FINANCES, CONTROLE BUDGETAIRE ET COMPTES ECONOMIQUES DE LA NATION


Audition

- Présidence de M. Christian Poncelet, président. Au cours d'une séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat chargé du budget sur le projet de loi de finances pour 1999.

En introduction, M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a déclaré que la présentation du budget en deux temps, avec l'annonce des grandes orientations en matière de finances publiques en juillet, et la présentation de la loi de finances en septembre, constituait une procédure transitoire. En 1999, le gouvernement s'efforcera de présenter le projet de loi de finances, en conseil des ministres, dès la fin du mois de juillet.

Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a ensuite décrit le contexte international l'ayant conduit à réviser légèrement la prévision de croissance économique pour 1999.

Il a fait part de son appréciation sur les risques de voir la croissance française freinée par les développements de la crise asiatique. Il a indiqué que l'installation d'un nouveau gouvernement au Japon avait suscité des espoirs que l'échec d'une première tentative de restructuration du secteur bancaire avait dissipés. Il a ajouté que la Chine connaissait une stabilité des prix, qui ne reflétait pas ses perspectives de croissance, mais sa seule volonté de ne pas laisser sa monnaie se dévaluer. Même s'il a estimé la nature de la crise en Russie plus politique qu'économique, il en a souligné les dangers. La Russie ne représentant qu'1 % des exportations françaises, les conséquences commerciales devraient toutefois être limitées. De même, l'Allemagne souffrira plus que la France de son implication financière en Russie. Mais le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a déclaré craindre les conséquences financières indirectes de la crise économique russe, tenant notamment à l'évolution défavorable des marchés financiers. Il a souhaité que ces perturbations incitent les Etats à définir de nouvelles modalités de régulation internationale.

M. Dominique Strauss-Kahn a déclaré que, si les incertitudes de l'économie mondiale incitaient à la prudence, elles confortaient aussi le double choix du gouvernement, consistant à développer la croissance par la demande interne, et à adopter la monnaie unique européenne. Il a considéré que la perspective de l'Euro jouait aujourd'hui un rôle primordial dans le maintien de la stabilité des taux d'intérêt et des parités monétaires dans l'Union européenne, loin du climat d'incertitude qui avait présidé aux crises monétaires en 1992 et 1994.

Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a indiqué que pour tenir compte de tous ces éléments, le gouvernement avait ramené de 2,8 % à 2,7 % la prévision de croissance pour 1999, soit un niveau supérieur à la croissance de 2,5 % annoncée par certains instituts de prévision privés, mais inférieur aux prévisions des organismes internationaux. Il a rappelé que la prévision de croissance pour 1998 avait été jugée par certains trop optimiste lors de son annonce, mais qu'elle se confirmait aujourd'hui.

M. Dominique Strauss-Kahn a ensuite détaillé l'emploi des 74 milliards de francs (en francs courants) de recettes supplémentaires induites par la croissance que le Gouvernement prévoit pour 1999 : 16 milliards de francs seront affectés à la diminution des impôts, 21 milliards de francs permettront la réduction du déficit budgétaire, 16 milliards de francs augmenteront la dépense publique, en plus des 21 milliards de francs correspondant à un alignement des dépenses sur l'augmentation des prix.

Il a confirmé que les mesures adoptées dans la loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures et la loi sur les exclusions seraient financées par le budget de l'Etat et il a estimé qu'elles contribueraient, en retour, à alimenter la croissance.

Il a précisé que le besoin de financement des administrations publiques serait réduit à 2,3 % du PIB, le régime général de la sécurité sociale, dont le déficit s'élevait à 37 milliards de francs en 1997 et 12 milliards de francs en 1998, retrouvant l'équilibre en 1999. Il s'est félicité de constater que, pour la première fois depuis 1991, l'équilibre primaire du budget de l'Etat serait atteint en 1999. Il a ajouté que les prélèvements obligatoires diminueraient de 0,2 % en 1999 comme en 1998, indiquant qu'il s'agissait d'une diminution lente mais continue.

Il a souligné que le projet de budget comportait deux fois plus d'articles fiscaux qu'à l'accoutumée, ce qui témoignait de son caractère réformiste, et que d'importantes modifications du code général des impôts étaient envisagées, avec de surcroît certaines mesures de simplification fiscale. Il a ajouté que, grâce à ces mesures, 15 millions de formulaires disparaîtront en 1999.

En réponse à M. Christian Poncelet, Président, il a rappelé avoir déclaré que les allégements de taxe professionnelle et de droits de mutation seraient compensés correctement aux collectivités locales. Il a précisé que la compensation de la taxe professionnelle serait faite intégralement en 1999, puis que serait ensuite mis en place un mécanisme spécifique d'indexation identique à celui de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Il a estimé que ce dispositif favoriserait la solidarité entre les collectivités locales, dans la mesure où les communes dont les bases de taxe professionnelle seraient les plus dynamiques dans les années à venir n'en enregistreraient pas tous les bénéfices, au profit des communes moins favorisées dont l'activité économique ralentirait.

M. Christian Sautter, Secrétaire d'Etat au budget, a déclaré que le projet de budget était parfaitement conforme aux orientations données le 22 juillet dernier.

Il a indiqué que les dépenses budgétaires progresseraient de 1 % en volume, soit 2,3 % en francs courants, ce qui permettrait de financer les priorités du Gouvernement, à savoir le budget de l'emploi (+ 3,9 %), de la santé et de la solidarité (+4,5%), de la ville (+ 32 %) et du logement (+ 4 %). Les dépenses consacrées à la lutte contre les exclusions passeraient ainsi de 2,4 milliards de francs en 1998 à 7,7 milliards de francs en 1999.

Il a ajouté que le budget de l'enseignement scolaire augmenterait de 4,1 %, permettant la création de 60.000 emplois jeunes supplémentaires, de même que le budget de l'enseignement supérieur progresserait de 5,5 % avec la création de 800 postes. Les autres ministères bénéficiant d'une progression significative de leurs crédits dans le projet de loi de finances sont la jeunesse et les sports (+ 3,4 %), la justice (+ 5,6 %), la sécurité publique (+ 3 %) et l'environnement (+ 15 %). Par ailleurs, le budget de la culture atteindra près de 1 % du budget de l'Etat.

M. Christian Sautter a expliqué que les actions prioritaires seraient financées pour partie par la croissance, pour partie par des redéploiements, au sein même de chaque ministère et ce, à hauteur de 30 milliards de francs. Comme en 1998, les effectifs civils seront stables et 2.400 postes budgétaires seront transférés vers les ministères prioritaires. Le secrétaire d'Etat au budget a indiqué que les dépenses de fonctionnement ne progresseraient que de 0,3 % alors que les dépenses d'équipement augmenteraient de 2,8 %. Il a ajouté que le budget de la défense, qui devrait progresser de 2,2 %, permettrait la poursuite de la professionnalisation des armées et comprendrait 86 milliards de francs de crédits d'équipement.

M. Christian Sautter a fait valoir que la charge de la dette progresserait seulement de 2,4 milliards de francs, en raison de la diminution des taux d'intérêt et de la réduction progressive des déficits publics. Il a enfin souligné l'existence d'une opération sans précédent de rebudgétisation dans la loi de finances pour 1999, d'un montant total de 45 milliards de francs. Il a rappelé que cette rebudgétisation était la conséquence de deux décisions du Conseil Constitutionnel, lors de son examen des lois de finances pour 1995 et pour 1998. Le budget des services financiers sera réévalué de 11 milliards de francs et le versement des retraites des fonctionnaires de La Poste sera pris en compte dans le budget général.

Puis, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a répondu aux questions de M. Alain Lambert, rapporteur général.

M. Dominique Strauss-Kahn a affirmé que les moyens dont il disposait pour prévoir l'évolution des marchés mondiaux, et notamment l'impact de phénomènes externes sur la croissance économique française, étaient limités. Il a toutefois ajouté qu'il disposait d'une marge de manoeuvre en cas d'écart par rapport aux prévisions économiques, grâce aux transformations de structure de la croissance, la croissance en 1998 ayant, par exemple, été davantage tirée par la demande interne que par l'activité extérieure. Il a ajouté que certaines dépenses n'étaient pas contraintes. Il a fait valoir que des résultats plus précis en matière de recettes ne seront connus qu'au mois de novembre lors de la présentation du projet de loi de finances rectificative, mais que, d'ores et déjà, il pouvait affirmer que le déficit prévu pour 1998 serait tenu.

En matière d'écart entre la croissance et l'évolution des recettes fiscales, il a expliqué qu'en période de croissance faible, le produit de l'impôt sur les sociétés était moindre en raison d'un phénomène de surréaction à la conjoncture. Mais il a surtout incriminé le phénomène de fraude à la TVA communautaire, contre lequel il a estimé ne pas encore avoir les moyens de lutter, malgré des efforts particuliers entrepris en ce sens.

S'agissant de la nécessaire coordination des politiques économiques, il a précisé qu'elle serait l'objet du futur Conseil de l'Euro qui se tiendra à Vienne. Bien que cette instance soit propice à la discussion constructive, il a estimé que les procédures en matière de coordination des politiques économiques et fiscales restaient en partie à établir.

Concernant la décision prise par le Gouvernement de supprimer la part de la taxe professionnelle assise sur les salaires, il a évalué son coût global à 60 milliards de francs, mais son coût net à une grosse vingtaine milliards de francs pour l'Etat. En effet, l'Etat paie directement une large part de la taxe professionnelle. De plus, par un effet mécanique, la diminution de la taxe augmentera le bénéfice des entreprises et donc le produit de l'impôt sur les sociétés. Enfin, le mécanisme de plafonnement par rapport à la valeur ajoutée jouera moins souvent, réduisant de ce fait la contribution complémentaire de l'Etat. Dans le projet de loi de finances pour 1999, le coût net sera de 7,2 milliards de francs, le coût brut étant minoré, notamment, par la décision d'augmenter la cotisation minimale de taxe professionnelle.

M. Christian Poncelet, président, a interrogé le ministre de l'économie et des finances sur la possibilité de mettre en place un dispositif simple de compensation.

M. Dominique Strauss-Kahn a répondu qu'il n'était pas favorable à l'application de dégrèvements, qui obligent l'Etat à prendre à sa charge le produit des impôts, alors même que les collectivités locales demeureraient libres de voter leurs taux.

En réponse à M. Alain Lambert, rapporteur général, le ministre de l'économie et des finances a souhaité dissocier la question de la mise sur le marché des parts sociales des caisses d'épargne, qui sera inscrite dans le projet de loi portant réforme de leur statut, et le remboursement du prêt accordé par l'Etat aux caisses d'épargne en 1983, pour un montant de 3 milliards de francs. Il a ajouté qu'au terme de négociations, le prélèvement s'élèverait, en définitive, à 5 milliards de francs en 1999.

En réponse à M. René Ballayer qui l'interrogeait sur la compatibilité entre un accroissement du poids de la dette publique et une bonne gestion des finances publiques, M. Dominique Strauss-Kahn lui a indiqué que le poids de la charge de la dette au sein du budget général qui était de 15,2 % en 1997, et de 15 % en 1998 devrait s'établir pour 1999 à 14,6 %.

Il a également précisé, en réponse à M. François Trucy que le montant des cessions de participations de l'Etat s'élèverait pour 1999 à 17 milliards de francs et que ce chiffre n'intégrait pas le montant résultant de la privatisation du Crédit lyonnais qui devrait, en effet, être affecté au désendettement de l'établissement public de financement et de restructuration (EPFR).

A la suite de l'intervention de M. Michel Charasse se félicitant du caractère positif des mesures contenues dans le projet de loi de finances et soulignant l'intérêt du Sénat pour la mise en place d'un pacte de croissance avec les collectivités locales, M. Dominique Strauss-Kahn lui a précisé que, comme par le passé, le Gouvernement n'imposerait pas à celles-ci de charge nouvelle à caractère obligatoire.

Il a indiqué également à M. Guy-Pierre Cabanel ainsi qu'à M. Michel Mercier qui s'inquiétaient notamment de la nature des mécanismes de compensation mis en place par le Gouvernement dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale, que le coût net de l'effort de l'Etat en matière de taxe professionnelle serait de 7 milliards de francs pour sa première année d'application.

En réponse à Mme Marie-Claude Beaudeau qui estimait que le budget présenté par le Gouvernement était inadapté à la crise économique mondiale ainsi qu'aux besoins des ménages, M. Dominique Strauss-Kahn a rappelé que la priorité actuelle n'était pas tant la relance de la consommation qui apparaît bien établie, grâce notamment aux mesures prises depuis juin 1997, que la reprise durable de l'investissement, celui-ci constituant le coeur de tout processus durable de croissance économique.

Suite aux interventions de MM. Guy-Pierre Cabanel et René Trégouët, M. Dominique Strauss-Kahn tout en estimant difficile de prévoir les évolutions futures des principales devises, a indiqué ne pas croire, hors ralentissement durable de l'économie américaine, à un " accès de faiblesse " du dollar. A ce sujet, il a estimé que la poursuite éventuelle de la baisse de celui-ci pourrait avoir un impact négatif sur le solde du commerce extérieur français.

Faisant suite aux préoccupations de M. Emmanuel Hamel, quant aux effets sur le taux de natalité de la diminution du plafond du quotient familial, il lui a indiqué que cette mesure devrait être compensée par le relèvement du niveau des allocations familiales décidé par le Gouvernement. Il lui a par ailleurs précisé que, pour 1999, le montant des dépenses militaires en capital s'établirait au-delà du seuil de 85 milliards de francs.

Enfin, en réponse aux inquiétudes de Mme Marie-Claude Beaudeau quant au niveau des crédits consacrés au tourisme, à l'agriculture et à l'équipement, M. Christian Sautter lui a indiqué que ceux-ci connaîtraient pour 1999, des taux de progression fixés respectivement à 7,2 %, 3 % (hors budget annexe des prestations sociales agricoles) et 3,4 %.