COM (2018) 439 final  du 06/06/2018

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Le texte COM 439 concerne le programme InvestEU. S'appuyant sur le succès du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), mis en place dans le cadre du plan « Juncker » en réponse à la crise de 2009 et qui permet de garantir des investissements dont le niveau de risque initial est trop élevé pour les prêteurs privés, la Commission européenne souhaite mettre en place un programme destiné à soutenir l'action de l'Union par le financement d'investissements de nature à renforcer la compétitivité de l'économie européenne, sa soutenabilité, sa résilience sociale et l'intégration de l'Union des marchés de capitaux.

Le programme consiste en un instrument unique de soutien à l'investissement qui apporte une garantie budgétaire de l'Union européenne. Il a vocation à regrouper seize instruments existants dont la gestion est assurée de manière centralisée par l'Union. Le montant de la garantie apportée par le budget de l'Union est fixé à 38 milliards d'euros, avec un objectif multiplicateur de 13,7, ce qui permettrait de générer près de 650 milliards d'euros d'investissements privés durant le prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027. Comme pour le plan Juncker, un accompagnement technique sera proposé aux bénéficiaires du programme sous la forme d'une plateforme de conseil et d'un portail dédié, qui se substitueront à la douzaine d'outils existants, pour un coût estimé à 525 millions d'euros. Les produits proposés seront comparables à ceux qu'offre actuellement le FEIS.

La Commission estime que la garantie budgétaire unique permettra de réduire le besoin global de provisionnement, de gagner en efficacité, de réduire les frais de gestion et de diversifier les projets financés. Le taux de provisionnement de la garantie est ainsi fixé à 40% : une dotation budgétaire de 14,2 milliards et des revenus du fonds estimés à 1 milliard sur la durée du cadre budgétaire.

Une structure de gouvernance simplifiée, structurée comme pour le FEIS sera mise en place. Tous les projets seront soumis à l'approbation de comités d'investissement composés d'experts externes, réunis selon des formats différents en fonction des volets d'action concernés. Un comité consultatif, qui se réunira selon deux formations, - l'une regroupant des représentants des partenaires chargés de la mise en oeuvre, l'autre des représentants des États membres-, aura notamment pour mission de conseiller la Commission européenne sur la conception des produits financiers à déployer au titre du fonds, sur les défaillances de marché et les situations sous-optimales en matière d'investissement. Une équipe de projet, composée d'experts mis à la disposition de la Commission par les partenaires, vérifiera le dossier constitué et préparera les décisions du comité d'investissement.

Le programme est organisé autour de 4 volets d'action :

- Les infrastructures durables (11,5 milliards) ;

- La recherche, l'innovation et le numérique (11,25 milliards) ;

- Les PME (11,25 milliards) ;

- Les investissements sociaux et de compétences (4 milliards).

Des directives d'investissement seront fixées par un acte délégué. Mais il est d'ores et déjà indiqué que 30% des actions devront être liées à des objectifs climatiques et environnementaux. En revanche, la part du capital-risque n'est pas définie à ce stade.

Une complémentarité est organisée entre le niveau européen et les États membres. Chaque volet comporte en effet deux compartiments pouvant être utilisés de manière complémentaire pour soutenir une opération de financement ou d'investissement :

- Le compartiment « UE », qui répond aux situations de défaillances du marché ou d'investissement sous-optimales liées aux priorités politiques de l'Union, affectant l'ensemble de l'Union ou encore nouvelles ou complexes et affectant un ou plusieurs États membres, dans le but de mettre au point de nouvelles solutions financières ;

- Le compartiment « États membres », qui répond à des défaillances de marché ou des situations d'investissement sous-optimales spécifiques affectant un ou plusieurs États membres, afin d'atteindre les objectifs des Fonds contributeurs en gestion partagée.

Les montants affectés par un État membre à ce second compartiment sont utilisés pour provisionner la partie de la garantie qui couvre les opérations de financement et d'investissement conduites dans cet État membre. Une convention de contribution est conclue entre l'État membre et la Commission européenne pour chaque financement.

Le programme devrait être mis en oeuvre à hauteur des trois quarts par la BEI et serait ouvert à d'autres institutions financières : la BERD, la banque du Conseil de l'Europe (CEB) et les banques promotionnelles nationales.

La garantie doit répondre aux conditions définies par l'article 209 du règlement financier, soit, pour l'essentiel, intervenir dans des situations auxquelles le marché n'est pas en mesure de répondre, au profit de bénéficiaires viables sur le plan économique, sans générer de distorsion de concurrence, emporter un effet de levier et comporter une rémunération en cohérence avec le niveau de partage du risque.

Cette proposition devra faire l'objet d'un suivi attentif. En particulier, son articulation avec les fonds structurels devra être précisée, d'autant que certains transferts pourraient être envisagés, et la définition des règles de mixage (blending). En revanche, s'agissant d'un fonds européen, la proposition n'appelle pas d'observations au titre de la subsidiarité. Il a donc été décidé de ne pas intervenir plus avant au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 14/06/2018
Examen : 15/11/2018 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution européenne sur le nouveau programme d'investissement pour l'Europe (InvestEU) (2018-2019) : voir le dossier legislatif


Économie, finances et fiscalité

Nouveau programme d'investissement pour l'Europe (InvestEU)

Proposition de résolution européenne et avis politique
de MM. Didier Marie et Cyril Pellevat

COM (2018) 439 final - Texte E 13193

(Réunion du 15 novembre 2018)

M. André Reichardt, président. - Le président Jean Bizet représente aujourd'hui le président du Sénat à une réunion interparlementaire qui se tient à Bratislava. Notre ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution européenne (PPRE) de nos collègues Didier Marie et Cyril Pellevat sur le nouveau programme d'investissement pour l'Europe : InvestEU.

L'Europe souffre d'un gros déficit en matière d'investissements. À travers le travail de ses deux rapporteurs, notre commission a suivi de près le plan d'investissement pour l'Europe, dit plan Juncker, qui avait pour objectif de combler ce déficit. Ce plan repose sur une idée originale et qui s'est révélée pertinente : assurer une garantie publique pour lever les freins à une orientation de l'épargne privée vers l'investissement. Le bilan est très favorable, et les objectifs d'investissement envisagés à l'origine ont été dépassés. Dans nos résolutions européennes, nous avons toujours insisté sur la place des collectivités territoriales et les enjeux pour nos territoires. À travers le nouveau programme InvestEU, la Commission européenne propose de poursuivre cette dynamique en aménageant le cadre.

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Dans le projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027, la Commission européenne a prévu de poursuivre l'expérience positive du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) mis en place en 2015. Tout en reprenant les principes du FEIS, son successeur, InvestEU, lui apporte de substantielles améliorations.

Le bilan du plan Juncker est positif tant pour l'Union en général que pour la France. Il avait pour but de relancer les investissements stratégiques dans l'Union européenne en s'appuyant sur le FEIS, un outil à fort effet de levier. Il devait atteindre trois objectifs stratégiques. D'abord, stimuler l'investissement, en s'assurant que les ressources publiques, limitées par nature, soient utilisées pour mobiliser l'investissement privé, en ciblant les défaillances du marché. Puis, renforcer la compétitivité en améliorant l'environnement en matière d'investissement, tant au niveau européen que dans chaque État membre. Enfin, favoriser la croissance économique à long terme.

Le but était de mobiliser 315 milliards d'euros d'investissements entre 2015 et 2017, avec un effet de levier de 15, grâce à la garantie que le Fonds apporte aux investissements les plus risqués qui, sans cela, ne trouveraient pas de financement. Le Fonds est géré par la Banque européenne d'investissement (BEI), qui est un acteur essentiel du plan.

Ce plan a financé deux grands types de projets. D'une part, des grands projets portant sur les secteurs d'avenir comme les infrastructures - transport, haut débit, énergie, numérique - , ayant pour objet de développer l'utilisation plus efficace des ressources et des énergies renouvelables, ou soutenant la recherche et l'innovation. D'autre part, des projets innovants portés par des PME, pour du capital et des micro-crédits, ou des ETI, avec des crédits de financement pour les projets de recherche et développement et du capital-risque pour les prototypes. Le Fonds européen d'investissement (FEI) apporte sa garantie aux banques nationales de développement, qui sont la Caisse des dépôts de consignations (CDC) et Bpifrance pour la France.

Les projets doivent répondre à plusieurs critères d'éligibilité. Ils doivent être viables sur les plans économique et technique et compatibles avec les politiques de l'Union en matière de croissance intelligente, durable et inclusive, de création d'emplois de qualité et de cohésion économique sociale et territoriale. Le principe d'additionnalité impose que le projet ne puisse être financé via les circuits traditionnels sans la garantie du FEI. Les projets doivent maximiser la mobilisation de capitaux du secteur privé et être ciblés sur des secteurs déterminés, comme la recherche, l'énergie, les équipements de transport, les PME et ETI, les technologies de l'information et de la communication, l'environnement, ou la promotion du capital humain, de la culture et de la santé.

La France est le principal bénéficiaire en valeur absolue du plan, devant l'Italie et l'Espagne. Ont ainsi pu être financés des réseaux numériques très haut débit, dans le Nord et le Grand Est, des fonds d'infrastructures - comme Gingko pour la dépollution des friches industrielles, Capenergie 3 pour l'efficacité énergétique et les renouvelables, ou TRI en Nord Pas-de-Calais, qui accompagne la transition énergétique et le numérique - et des projets de transition énergétique. Le volet social, par contre, est en retard. Au terme de la première phase du plan Juncker, en juillet 2018, 144 opérations avaient été approuvées en France, représentant un total de 50 milliards d'euros d'investissements et mobilisant 10 milliards d'euros d'engagements financiers de la BEI. En tout, 60 000 entreprises ont bénéficié d'une garantie Juncker et plusieurs fonds d'investissement ont été mis en place, notamment en matière d'infrastructures et à l'appui de la transition énergétique.

Forte de ce succès, la Commission européenne a proposé en 2016 la prorogation du Fonds. Après d'âpres négociations sur le financement de la garantie et la gouvernance du comité de pilotage du FEIS, le doublement de la durée du plan a été décidé fin 2017. Le FEIS 2 a été porté de 21 milliards d'euros à 33,5 milliards d'euros. Quant à la garantie, elle a été relevée de 16 à 26 milliards d'euros.

Il a également été décidé de se concentrer sur les investissements durables afin de contribuer à atteindre les objectifs de l'accord de Paris. Une amélioration de la couverture géographique, notamment dans les régions les moins développées, y compris les régions ultramarines périphériques, était en outre préconisée. De nouveaux secteurs ont été introduits, en particulier la pêche et l'agriculture durables, et une place a été faite aux plus petits projets, grâce à la réduction de la taille des projets éligibles et à la mise en place de plateformes d'investissement régionales sectorielles, comme en Occitanie, en Normandie et à La Réunion. Enfin, l'accent a été remis sur la nécessaire additionnalité des financements garantis et sur le caractère risqué des projets retenus, afin d'écarter l'effet d'aubaine dénoncé par certains.

Notre commission a suivi avec attention la mise en oeuvre du plan. Au cours des quatre dernières années, elle a proposé au Sénat trois résolutions européennes et avis politiques, mettant particulièrement l'accent sur le rôle que les collectivités territoriales, et singulièrement les régions, doivent jouer dans la mise en oeuvre du plan et la place à donner aux projets portés par des PME et des TPE. Il y a un an, Didier Marie et moi-même, nous vous avons présenté une communication sur la prorogation du plan.

M. Didier Marie, rapporteur. - Comme le fonds actuel, InvestEU mobilisera des investissements publics et privés en recourant à des garanties provenant du budget de l'Union. La Commission propose d'injecter une provision de 15,2 milliards d'euros dans InvestEU, mobilisant une garantie publique de 38 milliards d'euros, ce qui pourrait générer un total d'investissements essentiellement privés à hauteur de 650 milliards d'euros sur les sept ans de la prochaine programmation 2021-2027, avec un effet multiplicateur de 13,7, légèrement inférieur à l'actuel multiplicateur de 15 pour le FEIS.

L'objectif de la Commission est de mettre en place une structure simplifiée et mieux ajustée aux besoins des territoires. À cet effet, InvestEU rassemblera dans une seule structure treize instruments financiers existants de l'Union européenne, avec un seul ensemble de règles et de procédures et un point d'accès unique aux services de conseil. Cette simplification est bienvenue à tous égards. La plateforme de conseil du plan Juncker, qui fournit des conseils techniques aux porteurs de projets à la recherche de financements, sera ainsi complétée pour prendre en compte les instruments financiers proposés par InvestEU. Enfin, le portail InvestEU prendra le relais des portails comportant une base de données pour mettre en contact des projets et des investisseurs.

Les interventions d'InvestEU sont organisées autour de quatre volets, au lieu de deux précédemment. D'abord, les infrastructures durables, pour 11,5 milliards d'euros : énergies renouvelables, connectivité numérique, transports, économie circulaire, infrastructures de gestion de l'eau, des déchets et autres infrastructures environnementales... Puis, la recherche, l'innovation et la numérisation, pour 11,25 milliards d'euros : accès au marché pour les résultats de la recherche, numérisation de l'industrie, expansion d'entreprises innovantes de plus grande taille, intelligence artificielle. Les petites entreprises sont, comme auparavant, ciblées via l'accès au financement pour des PME et des ETI, à hauteur de 11,25 milliards d'euros. Enfin, et c'est là une innovation importante, le nouveau programme couvrira les investissements sociaux et relatifs aux compétences à hauteur de 4 milliards d'euros : cela concerne l'éducation et la formation, les logements sociaux, les écoles, les universités, les hôpitaux, l'innovation sociale, les soins de longue durée, le microfinancement, l'entrepreneuriat social, toute l'économie sociale et solidaire, et l'intégration des migrants, des réfugiés et des personnes vulnérables... Au total, il s'agit de domaines d'intervention privilégiés pour les collectivités territoriales, pour lesquels seront mobilisés non plus des concours publics mais des fonds privés, ou des partenariats public-privé.

Autre innovation, les États membres auront la possibilité de transférer dans InvestEU une partie des fonds qu'ils reçoivent au titre de la politique de cohésion, dans la limite de 5 %. Cela revient à transformer une partie des fonds structurels en instruments financiers... Ce choix permettra l'ouverture, pour chacun des volets d'action, d'un « compartiment État membre ». Grâce à cet outil, des projets locaux visant des objectifs de cohésion régionale, entrant dans l'un des quatre volets d'action d'InvestEU et relevant du fonds européen de développement régional, du fonds social européen, du fonds européen agricole pour le développement rural ou du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, pourront être financés grâce à une ingénierie financière simplifiée soutenue par la garantie de l'Union.

Cette option ouverte aux États membres présente un triple avantage : la part des fonds structurels versée sur le compartiment État membre n'aura pas besoin de cofinancement national ; les règles concernant les aides d'État applicables aux fonds structurels transférés vers InvestEU seront celles de l'Union - contrairement à ce qui prévaut pour les fonds structurels seuls - ce qui constitue une simplification appréciable. Enfin, à travers le « compartiment État membre », ce sont les autorités nationales de gestion des fonds structurels qui pourront, et devront, de façon plus visible et efficace qu'avec le FEIS, s'impliquer dans le dispositif, qu'il s'agisse de la décision même de transférer une partie des fonds dont elles ont la gestion ou du choix et du suivi des projets éligibles. Notre proposition de résolution européenne insiste donc pour que la gestion de ce compartiment État membre fasse une large place aux autorités de gestion des fonds de cohésion, en particulier dans la gouvernance de ces compartiments. Pour la France, ce sont, pour l'essentiel, les régions qui seront concernées.

Une autre innovation importante vient d'ailleurs s'inscrire dans cette logique. Contrairement au FEIS, la BEI n'aura plus le monopole de la mise en oeuvre des instruments financiers. Cela a fait l'objet d'âpres discussions. InvestEU réservera en effet, à hauteur de 25 %, un accès direct aux banques ou organismes nationaux de développement, par exemple, pour la France, la CDC et Bpifrance. Ces deux institutions financières sont dotées d'une implantation régionale et ont l'expérience de projets construits en coopération avec les régions. Contrairement à la BEI, plus familière des grands projets, elles sont à même d'élaborer des projets plus petits et ancrés localement.

En ce moment, la question de la gouvernance du futur programme est au coeur des débats. Elle oppose la BEI et la Commission européenne. Celle-ci, à la différence de ce qui se passe pour le plan Juncker, souhaite exercer un contrôle centralisé sur une large part du dispositif. La proposition de règlement, en l'état, envisage un système assez complexe - comité consultatif, équipe de projet, comité d'investissement - qui, en effet, complique la donne et marginalise la BEI alors que celle-ci a joué un rôle majeur dans le succès du FEIS.

Notre proposition de résolution européenne souhaite revenir à un système simple et lisible où le rôle d'orientation stratégique, d'une part, et le métier bancaire de contrôle du risque, d'autre part, soient clairement répartis entre la Commission européenne et la BEI.

On peut se féliciter du succès du plan Juncker et du choix de le prolonger par un nouveau dispositif plus large et plus simple - même s'il reste quelques négociations et validations à finaliser. Il n'est pas sûr que la mise en place, qui était prévue avant la fin de l'année, se fasse dans les délais. Dix-huit États membres attendent, pour valider le processus, un accord préalable entre la Commission européenne et la BEI. Les discussions sont encore assez tendues.

Mme Laurence Harribey. - Les documents que vous nous avez distribués font état, par secteur d'activité, des investissements du plan Juncker à la date du mois de septembre 2018. Il apparaît que seulement 14 % des sommes ont, en France, bénéficié aux PME, contre une moyenne de 31 % dans l'ensemble des États membres. Pourtant, les PME, dont l'accès aux fonds européens est, de longue date, insuffisant, étaient identifiées comme une cible prioritaire du plan Juncker. Les auditions que vous avez menées vous ont-elles permis de comprendre les raisons de ce blocage ? Le tableau retraçant la ventilation du fonds entre les régions indique également d'importantes inégalités. Pouvez-vous nous apporter des éléments d'explication ? La dimension régionale est-elle prise en compte dans la construction de la future agence de cohésion des territoires ?

M. Simon Sutour. - Lorsque nous avons débattu, la première fois, du plan Juncker, nous nous étions montrés très sceptiques à l'endroit d'un outil dont la réussite, sortant de l'orthodoxie des fonds structurels, se logeait dans sa capacité à créer un effet de levier. Je dois reconnaître, pour m'en féliciter, le succès de l'opération. Le tandem formé par Jean-Claude Juncker et Jyrki Katainen a fonctionné, malgré les critiques ! Comme notre collègue Laurence Harribey, je m'interroge sur la faible part du dispositif consacré aux PME françaises.

M. Jean-François Rapin. - La commission m'a confié, avec André Gattolin, une mission sur le futur programme Horizon Europe, dont nous vous présenterons prochainement les conclusions d'étape. Il renforcera, au travers de la nouvelle agence pour l'innovation de rupture, le soutien à la recherche et à l'innovation, en permettant notamment aux jeunes entreprises de se développer sur le territoire européen. La collaboration financière avec InvestEU sera essentielle, afin d'offrir la possibilité aux entreprises de mettre en oeuvre une stratégie globale d'appel aux fonds européens. Lors des auditions que nous avons menées, il est, en effet, apparu qu'il existe peu d'outils européens de développement au bénéfice des chercheurs souhaitant faire fructifier leurs recherches dans une entreprise qu'ils auraient créée à cet effet.

M. André Gattolin. - Pourriez-vous nous apporter des précisions quant à la gouvernance du programme InvestEU, que la Commission européenne souhaite piloter ? Une partie du fonds sera intégrée à Horizon Europe pour la recherche et l'innovation. Les dispositifs pourraient-ils être davantage coordonnés ? Certains États récemment intégrés à l'Union européenne se plaignent de ne guère bénéficier des subsides du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) et montrent une volonté résolue de récupérer leur part. Pourtant, ils sont déjà bien servis en matière de politique agricole commune (PAC) et par les fonds de cohésion. Je regrette, par ailleurs, la complexité de la procédure attachée à InvestEU. A défaut de pouvoir faire valider par les États membres le cadre financier pluriannuel avant la fin de sa mandature, la présidence autrichienne souhaite voir aboutir une partie du plan de soutien à la recherche et à l'innovation : au-delà des objectifs économiques, des enjeux politiques forts entourent donc le programme InvestEU. À mon sens, il est souhaitable que la Commission européenne soit garante des grands équilibres du programme.

Mme Fabienne Keller. - Quelle sera l'articulation entre InvestEU et le programme des investissements d'avenir (PIA) développé par la France ? Poursuivront-ils des objectifs complémentaires ?

M. Didier Marie, rapporteur. - Madame Harribey, les PME françaises bénéficient également de financements en provenance d'autres enveloppes thématiques du FEIS. Leur gain est donc en réalité supérieur aux 14 % indiqués dans notre document. La France, je le rappelle, est, en volume, le premier pays bénéficiaire du plan Juncker. Des inégalités apparaissent, en revanche, entre les régions. Si toutes maîtrisent convenablement les procédures de recours au Fonds européen de développement régional (FEDER), dont ont notamment profité La Réunion et les Hauts-de-France, l'accès aux outils financiers semble moins aisé pour certaines. Pour autant, la Normandie, pour les « Maîtres laitiers du Cotentin », la Nouvelle-Aquitaine et l'Ile-de-France ont porté des projets dans le cadre du FEIS. Du reste, la compréhension des procédures financières européennes semble s'améliorer dans l'ensemble des régions.

Je partageais votre scepticisme, monsieur Sutour. Nous avions des craintes à l'époque, mais, après une installation chaotique et dans l'urgence, le dispositif a enregistré un succès qu'il convient de saluer. La BEI a piloté le FEIS avec efficacité, ce qui explique les tensions observées à l'heure où la Commission européenne souhaite s'arroger la gouvernance d'InvestEU.

Messieurs Rapin et Gattolin, il existe, fort heureusement, une compatibilité d'InvestEU avec les autres programmes européens, notamment en matière de recherche et d'innovation, que le Livre blanc a placées au coeur des préoccupations de la Commission européenne. Nous insistons effectivement, dans le cadre de notre proposition de résolution européenne, sur les enjeux de gouvernance et de pilotage attachés au programme InvestEU, objets d'une lutte d'influence entre la BEI et la Commission européenne. La BEI ne souhaite pas partager la gestion du programme avec d'autres banques d'investissement, à l'instar de la Caisse des dépôts et consignations s'agissant de la France : elle désire s'assurer, par une évaluation pointilleuse du risque, que les garanties de l'Union européenne ne seront pas mises en péril. Or, 25 % des garanties seront accessibles aux banques nationales de développement, certaines pouvant être moins attachées au triple A et moins prudentes que la BEI en matière de risque. Dès lors, la BEI réclame un reporting de la totalité des garanties, ce qui ne réjouit guère les banques nationales de développement. La Commission européenne souhaite, quant à elle, reprendre en main le pilotage du dispositif.

M. André Gattolin. - Quelle est votre opinion sur cette volonté de la Commission européenne ? L'efficience de la gestion de la BEI n'apparaît-elle pas suffisante ?

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Chacun doit exercer son métier : la BEI jouer son rôle de banque et la Commission européenne piloter le programme.

M. André Reichardt, président. - Le Congrès des maires se tiendra prochainement. Les programmes d'investissement européens manquent de visibilité ; les sommes en jeu sont méconnues des territoires comme des populations. Dans la perspective des élections européennes, la Commission européenne devrait communiquer davantage sur les actions menées et les aides disponibles auprès des porteurs de projets comme de l'opinion publique. Elle aurait, d'ailleurs, dû vulgariser ses programmes dès leur lancement. Je me félicite de l'initiative de notre commission, qui distribuera aux maires une note d'actualité sur ces sujets lors du Congrès.

Je salue l'ouverture, certes tardive, d'InvestEU aux investissements sociaux, souhaitée par la population. Les PME françaises ne doivent pas être oubliées des investissements européens. À cet égard, les objectifs du FEIS n'ont pas été atteints et nous devons demeurer vigilants pour l'avenir.

M. Simon Sutour. - Dans ma région, les entreprises ont l'habitude de travailler avec les services économiques, avec les organismes consulaires qui connaissent bien le fonds Juncker. Je me demande même si l'Occitanie n'est pas la première région pour l'utilisation de ces fonds en France. Et les Français sont les premiers, devant les Allemands. Il faut certes accentuer l'information sur ce fonds, on peut toujours faire mieux ; mais il faut aussi le dire lorsque les choses fonctionnent bien.

M. André Reichardt, président. - Je ne suis pas sûr que l'opinion publique le sache...

M. Franck Menonville. - A quelques mois des élections européennes, il faut effectivement mieux communiquer sur le plan Juncker à l'échelle de nos territoires.

M. Didier Marie. - Oui, plus on communique sur l'efficacité des politiques européennes, moins nos concitoyens seront sceptiques. Mais c'est une nébuleuse difficile à comprendre. En France, il y a moins de PME qui bénéficient en direct de ces aides que la moyenne européenne. Mais ces aides sont mobilisées par des plateformes d'investissement qui elles-mêmes financent des PME, comme dans le secteur des énergies renouvelables, par exemple. Les PME ne sont pas directement concernées, mais elles en bénéficient de fait. C'est difficile à expliquer...

Les efforts doivent être poursuivis ; la France a utilisé pleinement le dispositif. C'est un fonds conséquent pour l'investissement, qui permet de solvabiliser des opérations qui ne seraient pas solvables si on laissait faire le marché, car elles sont trop risquées. Au bout de quelques années, on constate cependant que la garantie n'a jamais été appelée. Les opérations vivent leur vie, le risque était réel, mais pas si important puisque la garantie n'a pas été mobilisée.

À l'issue du débat, la commission adopte, à l'unanimité, dans la rédaction suivante, la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.


Proposition de résolution européenne

(1) Le Sénat,

(2) Vu l'article 88 4 de la Constitution,

(3) Vu le règlement (UE) 2015/1017 du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques, la plateforme européenne de conseil en investissement et le portail européen de projets d'investissement et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013 - le Fonds européen pour les investissements stratégiques,

(4) Vu le règlement (UE) n° 2017/2396 du 13 décembre 2017 modifiant les règlements (UE) n° 1316/2013 et (UE) 2015/1017 en vue de prolonger la durée d'existence du Fonds européen pour les investissements stratégiques et d'introduire des améliorations techniques concernant ce Fonds et la plateforme européenne de conseil en investissement,

(5) Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme InvestEU (COM(2018) 439 final) du 6 juin 2018 et ses quatre annexes,

(6) Vu la communication de la Commission européenne du 1er juin 2016 intitulée « L'Europe investit de nouveau- Premier bilan du plan d'investissement pour l'Europe et prochaines étapes » (COM (2016) 359 final),

(7) Vu ses résolutions n° 84 (2014-2015) sur le plan d'investissement pour l'Europe du 24 mars 2015, n° 46 (2015 2016) sur la mise en oeuvre du plan d'investissement pour l'Europe du 7 décembre 2015 et n° 42 (2016-2017) sur le premier bilan et les perspectives du plan d'investissement pour l'Europe du 20 décembre 2016,

(8) Vu sa résolution n° 131 (2017-2018) pour une politique régionale européenne ambitieuse au service de la cohésion territoriale, du 2 juillet 2018,

(9) Sur les caractéristiques des financements et des domaines couverts par le programme InvestEU

(10) Salue la poursuite d'un programme de stimulation de l'investissement au moyen d'instruments financiers appuyés sur une garantie budgétaire de l'Union européenne, afin de remédier au déficit global persistant de l'investissement public et privé en Europe ;

(11) Se félicite à cet égard des résultats obtenus par le fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) en termes de mobilisation de financements publics et privés et de création d'emplois dans les secteurs des infrastructures, de l'innovation et des PME depuis sa mise en place en 2015 ;

(12) Approuve la diversification des objectifs sectoriels proposés par le programme InvestEU, qui ajoute aux volets d'action déjà visés par le Fonds Européen pour les Investissements Stratégiques (FEIS) - infrastructures et innovation, PME -, celui des investissements sociaux et des compétences, secteur qui subit une situation chronique de sous-investissement, en particulier dans certains territoires fragilisés ;

(13) Se félicite du renforcement des dispositions renforçant la condition d'additionnalité des projets éligibles au programme InvestEU au vu de leur profil de risque, afin que leur financement fondé sur une valeur ajoutée européenne ne concurrence pas les instruments financiers du secteur commercial ;

(14) Souligne le rôle crucial des plateformes d'investissement pour mener à bien des projets locaux de taille réduites portant sur un même domaine ou sur une même zone géographique ; se félicite à cet égard de la place reconnue à ces plateformes dans la proposition de règlement ;

(15) Sur la gouvernance du programme InvestEU

(16) Estime que la gouvernance d'InvestEU doit reposer sur un juste équilibre entre d'une part les fonctions d'orientation stratégiques et de supervision juridiques dévolues à la Commission européenne et d'autres part les activités bancaires et d'expertise du risque financier, liées à l'octroi de la garantie de l'Union, relevant de la Banque européenne d'Investissement (BEI) d'autre part ;

(17) Est d'avis que le système de gouvernance du Fonds européen pour les investissements stratégiques, basé d'une part sur un comité de pilotage comprenant des représentants de la Commission européenne et de la BEI, ainsi que des banques nationales de développement et d'un représentant du Parlement européen et, d'autre part, sur un comité d'investissement composé d'experts indépendants, devrait être envisagé pour InvestEU ;

(18) N'est pas favorable au recours, par la Commission européenne, aux actes délégués, en particulier pour la détermination des lignes directrices d'investissement et la modification du taux de provisionnement ;

(19) Sur les opportunités ouvertes par le programme InvestEU aux investissements dans les territoires

(20) Demande que la proposition de règlement prévoie explicitement l'attribution à hauteur de 25 %, d'un accès direct à la garantie de l'Union accordée dans le cadre du « compartiment Union Européenne » à des banques ou institutions nationales de développement, 75 % relevant de la Banque européenne d'investissement (BEI) ;

(21) Salue l'innovation que peut représenter, en particulier en termes de simplification administrative et règlementaire pour les autorités de gestion, la création d'un « compartiment État membre », lorsqu'un État membre fait le choix de transférer une partie de sa dotation de fonds européens structurels et d'investissement (FESI), dans la limite de 5 %, vers le programme InvestEU ;

(22) Fait valoir que cette faculté permettra, plus facilement que dans le cadre actuel, de garantir le financement de petits projets locaux éligibles et d'en accompagner la mise en oeuvre ;

(23) Insiste cependant pour que cette option soit préparée, négociée, décidée et mise en oeuvre en pleine concertation et en accord entre l'État et les autorités de gestion des FESI ;

(24) Demande que, dans un éventuel « compartiment France », les autorités de gestion concernées, en charge des fonds de la politique de cohésion régionale, soient étroitement associées à son fonctionnement par une présence dans sa gouvernance, au côté des banques nationales de développement, des porteurs de projets et des bénéficiaires ;

(25) Demande la suppression du délai de quatre mois entre d'une part la signature de l'accord de partenariat Commission-État-membre pour le démarrage des programmes de cohésion régionale et, d'autre part, la conclusion de la convention de contribution créant un « compartiment État membre », afin de permettre aux autorités de gestion d'expertiser, en cours de programmation les opportunités et la nature des projets que la création de ce compartiment permettrait d'engager ;

(26) Demande la suppression de la disposition du projet de règlement exigeant que les « partenaires chargés de la mise en oeuvre », à savoir les banques et institutions nationales de développement, soient obligés de couvrir au moins trois États membres pour être sélectionnés par la Commission européenne, une telle condition ne favorisant pas la souplesse et la proximité géographique nécessaires à une juste évaluation des projets de développement locaux ;

(27) Note que de nombreuses régions françaises ont déjà recours à des instruments financiers sous trois configurations possibles : instruments financiers régionaux avec concours des FESI, instruments financiers mixant les concours des FESI et du FEIS, enfin instruments financiers avec le concours du seul FEIS ;

(28) Se félicite de la complémentarité réaffirmée entre les mécanismes d'ingénierie financière d'une part et les fonds européens structurels et d'investissements d'autre part ; insiste par ailleurs sur la nécessité de préserver et encourager les instruments financiers régionaux, existants ou à venir, mis en place par certaines régions à partir des seuls fonds européens structurels et d'investissement ;

(29) Rappelle que le recours à la subvention et au cofinancement est et restera un élément essentiel d'une politique régionale ambitieuse pour des projets locaux qui ne présentent pas de perspectives de rentabilité financière mais qui sont indispensables à l'équilibre et au développement des territoires ;

(30) Demande que les garanties ou contributions des États membres au « compartiment État membre » ou d'une banque ou institution nationale de développement agissant au nom d'un État membre, ne soient pas prises en compte dans le calcul du déficit ou de la dette publique au titre de l'application du Pacte de stabilité et de croissance ;

(31) Estime par ailleurs que, dans le prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, la politique de cohésion économique, sociale et territoriale doit bénéficier d'une dotation budgétaire permettant de faire face aux inégalités territoriales et sous régionales observées dans l'Union européenne et en France en particulier.