COM (2013) 653 final  du 25/09/2013

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 30/09/2013
Examen : 23/10/2013 (commission des affaires européennes)


Politique de voisinage

Textes E 8350, E 8368 et E 8682

Accord d'association avec l'Ukraine

Communication de M. Gérard César

(Réunion du 23 octobre 2013)

M. Simon Sutour, président. - Gérard César suit depuis des années nos relations avec l'Ukraine. J'ai reçu voici quelques semaines Leonid Kojara, le ministre des affaires étrangères d'Ukraine, que j'avais connu alors qu'il était vice-président de la commission des affaires étrangères. J'espère que la signature de l'accord d'association interviendra fin novembre à Vilnius.

M. Gérard César. - Notre commission suit en effet depuis plusieurs années la situation de l'Ukraine, pays-clé dans la politique de voisinage oriental de l'Union européenne. L'actualité nous y ramène : la signature de l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine sera l'un des principaux enjeux du sommet du Partenariat oriental à Vilnius, les 28 et 29 novembre prochains. Celui-ci procède à un rapprochement politique et instaure une zone de libre-échange complète et approfondie entre les deux entités. Nous devons nous prononcer sur les deux textes autorisant la signature et l'application provisoire de l'accord que le gouvernement nous soumet aux termes de l'article 88-4 de la Constitution. La signature de cet accord est en partie liée au sort qui sera réservé à Ioulia Tymochenko, que nous avions rencontré en 2009, le jour où elle a perdu sa majorité à la Rada.

La commission de Venise ayant demandé à l'Ukraine d'importants efforts pour se rapprocher des standards démocratiques européens, le Parlement, la Rada, a adopté des réformes relatives à l'organisation des élections et au statut du Parquet. Leur mise en oeuvre a été favorablement accueillie, même si des améliorations sont toujours possibles.

Le fait important est le consensus politique autour de l'accord avec l'Union européenne. Une large majorité des partis politiques pense désormais que l'avenir de l'Ukraine passe par l'accord avec l'Union européenne plutôt que par une intégration dans l'Union douanière proposée par la Russie, et près de 60 % de la population ukrainienne soutiennent cette orientation.

La chose n'était pas acquise. Le président Viktor Ianoukovitch était considéré comme pro-russe, et Moscou a exercé une forte pression sur l'Ukraine afin de l'empêcher de signer un accord avec l'Union européenne, utilisant le gaz comme outil d'influence. Elle a pourtant sous-estimé la volonté d'émancipation de l'Ukraine à son égard. Le président Ianoukovitch et les oligarques qui le soutiennent préfèrent un accord avec l'Union européenne plutôt que de rejoindre une union douanière dont les orientations seraient définies à Moscou. L'ensemble de la classe politique et économique pense surtout qu'un accord avec l'Union européenne favorisera le développement et la modernisation de l'Ukraine.

Reste la justice sélective : le pouvoir ukrainien maintient en effet en prison un certain nombre d'opposants, pour des chefs d'accusation en partie politiques. L'Union européenne a demandé la fin de cette forme de persécution, incompatible avec notre idée de la justice. Une grande partie des opposants sont sortis de prison, mais pas Mme Tymochenko, bien que son état de santé exige des soins. Le régime ukrainien a prétexté que sa législation faisait obstacle à la proposition allemande de l'accueillir pour l'opérer.

Le Parlement européen a désigné l'irlandais Pat Cox, ancien président du Parlement européen, et Alexandre Kwasniewski, ancien président polonais pour tenter de trouver une solution diplomatique. Les deux émissaires ont effectué 22 visites en Ukraine depuis l'été 2012 et ont rendu un rapport au président du Parlement européen Martin Schulz le 15 octobre dernier. En dépit de réelles avancées, comme la libération de l'ancien ministre de l'Intérieur Lutsenko, ils estiment que les conditions relatives à la justice sélective fixées par le Conseil européen de décembre 2012 pour la signature de l'accord d'association ne sont pas remplies. La situation de Ioulia Tymochenko en est le symbole.

Légitimement, celle-ci refuse de demander la grâce présidentielle. De son côté, M. Ianoukovitch ne veut pas que sa rivale revienne dans le jeu politique avant l'élection présidentielle de 2015. C'est pourquoi les émissaires européens ont proposé une grâce présidentielle partielle pour des raisons humanitaires impliquant la levée de sa peine d'emprisonnement mais le maintien de son inéligibilité et des sanctions financières prononcées à son encontre. Le président Ianoukovitch a toutefois préféré demander à la Rada d'adopter une nouvelle loi autorisant les prisonniers à bénéficier de soins à l'étranger si ceux-ci ne sont pas prodigués en Ukraine. La mission des émissaires européens est prolongée jusqu'au 16 novembre... Bref, le ballet diplomatique continue.

Je vous propose, dans la continuité des positions que nous avons exprimées, de lever la réserve du Sénat sur les textes que nous soumet le Gouvernement. La France fait partie des pays les plus exigeants avec l'Ukraine en matière de respect de l'État de droit. L'Ukraine a effectué beaucoup de progrès et c'est tout un pays qui se tourne vers l'Union européenne. L'accord aura de grandes conséquences en matière de libertés démocratiques et d'indépendance de la justice. Profitant aux deux parties, sans couper l'Ukraine de la Russie, qui restera un partenaire incontournable, il constitue un levier pour la modernisation de ce pays sans l'écarter de son environnement.

M. Simon Sutour, président. - Avant le sommet de Vilnius, le Conseil des ministres des affaires étrangères se réunira pour se prononcer sur la ratification de l'accord d'association le 19 novembre, soit à une date suffisamment éloignée pour que les deux émissaires maintiennent la pression sur Kiev. C'est une situation difficile : l'Ukraine est un pays incontestablement européen. Gérard César et moi-même en avions été particulièrement frappés en 2010, à l'occasion d'une conférence que nous avions donnée à l'Alliance française de Kiev. C'est un grand pays, qui compte plus de 45 millions d'habitants. Nous avons tout intérêt à l'arrimer au bloc démocratique européen.

M. Aymeri de Montesquiou. - Dire que l'Ukraine est incontestablement européenne est audacieux. L'Eglise moscovite est issue de celle de Kiev. Cyrille et Méthode ont converti la Russie.

M. Simon Sutour, président. - La Russie, c'est aussi l'Europe !

M. Aymeri de Montesquiou. - Bien qu'Anne de Kiev ait épousé Henri Ier de France, le pays a toujours été plus proche de la Russie. Sa population parle à 40% ou 50% le russe, et non l'ukrainien... La base russe de Sébastopol pose toujours problème. Quant à Mme Tymochenko, une rumeur prétend qu'elle aurait bénéficié de faveurs sur des contrats gaziers, et nous ne sommes pas en position de dire si son procès a été faussé ou non. Bref, l'Occident moralisateur et arbitre continue de donner des leçons aux autres.

M. Simon Sutour, président. - Le problème de Sébastopol est réglé : le président Ianoukovitch, dès les élections, a signé une prolongation de 30 ans de la base militaire russe, en échange d'un accord sur le prix du gaz.

M. Aymeri de Montesquiou. - Si l'on remonte à Henri Ier, 30 ans, ce n'est rien...

M. André Gattolin. - Le rapprochement avec l'Ukraine a fait l'objet d'une étude d'impact globale, même si nous n'avons aucune information sur les conséquences de ce partenariat au niveau des États membres. Je considère que toute nation a vocation à entrer dans l'Europe dès lors que toutes deux ont une culture et des valeurs démocratiques communes, mais cela n'empêche pas d'évaluer plus finement les gains attendus d'une telle opération.

M. Simon Sutour, président. - C'est un marché de 46 millions d'habitants...

M. André Gattolin. - Certes, mais a-t-on des éléments chiffrés au niveau de chaque État membre ? De plus, la signature d'un traité de libre-échange pose nécessairement la question de l'intégration européenne. L'Ukraine a été une puissance nucléaire...

M. Aymeri de Montesquiou. - Elle y a renoncé.

M. Alain Richard. - L'Ukraine a totalement désarmé.

M. André Gattolin. - J'ai de la sympathie pour l'Ukraine, que je connais un peu - j'avais découvert le nationalisme ukrainien à l'époque où j'ai rencontré Léonide Pliouchtch. La finalité de l'intégration est la démocratisation du pays, la remise à plat de son système judiciaire... Mais que peut-on en attendre en retour, sur le plan économique, géostratégique ?

M. Gérard César. - L'accord favorisera les échanges commerciaux. L'Ukraine compte 46 millions d'habitants. C'est le huitième producteur mondial d'acier. L'étude d'impact réalisée à l'échelle européenne est publique.

M. Aymeri de Montesquiou. - Quelle est la position de l'Ukraine dans la production mondiale de blé ?

M. Gérard César. - En matière judiciaire, le cas de l'ancienne Premier ministre est caricatural. Cet accord dynamisera la vie démocratique du pays. Les réformes examinées par la Rada lorsque nous y étions ont été mises en oeuvre.

M. Simon Sutour, président. - L'accord d'association n'est toutefois pas une préadhésion. Il n'y a pas, monsieur de Montesquiou, d'un côté les pays parfaits...

M. Aymeri de Montesquiou. - ... dont nous serions !

M. Simon Sutour, président. - ...et de l'autre les pays imparfaits. Il y a des pays plus ou moins démocratiques. La corruption existe chez nous, même si nous sommes moins imparfaits que certains autres.

Les études d'impact sont sans doute incomplètes, monsieur Gattolin, mais chaque pays participe à des réunions sectorielles à Bruxelles, par exemple sur les appellations d'origine. Quant à la capacité agricole de l'Ukraine, elle possède 22% des terres arables en Europe.

M. Jean-Paul Emorine. - Soit l'espace agricole français...

M. Simon Sutour, président. - À nouveau, je précise qu'il ne s'agit pas aujourd'hui d'ouvrir à l'Ukraine une perspective d'adhésion à l'Union européenne ou même de reconnaître une vocation à adhérer, contrairement à ce qui a été fait pour les pays des Balkans.

M. Aymeri de Montesquiou. - Le procès de Mme Tymochenko était-il vraiment une parodie de justice ?

M. Gérard César. - La désignation par le Parlement européen de deux émissaires est importante et nous aidera à avoir tous les éléments. Ils rendront un rapport objectif et précis avant le sommet de Vilnius.

M. Simon Sutour, président. - Au-delà du problème juridique se pose un problème politique. C'est une ancienne Premier ministre, que le président Poncelet avait d'ailleurs reçue en son temps. Ces pays sont d'ex-républiques soviétiques : il faut les aider à se démocratiser, sans leur donner de leçons - je rejoins M. de Montesquiou sur ce point. Quand le président du Bundestag s'est un jour permis de donner des leçons à un diplomate roumain, je lui avais rappelé qu'il est de grandes nations dont les présidents ont été contraints à la démission pour défaut de probité morale...

M. Aymeri de Montesquiou. - Monsieur le rapporteur, vous avez dit que l'Ukraine ne devait pas se couper de la Russie : qu'entendiez-vous par là ?

M. Gérard César. - La Russie l'approvisionne en gaz, et elle a déjà coupé le robinet ! Je voulais surtout dire qu'il ne faut pas nécessairement placer l'Ukraine devant une alternative entre la Russie et l'Europe.

M. Simon Sutour, président. - L'Ukraine est un pont : elle peut passer un accord d'association avec l'Union européenne et garder des relations étroites avec la Russie. Les Russes sont présents en Crimée...

M. Aymeri de Montesquiou. - A Donetsk également.

M. Simon Sutour, président. - Ce n'est pas la même chose. La Crimée a été donnée à l'Ukraine par Khrouchtchev - qui n'imaginait pas qu'elle serait un jour indépendante.

M. Jean-Paul Emorine. - Nous aurions pu évoquer la Russie en même temps. Il faut parler directement aux Russes. Dans le monde géopolitique de demain, fait de grands ensembles, l'Union européenne ne pèsera pas grand-chose. Par conséquent, il faut y arrimer ces pays, dotés d'importantes ressources.

M. Simon Sutour, président. - Nous sommes par conséquent unanimes à accepter la levée de notre réserve d'examen parlementaire.

La commission unanime lève la réserve d'examen parlementaire.