B. AMÉLIORER L'« EMPLOYABILITÉ » DE LA MAIN D'oeUVRE

Les délocalisations, mouvement inéluctable dans certains secteurs, posent essentiellement, cela a été relevé, le problème de la reconversion de la main d'oeuvre . Il importe ainsi d'adapter les postes de travail et les qualifications aux métiers de demain, aux compétences nouvelles qui seront réclamées par les entreprises dans les filières porteuses. Il est aussi nécessaire, en tout état de cause, de former tous nos concitoyens aux technologies de l'information et de la communication, outil central de la mutation du travail, afin, comme l'ont souligné devant votre groupe de travail Mme Anita Rozenholc, experte en société de la connaissance, et M. Bruno Lemaire, professeur à HEC, de leur permettre de s'insérer avec profit, quels que soient leur métier, leur fonction et leur degré de qualification, dans la nouvelle société cognitive en gestation.

Si une telle action passe en premier lieu par l'adaptation de la formation initiale et l'amélioration de la professionnalisation des enseignements secondaires et supérieurs, elle implique également le développement d'une formation continue pour répondre aux difficultés immédiates , reconvertir les compétences et favoriser la mobilité sectorielle des salariés.

1. Orienter la formation initiale

La formation initiale, et notamment supérieure, est, au même titre que l'existence d'un secteur de la recherche dynamique, un élément fondamental de la compétitivité des nations.

Les études montrent que, dans les pays en rattrapage technologique - comme la France entre 1945 et 1970 -, l'amélioration du système éducatif, notamment primaire et secondaire, a un rendement très fort . Ainsi, la France a réussi à rattraper son retard de productivité sur les Etats-Unis pendant les Trente glorieuses car, étant éloignée de la « frontière technologique », pour reprendre l'expression de MM. Philippe Aghion et Elie Cohen (146 ( * )), elle a pu bénéficier d'externalités importantes par effet d'imitation . Son système éducatif primaire et secondaire, de bonne qualité, a ainsi pu assimiler les techniques déjà appliquées aux Etats-Unis.

Cependant, à mesure que le retard de la France se réduisait, les possibilités de rattrapage par imitation s'amoindrissaient tandis qu'augmentait l'importance de l'innovation comme moteur de la croissance . A la fin des années 1970, la France aurait ainsi franchi un cap, les investissements dans l'enseignement supérieur devenant plus indispensables au dynamisme de la croissance que les investissements dans l'enseignement secondaire. La poursuite de l'élévation de la part de la population active ayant achevé des études supérieures aurait dû, selon cette analyse, permettre de poursuivre la progression de la croissance économique et de la productivité du travail. Cette évolution ne s'est pourtant pas produite en France.

L'une des raisons principales est que « l'enseignement supérieur en France est le parent pauvre de l'éducation nationale », comme le soulignent MM. Aghion et Cohen. Alors qu'un élève du secondaire coûte, en moyenne, 36 % de plus en France que dans les pays de l'OCDE, un élève de l'enseignement supérieur, toutes formations confondues, coûte 11 % de moins . Ainsi, les statistiques montrent qu'en 1999, la France a investi 1,1 % de son PIB dans l'enseignement supérieur, contre 2,3 % pour les Etats-Unis . En outre, le déséquilibre entre les moyens affectés aux classes préparatoires et aux grandes écoles et ceux dont disposent les universités démontre que ces dernières sont sous-financées par rapport aux principaux partenaires économiques.

Par ailleurs, la proportion de diplômés dans toutes les classes d'âge est inférieure ou égale à la moyenne de l'OCDE. L'effort consenti à la fin des années 1980 et au début des années 1990 a certes permis un rattrapage rapide en terme de flux, mais le retard accumulé est considérable par rapport aux pays les plus avancés, particulièrement pour le supérieur général (12 % de diplômes pour les 25-64 ans contre 15 % en moyenne pour les pays de l'OCDE). Les moyens attribués à l'université n'ont pas crû au même rythme que les effectifs, de sorte qu'en 2001 , les dépenses par étudiant étaient inférieures de 23 % à la moyenne des pays de l'OCDE . Seuls l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce dépensent moins par étudiant. Il est probable que ce faible effort explique une partie du taux d'échec et d'abandon très important en France dans l'enseignement supérieur général.

Or, comme le notent MM. Aghion et Cohen, « on ne peut espérer situer notre économie à la frontière technologique sans un effort vigoureux et des moyens nouveaux significatifs » dans l'enseignement supérieur. En effet, en tant que facteur de développement économique, l'éducation augmente l'offre de chercheurs ou de développeurs potentiels et, par suite, réduit le coût de la R&D. La France ne semble ainsi pas avoir pris la mesure de l'importance que revêtent le maintien et le renforcement de ses capacités intellectuelles et scientifiques. Tout comme l'effort d'innovation, l'effort éducatif dans l'enseignement supérieur apparaît largement insuffisant .

Votre groupe de travail estime qu'il est grand temps de remédier à cette faiblesse en accroissant considérablement les moyens dont disposent les universités, ce qui ne passe pas uniquement par une hausse des crédits publics . En effet, les universités tireraient largement profit d'une ouverture à des financements complémentaires, issus notamment du secteur privé. Par ailleurs, un débat doit être impérativement lancé sur la professionnalisation des universités et de leur adaptation aux besoins des secteurs économiques en croissance .

Ce débat doit également porter sur l'organisation du système éducatif secondaire et d'une éventuelle meilleure adaptation des formations qu'il dispense à la préparation des métiers pour les élèves qui souhaitent entrer rapidement dans la vie active. En particulier, votre groupe de travail estime que l'enseignement secondaire doit désormais mieux prendre en compte la nécessité de préparer aux emplois protégés de la concurrence internationale autour desquels s'organisera en partie le développement des postes de travail (emplois de services dans le tourisme, la restauration, les services à la personne). Or, une telle préparation implique la constitution et le renforcement de filières préparant assez tôt à ces métiers . A cet égard, l'orientation scolaire doit également jouer tout son rôle dans la définition de cette nouvelle stratégie.

Sur le fond même de l'enseignement, un certain nombre d'éléments pourraient être améliorés. Tout d'abord, le contenu même des formations professionnelles prend insuffisamment en compte l'évolution des nouvelles techniques qui se développent dans certaines filières. Un enseignement déconnecté des évolutions techniques, outre qu'il fausse l'image du secteur, produit des salariés potentiels qui ne disposent pas nécessairement de la formation la plus adaptée lors de leur entrée dans les branches professionnelles.

Pour remédier à cette relative déconnexion existant dans certaines filières, il serait souhaitable, pour votre groupe de travail, de favoriser les échanges entre les enseignants et les chefs d'entreprise , en développant notamment les stages des professeurs dans des entreprises comme en multipliant les interventions des responsables d'entreprises dans les enseignements. En outre, dans le prolongement de ses réflexions sur le développement de pôles d'excellence, votre groupe de travail est favorable au renforcement de la démarche visant à multiplier les lycées des métiers qui regroupent un vaste éventail de formations et de qualifications au sein d'un même secteur, et qui pourraient oeuvrer de concert avec la collectivité régionale et les filières professionnelles.

De la même manière, le développement de plateformes technologiques semble pouvoir également constituer un axe de réflexion à approfondir. Ces plateformes permettent en effet d' optimiser les moyens et les compétences dont disposent les établissements publics d'enseignement et de mutualiser leurs compétences au service des PME-PMI en favorisant les transferts de technologies. Cette démarche permet ainsi aux structures scolaires et universitaires de s'insérer de manière harmonieuse dans le tissu économique local.

Mais cet état d'impréparation relative ne découle pas uniquement des faiblesses de l'action publique . Bien souvent, un grand nombre de filières sont jugées insuffisamment attractives en raison d'un déficit de communication et d'une image déformée du métier . L'exemple le plus significatif en la matière est certainement l'industrie du bâtiment, connu pour sa pénibilité qui s'est pourtant beaucoup atténuée. La faible notoriété de certains secteurs, le manque d'attractivité des rémunérations et des perspectives dans le déroulement de la carrière constituent aussi d'autres facteurs explicatifs.

Pour votre groupe de travail, il revient ainsi aux secteurs professionnels d'améliorer la communication tant à l'égard des collégiens que des lycéens, et ce, pas uniquement dans les filières professionnelles, afin de renforcer l'attractivité de nombreux métiers.

* (146) Education et croissance - Rapport n° 46 du Conseil d'analyse économique - 2004.

Page mise à jour le

Partager cette page