l'État qui est le plus fautif. Par conséquent, l'argument que vous invoquez – la mise en danger des petites collectivités – n'est pas valable.
Deuxièmement, si nous devons procéder comme nous l'avons fait avec la loi Sren, nous attendrons jusqu'en 2030 ou 2035… Le temps que les décrets d'application soient publiés ! C'est un véritable souci.
Troisièmement, enfin, il faut se hâter, car nous sommes en guerre économique et commerciale. Chaque jour compte et chaque jour perdu représente un coût, au détriment de nos entreprises, de nos PME et de nos start-up. L'État en fait des tonnes avec la « start-up nation », mais c'est justement en donnant des contrats à ces entreprises, via le marché et non des subventions, qu'on les soutiendra.
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote.
M. Simon Uzenat. Je soutiens pleinement cet amendement de Dany Wattebled. Nous n'avons plus le temps d'attendre !
Catherine Morin-Desailly l'a dit, en France, mais c'est également vrai à l'échelle de l'Union européenne, nous passons notre temps à déplorer les effets dont nous chérissons les causes, c'est incroyable !
En outre, les opérateurs économiques nous l'ont indiqué avec force : ils sont prêts. D'ailleurs, si nous avions joué le jeu des marchés publics depuis des années, ils seraient aujourd'hui encore plus forts et feraient figure de solutions évidentes.
Le problème, madame la ministre, monsieur le ministre – je le répète, vous n'en êtes pas responsables, puisque vous n'êtes pas là depuis assez longtemps –, c'est que, si les acheteurs publics locaux voient les services de l'État continuer de recourir aux solutions américaines, sans mesurer l'effet des législations extraterritoriales, on ne peut pas s'étonner qu'ils fassent ensuite la même chose.
Je rappelle les propos du président-directeur général de l'Union des groupements d'achats publics (Ugap), qui nous avait dit en audition : « On vend ce qu'on nous demande. » Évidemment ! Quand on a toujours fonctionné dans un environnement particulier – en l'occurrence, celui des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) –, on souhaite le conserver pour éviter les complications liées au changement.
Si, par-dessus le marché, les services de l'État continuent d'octroyer à ces acteurs une légitimité, en renouvelant leurs marchés avec eux, on maintient un système qui mène l'écosystème français et européen à sa perte.
Par conséquent, nous devons sonner le clairon, dans le respect des règles applicables – je remercie la rapporteure du travail qu'elle a accompli à cet égard –, afin d'indiquer qu'on n'a plus le temps d'attendre, qu'on doit réagir.
D'ailleurs, si les élus locaux disposent de toutes les informations – nous avons cherché à les informer lors des travaux de la commission d'enquête – et du soutien de l'État et des centrales d'achat, ils seront tous prêts à engager le mouvement. Ensuite, nous verrons ce sillon très profond atteindre, je l'espère, Bruxelles, afin que le principe général de préférence européenne devienne la règle.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Ne vous inquiétez pas, monsieur le ministre, les délais ne seront pas trop courts, car, on a beau dire, la navette parlementaire prend du temps.
En outre, il faut également considérer que, malgré tout, la situation évolue à Bruxelles aussi. La commission des affaires européennes a entendu le commissaire européen Stéphane Séjourné voilà quelques semaines et le président de l'Autorité de la concurrence, Benoît Cœuré, la semaine dernière et l'on observe une véritable accélération dans la volonté de réviser la directive sur les marchés publics. Il faut donc être en phase avec tout ce qui a été acté en amont ou en parallèle de la loi Sren.
En outre, il y a eu un mouvement en faveur de la réduction des délais de résiliation des solutions extra-européennes, car Google ou Microsoft Azure obligeaient contractuellement leurs clients à s'engager pour des durées longues – trois ans, cinq ans –, de sorte qu'il était compliqué d'en sortir, en raison de frais élevés. Tout cela a été revu et corrigé, la possibilité de renouvellement est devenue plus rapide.
Il faut donc être pragmatique. Or M. Uzenat, qui présidait la commission d'enquête sur la commande publique, l'a bien dit, il y a urgence à migrer vers les solutions les plus autonomes possible. Nos collectivités ont aussi des données sensibles.
Par conséquent, monsieur le ministre, d'ici à la promulgation du texte, chacun aura eu le temps de s'acculturer et de se préparer.
Je voterai donc l'amendement de bon sens de l'auteur de la proposition de loi, auquel la commission des lois est favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié ter.
(L'amendement est adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble du projet de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques.
(La proposition de loi est adoptée.) (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Je souhaite simplement remercier Mme la rapporteure ainsi que l'ensemble des collègues de la commission des lois.
Nous avons eu sur ce texte des échanges de qualité et nous sommes parvenus à un résultat assez exceptionnel : un texte consensuel qui contribuera à notre souveraineté numérique et à l'activité de nos start-up et de nos entreprises. C'est le plus important. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante,
est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée.
La parole est à M. le Premier ministre. (Mme Solanges Nadille applaudit.)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de me présenter devant vous accompagné de neuf membres du Gouvernement mobilisés pour lutter contre le narcotrafic et la criminalité organisée.
Ce fléau constitue un véritable défi de société. Il concerne l'ensemble des services de l'État et, plus largement, il touche tous les Français : États, collectivités, entreprises et citoyens, nous sommes tous concernés et nous devons tous mener ce combat collectif.
Ce débat devant la représentation nationale doit nous permettre d'interroger les actions qui ont été menées, ce qui a été réussi et ce qu'il reste encore à faire.
Nous le devons à nos concitoyens victimes du narcotrafic ainsi qu'à leurs familles qui vivent dans la peur. L'assassinat de Mehdi Kessaci, il y a quelques semaines, nous l'a rappelé brutalement et durement.
Ce débat est aussi l'occasion d'envoyer un message aux réseaux criminels qui organisent le narcotrafic : on ne les lâchera pas, on les traquera.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le phénomène du narcotrafic n'est pas nouveau, mais il a considérablement muté. La consommation explose : 3,7 millions de Français ont déjà consommé de la cocaïne. Son marché a dépassé en valeur celui du cannabis, avec pourtant 900 000 consommateurs quotidiens, sans oublier la forte hausse des drogues de synthèse, de plus en plus consommées par nos jeunes.
Le trafic de drogue est estimé à 6,8 milliards d'euros en 2025, soit trois fois plus qu'en 2010, et touche désormais l'ensemble du territoire, des plus petites communes rurales jusqu'aux territoires ultramarins, en passant par les centres urbains. Il menace la tranquillité publique et met en péril notre santé publique, en particulier celle des jeunes, exposés à une consommation toujours plus importante et à un âge toujours plus précoce.
Le narcotrafic est de plus en plus connecté à des filières et à des réseaux criminels internationaux, obligeant nos services à s'adapter en permanence à ces nouvelles routes de la drogue. Au sein de ces réseaux, il mobilise des trafiquants de plus en plus jeunes auxquels on demande de mener des actions de plus en plus violentes.
La lutte contre le narcotrafic est une guerre de mouvement. Les réseaux contre lesquels nous luttons évoluent et adaptent leurs modes d'action en permanence. Nous devons, nous aussi, nous adapter pour les combattre.
Ma conviction est qu'il faut une rupture. Cette rupture ne peut prendre que deux formes : soit la dépénalisation, soit la mobilisation générale. Le Gouvernement opte, évidemment, pour la seconde solution et vous propose la mobilisation générale.
Combattre différemment, c'est ne plus tolérer la drogue dans la société. Pour cela, il faut envoyer un message très fort, un message politique. Le vote qui suivra ce débat en constitue l'occasion.
Ne plus tolérer la drogue, c'est d'abord le dire. Tel est le sens de la politique de prévention portée par le Gouvernement : dire à nos concitoyens, dès le plus jeune âge, que la drogue n'est pas tolérable, car elle est dangereuse. Il faut une prise de conscience, car s'il y a moins de demandes, il y aura moins d'offres. Il est toujours utile de rappeler cette évidence : il y a des trafiquants, car il y a des consommateurs ; il y a une offre, car il y a une demande.
En matière de répression, nous devons combattre le narcotrafic avec le même niveau d'engagement et de détermination que celui avec lequel nous luttons contre le terrorisme, quitte à nous inspirer de son cadre juridique – nous y reviendrons.
Cette mobilisation est un combat avant tout politique, mais il doit aussi être culturel, sanitaire, éducatif, diplomatique et, en fin de chaîne, répressif. Il doit concerner l'ensemble des services de l'État, mais plus largement toute la société.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce combat, vous avez déjà agi avec l'adoption de la loi du 13 juin dernier. Cette loi est inédite dans notre histoire par les moyens nouveaux qu'elle octroie. Si beaucoup de mesures sont d'application immédiate, je vous confirme qu'une vingtaine de textes réglementaires seront pris dès les prochaines semaines pour que cette loi s'applique en totalité et conformément au calendrier qui avait été fixé.
Toutefois, les réseaux criminels du narcotrafic ne cessent de se transformer. C'est une guerre de mouvement, vous disais-je. C'est pourquoi le Gouvernement présentera au premier semestre 2026 des mesures législatives pour adapter encore notre arsenal à cette menace, avec notamment l'alignement des réductions de peine et du régime de la libération conditionnelle des narcotrafiquants sur celui des terroristes. Le garde des sceaux, ministre de la justice, abordera ce point.
Ce combat politique a aussi son volet budgétaire. Il faut y mettre des moyens. Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit le renfort de 700 enquêteurs supplémentaires dans la police judiciaire. Par ailleurs, plus de 850 agents seront recrutés dans l'administration pénitentiaire, lorsque le budget sera adopté.
Ce combat politique est enfin à mener pour responsabiliser les consommateurs. Comme le chef de l'État l'a annoncé hier, le Gouvernement prévoit de durcir les sanctions à l'encontre de ceux qui consomment. Le ministre de l'intérieur détaillera cette proposition.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre le narcotrafic est un combat sociétal. Le combat ne peut pas être uniquement régalien : il exige également de la part du Gouvernement des réponses sociales et éducatives devant obéir à une logique de prévention efficace.
Cet enjeu est central, en particulier pour protéger les plus jeunes. Le combat contre le narcotrafic doit être mené autour des établissements scolaires, en lien avec les collectivités locales, les élus locaux et les polices municipales. Actuellement, la moyenne d'âge des trafiquants mis en cause est de 21 ans ! Il faut casser cette spirale qui aspire trop de nos jeunes dans la toxicomanie et la délinquance. L'éducation nationale sera donc particulièrement mobilisée sur ce sujet. Le ministre vous exposera les dispositifs prévus.
Le combat doit être aussi sanitaire. La ministre de la santé reviendra sur l'ensemble des dispositifs envisagés dès l'année prochaine, en particulier pour la santé mentale des personnes qui consomment des drogues. La santé des jeunes générations est trop importante pour l'avenir de la nation et appelle dès aujourd'hui une action résolue.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le combat contre le narcotrafic est aussi un combat économique. Il doit être mené dans le monde du travail, où le coût social des drogues est estimé à 7,7 milliards d'euros. Il est source d'arrêts et d'accidents du travail, ainsi que de pertes de productivité pour les entreprises. Le ministre du travail et des solidarités défendra, lui aussi, des mesures législatives qu'il déclinera dans le futur texte.
Le combat que mènera le Gouvernement est également un combat financier. La lutte contre le blanchiment doit être une priorité. Nous proposerons la création d'une procédure administrative de saisie des biens somptuaires sur le modèle de la lutte antiterroriste. La ministre de l'action et des comptes publics est mobilisée sur ce volet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, lutter contre le narcotrafic est un combat diplomatique. Face à des réseaux internationaux, agir seul serait absolument inefficace. Nous devons a minima agir entre pays européens pour avoir des résultats, en harmonisant nos règles à vingt-sept pour réprimer de façon efficace et uniforme les trafics, mais aussi en coordonnant mieux nos services d'enquête, en protégeant mieux nos frontières, en particulier nos ports et nos aéroports. C'est la mission que porte le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Mieux protéger nos frontières, c'est aussi être capable d'intercepter les bateaux qui transitent dans nos eaux territoriales sur les routes de la drogue. La marine nationale a déjà saisi 83 tonnes de drogue en 2025, en particulier dans nos outre-mer – c'est un record. Ses moyens seront aussi renforcés pour poursuivre ce combat. La ministre déléguée auprès de la ministre des armées et la ministre des outre-mer y reviendront.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le combat doit engager l'ensemble de la société française. C'est pourquoi j'appelle le Parlement à envoyer un message très clair de mobilisation à travers son vote.
Puisque le narcotrafic et la criminalité organisée touchent l'ensemble de la société, la réponse doit venir de l'ensemble des acteurs, publics comme privés. Les collectivités, les entreprises et les associations ont un rôle à jouer.
Mais il y a aussi le rôle des parents. L'éducation nationale ne peut pas tout. Nous comptons aussi sur leur responsabilité pour protéger leurs enfants.
Enfin, les consommateurs doivent être responsabilisés et aidés pour renoncer à la drogue. L'État les accompagnera et les soutiendra.
Ce qui serait dramatique pour l'avenir de la nation, c'est de ne rien faire. Que le débat ait lieu, qu'il soit suivi d'un vote et que ce vote soit lui-même suivi d'actions ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a moins d'un an, comme le rappelait à l'instant M. le Premier ministre, vous adoptiez à une très grande majorité sur les travées de cet hémicycle la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Les propositions de loi transpartisanes se font assez rares dans le champ régalien pour que cette adoption mérite d'être soulignée !
Dans le cadre d'une discussion très respectueuse et constructive, la représentation nationale avait clairement signifié que la lutte contre le narcotrafic ne relevait plus d'un clivage entre la gauche et la droite, mais était une question de vie ou de mort.
Le diagnostic est posé avec une grande transparence et beaucoup d'objectivité. Nul ne peut contester ni ignorer dans cette assemblée que, pour la seule année dernière, nous avons connu 367 homicides ou tentatives d'homicide entre délinquants, le plus souvent sur fond de trafic de stupéfiants : 110 personnes ont été tuées et 341 ont été blessées.
Dans le même temps, nous observons une explosion des saisies de cocaïne – cela vient d'être rappelé – et de drogues de synthèse. Le nombre de points de deal a baissé de manière significative dans notre pays : il convient de nous en réjouir et de féliciter les forces de sécurité intérieure.
Le nombre de personnes mises en cause a ainsi augmenté de 7 % en 2024 par rapport à 2023, tendance qui se poursuit en 2025 à un rythme extrêmement soutenu. Sur les 500 000 amendes forfaitaires délictuelles verbalisées, 40 % concernent l'usage de stupéfiants.
Ce constat nous oblige. Il traduit la mobilisation constante des forces de sécurité intérieure sur la voie publique, en matière de renseignement, ainsi qu'en police judiciaire et administrative, pour démanteler les trafics.
Face au narcotrafic, l'État se mobilise résolument depuis désormais une décennie.
Certaines de mes responsabilités passées m'amènent à rappeler qu'en 2015, sous le quinquennat de François Hollande, le gouvernement alors en fonction avait expérimenté à Marseille une méthode particulièrement innovante d'échanges accélérés de renseignements pour lutter contre les trafics. C'est dans ce cadre qu'ont été créées les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), aujourd'hui généralisées à l'ensemble du territoire national. Cette dynamique a pris naissance, dès 2015, à Marseille.
En 2018, a été créé l'Office anti-stupéfiants (Ofast), dans une logique qui a toujours été celle du Président de la République depuis 2017 : décloisonner les services afin qu'ils travaillent mieux ensemble et obtiennent des résultats. À cette époque, l'Ofast avait donc été désigné comme chef de file de la lutte contre les stupéfiants.
Se sont ensuite succédé les stratégies de pilonnage des points de deal, visant à démanteler les réseaux là où le trafic minait le plus le quotidien de nos concitoyens. Puis ont été conduites les opérations « place nette », engagées par Gérald Darmanin, et les opérations « ville à sécurité renforcée », instaurées par Bruno Retailleau.
L'ensemble de ces dispositifs sont encore mis en œuvre et le Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, s'attache à les faire vivre, sans inventer de stratégie nouvelle ni donner un nouveau coup de menton. Il s'agit simplement pour nous d'avancer et d'obtenir des résultats. Il n'y a aucune rupture dans l'action de ce gouvernement, mais il existe, au contraire, une volonté d'intensifier notre action.
À cet égard, le Premier ministre et le Président de la République l'ont annoncé : une action résolue sera engagée à l'encontre des consommateurs. La consommation de drogue alimente le trafic : cette évidence impose une réponse extrêmement sévère et répressive à l'égard des consommateurs.
L'amende forfaitaire délictuelle a démontré son efficacité, avec un taux de recouvrement proche de 56 %. Le Gouvernement proposera de la porter de 200 à 500 euros et d'en améliorer le recouvrement, notamment par le recours aux moyens de la direction générale des finances publiques. Nous pourrons également utiliser les dispositifs actuellement ouverts aux agents de contrôle des transports, qui peuvent bénéficier de droits de communication auprès des impôts ou des services sociaux pour obtenir des adresses postales qui nous permettront d'améliorer le taux de recouvrement.
L'augmentation de l'amende forfaitaire délictuelle en matière d'action sur les consommateurs n'épuise pas les projets du Gouvernement. Nous menons notamment une réflexion sur les permis de conduire et sur les actions qui pourraient être menées en la matière, en termes de police administrative, à l'encontre de ceux qui consomment en permanence des stupéfiants.
Le dernier volet du dispositif est celui qui a été adopté en juin 2025. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic est pleinement opérationnelle. Ainsi, l'état-major interministériel de lutte contre la criminalité organisée (Emco), installé à la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) et inauguré en mai dernier par le Président de la République, réunit quatorze services qui échangent ainsi en continu des informations relatives aux trafics de stupéfiants.
Par ailleurs, les outils que vous avez souhaité donner aux préfets en matière de police administrative fonctionnent également à plein régime, qu'il s'agisse des interdictions de paraître ou des injonctions adressées aux bailleurs afin d'engager des procédures d'expulsion de délinquants. À ce jour, plus de 1 500 interdictions de paraître ont été prononcées sur l'ensemble du territoire national, 166 injonctions ont été adressées aux bailleurs et 63 saisines du juge judiciaire ont été engagées en vue d'expulsions. L'interdiction de paraître constitue un instrument particulièrement efficace pour éloigner les trafiquants des quartiers gangrenés par les trafics.
J'y insiste, cette lutte contre le narcotrafic passe également par des moyens. Le projet de loi de finances pour 2026 – j'ai eu l'occasion de le souligner, lorsque le budget de mon ministère a été examiné – prévoit une augmentation importante des crédits alloués à la filière judiciaire, avec la création de 700 emplois, dont 300 spécifiquement fléchés vers la lutte contre la criminalité organisée. Ces effectifs, très attendus, constituent une avancée significative pour lutter contre le narcotrafic.
Voilà ce que je voulais vous dire en propos préliminaire. Je serai prêt, évidemment, à répondre tout à l'heure à l'ensemble de vos questions. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à dire, après M. le Premier ministre et M. le ministre de l'intérieur, le plaisir qui est le mien d'évoquer la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, texte issu du Sénat.
Je remercie tout particulièrement Étienne Blanc, qui en fut l'un des principaux instigateurs, à la suite de la mission qu'il a conduite avec Jérôme Durain, que je salue également. J'ai une pensée pour François-Noël Buffet, qui nous a accompagnés dans l'élaboration de ce texte, largement amendé à la fois grâce au travail des parlementaires et à celui du Gouvernement.
Le premier point que je souhaite aborder concerne le régime carcéral instauré par la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
En quatre mois, un nouveau régime pénitentiaire a été mis en place, validé par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel. Les soixante-six recours engagés contre l'État ont échoué.
Ce régime a permis l'ouverture de deux prisons de haute sécurité, à Vendin-le-Vieil et à Condé-sur-Sarthe, afin d'y placer, dans des conditions respectueuses des droits de l'homme et de l'État de droit, mais proportionnées à leur dangerosité – comme en atteste notamment la terrible affaire Amra –, des personnes impliquées dans la criminalité organisée. Ces personnes se trouvent désormais coupées non seulement des flux financiers considérables dont elles disposaient, mais également de leurs réseaux corruptifs et structures criminelles.
À cet égard, je souhaite souligner – et je sais pouvoir compter sur l'unanimité du Sénat – le courage des agents publics, singulièrement de ceux du ministère de la justice, qui subissent des menaces. Quinze magistrats se trouvent actuellement sous menace de mort ; plusieurs bénéficient d'une protection. Jusqu'à une période récente, de telles mesures concernaient exclusivement les magistrats antiterroristes. Elles s'appliquent désormais à des magistrats de Marseille, procureurs de la République ou juges d'instruction, mais également au procureur général de Douai, que je tiens à saluer ici, dont la tête a été mise à prix, il y a quinze jours, sur les réseaux sociaux, pour 200 000 euros, et qui vit aujourd'hui sous protection policière.
Tel est aussi le cas d'agents pénitentiaires. Je pense, à cet instant précis, à ceux qui ont été assassinés à Incarville, à leurs familles, à ceux qui ont été blessés, ainsi qu'à plusieurs agents pénitentiaires exposés à des risques majeurs. Je pense également au directeur de détention adjoint de la prison des Baumettes, qui vit encore sous protection policière, ainsi qu'aux greffiers, eux aussi confrontés à des menaces ou à des tentatives de corruption.
Ce régime carcéral, inspiré de l'article 41 bis de la loi pénitentiaire italienne, fonctionne désormais efficacement. Il nous permet de couper les liens criminels et d'écarter durablement les individus les plus dangereux, qui, depuis leurs cellules, continuaient à commander des assassinats, à diriger leurs trafics et à organiser le blanchiment d'argent.
Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne la création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Votre proposition de loi prévoyait initialement un parquet anti-stupéfiants. Je remercie les rapporteurs d'avoir accepté son élargissement à l'ensemble de la criminalité organisée.
En quatre mois, les décrets d'application ont été publiés. Une circulaire instituera des juges de l'application des peines spécialisés en matière de criminalité organisée et une circulaire pénale précisera les missions confiées à ce Pnaco. Le procureur national, une femme, a été désigné : Mme Vanessa Perrée, actuelle cheffe de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), prendra ses fonctions le 5 janvier prochain au tribunal de Paris, conformément à la volonté du législateur.
Ce parquet comptera, à son lancement, une trentaine de magistrats et permettra également de renforcer les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et les pôles infra-Jirs. Une centaine de magistrats supplémentaires par rapport aux annonces de mon prédécesseur, Éric Dupond-Moretti, sera affectée à la lutte contre la criminalité organisée, non seulement au sein du Pnaco, mais aussi au niveau des Jirs et des infra-Jirs.
Le troisième point que je veux souligner concerne l'importance de la dimension internationale. La criminalité organisée, comme l'a rappelé M. le Premier ministre, repose sur des ramifications internationales majeures, qu'il s'agisse du blanchiment des capitaux, de l'approvisionnement en drogue, des moyens de communication ou des laboratoires, qui relèvent désormais d'une véritable démarche criminelle en recherche et développement (R&D).
Des progrès restent nécessaires, mais les dernières avancées avec les Émirats arabes unis sont significatives. Depuis le 1er janvier, quatorze extraditions ont été obtenues, alors qu'elles étaient bloquées depuis plus de quatre ans et que nous n'avions obtenu aucune extradition.
Par ailleurs, les premières saisies et confiscations ont été réalisées par les autorités émiriennes il y a 48 heures : plus d'une trentaine d'appartements ont été saisis et confisqués à Dubaï dans un dossier marseillais impliquant un narcotrafiquant qui gérait, depuis sa prison, le blanchiment de son argent. C'est la première fois que les Émirats arabes unis collaborent avec nous à ce niveau. Quand on sait le rôle qu'a pu jouer Dubaï comme « paradis » pour les narcotrafiquants, c'est un très bon signe.
Cette coopération doit désormais s'étendre, conformément à la demande du Premier ministre et du Président de la République, au Maroc, à l'Algérie, à la Tunisie, ainsi qu'à certains pays d'Asie du Sud-Est, notamment la Thaïlande.
Je me tiens, avec M. le ministre de l'intérieur et l'ensemble des ministres présents, à la disposition des parlementaires pour répondre à leurs questions. Je remercie une nouvelle fois le Sénat de son soutien constant et unanime à la proposition de loi portée par MM. Durain et Blanc dans la lutte contre le narcotrafic. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les drogues sont un lent et invasif poison pour la santé des Français.
Parler de narcotrafic sans parler de prévention n'aurait pas de sens. Il ne peut en effet y avoir de légèreté quand 450 000 adultes ont consommé de la cocaïne dans l'année, quand 750 000 adultes ont consommé de l'ecstasy (MDMA) dans l'année, quand 5 millions d'adultes ont consommé du cannabis dans l'année !
En 2023, 14,6 % des adultes de 18 à 64 ans ont déjà consommé au moins une fois une drogue illicite autre que le cannabis, soit une hausse de 50 % par rapport à 2017.
Cette banalisation de la consommation a des conséquences concrètes pour notre système de santé. Les passages aux urgences ont explosé : ceux liés à la cocaïne ont été multipliés par trois depuis 2012.
La drogue a aussi des conséquences sur nos familles. Elle les enferme dans un engrenage fait de sentiments d'impuissance, de déni, de culpabilité silencieuse qui ronge peu à peu les liens. Ces réalités, sur le coût humain et sanitaire, doivent s'imprimer dans nos représentations.
C'est pourquoi le Gouvernement souhaite agir en mettant la prévention et l'accès aux soins au cœur de la bataille. J'insisterai sur quatre piliers.
Le premier pilier consiste à faire prendre conscience des risques. Chaque Français doit les connaître : le risque de perdre rapidement le contrôle ; les risques encourus par nos jeunes ; les risques pour la santé mentale, la consommation de cannabis, par exemple, multipliant par deux la survenue de psychoses ; les risques cardiovasculaires, les risques pour les fonctions cognitives.
Ces risques peuvent se manifester dès la première prise. Afin que chaque Français dispose de cette information, une grande campagne nationale de prévention sera déployée au premier trimestre 2026. Elle combinera marketing social et actions de terrain.
Le deuxième pilier est l'amélioration de l'offre. Consultations jeunes consommateurs (CJC), travail alternatif payé à la journée (Tapaj), centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), médecine de ville, hôpital : l'offre existe, mais manque de lisibilité et d'efficacité.
Une évaluation des parcours de prise en charge et de l'articulation ville-hôpital est en cours pour que nous puissions avancer. L'objectif est double : efficacité et lisibilité.
Le troisième pilier est la meilleure intégration des stupéfiants dans la prévention, surtout auprès des enfants et des adolescents. Je vous annonce que nous souhaitons généraliser le dispositif Unplugged. L'enjeu est d'armer les enfants et les adolescents pour dire non, pour gérer leurs émotions et pour mieux se connaître. Testé en France et en Europe, ce programme a démontré son efficacité pour réduire le risque de consommer des substances addictives.
Je veux ensuite transformer chaque contact avec un professionnel de santé en une opportunité d'avoir un impact direct sur le sujet. D'abord, en généralisant la question de l'usage des stupéfiants dans Mon Bilan Prévention. Ensuite, en adoptant la démarche Making Every Contact Count (Mecc) dans 100 établissements de santé prioritaires. Il s'agit concrètement d'utiliser chaque interaction pour interroger les patients sur leurs habitudes et opérer des changements vers des modes de vie favorables à la santé.
Je souhaite, en parallèle, que nous ouvrions la réflexion sur le développement de métiers de santé publique entièrement dédiés à la prévention et à l'« aller-vers ».
Le quatrième pilier est le renforcement de nos dispositifs de veille et d'alerte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les drogues touche au cœur de nos enjeux économiques, sécuritaires, démocratiques et, bien sûr, sanitaires.
Elle s'inscrit pleinement dans les priorités que je porte pour 2026 : protéger la santé de nos enfants, renforcer la santé mentale et garantir un meilleur accès aux soins. Vous pouvez compter sur mon engagement. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en complément de ce qui a déjà été dit, je voudrais ajouter que les décisions que vous avez prises au travers de la loi de programmation militaire commencent à produire des résultats.
Cette loi, sous l'autorité du Premier ministre, a porté une attention particulière à l'outre-mer, et nous en voyons les effets en matière de capacité de nos armées, singulièrement de notre marine, à lutter contre les différentes formes de trafic, notamment le narcotrafic.
Les résultats commencent à se manifester. Au mois d'août dernier, le troisième des six patrouilleurs outre-mer de nouvelle génération a été livré à La Réunion. Il porte, madame la ministre des outre-mer, le nom d'un Compagnon de la Libération né à Saint-Louis de La Réunion, ce qui n'est pas anodin. Il dispose d'une capacité de surveillance et d'un rayon d'action accrus, ce qui est évidemment essentiel.
Je confirme que tous les patrouilleurs seront livrés d'ici à 2027 et que nous renouvelons également nos moyens aériens. Un premier Falcon 50 a été livré à Tahiti en avril et a effectué sa première patrouille la semaine dernière dans la zone économique exclusive de Wallis-et-Futuna. S'y ajoutent les avions de surveillance et d'intervention maritime, avec une tranche optionnelle de cinq Albatros qui a été notifiée en septembre 2025, ce qui permettra à terme de disposer de douze avions au total, dont huit seront livrés d'ici à 2030.
Ces premiers résultats doivent être poursuivis dans le cadre de la programmation militaire, car cette stratégie fonctionne. La preuve en est que, depuis le début de l'année 2025, comme le Premier ministre l'a rappelé, plus de 83 tonnes ont été saisies, soit deux fois plus que l'année précédente.
Cela est évidemment lié à l'augmentation de la consommation et des flux de cocaïne vers l'Europe, mais aussi à la structuration de notre renseignement et à l'expertise de notre marine nationale – vous la connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs –, dont je salue le caractère dual dans l'action et l'amélioration permanente de son expérience en la matière.
Ayant rencontré récemment les forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi), j'ai pu constater l'importance de leur action dans cette région.
Enfin, ces résultats sont aussi évidemment liés aux évolutions législatives, dont celle qui nous a permis, grâce à vous, de ne plus avoir à rapporter l'intégralité d'une cargaison de drogue saisie pour instruire la procédure judiciaire – un échantillon suffit désormais –, ce qui a renforcé les capacités opérationnelles de nos armées.
Cette évolution nous permet de continuer d'affaiblir les filières, d'augmenter le préjudice causé aux organisations criminelles et d'affirmer la souveraineté de la France sur ses espaces maritimes.
J'ajoute, pour ce qui concerne nos armées, que, en matière de coopération internationale, dans le cadre de ce qui a été fait dans le Pacifique Sud avec le South Pacific Defence Ministers' Meeting (SPDMM), de ce que nous devons développer davantage sur le plateau des Guyanes et de ce que nous faisons dans le sud de l'océan Indien, la France a une expertise particulière liée à la spécificité de sa puissance maritime et de l'action de l'État en mer.
Je pense que nous avons largement les moyens, fondés sur cette expérience, de développer un véritable leadership en matière de coopération sous-régionale et internationale. (MM. Ludovic Haye et Marc Laménie applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le monde du travail n'est pas épargné par le fléau de la drogue, bien au contraire.
Les conduites addictives au travail, c'est-à-dire la consommation d'alcool, de médicaments, de psychotropes, de cocaïne ou encore de cannabis, constituent un enjeu croissant de santé, de sécurité et de maintien dans l'emploi.
Les médecins du travail évaluent à 7 % la proportion de salariés qui souffrent d'une addiction au cannabis : c'est deux points de plus qu'il y a quinze ans.
Or la prise de drogue renforce considérablement les risques en matière de sécurité au travail, pour celui qui consomme comme pour celles et ceux qui l'entourent. Elle se traduit par une baisse d'attention, des accidents potentiellement mortels, des tensions entre collègues, une désorganisation du travail et, pour les salariés en question, un risque accru de décrochage professionnel, donc de spirale négative vers la précarité.
Oui, la drogue détruit socialement les gens et peut les conduire à la rue, et ce dans tous les territoires – les métropoles et leurs zones périurbaines, comme les villes moyennes et la ruralité.
Le coût social des drogues est estimé à 7,7 milliards d'euros, mais le coût humain est primordial.
Concernant la santé des travailleurs, le ministère du travail et des solidarités prend le sujet très au sérieux, en particulier sous l'angle de la prévention.
Le cinquième plan Santé au travail, qui doit être publié au premier semestre prochain, proposera de renforcer l'accompagnement des employeurs et de mobiliser davantage encore les services de prévention et de santé au travail pour sensibiliser les salariés. Nous proposerons aussi d'améliorer la prise en charge des salariés consommateurs de stupéfiants.
Il y a un lien entre drogue et santé mentale, sur deux aspects au moins : soit la drogue est une fausse solution face à un problème, soit elle est un facteur aggravant. La santé mentale au travail est un axe que nous devons renforcer, en nous appuyant sur la charte de l'Alliance pour la santé mentale, soutenue par le Gouvernement, et sur le déploiement des formations aux premiers secours en santé mentale.
La prévention suppose aussi une part de contrôle, qui doit être exercée avec fermeté.
Les employeurs peuvent déjà, si le règlement intérieur de leur entreprise le prévoit et pour des postes qui le justifient, organiser des dépistages inopinés. S'y soustraire, pour les salariés, est passible de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement.
Dans le cadre du plan Santé au travail, nous souhaitons être encore plus clairs et inscrire dans le code du travail une interdiction générale et absolue de travailler sous l'emprise de substances psychotropes.
Mais prévenir, c'est aussi nous donner les moyens de protéger les publics vulnérables du risque de tomber dans la drogue. L'enjeu est particulièrement fort pour les jeunes qui connaissent des difficultés sociales comme économiques : ils sont une cible facile pour les narcotrafiquants.
Dans le projet de loi de finances, nous renforçons les moyens alloués aux établissements d'insertion professionnelle et sociale pour les jeunes en décrochage. En fin de parcours, après neuf mois de prise en charge, 70 % de ces jeunes trouvent un travail. Aucun autre dispositif n'est aussi efficace.
Pour le ministère du travail et des solidarités, les priorités sont claires : protéger les travailleurs des risques liés à la consommation de drogue, mieux accompagner les employeurs et les acteurs de la prévention et lutter contre les risques qui entraînent le décrochage social, notamment pour les jeunes.
La lutte contre le narcotrafic est notre affaire à tous. Le monde du travail et des solidarités se mobilisera pleinement au service de cette grande cause. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, l'école n'est malheureusement pas à l'abri du narcotrafic, en tout cas de celui qui a lieu dans son environnement, et de toutes les conséquences délétères qu'il emporte.
Il ne s'agit plus de faits isolés aux abords de quelques établissements : c'est bien une logique d'emprise progressive et structurée qui finit par resserrer ses liens autour des élèves et de leurs parents et par mettre l'école sous pression.
Je veux partager avec vous deux chiffres relatifs à l'évolution entre 2022 et 2025, tirés de « Faits établissement », c'est-à-dire l'application par laquelle les chefs d'établissement nous font remonter les faits graves ou anormaux. Premièrement, les signalements liés à la détention et à la consommation de stupéfiants ont augmenté de 16 % en trois ans. Deuxièmement, les signalements liés au trafic dans les établissements ou à leurs abords ont augmenté de 56 %.
Ces situations n'ont plus de caractéristiques géographiques ou sociologiques particulières, puisqu'elles touchent aussi bien les métropoles que les territoires ruraux et, dans les trois quarts des cas, se situent hors réseau d'éducation prioritaire, ce qui signifie qu'il n'y a pas de corrélation avec celui-ci.
Les conséquences sont connues : un climat scolaire dégradé, une réussite scolaire en chute libre, avec notamment un absentéisme beaucoup plus important des élèves, et in fine une école qui se retrouve devoir être le refuge et le bouclier des élèves et qui parfois se sent comme un sanctuaire assiégé.
C'est exactement ce que j'observais ce lundi matin, avec le ministre de l'intérieur, auprès des équipes du collège Champollion du quartier des Grésilles à Dijon.
Ce collège, comme vous le savez, a été partiellement incendié dans la nuit de vendredi à samedi dernier, dans un quartier marqué par le combat des services de police et de justice contre le narcotrafic. Ses équipes se sont immédiatement mobilisées et, dès lundi matin, elles étaient sur site, unies, debout. Je tiens solennellement à rendre hommage à ces femmes et à ces hommes, qui font tout simplement que l'école tient, au service des élèves et des familles : elle tient pour refuser la fatalité du narcotrafic et permettre à chacun de s'en sortir.
Ce refus est, bien sûr, adossé à une politique de prévention claire, à la fois aux abords de l'école – j'en ai parlé pour ce qui concerne la sécurité – et, surtout, dans son enceinte, puisque notre mission est évidemment de prévenir.
Prévenir, c'est d'abord accueillir nos élèves et les extraire de l'influence insidieuse des narcotrafiquants, en les accueillant en sécurité dans nos murs.
Prévenir, c'est aussi instruire. À cet égard, je veux reprendre l'expression d'une des professeurs de Champollion, que j'ai rencontrée lundi matin : « Nous faisons en sorte que les élèves soient sur des chaises de classe pour qu'ils ne finissent pas sur les chaises des guetteurs. »
Prévenir, c'est également lutter contre les conduites addictives, non seulement par les enseignements, mais aussi par une prise en charge par la santé scolaire, à travers notre réseau de 8 000 infirmières et 9 000 psychologues qui repèrent et orientent vers la médecine de ville. Vous savez que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, nous allons renforcer ces professions à hauteur de 300 équivalents temps plein (ETP).
Tels sont les éléments que je souhaitais partager avec vous. Je me tiens évidemment à votre disposition pour la suite des débats. Je veux vous assurer de la constance avec laquelle l'école s'engage elle aussi pour que les enfants ne soient pas, un jour, la proie des narcotrafiquants. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Mathieu Darnaud et Mme Muriel Jourda applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la France est submergée par le narcotrafic et la criminalité organisée qui l'accompagne.
Tous les territoires de la République sont désormais concernés, comme le Premier ministre l'a rappelé. Les conséquences ravageuses de ce phénomène menacent à la fois la santé publique et la sécurité de nos compatriotes.
Avec la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, fruit de travaux parlementaires engagés au Sénat, la France s'est dotée, pour lutter contre ce fléau, d'un arsenal, constitué notamment d'un état-major interministériel, d'un parquet anti-criminalité organisée et d'autres outils.
Face à la mondialisation accélérée des trafics, la guerre contre les trafiquants appelle une action internationale sans relâche, traitant des causes du problème.
Éradiquer le mal à la racine, telle est la mission que le Premier ministre a confiée à mon ministère, qui entend s'engager pleinement dans cette bataille.
Cet engagement se traduit par la multiplication des accords de coopération sécuritaire avec les pays de production, de transit comme de rebond ; par le renforcement de nos effectifs dans les pays concernés – effectifs du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, mais également personnels en provenance du ministère de l'intérieur, des armées, de la justice ou encore des douanes que nous accueillons au sein de nos postes diplomatiques – ; par l'orientation de l'aide au développement pour financer des projets de culture de substitution, de renforcement de la sécurité des ports ou encore de lutte contre le blanchiment d'argent ; enfin, par un régime de sanctions internationales contre les criminels.
Nous avons lancé, il y a quelques semaines, à Bruxelles, la création d'un régime de sanctions dédié qui nous permettra d'interdire l'accès au territoire européen aux criminels réfugiés à l'étranger et impliqués dans des trafics de drogue et d'armes ou la traite d'êtres humains et de geler leurs actifs.
Comme je l'ai annoncé lorsque je me suis rendu, voilà quelques semaines, aux côtés du Président de la République, en Amérique latine et dans les Caraïbes, c'est sur cette région que porte le premier axe de nos efforts. De fait, c'est dans cette région qu'est produite l'ensemble de la cocaïne qui déferle dans les rues des villes et des villages de France, où elle est désormais consommée par plus d'un million de personnes.
La production, en pleine explosion, est localisée principalement en Colombie, au Pérou et en Bolivie. Elle transite vers l'Europe via l'Équateur, le Brésil, le Panama, le Venezuela, le plateau des Guyanes et les Caraïbes. Nos territoires ultramarins sont évidemment en première ligne.
Le deuxième axe de nos efforts porte sur l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Le garde des sceaux en a parlé il y a quelques instants.
C'est au Maghreb qu'est produit l'essentiel du cannabis importé en France. Par ailleurs, de nombreux narcotrafiquants y sont réfugiés. L'enjeu est d'obtenir des extraditions, des judiciarisations sur place ou des saisies d'actifs appartenant à ces criminels.
Le Maroc est aussi un pays de rebond pour la cocaïne, tandis que certains pays du Golfe constituent des points de grande vigilance pour le blanchiment d'argent issu du narcotrafic.
Le troisième axe de nos efforts concerne les pays des Balkans occidentaux, que nous voulons inciter à durcir leur réglementation en matière de lutte contre la criminalité organisée. La coalition créée sous les auspices de la Communauté politique européenne nous permettra de les amener à prendre des mesures touchant à l'ensemble des dimensions de la lutte contre la criminalité organisée.
Enfin, nous ferons du narcotrafic une priorité de la présidence française du G7, car un fléau de dimension mondiale nécessite une coordination et une réponse mondiales. Nous porterons des initiatives en matière de renseignement, de résilience des infrastructures, de lutte contre les trafics en mer et les flux financiers illicites.
Le Premier ministre l'a dit, la lutte contre le narcotrafic est un combat qui s'inscrit dans la durée. Il va nous falloir adapter les moyens de l'État pour faire face à un adversaire en train de muter. Ce combat nécessite des moyens indispensables, qui ont d'ailleurs été intégrés au projet de loi de finances pour 2026.
Soyez donc assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, de la pleine mobilisation du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, face à la menace grave que font peser le narcotrafic et la criminalité organisée sur notre pacte républicain, la réponse de l'État doit être totale, cohérente et déterminée, sans angle mort.
Mais, chacun le sait ici, le narcotrafic s'adapte vite ; l'État doit donc toujours avoir un temps d'avance. Depuis ma nomination, mon action a été structurée autour de trois priorités pour reprendre l'avantage.
La première priorité est l'argent, carburant de ces organisations criminelles. Couper l'argent, c'est couper le moteur du narcotrafic. C'est pourquoi nous renforçons la lutte contre le blanchiment et la saisie des avoirs criminels.
La coopération est resserrée et opérationnelle, notamment au sein de l'Emco, cité par Laurent Nunez.
La mobilisation des services sous mon autorité – Tracfin, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et l'Office national anti-fraude (Onaf) – est totale pour traquer l'argent sale partout où il se cache, en ciblant davantage les montages complexes, notamment les circuits internationaux.
Les résultats sont là : les déclarations de soupçon ont augmenté de plus de 90 % depuis 2020, et cette tendance devrait encore s'accentuer grâce à la loi de juin dernier, qui assujettit notamment à certaines obligations de nouvelles professions comme les loueurs et vendeurs de voitures de luxe et de yachts.
Nous devons cependant aller plus loin, en particulier dans le secteur non financier, pour que chaque euro blanchi devienne un risque et ne soit jamais une opportunité.
Les moyens de Tracfin ont également été renforcés dès 2025, ils continueront de l'être. Dès janvier prochain, la nouvelle procédure de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants, le Gaban, entrera en vigueur. Elle permettra que l'argent soit immobilisé avant même qu'il ne puisse disparaître ou s'évaporer.
La deuxième priorité est l'adaptation de nos méthodes et de nos moyens. Les trafiquants ayant industrialisé leurs pratiques, l'État doit moderniser les siennes, d'abord en renforçant massivement les capacités de contrôle, avec plus de scanners dans les ports – à Marseille, au Havre, à Dunkerque, à Fort-de-France –, plus de capacités dans les aéroports, un scanning de tous les flux postaux et routiers, en accordant une attention particulière aux outre-mer, qui, nous le savons, sont en première ligne des trafics.
Il faut aussi plus de présence en mer, ce qui implique le renforcement de la garde côtière douanière, en complément de la Marine nationale. C'est une nécessité opérationnelle au vu des saisies – cela a été mentionné à l'instant par Alice Rufo.
Cette modernisation a un coût : 5 millions d'euros pour un scanner fixe. Cependant, le coût de l'inaction serait bien plus élevé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier devant vous les douaniers, qui ont déjà saisi 29 tonnes de cocaïne en 2025, pour un montant de 2 milliards d'euros qui ne se retrouvent pas dans les circuits de blanchiment.
Notre troisième priorité est de défendre la probité des agents publics. La corruption, nous le savons, est une attaque directe contre la République. Protéger nos agents et renforcer la prévention ne peut se faire sans un meilleur mécanisme de signalement et de sanctions, quand celles-ci s'avèrent nécessaires.
Mais, je veux le dire, protéger les agents, c'est aussi leur donner la capacité de sortir de l'engrenage, de pouvoir se signaler et de se sentir autorisés à le faire. Le plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2025-2029 doit donc être pleinement mis en œuvre dans toutes les administrations à risque.
Pour conclure, je veux dire que le narcotrafic est une priorité pour les Français. Les administrations de Bercy y prennent toute leur part, sans naïveté et sans relâche. Face aux narcotrafiquants, la République ne cède pas : elle se défend. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans les outre-mer, nous le savons bien, la lutte contre le narcotrafic ne commence pas dans les prétoires. Elle commence sur une piste d'aéroport à Cayenne, sur une vedette en mer des Caraïbes, sur une côte des Antilles, loin de l'Hexagone.
Ce que nos forces interceptent là-bas n'est pas principalement destiné à y rester. Les outre-mer sont un point de passage, un point d'impact, mais aussi un rempart.
Cette réalité, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'avez regardée en face. Le rapport d'information de Victorin Lurel et de Philippe Bas, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer présidée par Micheline Jacques, décrit sans détour la place centrale du narcotrafic et appelle à un véritable choc régalien. Vous y soulignez la nécessité de densifier les forces, de renforcer les coopérations policières et judiciaires avec nos partenaires régionaux et de faire de la diplomatie des outre-mer un levier stratégique contre des réseaux internationaux.
Les faits confirment pleinement vos analyses. Les outre-mer sont aujourd'hui traversés par les grandes routes mondiales de la drogue, dans la Caraïbe, mais aussi désormais dans le Pacifique, au large de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.
Ce qui est bloqué en Guyane, en Martinique ou en Guadeloupe n'arrivera pas à Marseille, à Lyon ou à Paris.
En 2025, 35,2 tonnes de cocaïne ont été saisies en haute mer dans la zone caraïbe, contre 28,3 tonnes l'an dernier. Il y a dix ans, on parlait de quelques tonnes seulement… Cette progression dit l'ampleur du phénomène, mais elle dit aussi l'intensité de l'action conduite par l'État, grâce à nos forces armées, à la douane, aux unités spécialisées et, bien sûr, en coordination étroite avec nos partenaires internationaux dans le respect du droit de la mer.
Mais il faut être lucide : les outre-mer ne sont pas seulement des zones d'interception. Ce sont aussi des territoires exposés, parfois durement frappés. La consommation d'Ice en Polynésie française, les phénomènes de trafic local et de rebond vers l'Hexagone et, surtout, la situation aux Antilles, où le taux d'homicide est cinq fois supérieur à la moyenne nationale, appellent une réponse ferme et durable.
C'est tout le sens des moyens engagés : radars de surveillance maritime en Martinique et en Guadeloupe, drones de longue autonomie, aéronefs de la douane dotés de capacités de détection renforcées, contrôles systématiques à l'aérien en Guyane, dont l'efficacité n'est plus à démontrer.
Je pense aussi à l'effort porté sur les ports et les aéroports, avec le déploiement de scanners en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion.
Cependant, frapper les flux ne suffira pas : il faut démanteler les réseaux, assécher les financements et empêcher l'enracinement d'organisations criminelles. Le renforcement de la Jirs de Fort-de-France et l'action de l'Ofast et de la police judiciaire s'inscrivent dans cette logique.
La répression seule ne suffira pas. La prévention, l'insertion et les alternatives à l'argent de la drogue sont indispensables si nous voulons obtenir des résultats durables.
Les outre-mer, vous l'avez compris, sont aux avant-postes. Ils encaissent les chocs en premier et protègent l'ensemble du territoire national. Le budget qui est soumis au Parlement répond à cette exigence. C'est une question de sécurité nationale et de responsabilité républicaine. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. Étienne Blanc. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, personne ne vous croirait si vous disiez, ce soir, au Sénat, que la concordance des dates entre le débat qui nous réunit et le déplacement du Président de la République hier à Marseille relève du cas fortuit ou du pur hasard. (Sourires.)
Personne ne vous croirait non plus si vous prétendiez que cet échange ne relève pas d'une vaste opération de communication voulue par un exécutif aujourd'hui dépassé par la vague du narcotrafic, une vague qui submerge désormais la France, celle de la métropole comme de l'outre-mer, des zones urbaines comme des territoires ruraux.
M. Guy Benarroche. Bravo !
M. Étienne Blanc. Pour démontrer que l'État, dans cette dernière décennie, n'a pas été à la hauteur, on peut rappeler que c'est bien ici, au Sénat, que fut décidée, en application de l'article 51-2 de notre Constitution, sur l'initiative du groupe Les Républicains, alors présidé par Bruno Retailleau, la création d'une commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.
Vous voyez, monsieur le Premier ministre, que c'est bien le Parlement, et non le Gouvernement comme celui-ci le dit hélas trop souvent, qui aura éveillé les consciences sur ce sujet crucial !
Les Républicains considéraient qu'il était temps d'ouvrir les yeux sur une activité criminelle considérable. J'ai eu l'honneur, en ma qualité de rapporteur, de remettre, avec mon excellent collègue Jérôme Durain, le rapport de cette commission d'enquête au président Larcher le 7 mai 2024.
Qu'avions-nous écrit à l'époque ? Le constat pourrait se résumer en trois chiffres saillants.
Le premier est le chiffre d'affaires du commerce des drogues. En 2023, on l'estimait à environ 6 milliards d'euros ; on l'évalue, en cette fin 2025, proche de 8 milliards d'euros. Monsieur le garde des sceaux, cette somme représente 80 % de votre budget !
Le deuxième chiffre est le nombre de délinquants qui vivent de cette activité, totalement ou partiellement. Ce chiffre avoisine désormais 250 000. Mettons-le en rapport avec le nombre de policiers et de gendarmes qui assurent la sécurité des Français : ils sont environ 255 000. Il y a donc autant d'agents qui leur courent après qu'il y a de narcotrafiquants !
Le troisième chiffre, enfin, est sans doute le plus effrayant : en 2023, la France a déploré 451 victimes d'homicides ou de tentatives d'homicide liés au narcotrafic.
Les 600 pages de notre rapport ont eu le mérite d'expliquer dans le détail comment fonctionne cette entreprise criminelle, mais nous avons aussi dénoncé et même stigmatisé les lacunes des moyens matériels et juridiques dont dispose l'État pour tenter d'y remédier.
Le président du Sénat nous a demandé, à Jérôme Durain et moi-même, de préparer un texte pour donner une suite à ce rapport, auquel il avait trouvé du sens. Ce texte, vous l'avez rappelé – c'est une exception, mais c'est aussi un signe –, fut adopté à l'unanimité par le Sénat et promulgué au mois de juin après le passage à l'Assemblée nationale.
Posons-nous la question : pourquoi aura-t-il fallu attendre une initiative parlementaire – en l'occurrence, sénatoriale – pour que le narcotrafic soit enfin considéré comme un péril pour la nation ?
Durant les dix dernières années, les gouvernements successifs furent d'une passivité désolante, passivité que vous voudriez effacer aujourd'hui – nous le comprenons bien, monsieur le Premier ministre – en venant ce soir devant le Sénat accompagné par pas moins de neuf membres du Gouvernement – excusez du peu –, comme si le nombre voulait démontrer la force d'une volonté politique, dont, à titre personnel, je me permets toutefois de douter !
Mais ne boudons pas notre plaisir : nous sommes heureux d'accueillir ce conseil des ministres délocalisé au Palais du Luxembourg… (Sourires.)
Je voudrais que nous profitions de cette vaste opération de communication gouvernementale pour sortir de cette insupportable pratique politique, devenue une habitude, qui fait de tout sujet sur lequel le Gouvernement communique un sujet considéré comme réglé.
Si de notre débat de ce soir pouvaient émerger des propositions concrètes, une amplification des mesures, des dispositions réalistes et crédibles, alors il aura été utile. Sinon, il ne restera que du vent…
Pour ma part, je voudrais suggérer ou aborder quelques mesures.
Monsieur le ministre de l'intérieur, vous qui êtes en charge de l'organisation des prochaines élections municipales, quel dispositif concret allez-vous préparer pour que soient écartées les candidatures de proches des réseaux de narcotrafiquants ?
Ceux-ci ont bien compris que ce sont les maires qui décident de l'installation des caméras, qui attribuent les logements sociaux dans les quartiers sensibles, qui ont autorité sur la police municipale et qui financent les associations dans les quartiers. Les narcotrafiquants l'ont compris et veulent s'insérer dans le processus électoral. Donner à des narcotrafiquants le moindre pouvoir dans ces domaines serait terriblement dangereux !
Pouvez-vous nous dire précisément comment vous allez écarter ce risque, alors que – je suis désolé de le rappeler – vos fichiers ont été pillés par des réseaux dont les narcotrafiquants sont sans doute proches ?
Madame la ministre de la santé, l'administration pléthorique de l'avenue Duquesne fut capable de réaliser de vastes campagnes de lutte contre le tabac qui détruit les poumons et contre l'alcool qui détruit le foie, mais pourquoi n'a-t-elle rien fait ou si peu contre les drogues qui détruisent les cerveaux ?
Quand, comment et avec quels moyens lancerez-vous vos administrations dans une puissante campagne de communication et de sensibilisation sur ce sujet épineux ?
Monsieur le ministre de l'éducation nationale, j'ai tenu, à Clermont-Ferrand, devant les maires du département du Puy-de-Dôme, une réunion sur le narcotrafic. L'adjoint à la sécurité du maire de la ville est intervenu pour nous révéler que, à l'occasion d'un déplacement dans une école primaire – je dis bien une école primaire ! –, la directrice de cette école lui a appris que des enfants, dans la cour de récréation, confectionnaient des petites enveloppes de papier dans lesquelles ils inséraient des feuilles de platane séchées pour « jouer » au deal de cannabis…
Qu'allez-vous faire concrètement – et quand – pour remplir votre responsabilité essentielle d'éducateur de la jeunesse de notre pays, sachant qu'un grand nombre de nos lycéens nous ont dit, à la fin de nos travaux, que jamais, dans leur cursus scolaire, on ne leur avait parlé de la drogue !
Madame la ministre des outre-mer, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Saint-Martin sont devenues des zones de rebond. Les narcotrafiquants, désormais, y stockent des quantités considérables de cocaïne. Ils les protègent par la violence des armes avant qu'elles soient acheminées vers le golfe de Guinée ou les ports européens.
Les forces navales, dont nous avons auditionné les représentants, ont besoin de frégates, de vedettes, d'hélicoptères, de marins et de pilotes pour surveiller la vaste zone des Caraïbes, qui est infestée par la drogue, ainsi que l'océan Atlantique. Que ferez-vous concrètement pour répondre aux cris de détresse de ces élus d'outre-mer ?
Je les ai rencontrés à l'occasion de la dernière assemblée générale des maires de France. Ils n'avaient qu'un mot à la bouche : « Ne nous abandonnez pas » !
Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, les entreprises criminelles contre lesquelles vous devez vous battre sont devenues de puissantes multinationales. Leur siège et leurs collaborateurs sont dispersés sur l'ensemble de la planète, tout comme leurs avoirs criminels.
Que ferez-vous, seul ou avec l'Europe, aux côtés de nos alliés américains ou d'autres pays encore, pour faire céder les pays refuges que nous connaissons – Émirats arabes unis, Maroc, Algérie et tant d'autres ?
Oui, ces pays doivent céder sur les extraditions, sur la confiscation des avoirs criminels et sur l'échange de renseignements. Dans un contexte – hélas ! – de perte d'influence de la France dans le monde, nous attendons avec impatience vos réponses.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez accompagné sans ambiguïté les travaux législatifs du Sénat, en qualité de ministre de l'intérieur, puis dans le cadre de vos fonctions actuelles.
Comment pouvez-vous expliquer devant la Haute Assemblée que les décrets d'application sur le nouveau statut des repentis, sur les infiltrés, sur les indicateurs ou encore sur l'anonymisation des procédures ne soient pas encore signés ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est inscrit comme cela dans la loi !
M. Étienne Blanc. Et leur publication est annoncée d'ici trois, quatre ou six mois !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est vous qui avez fixé ces dates !
M. Étienne Blanc. Le Gouvernement ne peut pas rester dans cette contradiction qui consiste, d'une part, à saluer les mérites d'une loi qu'il juge fort utile et, d'autre part, à procrastiner et tergiverser, en témoigne le peu d'empressement – je le regrette – à adopter ces décrets d'application…
Madame la ministre de l'action et des comptes publics, durant tout le long débat budgétaire, vous avez fait preuve de constance – il faut vous reconnaître cette qualité – dans votre discours sur la faiblesse de nos finances publiques.
En France, le narcotrafic représente un chiffre d'affaires de 7 milliards à 8 milliards d'euros France.
Or l'État a saisi 117 millions d'euros d'avoirs criminels en 2023 : ce sont donc 6 milliards à 7 milliards d'euros qui se sont évaporés sous les yeux d'un gouvernement impuissant et impécunieux.
Vous avez là, madame la ministre, des moyens considérables pour doter la marine, la gendarmerie, la police ou encore la douane des outils matériels et humains qui leur manquent si cruellement, ce qui provoque parfois chez eux un découragement compréhensible.
Nous pourrions aller bien plus loin dans la litanie des manques, des lacunes et des incohérences dans une lutte contre un fléau qui gangrène la société française. C'est un sujet qui ne saurait tolérer plus longtemps les atermoiements de l'exécutif et encore moins ces insupportables campagnes de communication, à l'instar de celle qui a eu lieu hier à Marseille.
Quelle idée que de déclarer que le montant de l'amende forfaitaire délictuelle pour consommation de stupéfiants serait rehaussé à 500 euros, quand on sait que moins de la moitié de son produit est actuellement recouvrée !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, et M. Laurent Nunez, ministre. C'est faux !
M. Étienne Blanc. Sur un tel montant, vous n'en récupérerez pas même 10 % !
Ces campagnes de communication nous lassent. Nous attendons des actes. Nous ne voulons plus de discours ! Le Président de la République aurait été mieux inspiré de nous expliquer comment les 50 % qui manquent dans les caisses de l'État seraient recouvrés…
Agitation médiatique, poudre aux yeux ! Mais on ne peut pas traiter aussi légèrement de sujets aussi graves.
Monsieur le Premier ministre, nous écrivions, avec Jérôme Durain, dans notre rapport, que la France était au bord du gouffre. Ces mots n'étaient pas excessifs : le phénomène nous échappe.
À la fin de nos travaux, nous avons pris connaissance d'une déclaration d'une délégation de magistrats mexicains venus en France dans le cadre d'un échange avec l'École nationale de la magistrature.
Ils avaient mis en garde : si la France n'est pas un narco-État, toute une série de signes – meurtres, violences corruption – doit vous inquiéter. Au Mexique, ont-ils expliqué, les choses ont commencé comme cela, et la réaction s'est bien trop fait attendre. Et aujourd'hui, c'est un narco-État.
Ces magistrats nous ont exhortés à armer la France face à une guerre qui doit dire son nom – une guerre terrible, qui gangrène notre pays.
C'est notre devoir pour la France, bien sûr, mais aussi pour cette jeunesse perdue, celle qui « chouffe », qui « deale », qui « charbonne », qui « salafe », qui surveille et qui maintenant assassine, rançonne, menace et sombre dans le crime.
Les 600 pages de rapport que nous avons rédigées expliquent pourquoi et comment nous en sommes arrivés là. Mais elles n'ont pu entrer dans le détail de ces drames humains qui s'étalent dans la presse de nos quotidiens régionaux.
Celui, par exemple, de ce gosse de quinze ans, enlevé par une bande rivale à Marseille dans les quartiers nord, attaché à une chaise au fond d'une cave obscure, lardé d'une cinquantaine de coups de couteau et brûlé vif au chalumeau, avant que son corps, démembré, soit rendu aux siens. La vidéo de son martyr a circulé sur les réseaux sociaux pour intimider et faire peur. C'est cela, la réalité du narcotrafic.
Alors, de grâce, moins de mots, moins de communication, moins d'esbroufe. Menez cette bataille pour la sécurité des Français. Menez-la, surtout, pour tenter de sauver une jeunesse perdue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat aborde une nouvelle fois la question du narcotrafic : ce piège, dont nous voulons sortir la France, semble se refermer chaque jour un peu plus sur notre pays, dans nos villes comme dans nos campagnes, dans l'Hexagone comme dans les outre-mer.
Il menace à la fois la sécurité de nos concitoyens, la cohésion sociale de nos territoires et, à terme, peut-être, les fondements même de notre État de droit.
L'assassinat, il y a quelques jours à Marseille, de Mehdi Kessaci nous l'a tragiquement rappelé. Je veux avoir, encore une fois, une pensée pour Amine et toute sa famille.
La question du narcotrafic se pose donc à nouveau au Parlement, quelques mois après le vote d'une proposition de loi transpartisane, largement co-construite ici même après une longue commission d'enquête sénatoriale.
Sollicité par le groupe Socialistes et apparentés de l'Assemblée nationale, le Gouvernement nous demande ce soir notre avis sur la nécessité de renforcer encore notre cadre juridique, nos dispositifs de prévention et les moyens mobilisés contre le narcotrafic.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat sera, comme précédemment, au rendez-vous de la lutte contre le narcotrafic et contre la criminalité organisée.
Nous l'avons montré à l'occasion de la commission d'enquête présidée par notre ancien collègue Jérôme Durain, qui a également été co-rapporteur, avec Étienne Blanc, dont je salue l'intervention précédente, de la proposition de loi adoptée à l'unanimité par cet hémicycle.
La commission d'enquête sénatoriale avait fourni un diagnostic extrêmement complet, rigoureux et documenté sur le narcotrafic. Ce travail parlementaire, que nous défendons fièrement, a permis de dépasser les impressions, les postures et les réactions émotionnelles pour établir des constats solides, fondés sur des auditions nombreuses, des déplacements de terrain et une analyse approfondie des mécanismes criminels.
Le narcotrafic est devenu une réalité nationale diffuse, qui s'inscrit dans le quotidien de millions de nos concitoyens. Ce n'est plus un phénomène périphérique ou cantonné à quelques quartiers ou villes identifiés de longue date.
Cette diffusion territoriale s'accompagne d'une transformation profonde des modes opératoires. Le narcotrafic s'est ubérisé. Il utilise les réseaux sociaux pour recruter, vendre, livrer. Il s'appuie sur des messageries cryptées, des circuits logistiques discrets et des plateformes numériques qui permettent de contourner les dispositifs classiques de contrôle.
Les différentes interventions ministérielles le montrent à leur façon : les menaces liées au narcotrafic sont diverses, à la fois sécuritaires, sanitaires, sociales, économiques et même démocratiques, puisqu'elles pèsent aussi sur nos magistrats et fonctionnaires.
Lorsqu'un territoire bascule, lorsque la loi du plus fort remplace la loi de la République, lorsque l'État recule dans le quotidien des citoyens, c'est toute la confiance collective qui se fissure.
Ce constant est vrai en métropole comme dans nos territoires ultramarins, qui ont besoin d'un soutien tout particulier, tant ils sont devenus des zones de rebond stratégiques sur les routes internationales de la drogue.
Ce diagnostic étant rappelé, que convient-il de faire ?
Le Gouvernement nous pose une première question : faut-il renforcer encore le cadre juridique ? Il n'y a pas de raison, en soi, de s'y opposer.
Cependant, avant de renforcer encore ce cadre, il nous importe que la législation actuelle soit vraiment mise en œuvre. Cela suppose donc déjà d'appliquer pleinement la loi votée il y a six mois.
Le directeur de l'Ofast nous a exposé hier quelques chiffres, que le ministre de l'intérieur a confirmés ce soir et qui montrent des progrès. En outre, la création du Pnaco est bien engagée, comme l'a confirmé le garde des sceaux.
De même, l'amélioration des outils pour suivre l'argent, saisir et confisquer les avoirs criminels est actée, ainsi que des dispositifs spécifiques visant les têtes de réseaux.
Les pouvoirs nouveaux donnés aux préfets commencent à être utilisés, en lien avec les maires et les bailleurs sociaux, contre les trafiquants d'hyperproximité et le blanchiment via certains commerces de proximité.
Enfin, la création de quartiers pénitentiaires dédiés aux trafiquants les plus puissants n'est pas passée inaperçue – la disposition ne figurait d'ailleurs pas dans le texte initial de la proposition de loi.
Tout cela va globalement dans le bon sens, de même que les actions supranationales présentées par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères en novembre 2025 et rappelées ce soir.
Il n'en reste pas moins que six mois après sa publication, seulement 14 % des 37 décrets nécessaires à l'application complète de la loi sont publiés. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce taux.
Notre priorité est d'aller plus vite dans l'application de ces dispositions. Ainsi, notre débat aura sans doute la vertu de donner un petit coup d'accélérateur, si j'en crois les annonces qui ont été faites.
J'ai aussi entendu quelques propositions nouvelles – certaines plus que d'autres… Je ne doute pas que nous ayons l'occasion de les examiner plus en profondeur.
Pour notre part, nous avons aussi des propositions à faire.
J'ai ainsi déposé avec plusieurs sénateurs de mon groupe une proposition de loi visant à encadrer l'utilisation de véhicules surpuissants par des conducteurs inexpérimentés, car ce phénomène entretient un lien étroit avec le trafic de stupéfiants.
Il existe un autre lien, trop souvent invisibilisé : celui entre narcotrafic, proxénétisme et violences faites aux femmes.
La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre l'exploitation sexuelle à l'ère de la cyberprostitution déposée par Laurence Rossignol souligne avec force ce phénomène. De nombreuses victimes de la prostitution sont contraintes à la consommation de drogues pour supporter la violence prostitutionnelle. Les réseaux de proxénétisme et les réseaux de drogues sont ainsi profondément imbriqués.
Il y a là matière à renforcer encore le cadre juridique et j'invite le gouvernement à s'y pencher.
La ligne de conduite de notre groupe est toujours la même : nous sommes favorables à employer les moyens nécessaires pour réduire l'asymétrie entre les narcotrafiquants et nos forces de sécurité et de justice, à condition, néanmoins, de ne pas porter atteinte à l'équilibre précaire entre sécurité et liberté.
Ce qui peut advenir de certains fichiers sensibles montre bien qu'il vaut mieux être précautionneux !
Bien sûr, quand il est question d'outils technologiques sophistiqués ou de techniques spéciales d'investigation, il n'est pas toujours aisé de placer le curseur au bon endroit. Mais nous devons nous laisser guider par la boussole qu'a rappelée le Conseil constitutionnel : l'efficacité ne saurait justifier un affaiblissement durable de l'État de droit.
J'en viens à la deuxième question posée par le Gouvernement.
Pour le groupe SER, la priorité est en effet d'améliorer la prévention. En effet, la lutte contre le narcotrafic ne se résume pas à la lutte contre les narcotrafiquants. Cette lutte ne sera efficace que si l'on s'intéresse aussi aux produits et à ceux qui les consomment. Ainsi, notre groupe ne croit pas que réprimer davantage les consommateurs ou chercher à tout prix les responsabiliser constitue une solution.
La commission d'enquête Blanc-Durain concluait que, pour « gagner la bataille culturelle », il fallait répondre à l'enjeu de la prévention. C'est aussi notre point de vue, ainsi que je l'avais défendu ici même, au nom de mon groupe, à l'occasion de la discussion générale sur la proposition de loi Narcotrafic.
Des enfants de plus en plus jeunes sont recrutés comme guetteurs, livreurs ou pire. Cette réalité est le résultat d'un cumul de vulnérabilités : décrochage scolaire, précarité sociale, désaffiliation familiale, problème de santé mentale ou encore absence de perspectives.
La prévention doit passer par des campagnes plus percutantes.
Le rapport Blanc-Durain soulignait ce paradoxe : « L'État fait beaucoup moins d'efforts de prévention contre la consommation de drogues que contre le tabac ou l'alcool. Une telle inertie est incompréhensible. […] Il est essentiel d'adapter le discours aux publics visés et d'éviter l'écueil de la moralisation. »
À cet égard, nous ne sommes pas certains que l'annonce du Président de la République sur le rehaussement de 200 à 500 euros de l'amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs réponde tout à fait à cette recommandation, surtout quand on en connaît le taux de recouvrement…
Il faut sincèrement et collectivement se demander comment parler des drogues et s'adresser avec justesse à tous ceux qui sont tentés d'en consommer, que ce soit, pour certains, à des fins récréatives ou, pour d'autres, pour répondre à des difficultés personnelles ou professionnelles, comme l'a souligné le ministre du travail.
Reconnaître cette réalité, ce n'est pas forcément rouvrir le débat sur la dépénalisation ou la légalisation, même si cela viendra un jour. Au contraire, c'est accepter d'échanger sans tabou ni a priori pour explorer toutes les solutions pour sortir du piège du narcotrafic.
Il faut plus de prévention, de réduction des risques, de prise en charge médicale et sociale, de dispositifs comme les haltes soins addictions, sauvées dans le PLFSS grâce la force parlementaire, mais qu'il faudra étendre. Je regrette que cela n'ait pas été mentionné explicitement par le Gouvernement.
Prévenir, c'est agir d'un point de vue sanitaire, mais aussi investir dans l'éducation, l'insertion, l'apprentissage, l'emploi, le logement, la mobilité.
Il nous faut une politique publique globale, structurée, continue, inscrite dans le temps long, articulée autour du sanitaire, du social, du sociétal, et associant nos collectivités locales.
Quand la République propose un horizon, la tentation qu'offre le narcotrafic s'amenuise. La présence, ce soir, de tous les ministres concernés par ces sujets nous apparaît plutôt un bon signe.
Puisque le modèle a fonctionné pour le volet répressif, qui constitue le premier acte de notre lutte commune contre le narcotrafic, nous vous proposons de l'appliquer aussi au volet de la prévention, qui en forme le deuxième acte.
Le Parlement, en particulier le Sénat, s'honorerait à lancer rapidement une commission d'enquête sur la prévention et l'accompagnement dans le cadre de ce deuxième acte. Nous pourrions ainsi poser un diagnostic et partager des recommandations.
Certes, un tel travail prendrait sans doute six mois. Mais c'est finalement à cette échéance que l'ensemble des décrets d'application de la loi de juin 2025 auront été publiés et, espérons-le, que de nouvelles habitudes de coopération et de coordination auront été prises définitivement.
C'est à l'aune de ces travaux que nous saurions quelles mesures législatives ou réglementaires sont utiles.
À cet égard, il faudra inclure dans la prévention les produits stupéfiants connus, mais également les autres produits, non classés comme tels, à commencer par le protoxyde d'azote, dont la consommation explose, notamment chez les jeunes.
Dans la proposition de loi visant à réserver la vente de protoxyde d'azote aux seuls professionnels qu'elle a récemment déposée, notre collègue Marion Canalès, très investie, au sein de la commission des affaires sociales, sur ces questions, tire les leçons de la réalité que j'ai décrite. Puisque les textes précédents sur le sujet n'ont pas montré d'effets, elle demande l'interdiction de ce produit qui fait des ravages depuis bien trop longtemps.
Le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur ont eux aussi fait récemment des annonces à ce sujet. Quel que soit le véhicule juridique choisi, nous devons enfin nous donner les moyens de combattre le fléau du « proto » et éviter que ne se reproduisent des accidents tragiques comme celui qui a coûté la vie du jeune Mathis à Lille il y a quelques semaines.
J'en viens à la troisième et dernière question que nous pose le Gouvernement.
Oui, nous avons besoin de moyens, et nous sommes évidemment favorables à en mobiliser davantage. Nous l'avions dit à l'occasion de l'examen de la proposition de loi Narcotrafic et nous n'avons cessé de le répéter durant les débats budgétaires ces dernières semaines.
Nos amendements visant à mieux doter encore la justice ou la police ont été rejetés, mais ils reflètent clairement notre position.
C'était aussi le cas des propositions émises dans le cadre du PLFSS ou du PLF pour lutter contre les addictions, soutenir la réduction des risques et conforter des structures comme la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et, plus largement, toutes celles qui œuvrent tous les jours dans nos quartiers, dans nos villages : les associations, les centres sociaux, les clubs de sport, les éducateurs en tout genre.
Pour avoir une chance réelle d'éviter que le piège du narcotrafic ne se referme très vite sur notre pays, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, répond favorablement aux questions posées par le Gouvernement dans ce débat en application de l'article 50-1 de la Constitution.
Nous souscrivons à une grande partie des solutions esquissées.
Souscrire à des esquisses, ce n'est ni tout accepter ni annoncer par avance des votes favorables aux textes de loi qui nous seraient soumis.
Souscrire à des esquisses, c'est se tenir prêt, comme nous l'avons toujours fait, avec exigence et vigilance, sans perdre de vue le double impératif de vivre en sécurité et en liberté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux, avant toute chose, rendre hommage aux femmes et aux hommes qui, chaque jour, sont en première ligne face au narcotrafic : policiers, gendarmes, douaniers et magistrats.
Leur engagement et leur courage permettent à notre pays de tenir face à un phénomène dont l'emprise s'étend chaque année sur notre territoire. Et s'il y a bien un mot qui décrit ce que nous sommes en train de subir, c'est celui de submersion.
Submersion, parce que les routes par lesquelles la drogue arrive dans notre pays sont innombrables.
Submersion, parce que les moyens d'introduire ces produits sont de plus en plus diversifiés et sophistiqués.
Submersion, enfin, parce que les modes de distribution et de vente n'ont jamais été aussi nombreux et rapides.
Le narcotrafic n'est plus cantonné aux grandes métropoles : cela fait bien longtemps qu'il a gagné les villes moyennes, les petites communes et, désormais, les zones les plus rurales.
Entre 2010 et 2023, la valeur économique du trafic a bondi de 189 %. En treize ans, elle est passée de 2,3 milliards à 6,8 milliards d'euros. Le trafic, aujourd'hui, s'infiltre partout.
Source d'une violence décuplée, il se transforme sous l'effet d'une numérisation et d'une ubérisation qui illustrent, de façon glaçante, la rationalité économique de ces réseaux criminels.
Pourtant, nous nous sommes pleinement impliqués sur ces questions. Les travaux de la commission d'enquête sur le narcotrafic et la loi qui en est issue sont une success story sénatoriale.
Toutefois, sans vision stratégique d'ensemble de la lutte contre les fraudes et le blanchiment, les travaux législatifs restent décousus et les structures travaillent encore trop souvent en silos.
Nous l'avons dit le 5 novembre 2025 à l'occasion de l'examen de la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, adoptée à l'unanimité : cinq textes parcellaires nous ont été soumis en moins de six mois, sans qu'aucun permette véritablement de s'attaquer au fond du blanchiment, dans un mikado législatif consistant à bouger un peu, sans toucher à l'ensemble, en ne changeant surtout rien.
Cette politique des petits pas législatifs n'est pas conforme aux besoins de la lutte contre la fraude et la criminalité organisée. Les travaux de la commission d'enquête menée sur l'initiative du groupe Union Centriste sont sans appel : il faut changer de méthode et instituer une culture nouvelle, celle d'une vision globale des infractions et une appréhension financière d'ensemble.
Les trafiquants sont opportunistes et ne s'interdisent rien. Cessons de répéter qu'il faut frapper les criminels au portefeuille, quand nous ne recouvrons que 2 % des avoirs criminels !
Comment être crédibles quand la plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac) ne dispose même pas de toutes les licences nécessaires pour accéder aux données essentielles ?
Comment être efficaces quand, au sein d'un même ministère, des services utilisent des outils de décryptage de la blockchain incompatibles entre eux, ce qui empêche tout échange de données entre deux étages d'un même bâtiment ?
Nous venons d'ailleurs d'apprendre que le ministère de l'intérieur a fait l'objet d'un piratage la semaine passée. Cela est regrettable ; heureusement, monsieur le ministre, vos services ont réussi à interpeller un suspect.
Comment affirmer que notre stratégie est opérationnelle, alors qu'un certain nombre de décrets d'application de la loi du 13 juin 2025 ne sont toujours pas publiés ?
Il faut absolument renforcer et réarmer nos procédures de saisie et de confiscation.
Par exemple, l'enquête patrimoniale doit être menée pendant l'enquête judiciaire, mais aussi après le jugement. Le criminel ne doit plus pouvoir continuer à profiter de l'argent de son crime – comme ce trafiquant qui investit dans l'immobilier à Dubaï en cryptoactifs, avec son portable, depuis sa cellule des Baumettes !
Concernant les cryptoactifs, 100 % des dossiers de criminalité organisée font désormais mention de l'usage de cryptomonnaies, totalement ou partiellement. C'est pourquoi il faut renforcer l'efficacité de la police, de la gendarmerie comme du droit.
Dans de nombreux cas, les criminels disposent, entre eux, de véritables systèmes comptables et maîtrisent parfaitement les mécanismes et les ficelles.
Les cryptomonnaies n'ont pas remplacé le cash : les méthodes s'additionnent et se complètent. Il faut rappeler, d'ailleurs, que les cryptoactifs sont des valeurs traçables, contrairement à ce que l'on croit souvent, à la différence du cash.
Cette réalité nous conduit naturellement à un autre volet essentiel de la lutte contre la criminalité organisée : le blanchiment.
Je tiens ici à saluer le travail de ma collègue Nathalie Goulet, très engagée sur cette question, qui regrette de ne pouvoir être présente ce soir. Sa proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment adoptée le mois dernier vise précisément à prévenir fraudes, en particulier la lutte contre les entreprises éphémères.
La société éphémère est en effet le véritable cheval de Troie de la criminalité organisée : 20 à 25 milliards d'euros de fraude à la TVA chaque année, et rien ne semble l'arrêter.
On nous dit qu'il ne faut pas ralentir la création d'entreprises ni entraver la liberté du commerce, et que « les délinquants changeront de méthode ».
Résultat : faute de définition claire, des milliers d'entreprises créées chaque année n'ont d'autre vocation que le blanchiment, le carrousel TVA, le dumping économique sur nos territoires ou la fraude aux Urssaf.
Inutile de s'émouvoir devant la multiplication de certaines enseignes, telles que les kebabs ou les barbiers : il faut au contraire une véritable acculturation aux mécanismes de blanchiment.
Blanchir est en effet devenu un métier, un service : c'est pourquoi il faut s'attaquer aux acteurs du blanchiment et surtout mettre en place une politique d'ensemble avec les services, et non avec les experts ou pseudo-experts ni les multiples services de conformité qui n'échangent qu'entre eux, en oubliant les hommes et les femmes de terrain.
La délinquance financière ne constitue pas seulement une infraction économique : elle est devenue un levier stratégique du crime organisé, un facteur de fragilisation des institutions démocratiques et un puissant moteur de distorsion du modèle républicain.
Cette guerre contre le narcotrafic et le blanchiment passe aussi par une plus grande fermeté dans nos prisons.
Trop longtemps, nous avons fermé les yeux sur les objets introduits illégalement en détention – téléphones portables, drones, projectiles – qui permettent à de nombreux trafiquants de continuer à diriger leur réseau depuis leur cellule et même, parfois, de commanditer des assassinats.
Cela passe par une lutte sans complaisance contre la corruption, où qu'elle se niche : dans l'administration pénitentiaire, dans la sphère politique ou dans le secteur industriel.
Vous l'avez bien compris, monsieur le garde des sceaux. C'est pourquoi je tiens à saluer la création, grâce à vous, de deux prisons de haute sécurité, l'une à Condé-sur-Sarthe et l'autre à Vendin-le-Vieil.
Enfin, n'oublions pas les maires, auxquels nous pouvons donner une feuille de route, car ils sont en première ligne : il leur est ainsi possible d'user du droit de préemption lorsque des locaux vacants sont susceptibles d'être utilisés pour ouvrir un commerce connu pour être un blanchisseur.
De même, ils peuvent inscrire des contraintes dans les cahiers des charges des marchés, par exemple l'interdiction de produits de contrefaçon.
Enfin, il leur incombe de former les polices municipales pour repérer les changements d'affectation ou les commerces éphémères.
Avec mes collègues du groupe Union Centriste, je vous propose d'adopter une position encore plus volontariste, après le réveil et le sursaut qu'a permis le travail sur le narcotrafic, pour étendre cette démarche ferme et volontaire à l'ensemble de la criminalité organisée. Nous devrions notamment donner de nouveaux moyens à nos services pour lutter contre le blanchiment, mère de tous les vices.
Par ailleurs, les moyens alloués à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), dont l'une des missions essentielles est la lutte contre la fraude et les grands trafics internationaux, augmenteront de 3,6 % en 2026 par rapport à 2025 et ses moyens humains seront renforcés.
Ce signal doit être poursuivi et amplifié si nous voulons réellement nous donner les moyens de gagner face à ce fléau.
Le groupe Union Centriste propose, par ailleurs, la création d'un groupe de suivi des textes et enjeux de la criminalité organisée, à la suite des deux commissions d'enquête menées, l'une, sur le narcotrafic, par Étienne Blanc et Jérôme Durain, l'autre, sur la délinquance financière, par Nathalie Goulet et Raphaël Daubet.
Notre engagement ne saurait faiblir sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, Les Républicains, INDEP et SER.)
(M. Xavier Iacovelli remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli
vice-président
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, « la drogue est une gangrène qui menace chaque pays touché par son trafic », disait le président Jacques Chirac en 2003. Vingt ans plus tard, force est de constater que cette gangrène a fortement progressé.
Le narcotrafic est non pas une délinquance parmi d'autres, mais l'axe majeur de la criminalité organisée. Structuré, financiarisé et violent, il s'enracine dans nos territoires, s'adapte en permanence à l'action publique et conteste, par la force, l'autorité même de l'État.
Longtemps cantonné à quelques quartiers ou à certaines grandes métropoles, il s'étend aujourd'hui aux villes moyennes, aux zones périurbaines, aux territoires les plus ruraux, aux collèges, aux lycées, et même aux vestiaires des stades. Les coups de feu ne sont plus exceptionnels. Pour certains de nos concitoyens, ils deviennent presque un bruit de fond. Voilà le moment de bascule que nous vivons.
Notre groupe tient à saluer l'implication des pouvoirs publics. Les forces de sécurité intérieure, les douanes, l'Office anti-stupéfiants (Ofast) et les magistrats spécialisés sont pleinement mobilisés. Les quantités de drogue saisies atteignent des niveaux inédits. Des records sont battus en mer, dans les ports, sur nos routes, dans nos aéroports.
La marine nationale est en pointe : en 2025, elle a saisi plus de 83 tonnes de drogue, d'une valeur globale de 3,6 milliards d'euros. C'est 70 % de plus qu'en 2024 !
Mais ces saisies, aussi nécessaires soient-elles, révèlent surtout l'ampleur du phénomène. Elles ne sont pas le signe d'un trafic maîtrisé, mais celui d'un trafic industrialisé. Les milliers de points de deal, la permanence des flux, la rapidité de reconstitution des réseaux montrent que nous avons affaire non pas à une criminalité contenue, mais à une véritable économie parallèle, installée et internationale.
Cette économie criminelle s'appuie sur les nouvelles technologies : les cryptomonnaies pour dissimuler l'argent ; les messageries cryptées pour organiser le trafic à l'échelle internationale. Les enquêtes l'ont montré : ce sont des millions de messages échangés, des milliers d'acteurs impliqués, bien au-delà des capacités humaines traditionnelles de traitement.
Les réseaux sont fragmentés et spécialisés. Ils fonctionnent selon une forme de taylorisme criminel : logisticiens, collecteurs, blanchisseurs, ou encore distributeurs. Les flux sont continus, les quantités fractionnées, les responsabilités diluées.
Des progrès majeurs ont été réalisés par les services d'enquête, notamment s'agissant des messageries cryptées. Nos agents devraient cependant bénéficier de moyens plus importants si nous voulons faire tomber les réseaux.
Cette sophistication technologique bouleverse profondément notre rapport au temps pénal. Elle permet aux réseaux de survivre aux arrestations, de se reconstituer rapidement et, parfois, de poursuivre leurs activités malgré l'incarcération de leurs chefs.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez pris le problème à bras-le-corps, et nous saluons votre action.
Derrière les trafics, derrière ces flux et ces chiffres, il y a une réalité humaine, tragique et brutale : la drogue fait des victimes, parmi ceux qui la vendent et parmi les consommateurs.
Elle fait aussi des victimes parmi celles et ceux qui n'avaient rien demandé. J'ai ainsi une pensée pour Socayna, cette étudiante en médecine fauchée par une balle perdue alors qu'elle se trouvait dans sa chambre.
J'ai aussi une pensée pour tous nos concitoyens dont le quotidien est dominé par la peur et la violence du trafic.
J'ai une pensée, enfin, pour celles et ceux qui osent dire non et qui refusent la loi du silence, comme le frère, lâchement assassiné, d'Amine Kessaci.
Parce que les profits explosent, parce que les enjeux financiers sont devenus colossaux, il n'y a pas que les produits qui sont importés ; les méthodes le sont aussi. En Europe, nous voyons désormais poindre la violence des cartels latino-américains : armes de guerre, règlements de compte en pleine rue, et des mineurs, parfois âgés d'à peine 14 ans, utilisés comme tueurs à gages… Cette violence n'est pas une dérive ; elle est un outil assumé de gestion, de domination et de conquête des territoires.
Dans la lutte contre les trafics, les ports sont l'un des points névralgiques. Celui de Rotterdam a engagé une sécurisation massive. Celui d'Anvers reste fortement sous tension. En France, le port du Havre a besoin de moyens supplémentaires pour faire face à la pression criminelle croissante.
Les dockers sont menacés. Les agents pénitentiaires sont intimidés. La corruption devient un levier stratégique. En effet, le narcotrafic ne peut prospérer sans blanchiment massif des profits, sans infiltration de l'économie légale, sans pressions, sans enlèvements, sans exécutions ciblées. Tant que l'argent du crime circulera plus vite que nous ne le saisissons, nous laisserons aux réseaux un avantage décisif…
Il y a enfin l'éléphant dans la pièce : les consommateurs. Sans eux, il n'y a pas de trafic de drogue. Et je veux d'emblée le dire, la responsabilité pénale n'est pas incompatible avec la prévention et les soins.
Nous ne pouvons pas détourner le regard. Le modèle propre aux Pays-Bas, pays tenté par la distinction entre drogues dures et douces, a montré ses limites et prouvé son impuissance. La banalisation de l'usage, la tolérance implicite et l'hypocrisie collective nourrissent directement les réseaux criminels.
Qu'on le veuille ou non, la consommation finance directement l'évasion de Mohamed Amra, les attaques contre les prisons, les enlèvements et les assassinats... Derrière l'ecstasy en rave party, derrière le rail de coke en boîte de nuit, il y a des chambres de torture et des exécutions ! Les consommateurs portent une très lourde responsabilité !
Le changement d'échelle du narcotrafic que nous connaissons aujourd'hui est lié à une substance en particulier : la cocaïne. Un kilo de cette drogue s'achète environ 1 000 euros en Amérique latine et se revend jusqu'à 60 000 euros en Europe. En 2023, plus de 1 million de Français ont consommé au moins une fois de la cocaïne, près de deux fois plus qu'en 2017. Une telle rentabilité a pour corollaire des capitaux criminels considérables ; elle alimente une violence sans frein et transforme le trafic de drogue en une industrie internationale.
Comme si le tableau n'était pas assez sombre, nous devons garder à l'esprit que nous ne sommes pas encore confrontés à ce que connaissent d'autres pays, notamment les États-Unis : je pense au fentanyl, à ses ravages sanitaires et ses milliers de morts. Les signaux faibles existent et il serait dangereux de les ignorer. Il faut agir rapidement et fermement !
Ce que je veux dire par là, ce n'est absolument pas que la justice est laxiste. Avec un taux d'occupation carcérale de 136 %, il serait injuste et inefficace de mettre en cause les magistrats.
Ce n'est pas la justice qui est défaillante ; c'est la promesse qui lui est faite et qui n'est pas encore tenue. Tant que nous ne créerons pas de nouvelles places de prison réellement sécurisées, tant que l'incarcération ne coupera pas les réseaux, nous ne pourrons pas exiger davantage de ceux qui rendent la justice.
Face à une économie criminelle mondialisée, notre réponse doit être globale : pénale, financière, technologique, sans angle mort. La lutte contre le narcotrafic exige des moyens, et, surtout, du courage.
Quand nous regardons ce qui se passe chez nos voisins en Europe, nous n'avons ni à nous féliciter ni à rougir ; mais nous voyons bien que la solution miracle n'existe pas encore.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra, bien sûr, l'initiative du Gouvernement. Cette bataille de longue haleine, nous ne pouvons pas nous permettre de la perdre ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a encore quelques années, le narcotrafic était perçu comme un phénomène périphérique : un problème de quartiers, un sujet pour les grandes métropoles, un angle mort de l'action publique tant qu'il restait contenu.
Aujourd'hui, cette illusion s'est dissipée. Le narcotrafic n'est plus une menace diffuse : il est omniprésent. Il touche à notre sécurité, à notre jeunesse, à notre santé publique. Il porte atteinte à l'intégrité de l'action publique et se répand partout sur notre territoire.
Si nous débattons ce soir, c'est parce que la République est directement défiée et que le Gouvernement a choisi d'y répondre sans détourner le regard.
Pour mesurer l'ampleur de cette menace, il faut d'abord regarder ce qui l'alimente : la consommation.
Comme l'ont révélé les travaux de la commission d'enquête sénatoriale menés par notre ancien collègue Jérôme Durain et par Étienne Blanc, qui est présent ici et que je salue, nous faisons face à un double mouvement préoccupant : l'émergence de nouveaux produits dévastateurs, à bas coût, et la banalisation des drogues dites dures.
La cocaïne en est l'illustration la plus frappante. Vous l'avez rappelé, mesdames, messieurs les ministres, les saisies atteignent des records année après année. Derrière ces chiffres, il y a une réalité brutale : près de 1,1 million de Français ont consommé de la cocaïne en 2023, presque deux fois plus qu'en 2017.
Il nous faut assumer une vérité parfois dérangeante. Le consommateur est un maillon du système. Il finance la violence, alimente la corruption et rend possible l'enrôlement des plus jeunes.
La réponse doit être ferme. Les amendes forfaitaires délictuelles, lorsqu'elles sont recouvrées, constituent un outil pertinent. Je salue, à cet égard, l'implication des ministères de l'intérieur et de la justice, de Bercy, ainsi que celle des ministres présents dans notre hémicycle – leur présence atteste de l'importance accordée par le Gouvernement à cette lutte. La proposition du Président de la République d'augmenter le montant de ces amendes marque notre volonté de mettre fin à cette banalisation.
Mais la répression seule ne suffit pas. La consommation est aussi un enjeu de santé publique, de prévention et de prise en charge des addictions. C'est à cette condition que nous tarirons durablement la demande.
Cette économie criminelle prospère avant tout grâce à l'enrôlement de nos jeunes. Les réseaux recrutent, ruinent des trajectoires de vie et compromettent leur avenir. Quand on propose de 150 à 200 euros par jour à un adolescent, le recrutement devient tragiquement simple. Les trafiquants exploitent la vulnérabilité, la précarité et l'absence de perspectives.
En 2023, les individus mis en cause pour trafic de stupéfiants étaient à 19 % des mineurs. L'enrôlement des mineurs, érigé en circonstance aggravante par la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, doit trouver toute sa traduction dans la réponse pénale. Protégeons davantage nos jeunes en renforçant leur accompagnement, et ce pour les éloigner durablement de logiques les conduisant à la délinquance.
Pour asseoir leur domination, les réseaux ont durci leurs méthodes : intimidation, ultraviolence, fusillades, assassinats ciblés, racket. L'actualité récente nous l'a rappelé avec brutalité.
À Marseille, on retrouve dans l'assassinat de Mehdi Kessaci, frère du militant associatif Amine Kessaci, tous les marqueurs d'un crime d'intimidation, d'une barbarie sans nom. J'ai une pensée émue pour la famille Kessaci, ses proches, et toutes celles et tous ceux qui refusent de céder à cette logique criminelle.
Cette violence frappe l'ensemble du territoire, avec une intensité particulière dans les outre-mer. Les espaces maritimes ont besoin de dispositifs à la hauteur. Certes, la gendarmerie et la marine accomplissent un travail remarquable, mais il faut renforcer les moyens, autrement dit les effectifs et les équipements, pour traquer les trafiquants ; il faut aussi leur donner un cadre juridique adapté.
Je pense aux Antilles, où le trafic s'accompagne d'une circulation accrue d'armes lourdes et d'une pénétration du narcotrafic dans le tissu social et familial, à la Polynésie française sur l'axe Amérique du Sud-Australie, et à la Guyane, où le phénomène des mules touche toutes les strates de la société. Dans ce département, le dispositif « 100 % contrôle » a permis de ralentir le trafic, mais il mobilise massivement les forces de l'ordre.
D'autres solutions existent : les Pays-Bas et la Belgique utilisent des scanners corporels pour détecter la cocaïne. Les élus guyanais, notamment notre collègue Marie-Laure Phinéra-Horth, demandent leur installation sur les lignes sensibles. Mesdames, messieurs les ministres, cette demande appelle une réponse rapide de votre part.
Face à une telle menace, nous avons choisi d'agir. La loi sur le narcotrafic, fruit d'un travail parlementaire transpartisan, en est le parfait exemple. Elle renforce le pouvoir d'action de la justice et de l'État : fermetures administratives des lieux liés à la criminalité, prolongation des gardes à vue des mules, lutte contre le blanchiment.
Vous l'avez rappelé, mesdames, messieurs les ministres, l'argent est le nerf de la guerre. Frapper au cœur des réseaux, c'est les frapper au portefeuille. Le travail des services de police et de renseignement pour traquer l'argent sale est excellent, et je veux le saluer. Mais nous devons aller plus loin, taper plus fort encore, avec davantage de saisies et sous contrôle du juge.
La création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) traduit un changement de paradigme. Par sa spécialisation et son articulation avec l'état-major interministériel, ce parquet permet d'adapter l'action publique à une menace diffuse et structurée.
Cette lutte doit aussi être menée derrière les murs de nos prisons. Le drame d'Incarville a révélé de graves failles. Les mesures du protocole d'Incarville et de la loi sur le narcotrafic, notamment l'anonymisation des agents, sont essentielles.
L'isolement des grands narcotrafiquants au sein des quartiers de lutte contre la criminalité organisée constitue une rupture indispensable pour empêcher les têtes de réseau de continuer à œuvrer depuis leur lieu de détention. Cet enfermement hermétique, sans téléphone portable, fondé sur un régime strict, est la bonne méthode.
Mes chers collègues, la situation est alarmante, mais il n'y a pas de fatalité ! Oui, il nous faut renforcer notre cadre juridique, nos dispositifs de prévention et nos moyens, pour que nos outils répondent à une menace qui évolue sans cesse. C'est une question non pas seulement de sécurité, mais aussi de souveraineté.
Dans ce combat, nous devons protéger celles et ceux qui font vivre l'autorité publique au quotidien : forces de l'ordre, magistrats, agents pénitentiaires, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), élus locaux. Face à ceux qui imposent peur, corruption et violence, la République ne doit pas céder ! Elle peut compter sur notre engagement.
Au nom du groupe RDPI, je réaffirme notre soutien résolu à l'action du Gouvernement dans cette lutte déterminée ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'issue de l'examen de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, notre groupe a fait un choix clair, celui de la responsabilité, en votant ce texte.
Nous l'avons fait parce que la situation est grave, parce que les trafics de stupéfiants ne cessent de s'étendre, parce que les réseaux criminels se structurent, se professionnalisent et se financiarisent, et parce que, dans de nombreux territoires de la République, l'emprise mafieuse a pris une ampleur incontrôlable. Je pense évidemment à Marseille, mais aussi à bien d'autres villes.
Les narcotrafiquants ont d'ailleurs franchi un cap supplémentaire avec le meurtre immonde de Mehdi Kessaci. Nous assistons à un basculement : nous sommes confrontés à une menace qui va crescendo, jusqu'au chaos…
Nous avons voté ce texte, car nous savons que l'inaction aurait été une faute. Mais nous l'avons aussi voté en conscience, en acceptant que certains sujets majeurs ne soient pas traités, non parce qu'ils seraient secondaires, mais parce qu'un compromis politique avait été trouvé pour en permettre l'adoption.
Aujourd'hui, mes chers collègues, nous sommes à un moment décisif. Car si le traitement de ces sujets continue d'être repoussé dans le temps, si nous persistons à considérer ces questions comme périphériques, alors, il faut le dire clairement, cette loi sera insuffisante. Elle ne permettra pas de sortir durablement la France du piège du narcotrafic.
Cette lutte ne saurait être uniquement répressive et se limiter à l'aval du phénomène. Elle doit être globale, cohérente et déterminée. Nous devons désormais élaborer un nouveau véhicule législatif pour traiter le fléau.
Je veux d'abord aborder la question absolument centrale du blanchiment de l'argent issu de ce trafic. Le narcotrafic est avant tout une économie criminelle et mondialisée, une économie qui génère des flux financiers colossaux, une économie qui ne prospère que parce que l'argent peut être blanchi, investi, dissimulé et recyclé.
Soyons lucides : sans blanchiment, il n'y a pas de trafic à grande échelle. Sans blanchiment, les réseaux ne peuvent ni se développer, ni se structurer, ni corrompre.
Or ce blanchiment ne se fait pas dans le vide, si je puis dire. Il s'opère à travers des circuits financiers, bancaires, immobiliers et commerciaux parfaitement identifiables, parfois avec la complaisance, la négligence, ou encore la complicité d'acteurs économiques puissants.
Les banques ne peuvent pas être éternellement les grandes absentes de ce débat. Lorsque certaines ferment les yeux sur des flux manifestement suspects, lorsqu'elles considèrent que les amendes sont un coût acceptable, lorsqu'elles préfèrent la rentabilité au respect de la loi, elles deviennent des maillons essentiels de la chaîne criminelle.
On ne peut pas, d'un côté, afficher – à juste titre – une fermeté sans concession à l'égard des trafiquants, et, de l'autre, faire preuve d'une indulgence persistante envers ceux qui permettent à l'argent sale de circuler. Il nous faut renforcer considérablement la justice financière, les moyens d'enquête des services spécialisés, les contrôles bancaires et les sanctions. Il faut que les moyens de lutte contre le blanchiment soient perçus comme un risque réel. Ils doivent devenir dissuasifs. Les faits de blanchiment doivent donc faire systématiquement l'objet de poursuites.
Cette question du blanchiment me conduit à évoquer l'aspect international du trafic de drogue, qui est par essence transnational. Les drogues consommées en France sont produites ailleurs. Les profits générés ici sont blanchis là-bas, et inversement.
La France ne peut pas prétendre lutter efficacement contre ce phénomène sans une stratégie internationale ambitieuse et cohérente. Cela suppose de renforcer la coopération judiciaire et policière, mais aussi de fixer des exigences politiques claires vis-à-vis des pays producteurs et des États complaisants.
La lutte contre le narcotrafic doit devenir un enjeu diplomatique de premier plan. Sans cela, nos efforts nationaux resteront fragiles, contournables et insuffisants.
J'en viens maintenant à la question primordiale de la prévention sanitaire et de la santé publique.
La consommation de drogues progresse et les situations de dépendance s'aggravent. Les usagers sont de plus en plus jeunes, de plus en plus nombreux, de plus en plus isolés. Et pourtant, la réponse sanitaire demeure dramatiquement sous-dimensionnée : les structures de soins sont saturées et les structures de prévention manquent de moyens.
On ne réduira pas durablement l'emprise des trafiquants sans une politique de santé publique ambitieuse, assumée et à laquelle – j'y insiste – on consacrera des moyens.
Or, dans le projet de loi de finances pour 2026, les moyens du ministère de la santé sont en diminution. Les personnes malades et les soignants sont, d'année en année, toujours plus abandonnés.
Ainsi, l'expérimentation des haltes soins addictions (HSA) n'est pas pérennisée. Elle est prolongée uniquement de deux ans, dans deux villes seulement, et sous-financée. Pourtant, les trois évaluations, respectivement menées par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et l'inspection générale des affaires sociales (Igas), concluent toutes à la pertinence et à l'efficacité du dispositif. En outre, le Gouvernement diminue les crédits alloués à la Mildeca, alors que son rôle est primordial.
L'exécutif annonce aussi vouloir mettre l'accent sur la prévention au travers de l'éducation nationale, mais il supprime dans le même temps 4 000 postes d'enseignants.
Enfin, pour ne citer que ce point, on réduit drastiquement les moyens des associations, alors même que la politique de prévention de notre pays repose beaucoup sur leur travail.
La sécurité est un droit fondamental, mais la santé l'est tout autant. Les opposer serait une erreur politique et stratégique.
J'insiste également avec force sur l'importance de la protection de l'enfance. Aujourd'hui, plus de 350 000 mineurs et jeunes majeurs relèvent de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Chacun sait ici que ces enfants sont devenus les cibles privilégiées des réseaux mafieux, qu'il s'agisse de trafic de stupéfiants ou de prostitution. Sur les 15 000 mineurs en situation de prostitution, 80 % sont des jeunes filles prises en charge par l'ASE.
Combien d'enfants enrôlés par ces réseaux se retrouvent impliqués dans le trafic de stupéfiants ? Ils sont recrutés, exploités, souvent sous la contrainte, et parfois dans les foyers censés les protéger. Cette situation indigne constitue un échec collectif et révèle un abandon organisé.
Comment prétendre lutter contre le narcotrafic si nous laissons ces enfants sans protection ? Comment peut-on parler de fermeté alors qu'on laisse prospérer ce vivier de main-d'œuvre pour les mafias ? La protection de l'enfance n'est pas un sujet annexe, mais une condition indispensable de l'efficacité de notre action.
Sans un soutien massif aux départements, sans un renforcement de l'ASE, sans des professionnels en nombre suffisant et reconnus, nos lois resteront des proclamations sans effet réel.
Mes chers collègues, partout où l'État recule, les mafias progressent. Partout où les services publics s'affaiblissent, les trafiquants s'installent !
L'an dernier, nous avons pris notre part de responsabilité en votant ce texte. Aujourd'hui, la responsabilité, c'est d'aller au bout de la démarche, d'assumer une approche globale avec de véritables moyens, de traiter enfin les questions du blanchiment, du rôle des acteurs financiers, de la santé publique et de la protection de l'enfance. Sans cela, le piège du narcotrafic continuera de se refermer sur nous. Avec cela, nous pourrons réellement commencer à faire reculer cette menace ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons tous la même analyse de la loi sur le narcotrafic de 2025 : ce texte était essentiel, attendu et urgent.
Cette loi a constitué une étape importante : elle a renforcé les capacités d'enquête, clarifié les compétences juridictionnelles et consolidé l'arsenal pénal contre les réseaux criminels. Nous attendons désormais les décrets d'application manquants.
Dans la foulée, la commission d'enquête sur la délinquance financière et la criminalité organisée que j'ai eu l'honneur de présider, et dont notre excellente collègue Nathalie Goulet était rapporteur, a permis de déplacer le regard du législateur – et j'espère du Gouvernement ! – sur l'enjeu que constituent le blanchiment et le crime financier.
Nous avons compris que le narcotrafic n'était pas seulement une chaîne logistique de produits illicites. C'est une économie intégrée, structurée et rationnelle dont la finalité n'est pas la violence, mais l'accumulation, la sécurisation et la transformation de flux financiers massifs. « Faire du fric », voilà l'objectif à tous les étages des réseaux criminels !
Notre sujet n'était donc pas le narcotrafic en tant que tel, mais le devenir de l'argent issu de l'ensemble des activités criminelles organisées : stupéfiants, traite des êtres humains, contrefaçon, trafic d'espèces protégées, œuvres d'art. La diversification est incroyable, mais tous ces trafics ont un point commun : ils n'ont de sens que s'ils contribuent à enrichir les criminels.
Le blanchiment est un point de passage obligé de tous les trafics.
M. Michel Canévet. C'est un point d'entrée !
M. Raphaël Daubet. Ce truisme a plusieurs conséquences majeures.
Première conséquence : le crime financier est celui qui vient ouvrir une brèche dans l'économie légale. Le trafic se fait plus ou moins à l'écart de la société, entre dealers et consommateurs, mais le blanchiment, lui, s'engouffre dans le monde légal. Cela représente entre 38 milliards et 58 milliards d'euros par an en France, ce qui est énorme, d'autant que l'État n'en récupère que 2 %... Autrement dit, l'écrasante majorité des profits criminels se cristallise dans l'économie légale.
Ce que nous avons observé, audition après audition, c'est une interpénétration croissante entre économie licite et économie criminelle. Le blanchiment se fait non plus uniquement par dissimulation, mais par normalisation. Des entreprises qui existent juridiquement, et qui ont parfois une activité légale réelle, servent aussi à recycler des fonds d'origine illicite.
C'est là que le risque démocratique apparaît et que l'État de droit recule.
Deuxième conséquence : le crime financier implique de développer une vision globale du phénomène criminel et d'insuffler une culture de la lutte contre l'argent sale à tous les niveaux de la société, dans toutes les administrations et dans tous les territoires, et ce en gardant à l'esprit que c'est la corruption qui devient un risque systémique.
Nous avons montré que les atteintes à la probité étaient l'instrument par lequel les entreprises criminelles s'immisçaient progressivement dans l'économie, y compris dans les marchés publics. Ce constat n'est plus seulement le nôtre ; il est désormais confirmé par la Cour des comptes dans un rapport récent, et par l'inspection générale de la police nationale (IGPN), qui observe une hausse préoccupante des consultations illégales. La contrepartie est souvent difficile à prouver, mais le résultat est le même : une corruption diffuse, à bas bruit, quotidienne, qui fragilise en profondeur l'intégrité de l'action publique.
Nous avons proposé une approche par les risques permettant d'identifier les secteurs, les territoires et les fonctions les plus exposés. Nous préconisons de renforcer le cadre pénal, d'alourdir les peines encourues en matière de corruption et d'étendre les obligations de prévention prévues dans la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II.
Le Gouvernement a adopté, il y a un mois, un plan de lutte contre la corruption comptant trente-six mesures. Je me réjouis de cette nouvelle, même si je m'inquiète des moyens qui lui seront alloués.
Troisième conséquence : tant que les trafiquants pourront jouir de leur patrimoine pendant et après la prison, ils continueront de prendre des risques et considéreront leur peine d'emprisonnement comme un accident du travail qui ne les empêche pas de s'enrichir.
En fait, malgré un arsenal juridique que l'on pourrait imaginer robuste, la lutte contre le blanchiment souffre d'un manque structurel de stratégie. Nous faisons face à un empilement de dispositions – sur les plans préventif, déclaratif, répressif –, qui n'a pas de véritable cohérence d'ensemble.
Sur le plan préventif, le dispositif repose largement sur les obligations déclaratives des professions assujetties à Tracfin. Ce cadre est indispensable, mais son efficacité est profondément aléatoire : certaines professions jouent le jeu, mais d'autres pas vraiment, voire pas du tout.
Sur le plan répressif, l'arsenal est théoriquement puissant – présomption de blanchiment, saisies, confiscations –, mais sa mise en œuvre reste entravée par plusieurs limites majeures.
Première limite : le cloisonnement des services. Les données sont trop fragmentées entre les administrations fiscale, douanière, judiciaire et financière.
Deuxième limite : le déficit d'enquêteurs spécialisés. Les dossiers économiques et financiers sont longs, techniques, exigeants, et ne suscitent plus les vocations. Il est clairement ressorti de nos auditions que la réforme de la police judiciaire de 2023 avait aggravé cette situation.
Troisième limite : le retard technologique. Le blanchiment contemporain exploite pleinement les cryptoactifs, les mécanismes d'opacification, les montages juridiques complexes. Or l'État, lui, reste contraint par des outils parfois obsolètes et des capacités de traitement des données insuffisantes.
Enfin, la coopération internationale est un défi majeur, car les réseaux criminels n'ont pas de frontières. Je salue, à cet égard, les bonnes nouvelles qui nous viennent des Émirats arabes unis.
La loi de 2025 a principalement été pensée en aval, une fois que l'infraction est caractérisée. Or le blanchiment se joue en amont, dans les zones grises du droit économique, dans les interstices de la régulation, au travers de la création de structures juridiquement licites, mais économiquement toxiques.
Les travaux de notre commission d'enquête, puis la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, que Nathalie Goulet et moi-même avons présentée,...
M. Michel Canévet. Excellent texte !
M. Raphaël Daubet. ... ont précisément eu pour but de combler cet angle mort, en sus des dispositions propres à la loi sur le narcotrafic. Il faudra que la navette parlementaire poursuive rapidement son cours, mais nous devrons aller plus loin encore, en nous inscrivant dans une logique de prévention des schémas de blanchiment.
M. Michel Canévet. C'est vrai !
M. Raphaël Daubet. Mes chers collègues, la lutte contre le narcotrafic ne se gagnera pas uniquement sur le terrain pénal. Nous aurons gagné le combat lorsque le crime cessera d'être rentable. C'est à ce prix que la République pourra reprendre durablement l'avantage ! (Applaudissements sur des travées des groupes GEST, UC et INDEP. – MM. Thani Mohamed Soilihi et Hussein Bourgi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – M. Jérémy Bacchi applaudit également.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce soir pour ce qui paraît être un point d'étape du processus engagé avec la commission d'enquête sur le narcotrafic dont j'avais demandé la création il y a deux ans, avec mes collègues des Bouches-du-Rhône Marie-Arlette Carlotti et Jérémy Bacchi.
Si le narcotrafic touche l'ensemble de notre territoire, des zones rurales aux outre-mer, Marseille et sa région semblent être, hélas ! un laboratoire avancé de cette criminalité organisée.
Notre assemblée s'est saisie du sujet. Elle a mené des travaux de qualité, sous l'impulsion du président et du rapporteur de la commission d'enquête, notre ancien collègue Jérôme Durain et le sénateur Étienne Blanc. Le rapport issu de cette commission d'enquête comportait trente-cinq propositions, que le texte adopté au printemps dernier avait vocation à traduire dans la loi.
Cette loi reflète une approche réellement novatrice de la répression du narcotrafic : viser le haut du spectre ; taper au portefeuille ; lutter contre le blanchiment ; apporter une attention particulière aux points d'entrée des produits ; créer un statut des repentis ; et réorganiser nos institutions judiciaires en créant le tant attendu parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco).
Nous avons soutenu les grandes mesures de ce texte, mais nous avons, dès les premières discussions, alerté sur le besoin d'y consacrer des moyens.
Il y a quelques années, nous avions créé une juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), auquel le Pnaco se substitue. Je ne ferai offense à personne en disant que la machine n'a que trop peu fonctionné, en raison d'un manque de soutien à la fois politique, matériel et financier et de ressources humaines insuffisantes.
La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic a été adoptée il y a peu, mais il est déjà visible que sa mise en œuvre patine. Il faut dire que la réforme précipitée de la police judiciaire n'a pas aidé… Pour notre part, nous continuons à plaider pour une réelle revalorisation de la filière investigation, et, en particulier, de l'investigation financière.
Avant de venir nous demander ce qu'il faudrait faire de plus, le Gouvernement ferait mieux de s'atteler à faire paraître les décrets prévus par la loi ! Sur les trente-deux décrets nécessaires à la bonne application de celle-ci, les journalistes ne recensaient récemment que cinq décrets publiés, relatifs à la création de quartiers de haute sécurité et au Pnaco.
Mesdames, messieurs les ministres, voilà déjà un levier à actionner, et vite ! Il est temps de publier ces décrets, et notamment celui qui a trait au statut des repentis ! Action !
Par ailleurs, nous estimons que le traitement du blanchiment doit être amélioré. À cet effet, la piste de la criminalisation de ces infractions doit être étudiée. La coordination des tribunaux judiciaires avec les tribunaux de commerce doit également être renforcée. En outre, les prérogatives des greffes de ces derniers doivent être accrues pour qu'ils puissent, sous l'autorité des magistrats, mieux vérifier l'identité des dirigeants, des actionnaires et des bénéficiaires des entreprises, notamment lorsqu'il s'agit de ressortissants étrangers, et mieux tracer les flux financiers.
Et puis il y a tout ce qui n'est pas dans ce texte, y compris des mesures primordiales pour lutter contre le nec plus ultra de l'économie libérale mondialisée que constitue le narcotrafic.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, il est urgent d'en faire une grande cause nationale, et nous regrettons qu'aucune initiative n'ait émergé en ce sens.
De même, des dispositifs de prévention doivent être mis en œuvre à destination des consommateurs en général, mais aussi des personnes en situation de grande précarité, car elles sont les cibles privilégiées des trafiquants lorsqu'ils cherchent des petites mains pour gonfler les effectifs du « lumpenprolétariat » de cette industrie.
Aucune campagne d'information n'a été mise en place pour prévenir la consommation de drogues, la première embauche ou l'entrée dans le trafic ! Rien n'a été fait en matière de parcours de soins et de prise en charge des addictions ! Aucune réflexion n'a été menée sur l'intérêt de légaliser ou de dépénaliser certains usages. En somme, aucune politique de santé publique n'a été déployée !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Oh, tout de même !
M. Guy Benarroche. Rien n'a été décidé sur le volet économique et social, dont il a pourtant été question au cours des travaux de la commission d'enquête, et ce alors qu'il s'agit d'un levier majeur de la lutte contre le narcotrafic ! Rien n'a émergé dans le domaine de la politique de la ville, de la lutte contre la précarité, du logement, ou encore de l'insertion par l'école et le travail !
Et rien n'a été fait en matière d'accompagnement et de traitement social des victimes du narcotrafic et de leurs familles ! C'est pourtant l'une des demandes fortes dont nous ont fait part les familles que nous avons fait auditionner, mes collègues des Bouches-du-Rhône et moi-même. Nous avons voulu introduire un article à cet effet dans le texte, mais, faute d'engagement du Gouvernement, nous nous sommes heurtés à l'article 40 de la Constitution. Monsieur le Premier ministre, engagez-vous !
Nous avons entendu les annonces du Président de la République sur le relèvement du montant des amendes forfaitaires délictuelles (AFD). La position de mon groupe sur ces amendes est constante : cet outil est, au mieux, inefficace.
Nous en avons assez de voir le délai pour accéder à un juge s'allonger encore et encore à cause du manque de moyens de la justice ! La Défenseure des droits avait alerté en 2023, considérant que le mécanisme de l'AFD dérogeait au principe de l'opportunité des poursuites, au droit d'accès au juge, aux droits de la défense, et au principe de l'individualisation des peines.
Le Président a également remis sur la table le sujet de la culpabilité des consommateurs en fustigeant ceux qui alimentent le narcotrafic et les morts qui vont avec, car ce serait « festif » d'acheter de la cocaïne. Mais la consommation ne crée pas l'offre ! Alors que la cocaïne serait en passe de devenir la première drogue dans notre pays, croire que la consommation est motivée par son caractère festif relève de la pure méconnaissance…
Comme le rappelait la semaine dernière le président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), la consommation de cocaïne touche toutes les professions et tous les milieux. Elle ne concerne pas que les jeunes d'une certaine catégorie sociale…
Le Président de la République a également affirmé avoir « remis des moyens » policiers, déclarant que 500 policiers de plus étaient déployés, soit « 300 policiers net ». Personne ne peut vérifier ce chiffre. Or il est important que les maires puissent connaître le nombre de policiers nationaux dans leurs territoires.
Il a rappelé que son action avait permis de diviser par deux le nombre de points de deal. On dirait un préfet de la Belle Époque qui se féliciterait d'avoir réduit les accidents de calèche par son contrôle accru des attelages… Les modalités de distribution ont changé ! Elles se sont diversifiées. Les systèmes de livraison dits « Uber shit » se sont développés partout sur notre territoire.
La formulation de la question que vous posez, monsieur le Premier ministre, est révélatrice. Vous parlez de la menace que représentent le narcotrafic et la criminalité organisée pour notre pacte républicain. Nous pensons plutôt que l'abandon du pacte républicain a marqué le commencement de la spirale infernale de la criminalité organisée.
Le pacte républicain, c'est l'égalité des chances ! Ce sont des services publics partout et pour tous, des hôpitaux qui ont les moyens de fonctionner, une médecine qui soigne et mène de réelles politiques de prévention, une école forte, qui permet à chacun de se réaliser et de s'élever, une aide sociale à l'enfance (ASE) qui protège mieux les plus fragiles qui lui sont confiés.
Le pacte républicain suppose le soutien aux centres sociaux et aux missions locales sur le terrain, le déploiement des policiers nationaux au contact de la population, des transports qui désenclavent les territoires oubliés de la République, une politique de la ville qui fonctionne, une politique de rénovation urbaine à hauteur des besoins du terrain, et une politique de logement plus stratégique et soutenue.
Au-delà de cette vision globale de la prévention, nous avons défendu et continuons de défendre le besoin d'un accompagnement rapide et spécifique des familles menacées et endeuillées par le narcotrafic. Certaines associations, dont celle de mon ami et camarade Amine Kessaci et de sa maman, Conscience, s'efforcent d'assumer cette mission avec les faibles moyens qui sont les leurs, et que vous ne cessez de réduire année après année.
Nous le savons, le recrutement des réseaux du crime organisé se nourrit de l'exclusion sociale, qui commence par le décrochage scolaire. À défaut d'une politique globale qui freinerait le délitement de l'école, il convient donc de porter une attention particulière à ce décrochage scolaire.
Nous avons parlé de grande cause nationale, car nous considérons que, dans les écoles, il est aussi nécessaire d'alerter sur les dangers de l'enrôlement insidieux des réseaux de narcotrafic que d'intervenir sur la sécurité routière. Il convient de dépeindre la réalité, qui est loin des clichés sur l'argent facile, et de mettre en garde contre les modes de recrutement des criminels, les dangers physiques et vitaux, et les risques pénaux associés au trafic, et ce dès l'école primaire, monsieur le Premier ministre !
La grande cause nationale doit également contribuer à ce que l'on porte une attention particulière à la prévention sanitaire.
Enfin, notre groupe proposera une convention citoyenne, ainsi qu'un nouveau cycle de réunions de la conférence nationale des présidents des tribunaux judiciaires, des tribunaux de commerce, des procureurs de la République, des commissaires de police et des douaniers.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, il convient de remettre l'humain – les habitants – au cœur de la réflexion, et d'écouter non seulement les associations, qui, même à bout de souffle, luttent sur le terrain, mais aussi les victimes et leurs proches.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Guy Benarroche. Oui, la répression est nécessaire, mais il faut également penser une prévention globale et réparer enfin le pacte républicain, qui est attaqué par le narcotrafic, en luttant contre les vulnérabilités des personnes qui tombent dans les griffes de ces réseaux criminels ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Hussein Bourgi et Raphaël Daubet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Je me dois de répondre rapidement à certains propos qui ont été tenus.
Tout d'abord, je ferai remarquer au Sénat, comme je l'ai fait tout à l'heure à l'Assemblée nationale, que si nous n'avons pas pris certains décrets, c'est parce que les parlementaires eux-mêmes en ont décidé autrement. Nous avons d'ailleurs déjà eu un débat intéressant au sujet de l'effectivité des décrets d'application.
Monsieur le sénateur Blanc, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est vous qui avez fixé dans la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic des dates d'échéance pour les décrets. C'est pourtant inhabituel…
Par ailleurs, nous sommes empêchés de faire paraître certains décrets, car vous avez souhaité que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) émette un avis au préalable. Bruno Retailleau, alors ministre de l'intérieur, et moi-même avions pourtant expliqué, lors de l'examen du texte, qu'il valait mieux ne pas demander l'avis de la commission pour l'ensemble de ces décrets. En effet, vous savez bien que celle-ci met entre cinq et six mois à se prononcer.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n'est jamais de votre faute !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il est donc quelque peu malvenu de reprocher au Gouvernement de ne pas avoir publié les décrets.
En ce qui concerne mon ministère, celui de la justice, il ne nous reste qu'un décret à finaliser, celui qui a trait au statut des repentis. À ce sujet, vous conviendrez qu'il n'est pas aisé de construire en six mois, certes avec l'aide du service interministériel d'assistance technique (Siat), une « filiale », si je puis dire, permettant une totale anonymisation des personnes qui parlent.
Il convient de trouver à ces dernières des lieux où se cacher, y compris à l'étranger, de leur trouver une identité de couverture, ainsi parfois qu'à leur famille, de leur procurer un logement, voire de leur faire subir des opérations de chirurgie esthétique pour qu'elles ne soient pas reconnues…
Six mois, c'est cinq fois moins de temps qu'il en a fallu à l'Italie pour mettre en application l'article 41-bis de leur règlement pénitentiaire et leur statut des repentis.
Ceux qui considèrent qu'il est possible de faire beaucoup plus vite seraient sans doute les premiers à nous reprocher d'être allés trop vite si un repenti se faisait éliminer par l'organisation criminelle à laquelle il appartenait, et de n'avoir pas su garantir l'anonymat de la personne.
Il est donc important de rappeler que c'est le Parlement qui a fixé des dates d'échéance et requis des avis de la Cnil. Nous ne faisons en réalité que respecter votre volonté.
En outre, nous avons été extrêmement rapides pour mettre en place le Pnaco et les mesures relatives au régime carcéral. À ce propos, je regrette, monsieur Blanc, que vous n'ayez pas souligné que la question du régime carcéral avait été oubliée dans le texte initial. Vous l'aviez certes mentionné dans le rapport que vous avez soumis au président Larcher, mais vous n'avez pas inclus de dispositions sur le régime carcéral dans le texte de loi qui en est issu.
Pourtant, chacun sait bien qu'une grande partie des difficultés que nous rencontrons en dépendent, comme l'ont relevé, et je les en remercie, les sénatrices Linkenheld et Florennes. Nous avons mis en place très rapidement un régime carcéral extrêmement efficace, que vous avez vous-même visité.
Vous auriez pu, dans le tableau très noir que vous venez de dresser, évoquer ce sujet majeur, mais les quinze minutes de temps de parole qui vous étaient imparties étaient sans doute insuffisantes pour le faire…
Par ailleurs, monsieur le sénateur Blanc, madame la sénatrice Linkenheld, l'AFD n'est pas ce que vous croyez. Le ministre de l'intérieur vous communiquera certainement des chiffres concernant le taux de recouvrement. (M. le ministre de l'intérieur acquiesce.)
Monsieur Blanc, vous avez été maire de Divonne-les-Bains, Mme Linkenheld est une grande élue locale, dans ce magnifique département qu'est le Nord, et j'ai moi-même été maire. Nous savons très bien qu'avant l'instauration de cette amende les policiers et les gendarmes, lorsqu'ils appréhendaient quelqu'un en possession de cannabis, se contentaient souvent de prendre le joint, de le jeter par terre, de l'écraser et de dire à la personne de partir. De tels faits n'étaient jamais judiciarisés, sauf lorsque d'autres faits répréhensibles étaient constatés.
En ce sens, la création de l'AFD a été très importante.
Tout d'abord, elle constitue une amende pénale, qui donne lieu à une inscription au casier judiciaire. Cela permet par exemple au ministère de la justice de refuser à des consommateurs de passer le concours de l'École nationale de la magistrature (ENM), ce qui n'était pas le cas auparavant.
Ensuite, elle permet d'effectuer des contrôles de police, auxquels les agents n'auraient pas pu procéder sans cela, et donc de trouver, parfois, autre chose que de la drogue. Par exemple, les policiers peuvent découvrir des armes blanches ou s'apercevoir que la personne contrôlée est en situation irrégulière… Sans cette amende, les policiers ne pourraient pas réaliser de contrôles d'initiative ; ils seraient obligés d'attendre les réquisitions du procureur de la République.
J'ajoute que vous vous apercevrez dans quelques instants que le recouvrement de ces amendes est bien plus important que vous le prétendez.
À cet égard, sachez que le projet de loi de finances pour 2026 comporte une disposition très importante, qui permet à la ministre des comptes publics – qui nous écoute, de là où elle se trouve – et à moi-même de mettre directement en relation la direction générale des finances publiques (DGFiP) et les commissaires de justice pour recouvrer les amendes. C'est la première fois qu'une telle mesure est adoptée.
Je regrette qu'à l'époque la rapporteure de la proposition de loi sur le narcotrafic ne se soit pas ralliée à notre position, à Bruno Retailleau et à moi-même. Des obstacles nous empêchant de juger plus rapidement auraient pu être levés.
Chacun peut constater que les dossiers relatifs à la criminalité organisée, notamment à Paris et à Marseille, révèlent des liens entre trafic de drogue, proxénétisme – vous avez eu raison de le souligner, madame Linkeheld – et bien d'autres trafics encore. Le Sénat avait initialement proposé de créer un parquet national anti-stupéfiants ; de notre côté, nous avons beaucoup insisté pour en faire un parquet national anti-criminalité organisée, car de nombreux types de délinquances se rejoignent autour du dieu argent.
Pour accélérer le traitement des dossiers, nous avons proposé de simplifier les procédures, ce que vous avez refusé de faire. Nous sommes tout de même parvenus à introduire une mesure de simplification concernant les demandes de remises en liberté – qui nous avait valu de longues discussions au Sénat – lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.
Les magistrats nous disent aussi qu'ils sont souvent mis en difficulté par des manœuvres dilatoires : des personnes en détention provisoire sont parfois remises en liberté pour une mauvaise date ou une signature oubliée. Ces pratiques ne concernent sans doute qu'une infime partie des avocats pénalistes, mais elles existent.
Je regrette, monsieur Blanc, que vous ne l'ayez pas mentionné non plus, car il s'agit de l'un des écueils les plus souvent déplorés par la profession. Encore récemment, un syndicat de magistrats a fait publier une tribune dans laquelle il déplore la stratégie de rupture qui est parfois adoptée par la défense, dont le but ultime est de faire sortir une personne de détention provisoire et d'éviter un procès.
En deux ans, le nombre de personnes détenues pour des faits de criminalité organisée a augmenté de 42 %. Actuellement, 19 500 personnes sont détenues dans les prisons françaises pour de tels faits. Plus de 5 000 procès en lien avec la criminalité organisée sont en attente d'audiencement. Cela s'explique surtout par la paupérisation réelle dont avait fait l'objet le ministère de la justice avant que nous accédions aux responsabilités…
En 2016, M. Urvoas lui-même évoquait une institution judiciaire « en voie de clochardisation ». Pour autant, je constate que le ministère de la justice n'a pas vu les effectifs de magistrats progresser entre 2012 et 2017, alors que la France comptait huit fois moins de procureurs et de magistrats par habitant que les grands pays qui nous entourent, par exemple l'Allemagne, l'Italie ou la Grande-Bretagne.
Il est très important de simplifier la procédure pénale, car il ne faut pas que la forme l'emporte sur le fond. Je proposerai donc de traiter enfin cette question à l'occasion de l'examen du projet de loi visant à assurer une sanction utile, rapide et effective (Sure), qui ne portera pas spécifiquement sur le narcotrafic, mais aura trait à l'audiencement criminel.
Sans remettre en question les droits de la défense, je souhaite simplifier la procédure pénale, pour régler les problèmes de forme qui « embolisent » complètement les chambres d'instruction. J'espère que je serai suivi par le Sénat sur ce point, car il s'agit de l'un des problèmes les plus importants auxquels nous sommes confrontés dans la lutte que nous menons contre le narcotrafic.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. Je répondrai tout d'abord à quatre questions qui ont été posées au cours du débat, puis je vous livrerai une réflexion personnelle, qui sera moins celle du ministre de l'intérieur que celle d'un haut fonctionnaire qui a la prétention d'avoir un peu d'expérience sur ces sujets pour les avoir traités pendant vingt ans. Je dresserai un panorama plus global, afin d'appeler à la modestie et à l'humilité, car ces dossiers en exigent beaucoup.
Monsieur le sénateur Blanc, vous m'avez demandé comment nous allions recouvrer l'amende forfaitaire délictuelle. Actuellement, le taux de recouvrement est de 53 %. En neutralisant les pertes liées aux envois par voie postale, par exemple parce que l'adresse n'est pas la bonne, ce taux pourrait même atteindre 62 %.
L'une des pistes que nous étudions est de faire profiter les policiers des mêmes droits que certains corps de contrôle, notamment les contrôleurs des transports en commun, qui peuvent vérifier l'adresse postale qui leur a été communiquée en croisant les informations qu'ils ont recueillies avec celles que détient l'administration fiscale.
Une autre piste, mentionnée à l'instant par Gérald Darmanin, est de mobiliser les commissaires des finances publiques pour améliorer le recouvrement.
Avant la création de l'AFD, sous le quinquennat de François Hollande, nous appliquions l'amende douanière. À Saint-Ouen, nous étions parvenus à éradiquer des points de deal rien qu'en notifiant de telles amendes aux personnes qui venaient acheter. Je suis donc assez confiant sur l'intérêt de l'AFD.
Ensuite, vous avez été plusieurs à nous interroger sur l'organisation d'une campagne de communication. Nous sommes tous d'accord pour mener des campagnes les plus offensives possible, et le Premier ministre a annoncé dans sa déclaration que nous le ferions.
Par ailleurs, monsieur le sénateur Benarroche, vous avez critiqué le fait que le Président de la République se soit félicité de ce que le nombre de points de deal ait été divisé par deux. Il n'empêche que c'est une réalité ! Il y en avait 160 il y a trois ans, il n'y en a plus que 80… (M. Guy Benarroche proteste.)
Vous avez parfaitement raison de dire que c'est en partie dû aux livraisons « Uber shit ». Cela ne nous a pas échappé. Lorsque j'étais préfet de police et que le ministre de l'intérieur était Gérald Darmanin, ce dernier avait demandé la création de groupes consacrés à ce type de livraison. Ces groupes travaillent sur les réseaux sociaux, effectuent des contrôles sur la voie publique et démantèlent des réseaux « Uber shit ». Du reste, il s'agit bien souvent des mêmes réseaux que ceux qui dealent sur la voie publique. Nous avons donc bien tenu compte de cette dimension.
Enfin, nous avons toujours veillé – et le Président de la République a surveillé cela de très près – à maintenir les effectifs de police à Marseille, voire à les faire progresser. Le nombre d'agents des services de police menant des investigations judiciaires n'a cessé de croître. C'est extrêmement important.
De manière plus générale, monsieur le sénateur Blanc, cela vous choquera peut-être, mais je vous le dis avec beaucoup d'humilité et de modestie, nous n'avons pas découvert la question avec votre rapport. J'ai un peu d'expérience comme haut fonctionnaire. J'ai travaillé sur ces sujets sous le quinquennat de François Hollande, sous les deux quinquennats d'Emmanuel Macron, et même un peu avant 2012.
Très honnêtement, monsieur le sénateur, le rapport qui a été fait par le Sénat est évidemment un plus. Il apporte une stratification supplémentaire dans un ensemble de strates héritées du passé. En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, nous ne cessons d'apprendre de ce qui a été fait dans le passé. Nous tirons profit des expériences passées pour faire toujours mieux.
C'est ce que nous faisons depuis 2015. Vous avez forcément vu le film BAC Nord, dont l'intrigue se déroule en 2012. Il montre bien qu'à cette époque, à Marseille, la brigade anticriminalité (BAC) et la police judiciaire travaillaient sur les mêmes dossiers, sans aucune coordination. Cela ne pouvait pas fonctionner !
Lorsque Bernard Cazeneuve était ministre de l'intérieur, il a mandaté un – plus ou moins – jeune préfet de police pour expérimenter une nouvelle méthode, qui a été par la suite généralisée sur tout le territoire national sous le quinquennat de François Hollande. Depuis lors, les services travaillent mieux ensemble et ont gagné en efficacité.
Ensuite, sous le premier quinquennat du président Macron, nous avons créé l'Office anti-stupéfiants (Ofast) pour qu'il joue le rôle de chef de file et évite un fonctionnement en silo – car il est toujours préférable que les services se parlent.
Vous conviendrez, monsieur Blanc, que votre propos était très offensif à l'encontre du Gouvernement. Nous travaillons sur ces sujets depuis dix ans. Oui, c'est compliqué. Oui, il faut s'adapter en permanence au trafic. Oui, nous voyons bien que les réseaux sont de plus en plus structurés et s'étendent désormais sur tout le territoire national.
Mais on ne peut pas dire, comme vous l'avez fait, que rien n'a été fait pendant dix ans… Je vous le dis avec modestie : ce n'est tout simplement pas vrai que rien n'a été fait au cours de la dernière décennie en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants !
Quoi qu'il en soit, je salue le travail qui a été réalisé par le Sénat. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui s'inspire du rapport de la commission d'enquête sénatoriale, nous donne des outils exceptionnels. Je le reconnais bien volontiers.
L'idée du Président de la République de placer la lutte contre le trafic de stupéfiants au même niveau que la lutte contre le terrorisme et de calquer les dispositifs comme le Pnaco et l'état-major de lutte contre la criminalité organisée (Emco) sur leurs équivalents en matière de terrorisme sera également extrêmement bénéfique.
J'ai le sens de l'intérêt général, et je pense que tout ce qui a été fait par les gouvernements successifs en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants a été positif. Ce gouvernement s'inscrira dans la même démarche pour faire toujours mieux et toujours plus.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale. La question de la prévention a été évoquée par plusieurs d'entre vous.
Je le dirai simplement : oui, nous devons mener une politique de prévention à la fois ambitieuse et adaptée.
Ambitieuse, parce qu'elle ne l'a probablement pas été assez jusqu'à présent. À cet égard, la ministre de la santé vous a parlé de tout ce que nous mettions en place ensemble.
Adaptée, parce que les messages doivent être passés très tôt. En effet, ce que perçoit le regard de l'enfant des comportements dans son environnement, y compris de ceux de ses parents, recouvre une dimension prescriptive.
Par ailleurs, il faut savoir viser juste. Nous avons toujours abordé la question de la prévention contre les drogues à travers le seul prisme de la santé publique, en disant qu'elles sont dangereuses. Or il convient également de faire comprendre aux jeunes, par les discours que nous leur délivrons, que la consommation de drogue finance un circuit criminel. Objectivement, c'est quelque chose que nous n'expliquions qu'assez peu jusqu'à récemment.
Nous effectuerons ce travail de prévention.
Pour conclure, je vous invite à considérer l'école comme un corps, auquel les tentacules du narcotrafic ne pourront pas s'accrocher si nous faisons tous bloc autour de lui. Autrement dit, la prévention n'est pas que l'affaire de l'école : les parents, les collectivités territoriales, les élus locaux et les associations doivent également jouer un rôle. En effet, je vous confirme que nous ne réglerons pas le problème tout seuls.
En revanche, si nous faisons tous bloc autour de l'école et de ses personnels et que nous ne laissons rien passer, alors nous progresserons en matière de prévention et nous desserrerons la pression qu'exerce le narcotrafic sur l'institution scolaire.
Vote sur la déclaration du Gouvernement
M. le président. À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur la déclaration portant sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée.
Conformément à l'article 39, alinéa 6, de notre règlement, il va être procédé au scrutin public ordinaire dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement ; aucune explication de vote n'est admise.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 130 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 342 |
| Pour l'adoption | 342 |
Le Sénat a approuvé la déclaration du Gouvernement.
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 18 décembre 2025 :
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
Proposition de loi visant à protéger les jeunes de l'exposition excessive et précoce aux écrans et des méfaits des réseaux sociaux, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 202, 2025-2026) ;
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale (texte de la commission n° 195, 2025-2026).
À l'issue de l'espace réservé au groupe UC et au plus tard de seize heures à vingt heures :
(Ordre du jour réservé au GEST)
Proposition de loi visant à garantir la continuité des revenus des artistes auteurs, présentée par Mme Monique de Marco et plusieurs de ses collègues (texte n° 107 rectifié, 2024-2025) ;
Proposition de loi visant à mieux concerter, informer et protéger les riverains de parcelles agricoles exposés aux pesticides de synthèse, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues (texte n 107, 2025-2026).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
JEAN-CYRIL MASSERON