Mardi 25 novembre 2014

- Présidence commune de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et de M. Jean-Pierre Raffarin, président affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Audition de M. Jacques Attali sur son rapport « La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable »

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, Mme Catherine Morin-Dessailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et moi-même, sommes heureux d'accueillir aujourd'hui M. Jacques Attali.

Monsieur Attali est l'auteur d'un rapport adressé au Président de la République intitulé : « La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable ». Ce sujet est l'objet de la réflexion commune de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Il s'agit d'un secteur dans lequel M. Legendre, que je salue, détient depuis longtemps des responsabilités.

La francophonie est un domaine où les notions d'économie et de croissance durable sont assez peu évoquées. Tout cela donne le sentiment que nos méthodes de travail sont embourbées dans une forme de nostalgie et de « notabilisation » qui n'est plus dans l'air du temps.

Ce sont donc des sujets qui nous importent, et nous sommes très heureux de pouvoir en débattre avec M. Attali à partir de ses propositions, qui nous permettent d'alimenter nos réflexions, à la veille de notre débat budgétaire.

La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je remercie la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat de nous accueillir.

Vous avez rappelé, Monsieur le président, l'intérêt pour la francophonie que partagent nos deux commissions. La commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat s'est fortement investie sur ce sujet. Qu'il me soit permis, à cette occasion, de saluer M. Legendre, pilier de notre commission sur cette question pendant de longues années, et « aiguillon » pour l'ensemble de nos collègues.

Le sommet de la francophonie, ce mois-ci, à Dakar, est l'occasion de poursuivre notre réflexion sur la francophonie contemporaine, une francophonie du XXIe siècle, qui doit relever tous les défis liés au développement et à la croissance.

Notre commission s'intéresse également aux nouvelles technologies. Dans ce monde, dont la globalisation s'accélère grâce à la mutation numérique, quelle va être la place de la langue française ? Il ne faut pas être passéiste, ni nostalgique mais, au contraire, s'emparer des nouveaux outils qui existent, et se doter de politiques opportunes, afin de pouvoir entrer dans ce nouvel écosystème qui, pour l'instant, est plutôt sous domination anglo-saxonne.

Monsieur Attali pourra nous éclairer utilement sur cette préoccupation...

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Monsieur le rapporteur, vous avez la parole...

M. Jacques Attali. - Je ne suis pas rapporteur. Les rapporteures sont ici. Il s'agit de Mme Adrienne Brotons et de Mme Angélique Delorme, qui ont été les véritables chevilles ouvrières de ce rapport, qui nous a amené à entendre des centaines de personnes et d'institutions, tant en France qu'à travers le monde.

C'est un grand honneur pour moi de vous dire en quelques mots l'importance de ce sujet, d'autant plus que le prochain sommet de la francophonie, qui va se tenir la semaine prochaine, n'en parlera naturellement pas. Il ne parlera, selon moi, que d'Ebola, du climat, du successeur de M. Diouf, et du Burkina Faso, sujets fondamentaux, mais qui n'ont pas le moindre rapport avec la francophonie ! C'est dans la nature des choses. Ce sommet sera suivi par un forum privé sur l'économie et la francophonie, qui constituera une conférence parmi d'autres, et avant beaucoup d'autres. Oublions cette parenthèse, et essayons de voir si quelque chose de sérieux peut émerger de ce sujet...

Pour moi, la francophonie est un sujet doublement politique, qui renvoie au coeur de notre histoire. Pour beaucoup de Français, la francophonie est vécue comme une blessure, qui fait référence au monde colonial et à la défaite. C'est un thème que l'on n'apprécie guère.

La francophonie est également considérée comme un sujet anecdotique, marginal. Dans les ministères qui traitent de ces questions, on préfère s'intéresser - pardonnez-moi, Monsieur le président - à la Chine, aux Etats-Unis, et à d'autres questions à la mode, sujets qui ne sont d'ailleurs pas sans importance, plutôt qu'à la francophonie. Celle-ci passe donc au second plan.

Cependant, il est fondamental, dans cette période très particulière de l'histoire de France, de ne pas oublier l'amour de la France, de la culture française et de la langue et, ce faisant, de les laisser aux extrêmes. Le patriotisme linguistique est, selon moi, la meilleure réponse au Front national. Trop peu de gens le comprennent, trop peu de personnes le prennent en charge. Le Front national lui-même, très embarrassé à l'égard de la francophonie, qui pourrait amener quelques sympathies vis-à-vis des personnes avec lesquelles il n'a aucun atome crochu, laisse cette question en déshérence.

J'invite tous les véritables démocrates à considérer que la francophonie est une bataille politique majeure sur le territoire national.

J'ajoute que, pour ces raisons, parmi tous les pays francophones à travers le monde, la France est le pays le moins favorable à la francophonie ! Elle ne nous intéresse pas, au point que l'on peut imaginer que la francophonie, d'ici un certain temps, se développe sans la France - ce qui est en train de se produire de façon assez large.

Pourtant, la francophonie n'est pas un sujet parmi une longue série diplomatique, abordé entre la tragédie du Kurdistan et le problème des pingouins. Il s'agit d'un projet qui, selon moi, devrait être aussi structurant que le projet européen. Il y a place, d'ici trente ans, pour une Union francophone aussi intégrée que l'Union européenne. Cela montrerait que l'Union européenne n'est pas un carcan, mais un ensemble qui ne nous empêche pas d'être membres d'un autre ensemble, dans lequel la France aurait une influence plus grande que celle qu'elle est en train de perdre progressivement au sein de l'Union européenne, pourtant si nécessaire à notre avenir.

La francophonie représente aujourd'hui 4% de la population mondiale, mais 16% du PIB mondial, 14% des réserves naturelles mondiales, un taux de croissance moyen depuis quinze ans de 7% par an. Deux cent vingt millions de personnes parlent le français en première ou deuxième langue. Le continent africain, je le rappelle, va passer d'un à deux milliards d'habitants d'ici à 2050. J'ai toujours pensé et dit que le XXIe siècle ne serait pas le siècle de la Chine, mais le siècle de l'Afrique, pour le meilleur ou pour le pire. Potentiellement, la francophonie peut représenter environ 750 millions de locuteurs, sans compter tous ceux dont je vais parler par ailleurs...

La théorie des langues, qui constitue une dimension nouvelle, très moderne et très intéressante de la théorie économique, montre que l'on traite 70% d'affaires en plus entre personnes parlant la même langue. La francophonie présente donc un potentiel de croissance gigantesque.

La francophonie ne concerne pas que les pays francophones. Certains pays voisins ont également besoin de parler français. Le Nigeria, qui est entouré de pays francophones, a désespérément besoin de professeurs de français, de comprendre le français, de vivre en français ; il demande des moyens de développer notre langue. C'est également le cas d'autres pays africains, qui ont compris l'importance de notre langue, même s'ils sont moins enclavés dans des zones francophones, comme l'Ethiopie, pays dont on parle peu, qui sera l'une des trois plus grandes puissances africaines d'ici vingt ans. Il y existe une demande majeure de français. C'est pourtant un pays que l'on ignore, tout comme on ignore l'Indonésie, qui est l'une des grandes puissances de demain.

Certaines nations ont besoin de passer par le français pour s'implanter en Afrique. C'est le cas du Japon, qui l'a très bien compris ; beaucoup de Japonais viennent en France pour apprendre le français avant de se rendre en Afrique. C'est aussi le cas de la Chine qui, après avoir tenté de développer des instituts Confucius en Afrique, a compris qu'il valait mieux disposer de ressortissants parlant français pour commercer avec l'Afrique. On compte 30 000 étudiants chinois en France et, dit-on, dix millions de Chinois - ce qui n'est rien, par rapport à la population globale - qui apprennent le français en Chine.

D'autres populations, dans des pays qui ne sont pas francophones et qui n'ont pas de raisons de l'être, sont cependant francophiles et francophones. C'est une catégorie que l'on a désignée, dans le rapport, sous le nom de « francophilophone ». Si vous trouvez le temps de le feuilleter, vous découvrirez en annexe une centaine de témoignages de personnes puissantes, à travers le monde, qui parlent parfaitement français, et qui ont bien voulu apporter un message en français pour expliquer leur amour de la France. Cela va du ministre des finances allemand, M. Wolfgang Schäuble, à la présidente mondiale de PepsiCo, une indienne devenue américaine, en passant par des dizaines d'autres hauts fonctionnaires, ambassadeurs, hommes d'affaires du monde entier, dans des pays aussi invraisemblables que l'Arabie saoudite, le Kenya, la Bolivie, l'Argentine, le Brésil ou la Chine, où l'on trouve des francophones importants et puissants.

Il s'agit d'un réseau immense. Nous sommes potentiellement le second espace linguistique du monde, face à l'anglais, plus que l'espagnol à terme - bien que l'espagnol conquière les Etats-Unis. Ce n'est pas pour autant que cela se fera naturellement. Le plus vraisemblable n'est pas qu'il y ait 700 millions de locuteurs français dans trente ans, mais 120 millions, et que le français disparaisse, pour au moins deux raisons de fond.

En premier lieu, nous sommes de moins en moins capables de maintenir l'enseignement en français dans les pays francophones ; tout l'environnement scolaire et universitaire en français est en train de se délabrer, faute de moyens de notre part, faute de moyens de ces pays, et faute d'un accueil des étudiants étrangers. On ne dira jamais assez le tort terrible qu'a pu causer à la francophonie la circulaire Guéant relative aux étudiants étrangers ! Aujourd'hui encore, on croit que cette circulaire est applicable, ou que si un changement de majorité intervient en France, elle sera remise en vigueur. Pourquoi envoyer ses enfants étudier en France, si c'est pour qu'ils soient expulsés une fois leur diplôme acquis ?

Le sentiment que la France ne va chercher ni les élites, ni les jeunes, poussent ceux-ci à mener très tôt des études dans d'autres langues. Les autres pays l'ont très intelligemment compris, et envoient des chasseurs de talents dans les pays francophones, partout à travers le monde, trouver les meilleurs et les emmener chez eux pour qu'ils étudient dans leur langue. Ce n'est pas propre aux pays de langue anglaise, mais également le cas de l'Allemagne, qui a une politique extrêmement ambitieuse de ce point de vue, comme dans bien d'autres domaines européens.

Il existe une seconde raison pour laquelle on peut penser que le français est très menacé. Les technologies, dont vous avez dit à juste titre qu'elles représentaient un défi, jouent en effet contre nous.

Je me permettrais ici un bref rappel historique. Beaucoup ont pensé que l'imprimerie, quand elle est apparue, à la fin du XVe siècle, allait entraîner la généralisation du pouvoir de l'Eglise, en permettant de distribuer des bibles imprimées à bas prix, ainsi que la généralisation du latin, grâce à la vente à bas coût de livres imprimés en latin. On a en effet imprimé la Bible à bas prix, mais les gens se sont rendu compte que ce que racontaient les prêtres n'avait rien à voir avec ce qui était écrit dedans, et qu'on pouvait avoir accès, grâce à l'imprimerie, à d'autres textes. C'est ce qui a permis à la Renaissance et au mouvement protestant de voir le jour.

Par ailleurs, on a certes imprimé des livres en latin mais, vingt ans après l'imprimerie, on a édité des grammaires en langue vernaculaire, la première en espagnol, la deuxième en français. Comme vous le savez, le latin a disparu à partir de 1520. Les technologies ont donc conduit à la diversification, et non à l'unification.

C'est ce qui est en train de se passer aujourd'hui : les nouvelles technologies permettent de faire de la radio, de la télévision, de communiquer dans toutes les langues. Les technologies qui vont apparaître par la suite vont bouleverser la traduction simultanée et automatique, ainsi que la traduction orale. Elles vont offrir à chacun la possibilité de s'enfermer dans sa langue. Ni le français, ni l'anglais, n'ont plus de raisons d'être. Nous entrons dans une longue période de balkanisation humaine et d'autisme, avec tous les dangers que cela peut comporter !

Il ne faut donc pas croire que l'avenir du français soit garanti, ni que le royaume triomphant de la francophonie pourra se réaliser sans nous. C'est une grande bataille qui n'est pas commencée, qui n'est pas pensée. Nous avons voulu démontrer, dans ce rapport, que cela passe par le fait de continuer à essayer d'imposer de vivre en français en France. C'est la moindre des choses. Or, même si la France n'obéit pas au communautarisme britannique ou américain, et demeure le seul pays à avoir imposé le « melting pot » - mot britannique pour désigner la laïcité française -, on n'en a pas pour autant l'assurance.

Certains ici le savent mieux que personne : il arrive assez souvent que l'on vive dans d'autres langues que le français sur le territoire national. C'est une bataille majeure : on ne peut imposer le français, ou le faire rayonner, si on n'est pas capable de le faire respecter ici même. C'est dire l'importance de l'apprentissage du français aux immigrés, l'apprentissage du français aux familles de première et de deuxième génération. Or, on ne mène pas véritablement cette politique car on considère ce fait comme acquis.

En second lieu, ce rapport met en évidence le fait qu'il existe un véritable besoin de développer l'enseignement en français, de la maternelle à la terminale, dans tous les pays du monde.

Les magnifiques lycées français et les différents systèmes d'enseignement public des pays où l'on enseigne encore en français sont en situation difficile et on ne peut imaginer, au vu de la situation budgétaire, de créer les conditions de leur développement. Il existe donc une place pour un groupe privé d'écoles françaises, comme il existe des groupes privés de maisons de retraite, de cliniques, etc. C'est là une belle aventure, pour un groupe industriel français. La puissance publique « à la Colbert » pourrait en être à l'origine. Nous plaidons pour que la puissance publique se saisisse de ce projet et fasse naître un champion dans le secteur de l'éducation, tant réelle que virtuelle. Celle-ci va en effet devenir un des grands secteurs économiques de demain.

Il y a, dans ce rapport, beaucoup d'autres propositions. Celles-ci portent sur la culture, l'enseignement à distance, l'enseignement par Internet, le développement de chaînes de télévision virtuelle, sorte de Netflix en langue française. Il est nécessaire d'imposer ou de faire rayonner le droit continental, le droit français, par opposition au droit anglo-saxon qui, aujourd'hui, est au coeur de ce que pourrait être, dans le pire des cas, le traité transatlantique.

Voilà, trop rapidement esquissés, Madame la présidente, Monsieur le président, les grands axes de ce rapport. Je demeure cependant pour l'instant assez sceptique quant au fait que ces éléments soient pris en compte par qui que ce soit !

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci pour cette analyse, qui rejoint un certain nombre de constats. Le président Diouf a notamment estimé, s'agissant de l'enseignement du français, que le problème ne provenait pas de la demande, mais de l'offre. Si l'on crée un second lycée français à Madrid, ou ailleurs, on attend toujours un autre lycée français à Tunis ! Il s'agit là d'une véritable responsabilité.

Je rejoins M. Attali : on a du mal à tenir compte de cette question, notamment au coeur même de notre diplomatie, chez les plus jeunes de nos diplomates. On a le sentiment que le sujet n'est pas moderne, qu'il n'est pas attractif, qu'il n'est pas à la mode, comme vous le disiez tout à l'heure.

La parole est aux commissaires.

M. Gilbert Roger. - Merci, M. Attali, pour votre exposé. Quelle serait la première mesure qu'il faudrait prendre pour sortir de notre réflexion franco-française, où chaque ministre possède son morceau de francophonie ? Comment être offensif et imaginatif ?

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Monsieur Attali, vous avez affirmé que les échanges commerciaux sont facilités par l'usage d'une même langue. Il est important de le répéter. Les pays francophones représentent, si je ne m'abuse, 16% de la population mondiale, 14% du revenu national brut mondial et 11% des échanges mondiaux de produits et de services culturels. Des études ont démontré qu'une augmentation de 10% des échanges de biens culturels accroît le commerce de près de 4%, ce qui est énorme.

J'ai le sentiment que les pays francophones ne savent pas se vendre, ni donner envie à la jeunesse mondiale d'apprendre notre langue. Certes, on a envie de transmettre une certaine érudition, mais est-ce ainsi que l'on donnera envie aux jeunes du monde entier d'apprendre le français ? Ne pourrait-on diffuser des programmes moins élitistes, moins « culturels » ? Ne fait-on pas rêver la jeunesse avec des séries télévisées tournées à Saint-Tropez, à Marseille, avec des émissions de téléréalité ou des radio-crochets ? Ce n'est pas notre tasse de thé, mais c'est bien ce que les jeunes regardent de nos jours !

Les pays anglo-saxons ont su se vendre et accrocher la jeunesse. Si l'on veut que les jeunes entrent dans les lycées français dans le monde, il faut leur en donner l'envie.

J'ai l'occasion d'aller de temps à autre en Roumanie et au Liban. Je suis atterrée de constater que personne ne parle plus français en Roumanie, dès lors qu'il s'agit de personnes de moins de quarante ans. C'est dramatique ! On ne peut plus converser qu'en anglais ! Moi qui suis francophone, j'ai très envie que l'on s'adresse à moi en français !

De temps en temps, un chauffeur de taxi lâche deux mots dans notre langue, mais il ne l'a manifestement jamais entendu parler. Il faut donc faire un effort en sens.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Comme l'a dit un grand intellectuel français : il faut donner l'envie d'avoir envie ! (Sourires).

Mme Hélène Conway-Mouret. - On a certes tendance à se concentrer sur ce qui ne fonctionne pas, mais on constate une prise de conscience du rôle que joue notre enseignement du français à l'étranger. Il est bien plus diversifié que ne l'est celui qui est dispensé dans les écoles de notre territoire national, qui accueillent les enfants à la maternelle et les voient en sortir au baccalauréat. Nous disposons ainsi de toute une gamme d'outils. Vous avez évoqué l'enseignement à distance, mais il existe d'autres dispositifs - Français langue maternelle (FLAM), ou label « France éducation ».

Encore faut-il, pour rebondir sur ce qui vient d'être dit, avoir envie de parler français. Nous avons besoin de transmettre ce goût aux jeunes du monde entier. Je partage votre analyse quant aux 700 millions de locuteurs français qui sont annoncés. Il est vrai que, si l'on n'y prend garde, ces personnes vont se tourner vers l'anglais, comme en Afrique, où on apprend plus naturellement l'anglais que notre langue. Comment, selon vous, donner l'envie de parler le français ?

Mme Dominique Gillot. - Monsieur Attali, vous avez établi une liste de pays où il existe une demande de français, notamment dans les pays francophiles d'Afrique, mais non encore francophones. J'ai eu l'occasion, au début du mois de septembre, de me rendre dans le Kazakhstan, qui veut développer la francophonie pour affirmer son attachement au bloc européen, et marquer son émancipation vis-à-vis du bloc soviétique. D'ici quelques semaines, le Président de la République va se rendre dans ce pays avec une délégation d'universitaires, pour signer des contrats de coopération avec les universités kazakhes, afin de répondre à leur appel.

Je n'avais pas perçu cet état de fait avant ce voyage. J'ai pu constater une demande et un engouement stratégique qui reposent sur une volonté politique. Avez-vous un commentaire à apporter à ce sujet ?

M. Jacques Attali. - Quelles réformes administratives mener ? De nos jours, tant de personnes sont responsables, que personne ne l'est plus ! La solution idéale serait que le Premier ministre et le Président de la République établissent un programme clair, qui pourrait être emprunté en partie ou en totalité à ce rapport, que l'on se donne deux ans pour le mettre en oeuvre, comme dans une entreprise, et que l'on décide que quelqu'un - si possible un ministre de haut niveau - en ait la charge, avec autorité sur les services pour mettre en oeuvre ces propositions.

Il faut une autorité responsable : aujourd'hui, elle n'existe pas, et n'existera jamais, chacun ayant intérêt à une certaine dilution, pour reprendre la phrase du cardinal de Retz, qui reste un des trois grands principes de la conduite de la vie publique dans ce pays : « Dans la vie publique, comme dans la vie privée, on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment. », les deux autres principes étant : « Après moi, le déluge. », et : « Il n'est pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre. »

Par ailleurs, comment apprendre le français ? Je demeure un grand amoureux de la « Princesse de Clèves », et j'espère que l'on continuera à l'enseigner, car c'est un grand roman que l'on ne doit pas oublier. Cependant, Mme Goy-Chavent a raison : l'enseignement peut être très différent. J'ai eu tort de ne pas citer l'Alliance française, qui joue un rôle très important.

Il m'arrive souvent de citer l'exemple de cette jeune indienne passionnée de français, qui décide un jour d'aller à l'Alliance française de sa ville natale, Chennai, l'ancienne Madras, rencontre un professeur de français qui n'a qu'une passion dans la vie, Enrico Macias, apprend par coeur ses cent cinquante chansons, et devient un peu plus tard américaine, présidente mondiale de PepsiCo, jusqu'à ce qu'elle vienne un soir chez moi, chanter avec Enrico Macias ! Voilà un détour pour apprendre le français qui n'est pas banal !

C'est pourquoi la production de séries françaises - meilleures, je l'espère, que celles que vous avez évoquées - commencent à apparaître. La chaîne, transfuge de Canal Plus, « A + », destinée à l'Afrique, qui va commencer à commander des programmes en français avec une scénographie et une histoire africaine, va sans doute jouer un rôle très important dans ce domaine. Il ne faut pas l'exclure.

Le Centre national d'enseignement à distance (CNED) est un désastre - ses responsables, qui sont des personnes sérieuses, en conviennent -, à la fois à cause de la façon dont on y travaille, et de la façon dont on y enseigne. Le CNED n'a pas franchi le cap de ce qu'on appelle en français la Formation en ligne ouverte à tous (FLOT) : les cours par Internet n'existent pas de façon sophistiquée en français, et mériteraient d'être développés !

Cette envie de français n'est pas le principal problème. Il m'arrive, comme vous, de me promener à travers le monde. La passion de la France, l'admiration pour la France, l'envie de France sont immenses. Cette envie pourrait décliner si nous ne sommes pas capables d'y répondre. Nous refusons aujourd'hui des visas à des étudiants étrangers, qui ne savent même pas où se loger en arrivant à Paris ! À Londres, ou aux Etats-Unis, un étudiant étranger qui arrive à l'aéroport dispose déjà de son logement, de sa carte d'étudiant, de sa carte de bibliothèque, de son assurance. Dans notre pays, alors qu'il maîtrise difficilement notre langue, il ne bénéficie de rien de tout cela, et doit s'adresser à des organismes différents, patienter dans des files d'attente interminables. C'est incroyablement rédhibitoire !

Nous sommes une nation rurale, non une nation portuaire. Nous ne sommes donc pas une nation accueillante. Seules les nations portuaires le sont. Ce n'est que par miracle que nous sommes - paraît-il - le premier pays touristique du monde, même si on sait que les chiffres sont faux. C'est ce qu'il faut changer.

Madame Gillot, vous avez évoqué le Kazakhstan. C'est un pays parmi d'autres où la demande de France est très importante, pour des raisons géostratégiques. Il est situé entre la Russie et la Chine, et ne souhaite pas dépendre de la Russie, comme l'Ukraine. Il ne désire pas non plus dépendre de la Chine, ou des seuls Etats-Unis. Nous arrivons donc à point nommé. C'est également une demande de l'Arménie ou d'autres pays du globe.

La demande de France s'explique par le désir d'aller vers une grande puissance, mais non vers une très grande puissance, qui peut créer les conditions d'une dépendance. Nous avons donc tout pour cela. L'envie de France existe ; ce qui n'existe pas, c'est la capacité à créer les conditions pour satisfaire cette envie !

M. Gaëtan Gorce. - Vous parlez d'une envie de France : la question est de savoir si la France portage cette envie ! Une langue, c'est évidemment le support d'une culture, d'une économie, mais c'est d'abord un message politique, une idée politique, une conception du monde. La francophonie s'est développée à une certaine époque, dans des conditions dont on pourrait discuter, mais ce message et cette volonté existaient alors.

La question que l'on peut se poser aujourd'hui est de savoir si la France, dans le monde tel qu'il se construit, considère qu'elle a une place et un rôle particulier à jouer. Si tel n'est pas le cas, comment peut-on faire revivre cette envie d'exister ? Pour le coup, c'est bien la question qui se pose.

Vous parliez des moyens de lutter contre certains extrémismes en faisant appel à la francophonie ; une façon de lutter contre ces extrémismes est aussi de redonner du sens à un engagement et à une ambition nationale. Pourquoi ne l'a-t-on plus ? Comment le recréer ?

M. Louis Duvernois. - Monsieur Attali, vous venez de dire que la francophonie est un enjeu politique majeur du XXIe siècle. C'est une opinion que je partage totalement.

Cela étant, nous sommes à la veille de l'ouverture du quinzième sommet de la francophonie à Dakar, les 29 et 30 novembre prochains, qui va réunir les chefs d'Etat et de gouvernement, et au cours duquel on élira un successeur à M. Abdou Diouf. Traditionnellement, le poste de secrétaire général revenait à un Africain.

Cette année, l'Afrique, laissée un peu à elle-même, faute d'engagement de notre pays, il faut le dire, se présente en ordre dispersé, avec un risque majeur, celui de voir émerger une candidate venant d'un pays du Nord, le Canada, ancien gouverneur général, qui a représenté la reine d'Angleterre, en tant que chef du Commonwealth. On risque donc, dimanche, de se retrouver au secrétariat général de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) avec une candidate qui a été durant quelques années chef du Commonwealth, nonobstant les qualités de cette personne. J'aimerais connaître votre sentiment sur une situation qui risque d'avoir des conséquences majeures sur le plan institutionnel pour l'avenir et le développement de la francophonie.

M. Jacques Legendre. - C'est avec grand plaisir que nous écoutons M. Attali nous dire qu'il n'entre pas dans ce présupposé merveilleux selon lequel nous serions en marche vers les 700 millions de francophones ! Certes, la population africaine se développe, mais si ses systèmes éducatifs demeurent en l'état, l'Afrique ne comptera jamais 700 millions de francophones ! Il faut le préciser, car notre responsabilité est pour partie engagée. Je vous remercie donc de le souligner.

Vous avez soulevé beaucoup de problèmes, et vous nous donnez d'ailleurs une sorte de leçon : on connaît l'éternelle légèreté française qui consiste à ne pas prendre au sérieux des sujets qui sont parmi les plus graves. Pour un homme politique, parler de francophonie est redoutable : on passe pour un « ringard », un colonialiste « attardé », et on n'a pas l'impression de se projeter dans l'avenir !

Vous avez insisté sur la nécessité de vivre en français en France : vous avez raison. Cela relève de l'enseignement du français et de la maîtrise par les jeunes de notre langue dans certains secteurs désavantagés ou difficiles. Il existe cependant également des Français qui ne peuvent plus utiliser leur langue, en France, sur leur lieu de travail. Cette situation se développe, certaines entreprises ayant décidé, en France, de faire de l'anglais la langue véhiculaire de leur société. Cela peut même être un moyen de sélection des dirigeants ! Trouvez-vous cela normal ? Que peut-on faire pour rappeler qu'en France, la langue nationale et la langue d'usage restent bien le français ?

Par ailleurs, vous avez appelé de vos voeux le développement de groupes privés d'écoles françaises. L'Etat ne peut tout faire, vous avez raison, et ce recours peut être utile. Certains de ces groupes se développent déjà : j'en ai un très bel exemple dans ma région, le Nord-Pas-de-Calais, où une très grande école de commerce privée est en train d'essaimer dans le monde entier. Bien qu'elle soit installée à Lille, elle a décidé que la langue d'enseignement serait l'anglais !

Je le conçois pour des étudiants étrangers, à qui il peut être utile de dispenser un enseignement sans barrière de langue, dans la langue qu'ils maîtrisent déjà - en espérant qu'ils maîtriseront aussi le français -, mais tout de même ! Cette tendance se développe de plus en plus.

Lors de l'examen de la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, dite loi Fioraso, on a essayé, vaille que vaille, d'encadrer le recours à une langue autre que le français dans l'enseignement supérieur.

Il faut être conscient des conséquences que cela peut avoir sur les étudiants africains. Je revois cette jeune étudiante nigérienne, particulièrement brillante, venue étudier dans une grande université française, qui s'est vue imposer des cours d'économie en langue anglaise ! Elle m'a confié qu'elle ignorait, lorsqu'elle a choisi de suivre sa scolarité en français au Niger, que sa difficulté, une fois à Paris, serait de maîtriser suffisamment l'anglais pour suivre les cours d'une université française.

Cela pose, pour les pays africains, le problème de savoir s'ils doivent continuer à garder le français comme langue d'accès à la modernité, ou s'ils doivent passer à une autre langue. Il est clair que la connaissance de deux langues, comme le français et l'anglais, est nécessaire dans un certain nombre de pays, mais que peut-on faire pour avoir, en France, une politique cohérente, et cesser de traiter trop légèrement un sujet qui engage l'avenir ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci pour ce rapport, M. Attali. Il est très important de mener cette étude de fond et de sensibiliser le public à la francophonie économique. La francophonie ne se développera en effet que dans un contexte économique. Dans ce monde globalisé où nous vivons, les jeunes se tournent d'abord vers les pays où ils ont une chance de trouver un emploi.

En Amérique latine, les alliances françaises fonctionnent remarquablement bien : beaucoup de personnes suivent en effet des cours de français pour se rendre au Québec, où ils pensent facilement trouver un emploi. Tout un travail économique est donc à mener dans notre propre pays.

Pour en revenir à votre rapport et à l'insuffisance de l'enseignement du français à l'étranger, je citerai l'exemple de Madagascar, qui est redevenu un pays de la francophonie, mais où l'on ne parle plus le français ! On ne peut surtout plus vraiment l'enseigner, faute de professeurs suffisamment compétents ! Nous avons donc des efforts très importants à réaliser pour former les personnes qui se destinent à l'enseignement de notre langue aux populations locales.

Dans les pays anglo-saxons, toute une classe d'âge de jeunes part un an à l'étranger et finance ses déplacements en enseignant l'anglais un peu partout dans le monde. Ce n'est pas dans notre culture mais, dans un contexte de crise économique, il serait bon d'encourager de jeunes chômeurs à aller enseigner le français à l'étranger, en leur enseignant bien sûr les techniques pédagogiques pour ce faire.

Vous parliez des écoles privées : nous disposons déjà des alliances françaises. Il nous faut donc les soutenir, car elles ont énormément de difficultés financières dans certains pays. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous sur le fait d'encourager le volontariat international en entreprise (VIE) dans les pays francophones. Au contraire, nous avons besoin de les encourager dans les pays non francophones, d'où l'idée de disposer de jeunes qui pourraient enseigner le français dans différentes écoles, à Madagascar ou en Afrique.

On ne parle plus français en dehors de Dakar, mais peul, faute d'enseignants capables, et c'est terrible...

Concernant la loi Fioraso, je souscris à ce qu'a dit M. Jacques Legendre. Je me suis beaucoup battue contre cette loi, qui constitue une hérésie et envoie un très mauvais signal. Nous passons notre temps à émettre des signaux négatifs. Nous parlons maintenant anglais dans certaines de nos réunions, et les parlementaires exclusivement francophones sont les premiers à expliquer qu'il ne faut surtout pas apprendre le français aux enfants, la France étant elle-même incapable de se battre en faveur de sa propre langue !

M. Jacques Grosperrin. - Je ne sais si j'ai « pris le pouvoir sur ma vie » - c'est un clin d'oeil en direction d'un livre qu'on m'a offert hier -, mais j'ai pris le temps de lire votre rapport, M. Attali. J'ai compris toute l'importance économique qui s'attache au renforcement de la francophonie et de la communauté francophone.

J'aimerais cependant que vous nous apportiez un éclaircissement sur l'offre d'enseignement du français et en français, partout dans le monde. Vous prônez l'émergence d'un nouveau groupe privé d'écoles françaises ; vous souhaitez également développer l'activité du CNED, et élargir les missions de « France Université Numérique » (FUN). Pourquoi vouloir développer des groupes d'écoles privées sous contrat pour enseigner le français ? Considérez-vous que notre système d'enseignement public soit trop faible ?

Par ailleurs, vous ne faites pas état des acteurs essentiels de la diffusion du savoir de haut niveau dans l'espace francophone que sont les universités thématiques, notamment l'université juridique francophone. Ces plateformes permettraient pourtant de mettre en ligne les cours des meilleurs universitaires français. Pourquoi ne les identifiez-vous pas comme un levier possible du développement de la francophonie ?

M. Jacques Attali. - La question de M. Gorce devrait être la question centrale du débat politique français : qu'est-ce qu'un projet français ? C'est une question à laquelle chacun d'entre nous a sa réponse. Votre assemblée doit, mieux que quiconque, savoir le définir. J'aimerais que le débat national entre vous porte sur cette question, et non sur d'autres. Je vous laisse le soin d'en discuter.

Je fais mienne la phrase de cet écrivain algérien, qui disait : « Ma patrie, c'est la langue française. » Il s'appelait Albert Camus... Le patriotisme linguistique est une vraie valeur, qu'il faut revendiquer en tant que telle, et décliner de façon systématique. Il existe une différence entre un homme politique et un homme d'Etat : l'homme d'Etat doit toujours penser à la grandeur de la France, employer ce mot sans emphase, mais de façon concrète, pratiquement dans chacun de ses discours, en trouvant une façon, sur quelque sujet que ce soit, de décliner cette ambition.

J'ai eu le privilège de travailler avec un Président de la République qui y pensait tous les jours, même si cela avait aussi une dimension personnelle mégalomaniaque, puisqu'il s'associait lui-même à cette grandeur - mais c'est un autre sujet...

Vous avez évoqué le choix du secrétaire général de l'OIF. C'est un enjeu majeur. On peut en effet reprocher à la France de se trouver dans la situation où nous sommes aujourd'hui. Je ne saurais le dire... Je pense que la France a très longtemps pensé que le choix devant se porter sur un Africain, il importait que cet Africain soit choisi par les Africains, et non que ce choix soit dicté par la France.

Même si je sais, pour en avoir été informé - pour parler simplement - que différentes tentatives ont été menées pour susciter des candidatures plus ou moins avortées d'Africains qui auraient pu être de grands candidats, il est vrai que c'est un délice pour les hommes d'Etat que de s'occuper des nominations. C'est le dernier pouvoir de droit de vie et de mort dont ils disposent !

Cette nomination va prendre du temps, et je partage votre point de vue : sans en faire une question de personne, le fait de nommer quelqu'un qui n'est pas Africain serait un désastre, ne serait-ce que parce que l'actuel numéro deux de l'organisation, un remarquable Canadien, devrait céder la place. Or, c'est lui qui « gère la boutique », et ce ne serait pas une solution idéale. Les conséquences en chaîne seraient désastreuses ! J'espère qu'on saura l'éviter. J'ai l'impression qu'une prise de conscience a eu lieu - mais je ne saurais dire ce qui se passera samedi ou dimanche à Dakar, où je n'irai d'ailleurs pas, n'y ayant pas ma place...

La question des entreprises qui ont choisi d'employer l'anglais sur notre sol national est une question importante et difficile. La question de la loi Fioraso est un sujet compliqué.

J'ai reçu hier soir un courrier électronique d'un ami français, président d'une très grande entreprise française, qui me mettait en copie d'un message qu'il échangeait avec l'un de ses collaborateurs français. Ce message était en anglais. Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a expliqué qu'il avait mis ce courrier électronique en copie à l'un de ses autres collaborateurs, à New York. Je lui ai demandé quelle était sa nationalité. Il m'a répondu qu'il était également français !

L'ONG que je préside dispose de collaborateurs de toutes nationalités dans quarante pays, et je dois dire que notre langue de travail demeure pour l'essentiel le français mais, lorsqu'un Chinois qui dirige un bureau quelque part ne parle pas français, on est obligé de lui écrire en anglais. Il n'y a pas d'autre solution. Lorsqu'on met tout le monde en copie, la courtoisie consiste à rédiger également le message en anglais.

C'est un vrai risque. L'influence française est très importante. C'est une question de rapport de force, qu'il est important de maintenir.

Les universités qui enseignent en anglais sur le sol français sont très dangereuses. Il faut évidemment maintenir l'enseignement en français. Au début, j'étais totalement opposé à l'enseignement en anglais, que je trouvais une très mauvaise idée. Je me suis rendu compte, en observant les choses de plus près, qu'enseigner en anglais à des gens qui ne seraient pas venus sans cela est une façon de les amener à la francophonie.

Beaucoup de Chinois viennent étudier à Sciences Po ou dans d'autres universités et ne comprennent que l'anglais. On peut espérer qu'ils aient un petit ami français ou une petite amie française, ce qui est la meilleure façon d'apprendre une langue !

Mme Dominique Gillot. - Il faut aussi tenir compte de l'obligation de l'apprentissage du français comme langue étrangère. On peut donc espérer que les étudiants anglophones repartiront francophones...

M. Jacques Attali. - J'ai évoqué cet argument : on m'a expliqué que si on impose cette obligation, on perdra les meilleurs étudiants, qui ne veulent pas de ce principe. Les étudiants en physique nucléaire, par exemple, choisiront Princeton.

Par ailleurs, la question de la formation des populations locales relève du problème de la poule et de l'oeuf. Madagascar est en effet un exemple de déshérence. C'est aussi le cas du Vietnam, où il existe une très forte demande.

Cependant, le Vietnam est en train de redevenir francophone grâce, d'une part, au fait que la santé est aux mains d'une influence française, d'autre part, au fait que les médecins sont formés en France. Les hôpitaux français entretiennent donc avec ce pays des rapports extrêmement suivis. Par ailleurs, par le hasard de la vie, beaucoup d'entreprises françaises du Vietnam sont dirigées par des Français très patriotes, qui imposent à leurs collaborateurs vietnamiens de parler français !

Pourquoi préconiser des écoles privées ? Tout simplement parce que les écoles publiques ne peuvent suffire.

M. Robert del Picchia. - Elles n'ont pas assez d'argent !

M. Jacques Attali. - En effet, il n'y a pas non plus assez d'argent pour tout financer. Je sais qu'il est difficile, pour beaucoup d'entre nous, d'associer le commerce et l'éducation, mais il faut admettre que les écoles « libres » - que je n'ai personnellement jamais appelées ainsi, car elles ne sont pas plus libres que les autres - ont toutes leur place dans ce système, en particulier celles que M. Grosperrin a évoquées tout à l'heure.

M. Jeanny Lorgeoux. - Pardonnez le caractère « ringard » de ma question, mais je me la pose depuis longtemps : l'apprentissage du français n'est-il pas indissociable de l'apprentissage du latin, de l'histoire et de la géographie ?

Mme Bariza Khiari. - Monsieur Attali, vous avez cité Albert Camus. Je vous renvoie à Kateb Yacine, ce grand auteur algérien qui a dit, au moment de l'indépendance : « Le français est notre butin de guerre. » Quelques décennies plus tard, Kamel Daoud répond à « L'étranger », de Camus, dans « Meursault, contre-enquête ». Je regrette d'ailleurs qu'il n'ait pu, à une voix près, obtenir le prix Goncourt...

C'est dire combien le français, dans les pays du Maghreb, a atteint un niveau remarquable. Il demeure toutefois l'apanage d'une certaine nomenklatura et des enfants de celle-ci, ce qui n'est pas sans poser problème : du fait de leur connaissance en langues étrangères, ils monopolisent en effet un certain nombre d'emplois.

On ne pense pas assez à enseigner la langue française aux classes moyennes et aux classes populaires : cela permettait des rapprochements. On ne forme dans ces classes que ce que j'appelle des « analphabètes bilingues », que je rapproche de ce que vous avez dit lorsque vous avez parlé de « vivre en français », formule à laquelle j'ai été sensible.

Si les pays du Maghreb forment des « analphabètes bilingues », mon quartier aussi ! Un rapport de Jacques Berque, que vous avez dû lire, préconisait l'apprentissage des langues d'origine à l'école. Faut-il ou non savoir qui l'on est et d'où l'on vient pour pouvoir aborder une autre langue que sa langue maternelle ?

Mme Marie-Christine Blandin. - La note de synthèse de votre rapport évoque les opportunités économiques ; je pense que nous serons tous d'accord pour dire que la francophonie construit la paix, dans une diversité culturelle bien comprise, où la parole française a toute sa place.

Nous approuvons vos propositions sur le soutien des établissements scolaires, l'accueil décent des étudiants étrangers. Il est également nécessaire d'accueillir les enseignants étrangers en langue française, qui réclament une formation continue sur nos territoires. Les collectivités peuvent jouer leur rôle de ce point de vue.

S'agissant du Vietnam, certains étudiants en médecine deviennent francophones en venant étudier en France. On trouve à la bibliothèque du centre culturel français de Hué des livres sur toutes les maladies existantes, parfois même au détriment des romans. Or, aucun fabricant de matériel médical n'est installé sur place, alors que nous disposons de toute une culture médicale francophone !

Vous avez cité un exemple de courrier électronique rédigé en anglais. Il y a un an, la délégation du Sénat au Vietnam a assisté à une réunion avec de grands chefs d'entreprise français et des ingénieurs au sujet de la pose de rails pour une nouvelle voie ferrée, en présence de deux dirigeants vietnamiens francophones. Les seuls à parler anglais étaient les ingénieurs français ! Nous les avons rappelés deux fois à l'ordre, mais ils ont replongé spontanément, et ont recommencé à s'exprimer en anglais ! Je m'interroge donc : nos entreprises jouent-elles donc le jeu ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Monsieur Attali a fait référence au Président de la République avec lequel il a travaillé. Je vous rappelle que j'ai travaillé avec un Président de la République qui quittait la salle de réunion quand les chefs d'entreprise ne parlaient pas français ! On peut manifester son désaccord dans de tels cas...

Mme Claudine Lepage. - Monsieur Attali, j'ai écouté avec une grande attention ce que vous avez dit. J'ai lu vos propositions, et j'adhère à certaines d'entre elles, tout en restant sceptique à propos de quelques autres.

Comme ma collègue Hélène Conway, je suis d'avis qu'il faut insister sur ce qui fonctionne. Notre réseau d'écoles françaises à l'étranger est victime de son succès, et nous disposons d'une offre diversifiée avec la Mission laïque française (MLF) et le label « France Education ».

On peut toujours améliorer les choses et certainement élargir encore cette offre. Vous parlez à ce propos de la création d'un réseau d'écoles privées. Il me semble que vous évoquez aussi une homologation ; dès lors que ces écoles seraient homologuées par le ministère de l'éducation nationale, en France, elles auraient automatiquement un coût qui pourrait être élevé pour nous. Il faut en effet, dans ce cas, envoyer des enseignants détachés. Il est aujourd'hui très difficile d'obtenir un détachement, puisqu'il n'y a pas assez d'enseignants en France.

Par ailleurs, les enfants binationaux ont également besoin de cette offre de français et ont droit à des bourses scolaires. Ces écoles privées, si elles sont homologuées, ne présentent pas un coût nul pour notre pays.

J'ai travaillé dans ce domaine avant d'être sénatrice, mais je me limiterai à une question. Dans son rapport sur la francophonie, le député Pouria Amirshahi a évoqué la création d'écoles francophones. En effet, la francophonie ne concerne pas que la France, mais aussi le Québec, la Suisse, la Belgique, ainsi que des pays d'Afrique. Pensez-vous qu'il soit possible de créer, à terme, des écoles francophones avec nos partenaires francophones ? Cela signifierait que nous nous mettions d'accord sur un financement et sur des programmes...

Mme Josette Durrieu. - Monsieur Attali, je prolonge le propos de Mme Khiari. J'ai pu constater, comme d'autres, qu'au Maroc, le personnel des hôtels ne parlait plus ou parlait difficilement le français. Dimanche, j'étais en Tunisie, à l'occasion des élections : tous les bureaux de vote étaient installés dans les écoles. On y enseigne le français partout ! Dans votre rapport, vous préconisez d'accompagner l'enseignement dans les écoles maternelles et dans les écoles primaires pour ceux qui quittent assez vite le système scolaire : c'est important.

J'en viens à présent au tourisme, que vous évoquez assez rapidement, mais qui revêt cependant un aspect important, dont le ministère des affaires étrangères a aujourd'hui la gestion. Ne devons-nous pas mener une action pour que le tourisme devienne le véhicule de la francophonie, et travailler sur ces outils que constituent les agences de voyage, les guides touristiques des différents sites, ou le personnel d'accueil, dans les hôtels notamment ? Je pense qu'il convient d'exploiter cette filière.

M. Christian Cambon. - Monsieur Attali, un certain nombre de nos collègues ont évoqué la situation au Vietnam. Or, nous essayons de réfléchir à ce qu'il conviendrait de faire pour améliorer la francophonie. Je pense que le Vietnam constitue l'exemple de l'échec de notre action en matière de francophonie.

Ce pays parlait merveilleusement le français. Quelques Vietnamiens, très âgés, sont encore capables de « réciter du Chateaubriand dans le texte » ! Actuellement, l'objectif des autorités vietnamiennes est de faire en sorte que 1% des Vietnamiens parlent français en 2020. Pourtant, c'est un pays qui a bénéficié de fonds importants. Vous avez pu le constater en tant qu'organisateur d'un certain nombre de forums de la francophonie : on a refait l'opéra de Hanoi, les collectivités territoriales et les régions ont apporté de très nombreux crédits en faveur des institutions scolaires, et de grandes écoles françaises ont créé des antennes d'enseignement dans ce pays. L'ancien lycée Albert-Sarraut de Hanoi a été entièrement financé par la région Ile-de-France. Or, on ne constate que très peu de résultats.

Je trouve très intéressant que des médecins ou quelques chefs d'entreprise portent haut les couleurs de la langue française, mais quel diagnostic portez-vous sur l'échec de l'action publique de la francophonie dans ce pays, qui a « pompé » des crédits invraisemblables en matière de coopération, notamment culturelle ? Pourquoi en est-on là dans une des régions du monde où il se passe le plus de choses en matière de développement économique ?

Par ailleurs, quel regard portez-vous sur TV5 Monde ? Tous ceux qui voyagent à l'étranger ou qui regardent TV5 Monde peuvent constater, avec étonnement, l'invraisemblance de la programmation, qu'il s'agisse de feuilletons canadiens insipides, de radio-crochets ou d'émissions du type « Qui veut gagner des millions ? », qui sont revendus à TV5 Monde, et qui donnent une assez piètre image de la culture. Je ne parle pas de France 24 - encore qu'il y aurait là un vrai sujet quant au fait de savoir s'il faut une chaîne de même nature que la BBC.

Cet instrument est un instrument très fort. Vous avez souvent rappelé la puissance de l'image dans les civilisations actuelles. Que pensez-vous de ces médias, financés par la France et les pays francophones ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Un certain nombre de choses ont été réalisées au Vietnam par la région Nord-Pas-de-Calais, du temps où elle était présidée par Mme Blandin. La coopération décentralisée y concerne également beaucoup d'autres collectivités locales.

Je rappelle qu'il existe, en Asie, de très belles filières professionnelles qui travaillent fort bien pour la francophonie, dont celle de la santé. C'est parce que Lyon, Nancy, Strasbourg accueillent chaque année des centaines de jeunes Chinois qu'il existe un hôpital à Wuhan, au coeur de la Chine, avec un service d'urgence bilingue sino-français, 30 000 Français vivant là-bas. Un Chinois, en neuf mois, à Strasbourg, apprend à la fois la médecine et le français !

On exclut du débat un certain nombre de filières, du fait d'une réflexion territorialisée, alors qu'il faudrait considérer le point de vue professionnel. Cela rejoint ce que l'on disait à propos des barrières absurdes que l'on met à l'entrée des étudiants en France, qui constitue pourtant une chance pour l'apprentissage de notre langue...

M. Jacques Attali. - Monsieur Lorgeoux a évoqué le latin. Je suis latiniste, et je garde une grande nostalgie à l'égard de cette langue. Pour ce qui est de l'avenir, les langues latines, dont j'ai dit que l'imprimerie avait contribué à leur affaiblissement, Napoléon III avait créé, non sans un certain génie, une Union latine. La francophonie, l'hispanité et la lusophonie auraient donc tout intérêt à oeuvrer de concert. Cela crée un ensemble qui dépasse de très loin le monde anglo-saxon.

En France, enseigner le français, l'espagnol, l'italien et le portugais de façon non pas cloisonnée, mais en recourant à l'interlocution, c'est-à-dire au fait que lorsqu'on parle une langue, on peut en comprendre deux autres, constituerait un outil majeur. Toutefois, les professeurs de langue estiment qu'on doit enseigner leur langue et non comprendre les autres. On pourrait pourtant conférer ainsi aux communautés latines une puissance considérable.

Je ne saurais que trop recommander la lecture du roman de Kamel Daoud, qui est admirable, et qui aurait mérité quelque prix. On ne peut malheureusement pas choisir à la place des jurys. C'est un exemple de francophonie magnifique, qui explique pourquoi la francophonie est ce qu'elle est. Il s'agit d'un roman sur le frère d'un mort « anonyme », qui renvoie à la dualité d'une Algérie anonyme aux yeux de la plupart des Français qui y vivaient à l'époque - dont moi-même.

Madame Blandin, vous avez évoqué l'importance de l'accueil des professeurs en langue française. C'est évidemment ainsi que nous pourrons mener l'essentiel des choses à bien.

Je ne pense cependant pas qu'il faille ouvrir la voie de l'apprentissage des langues d'origine à l'école. Qu'on puisse les apprendre comme seconde langue, oui, mais je reste partagé : toutes les neurosciences nous disent qu'on apprend mieux trois langues en même temps que trois langues successivement, contrairement à ce qu'on a cru pendant longtemps.

J'ai peur que si l'on apprenait trois langues simultanément à l'école, dont la langue d'origine, on place ensuite les trois dans une situation d'équivalence juridique, qui renverrait au communautarisme britannique, dont on sait combien il est mortel pour l'idée même de nation. Je préférais donc que l'on repousse l'apprentissage de la deuxième langue à plus tard, même si je peux comprendre son importance.

M. Robert del Picchia. - Pardonnez-moi, mais dans les lycées français à l'étranger, les enfants apprennent deux langues en même temps !

M. Jacques Attali. - Je parlais des citoyens français, et non des élèves étrangers...

M. Robert del Picchia. - Je parle également des citoyens français !

M. Jacques Attali. - Mes enfants ont étudié dans un collège français de Londres pendant des années : ils suivaient leur scolarité en français. Ils apprenaient l'anglais à côté, mais de façon mineure.

M. Robert del Picchia. - Cela a beaucoup changé ! C'est obligatoire...

M. Jacques Attali. - Je pense que c'est possible lorsqu'on est dans un pays étranger, car cela amène la connaissance de ce pays, mais enseigner une seconde langue équivalente à la langue française en France serait très dangereux pour l'identité nationale. Je demeure très sceptique à ce sujet...

Quant aux écoles privées, pour moi, l'homologation ne signifie pas la prise en compte des coûts. Une école privée doit demeurer privée. Je me souviens très bien du grand débat qui a eu lieu sur l'école libre il y a trente ans : l'école était libre, mais financée par l'Etat ! Les écoles dont je parle doivent trouver leur modèle, et demeurer totalement privées.

Le Maroc est l'exemple typique des pays où existe une énorme demande. Vous avez par ailleurs insisté sur le tourisme. J'aurais dû l'évoquer. On aborde ce sujet dans le rapport. Le tourisme est un outil majeur, et il est bien qu'il soit rattaché au ministère des affaires étrangères. C'est un outil considérable de développement, mais aussi de relations avec le français. Nous rappelons dans le rapport l'importance d'utiliser les alliances françaises comme instrument de promotion touristique. On peut même imaginer y associer les agences de voyage.

Pourquoi cet échec au Vietnam ? Je ne suis pas spécialiste de cette question, mais j'ai cru comprendre que cela renvoie à une décolonisation mal vécue. On n'a pas su choyer les élites comme les Américains ont pu intelligemment le faire, très rapidement. Nous ne sommes pas retournés très vite au Vietnam, et nous n'avons pas accompli le même travail que les Américains.

Enfin, concernant TV5 Monde, il est vrai que j'enrage parfois de ce que j'y vois. Il s'agit malgré tout d'un accord international ; on ne peut empêcher nos partenaires d'y diffuser les programmes qu'ils souhaitent.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous allons prolonger l'étude de ce rapport. Un certain nombre de réflexions seront soumises aux uns et aux autres. Face à une responsabilité importante, on se laisse aller à un abandon qui apparaît assez insupportable.

La réunion est levée à 16 h 10.

Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Médias, Livre et industries culturelles » et articles 56 quinquies et 56 sexies - Crédits « Livre et industries culturelles » et « Presse » - Examen des rapports pour avis

Puis la commission examine les rapports pour avis de Mme Colette Mélot sur les crédits « Livre et industries culturelles » et de M. Pierre Laurent sur les crédits « Presse » de la mission « Médias, Livre et industries culturelles » et sur les articles 56 quinquies et 56 sexies rattachés du projet de loi de finances pour 2015.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis du programme « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». - Avant d'envisager le projet de budget 2015 lui-même, je souhaiterais formuler quelques observations liminaires sur l'action publique dans les domaines qui nous occupent.

En premier lieu, j'indiquerai que les pouvoirs publics - et le Sénat a pris toute sa place dans ce processus - ont entrepris de poser l'architecture d'une régulation qui est vite apparue nécessaire mais en respectant les initiatives des acteurs. Nous avons voté une série de textes très structurants. J'en mentionne quelques-uns : les textes relatifs au prix du livre numérique, TVA comprise si j'ose dire, la législation sur la vente de livres à distance, la loi Hadopi... Mais nous avons aussi laissé aux acteurs le soin de se concilier. Je mentionnerai les négociations sur un nouveau contrat d'édition du livre à l'heure numérique ou, dans le secteur de la musique, le processus dit des « 13 engagements ». Sans doute devons-nous nous attendre à retrouver quelques-unes des problématiques qui restent pendantes dans le futur projet de loi sur la création. Dans le rapport que je vous présente, je n'ai pas mené une étude exhaustive de ces problèmes mais je me suis attachée à les exposer et à rendre compte des réflexions en cours. Ce qui est sûr, c'est que nous devrons faire des choix et je crois qu'il serait souhaitable que notre commission suive très attentivement l'amont de l'élaboration déjà avancée de ce projet de loi.

En deuxième lieu, je voudrais rappeler que tous les secteurs culturels sont pris dans des évolutions liées au numérique. Je voudrais juste faire part d'une certaine perplexité devant l'adaptation de l'action publique dans sa dimension la plus opérationnelle à cette donne.

Tout d'abord, il me semble que le numérique unifie les problématiques auxquelles sont confrontées les industries culturelles et qu'on n'a pas tiré les conséquences de cette transversalité. Les réponses continuent d'être apportées secteur par secteur. Il est bien possible que chaque secteur repose sur des équilibres singuliers. Cependant, je m'étonne que des régulations mises en oeuvre ici ne soient pas envisagées là. Le secteur le mieux régulé est incontestablement le livre. Pourquoi donc n'envisage-t-on pas d'appliquer à la musique ce qui fonctionne pour le livre ? Le secteur musical est-il si prospère qu'il puisse se passer d'une régulation plus ferme ? On crée un médiateur du livre. Très bien ! Pourquoi ne pas créer un médiateur de la musique ? A-t-on vraiment enterré l'idée de mieux réguler les pratiques commerciales de la musique numérique ? Autant de sujets de réflexion... Cette unification des problématiques s'est traduite par la création de la Hadopi. Je m'inquiète que cet organisme soit constamment remis en question. Ses performances peuvent être diversement appréciées et je formule quelques interrogations dans mon rapport écrit. Mais l'existence d'un protecteur dédié à la défense des droits de propriété intellectuelle mis à mal par le numérique me semble ne pas devoir être contestée en son principe. Et pourtant n'est-ce pas ce qui se produit subrepticement avec un projet de dotation incertain en ses effets ?

Unifiant les problématiques, le numérique les étend aussi largement et, à ce propos, c'est bien la force de la régulation qui doit être envisagée. Avons-nous fait tout le travail législatif qu'il faut ? Sans doute pas et nous devrons compléter l'édifice. Des problèmes nouveaux adviennent chaque jour, il faut s'y adapter et même, ce serait mieux, les anticiper. Mais que, déjà, on s'applique à mettre en oeuvre ce que nous avons voté ! Qu'on surveille activement les pratiques commerciales dans tous les domaines de diffusion des biens culturels ! Qu'on construise cette offre numérique que la France a choisi de développer ! Nous avons en partie manqué les stades du hardware et des réseaux. Ne manquons pas l'épisode des contenus !

Enfin, l'action publique est évidemment confrontée par le numérique au problème de ses frontières nationales. Que la France s'active sans relâche pour lutter contre l'évaporation hors de nos frontières de la valeur des créations et des consommations culturelles du pays ! Soyons présents sur le front de l'harmonisation fiscale et sociale et sur celui de la lutte contre l'évasion fiscale ! Qu'a fait notre pays ces dernières années pour faire progresser le projet d'unification des assiettes de l'impôt sur les sociétés ? Pourquoi n'avons-nous pas davantage avancé sur le problème de la TVA numérique alors que le Sénat avait été précurseur ? Disposons-nous aujourd'hui de toutes les garanties sur ce sujet ? En tout cas soyons très attentifs à ce que projette l'Europe en matière de droits d'auteur.

J'en viens au projet de budget.

Il pose plusieurs problèmes.

D'abord quelques éléments quantitatifs. Le programme « Livre et industries culturelles » comporte deux actions incommensurables : l'action 1 consacrée au livre absorbe 96,1 % des crédits du programme avec 258,2 millions d'euros de crédits de paiement. L'action 2 « industries culturelles » n'est dotée que de 10,3 millions d'euros de crédits.

Par ailleurs, les crédits prévus pour la politique du livre sont concentrés sur la Bibliothèque nationale de France avec au total plus de 220 millions d'euros.

En bref, on pourrait dire que le budget du programme est un budget BnF puisque celle-ci se voit consacrer 82 % des crédits du programme.

Les crédits du programme 334 pour 2015 connaissent des évolutions contrastées avec, d'un côté, une baisse pour les autorisations d'engagement (AE), qui passent de 315,6 millions d'euros - en loi de finances initiale pour 2014 - à 271,5 millions d'euros, soit une diminution de 44 millions d'euros et moins 14 %. D'un autre côté, les crédits de paiement (CP). Ceux-ci s'accroissent de 2,5 % ; ils gagnent 6,7 millions d'euros, passant de 261,8 à 268,5 millions d'euros.

L'effet de ciseaux entre les AE et les CP consacrés aux opérations d'investissement n'est pas une anomalie dès lors que des programmes d'investissement passés et non renouvelés, s'achèvent. Mais l'évolution, en 2014, des écarts entre la consommation des AE et leur couverture par des crédits de paiement recèle quelques motifs d'inquiétude pour les budgets futurs. Les restes à payer, qui atteignaient 12,2 millions d'euros fin 2013, suivent une trajectoire « explosive » en 2014, avec en perspective un niveau de 63,7 millions d'euros, soit près d'une année de CP budgétés au titre des dépenses d'investissement, d'intervention et d'opérations financières. Ce reliquat ne sera pas résorbé en une année budgétaire. Il pèsera sur les budgets à venir tant que des normes strictes de progression des dépenses publiques seront appliquées. Dans ce contexte, il faudra procéder à des arbitrages au détriment d'autres postes du budget du programme 334.

Seconde observation générale. Malgré l'augmentation des crédits de paiement, la gestion budgétaire se traduit par une exploration systématique des fonds de tiroir. Le bouclage des budgets des grands opérateurs du programme que sont le Centre national du livre, la Hadopi et la BnF repose sur une sollicitation souvent excessive et, en toute hypothèse, non soutenable de leurs fonds de réserve. Autrement dit, le Gouvernement ne budgète pas ses ambitions et celles que le Parlement valide lors de l'examen de la loi de finances ou dans les textes législatifs qu'il adopte.

J'en viens à quelques remarques particulières.

Notre commission a auditionné le président de la BnF et je me contenterai de souhaiter que l'établissement se libère un peu de son passé pour entrer dans un avenir que nous espérons tous brillant. C'est d'ailleurs ce à quoi il s'emploie et il est vraiment souhaitable que la numérisation en cours puisse progresser à un meilleur rythme, tout en laissant à la BnF tous les moyens de développer en ce domaine une offre d'excellence. Celle-ci est le vrai avantage comparatif d'un projet comme Gallica. Il faut soutenir ce projet et, je dirais même, lui donner toute l'ampleur qu'il mérite à l'heure où la francophonie doit être un atout pour la France mais aussi pour ses partenaires de langue. Tout cela mérite des investissements publics. Ils ne sont pas au rendez-vous du projet de budget, qui n'affiche qu'une progression purement optique des moyens de la BnF, due à des transferts financiers entre budgets ministériels pour couvrir les coûts du programme immobilier en cours de la bibliothèque.

Le Centre national du livre (CNL) accomplit, de son côté, une mission essentielle à la diversité de la création et des circuits de diffusion. Il a été sollicité ces deux dernières années dans des conditions tout à fait excessives. Son fonds de roulement est réduit à un petit mois de fonctionnement. Pèse en plus sur lui la menace d'un épuisement de ses ressources, mises à mal par les écrêtements pratiqués par Bercy et par la régression de leurs assiettes. Il faut souhaiter très vivement que les problèmes de financement du CNL soient résolus. À cet égard, je voudrais souligner la part essentielle prise par le CNL dans la politique de soutien à la numérisation et aux librairies. Celles-ci sont dans un état souvent critique. Nous les avons aidés, au printemps dernier, en adoptant la loi sur la vente à distance de livres. Ne détruisons pas, par un rationnement budgétaire à courte vue, ce que nous avons fait en cette occasion. Il y va des équilibres sans lesquels tout le secteur du livre risque de passer sous la domination des géants d'Internet.

Le dossier le plus symbolique du projet de budget, c'est, chacun le sait, le sort réservé à la Hadopi. D'un point de vue budgétaire, les enjeux sont raisonnables. C'est affaire de 1 à 2 millions d'euros, soit tout au plus 0,7 % des crédits demandés pour le programme 334 pour 2015. Mais l'asphyxie financière qu'a évoquée la présidente de la Hadopi lors de son audition par notre commission, le mercredi 2 juillet dernier, pose un problème de principe. Apparemment il n'est plus question d'une évolution institutionnelle, ou, pour le dire autrement, d'un rapprochement avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Certes les choix de la Hadopi peuvent être discutés. La contribution de la structure au développement de l'offre légale n'a peut-être pas toute l'efficacité qu'on lui prête. Les effets pédagogiques de la réponse graduée sont sans doute réels mais difficiles à prouver. Par ailleurs, le taux de sanctionnement judiciaire des usages illicites est d'une faiblesse insigne, ce qui peut désencombrer les tribunaux mais ne conforte pas la dimension dissuasive du dispositif.

Il n'empêche que cette autorité existe avec des missions qu'il faut respecter. Par ailleurs, même si certaines imprudences ont été commises, le personnel de la Hadopi, qui s'est vu offrir des contrats longs, doit être respecté. Enfin, l'effort bienvenu de moderniser les moyens de lutte contre la contrefaçon commerciale doit être soutenu. Il serait bon de se demander si certaines orientations ne devraient pas être rééquilibrées, mais aussi si les voies de saisine de la Hadopi ne pourraient pas être élargies, à l'État notamment. En tout cas, il n'est pas sain de créer des organismes et de leur refuser les moyens d'exercer leurs attributions.

Ce même problème existe d'ailleurs avec le médiateur du livre, dépourvu de tout moyen propre.

Ces tendances sont regrettables.

Je conclurai en abordant deux industries culturelles, l'une quasi sinistrée, la musique, l'autre, qui risque de le devenir si nous ne prenons pas conscience de la dimension de ses enjeux, le jeu vidéo.

La musique est un secteur qui a perdu 60 % de ses revenus depuis dix ans. Une forme de suspension de cette descente aux enfers peut être relevée ces dernières années. Mais les modèles d'offre légale qui ont émergé demeurent fragiles. En toute hypothèse, ni la captation de la valeur par les grands intervenants de l'aval, ni les questions aiguës des relations entre les grands producteurs et les plateformes ou entre producteurs et artistes ne sont réglées. La loi sur la création pourrait comporter des avancées. Il faudra suivre cela de près et nous pourrons nous reposer sur les contributions utiles de chacun, en particulier celles proposées par le rapport Phéline, du nom de son auteur, avec lequel j'ai eu des échanges utiles. On peut se féliciter que le crédit d'impôt phonographique sorte conforté du projet de loi de finances rectificative. Il conviendrait sans doute que la réponse graduée soit plus vigoureuse. En toute hypothèse, la proposition de créer une injonction prolongée de retrait des oeuvres devrait permettre d'éviter la situation ubuesque actuelle qui voit les ayants droit devoir adresser plus de 220 millions de notifications à Google. Le nombre des notifications quotidiennes en France est, du reste, déjà impressionnant, puisqu'il atteint le seuil des 50 000. Il faudra également se pencher sur les suites données aux recommandations d'exposition de la chanson française dans les médias afin que l'esprit des quotas soit mieux respecté.

Sur les jeux vidéo, première industrie culturelle du pays, du moins sous l'angle du chiffre d'affaires, avec plus de 3 milliards d'euros, je serai brève. Le risque est ici celui d'une délocalisation des studios et d'une fuite des talents vers des cieux où règne une clémence fiscalo-sociale sans égale sous nos latitudes. Le Gouvernement pourrait sans doute s'inspirer de certains dispositifs, afin, en particulier - car cela ne coûte pas très cher - de faciliter les financements accessibles aux jeunes unités de production. Il est excellent d'avoir abaissé le seuil d'éligibilité au fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) comme l'avait recommandé le groupe de travail sur les jeux vidéo du Sénat en septembre 2013. Les autres propositions de ce groupe de travail mériteraient d'être mieux prises en considération.

Madame la présidente, compte tenu de mes observations sur la soutenabilité budgétaire des crédits du programme 334 et de l'absence de décisions dont la programmation budgétaire pour 2015 devrait être accompagnée relativement aux missions confiées aux opérateurs, je recommande à la commission de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme.

Mme Françoise Cartron. - Je trouve que le secteur du livre a besoin de notre attention et de crédits. Rejeter les crédits n'est pas la bonne solution. On peut les considérer insuffisants. Ils sont indispensables pour entretenir la vitalité culturelle du pays.

Mme Marie-Annick Duchêne. - La position de Mme Cartron se défend, mais la recommandation du rapporteur pour avis ne vise pas à priver les secteurs de leurs crédits. Au contraire, il s'agit, compte tenu des limites imposées au pouvoir d'amendement des parlementaires, de refuser un budget insuffisant.

M. David Assouline. - Le rapport soulève des sujets légitimes mais adopte une posture outrancière dans la noirceur du tableau que vous avez dressé. Bien sûr nous devrons encore travailler pour maîtriser le numérique. Il est vrai que le livre est mieux régulé, mais la tâche est beaucoup plus difficile pour la musique, du fait des technologies employées et des acteurs concernés. Ce budget n'est pas si différent de ceux que vous souteniez il y a quelques années. Vous avez fait un choix politique respectable mais vous avez mésestimé l'engagement du Premier ministre de sanctuariser les lignes budgétaires concernant la culture. Il ne faut pas faire fi d'un effort qui est globalement apprécié.

Je finis sur la Hadopi. Cette institution est mal née. Depuis, elle a développé des missions dans des conditions qui méritent un examen. Il me semble qu'avec les crédits proposés la Hadopi a parfaitement les capacités d'accomplir ce pour quoi elle est faite. Si elle veut étendre ses missions, le législateur devra auparavant intervenir. Au demeurant, il faudra sûrement s'interroger sur la désignation de l'institution que nous chargerons de défendre la propriété intellectuelle et artistique. Le groupe socialiste votera les crédits sans manquer de faire les propositions qui s'imposent.

Mme Maryvonne Blondin. - Les crédits du programme sont de toute évidence absorbés par la BnF. Cette situation est en partie due à la rénovation du quadrilatère Richelieu qui mobilise d'autres moyens et représente un coût total considérable. Par ailleurs, le coût de fonctionnement de l'établissement dépasse 500 000 euros par jour, cette situation n'étant pas sans lien avec la dispersion des sites de la BnF. Nos territoires aimeraient bénéficier d'un tel soutien. Je m'intéresse, en particulier, au financement des contrats territoriaux de lecture. Sous cet angle, j'insiste pour que l'intervention déconcentrée du Centre national du livre soit préservée.

Mme Marie-Christine Blandin. - Madame le rapporteur pour avis a mis en évidence que la protection du livre contre les débordements par le numérique était plus avancée que pour les autres industries culturelles. Il faut cependant nuancer cette appréciation par la considération des pertes de droits du consommateur-lecteur qui, par exemple, se voit privé de la possibilité de prêt à son entourage immédiat. Cela étant, les membres du groupe écologiste préfèrent adopter les crédits en exprimant leur déception plutôt que d'exprimer leur déception en ne les adoptant pas.

Mme Françoise Férat. - L'examen du rapport permet d'envisager la totalité des questions auxquelles nous devons répondre. Le projet de budget n'apporte malheureusement pas les réponses qu'il faudrait. C'est notre rôle de prendre nos responsabilités et d'alerter, par notre position de vote, sur la situation très fragile du secteur des industries culturelles.

M. Michel Savin. - Je voudrais dire que je n'ai pas entendu de propos outranciers ni exagérés. Le projet de budget est inquiétant. Il faut alerter le gouvernement.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. - Il ne me semble pas que le diagnostic du rapport fasse vraiment débat. Je veux saluer le travail accompli par les acteurs des secteurs culturels dont j'ai la charge. Ils ne sont pas suffisamment soutenus. Par ailleurs, je crois qu'il faut considérer l'action publique sous tous ses angles et les aspects budgétaires sont à l'image du reste. D'ailleurs, je voudrais bien savoir où en sont les projets de retour à la maîtrise de la valeur culturelle de la France. Quel niveau l'évaporation atteint-elle ? Que faisons-nous pour lutter contre le détournement de la valeur hors de nos frontières ? Quelles suites ont-elles été données au rapport Colin et Collin ? La sanctuarisation des crédits me semble quelque peu optique. Il y a des transferts entre budgets. Les opérateurs sont obligés de ponctionner leurs réserves déjà à l'étiage. La Hadopi n'a pas la réponse graduée pour seule compétence. D'autres missions sont très importantes comme la régulation des mesures techniques de protection.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le contrôle de l'application des lois nous incombe. Quelques années après la création de la Hadopi, il serait utile de réunir des informations objectives et approfondies sur cette institution. Je vous propose de créer une mission d'information en ce sens. Elle nous sera utile pour préparer la loi création et la loi numérique. Je propose que nous passions maintenant à l'examen des deux articles rattachés à la mission.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. - L'Assemblée nationale a adopté deux amendements du Gouvernement, ajoutant ainsi deux articles au projet de loi de finances - articles 56 quinquies et 56 sexies - rattachés à la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

La commission des finances en a préconisé l'adoption, recommandation que je partage.

Ce sont des dispositions purement formelles qui visent à décaler la date d'entrée en vigueur des mesures adoptées dans la loi de finances rectificative de décembre 2013, relatives à l'extension et au renforcement du crédit d'impôt jeux vidéo. Aux termes de la loi, les mesures votées en décembre 2013 devaient entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2015.

Ces dispositions correspondent à une aide d'État qui procure un avantage concurrentiel et doivent, à ce titre, préalablement, être notifiées à la Commission européenne ; elles requièrent son autorisation pour être appliquées.

Or, le Gouvernement ne les a notifiées que cet été. Ce manque de diligence est évidemment choquant, sachant que la loi a été adoptée fin décembre 2013. La Commission n'a pas encore statué, ce qui rend difficilement envisageable l'entrée en vigueur de ces dispositions dès le 1er janvier 2015. Les deux articles rattachés tirent les conséquences de cette situation. Je voudrais me borner à formuler une observation et un souhait. Nous sommes trop souvent conduits à adopter des dispositions qui ne passent pas l'épreuve de l'examen européen, avec pour effet ce scénario bien déplaisant que constitue le prononcé contre la France de sanctions éventuellement coûteuses. Il faut être prudent.

Par ailleurs, je souhaite que, comme le régime de soutien précédemment en vigueur, le nouveau dispositif soit validé par la Commission.

M. Bruno Retailleau. - Je voudrais appuyer vos propos, madame la présidente, sur Hadopi. Bien peu d'entre nous s'étaient exprimés sur Hadopi pour refuser le dispositif. J'en faisais partie car il fallait défendre certaines libertés. Le Conseil Constitutionnel nous a donné raison. Les missions de la Hadopi sont claires. Le CSA a souhaité reprendre la main. Je l'aurais regretté car il faut au numérique un régulateur du numérique. Aujourd'hui, on étrangle l'institution financièrement. Cela nuit à la création française. Ainsi que l'a souligné notre rapporteur pour avis, ce n'est pas responsable.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous abordons maintenant les crédits du programme « Presse ».

M. Pierre Laurent, rapporteur pour avis des crédits du programme  « Presse » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». - La situation de la presse continue de se dégrader gravement. Inexorablement, un phénomène conjugué - l'éloignement des jeunes générations du média presse (et donc le vieillissement du lectorat) et l'accélération de la révolution numérique - détruit, le mot n'est pas trop fort, le modèle économique de la presse papier. La réduction des tirages et le maintien de coûts fixes élevés sont à l'origine d'un « effet de ciseaux » qui menace de disparition un nombre toujours plus important de publications. Face à cette crise, l'avenir de la presse n'est pas scellé, mais elle souffre d'un manque de moyens, d'investissements, de mutualisations pour réussir la transition nécessaire. L'enjeu est démocratique, culturel, industriel. C'est le droit à l'information qui est en cause.

Certes, il y a quelques réussites qui concernent, en fait, un nombre très limité de groupes (Le Monde, Le Figaro, Les Échos, le groupe Amaury), ceux qui disposent des moyens les plus importants, et qui ont en commun d'appartenir à des industriels ou des financiers qui cherchent au moins autant à renforcer leur influence qu'à rentabiliser leurs investissements. La diversité éditoriale n'en reste pas moins régulièrement amoindrie.

La réalité majoritaire du secteur reste la très grande fragilité des titres, représentée, par exemple, par la situation toujours incertaine de Libération, de L'Humanité ou de titres de la presse quotidienne régionale (Nice-Matin, Sud-Ouest/Midi Libre, La Marseillaise...).

Plus que jamais, la presse a donc besoin d'aides publiques pour poursuivre sa transformation et trouver un nouveau modèle économique stable sachant que le numérique ne produit pas encore son équilibre et que le papier n'en a plus.

Plus que jamais, la filière de la presse a besoin d'une politique cohérente et ambitieuse qui apporte des réponses durables aux principaux défis : le soutien à la diffusion, l'aide à la modernisation, la défense et la promotion du pluralisme et la qualité de l'information.

Si cette politique publique est nécessaire, c'est d'abord parce que la presse n'est pas une marchandise, comme le rappelle le syndicat Filpac CGT (Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication Confédération générale du travail) qui, lors de son audition, a renouvelé sa demande d'un plan filière global et d'un débat d'ensemble sur le droit à l'information. La presse est un rouage essentiel du fonctionnement de notre démocratie, ce qui justifie pleinement le plan de sauvegarde que nous sommes nombreux à appeler de nos voeux. Il faut remettre à plat les aides directes à la presse afin de favoriser les investissements, les mutualisations, le pluralisme. L'avenir de la presse doit être trouvé dans l'innovation technologique, le soutien à la qualité éditoriale, le lancement de nouveaux titres.

Le constat que je fais encore cette année - pour le déplorer -, c'est l'absence de cette réflexion à moyen et long terme. Les mesures proposées, sur lesquelles je vais revenir dans un instant, ne permettent pas de préparer l'avenir de la presse à la hauteur des défis en cours, même si les crédits sont globalement maintenus et que des ajustements bienvenus sont opérés à la marge.

Je commencerai par évoquer la question du taux « super réduit » de TVA qui permet une certaine « neutralité technologique » et favorise la transition numérique. La directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), que j'ai auditionnée, n'a pas caché sa préoccupation compte tenu de l'évolution du contentieux engagé devant la Cour de Justice de l'Union européenne concernant le livre numérique. La Commission européenne a adressé le 10 juillet 2014 une lettre de mise en demeure à la France. Est-ce que le changement de commission pourrait avoir une incidence sur la doctrine de la commission sur ce sujet ? Le commissaire européen chargé de la fiscalité, Pierre Moscovici, aura la lourde responsabilité de trancher cette question. Nous y serons attentifs.

Les aides directes à la presse (action n° 2) du programme 180 subissent une nette baisse de 3 % - les crédits passeraient de 135 à 130 millions d'euros - qui me semble difficilement acceptable compte tenu du contexte.

Je trouve d'autant plus dommageable cette réduction des moyens qu'elle est justifiée par un transfert de crédits au bénéfice de l'AFP. En somme, la presse est mise à contribution pour soutenir l'AFP, ce qui constitue une curieuse conception de la solidarité, compte tenu de son propre état, et alors même que le soutien à l'AFP relève au premier chef de l'État.

Le soutien à la diffusion au travers des aides au portage ne change pas, à 36 millions d'euros. L'aide est toutefois rééquilibrée au bénéfice des réseaux de portage multi-titres. C'est un des enjeux d'avenir car, si la presse quotidienne régionale (PQR) est portée à plus de 80 %, compte tenu de la baisse de sa diffusion, elle a maintenant besoin des volumes de la presse quotidienne nationale (PQN).

L'aide à la modernisation de la presse est également maintenue à son montant de 18,85 millions d'euros. Une légère progression est constatée concernant l'exonération de charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et les porteurs de presse à 22,54 millions d'euros.

Les baisses concernent surtout les aides à la modernisation sociale de la presse d'information politique et générale (IPG) qui passent de 12,57 millions d'euros à 7 millions d'euros du fait de la baisse du nombre de salariés concernés par les mesures d'accompagnement à la restructuration des imprimeries. Les départs anticipés concerneront, en effet, 105 salariés pour la PQN et 228 pour la PQR contre, respectivement, 114 et 244 en 2014. Plusieurs auditions nous ont pourtant confirmé que les restructurations étaient loin d'être achevées.

L'aide à l'équipement des commerces de presse est maintenue au même niveau que l'année dernière - un niveau que j'avais déjà estimé insuffisant - soit 4 millions d'euros.

Les crédits consacrés au Fonds stratégique pour le développement de la presse connaissent, pour leur part, une baisse de 500 000 euros à 30,45 millions d'euros. Cette baisse confirme et accentue la diminution des crédits de 8 % constatée l'année dernière.

Cette nouvelle baisse fait suite à l'adoption du décret du 23 juin 2014 qui a fusionné les sections du Fonds stratégique, modifié les critères d'éligibilité et les taux de subvention de façon à réorienter ses interventions vers les projets mutualisés et techniquement innovants. Même si le ciblage des aides sur les titres d'information politique générale constitue un progrès, on ne peut que regretter cette baisse de crédits pour un outil qui est aujourd'hui présenté comme le principal levier de la modernisation de la presse.

Enfin, j'observe que les crédits consacrés à la préservation du pluralisme sont maintenus à leur niveau de 2014, soit 11,475 millions d'euros, mais avec plus de titres concernés. Ainsi, le directeur de l'Humanité vient d'indiquer que l'aide à son journal serait amputée de 200 000 euros. Je ne peux que rappeler ce que je vous disais déjà l'année dernière : « le pluralisme est aujourd'hui le parent pauvre des politiques d'aide à la presse ».

J'en viens maintenant à la situation de Presstalis, qui continue de concentrer toutes les attentions compte tenu de sa place dans le système de distribution instauré par la loi du 2 avril 1947, dite « loi Bichet ». La situation de la messagerie reste, il ne faut pas le nier, difficile.

À court terme, on peut certes considérer que les réformes menées portent leurs fruits, comme le montrent l'équilibre d'exploitation atteint fin 2013 et l'amélioration de la situation qui devrait être constatée fin 2014.

Cette amélioration trouve son origine notamment dans les progrès de la mutualisation. Le décroisement des flux consécutif à la meilleure coordination des logisticiens devrait être effectif au premier trimestre 2015. Par ailleurs, le nouveau système d'information commun avec les MLP est en cours de réalisation. Le déploiement devrait être effectif en 2016 et il permettra alors à Presstalis de réaliser des économies de l'ordre de 10 millions d'euros.

Il convient tout de même de rappeler que le coût social est lourd. Presstalis poursuit la mise en oeuvre de son plan de départs volontaires qui concerne 900 salariés. Ce plan est aujourd'hui fragilisé par l'État qui tarde à solder sa contribution qui s'élève à 3,5 millions d'euros. Il est essentiel que l'État assume bien ses engagements en la matière.

Au-delà de ces aspects immédiats, c'est bien la question de l'avenir des messageries de presse qui est en jeu. Je m'étonne que l'on continue à maintenir deux opérateurs sur un marché en régression brutale alors que la concurrence s'est déplacée vers le numérique. Au lieu de réfléchir à une rationalisation du secteur à travers, par exemple, la création d'un « monopole régulé » qui permettrait de maximaliser les mutualisations, on affaiblit les deux opérateurs en privilégiant des coopérations qui sont longues à négocier et encore plus difficiles à mettre en place, comme le projet de mise en commun des moyens de transport. Par ailleurs, les deux acteurs se livrent une bataille sans merci, n'hésitant pas à recourir à des pratiques déloyales en matière tarifaire, qui tirent encore un peu plus vers le bas les tarifs du secteur (« bonus de bienvenue » pour capter les clients du concurrent).

En fait, alors qu'il faudrait un changement de modèle, tout laisse penser que nous gérons la crise sans donner à Presstalis les moyens de développer de nouveaux relais de croissance.

La faiblesse de Presstalis dans la distribution numérique est à cet égard symptomatique. Les éditeurs n'ont pas réussi, jusqu'à présent, à mettre à disposition leurs contenus sur une plateforme commune, comme le montre l'échec du kiosque en ligne ePresse. Cela devrait constituer la vocation naturelle de Presstalis dans le cadre d'une mutation réussie. Au lieu de cela, c'est une jeune start up néerlandaise, Blendle, qui s'apprête à débarquer en France avec un modèle d'agrégateur d'articles de presse et un paiement à l'unité. Créée en avril dernier, cette société a déjà conquis 135 000 clients aux Pays-Bas et vient d'accueillir The New York Times et Axel Springer dans son capital. Si je vous alerte sur ce nouvel acteur, c'est que son modèle pourrait remettre en cause la logique même d'un titre de presse qui repose sur des financements croisés à l'intérieur d'une même publication.

Comme la télévision, la presse va devoir affronter, à son tour, le défi de la « délinéarisation ». Les nouveaux usages peuvent être une chance pour la presse car ils peuvent séduire de nouvelles générations qui ne sont plus familières de la presse papier. Mais il serait pour le moins regrettable que les acteurs français se laissent évincer de ce nouveau marché comme ils l'ont été peu ou prou des vidéos en ligne, des librairies en ligne et des moteurs de recherche. Il aura fallu des années, qui ont coûté bien cher, pour redécouvrir les vertus de la mutualisation pour la presse papier. Qu'attend-on pour impulser des modèles coopératifs dans le domaine numérique ?

J'en viens à l'aide au transport postal, qui est désormais entièrement intégrée au programme 134 « Développement des entreprises » de la mission « Économie » et n'est plus prise en compte dans la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

Les accords Schwartz (2009-2015) avaient fixé à 180 millions d'euros la dernière année, le montant d'aide de l'État de. Ce montant sera, en fait, de 130 millions d'euros, l'État estimant que le bénéfice du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) - à hauteur de 300 millions d'euros - permettra à La Poste de compenser la baisse de cette dotation. Il reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre, mais au détriment d'un secteur de la presse très mal en point. La Poste vit mal cette reprise de 50 millions d'euros qui ne reconnaît pas la spécificité de sa pyramide des salaires et ne tient pas compte, non plus, du déficit endémique de la mission courrier.

Malgré tout, La Poste déclare ne pas se désintéresser de la presse et serait prête à contribuer au développement du portage à certaines conditions, comme l'arrêt de l'écrémage pour la distribution des magazines.

La Poste considère qu'il pourrait exister des marges de manoeuvre si les différentes entreprises de messagerie acceptaient de mieux coordonner leurs moyens. Elle constate qu'un retard a été pris pour définir la suite des accords Schwartz et estime que la réponse doit être de nature industrielle. Je ne vous cacherai pas mon inquiétude concernant le devenir du contrat tripartite État-Presse-Poste qui arrive à échéance sans que l'on sache quel dispositif prendra sa suite. Or le devenir et l'articulation des différents modes de distribution restent un enjeu clé pour tout le secteur.

Comme je vous l'indiquais l'année dernière, il est indispensable que « l'État prenne ses responsabilités et assure une sortie du moratoire dans des conditions acceptables tant pour les éditeurs que pour La Poste ».

J'en viens maintenant à l'Agence France-Presse (AFP). Comme je l'indiquais au début de mon intervention, elle bénéficie d'un transfert de crédits de la part de l'action n° 2 du programme 180 qui portera les moyens de l'action n° 1 à 126,1 millions d'euros, en hausse de 2,5 %. Le projet de loi prévoit pour 2015 une hausse de 2 millions d'euros de la dotation auxquels s'ajoute le transfert des abonnements de l'État pour un montant de 1,39 million. Pour l'année 2013, le chiffre d'affaires de l'agence s'est établi à 282,9 millions d'euros.

Je ne vous cacherai pas que je suis préoccupé par le fait de devoir nous prononcer sur le budget de l'agence sans connaître le contenu exact du prochain contrat d'objectifs et de moyens (COM) pour la période 2014-2018 alors même que l'Assemblée nationale devrait examiner le 17 décembre prochain, la proposition de loi déposée par le député Michel Françaix qui prévoit, en particulier, une réforme de l'Agence France-Presse. Le COM étant en voie de finalisation, il serait souhaitable, à mes yeux, qu'il prévoit un rythme de revalorisation de la subvention à l'AFP régulier, du même ordre que les deux millions d'euros de cette année. Ce montant peut en effet augmenter pour atteindre le montant maximal susceptible d'être versé à l'AFP, à partir de la compensation estimée des missions d'intérêt général et du paiement estimé des abonnements.

Nous aurons prochainement l'occasion d'examiner le texte de la proposition de loi Françaix et je ne veux pas anticiper sur nos débats, mais je ne peux pas passer sous silence l'inquiétude des personnels de l'AFP que j'ai reçus. L'AFP a des difficultés de trésorerie, elle doit faire face à l'échéance des crédits qu'elle pourrait ne pas pouvoir rembourser. Elle n'est plus propriétaire de son siège et, maintenant, cette proposition de loi crée une filiale technique qui inquiète le personnel, très attaché à l'intégrité du statut de l'AFP.

La Commission européenne a adressé à la France, le 27 mars 2014, une recommandation lui proposant des modifications du statut de l'AFP permettant de sécuriser la compatibilité des aides à l'AFP avec les dispositions du traité. Elles concernent le calcul de l'abonnement de l'État, une comptabilité séparée pour les activités ne relevant pas des missions d'intérêt général de l'AFP et un régime de faillite spécifique. Par ailleurs, alors que la définition des missions d'intérêt général relève normalement du domaine de la loi, il est prévu qu'elles soient précisées dans le COM, ce qui me semble constituer un régime moins protecteur pour l'AFP. Enfin, que penser du fait que le principe même du mandat confié à l'AFP devra être réexaminé au bout de dix ans ? Sinon que cette disposition illustre bien la précarité de l'avenir de l'agence dont la mission prévue par la loi de 1957 n'est pas définitivement consacrée par la Commission européenne.

On le voit, si on peut se féliciter que l'accord trouvé avec la Commission européenne pérennise la subvention de l'État pour les missions d'intérêt général, il reste encore du chemin à accomplir pour porter à 100 % la compensation de ces missions que j'appelle de mes voeux, d'autant plus que la négociation du COM semble programmer l'érosion progressive de la revalorisation de cette subvention.

L'AFP est un atout national précieux. Elle est le produit d'une volonté politique et elle ne pourra survivre sans le maintien d'aides publiques. Je rappelle, à cet égard, qu'aucune des grandes agences mondiales ne vit de ses seules ressources propres. Nous devrons avoir cela à l'esprit lorsque nous examinerons la proposition de loi « Françaix » début 2015, qui doit être adoptée avant le 27 mars 2015.

En conclusion, je considère, comme je viens de l'expliquer, que ce projet de budget ne permet pas de préparer l'avenir de la presse compte tenu des mutations en cours. L'année 2015 devrait être décisive pour les news magazines qui sont, à leur tour, entrés en crise. Des regroupements apparaissent probablement inévitables sans qu'on puisse en mesurer encore les conséquences. L'émergence de grands groupes « plurimédias » qui regrouperaient presse, télévision et radio est à l'ordre du jour avec le risque d'un nouveau recul du pluralisme. Face à ces défis, il manque aujourd'hui une vision claire et une politique cohérente.

Compte tenu des insuffisances nombreuses qui caractérisent le programme 180 et des risques qui pèsent en particulier sur l'AFP, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à la presse au sein de la mission « Médias, livre et industrie culturelles ».

Mme Corinne Bouchoux. - Il y a effectivement tout lieu d'être inquiet sur l'évolution du lectorat car les jeunes ne lisent plus la presse, même quand elle est mise à leur disposition gratuitement.

Concernant la question des photographes, ces derniers sont inquiets car ils ne voient pas d'amélioration suite à l'accord de bonnes pratiques de juillet dernier. De moins en moins de photojournalistes ont aujourd'hui accès à la carte de presse.

M. Jean-Louis Carrère. - Je respecte les orientations exprimées par le rapporteur pour avis, mais les sénateurs socialistes émettront un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la presse.

M. Jacques Grosperrin. - Les difficultés de l'AFP ne sont pas récentes puisqu'on les évoquait déjà en 2010. L'agence joue un rôle important pour la francophonie. Un autre modèle économique pourrait-il être développé en recourant à davantage de partenariats avec le secteur privé ?

M. Pierre Laurent, rapporteur pour avis. - La question des photojournalistes est très importante. Ils ont été déstabilisés par l'évolution de la presse. Ils sont souvent les premiers touchés par la précarisation et le développement des piges. Il faut rappeler que la pige n'est pas un système fait pour précariser les rédactions mais un système permettant d'avoir recours à des spécialistes occasionnellement. Les piges n'ont pas été créées pour salarier le personnel des rédactions.

Concernant l'AFP, elle a fonctionné depuis longtemps avec des partenariats avec les éditeurs. Aujourd'hui, un engagement de l'État est nécessaire pour pérenniser son indépendance. L'AFP est confrontée à un problème concernant ses partenariats avec la PQN et la PQR qui sont plus difficiles. Il faut penser l'avenir de l'AFP différemment sans pour autant organiser un désengagement de l'État. Il y a un risque de disparition d'un atout précieux pour notre pays.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous allons maintenant émettre un avis sur l'ensemble de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Je rappelle les avis que nos rapporteurs proposent de donner : M. Jean-Pierre Leleux nous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'audiovisuel, Mme Claudine Lepage de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de l'audiovisuel extérieur, Mme Colette Mélot de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du livre et des industries culturelles et M. Pierre Laurent de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la presse.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2015.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles 56 quinquies et 56 sexies du projet de loi de finances pour 2015.

La réunion est levée à 17 h 45.

Mercredi 26 novembre 2014

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Loi de finances pour 2015 - Mission interministérielle « Recherche et Enseignement supérieur » - Crédits « Enseignement supérieur » et « Recherche » - Examen des rapports pour avis

La commission examine les rapports pour avis de M. Jacques Grosperrin sur les crédits « Enseignement supérieur » et de Mme Dominique Gillot sur les crédits « Recherche » de la mission interministérielle « Recherche et Enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2015.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur au sein de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ». - Le budget placé sous la responsabilité directe du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et de ses opérateurs est en augmentation de 45 millions d'euros, ramenés à 36 millions d'euros si l'on tient compte de mesures de périmètre en faveur du ministère de l'agriculture. Les crédits dédiés à l'enseignement supérieur devaient initialement rester stables à 12,79 milliards d'euros. Mais la seconde délibération demandée par le Gouvernement à l'Assemblée nationale nous a réservé un coup de théâtre très grave, qui a choqué l'ensemble du secteur : le vote d'un amendement du Gouvernement tendant à minorer de 136 millions d'euros le budget de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES). Ce sont 70 millions qui seront retirés à nos universités. L'aveu de faiblesse de Mme  Najat Vallaud-Belkacem estimant que « les diminutions ciblées de budget des établissements d'enseignement supérieur sont inévitables » est préoccupant, alors qu'elle est responsable d'un ministère dit sanctuarisé.

Quels établissements vont payer le plus lourd tribut ? Va-t-on faire porter la plus grande partie de l'effort sur nos quelques universités intensives de recherche, les seules à pouvoir s'insérer dans les classements internationaux ? Va-t-on punir les universités les plus vertueuses dans leur gestion, elles qui sont parvenues à maintenir leur équilibre budgétaire au prix de lourds sacrifices ? Va-t-on puiser dans des fonds de roulement qui contiennent souvent les provisions obligatoires pour investissement dans le cadre de contrats de recherche ? La désillusion est si grande à la suite de cet épisode désastreux que notre commission des finances, revenant sur son avis initial, a rejeté les crédits de la MIRES.

Ne nous leurrons pas, les augmentations de crédits annoncées au départ par le Gouvernement sur les programmes 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et 231 « Vie étudiante » résultaient en grande partie de mesures déjà actées de longue date par l'État, qu'il s'agisse de la création annuelle de 1 000 postes dans l'enseignement supérieur et la recherche jusqu'à la fin du quinquennat ou de la poursuite de la réforme du système des bourses. Dès lors, la marge nouvelle pour les universités était déjà quasi nulle compte tenu de l'augmentation des effectifs étudiants - au rythme d'environ 1,4 % par an - et des contraintes budgétaires.

Le budget global des opérateurs des deux programmes précités a connu une stagnation en 2014 et une baisse l'année précédente. Les universités sont contraintes à des efforts d'investissement conséquents et des règles strictes de responsabilité budgétaire. Le budget de l'enseignement supérieur se trouve dans une impasse. La masse salariale des établissements reste supérieure aux crédits que l'État débloque. Le budget des deux programmes 150 et 231 est fondé sur le postulat qu'il faudra en fin d'année dégeler des crédits mis en réserve. Cette pratique est contraire aux recommandations de la Cour des comptes. Fin octobre 2014, la Conférence des présidents d'université (CPU) s'est émue de ce que le dernier versement de l'État aux universités au titre de leur subvention pour charges de service public ne corresponde qu'à 80 % du montant initialement notifié, avec le risque que les établissements ne puissent honorer la paie de décembre. Le ministère a finalement obtenu de Bercy le déblocage des 20 % restants mais le projet de loi de finances rectificative pour 2014 prévoit 202 millions d'euros d'annulations de crédits sur le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche. S'y ajoute la ponction décidée en seconde délibération à l'Assemblée nationale de 70 millions sur les crédits du programme 150 déjà évoquée.

Le Gouvernement ne respecte pas le principe de décideur-payeur vis-à-vis des universités. Il échoue à compenser à l'euro près les conséquences de décisions prises au niveau national, comme l'exonération du paiement des droits d'inscription pour les étudiants boursiers. La secrétaire d'État s'est engagée à financer le rééquilibrage à hauteur de 25 % par an sur quatre ans, soit un montant de 13 millions d'euros. Les universités n'ont pas obtenu compensation pour l'augmentation du nombre de boursiers en 2013 et n'ont perçu que 3,2 millions d'euros en 2014, prélevés sur le financement prévu pour couvrir le solde positif du glissement vieillesse-technicité (GVT). L'augmentation de la première mensualité de bourse versée à l'étudiant, incluant le montant des droits d'inscription, garantirait un traitement neutre de la compensation, équitable pour tous les établissements, et responsabiliserait les étudiants. Le gouvernement s'y refuse au motif fallacieux d'une complexification de la procédure de gestion des bourses.

Le montant de la contribution de l'État au financement du GVT solde des universités n'est pas précisé dans le projet annuel de performances. Je l'évalue à environ 45 millions d'euros, en faisant la différence entre l'augmentation des crédits de masse salariale enregistrée sur le programme 150 et la somme des montants provisionnés pour les titularisations de la loi Sauvadet et les mesures catégorielles en faveur des catégories de personnel B et C, mesures qui doivent être couvertes par une enveloppe de 20,5 millions d'euros alors que leur coût est estimé par la CPU à 30 millions. Encore une occasion pour l'État d'accumuler une dette auprès des universités !

Enfin, la CPU évaluait au départ à 100 millions d'euros la participation des établissements publics d'enseignement supérieur au redressement des comptes publics. Ce chiffre devra être majoré compte tenu des 70 millions retirés lors de l'examen par l'Assemblée nationale...

Pour beaucoup de dépenses imposées par l'État aux universités, le compte n'y est pas. L'État doit s'engager à assurer une compensation intégrale, comme il le fait pour les collectivités territoriales, au moins dans le cadre d'un plan quinquennal. Aucun des gouvernements récents, de gauche et de droite, n'a su respecter le principe décideur-payeur réclamé de longue date par les universités. L'article 40 de la Constitution nous empêche d'imposer à l'État cette compensation intégrale. Le seul moyen à notre disposition est de l'y inciter en demandant la remise au Parlement avant la fin du premier semestre 2015 d'un rapport détaillant un échéancier quinquennal. C'est le sens de l'amendement que je vous proposerai d'adopter.

La réforme du modèle de financement des universités est trop timide. Les pistes envisagées par la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) pour la refonte du système de répartition des moyens à la performance et à l'activité (SYMPA), telles que l'intégration d'une partie de la masse salariale dans le modèle et de nouveaux indicateurs d'activité et de performance, étaient intéressantes. Il est dommage que le Gouvernement ait reculé face aux critiques de la CPU, pour n'appliquer le modèle qu'aux écoles d'ingénieurs.

La perspective d'une diminution des engagements de l'État dans le cadre des discussions sur le renouvellement des contrats de projet État-régions (CPER) pour la période 2015-2020 inquiète le milieu universitaire, qui déplore la baisse significative des enveloppes dédiées à l'enseignement supérieur, à la recherche et à l'innovation. Les présidents d'université des régions Bretagne et Pays-de-la-Loire ont dénoncé les risques majeurs de la baisse drastique des crédits de l'État et des reports d'arbitrage, et la région Nord-Pas-de-Calais a jugé « très humiliante » la proposition de l'État.

Le programme 231 « Vie étudiante » bénéficie de la seule petite éclaircie : un peu moins de 2 milliards d'euros reviendront aux bourses sur critères sociaux, au profit de près de 655 000 étudiants.

L'application de la circulaire de juillet 2014 visant à supprimer à partir de la rentrée 2014 l'aide au mérite au bénéfice des étudiants boursiers sur critères sociaux ayant obtenu leur baccalauréat avec une mention « très bien » ou s'étant distingués par leurs résultats en licence a été suspendue par le Conseil d'État dans le cadre d'un référé à la mi-octobre. Mais le Gouvernement s'obstine à vouloir supprimer cette aide. Cela est regrettable car il s'agit d'un signal négatif et décourageant envoyé à des milliers d'élèves qui se battent pour réussir. L'image et la valeur du baccalauréat ne s'en trouvent pas rehaussées. Le Gouvernement regretterait-il que le nombre de mentions « très bien » ait autant augmenté ? Considère-t-il qu'il n'est plus souhaitable de rétribuer les plus méritants ? Les économies tirées de la suppression de l'aide au mérite, au mieux 0,6 % des crédits du programme, seraient ridicules. En quoi cette suppression serait-elle juste, puisque l'aide au mérite n'est attribuée qu'aux étudiants considérés comme boursiers sur critères sociaux ?

Si l'expérimentation réussie du dispositif de la caution locative étudiante (CLE) est source de satisfaction, les efforts annoncés pour la mise en oeuvre du plan de 40 000 nouveaux logements créés à la fin du quinquennat sont longs à se concrétiser. Des prévisions actualisées font état de moins de 2 500 logements étudiants construits par an en 2014 et 2015, très loin des prévisions du Gouvernement.

Compte tenu de l'ensemble de ces réserves, de l'insincérité du budget consenti aux universités, et du revirement du Gouvernement en seconde délibération à l'Assemblée nationale, je propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'enseignement supérieur.

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis des crédits de la recherche au sein de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ». - Le budget consacré à la recherche au sein de la MIRES s'établit à 7,76 milliards d'euros pour 2015. Les organismes de recherche devront réaliser une économie sur leurs moyens de fonctionnement de l'ordre de 4,2 millions d'euros. Toutefois, à la suite de l'adoption par l'Assemblée nationale en seconde délibération d'amendements d'équilibrage du budget de l'État à hauteur de 800 millions d'euros, une réduction des crédits de la recherche de l'ordre de 65 millions d'euros va contraindre les organismes de recherche à redoubler d'efforts.

A l'instar des universités, les organismes de recherche bénéficiaient jusqu'à présent de taux de mise en réserve dérogatoires, généralement réduits de moitié par rapport aux taux applicables aux autres opérateurs de l'État. En 2014, les organismes de recherche n'ont bénéficié que de taux dits « semi-réduits ». Dans l'attente d'un arbitrage du Premier ministre, les montants des subventions pour charges de service public ne devraient être notifiés aux organismes de recherche, nets de la mise en réserve, qu'en début d'année prochaine. La préparation de leurs budgets prévisionnels 2015 se fait donc sur la base des taux de droit commun. Cela pourrait représenter des minorations notables de leurs subventions par rapport à l'année précédente : 48 millions d'euros pour le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et 17 pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Compte tenu des efforts de stabilisation de la masse salariale, l'application des taux normés de mise en réserve réduirait considérablement les crédits disponibles pour le fonctionnement des unités de recherche. Je plaide pour le retour à des taux de mise en réserve réduits de moitié, afin d'assurer le renouvellement de l'emploi scientifique. Au CNRS, 30 millions d'euros sont nécessaires pour réaliser 500 embauches.

Le secteur de la recherche connaît une crise de confiance. Un nouveau mouvement, « Sciences en marche », a mis au coeur du débat l'avenir de l'emploi scientifique et les efforts demandés pour sortir nos jeunes chercheurs, ingénieurs et techniciens d'une précarité qu'ils ressentent comme insupportable et indigne. Il convient de dessiner des perspectives réalistes et opérationnelles, à partir d'un diagnostic rigoureux, en étant conscient que les scientifiques n'ont pas tous vocation à occuper un emploi statutaire dans la recherche publique.

L'effort de la nation en postes statutaires dans la recherche n'a pas fléchi. Sur la période 2009-2013, le nombre d'emplois au sein des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) a progressé de 1 % et celui au sein des établissements publics à caractère industriel et commercial, comme le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables, a augmenté de 4,4 %. À effectifs constants, la masse salariale des organismes de recherche progresse mécaniquement en raison de facteurs liés à la pyramide des âges, notamment au GVT.

Par souci de bonne gestion, la plupart des EPST maintiennent leur masse salariale à un niveau constant. À stock d'emplois fixe, le flux entrant diminue, ce qui explique la baisse du nombre de mises au concours de postes de chercheurs. Le mouvement de départs à la retraite des baby boomers semble achevé - le nombre de départs à la retraite au sein des EPST a diminué de 10 % au cours de la période 2012-2014, réduisant d'autant les marges de manoeuvre pour recruter de jeunes scientifiques : le nombre des entrants recule de 7 % sur la période. Depuis 2010, le ratio de contractuels par rapport au nombre total d'emplois au sein des EPST, soit 30 %, s'est maintenu. La proportion des financements sur projet s'est stabilisée.

Un nombre important de contrats à durée déterminée (CDD) ne sont pas renouvelés au-delà de trois ans au sein des organismes de recherche, notamment le CNRS et l'Inserm, alors que les financements sur projet ont été accordés pour des durées bien supérieures. Ces organismes mènent une politique d'encadrement du nombre de CDD trop restrictive. Ils la justifient par l'insécurité juridique consécutive à plusieurs arrêts de condamnation rendus par les tribunaux administratifs. Pour favoriser l'insertion professionnelle des jeunes scientifiques, il conviendrait de faciliter l'accès des docteurs aux grands corps de la fonction publique. Les conclusions de la mission conduite par Patrick Fridenson sur le sujet seront rendues prochainement. Les efforts doivent aussi concerner l'insertion professionnelle dans le secteur privé. Le doctorat pourrait être inscrit dans le répertoire national des certifications professionnelles.

Les opportunités ouvertes par la recherche partenariale et le renforcement des collaborations entre les universités, les organismes de recherche et les entreprises, notamment dans le cadre des sociétés d'accélération du transfert de technologie (SATT), doivent être saisies afin de valoriser le potentiel des jeunes chercheurs dans le secteur privé et faciliter leur embauche en contrat à durée indéterminée (CDI) de droit privé. Je me réjouis de la reconduction des crédits consentis aux contrats des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), à 53 millions d'euros en 2015. Ce dispositif enregistre de belles performances : 96 % des docteurs Cifre trouvent, en un an, un emploi au plus près de leur sujet de thèse, dans le secteur privé.

Les sociétés destinées à prendre en charge la rémunération de scientifiques affectés à des missions temporaires auprès d'entreprises, sur le modèle d'Innovarion, peuvent aussi jouer un rôle d'interface utile entre le monde de la recherche publique et le secteur privé. La formation doctorale doit mieux préparer les doctorants aux enjeux de la recherche en entreprise et du monde de la « recherche et développement » (R&D) privée. Je salue le partenariat de l'Université de Lyon avec le Medef pour la mise en place d'un dispositif Doctor'Entreprise, destiné à rapprocher les futurs doctorants, les laboratoires de recherche et les entreprises ainsi que l'accord-cadre signé entre la secrétaire d'État et Schneider Electric. Les Rencontres annuelles universités-entreprises (RUE) facilitent la compréhension réciproque entre les milieux professionnels et académiques.

La réduction sensible du taux de sélection pratiqué par l'Agence nationale de la recherche (ANR) remet en cause un certain nombre de projets prometteurs d'un haut niveau d'excellence scientifique. Dans ces conditions, les organismes de recherche réexaminent leur politique de levée de ressources propres et entendent privilégier les contrats européens et les contrats conclus avec les entreprises. Réjouissons-nous de l'annonce par la ministre de l'augmentation du préciput de l'ANR de 15 % à 18 %, dans un premier temps, puis à 21 %, afin de se rapprocher du taux de 25 % mis en oeuvre dans le cadre du programme européen.

Au sein du budget général, le partage de la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI) bénéficie d'un soutien public d'environ 200 millions d'euros, dont 108 millions d'euros pour Universcience. Ce montant n'intègre pas les ressources consacrées à la CSTI par notre réseau de musées nationaux et territoriaux. Les 3,6 millions d'euros au titre du financement des centres territoriaux de CSTI sont reconduits en 2015 dans les concours financiers de l'État aux régions relevant du programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements ». La CSTI bénéficie aussi d'une enveloppe de 100 millions d'euros dans le cadre du programme des investissements d'avenir (PIA). À la suite des inquiétudes exprimées l'an dernier sur la lenteur de la contractualisation et des décaissements, le Commissariat général à l'investissement a assuré que le champ de la CSTI ne connaissait plus de sous-consommation de son enveloppe. Fin novembre 2014, l'intégralité des 100 millions d'euros seront engagés et le montant contractualisé devrait dépasser 70 millions d'euros. Enfin nos associations doivent se saisir du volet « Science avec et pour la société » du programme européen Horizon 2020.

La réforme de la gouvernance de la CSTI a conforté le rôle de stratège de l'État et consacré les régions dans une mission de coordination et d'animation territoriales. Attribuer à Universcience la gouvernance d'un domaine qui était habituellement celui de l'État a été mal ressenti, d'autant que cet établissement disposait du pouvoir de déléguer des crédits et qu'en tant qu'acteur de la CSTI, il était éligible aux projets, ce qui le plaçait à la limite du conflit d'intérêts. Désormais l'État s'impliquera directement dans la coordination des acteurs, au travers de la stratégie nationale de la recherche.

La nouvelle gouvernance peut s'appuyer sur le forum annuel de la CSTI, temps fort de la réflexion et de la co-construction des projets sur les territoires, et sur le Conseil national de la CSTI refondé dans sa composition. Ses missions sont recentrées sur la définition d'une stratégie nationale et sur la coordination de l'ensemble des acteurs pour sa mise en oeuvre. Afin de ne pas empêcher les acteurs de terrain de mener leurs actions, la mise en place d'une labellisation des organismes intervenant dans le secteur de la CSTI n'a pas été retenue.

Le budget de la recherche résiste globalement dans une conjoncture difficile ; il est protégé des rigueurs budgétaires nécessaires. Je propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la recherche au sein de la MIRES.

Mme Corinne Bouchoux. - Je salue le travail synthétique des rapporteurs. Les crédits comportent des aspects encourageants, tels l'attention portée à l'enseignement agronomique et le budget maintenu de la vie étudiante. Néanmoins, le vote intervenu de manière acrobatique en seconde délibération à l'Assemblée nationale et le montant colossal retiré à la recherche et à l'enseignement supérieur sont inacceptables. Si des économies sont nécessaires, elles appellent une méthode et des choix différents - pourquoi la recherche spatiale ou la recherche duale sont-elles sanctuarisées, au détriment de la recherche scientifique et technique pluridisciplinaire ? Le budget suscite l'inquiétude et le mécontentement des milieux universitaires qui s'en sont ouverts auprès de nombreux sénateurs. Une dizaine d'établissements, qui pensaient revenir à l'équilibre budgétaire, voient leurs efforts de gestion anéantis. Initialement conciliants malgré nos réserves, nous sommes à présent très critiques et nous déposerons un amendement en séance publique pour revenir sur ces économies.

M. Jean-Léonce Dupont. - La modération des rapporteurs est remarquable. Je serai plus brutal. Que signifie l'autonomie des universités dans un pays où l'État reste décisionnaire ? Le parallélisme avec la situation des collectivités territoriales est frappant. Obtenir aujourd'hui des moyens supplémentaires de l'État est impossible alors même que la recherche et l'enseignement constituent des domaines stratégiques. La loi sur l'autonomie des universités devait être suivie de l'octroi de ressources propres, de la liberté encadrée sur les droits d'inscription, de l'analyse des débouchés des filières de formation, de la gestion autonome des patrimoines, de la flexibilité dans la gestion des ressources humaines. Mais nous sommes restés au début du chemin. Pas plus qu'envers les collectivités territoriales, l'État n'a respecté ses engagements vis-à-vis des universités. Il ne leur a pas accordé les moyens nécessaires pour faire face à l'augmentation de charges -je veux parler de la revalorisation du traitement de certaines catégories de personnel qu'il a décidée ou de l'application du GVT. Dès cette année, les universités auront des difficultés à régler les deux derniers mois des salaires... Si l'autonomie des universités est consacrée, il convient d'être conséquent et de donner à leurs équipes de managers la capacité de les gérer.

M. David Assouline. - Nous n'avons pas voté en son temps la loi sur l'autonomie des universités car les moyens n'étaient pas mis en face des ambitions et des délégations de pouvoir. Nous pensions qu'en l'état cette loi allait déstabiliser le système. J'ai fait un rapport d'évaluation de l'application de la loi qui soulignait la nécessité de ces moyens.

Avec un budget de 26 milliards d'euros, les objectifs affichés par le Gouvernement actuel sont plus ambitieux que ceux de l'ancienne majorité. Cette année 77 500 élèves boursiers supplémentaires percevront une aide annuelle de 1 000 euros, qui s'ajoute à l'exonération de droits d'inscription dont bénéficient aussi 56 000 étudiants ; 1 000 nouvelles bourses sont mises en place ; la caution locative est généralisée ; afin de préserver le pouvoir d'achat des étudiants, l'augmentation des droits d'inscription a été modérée. Nous poursuivons l'objectif d'une création de 1 000 emplois par an, même si le rapporteur parle d'insincérité. L'amélioration de la vie matérielle des étudiants est la condition de leur réussite, qui est notre but. Ces mesures sont à comparer avec celles du quinquennat Sarkozy : pas de création de poste de 2010 à 2012, suppression de 225 postes de titulaires et de 225 postes de non-titulaires en 2009 à l'université et de 450 postes de chercheurs, 287 au CNRS, 96 à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), 59 à l'Inserm.

Les crédits retirés aux universités, 70 millions d'euros, ne justifient pas un rejet des 26 milliards d'euros attribués à la mission. Le groupe socialiste les votera mais nous devrions demander solennellement au Gouvernement que la priorité accordée à la jeunesse, à la recherche et à l'éducation se traduise dans le projet de loi de finances rectificative de fin d'année par une réinscription des 70 millions d'euros de crédit au bénéfice des universités et des 65 millions au bénéfice de la recherche, qui ont été supprimés.

Mme Colette Mélot. - Je m'associe aux observations de Jacques Grosperrin sur l'enseignement supérieur. Il convient d'être vigilant sur le budget et le devenir des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) désormais intégrées aux universités. Supprimer les bourses au mérite constitue un mauvais choix. Ces bourses, facteur de stimulation, devront être réintroduites : elles manifestent la reconnaissance de la nation à des jeunes méritants et contribuent au fonctionnement de l'ascenseur social.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je suis consternée par la ponction opérée par le Gouvernement. La responsabilité de la précédente majorité est également écrasante. Nous avions voté contre la loi sur l'autonomie des universités car la réforme était mal pensée. En l'absence d'attribution de moyens nouveaux, l'autonomie constituait selon nous un facteur de déstabilisation. Le temps a hélas validé nos prévisions. Or l'actuelle majorité ne remet pas en cause le choix de l'autonomie. Le désarroi des universitaires, dont témoignent tous les mails que nous avons reçus, est d'autant plus important que les intéressés ont consenti beaucoup d'efforts. Au-delà des difficultés financières, le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche souffre d'une immense précarité. L'annonce d'une nouvelle ponction budgétaire constitue un signal défavorable. Je ne suis pas certaine de voter les crédits sauf à ce qu'on me démontre que notre intervention pourra efficacement changer la donne.

Mme Françoise Laborde. - La diminution des crédits survient tardivement et de façon surprenante sur la forme. Je m'abstiendrai à ce stade, et mon groupe réfléchira aux amendements à présenter en séance publique.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Nous critiquons la méthode et le montant de la coupe budgétaire. Les membres de la CPU nous ont fait part - ainsi qu'à nos collègues députés - de leur inquiétude. Ils ont voté une motion à ce sujet et ils ont été suivis en ce sens par le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) et par les syndicats. Les acteurs du secteur sont choqués par ce vote en catimini demandé par le Gouvernement. Jean-Léonce Dupont pose les bonnes questions. J'ai toujours été favorable à ce que les universités soient présidées par des enseignants-chercheurs. Mais peut-il y avoir autonomie sans ressources propres, avec un État qui fixe les règles d'évolution des salaires et augmente les charges sans les compenser ? L'interdiction de moduler les droits d'inscription est regrettable. Je doute que les créations d'emploi annoncées se concrétisent car les présidents d'université n'ouvrent pas un certain nombre de postes par souci d'équilibrer leur budget : ils constituent ainsi une variable d'ajustement. Nous sommes tous d'accord pour demander le rétablissement des « 70 + 65 » millions d'euros pour 2015 ; mais reste la question de ces 200 millions d'euros d'annulations de crédits en loi de finances rectificative pour 2014...

Nous sommes favorables aux ÉSPÉ car les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), créés sous l'influence du pédagogisme et de Philippe Mérieux, étaient déconnectés des réalités du terrain. On a remis les élèves au coeur du système mais oublié l'apprentissage. La suppression des bourses au mérite est un mauvais signal. Il y a les mots d'amour et les preuves d'amour. Le Président de la République a déclaré son amour de l'enseignement et de la recherche, nous en attendons les preuves.

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis. - L'équilibrage du budget en seconde délibération ne s'est pas fait « en catimini », la procédure est parfaitement normale. Le montant des crédits retirés est infime au regard de l'ensemble du budget de l'État. Je partage la surprise et la consternation exprimées ; il nous faut nous mobiliser pour défendre le secteur de la recherche, essentiel au redressement de la France ; mais ne prétendez pas que la procédure a été faite « en catimini » !

S'agissant des crédits alloués pour les créations de postes, les cellules d'observation mises en place par la DGESIP depuis deux ans ont constaté qu'un tiers des crédits servent de variable d'ajustement financière, un tiers concernent des emplois dans les fonctions support, et un tiers des créations de poste académiques. Je sais que les établissements universitaires ont fait beaucoup d'efforts pour s'approprier l'autonomie de gestion prévue par la loi, loi que la majorité n'a pas abrogée pour ne pas créer de nouveaux bouleversements. L'État a pris ses responsabilités, notamment en ce qui concerne la prise en charge d'une partie du GVT et de la contribution au compte d'affectation spéciale « pensions ».

Les chefs d'établissement sont néanmoins inquiets. Ces restrictions de 70 millions d'euros pour l'université et de 65 millions d'euros pour la recherche doivent appeler notre attention. Soyons vigilants aussi sur les ÉSPÉ, ces objets vivants qui regroupent l'académique et le professionnel. Elles vivent bien, les derniers conseils d'école le montrent : les budgets de projet pour 2015 ont tous été adoptés et la dévolution des moyens par l'université hôte ne fait plus problème. Nous devons faire preuve de conviction pour soutenir nos établissements, la force vive de la connaissance. Il serait dommage de jeter leurs efforts aux orties.

M. Jean-Louis Carrère. - Plutôt que de me lancer dans une exégèse des expressions de l'amour, je reste concret : hier après-midi, nous avons exprimé ensemble notre solidarité avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et nous avons obtenu gain de cause. Nous pouvons nous étriper et faire de la politique politicienne - pour le plus grand profit de certains ; ou rechercher une position plus en phase avec la place du Sénat dans la République. Pourquoi ne pas nous rassembler pour demander au Gouvernement de rétablir le budget initial ? Faut-il jeter de l'huile sur le feu, prendre le risque de faire sortir les étudiants dans la rue ? Je préfère conforter le Sénat et la démocratie.

Mme Françoise Cartron. - L'autonomie nous avait été vendue comme la solution à tout, une source d'économies, une augmentation des marges de manoeuvre des établissements. Or il faut toujours autant, voire davantage de crédits pour les établissements. Cette recette miracle ne fonctionne pas si bien : gardons-nous de l'étendre au premier et au second degré. Le budget actuel serait bien suffisant si l'autonomie avait porté ses fruits, or nous en sommes à nous battre pour maintenir le budget prévu !

M. Bruno Retailleau. - Ne confondons pas l'autonomie et le niveau des moyens alloués. Dans une société plus complexe, plus horizontale que verticale, l'autonomie est un atout. La question des moyens est différente. Je rappelle que les deux tiers des investissements d'avenir ont été consacrés à la MIRES. Dans l'optique de construire une croissance potentielle, l'innovation et la recherche sont indispensables. Je suis, comme certains d'entre vous, aux prises avec l'État dans la négociation des contrats de plan État-région : il manquera 2 milliards pour l'enseignement supérieur et la recherche - ce n'est pas moi, c'est l'Association des régions de France qui le dit. Nos rapporteurs comptent-ils interpeller le Gouvernement à ce sujet ?

M. Jean-Pierre Leleux. - En janvier dernier, la députée Maud Olivier et moi-même avons déposé un rapport sur la culture scientifique, technique et industrielle, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) comportant 80 propositions, souvent peu chères, voire gratuites. Comme bon nombre de ses pareils, il est aujourd'hui dans un tiroir. Les rapporteurs ne voudraient-ils pas reprendre ces propositions dans leur rapport ?

Mme Marie-Christine Blandin. - Je suis consternée par le choix de l'Assemblée nationale : on ne construit pas un pays sans production de connaissances. La copie qui nous est présentée est inacceptable. L'autonomie, dont le renforcement est souhaité par Jean-Léonce Dupont, a non seulement été conçue dans de mauvaises conditions, mais elle est aujourd'hui trop vivante, avec des effets que je regrette : elle n'améliore pas la parité entre les hommes et les femmes, ni la coopération des équipes pédagogiques, encore moins la formation des animateurs d'éducation populaire. Les établissements font ce qu'ils veulent. Cela reste un vrai débat. Vous parlez des contrats de plan : nous verrons ce qu'il en sera après la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ; si l'État baisse sa participation et interdit aux régions d'intervenir, c'en est fini des universités.

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis. - La fin des universités en France n'est pas pour demain. Je ne crois pas que la loi NOTRe fasse cesser la coopération entre l'État et les régions sur les questions universitaires. La culture scientifique et technique est capitale pour l'innovation et la créativité, et un élément essentiel de la stratégie nationale de recherche. J'intégrerai donc vos propositions dans le rapport, monsieur Leleux. Je compte aussi sur l'installation du Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle afin que tous les partenaires participent à la mise en oeuvre de la stratégie nationale. Sans vouloir les offenser, nous avons peut-être plus de sensibilité que nos collègues députés quant à une contraction de 135 millions d'euros sur 25 milliards de crédits ; notre mobilisation est donc essentielle.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Je remercie M. Carrère pour son oecuménisme ! La CPU l'affirme, les députés ont pris cette réfaction, qui est passée en fin de réunion, pour un ajustement technique. Ils n'ont pas vu que 135 millions d'euros étaient en jeu.

Mme Françoise Cartron. - Heureusement que le Sénat existe !

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Le concept d'autonomie est inséparable des moyens. Mais les investissements d'avenir sont un effort inédit en faveur de la recherche. Nous avons raison de nous inquiéter des dispositions des contrats de projet État-région. Pour les Pays-de-la-Loire, les sommes prévues sont passées de 125 à 45 millions d'euros, en Bretagne de 140 à 50 millions d'euros et en Nord-Pas-de-Calais de 131 à 55 millions d'euros. Sept universités du grand Ouest s'en sont plaintes au Premier ministre.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La qualité de nos débats prouve notre mobilisation. Nous devrions continuer le travail qu'avait entrepris notre mission d'information sur les ÉSPÉ. Nous comptons sur sa présidente et son rapporteur pour y veiller.

M. David Assouline. - Nous devrions pouvoir exprimer - pas forcément sous une forme traditionnelle - le fait que nous réclamons le rétablissement des crédits initialement prévus. Un amendement a l'inconvénient de devoir être gagé : nous retomberions dans le piège où est tombée l'Assemblée nationale. Il y a bien la vieille solution de puiser dans les crédits de l'armée... mais ce n'est sans doute pas le moment ! Nous pourrions faire semblant de ne pas connaître cette règle et tomber sous le coup de l'article 40. Je préfère que nous nous exprimions par une motion unanime. Ce serait un signal fort, susceptible de produire un résultat.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Cela s'est déjà fait pour l'enseignement agricole.

M. David Assouline. - Le montant n'est pas le même...

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Nous pourrions en effet procéder comme le propose M. Assouline. Mais notre groupe veut exprimer sa désapprobation sur ce budget en général. Voter pour cette motion ne nous empêchera pas de voter contre les crédits.

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis. - J'appelle une telle motion de mes voeux. Le Sénat peut s'exprimer en faveur du rétablissement des crédits, sans s'exprimer sur l'équilibre général.

M. Jean-Léonce Dupont. - Cette motion n'exclut pas le vote de l'amendement du rapporteur.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Il ne porte pas sur ce sujet, mais sur la demande d'un rapport.

M. Jean-Louis Carrère. - M. Grosperrin a raison : vous pouvez avoir une position sur le rétablissement du budget, et la majorité sénatoriale peut avoir par ailleurs une position sur l'équilibre général du budget.

La réunion est suspendue pour quelques minutes et reprend à 11 h 05.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Vos rapporteurs signent ensemble une proposition d'amendement qui devrait rassembler tous les membres de la commission : il tend à rétablir les crédits initiaux de la MIRES, sans avoir à trouver un montant équivalent d'économies, puisque c'est le projet de loi de finances dans sa version initiale qui constitue le droit de référence pour l'application de l'article 40 de la Constitution.

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis. - Cet amendement est conforme à la conclusion de nos débats : consentir un effort conjoint et unanime pour l'université et la recherche.

M. David Assouline. - Cela va dans le sens que je proposais. Un amendement engage même plus qu'une motion, ce qui n'empêchera pas la majorité sénatoriale de voter différemment de nous au moment où il nous faudra nous prononcer sur les crédits. Il ne faudrait pas trop instrumentaliser ce vote unanime, qui est rare - cela nous a rarement été accordé lorsque nous disposions de la majorité : mais qu'à cela ne tienne. L'objet de l'amendement devra refléter la convergence de vues au sein de notre commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je fais toute confiance à nos deux rapporteurs pour rédiger ensemble un exposé des motifs qui satisfasse tout le monde.

L'amendement de Mme Dominique Gillot et M. Jacques Grosperrin, rapporteurs pour avis, est adopté.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La commission publiera un communiqué de presse sur cet amendement adopté à l'unanimité.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission interministérielle « Recherche et Enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2015.

Article additionnel après l'article 57 ter rattaché

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Mon amendement prévoit la remise d'un rapport au Parlement et au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) à la fin de l'année 2015, pour inciter l'État à s'engager sur la compensation intégrale des charges qu'il transfère aux universités.

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis. - J'y suis défavorable : il y a déjà des rapports, et des rapports, et encore des rapports... Votre exposé des motifs cite des augmentations de charges qui ont déjà été prises en compte, tel le GVT ou l'exonération des droits de scolarité pour les étudiants boursiers.

M. Jean-Louis Carrère. - Vous découvrez les vertus d'un rapport maintenant, alors que c'est vous qui avez créé cette situation, soit dit sans procès d'intention. Ce rapport ne doit pas vous dédouaner de l'échec de l'autonomie des universités. Trouvons pour ce rapport, qui n'est pas inutile, une formulation moins sujette à une interprétation politique. Mesurer par un rapport la validité de ce que vous avez créé, maintenant que vous n'êtes plus aux affaires, donc plus comptables de cette politique : la ficelle est un peu grosse.

M. Jean-Léonce Dupont. - Je ne suis pas un fanatique des rapports ; mais il s'agit ici de vérifier que les engagements pris par le Gouvernement sont tenus. C'est essentiel. Si nous pouvons nous assurer qu'ils le sont pour les universités, nous pourrions avoir de l'espoir pour les collectivités territoriales... La prise en compte du GVT est annuelle : avoir voté pour l'autonomie n'empêche pas de vérifier qu'il est pris en compte quelques années plus tard.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - En 2013, Ambroise Dupont et Dominique Gillot avaient fait un rapport sur la mise en oeuvre de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités.

M. David Assouline. - C'était dans le cadre de la commission pour le contrôle de l'application des lois que j'avais l'honneur de présider et qui a été supprimée à l'initiative du Président Larcher.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Ce Gouvernement a pris à son compte l'autonomie : la loi Fioraso ne l'a pas supprimée. Il s'agit de vérifier la compensation par l'État.

L'amendement de M. Jacques Grosperrin, rapporteur, est adopté.

M. David Assouline. - Le fait d'émettre un avis défavorable aux crédits ne compromet-il pas le chemin vers la séance publique de notre amendement commun ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nullement. Il sera présenté tel quel.

La réunion est levée à 11 h 20.