Mardi 18 juin 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président, et de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire -

Audition de Mme Laurence Tubiana, directrice de l'Institut de développement durable et de relations internationales, facilitatrice du débat national sur la transition énergétique

La commission auditionne, en commun avec la commission du développement durable, Mme Laurence Tubiana, directrice de l'Institut de développement durable et de relations internationales, facilitatrice du débat national sur la transition énergétique.

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Nous recevons aujourd'hui Mme Laurence Tubiana, directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales, facilitatrice du débat national sur la transition énergétique, dans le cadre d'une audition commune à la commission du développement durable et à la commission des affaires économiques. Voilà six mois que le débat national sur la transition énergétique a été engagé, et la synthèse doit en être faite très bientôt. Les instances de débat sont nombreuses : comités citoyens, d'experts, de liaison, de pilotage, groupes de travail, auxquels participent plusieurs sénateurs de nos deux commissions. Les idées émises sont foisonnantes, comme en témoignent les cahiers d'acteurs et les nombreuses auditions effectuées par le conseil du débat. Des rencontres citoyennes ont eu lieu en région, auxquelles vous avez participé. Vous êtes donc au coeur du dispositif, et probablement la mieux placée pour nous dire où en est ce débat : sur quoi va-t-il déboucher ? Quelles en sont les prochaines étapes ? Surtout, quelles seront les principales conclusions en matière de mix énergétique, d'efficacité énergétique, de financement, de fiscalité, de gouvernance, de développement industriel, de recherche, d'implication des acteurs locaux ?

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Quel cahier des charges pour votre intervention ! Nous souhaitons en particulier connaître quelles difficultés proviennent de la recherche d'un consensus sur la transition énergétique. Seule une action durable convaincra les citoyens, les propriétaires, les entreprises, de réaliser cette transition, que l'état de la planète nous impose. Son principe semble accepté, mais ses modalités sont débattues. Votre rôle est de tracer le chemin, et, comme l'a dit Lénine, lorsqu'il y a une volonté, il y a un chemin. Il est indispensable de développer une vision pour 2030 : c'est un enjeu citoyen, mais aussi un enjeu pour nos entreprises et nos filières d'avenir. Les lobbies sont actifs, on l'a bien vu dans le débat national. Les premiers résultats des groupes de travail montrent qu'il est difficile de construire un consensus. Plusieurs scénarios sont évoqués pour l'évolution du mix énergétique français, la révision des objectifs du Grenelle pour 2020 ou sur la fiscalité environnementale. Quel sera l'axe prioritaire de la transition ? Comme en voile, il faudra peut-être tirer des bords pour atteindre l'objectif !

Mme Laurence Tubiana, directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales, facilitatrice du débat national sur la transition énergétique. - Merci pour votre accueil. Je dois tenter de dessiner le chemin d'arrivée du débat dans deux jours, lors de l'antépénultième réunion du conseil national de la transition énergétique : je ne puis donc tout vous dire aujourd'hui. Nous ferons le 8 juillet la synthèse entre les conclusions des débats territoriaux et l'état des lieux que nous aurons tracé. Le comité de pilotage est convaincu, comme l'est Mme Batho, que le débat territorial enrichira le débat national et lui apportera énergie et conviction. Nous rendrons notre copie le 18 juillet. Il s'agit donc du début de la dernière ligne droite.

Modérer ce long débat a été une lourde tâche, fatigante parfois. Nous avons ouvert des débats dans chaque collège - du Medef aux organisations syndicales - et nous devons faire en sorte qu'ils ne se referment pas, en les confiant par exemple à une institution. Nous n'avons pas cherché en priorité des consensus - ce n'était pas le souhait de la ministre, ni celui du comité de pilotage, ni le mien - mais plutôt des compromis sur les points essentiels, tout en identifiant les points litigieux, qui portent non sur la trajectoire dans les quinze prochaines années mais son adaptation ultérieure. Il s'agit soit de paris technologiques, soit de controverses sur l'efficacité des politiques de maîtrise de la demande.

Notre feuille de route a été très clairement tracée par le Président de la République lors de la conférence environnementale : objectif de 50 % d'électricité d'origine nucléaire, respect des objectifs français et européens du paquet 2020, et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le chiffrage des objectifs pour 2050 a donné lieu à des débats passionnés : tant mieux ! Pour tenir notre engagement de réduire de 80 % nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050, il nous faut réduire notre demande d'énergie : la substitution d'un type énergie à l'autre ne suffira pas, car nous ne connaissons pas de source abondante d'énergie décarbonnée. Réduire l'enveloppe globale de consommation est donc indispensable. Chacun a pu se plonger dans les détails techniques de ces scénarios - car il faut comprendre la logique des systèmes énergétiques - ce qui est une bonne chose, même si nous n'avons pas atteint le grand public ; mais le Parlement devra à son tour s'y intéresser. L'examen de ces scénarios montre que, s'ils finissent par diverger, ils sont à peu près concordants en ce qui concerne les quinze prochaines années : aussi surprenant que cela puisse paraître, les experts de RTE, de l'Union française de l'électricité, des organisations environnementales, d'EDF, de GRDF, de l'Ademe, ont tous la même vision du mix énergétique - sauf à prôner une sortie rapide du nucléaire.

Nous savons donc ce qu'il faut faire : rénover quatre ou cinq cent mille logements par an, installer des éoliennes, des panneaux solaires, développer l'utilisation de la biomasse en mobilisant les énergies réparties... Il y a deux piliers de l'appareil énergétique français : le réseau électrique, très lié à la production nucléaire qui l'alimente à hauteur de 75 %, mais qui n'est pas saturé, et le réseau de gaz, qui est dense et bien construit, mais sous-utilisé, et qu'il conviendra, par exemple, d'alimenter en biogaz. La technologie de l'offre peut donc faire l'objet d'un compromis pour les quinze prochaines années, à condition de l'assortir d'une action forte de maîtrise de la demande énergétique. Ce sera l'heure de vérité de ce débat, car une telle maîtrise n'a jamais pu être mise en place.

L'objectif de rénovation du bâti est ambitieux, mais il est nécessaire si nous voulons réduire notre dépendance aux énergies fossiles importées. Il ne s'agit pas d'une fantaisie française : l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark se sont fixé des buts comparables. Le parc immobilier a en effet été bâti sans souci particulier d'efficacité énergétique. Cela stimulera l'activité des industries de services énergétiques, des entreprises de matériaux, comme Saint-Gobain, ou de celles qui font de l'intelligence énergétique. Les PME auront une place centrale dans ce chantier, et nous devrons les mobiliser en leur donnant accès au crédit. Elles ont d'ailleurs exprimé cette inquiétude dans le débat sur l'obligation de travaux.

Même si certaines voix discordantes se font encore entendre, l'idée qu'un mix énergétique diversifié est nécessaire a progressé : nul ne plaide aujourd'hui pour le tout-nucléaire. Même les plus favorables au nucléaire reconnaissent l'utilité des sources d'énergie renouvelables - reste à définir la meilleure politique en la matière.

La gouvernance du système énergétique est un sujet qui paraissait tabou au début ; il a été confié à un groupe de travail, dont Ronan Dantec a été l'un des rapporteurs. Notre système doit conserver ses atouts tout en faisant place à la décentralisation et à l'autonomie qu'implique l'utilisation des énergies réparties. D'ailleurs, les collectivités sont, au moins autant que l'État, des leviers de la maîtrise de la demande, notamment en matière d'aménagement, d'urbanisme, de transport ou encore de mobilisation des PME. L'État met en place des incitations et un financement, mais en définitive la mise en cohérence de l'offre et de la demande dépend de la capacité des collectivités locales à innover en la matière. Les débats régionaux ont montré qu'elles le font déjà, quelle que soit leur taille, à travers de nombreuses expérimentations auxquelles il ne manque que quelques adaptations réglementaires ou législatives pour être pérennisées. La réflexion sur la gouvernance est sans doute le résultat le plus innovant de ce débat, à un moment délicat, qui voit la fin des concessions sur les réseaux d'électricité et une évolution du mix énergétique impliquant désormais les ressources locales - gestion des déchets, biogaz, réseaux de chaleur utilisant tout ce qui est chaleur fatale, grâce à des innovations industrielles. Les collectivités locales ont donc un rôle à jouer pour mettre en oeuvre un système énergétique plus sobre, plus efficace et plus moderne.

La précarité énergétique concernerait quatre à huit millions de Français. Faut-il agir par des tarifs ou par des subventions ? La question a été maintes fois débattue. Il semble que cette question doive être traitée sur le long terme : il s'agit de mettre les personnes précaires en situation de reconstruire une résilience, car la course-poursuite à travers les tarifs sociaux ne réglera jamais la question. Les associations de précaires ont montré que ce ne sont plus seulement les très pauvres qui n'arrivent plus à payer : les prix de l'énergie augmentent, et l'habitat est encore loin d'être énergétiquement efficace.

Sur quoi ferons-nous des compromis ? Nous nous inscrivons dans la feuille de route fixée par le gouvernement. Nous avons un débat sur le niveau souhaitable de sobriété énergétique pour la société française. Voulons-nous réduire le niveau de consommation de 50 % d'ici à 2050, comme l'ont répété les medias ? C'est un scenario médian, comparable à ceux retenus par le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suède, le Danemark, qui se sont lancés aussi dans la transition énergétique. Nous n'aurons pas de consensus : le gouvernement devra décider. J'espère construire un consensus sur la stratégie à adopter pour les quinze prochaines années, quel que soit l'objectif final retenu.

Personne, au cours du débat, n'a imaginé une France désindustrialisée. Nous prenons pour hypothèse un taux de croissance supérieur à 1,5 % et une structure industrielle comparable à celle que nous connaissons. Pourtant, la structure économique de la France évoluera. Par exemple, si l'on extrapole l'évolution des surfaces commerciales enregistrée depuis 2004, elles recouvriront tout le pays en 2050 ! Or, il y aura sans doute une décrue de ces équipements, dont l'impact sur la distribution des déplacements est considérable. Il manque un travail sur ces scenarios d'évolution. Autre exemple : le nombre de kilomètres parcourus chaque année décroît. Est-ce une tendance stable, qui reflète l'instauration de réflexes de sobriété énergétique dans la société ? Il nous faut donc un outil national robuste, susceptible d'évaluer l'efficacité des politiques publiques et, le cas échéant, de les revoir, à intervalles réguliers. De nombreux paris technologiques, comme l'hydrolien, ou la capture et le stockage du carbone, imposent une telle clause de revoyure pour être évalués. Malheureusement, nous n'avons plus de Commissariat au plan pour donner un cadre. Cette institution rassemblait les acteurs pour construire une vision partagée des grands équilibres quantitatifs. En son absence, chacun apporte sa propre vision. Il faut un outil collectif pour tester les hypothèses, et réviser périodiquement les politiques. Certains économistes annoncent que les prix de l'énergie fossile vont baisser. D'autres disent que le gaz de schiste américain dégagera une rente sans faire baisser les prix, et que l'Opep continuera à maintenir le prix du baril autour de cent dollars. Face à une telle incertitude, le mieux est de prévoir une réévaluation périodique des politiques. Nous n'allons pas rénover tout le bâti en trois ans : il faut commencer fort, et réajuster le rythme ensuite.

Nous n'allons pas donner au gouvernement d'indications spécifiques sur les prix et les tarifs. La sobriété énergétique exige bien sûr un relèvement progressif des tarifs de l'énergie - sauf pour les industries électro-intensives, qui doivent être protégées de la concurrence internationale - assorti d'une maîtrise de la demande, pour éviter un effet dépressif, d'autant plus fort que la France importe pour 70 milliards d'euros d'énergie fossile. La programmation des investissements, en revanche, fera l'objet de propositions. Nous devons réinstaurer dans les contrats de plan État-région une programmation de l'investissement pour la transition énergétique, afin de construire la cohérence des plans d'urbanisme, de transport, de déplacement et de développement du système énergétique local. Quelles ressources l'État peut-il mobiliser ? L'épargne des Français n'est pas bien dirigée vers la transition énergétique. La Banque publique d'investissement (BPI) doit être impliquée également, et l'appui de la Banque européenne d'investissement (BEI) peut réduire le coût des emprunts des grandes collectivités. Le recouvrement des coûts pose la question des tarifs, et des signaux-prix. Nous signalerons la nécessité de faire référence à un prix du carbone, même si cela peut être difficile en dehors d'une réforme fiscale globale. Je ne crois pas que nous arriverons à un consensus sur cette question.

Le secteur des transports fait sa révolution, à la fois sur les véhicules et sur les modes de transport : l'idée se répand que des formes de mobilité nouvelles vont se développer, co-organisées et partagées, par exemple des transports en commun plus flexibles, utilisant les routes à moindre coût. A l'horizon 2020 le covoiturage devrait augmenter, des flottes collectives de véhicules électriques ou hybrides apparaîtront. Les moteurs ont déjà fait des progrès considérables à la fois en termes d'émission de CO2 et de consommation d'énergie fossile. L'utilisation du biogaz dans l'automobile peut être une solution prometteuse.

Nous avons donc un noyau dur consistant de propositions. Il n'est pas éclaté, mais cohérent. Il comporte un paquet commun, substantiel. Si le gouvernement y répond sérieusement, cela introduira des changements profonds dans le paysage énergétique français. Le débat régional a été passionnant et passionné : il faut le prolonger, au besoin dans un cadre institutionnel.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je retiens de votre exposé que vos propositions seront comparables à une grappe de raisin : elles seront structurées autour d'une ossature centrale. Il semble qu'un consensus s'instaure sur la nécessité d'accepter la transition énergétique. Vous avez évoqué les transports : y a-t-il vraiment beaucoup de progrès en matière de covoiturage, surtout en milieu rural ? Comment améliorer le transport en commun dans le monde rural ? Le tramway n'est pas la seule solution : il y a des busway, des bus à fréquence cadencée qui coûtent bien moins cher. J'observe que vous n'avez pas parlé du télétravail, qui réduirait pourtant la mobilité. Il y dix ans tout le monde y croyait, aujourd'hui les entreprises en reviennent : il y a des problèmes de management complexes...

Mme Laurence Tubiana. - Une grappe de raisin, oui : l'axe central serait la maîtrise de la demande. Les grains seraient les mesures de détail, entre lesquelles le gouvernement aura le choix. La mobilité est le domaine sur lequel nous avons le moins travaillé, aussi ma pensée sur ces questions est-elle moins structurée. Nos hypothèses sont conservatrices : la mobilité personnelle va-t-elle s'accroître de 0,6 % par an ? Cela ferait 40 % de déplacements en plus en 2040, ce qui est beaucoup. Va-t-elle se stabiliser ? Se réduire ? Nous ne savons pas. Sur la mobilité, nous patinons.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - C'est un comble !

Mme Laurence Tubiana. - Les constructeurs automobiles commencent à constater que la vision des transports change. Le télétravail était présent dans les débats, mais pas autant qu'il l'aurait été il y a cinq ans. La question de la maîtrise de l'urbanisme et du foncier est centrale : il faut donc l'aborder. Sans maîtrise de l'urbanisme, en cohérence avec l'aménagement et les plans de transport, l'équation est insoluble. C'est, avec les prix, le point principal de la négociation. Investir en l'efficacité énergétique est rentable : la banque de développement allemande KfW estime que, depuis quinze ans, chaque euro ainsi investi en rapporte entre un et quatre. Il ne faut pas négliger l'effet multiplicateur sur la croissance et la création d'emplois : il y a un énorme chantier de transition professionnelle. Il faut former, sécuriser les PME, les arrimer aux grandes entreprises... Les fédérations d'artisans sont, pour l'heure, très prudentes.

M. Roland Courteau. - Ce débat est un remarquable processus démocratique, qui se déroule à la fois au niveau national, régional et local. Il est normal que notre société soit ainsi interpelée si nous devons élaborer un nouveau modèle pour 2030, 2040 ou 2050. Notre modèle n'est plus soutenable : la transition énergétique s'impose. Elle sera aussi la réponse au problème de notre facture énergétique de 69 milliards d'euros, ainsi qu'à la précarité énergétique qui touche quatre millions de ménages, soit huit millions de personnes. Soyons toutefois attentifs à bien prévoir son financement : c'est faute d'avoir anticipé celui des mesures du Grenelle de l'environnement que nous nous retrouvons aujourd'hui avec cinq milliards d'euros de contribution au service public de l'électricité (CSPE). Attention aussi à ne pas donner des coups de frein aux évolutions souhaitées, par des changements de règles ou des baisses de niveau des aides. La prévisibilité est essentielle pour tous les acteurs. Les tarifs sociaux sont une mesure à prendre d'urgence. A cet égard, je me réjouis des mesures adoptées récemment par le gouvernement, et de la loi que nous avons votée augmentant le nombre de bénéficiaires. Mais la vraie solution, c'est la rénovation thermique des logements mal isolés.

M. Marcel Deneux. - Bravo pour votre exposé, et pour l'autorité dont vous faites preuve dans la conduite de ce débat, qui en a bien besoin. Comment rendre publiques vos propositions ? Il ne faudrait pas les décrédibiliser alors qu'elles sont intelligentes et cohérentes. Nous avions un commissariat au Plan autrefois : c'est là que des décisions de consensus étaient prises, engageant l'ensemble des parties prenantes. En période de crise, la transition énergétique impose un changement des comportements. C'est un changement de société, qu'il est difficile de promouvoir. Les réunions régionales n'ont touché que les élites. Les mesures annoncées doivent être bien comprises : il ne faudrait pas, par exemple, que la nécessité d'augmenter les tarifs de l'énergie soit reliée aux mesures d'austérité. Il faut rappeler que la France, en matière d'émission de CO2, est le meilleur pays d'Europe...

Mme Laurence Tubiana. - Le deuxième.

M. Marcel Deneux. - Certes, mais le premier n'a pas le même volume. L'avenir, ce sont les énergies réparties. Notre système devra être modifié : il faudra développer l'utilisation de la biomasse, construire des lignes à haute tension, autoriser les collectivités locales à devenir énergéticiennes, dans toutes l'étendue du terme. Ces transformations seront mieux comprises par nos concitoyens que des messages nationaux qui ne manqueront pas de susciter des polémiques médiatiques, telle la polémique sur le nucléaire. En matière d'investissements, il faut définir des priorités et essayer de s'y tenir. Certains investissements conditionnent les autres. Par exemple, le programme de compteurs dits communicants est la base de départ pour introduire l'énergie renouvelable dans notre réseau. Sans cet investissement de quatre milliards d'euros, nous n'avancerons pas.

Si vous parvenez à faire passer ce message, il y aura une adhésion. C'est sur l'habitat qu'il y a le plus à gagner, mais dans l'ancien, les progrès seront le résultat d'une multitude de décisions individuelles. Les vrais décideurs, qu'il faut former, ce sont les artisans ! La loi du 13 juillet 2005 n'a guère été traduite dans les faits. La conjoncture a bon dos, il faut agir. Vous trouverez au Sénat des gens prêts à vous aider et à servir de relais dans les départements, pourvu que vous fassiez passer un message clair.

M. Gérard Bailly. - Les prix bas de l'énergie sont un atout pour notre pays, pour la compétitivité de notre industrie et de notre agriculture. Or pour lutter contre le chômage, il faut retrouver notre compétitivité ! Avec votre programme, allons-nous pouvoir conserver ces prix bas ? Selon un récent sondage, 94 % des personnes interrogées sont hostiles à une augmentation du prix de l'électricité pour financer les énergies renouvelables, et 80% ne sont pas prêtes à payer davantage pour être plus éco-responsables. Veillons à produire des énergies à des prix compétitifs pour ne pas pénaliser notre pays.

Qui paye, par exemple, l'écotaxe au bout du compte ? Le transporteur la reporte sur le producteur, qui la reporte à son tour sur le consommateur. Si elle pèse sur les entreprises, c'est encore moins de compétitivité, donc plus de chômage...

Je m'interroge toujours quand je vois des bâtiments en verre, forcément climatisés : quel est le coût énergétique de cette climatisation ?

En matière d'urbanisme, ces dernières années ont été marquées par une véritable gabegie : on employait des hectares de bonne terre agricole pour faire des parkings autour de chaque grande surface. Puis, comme souvent en France, retour de balancier : on ne nous laisse plus construire la moindre maison à la lisière de nos villages, même sur des terres médiocres !

Mme Laurence Rossignol. - À mon tour de saluer votre présentation, et votre travail. Revenons tout de même au pré-requis : la nécessité de diviser par quatre les émissions de CO2 d'ici 2050 en raison de l'emballement du dérèglement climatique, plus grave et plus rapide que ce qu'envisageaient il y a peu encore les climatologues.

Pourra-t-on maintenir un prix de l'énergie bas tout en poursuivant les objectifs climatiques ? En d'autres termes, ne rien faire nous garantirait-il le maintien de prix bas et compétitifs ? Avez-vous travaillé sur le lien entre croissance et consommation d'énergie ? La courbe de la croissance suit celle de la quantité d'énergie disponible par habitant, mais des économistes estiment qu'elle pourrait à l'avenir dépendre de notre capacité à maitriser la dépense et la consommation d'énergie. Comment articuler les deux ?

Il y a consensus sur le mix énergétique et la transition énergétique, dites-vous, mais vous vous inquiétez de la maîtrise de la demande. Si l'énergie est un bien commun, essentiel pour les individus et les sociétés, c'est aussi un bien marchand. Les fournisseurs d'énergie sont intéressés au volume de consommation. Comment peut-on avoir à la fois pour objectif de vendre et de faire baisser la consommation ? Jusqu'à quel point va le consensus ?

Selon vous, nous devrions arriver à un consensus cadré par les objectifs énoncés par le président de la République pour les quinze prochaines années : porter la part du nucléaire de 75 % à 50 % et réduire les émissions de CO2. Mais notre succès en la matière déterminera la suite du processus. Mon inquiétude, c'est qu'il ne se passe rien, que les acteurs ne soient pas tous impliqués dans cette réussite, et qu'au bout du compte, ce soit business as usual...

M. Jean-Claude Lenoir. - Sans vouloir minimiser la portée du débat engagé, je rappelle que cela fait des siècles que nous vivons des périodes de transition énergétique : on est passé du bois au charbon, puis au pétrole, au gaz, au nucléaire... Nous cherchons à organiser les choses, mais attention : il y a dix ans, un ministre de l'énergie affirmait que le pétrole, ce serait fini en 2020 ! C'était la théorie du pic de Hubbert. On sait ce qu'il en est. Nous n'avons aucune certitude concernant l'avenir, il faudra nous adapter, tenir compte des évolutions. Je me méfie des formules toutes faites.

Je suis en désaccord avec Mme Rossignol : l'énergie doit accompagner la demande, la croissance, ce n'est pas à nous de nous adapter à l'offre d'énergie. « Le socialisme, c'est les soviets plus l'électricité », disait Lénine. De fait, le développement économique et industriel de la Russie après la première guerre mondiale doit beaucoup à l'effort sans précédent pour produire de l'électricité.

Plus que les compteurs communicants, je crois à la nécessité de développer les réseaux communicants, notamment pour absorber l'électricité produite par le renouvelable. Je suis d'ailleurs l'auteur, avec Ladislas Poniatowski, d'un rapport sur le compteur Linky.

Le gaz est une composante importante du bouquet énergétique. Le groupe dédié au mix énergétique recommande l'ouverture du débat sur les hydrocarbures non conventionnels et invite à lancer la rechercher et à tenter des expérimentations pour savoir si nous avons des réserves sous nos pieds, et, si oui, comment les extraire. En cela, il rejoint les conclusions d'un récent rapport d'étape cosigné par deux parlementaires... Comment se construit cette étape dans le cadre de la transition énergétique ?

Mme Laurence Tubiana. - Peut-on tenir des prix de l'énergie bas en France, avec un parc nucléaire amorti mais dont il faut revoir la sûreté ? Selon le rapport de la commission de régulation de l'énergie, EDF devra relever ses tarifs pour rester rentable. Peut-on compter sur une compétitivité durable fondée sur les prix bas de l'énergie en France et en Europe ? C'est une vraie question. Les dirigeants d'EDF et de GDF-Suez ne pensent pas que l'on puisse maintenir à ce niveau les prix de l'énergie à la consommation - le prix pour les industriels est un autre débat.

Il n'y a pas de consensus sur le gaz de schiste. Les économistes américains, que je connais bien pour enseigner à Columbia, ne tablent pas sur une baisse du prix du gaz en France et en Europe : point de bonanza à l'américaine pour nous, dit l'Agence internationale de l'énergie. Difficile de fonder notre compétitivité internationale sur des prix de l'énergie bas ; il faut s'attendre à ce qu'ils doublent, surtout avec les nouveaux équipements nucléaires. Nous devrons trouver une solution pour les électro-intensifs. Heureusement que l'éolien va devenir rentable, et que nous n'aurons plus besoin de le subventionner. Inspirons-nous du Danemark ou de l'Allemagne pour ce qui est de la CSPE. Diversifions, trouvons des énergies peu chères, notamment les énergies dites fatales, mais en même temps, soyons plus économes et plus efficaces pour dépendre moins des aléas des prix internationaux.

Le découplage entre croissance économique et consommation énergétique est l'obsession du gouvernement chinois, que je conseille. C'est un problème international. Nous pouvons trouver des ressorts de croissance dans l'efficacité de l'économie en matière énergétique.

Nous avons beaucoup parlé de climatisation, les solutions se mettent en place. Personne ne prône aujourd'hui des soviets, mais tout le monde voit le futur énergétique de la France avec plus d'électricité, et moins de carburants liquides. L'espace d'innovation technologique sur le stockage est immense, nous devons investir pour être dans la course : celui qui trouvera la solution gagnera le jackpot.

J'insiste sur la notion de compromis, plus rassurant que le consensus, les déclarations d'intention. Se mettre d'accord pour valoriser le potentiel du nucléaire n'allait pas de soi. Même si l'objectif est de réduire la part du nucléaire, nous devons maximiser cette ressource, car notre avantage est fragile : notre système énergétique s'est dégradé et nous importons de plus en plus. Un changement s'impose, et le principe de la transition énergétique est désormais accepté, me semble-t-il. Personne ne veut payer, c'est normal, il faudra cependant expliquer que la transition est nécessaire et peut être une chance pour la France.

Le suivi et l'évaluation des politiques seront la garantie de la crédibilité, l'épreuve de vérité. Le conseil national a effectué un travail considérable, les positions ont évolué. Le Medef, qui était initialement contre la transition, ne prônant que le gaz de schiste, participe désormais activement à la discussion. J'espère un compromis : souhaitez-moi bonne chance !

M. Daniel Raoul, président. - La démarche pédagogique progresse.

M. Raymond Vall, président. - Merci. Un mot sur la gouvernance ?

Mme Laurence Tubiana. - Le rapport Dantec est public. Nous n'allons pas casser EDF pour tout décentraliser, mais il faut organiser le partage local de la gestion de l'électricité, des réseaux de gaz et des nouvelles énergies que les collectivités peuvent mobiliser. Protégeons notre système centralisé, mais utilisons aussi le reste. Même M. Proglio a changé de discours à ce sujet !

Mercredi 19 juin 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Audition de Mme Elisabeth Ayrault, candidate proposée à la présidence du directoire de la Compagnie nationale du Rhône

La commission entend Mme Élisabeth Ayrault, candidate proposée à la présidence du directoire de la Compagnie nationale du Rhône.

M. Daniel Raoul, président. - Sur proposition du conseil de surveillance de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) réuni le 15 mai dernier, il est envisagé de nommer Mme Elisabeth Ayrault à la présidence du directoire de cette société.

En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette nomination par décret du président de la République ne peut intervenir qu'après audition par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique, elle donnera lieu à un vote à bulletin secret. L'Assemblée nationale procèdera à la même audition le 26 juin, nous attendrons donc cette date pour dépouiller simultanément les bulletins. Il ne pourra être procédé à cette nomination si l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages.

Madame Ayrault, vous avez commencé votre carrière en fondant une agence d'architecture et d'urbanisme, après un DEA de géographie - preuve que cette discipline ouvre des horizons !

M. Jean-Claude Lenoir. - Nous sommes plusieurs à pouvoir en témoigner.

M. Daniel Raoul, président. - Vous avez ensuite occupé différents postes, notamment chez Suez. Vous êtes actuellement directeur général délégué de Sita France. Après un bref rappel de votre parcours professionnel, je vous propose de nous présenter votre projet pour la Compagnie nationale du Rhône, qui est une référence en matière de gouvernance. Créée en 1933, elle reçoit en 1934 concession pour aménager et exploiter le plus puissant fleuve français, et elle est aujourd'hui le deuxième producteur français d'électricité.

Mme Elisabeth Ayrault. - D'abord un bref rappel de mon parcours professionnel. J'ai complété mon diplôme d'architecte par un DEA de géographie urbaine, une année à l'Institut agronomique méditerranéen et un DESS de l'Institut d'administration des entreprises. J'ai débuté ma vie professionnelle dans les Pyrénées-Orientales, où j'ai créé un cabinet d'architecture et d'urbanisme. J'ai travaillé pendant sept ans aux côtés des élus sur les grands schémas d'urbanisme, les plans d'occupation des sols ou les zones d'aménagement concerté (ZAC), dont la première ZAC sans expropriation de France, apprenant ainsi le débat public et la recherche du consensus entre intérêts publics et intérêts privés.

J'ai poursuivi ma carrière à la SAE, où je travaillais au montage d'opérations immobilières, puis j'ai pris la direction de Dumez Immobilier Promotion, où j'ai piloté des projets importants dans le sud de la France, dans le contexte de crise immobilière des années quatre-vingt dix. En 1998, j'ai intégré Elyo, société spécialisée en efficacité énergétique ; à la tête d'Elyo Île-de-France, je dirigeais 4 200 personnes. Je me suis intéressée aux réseaux de chaleur urbains, au facilities management, à l'ouverture du marché de l'électricité, qui modifiait nos métiers.

En 2009, j'ai intégré le monde des déchets. À la tête de Sita Île-de-France, j'ai piloté un ensemble de 3 200 personnes, de 33 nationalités différentes, une population d'ouvriers. Depuis 2011, je suis directeur général délégué de Sita France, société de 20 000 personnes. Les enjeux actuels sont la mutation du mode de traitement des déchets en France et la rupture de business model qui en découle. Pour résumer, j'ai fait différents métiers, guidée par l'envie de développer des entreprises et de diriger des équipes, dans des marchés en mutation.

Un mot sur la Compagnie nationale du Rhône aujourd'hui. Créée en 1933, la CNR a la concession du Rhône, depuis le lac Léman jusqu'à la Méditerranée, avec trois missions solidaires, financées grâce aux revenus générés par la production d'hydroélectricité : améliorer la navigation sur le fleuve, accroître l'irrigation de la vallée et promouvoir les autres usages agricoles. Dans ce cadre, la CNR a réalisé des centrales, des barrages, des écluses, des ports, etc. En 1946, elle demeure indépendante et publique, l'exploitation des ouvrages étant assurée par EDF pour le compte de la CNR. Le capital et la gouvernance évoluent dans les années 2000 : avec la libération du marché européen de l'énergie en 2001, la CNR devient producteur et gestionnaire autonome d'électricité de plein exercice. À compter de 2006, elle exploite seule ses ouvrages hydrauliques, et intègre 307 agents d'EDF, innovation organisationnelle réussie qui a permis une mutation complète de la compagnie.

L'entreprise, à capital majoritairement public, repose sur trois grands types d'actionnaires : le groupe GDF-Suez, la Caisse des dépôts et consignations, et les collectivités locales. Elle est en France le premier producteur français d'électricité renouvelable, et le deuxième producteur d'électricité : au total, 15,7 térawatts-heure en 2012, dont 93 % d'hydraulique, 7 % d'éolien et 0,3 % de photovoltaïque. La CNR a acquis un grand savoir-faire en gestion des énergies intermittentes, avec une organisation et des outils lui permettant d'anticiper les conditions hydrométéorologiques, d'adapter sa production aux besoins du marché, de piloter son parc en temps réel en limitant le coût des écarts entre prévisions et production réelle. Ainsi, par cette démarche intégrée, la CNR optimise la valeur de sa production et développe de nouveaux actifs avec une vision globale, allant de la prospection à la valorisation.

Chargée de développer la navigation du fleuve Rhône, la CNR est le promoteur de la voie navigable à grand gabarit sur 330 kilomètres, de Lyon à la Méditerranée. Son centre de gestion de la navigation est opérationnel depuis mars 1992 ; les quatorze écluses à grand gabarit en aval de Lyon sont commandées à distance, en toute sécurité. Le transport fluvial, sûr, peu polluant et économique, a augmenté de 60 % depuis 2001 : en 2012, le Rhône a transporté plus de 5 millions de tonnes de marchandises et 165 000 passagers. La CNR a en outre déployé un réseau de dix-huit plateformes industrielles, dont la tête de pont est le port Lyon Edouard-Herriot, pour développer des activités industrielles le long de la vallée.

Une particularité de la CNR réside dans son ingénierie fluviale et hydroélectrique, reconnue dans le monde entier. Le bureau d'études intégré travaille pour le compte de tiers, en France et à l'étranger, à hauteur d'un tiers de son activité. En 2013, CNR Ingénierie a reçu le Grand prix national ingénierie pour son travail sur le projet de doublement des écluses du canal de Panama.

Qu'est-ce que le modèle CNR ? En 2003, la CNR a adjoint à ses trois missions historiques des plans de mission d'intérêt général (MIG) en faveur de la communauté rhodanienne. C'est une novation majeure dans la relation entre la CNR et ses partenaires, les collectivités locales, les usagers du fleuve, les riverains. Ces MIG sont formalisées dans des programmes à cinq ans, qui s'enchaîneront jusqu'à l'échéance de 2023, date de fin de la concession. Ces engagements sont le fruit de réflexion menée avec l'État ; les premier et deuxième plans MIG s'achèvent. Le troisième sera soumis au conseil de surveillance le 5 juillet prochain. Son fil conducteur est le développement durable : nouveaux services aux usagers, production hydroélectrique, valorisation énergétique des débits réservés, environnement, ancrage local. Ces MIG sont intégrées au plan Rhône.

Ce modèle économique est singulier : inscrit dans une perspective à long terme, il allie efficacité économique, équité sociale, intérêt collectif et respect de l'environnement. Il fait de la CNR un concessionnaire exemplaire, leader du développement durable, qui redistribue une grande partie de la valeur créée : la compagnie a ainsi versé 185 millions d'euros à l'État en 2012 au titre de la redevance hydroélectrique, et 1,5 milliard sur dix ans. En tout, elle aura versé 374 millions d'euros à l'État en impôts et taxes en 2012, sans oublier les 160 millions du 2e plan quinquennal des MIG.

La CNR crée de la valeur en gérant, en développant et en acquérant de nouveaux actifs de production ; elle répond aux objectifs de la politique énergétique de la France, tout en redistribuant la valeur créée à l'État, aux actionnaires, aux collectivités et aux salariés. C'est ça, le modèle CNR.

Je veux rendre hommage aux précédents présidents du directoire, Michel Margne, toujours président du conseil de surveillance, et Yves de Gaulle. Ils ont mis en place les MIG, travaillé à développer le modèle CNR et permis cette création de richesse.

Mes ambitions pour la CNR s'inscrivent dans la continuité de ce qui a été fait. Le plan stratégique d'entreprise 2012-2017 s'appuie sur d'excellents objectifs. La CNR tire sa richesse de l'eau, du vent, du soleil ; elle a acquis une expertise précieuse, que je souhaite conforter. Nous renforcerons notre position en développant l'hydroélectricité, le photovoltaïque et l'éolien. La CNR se positionnera sur de nouvelles concessions, elle rachètera des parcs existants et développera de nouveaux projets. Mes objectifs sont très ambitieux : augmenter d'ici 2018 de 1 000 à 1 500 mégawatts-heure la capacité hydroélectrique installée qui est aujourd'hui de 3 000, doubler la capacité dans l'éolien, la porter de 15 à 100 mégawatts-crête dans le photovoltaïque. Cela suppose que le marché européen de l'énergie l'autorise, que la réglementation française se stabilise, et que nos partenaires actionnaires approuvent ce développement en France et à l'étranger.

Des potentiels de développement demeurent dans le transport fluvial et la valorisation des patrimoines fonciers de la CNR. La stratégie s'appuiera sur trois piliers. D'abord, le maintien du modèle CNR. Ensuite, l'innovation, avec par exemple le concept Move in Pure, système de recharge intelligente de véhicules, ou des expertises complémentaires à nos coeurs de métier, notamment sur les courants marins et l'énergie hydrolienne, ou encore le pilotage et la maintenance de nos installations. Troisième pilier, l'excellence industrielle, encore plus indispensable quand l'on est concessionnaire et que l'on doit assurer la sûreté et la sécurité des ouvrages que l'on exploite.

M. Daniel Raoul, président. - Merci. J'ai noté l'hommage rendu à Michel Margne, ici présent.

M. Didier Guillaume. - Hommage mérité !

M. Daniel Raoul, président. - Le conseil général de la Drôme étant actionnaire de la CNR, je donne immédiatement la parole au président Guillaume.

M. Didier Guillaume. - Merci pour votre exposé. Vous auriez pu également qualifier la CNR d'entreprise citoyenne, ancrée sur le territoire. Si toutes les grandes entreprises prenaient exemple sur elle, les relations entre le monde économique, les citoyens et le monde politique seraient excellentes. Pas une manifestation, pas une action sur le terrain dont la CNR soit absente, directement ou financièrement ! Autant dire que je suis très attaché au modèle CNR, fleuron de l'économie française, pépite de l'énergie, un joyau.

On sait les visées du PDG de GDF-Suez sur l'actionnariat de l'entreprise. Celui-ci ne peut être modifié que par un texte de loi, ont répondu vos prédécesseurs. Quelle est votre position ? Nous sommes pour notre part attachés au maintien de l'actionnariat actuel.

« Nous nous développerons si nos partenaires actionnaires l'appouvent », avez-vous dit. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

Comment voyez-vous l'avenir du marché de l'énergie ? À quel prix la CNR revend-elle l'électricité, quelles sont ses marges ? Quelle est votre stratégie de développement ? Comment comptez-vous renforcer vos positions ?

Mme Élisabeth Lamure. - Il y a un an et demi, nous avions désigné Yves de Gaulle à l'unanimité. J'apprécie que vous disiez vouloir vous inscrire dans la continuité de sa gestion, d'autant que les résultats de 2012 ont été exceptionnels. À Lyon, c'est un secret de Polichinelle que l'actionnaire principal espère prendre le contrôle de cette pépite qu'est la CNR. Je regrette que la Ville de Lyon et le conseil général du Rhône se soient retirés de l'actionnariat, qui plus est au plus mauvais moment... Etes-vous favorable à une ouverture du capital ? La CNR, qui vend directement son électricité sur le marché, va-t-elle conserver sa propre salle de marché ou intégrer la branche énergie du groupe Suez ?

M. Roland Courteau. - La CNR a connu un remarquable développement, multipliant son chiffre d'affaires par trois en dix ans et ses effectifs par deux, tout en conservant un modèle social exemplaire : l'entreprise a ainsi multiplié par quatre le nombre de salariés handicapés. C'est en outre un remarquable outil de redistribution des richesses. Je salue l'action de Michel Margne et Yves de Gaulle, dont le mandat a été brutalement écourté. Ce dernier avait affirmé qu'il n'avait pas mandat pour travailler à la modification de l'actionnariat de la CNR : les choses étaient claires, sachant que toute modification de la structure du capital suppose un texte de loi. Quelle est votre position sur ce sujet qui inquiète les syndicats ? GDF-Suez va-t-il une nouvelle fois tenter de mettre la main sur l'or du Rhône, comme l'écrivait récemment Lyon Capitale ?

M. Pierre Hérisson. - Nous sommes plusieurs ici à être membre du comité de bassin Rhône-Méditerranée ; pour ma part, je préside, avec le préfet de l'Ain, la commission géographique du Haut-Rhône et le comité de gestion des zones inondables, qui veille à ce que ni les Genevois, ni les Lyonnais n'aient les pieds dans l'eau. La CNR n'investit pas suffisamment dans la rénovation et l'entretien des digues, confiés aux collectivités locales, qui n'ont plus les moyens de les financer. Accepteriez-vous de rouvrir la discussion sur ce sujet ? Même si la CNR n'a pas d'obligation en la matière, la gestion du Rhône, c'est aussi la gestion des zones inondables.

M. Joël Labbé. - La CNR est un fleuron au capital majoritairement public, on l'a dit. Estimez-vous qu'elle doit intervenir, au service de l'intérêt général, au-delà de la région du Rhône ? Pouvez-vous préciser le rôle que vous entendez jouer en matière de recherche et d'innovation, dans le sens de la transition énergétique ? Vous avez dit vouloir travailler sur l'hydrolien et les courants marins : comment, où, avec quels moyens et quels objectifs ?

M. Gérard Bailly. - Peut-on développer davantage l'hydraulique, notamment en amont du territoire qui vous concerne? Le transport fluvial mérite d'être encouragé, mais le projet de canal Rhin-Rhône, dont la CNR était le principal financeur dans les années 2000, est à l'arrêt ; comment assurer cette jonction ? Enfin, se sert-on du lac de Vouglans, troisième retenue française d'eau, pour réguler le Rhône en période d'étiage ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Autant le dire d'emblée, je suis convaincu par les arguments de Mme Ayrault, d'autant qu'elle dit se situer dans le sillage de ses prédécesseurs. Plusieurs questions ont porté sur l'avenir de l'actionnariat de la CNR, jadis entièrement public. C'est fin 2001, lors de l'examen de la loi Murcef - loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier - en deuxième lecture, à l'Assemblée nationale, à 2 heures du matin, que le rapporteur du projet de loi, Mme Nicole Bricq, a déposé des amendements pour ouvrir le capital de la CNR et permettre à Suez d'y entrer à hauteur de 49,97 %. Que n'avez-vous manifesté les mêmes inquiétudes à l'époque ?

M. Didier Guillaume. - Nous n'étions pas élus !

M. Marc Daunis. - Nous n'avons pas tous l'ancienneté de Jean-Jacques Lenoir !

M. Jean-Claude Lenoir. - Il faut assumer les décisions prises par votre majorité à l'époque. Ce petit rappel me paraissait utile...

M. Bruno Sido. - La CNR est un fleuron, en effet, mais ses résultats sont artificiels, dans la mesure où ils dépendent du montant de la redevance.

Mme Elisabeth Ayrault. - Elle représente 24 % du chiffre d'affaires.

M. Bruno Sido. - La concession sera-t-elle remise sur le marché ? Si oui, quand ? Peut-être la redevance augmentera-t-elle à cette occasion. La concession des magnifiques centrales sur la Durance va être remise sur le marché, en bloc ou centrale par centrale : la CNR est-elle intéressée ? Dernière question : pensez-vous que ce que la CNR a accompli serait encore faisable aujourd'hui, dans le paysage français actuel ?

M. Ladislas Poniatowski. - Lorsque la concession arrivera à échéance, la France n'aura d'autre choix que de lancer un appel d'offres. Si nous tentions d'y échapper, Bruxelles saurait nous rappeler à l'ordre. Il faudra remettre tous les barrages du Rhône en concurrence. Qu'allez-vous faire ? Le choix se fera en fonction des investissements que les candidats s'engageront à réaliser. Vos concurrents - EDF, mais aussi les Espagnols ou les Suisses - seront candidats sur vos barrages. Il vous faudra convaincre tous vos actionnaires de s'engager à investir. Les collectivités locales pourront-elles suivre ? Sinon, on peut imaginer que GDF-Suez soit tenté de répondre seul à l'appel d'offre.

M. Didier Guillaume. - Nous revendiquons et assumons la loi Murcef. Le temps où l'État détenait 100 % des grandes entreprises est révolu, le président de la République l'a encore rappelé dernièrement. Mais nous ne souhaitons pas que le capital de la CNR évolue : si les 0,3 % basculaient, c'est bien la nature et le modèle de la CNR qui changeraient.

Après Jean-Claude Lenoir, je peux dire que nous voterons pour la nomination de Mme Ayrault, avec encore plus d'enthousiasme si elle confirme qu'elle n'est pas mandatée pour changer le modèle économique de la CNR !

M. Daniel Raoul, président. - Je rappelle à toutes fins utiles que le vote est secret.

Mme Élisabeth Ayrault. - Pourrait-on reproduire le même schéma, dans le paysage français actuel ? La réponse est non, et je le regrette, car la particularité du modèle CNR réside dans cet équilibre entre les intérêts des uns et des autres.

Je le dis clairement, je n'ai jamais reçu mandat de travailler à faire évoluer l'actionnariat de la CNR. Je me présente à vous, non comme candidate de GDF-Suez - Sita est une filiale de Suez - mais suite à la proposition, votée à l'unanimité du conseil de surveillance, de renouveler deux des trois membres du directoire. J'espère apporter un regard neuf sans rompre avec ce qui a été fait auparavant.

L'intérêt social de la CNR ne peut être confondu avec les intérêts des uns ou des autres des actionnaires, mais je compte m'appuyer sur ceux-ci avant d'aller chercher ailleurs un soutien. Auprès de GDF-Suez, j'irai chercher une expertise industrielle différente, un retour d'expérience pour développer sereinement la CNR ; auprès de la CDC, la connaissance des territoires ; auprès des collectivités locales, les moyens de développer des zones d'activité économique le long du fleuve. Le rôle du PDG est de diriger une compagnie, de travailler avec ses actionnaires, pas de chercher à faire évoluer l'actionnariat. Ce qui m'a intéressée, c'est le modèle CNR, que je trouve fascinant et que je souhaite renouveler et renforcer, car c'est une pépite en termes d'organisation et de gouvernance. Le président du directoire propose une stratégie de développement à son conseil de surveillance ; j'ai besoin de l'appui et de la particularité de chacun des actionnaires pour la mener à bien.

Je ne suis pas spécialiste de l'énergie hydrolienne, mais j'ai la conviction que l'expertise de la CNR en matière de gestion de l'eau peut aussi s'étendre aux courants marins. La CNR peut contribuer, à travers sa recherche et développement et son bureau d'ingénierie, à faire avancer cette énergie du futur.

Le rapport de Mme Battistel sera bientôt remis : ce sera au Gouvernement de décider s'il ouvre les concessions à la concurrence.

M. Daniel Raoul, président. - Il y est obligé !

Mme Élisabeth Ayrault. - En tout état de cause, la CNR ne pourra être absente de ces appels d'offres. Sa propre concession arrive à échéance en 2023. Qui peut dire quel état d'esprit prévaudra à ce moment-là ? Dans le domaine des déchets, la plupart des outils industriels que nous gérons seront remis en concurrence. La CNR investit 80 à 100 millions d'euros par an dans l'entretien des ouvrages, qui lui incombe. C'est un concessionnaire exemplaire : les ouvrages seront rendus en parfait état.

Vous m'interrogez sur l'évolution du prix de l'électricité dans les années à venir.

M. Daniel Raoul, président. - On n'observe pas de tendance à la baisse...

Mme Élisabeth Ayrault. - Les bons résultats de 2012 sont dus à l'effet volume, pas à l'effet prix. Je n'imagine pas le prix de l'électricité augmenter à court terme.

Concernant les ouvrages sur la Durance, tout dépendra des conditions, mais nous serons présents sur tous les appels d'offre où la CNR a une expertise à apporter.

Le cahier des charges de la CNR ne prévoit pas qu'elle gère les crues du Rhône. Cela ne l'empêche pas de travailler, dans le cadre du plan Rhône, à l'amélioration des prévisions météorologiques, qu'elle met à disposition de l'État. Elle intervient également dans le cadre des MIG pour la réhabilitation des lônes, qui peuvent servir de bassins de rétention.

Le transport fluvial a augmenté de 70 % en dix ans, mais on peut encore progresser : c'est un objectif de développement de la CNR. Le transport des déchets par voie fluviale s'est notamment fortement accru.

Quant à la salle des marchés, elle a vocation à rester exactement là où elle est.

M. Joël Labbé. - Quels sont vos objectifs en matière d'hydrolien ?

Mme Elisabeth Ayrault. - Je ne saurais les chiffrer, mais je m'inscris dans la continuité du plan stratégique d'activité. J'ai la conviction qu'avec sa connaissance de l'eau, la CNR peut jouer un rôle important en la matière. Je compte y travailler avec les équipes de recherche et développement et d'ingénierie.

M. Joël Labbé. - Cette réponse me satisfait.

M. Daniel Raoul, président. - L'hydraulique est une énergie 100 % renouvelable. On ne peut à la fois défendre les énergies renouvelables et faire obstacle à leur développement.

Merci, il ne nous reste plus qu'à voter. Nous n'aurons pas le résultat dans l'immédiat, puisque les bulletins seront dépouillés en même temps que ceux de l'Assemblée nationale.