Mercredi 17 juin 2015

- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Géorgie relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de Mme Gisèle Jourda et le texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 792 (2013-2014) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Géorgie relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Avant d'examiner cette convention, il est impossible de ne pas avoir une pensée pour nos amis géorgiens qui viennent de subir de très violentes intempéries. Le bilan est lourd : des personnes ont perdu la vie, d'autres sont portées disparues et les dégâts matériels dans la ville de Tbilissi sont considérables.

Je vous indique d'emblée qu'il s'agit d'un accord bilatéral technique qui vise à faciliter une migration professionnelle temporaire fondée sur la mobilité et l'incitation à un retour des étudiants et professionnels concernés en Géorgie. Il concerne un nombre limité de personnes, moins de 200 personnes par an du côté géorgien, et n'a donc pas d'incidence sur le marché du travail français.

En 2013, la communauté géorgienne en France était composée de 8 460 personnes tandis que la communauté française en Géorgie était d'environ 300 personnes. La Géorgie se situe au 54e rang des pays d'origine de migrants résidant en France. Le principal motif d'immigration est humanitaire. Il représente à lui seul 44% de la part des premiers titres de séjour délivrés aux Géorgiens. Les flux annuels de premiers titres de séjour délivrés sont passés de 568 en 2008 à 856 en 2013. Nous sommes donc ici dans la loi des petits nombres.

Ceci étant dit, il importe de soutenir la Géorgie, ce petit pays du Caucase peuplé d'environ 4,5 millions d'habitants, en raison de ses relations avec l'Union européenne et bien entendu avec la France.

Le rapprochement avec l'Union européenne a débuté en 1992, après l'éclatement de l'Union soviétique, et l'indépendance de la Géorgie en 1991. 1999 a vu l'entrée en vigueur du premier accord de partenariat et de coopération (APC), signé en 1996, ainsi que l'adhésion de la Géorgie au Conseil de l'Europe. Chacun se souvient du rôle, en août 2008, de la Présidence française de l'Union européenne dans le conflit entre la Russie et la Géorgie autour de l'Ossétie du Sud. Une Mission de surveillance de l'Union européenne (MSUE) a alors été mise en oeuvre sur le terrain. Nous connaissons tous les difficultés de ce pays, le poids des « conflits gelés » - Ossétie du Sud et Abkhazie, qui représentent ensemble 20 % du territoire géorgien - et l'engagement de notre pays pour aider à leur résolution. En 2014, le ministre des affaires étrangères, puis le Président de la république, se sont rendus successivement à Tbilissi dans l'intention d'intensifier les relations de la France avec la Géorgie, afin de favoriser son développement, dans l'intérêt de nos économies respectives, sans négliger l'aspect culturel, éducatif et politique. Lors de ces visites, ils ont tous deux rappelé le plein soutien de la France à l'intégrité territoriale de la Géorgie dans ses frontières internationalement reconnues, ainsi qu'à un règlement pacifique du conflit. (L'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie n'est à ce jour reconnue que par la Russie, le Venezuela, le Nicaragua, Nauru et Tuvalu).

Depuis 2009, la Géorgie bénéficie de la Politique européenne de voisinage et du partenariat oriental qui vise à engager les pays voisins de l'Union Européenne dans la promotion de valeurs communes telles que la démocratie, les droits de l'homme et les principes de l'économie de marché respectueuse du développement durable.

Enfin, l'Union européenne et la Géorgie ont signé, le 27 juin 2014, un accord d'association « qui inclut un accord de libre-échange approfondi et complet ». Le projet de loi de ratification de ce texte a été adopté en Conseil des ministres, le 20 mai 2015, et déposé aussitôt à l'Assemblée nationale. Il sera bien évidemment examiné par notre commission le moment venu et je sais bien que notre collègue Alain Gournac, Président délégué pour la Géorgie du groupe interparlementaire d'amitié France-Caucase, apportera toutes les connaissances qu'il a de ce pays à l'étude de ce dossier. On notera que le volet commercial de l'accord est appliqué à titre provisoire depuis le 1er septembre 2014, dans l'attente de la ratification par les Etats membres puisque la Géorgie, quant à elle, l'a ratifié le 18 juillet 2014.

Quelques mots des relations entre la France et la Géorgie : elles sont amicales et entretenues par des contacts à haut niveau. Toutefois, la Géorgie demeure un partenaire commercial marginal pour la France, même si les échanges commerciaux sont en augmentation : 180 millions d'euros en 2013, contre 120 millions d'euros en 2012. Réciproquement, avec une part de marché d'environ 2%, la France est également un partenaire commercial de second rang pour la Géorgie, derrière notamment la Turquie, l'Azerbaïdjan, la Russie, la Chine, l'Ukraine ou encore l'Allemagne. La dynamique de croissance de ce pays repose largement, depuis 2003, sur les investissements étrangers et le secteur des services, au détriment de l'industrie et surtout du secteur agricole. Ce pays tire également avantage de sa situation de pays de transit pour les hydrocarbures. La prévision de croissance de la BERD pour 2015 est de 2,7%. La Géorgie est classée à la 15e position mondiale (-6 places) par le classement « Doing Business » 2014 de la Banque Mondiale.

Après ce tableau général, venons-en à l'accord proprement dit, qui, je le redis, a un objet modeste. Celui-ci s'inscrit dans le cadre plus général de l'approche globale des migrations et de la mobilité adoptée par le Conseil européen, en 2005, puis modifiée par une communication de la Commission européenne en novembre 2011. Il s'agit principalement d'établir une politique migratoire équilibrée et globale, en partenariat avec les pays tiers, dont un des objectifs est l'ouverture de dialogues en matière de visas, de migrations et de mobilité.

Cette approche globale, que la France a toujours soutenue, s'appuie sur des outils spécifiques comme le partenariat pour la mobilité qui se présente comme un cadre juridiquement non contraignant, reposant sur la réalisation coordonnée d'initiatives concrètes dans le domaine de la migration et visant à favoriser une gestion commune et responsable des flux migratoires.

Un tel partenariat a ainsi été signé, le 30 novembre 2009, entre l'Union européenne et la Géorgie. La France fait partie des seize Etats membres qui se sont engagés dans ce partenariat.

Ce partenariat pour la mobilité, qui complète les accords prévus dans le cadre du partenariat oriental, comprend notamment un engagement relatif à la promotion et à la mobilité légale et professionnelle, notamment dans le cadre des migrations temporaires et circulaires, avec des formations préalables au départ dans le domaine de l'enseignement et de la formation professionnels et de l'apprentissage des langues, ainsi qu'un engagement de retour volontaire et de réintégration pour lutter contre l'exode des cerveaux et la création, d'un système d'échange des étudiants et professionnels.

Cet accord bilatéral se présente ainsi comme l'offre de la France dans le cadre de ce Partenariat pour la mobilité, offre qui a été accueillie avec un vif intérêt par la Géorgie, puisque seulement deux séances de négociation, respectivement en mai et juillet 2010, ont permis de parvenir à la signature d'un accord, le 12 novembre 2013, à Paris.

Concrètement cet accord a pour objet d'organiser une migration professionnelle temporaire, avec une perspective du retour en Géorgie, en facilitant l'admission au séjour temporaire de trois catégories de personnes.

En premier lieu, les étudiants géorgiens à la fin de leur cursus universitaire. Un titre de séjour temporaire d'une durée de douze mois peut leur être accordé lorsqu'ils viennent d'obtenir un diplôme de niveau équivalent au moins au master ou à la licence professionnelle, dans un établissement d'enseignement supérieur français ou dans un établissement d'enseignement supérieur géorgien, lié à un établissement d'enseignement supérieur français par une convention de délivrance de diplôme en partenariat international, et qu'ils souhaitent compléter leur formation par une première expérience professionnelle en France, dans la perspective de leur retour en Géorgie.

Quatre conventions de partenariat ont été recensées, en 2014, par l'ambassade de France à Tbilissi, dans les domaines suivants : informatique (double-diplôme : bachelor géorgien-licence française) ; sciences humaines et sociales, management (double-master) ; sociologie, psychologie et droit. Trois partenariats sont en cours d'élaboration et devraient porter dans les domaines suivants : médecine, tourisme et psychologie.

Pendant la durée de validité de ce titre de séjour, les étudiants géorgiens, déjà présents en France ou venant de Géorgie, sont autorisés à chercher un emploi, puis, le cas échéant, à exercer un emploi en relation avec leur formation, sans que la situation de l'emploi en France ne leur soit opposable. À l'expiration de son titre de séjour, l'intéressé, qui a un emploi ou une promesse d'embauche en relation avec sa formation, est autorisé à poursuivre son séjour sans considération de la situation de l'emploi en France.

La proportion d'étudiants et stagiaires géorgiens en France est faible. Le nombre des premiers titres de séjour délivrés était de 112 en 2012 et de 111 en 2013, ce qui correspond, pour 2013, à 13% de la demande totale des premiers titres de séjour délivrés et place la Géorgie au 62e rang (même rang qu'en 2012).

En deuxième lieu, les titulaires d'un contrat de travail correspondant à une activité inscrite dans la liste des 50 métiers ouverts aux ressortissants géorgiens peuvent obtenir un titre de séjour temporaire portant la mention « salarié » d'une durée d'un an renouvelable. Là aussi, la population concernée est peu nombreuse. Pour toute la catégorie dite professionnelle qui comprend les salariés mais aussi les motifs « saisonnier », « scientifique », « compétence et talents » et « actifs non-salariés », le nombre de titres délivrés, en 2013, est de 43, ce qui correspond à environ 5 % de la demande totale et place la Géorgie au 61e rang.

Il s'agit des 50 métiers pour lesquels les employeurs rencontraient des difficultés de recrutement au moment de la négociation de ce texte. Ces métiers visés à l'annexe 1 de la convention recouvrent un grand nombre de secteurs allant des bâtiments et travaux publics à l'informatique, la banque et les assurances. Cette liste de métiers peut être modifiée par simple échange de lettres entre les autorités gouvernementales.

Le contrat de travail est validé par les services de la main-d'oeuvre étrangère, sans que soit prise en compte la situation de l'emploi en France.

Le nombre de ces titres de séjour temporaire susceptibles d'être délivrés est limité à 500 par an. La modification de ce contingent peut être décidée par simple échange de lettres entre les autorités gouvernementales compétentes. Un comité de suivi, composé de représentants des administrations concernées de chacun des deux pays, est notamment institué à cet effet.

En troisième lieu, cet accord concerne aussi les jeunes professionnels français et géorgiens. Les Parties conviennent en effet de développer les échanges de jeunes professionnels français et géorgiens, âgés de dix-huit à trente-cinq ans, qui se rendent en France ou en Géorgie pour améliorer leurs perspectives de carrière grâce à une expérience de travail salarié. Ils doivent être titulaires d'un diplôme correspondant à l'emploi offert ou posséder une expérience professionnelle dans le domaine d'activité concerné.

Dans le cadre de ces échanges, la situation de l'emploi n'est pas opposable aux jeunes professionnels, tant français que géorgiens, dans une limite globale de 150 personnes par an. Ce contingent peut être modifié par simple échange de lettres entre les autorités gouvernementales compétentes.

Les jeunes professionnels géorgiens peuvent ainsi obtenir un visa de long séjour valant titre de séjour d'une durée de six à douze mois qui peut être prolongé, à condition que la durée de l'ensemble du séjour n'excède pas dix-huit mois. Les jeunes professionnels français, quant à eux, bénéficient d'un titre de séjour temporaire d'une durée de six à douze mois à la fin duquel ils obtiennent le renouvellement de leur titre de séjour conformément à la législation géorgienne, en cas de prolongation de leur contrat de travail.

En outre, de manière unilatérale, la France s'engage à faciliter la délivrance de la carte « compétence et talents » d'une durée de trois ans, aux ressortissants géorgiens « susceptibles de participer, du fait de leurs compétences et de leurs talents, de façon significative et durable, au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, universitaire, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la République française » et directement ou indirectement de la Géorgie. L'expérience menée en France doit être profitable à leur retour, notamment dans la perspective de la création d'entreprises génératrices d'emplois nécessaires en Géorgie.

Cet accord est conclu sur une base de réciprocité et d'égalité de traitement avec les nationaux.

Après un examen attentif, je recommande l'adoption de ce projet de loi qui manifeste concrètement notre soutien à ce pays, même s'il est de portée modeste. Il a une dimension symbolique, puisque c'est le premier instrument bilatéral conclu en matière d'immigration professionnelle avec la Géorgie. La Géorgie a notifié à la France qu'elle avait achevé ses procédures de ratification en février 2014. Si le nombre de personnes concernées semble faible, on peut espérer que cet accord aura un caractère incitatif et confortera l'influence de la France en Géorgie.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 25 juin 2015. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci pour ce travail.

M. Alain Gournac. - Je suis arrivé en retard car je voulais vous rendre compte de la situation à Tbilissi dont les informations que je viens de récolter montrent qu'elle est beaucoup plus grave que ne le laisse penser la question du zoo évoquée dans les médias. Il y a énormément de dégâts. D'ailleurs, je me prépare à partir en Géorgie. Je suis favorable à cet accord, surtout s'il s'agit de faire progresser les compétences en Géorgie. L'intervention de la Présidence française de l'Union européenne en 2008 a été bien utile face au voisin russe. En dépit de la faiblesse de nos relations commerciales, il y a une vraie « soif » de France en Géorgie. Je m'étonne cependant que l'agriculture et le tourisme ne soient pas évoqués dans l'accord.

M. Jeanny Lorgeoux. - Cette évocation de l'agriculture me fait penser aux Géorgiques de Virgile.

M. Hubert Falco. - Il y a de nombreux sportifs géorgiens dans le club de rugby de Toulon. Je veux juste témoigner de la qualité humaine et intellectuelle de ces jeunes gens qui ont beaucoup souffert au cours de l'histoire de leur pays.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure.  - S'agissant de l'agriculture, je veux juste dire que cette convention vise essentiellement des étudiants titulaires d'une licence professionnelle ou d'un master. Je vous rejoins sur la gravité des intempéries et leurs conséquences dramatiques.

Suivant l'avis de la rapporteure, la commission a adopté le rapport ainsi que le projet de loi précité.

Ratification de la convention internationale de Nairobi sur l'enlèvement des épaves - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. Gilbert Roger et le texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 356 (2014-2015) autorisant la ratification de la convention internationale de Nairobi sur l'enlèvement des épaves.

M. Gilbert Roger, rapporteur. - Les épaves occasionnées par des accidents de mer, dont on peut raisonnablement penser, en l'absence de statistiques, qu'elles sont fort nombreuses dans toutes les mers du globe, constituent des dangers pour la navigation et l'environnement. A titre indicatif, le rapport de l'Agence européenne pour la sécurité maritime de 2014 annonce 91 bateaux coulés entre 2011 et 2013, dont 80 définitivement perdus. Il s'agit de bateaux battant pavillon d'un Etat de l'Union ou accidentés dans les eaux internes ou territoriales des Etats membres. 57 % sont des bateaux de pêche.

Dans les eaux territoriales, c'est-à-dire dans la limite des 12 milles marins (environ 22 km), chaque Etat côtier est pleinement souverain pour intervenir sur les épaves. Au-delà, en revanche, aucune règle de droit international ne traite de la question de l'enlèvement des épaves dangereuses, à l'exception du cas où celles-ci peuvent causer une pollution. Tirant les leçons de la catastrophe du Torrey Canyon, en mars 1967, la Convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 autorise, en effet, les Etats côtiers à intervenir en haute mer en cas d'accident pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures. Le protocole adopté en novembre 1973 étend cette possibilité aux cas de pollution par des produits autres que les hydrocarbures. Animés par des considérations environnementales, certains Etats comme la France, les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont également adopté, dès le début des années 70, des règles de droit interne pour intervenir sur des épaves situées en dehors de leurs eaux territoriales. Enfin, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite également convention de Montego Bay, du 10 décembre 1982, qui a défini la zone économique exclusive des 200 milles marins (environ 370 km), reprend des stipulations analogues en permettant aux Etats côtiers de prendre, au-delà de la mer territoriale, des mesures afin de « protéger leur littoral ou leurs intérêts connexes (...) contre la pollution ou une menace de pollution résultant d'un accident de mer ».

Ces dispositions restent donc partielles puisqu'elles ne traitent que les cas de pollution. Partant du constat qu'aucune règle de droit international ne permettait l'enlèvement des épaves au-delà des eaux territoriales, en vue d'assurer tout simplement la sécurité de la navigation, les Etats membres de l'Organisation maritime internationale (OMI) ont entamé, en 1993, des négociations pour combler cette lacune qui ont abouti à la signature, le 18 mai 2007, de la Convention de Nairobi, que nous examinons aujourd'hui.

Cette Convention fixe un cadre juridique international permettant l'enlèvement, par les Etats côtiers, des épaves dangereuses situées dans leur zone économique exclusive. Les stipulations de l'article 3 alinéa 2 permettent aux Etats Parties de choisir d'appliquer la Convention, c'est la clause dite de « opt in », aux épaves situées sur leur territoire y compris leur mer territoriale, à l'exclusion des dispositions énumérées à l'article 4 alinéa 4, notamment celles relatives aux mécanismes de règlement des différends. La France, qui était favorable à l'inclusion expresse et systématique de la mer territoriale dans le champ de la Convention, fera une déclaration en ce sens au moment de la ratification pour que ses eaux territoriales relèvent du même régime que sa zone économique exclusive.

La Convention précise tout d'abord les mesures qui peuvent être prises par les Etats affectés pour « prévenir, atténuer ou éliminer le danger créé par une épave.

Les mesures que peut prendre l'Etat affecté sont soumises à un principe général de proportionnalité et doivent ainsi être proportionnées au danger, raisonnablement nécessaires et prendre fin dès que l'épave a été enlevée.

La Convention donne une définition large de l'épave, qui comprend les navires naufragés ou échoués, les objets perdus en mer par un navire et qui sont échoués, submergés ou à la dérive ainsi que les navires « sur le point de couler ou de s'échouer, ou dont le naufrage ou l'échouement peut être raisonnablement attendu si aucune mesure efficace destinée à prêter assistance au navire ou à un bien en danger n'est déjà en train d'être prise ». Bien qu'excluant les navires de guerre et les navires appartenant à l'Etat ou exploités par l'Etat à des fins non commerciales, la définition du navire est également très extensive puisqu'elle désigne « un bâtiment de mer de quelque type que ce soit » y compris les engins flottants et les plates-formes flottantes, sauf lorsque ces dernières « se livrent sur place à des activités d'exploration, d'exploitation ou de production des ressources minérales des fonds marins ». Dans ce dernier cas, en effet, elles relèvent de la juridiction exclusive de l'Etat côtier aux termes de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

La convention prévoit l'enlèvement de l'épave en cas de danger avéré. Une liste non exhaustive de quinze critères permet de déterminer la dangerosité d'une épave, tels que la hauteur de l'épave au-dessus et au-dessous de la surface de l'eau, la proximité des routes maritimes, la densité et la fréquence du trafic, la nature et la quantité de la cargaison ou d'hydrocarbures.

La Convention décrit la procédure d'enlèvement d'une épave dangereuse en précisant les obligations des différents acteurs. Ainsi, lorsqu'une épave résulte d'un accident de mer, le capitaine et l'exploitant du navire impliqué ont l'obligation d'alerter sans tarder l'Etat affecté, par l'envoi d'un rapport permettant d'évaluer la dangerosité de celle-ci. L'Etat affecté doit localiser, signaler l'épave dangereuse et avertir immédiatement l'Etat d'immatriculation du navire et le propriétaire. Ce dernier a l'obligation d'enlever l'épave dangereuse dans un « délai raisonnable », éventuellement sous certaines conditions fixées par l'Etat affecté, qui peut également intervenir pour s'assurer du bon déroulement des opérations. En cas d'urgence ou si le propriétaire ne peut être joint ou n'intervient pas dans le délai prescrit, l'Etat affecté « peut enlever l'épave par les moyens les plus pratiques et les plus rapides disponibles dans le respect des aspects liés à la sécurité et à la protection du milieu marin ».

La Convention instaure un régime de responsabilité sans faute des propriétaires des navires, qui ont l'obligation de payer les frais de localisation, de signalisation et d'enlèvement de l'épave. Des cas d'exonération limitativement énumérés sont prévus : actes de guerre, hostilité, guerre civile, insurrection, phénomène naturel de caractère exceptionnel, inévitable et irrésistible ; fait délibéré d'un tiers, négligence d'un gouvernement ou d'une autre autorité responsable de l'entretien des feux ou autres aides à la navigation. Des exceptions à la responsabilité civile des propriétaires sont également mentionnées qui les dispensent du règlement des frais si cette obligation de paiement est incompatible avec d'autres instruments internationaux limitativement énumérés et ce, afin de prévenir les conflits juridiques.

Pour couvrir leur responsabilité, les propriétaires de navires d'une jauge brute égale ou supérieure à 300 tonneaux (navires de dimension réduite affectés à des opérations de petit cabotage national) (vedettes de passagers, bacs de petite taille). sont tenus de souscrire une assurance ou une garantie financière suffisante pour un montant équivalent aux limites de responsabilités de la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes modifiée, dite convention LLMC. On rappelle que lors de la ratification de cette convention, la France a opté pour l'exclusion de cette limitation pour les créances liées à l'enlèvement des épaves et qu'en conséquence, cette limitation ne lui est pas opposable. La France a prévu de rappeler ce point dans une déclaration lors du dépôt de l'instrument de ratification.

L'Etat d'immatriculation doit délivrer un certificat d'assurance ou de garantie financière conforme au modèle figurant en annexe de la Convention. Les navires inscrits et battant pavillon d'un Etat Partie ne peuvent pas être exploités s'ils ne sont pas munis de ce certificat, certificat qui doit se trouver à bord du navire et dont une copie doit être déposée auprès de l'autorité qui tient le registre d'immatriculation.

La Convention reconnaît à l'Etat affecté une action directe contre les assureurs ou la personne ayant fourni la garantie financière, en vue d'obtenir le remboursement des frais de localisation, signalisation et enlèvement de l'épave. Cette action est prescrite dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle l'existence d'un danger a été établie. De manière plus générale, aucune action en justice ne peut être intentée après un délai de six ans à compter de la date de l'accident de mer qui a causé l'épave.

Ces délais sont conformes à ceux mentionnés dans les conventions sur la responsabilité civile pour les pollutions par hydrocarbures de cargaison de 1992 et sur les pollutions par hydrocarbures de soute de 2001, les obligations financières des assureurs ne pouvant courir pendant une durée illimitée.

Avant de conclure, je vous indique que des adaptations du droit interne sont à prévoir, principalement une modification du code des transports, en vue notamment d'adopter une définition moins restrictive de l'épave et des dispositions relatives aux obligations du propriétaire de navire en matière d'assurance, au certificat délivré par l'administration des affaires maritimes et aux sanctions en cas de non-respect de ces obligations. Ces points seront examinés le moment venu par notre assemblée et feront, au préalable, l'objet d'une consultation du Conseil supérieur de la marine marchande. Je peux déjà vous dire que les armateurs français sont tout à fait favorables à la ratification de la Convention de Nairobi, notamment en vue d'obtenir de la part de l'administration française le certificat d'assurance que les Etats déjà parties exigent d'eux, ce qui facilitera la circulation de leurs navires.

Sous le bénéfice de ces observations, je recommande l'adoption de ce projet de loi de ratification du premier instrument international traitant spécifiquement de l'enlèvement des épaves, d'autant que la Convention de Nairobi, déjà ratifiée par vingt Etats (Allemagne, Antigua et Barbuda, Bulgarie, Congo, Danemark, Iles Cook, Kenya, Liberia, Malte, Iles Marshall, Inde, Iran, Malaisie, Maroc, Nigeria, Niue, Palau, Royaume-Uni (y compris Ile de Man et Gibraltar), Tuvalu, Tonga). dont l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark, l'Inde, la Malaisie, le Maroc, représentant environ 33 % du tonnage mondial, est entrée en vigueur le 14 avril 2015. La protection de l'environnement et la sécurité de la navigation se trouvent renforcées par cette convention qui allègera les conséquences financières, pour l'Etat français et les collectivités publiques, de l'enlèvement d'une épave dangereuse, en instaurant un régime de responsabilité sans faute des propriétaires des navires et en prévoyant une action directe contre les assureurs pour obtenir le remboursement des frais engagés.

Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour dire tout le mal que je pense des navires qui déposent n'importe quoi, je les appelle des « navires venins », en Méditerranée ou le long de la corne de l'Afrique, avec la complicité de certains Etats. C'est un sujet sur lequel je tire la sonnette d'alarme depuis plusieurs années.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 25 juin 2015. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée.

Je vous propose, quant à moi, un rapport publié en forme synthétique.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport ainsi que le projet de loi précité.

Questions diverses

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, je vous indique qu'en co-présidence avec Mme Elisabeth Guigou et la commission chargée des affaires étrangères à l'Assemblée nationale, notre commission organise un colloque le 9 juillet prochain au matin, pour faire le point sur la diplomatie économique.

Ouvert par Matthias Fekl, secrétaire d'Etat chargé du commerce extérieur, et clôturé par Laurent Fabius, ce colloque s'organisera en deux tables rondes, l'une sur les « nouvelles méthodes » du quai d'Orsay, l'autre sur les « nouveaux fronts » dans la bataille pour l'international.

La première table ronde permettra de s'interroger sur les nouvelles méthodes de la diplomatie économique et de prendre la mesure des évolutions engagées par le Quai d'Orsay en la matière. Rémy Rioux, secrétaire général adjoint du ministère en charge des affaires économiques, précisera les objectifs de cette réforme sur laquelle plusieurs représentants spéciaux échangeront leurs témoignages. Des acteurs du monde de l'entreprise (Philippe Gautier, Medef international) et aussi des acteurs étrangers (Joachim Bitterlich, fin connaisseur des systèmes français et allemand) porteront un jugement sur la pertinence et l'efficacité réelle de cette politique.

La seconde table ronde sera l'occasion d'évoquer les nouveaux fronts ouverts dans la bataille pour l'international : filières prioritaires (santé, tourisme, gastronomie...), conquête des économies émergentes en Asie en particulier, développement de la capacité à exporter des petites entreprises et des entreprises de taille intermédiaire. Sur ce sujet s'exprimeront notamment Muriel Pénicaud, directrice générale de Business France, Xavier Beulin, président de la FNSEA.

Je compte sur votre présence : ce sera un moment fort et aussi une façon à la fois d'évaluer et de consolider le virage vers les « entreprises » effectué par le quai d'Orsay.

D'autre part, en conséquence des décisions du Conseil constitutionnel, notre groupe « Russie » a perdu un de ses co-présidents. Je vous propose de demander à Robert del Picchia de reprendre le flambeau : le déplacement a déjà eu lieu, en mai dernier, à Moscou, le groupe a déjà procédé à de très nombreuses auditions depuis 6 mois, à ce stade, et dans la phase finale de rédaction du rapport dans laquelle nous sommes, il m'apparait plus efficace de se reposer sur les membres de ce groupe qui ont effectué le travail, et qui sont les mieux à même de superviser la rédaction du rapport, qui sera présenté devant notre commission fin septembre ou tout début octobre. Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.

M. Daniel Reiner. - Je veux juste évoquer notre mission en Iran qui a été très intéressante. Nous avons senti une grande soif de France et d'ouverture. Nous n'aurons pas le temps de programmer le rapport sur l'Iran avant la fin de cette session, aussi pourrions-nous peut-être, avant le 30 juin, date limite pour la signature des accords techniques sur le nucléaire iranien, faire une communication à la commission, qui serait nourrie des informations récupérées lors de notre déplacement. Nous présenterions alors le rapport à la rentrée.

M. Jacques Legendre. - Je partage tout à fait cette proposition. Il serait dommage que l'on ne prenne pas la parole avant le 30 juin. Le rapport nécessite un peu plus de temps pour être rédigé. Une communication serait donc la bienvenue et il serait souhaitable qu'elle reçoive une certaine publicité.

M. Daniel Reiner. - J'ajoute que Mme Michelle Demessine et M. Joël Guerriau, qui sont allés en mission en Iran avec nous, soutiennent également ce point de vue.

M. Jean-Pierre Raffarin. - Je vous indique que j'ai demandé à Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, la tenue d'un débat de politique étrangère en séance publique, autour du 15 octobre prochain. À cette date, les différents rapports d'information auront pu être présentés en commission. Ce débat permettra de mettre en valeur nos rapports ainsi que leurs conclusions transversales, comme le rôle des États-Unis. Pour en revenir à la communication sur l'Iran, je vous propose la date du 1er juillet.

Nomination d'un rapporteur

La commission nomme M. Jean-Pierre Grand rapporteur sur le projet de loi n° 512 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et son Protocole de Kyoto concernant la vingt et unième session de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la onzième session de la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au Protocole de Kyoto et les sessions des organes subsidiaires.

Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense - Audition de l'Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine

La commission auditionne l'Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine, sur le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Amiral, c'est un grand plaisir de vous retrouver. Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de vous faire part de la sympathie de la commission alors que vous êtes à la veille d'un déménagement vers Balard qui apportera, certes, toutes les facilités d'un cadre de travail moderne et rationalisé, mais qui vous amènera à quitter l'Hôtel de la Marine où la Marine a jeté l'ancre il y a deux siècles et demi : il est des pages que l'on tourne sans doute avec plus de facilité que d'autres...

Vous nous aviez dit lors d'une précédente rencontre que la programmation de 2013 était taillée « au plus juste », que la Marine était à « plein régime » sur le plan opérationnel, avec 4 à 5 zones de déploiement contre deux prévues au contrat opérationnel, et que toute mission nouvelle (comme les migrants en Méditerranée par exemple) impliquerait des renoncements. Vous évoquiez les difficultés à identifier les déflations d'effectifs restantes, et des problèmes, en ressources humaines, pour la gestion de micro-populations de marins très spécialisés.

Il y avait la question cruciale du renouvellement, en cours, d'une flotte de navires vieillissante.

Depuis, le Conseil de défense du 29 avril, traduit dans le projet de loi d'actualisation de la programmation militaire, a fixé de nouvelles orientations et dégagé de nouveaux moyens. Une FREMM, la « Normandie », a été vendue à l'Égypte et prélevée sur la Marine ; le gouvernement nous dit que le format global -15 frégates de premier rang- a été préservé, que les Frégates de taille intermédiaire, les FTI, ont été avancées : qu'en est-il ? Je ne parle pas du « trou capacitaire » outre-mer à compter de 2017, car en la matière, hélas, rien n'a changé.

Quel est votre degré de confiance dans l'arrivée des crédits budgétaires en particulier en 2015 ? Quelle est votre position sur les associations professionnelles de militaires ? Sur tous ces sujets, à vous la parole, Amiral !

Amiral Rogel, chef d'état-major de la Marine. - Monsieur le président, Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui pour évoquer avec vous le projet d'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) et ses implications pour la marine. C'est toujours un moment de solennité pour moi, car nous parlons non seulement du quotidien, mais encore de l'avenir de notre marine, de nos armées, de notre pays.

Cette actualisation était prévue par la LPM. Comme vous le savez, elle intervient plus tôt que prévu, dans le contexte des attentats de janvier 2015, qui a donné lieu à la mise en place de l'opération « Sentinelle ». Le contexte international est lui aussi en pleine évolution, la marine est très sollicitée sur le plan opérationnel et je ne vois pas cette situation changer à court terme.

Ce projet de loi est une bonne chose pour la défense. Il doit être soutenu. Il est le résultat de la conviction avec laquelle le ministre s'est engagé pour que soient respectées les conclusions du Livre blanc : je rends hommage à son action. Nous devrons bien sûr par la suite rester vigilants, année après année, à sa mise en application.

Ce projet de loi comporte des avancées bienvenues : la transformation des recettes exceptionnelles en crédits budgétaires, les moindres déflations en effectifs, la confirmation de certains programmes d'armement. Si je devais résumer, je dirais que l'actualisation de la LPM nous permet de confirmer globalement pour la marine la trajectoire du Livre blanc et nous permet de mener comme prévu le plan « Horizon marine 2025 », ce qui est en soi une très bonne chose.

Je voudrais commencer par replacer ce projet de loi dans son contexte vu de la marine. Ce contexte, c'est celui d'un durcissement de la situation stratégique mondiale, perceptible en mer. C'est un contexte où la marine reste fortement sollicitée sur le plan opérationnel. C'est également un contexte où elle doit poursuivre son effort de transformation pour s'adapter aux nouveaux enjeux et aux nouvelles menaces. C'est l'objet du plan stratégique « Horizon marine 2025 », qui est pour la marine une révolution plutôt qu'une évolution, un changement en profondeur. Cet effort passe notamment par le nécessaire renouvellement de sa flotte, aujourd'hui vieillissante.

Les aspects maritimes de l'évolution du contexte stratégique sont relativement peu abordés dans le projet de loi - on ne pouvait pas tout y mettre. Et pourtant, ce milieu connaît aujourd'hui d'importantes ruptures stratégiques dont nous devons tenir compte. Le rapport d'information sur la maritimisation, publié au nom de votre commission en juillet 2012 avait vu certaines de ces ruptures et je rends hommage une fois de plus aux sénateurs Trillard et Lorgeoux pour ce travail. Ses conclusions sont confirmées et restent parfaitement d'actualité aujourd'hui. Au cours de ces derniers mois, les grandes tendances liées aux espaces maritimes se sont confirmées.

La redistribution des puissances maritimes se poursuit. J'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer devant vous : la Chine, la Russie, le Japon, le Brésil, l'Inde, sans oublier bien entendu les Etats-Unis, sont les acteurs de cette redistribution.

Pour ne citer qu'un de ces pays, la croissance de la marine chinoise est probablement la plus spectaculaire. J'ai pu m'en rendre compte en me rendant en Chine au mois d'avril. La Chine vient de publier un nouveau Livre blanc de la défense. Ce document met un accent particulier sur le volet maritime de la stratégie de défense chinoise et affirme la vocation planétaire de sa marine. Il y a 4 ans, la marine chinoise opérait essentiellement en mer de Chine. Aujourd'hui on la voit partout, en océan Indien, en Méditerranée, dans le golfe de Guinée... Il en va de même pour la Russie.

Je n'oublie pas les autres pays que je vous ai cités. Dans ce bouillonnement des puissances maritimes, je trouve que l'Europe reste pour le moins absente et c'est l'une de mes préoccupations.

La territorialisation des espaces maritimes est à l'oeuvre, comme on peut le constater en mer de Chine, dans le grand Nord avec le changement climatique ou à l'Est de la Méditerranée pour ses gisements gaziers. Face à la question des ressources, cet enjeu s'étendra partout, j'en suis absolument convaincu.

Certains conflits régionaux ont des répercussions en mer. Je pense à la crise yéménite, qui, ces dernières semaines, a fait naître des tensions autour du détroit de Bab-el-Mandeb. Ce détroit voit passer 17 000 navires par an, soit 30% de nos approvisionnements en hydrocarbures et 90% des biens manufacturés en provenance d'Asie. Une fermeture de ce détroit aurait des conséquences immédiatement visibles sur nos économies. L'alternative serait de contourner l'Afrique, ce qui représente environ trois semaines de délai. Dans une économie à flux tendus, cela se répercuterait immédiatement par des pénuries sur les rayonnages de nos supermarchés. Je pense également à la crise syrienne ou à la situation politique dans certains pays d'Afrique, qui, combinées avec la situation en Libye, poussent un très grand nombre de personnes à tenter le voyage vers l'Europe. Nous en constatons les effets aujourd'hui, avec des flux de migrants toujours plus importants et une exploitation de ces flux par des réseaux de passeurs sans aucun scrupule.

La piraterie et les trafics en mer ne tarissent pas. Sous contrôle en océan Indien, la piraterie repart en Asie du Sud-Est et sévit dans le golfe de Guinée, sous des formes parfois nouvelles comme le « bunkering ». Dans de nombreux cas, ces activités criminelles ont des liens étroits avec les groupes armés terroristes. Les administrations françaises ont saisi 5 tonnes de drogue en mer depuis le début de l'année.

Je pense enfin au changement climatique, qui aura un impact croissant sur les mouvements de population et qui, en ouvrant à terme de nouvelles routes ou en permettant l'accès à de nouvelles ressources, se répercutera sur les espaces maritimes.

La marine est aujourd'hui en surrégime opérationnel : je vous indiquais en effet lors de ma précédente audition que la marine opère en permanence dans 4 à 5 zones, alors que le Livre blanc n'en prévoyait que « 1 à 2 ». De nouvelles sollicitations ont fait leur apparition depuis et certains dispositifs ont été renforcés. Au cours de ce début d'année 2015, la marine a connu des périodes où elle était déployée simultanément sur 6 théâtres (Atlantique nord, Afrique de l'ouest, Méditerranée orientale, océan Indien, golfe arabo-persique, mer de Chine). Cela me contraint à proposer des choix au CEMA et à démunir au profit de l'urgence certaines missions de l'AEM ou certains exercices internationaux majeurs, importants pour le maintien de nos savoir-faire.

La mission Frontex, puis à terme, l'opération européenne de surveillance et de contrôle de l'immigration en Méditerranée centrale constitue à cet égard pour la marine un nouveau défi.

En océan Indien, au début de cette année, le groupe aéronaval a été engagé aux côtés de nos camarades de l'armée de l'air pendant plusieurs semaines dans l'opération Chammal, réalisant des frappes en Irak à partir du golfe arabo-persique. Début avril, trois de nos bâtiments ont assuré l'évacuation par voie de mer - la seule praticable - d'une centaine de ressortissants français et étrangers du Yémen. La marine a également participé, dans le cadre d'une coalition, à une mission de sécurisation du détroit de Bab-el-Mandeb avec la présence d'un chasseur de mines.

La marine contribue également à la protection et à la défense du territoire national à travers un dispositif permanent, qui permet d'assurer la surveillance des approches maritimes et portuaires, ainsi que la protection de ses emprises (dont les emprises nucléaires). Ce dispositif comprend les sémaphores, les centres régionaux opérationnels de sauvetage et de surveillance (CROSS), la gendarmerie maritime ou encore les fusiliers marins. Il implique 3000 marins soit environ 10% des effectifs de la marine. Ce dispositif permanent n'a pas attendu le mois de janvier 2015 pour être mis en place. Il a toutefois été renforcé à la suite des attentats. Nous devrons pouvoir le faire tenir dans le temps, au même titre que l'opération « Sentinelle ».

Dans le même temps, la marine poursuit sa participation à l'opération Atalanta, mission de lutte contre la piraterie en océan Indien. Elle maintient un bâtiment déployé dans le cadre de l'opération Corymbe en Afrique de l'ouest aux côtés des marines africaines. Elle poursuit sa participation à Barkhane, aux côtés des autres armées.

Je n'oublie pas la dissuasion ou les missions d'action de l'Etat en mer.

Dans le même temps, la marine poursuit sa transformation. C'est l'objet de son plan stratégique « Horizon marine 2025 », qui s'inscrit dans le projet général du CEMA « Cap 2020 ». La marine a choisi 2025 plutôt que 2020 parce que sa construction s'inscrit dans le temps long. « Horizon marine 2025 » est articulé en 4 volets, qui constituent les 4 enjeux de la marine : « Agir », « Adapter », « Etre marin », « Bâtir ».

Le premier enjeu est la tenue du contrat opérationnel. C'est l'objet du volet « Agir ». Ce volet s'appuie sur un MCO naval toujours plus performant et la pleine contribution de la marine aux efforts interarmées d'amélioration du MCO aéronautique. Il fait appel à une préparation opérationnelle innovante et adaptée à l'évolution des menaces en mer, ainsi qu'à une organisation du commandement qui s'adapte en permanence au tempo élevé et au contexte des opérations. L'une des principales qualités de nos armées aujourd'hui est leur réactivité, rendue nécessaire par la contraction des temps, médiatiques, politiques et militaires. Le volet « Agir » s'appuie enfin sur une coopération et une interopérabilité renforcées avec nos principaux partenaires internationaux, au premier rang desquels les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l'Allemagne.

J'ai intitulé le deuxième volet « Adapter ». Ce volet vise à faire évoluer les organisations de la marine vers toujours plus d'efficacité dans un contexte interarmées. Le déménagement vers Balard, qui interviendra dans les jours qui viennent, constitue un des jalons de ce volet et représente pour les échelons parisiens de la marine un changement profond et un vrai défi pour un organisme très centralisé. La direction du personnel militaire de la marine verra ainsi ses effectifs répartis entre Paris, Tours et Vincennes. Cela nécessitera pour elle la mise en place de nouvelles méthodes de travail. Toujours dans le cadre de ce volet, la marine fait évoluer ses capacités de bâtiments à dominante mécanique vers des bâtiments à dominante informatique. Une FREMM faisant appel aux technologies de calcul les plus modernes n'a plus grand chose à voir avec une de nos anciennes frégates anti-sous-marines de 35 ans d'âge, où l'on trouve encore des équipements de type « armoire normande » remplis de fils soudés. Une telle mutation a des implications profondes sur tout le modèle RH. Elle requiert des compétences moins nombreuses, mais plus spécialisées, tout en restant capable de maintenir au service les matériels les plus anciens. Ce changement de structure est pour la marine un véritable défi, car elle doit préserver ses compétences humaines et technico-opérationnelles et assurer la transition entre anciens et nouveaux équipements.

Le troisième volet du plan « Horizon marine 2025 » s'intitule « Etre marin ». Il touche au coeur des ressources humaines de la marine et s'appuie sur une gestion de carrière individualisée, à travers la valorisation de l'identité de marin, ou encore à travers un dispositif de dialogue interne qui permet de prendre en compte les contraintes des marins et leurs aspirations. Ce volet comprend ce que j'appelle l'« escalier social », c'est-à-dire la mise en place de carrières valorisées, avec des équivalences généralisées entre qualifications militaires et diplômes civils qui bénéficient tout autant à la marine qu'aux marins eux-mêmes. Cela permet à 80% des marins qui quittent l'institution de se reclasser en moins d'un an : c'est à la fois mon meilleur et mon pire indicateur. La marine doit par ailleurs prendre en compte dans la formation qu'elle dispense les nouvelles caractéristiques de la société, par exemple l'arrivée d'une jeune génération e-connectée, pour qui être déconnecté comme on peut l'être par exemple sur un sous-marin n'est pas une chose naturelle.

Enfin, le quatrième volet s'appelle « Bâtir » et concerne la modernisation de l'outil. Ce volet vise à intégrer les nouvelles capacités de la marine, en prenant en compte l'adaptation de nos infrastructures, de nos doctrines ou encore de nos formations. A titre d'exemple, le premier tir de missile de croisière naval a été réalisé avec succès à partir de la frégate « Aquitaine » il y a quelques jours. Cette nouvelle capacité apporte à la France un outil de dimension stratégique et offre ainsi au chef des armées un nouveau moyen dans la palette des options stratégiques en cas de crise. Cette nouvelle option stratégique doit être prise en compte à tous les niveaux.

À travers ce plan « Horizon marine 2025 », c'est une profonde transformation que traverse aujourd'hui la marine. J'ai pour habitude de comparer sa transformation à un grand carénage, au cours duquel le bateau « marine » subirait à la fois un changement de moteurs, un remplacement de son système d'armes, la livraison d'un nouveau système de combat requérant des compétences rares et un resserrement de son équipage... un changement profond et de grande ampleur.

Je voudrais maintenant vous parler des implications de l'actualisation de la LPM pour la marine. L'exercice consiste pour la marine à trouver le juste équilibre entre effectifs, équipements, activité et infrastructure. Dans le domaine de l'équipement, les nouvelles sont satisfaisantes. Je reste attentif aux effectifs, à l'activité et aux infrastructures, car des fragilités demeurent aujourd'hui et tous les arbitrages internes aux armées n'ont pas encore été rendus.

Je commencerai par vous livrer mon analyse concernant les effectifs. La moindre déflation est une très bonne chose, car elle apporte un bol d'air aux armées dans un contexte de renforcement de certaines de leurs missions (en particulier, la protection).

Je voudrais rappeler trois caractéristiques de la marine : premièrement, elle est la plus petite des trois armées ; deuxièmement, c'est une armée hautement technique ; troisièmement, les contraintes vécues par les marins sont importantes. Un marin embarqué sur frégate connaît 180 jours de contrainte opérationnelle par an, dans des conditions de vie à la mer parfois difficiles.

La marine doit conduire une manoeuvre comportant deux volets.

Le premier volet consiste à poursuivre l'effort de déflation auquel la marine s'est engagée dans le cadre de la LPM. Ceci n'a pas changé. Cet effort porte sur un peu plus de 2 000 postes dont la moitié a été supprimée en 2014 et 2015. Ces postes ont été identifiés grâce à une analyse fonctionnelle. L'essentiel de cet effort de déflation repose sur la réduction du format et le remplacement de bâtiments d'ancienne génération par des bâtiments modernes aux effectifs resserrés (les effectifs sont divisés par 2,5 dans le cas du passage d'une frégate anti-sous-marine d'ancienne génération à une FREMM). Les équilibres sont actuellement tenus et nous atteignons nos objectifs, mais, dans le cadre de cet effort de déflation, je dois veiller à trois points particuliers : premièrement, ne pas aller au-delà de l'effort actuellement consenti, sous peine de mettre en péril les compétences rares et précieuses dont la marine a besoin ; je rappelle qu'elle s'appuie sur de nombreuses micro-filières de marins hautement qualifiés. Ce sera chaque jour un peu plus le cas avec l'arrivée des nouveaux équipements. Deuxièmement, je dois veiller à ce que la manoeuvre de dépyramidage ne prenne pas le contre-pied du nouveau modèle de la marine. La flotte que nous sommes en train de bâtir sera composée de bâtiments avec un niveau de technologie accru, avec des effectifs resserrés. Mécaniquement, le taux d'encadrement embarqué est donc appelé à augmenter. Enfin, le cadencement des déflations devra rester en phase avec le calendrier des retraits de service et des entrées au service des nouveaux équipements. Dans le cas contraire, cela nous poserait vraiment de gros problèmes.

Le deuxième volet de la manoeuvre RH que je dois conduire consiste à profiter des moindres déflations pour renforcer les effectifs dans certaines fonctions, pour répondre à des besoins nouveaux. Ces renforcements sont de deux ordres : des créations de postes à caractère définitif et des renforts à caractère temporaire.

En premier lieu, un renfort définitif justifié par l'évolution du contexte sécuritaire. Comme je vous l'indiquais, la marine a renforcé son dispositif de protection à la suite des attentats du mois de janvier, mais toujours avec le même volume de fusiliers. Ce dispositif est aujourd'hui sous forte contrainte, avec un taux d'emploi extrêmement élevé des marins concernés par cette tâche. Certains marins (c'est notamment le cas des fusiliers) sont mobilisés plus de 70 heures par semaine pour des tâches de protection qui ne sont pas les plus gratifiantes. Ils n'ont pas de relève. J'ai donc demandé que la marine puisse disposer de 500 postes de fusiliers marins supplémentaires. 300 autres postes environ permettront de renforcer la sécurité et la sûreté des installations de la marine. Voilà pour le renfort définitif directement issu des événements de janvier.

S'agissant du renforcement temporaire en effectifs, la marine a besoin de 250 postes en renfort.

La frégate « Normandie », qui devait être livrée à la marine, est finalement vendue à l'Egypte. De manière à tenir le contrat opérationnel, trois frégates anti-sous-marines d'ancienne génération, en fin de vie, seront prolongées d'un an chacune. Leur équipage est plus nombreux que celui d'une FREMM ;

Il a été demandé à la marine de contribuer à la formation des marins égyptiens, en mettant à disposition une trentaine de marins. Ces marins seront prélevés sur le vivier encore très réduit des spécialistes FREMM de la marine. C'est ce même vivier qui doit assurer la montée en puissance du programme FREMM.

Le plan d'équipement de la marine reste conforme aux prévisions. L'actualisation de la LPM confirme certains engagements qui étaient attendus : la feuille de route des programmes frégates, le 4ème B2M (bâtiment multi-missions), les BSAH (bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers). Elle n'est pas revenue sur des problèmes que la LPM a d'ailleurs déjà identifiés comme les patrouilleurs de haute mer, singulièrement outre-mer, ou le renouvellement des hélicoptères légers, mais c'est un risque accepté par le Livre blanc. Nous resterons donc pour ces derniers sur la feuille de route initiale de la LPM avec la même prise de risque liée à la prolongation d'équipements vieillissants.

Je commencerai par évoquer la flotte de premier rang, c'est-à-dire les capacités de combat de la Marine.

Le projet de loi confirme tout d'abord le calendrier de livraison des FREMM. Pour autant, le programme subit un retard d'une année à la suite de la vente de la frégate « Normandie » à l'Egypte, ce qui contraint la marine à maintenir en activité des bâtiments de génération plus ancienne. La capacité de lutte anti-sous-marine de la marine reste pour le moment sous forte tension, avec un déficit de 3 bâtiments sur 8 en attendant l'admission au service actif des 2 premières FREMM et une capacité reposant sur des bâtiments vieillissants, ce qui a un coût en ressources humaines et en MCO.

Le lancement du programme « frégates de taille intermédiaire » (FTI) est lui aussi confirmé et avancé de deux ans, avec une première livraison en 2023. Ce programme, qui comprendra 5 unités, permettra d'atteindre en 2029 le format de 15 frégates de premier rang de nouvelle génération. Ce format comprendra donc les 2 frégates de défense aérienne « Forbin » et « Chevalier Paul » actuellement en service, 6 FREMM anti-sous-marines livrées avant 2019, 2 FREMM à capacité renforcée de défense aérienne livrées respectivement en 2021 et 2022 et 5 FTI. Nous serons sur le trait en 2019.

Le lancement du programme « FLOTLOG » au cours de la période de la LPM est lui aussi confirmé. Le pétrolier ravitailleur « Meuse » a été retiré il y a quelques jours du service actif dans le cadre de la réduction de format. Avec ce désarmement, le format de la flotte logistique prévu par le Livre blanc (3 bâtiments) est désormais atteint, mais les bâtiments vieillissants qui la composent ne correspondent plus aux exigences modernes. Ce vieillissement est l'un des risques importants de la LPM. Le lancement du programme FLOTLOG est donc essentiel pour renouveler la capacité de la marine à se déployer loin et longtemps. Mon homologue danois me rappelait il y a peu sa satisfaction d'avoir pu disposer d'un pétrolier-ravitailleur français lors des opérations de désarmement chimique en Syrie.

Je voudrais maintenant en venir aux bâtiments de souveraineté, qui assurent les missions de surveillance et d'assistance dans nos espaces maritimes, c'est-à-dire à la fois nos missions de souveraineté, mais aussi celles de la protection de nos concitoyens contre les menaces maritimes ou venant de la mer.

Le projet de loi prévoit la commande du 4ème bâtiment multimissions (B2M) et de 4 bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH). Ces bâtiments étaient fortement attendus par la marine et par l'ensemble des responsables interministériels de l'action de l'Etat en mer, je vous en avais déjà beaucoup parlé.

C'est donc une excellente chose. Les B2M rempliront des missions de soutien logistique et de surveillance dans nos espaces de souveraineté outre-mer. Les BSAH conduiront pour leur part des missions d'assistance, de remorquage ou de lutte anti-pollution en métropole. 4 BSAH militaires et 4 BSAH affrétés par la marine doivent à terme remplacer 11 bâtiments de soutien actuellement en service, dont l'âge devient vénérable.

S'agissant des patrouilleurs, 2 patrouilleurs légers guyanais (PLG) sont livrés d'ici 2017 pour répondre au besoin urgent de remplacement des P400 qui y assuraient les missions de police des pêches. Je suis très vigilant sur le reste de la flotte des patrouilleurs outre-mer, dont la situation est préoccupante. Avec le vieillissement accéléré des patrouilleurs outre-mer, la rupture de capacité sera de 30% en 2017 et de 60% en 2020. C'est un risque accepté par le Livre blanc. L'échéancier de livraison des patrouilleurs BATSIMAR est toujours annoncé pour 2024. Cette arrivée très tardive est pour moi une préoccupation. Les B2M compenseront le départ des bâtiments de transport léger (BATRAL) pour assurer les missions de soutien logistique dans les DOM/COM, ils ne combleront donc pas la réduction capacitaire des patrouilleurs. Il faudra se reposer la question lors de la future LPM pour essayer d'avancer le programme BATSIMAR au moins à 2020.

Je suis également préoccupé par les hélicoptères légers. L'âge de nos hélicoptères est aujourd'hui vénérable (42 ans pour les Alouette 3, 33 ans pour les Lynx). Ces hélicoptères rendent encore de bons services, mais leur maintien en condition opérationnelle est délicat et leur taux de disponibilité aléatoire. Là encore, la date d'arrivée des hélicoptères interarmées légers me paraît bien tardive.

Au bilan, en matière d'équipements, cette actualisation de la LPM nous permet d'être sur le schéma du Livre blanc.

En matière d'activité, je voudrais tout d'abord rappeler que la marine autofinance en quasi-totalité ses opérations : 98% de son activité est en effet prise sur son enveloppe budgétaire propre. Elle émarge très peu au budget des opérations extérieures : en 2014, elle a bénéficié de 30 millions d'euros sur 1,1 milliard alloué à ce budget. Ce sont notamment ses crédits d'entretien qui supportent cette charge. C'est important de le rappeler quand on parle d'arbitrages financiers.

L'activité est un domaine essentiel, sans lequel la marine ne serait pas en mesure de conduire ses missions. Le niveau d'activité de la marine est actuellement en-deçà de la norme. La LPM prévoit une remontée de l'activité à partir de 2016. Je suis confiant sur le fait que nous allons y arriver.

En attendant, je suis contraint de faire des choix, en privilégiant l'activité opérationnelle sur la préparation opérationnelle et notamment en réduisant les entraînements majeurs ou la participation aux exercices multinationaux. Cette situation devra rester temporaire pour ne pas risquer de porter atteinte aux compétences de la marine.

Le projet d'actualisation de la LPM abonde les crédits d'entretien du ministère à hauteur de 500 millions d'euros. Il prévoit également de porter un effort particulier sur les équipements en redéployant à leur profit 1 milliard d'euros. Cet effort est obtenu en tablant sur ce que certains appellent l'effet « coût des facteurs », c'est-à-dire sur des gains qui seront réalisés grâce à l'amélioration des indices économiques : inflation, coût des hydrocarbures, coût des matières premières. Il conviendra de bien les identifier. A cet égard, les amendements votés à l'Assemblée pour sécuriser les ressources non budgétaires subsistant dans cette actualisation de la LPM constituent, à mes yeux, un signal rassurant.

Similairement, je ne voudrais pas que, pour une raison ou pour une autre, le financement des projets d'infrastructure de la marine soit fragilisé. L'arrivée dans les forces des nouveaux équipements, comme les FREMM ou les Barracuda, s'accompagne de travaux d'infrastructure importants et incontournables pour pouvoir assurer le soutien de ces unités.

Dans le même temps, nos infrastructures industrielles et portuaires, dont beaucoup datent du plan Marshall, sont vieillissantes. C'est le cas des installations électriques des ports de Brest et Toulon. Ces infrastructures sont indispensables au MCO et à l'activité. Or aujourd'hui, la ressource programmée pour ces remises à niveau ne couvre que 60% des besoins.

Pour conclure, je voudrais faire trois observations.

Tout d'abord, nous sommes toujours dans un costume taillé au plus juste, comme le dit le CEMA. Il est désormais important d'appliquer année après année cette LPM révisée, d'autant que, le paramètre des effectifs étant figé, ce sont les équipements et l'activité qui portent tous les risques financiers dus aux aléas annuels.

Ensuite, les événements qu'a connus la France au mois de janvier dernier sont tragiques et le renforcement du dispositif de protection était nécessaire. Pour autant, il me semble important que cette menace n'éclipse pas les autres menaces et les autres enjeux, qui n'ont pas disparu en janvier 2015. Parmi elles la menace terroriste en mer ou venant de la mer.

Je voudrais enfin redire toute ma fierté vis-à-vis des marins qui servent sous mes ordres. Ils font preuve d'une disponibilité sans faille et conduisent leurs missions avec professionnalisme et détermination. Les contraintes qu'ils vivent aujourd'hui sont importantes et se ressentent sur leur moral. Cela pourrait avoir des conséquences en matière de fidélisation. Cela reste pour moi une préoccupation forte, dans la mesure où, en l'absence de marges, toute répercussion en termes de ressources humaines aurait un impact immédiat pour la marine.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci beaucoup. Je vous propose de commencer par les questions des deux rapporteurs du rapport d'information sur la maritimisation, qui a fait date, Messieurs Trillard et Lorgeoux.

M. André Trillard. - Pourriez-vous nous faire un point sur le déménagement à Balard qui pourrait, si on n'y prend garde, manquer à son objectif de mise en cohérence des moyens ?

L'extension maritime de la crise yéménite vous paraît-elle une simple extension territoriale de ce qu'il se passe avec la Somalie ? Ou est-ce un risque de nature différente ?

Reste-t-il des scories du système Louvois ? Possédez-vous les moyens de contrôler tout cela ?

Je souhaiterais enfin souligner votre implication pour la structuration de la coopération internationale dans le Golfe de Guinée, avec les Marines africaines, coopération que je trouve indispensable et très utile.

M. Jeanny Lorgeoux. - Où en sommes-nous dans le dialogue avec la Marine britannique ? Quelle est en la teneur ?

M. Jacques Gautier. - Je souhaiterais saluer l'engagement de vos marins ; et notamment la disponibilité des Rafale sur le porte-avion Charles de Gaulle dans le golfe arabo-persique, à hauteur de 80% - c'est mieux que s'ils étaient à terre - ainsi que souligner l'engagement des marins embarqués sur les « vieilles frégates ». Comment parvenez-vous à intégrer l'impact de la livraison de la FREMM à l'Egypte dans la trajectoire de déflation des effectifs que l'on vous demande ? Comment parvenez-vous à gérer cela alors que le maintien de frégates anciennes mobilisera des centaines de personnels de plus que ceux prévus ?

Lors du Salon du Bourget, Airbus nous a présenté le drone à voilure tournante, le Tanan, dont les capacités correspondraient parfaitement aux besoins de la Marine. Une expérimentation devrait d'ailleurs vous être proposée.

Dans cette satisfaction générale, je m'inquiète cependant sur un montage budgétaire qui semblerait faire glisser la rénovation du Charles De Gaulle d'un exercice- de fin 2016 à début 2017, et sur le décalage de la livraison du premier SNA, le Barracuda. Pourriez-vous me confirmez cela Amiral ?

M. Robert del Picchia. - Avec Gilbert Roger, nous nous occupons du volet « personnel » de la Loi de programmation militaire. Les députés ont fixé un délai maximum de cinq ans pour intégrer les associations professionnelles de militaires au sein des conseils de la fonction militaire (CFM) ; cela vous semble-t-il raisonnable ?

Pourriez-vous également nous donner votre avis sur la réserve opérationnelle ? La LPM votée en 2013 prévoit qu'un militaire bénéficiaire d'une pension afférente au grade supérieur ne puisse prétendre à rejoindre la réserve opérationnelle, alors que cela est possible pour les militaires bénéficiant d'un pécule. Est-ce justifié ?

Quand vous parliez de nouvelles zones d'intervention, entendiez-vous la Libye si l'Union Européenne ou les Nations unies donnent leur feu vert ?

M. Xavier Pintat. - Amiral, pourriez-vous nous dire quelques mots sur la contribution française dans le renforcement de la présence de l'Union Européenne en mer Méditerranée et dans son action dans la lutte contre les réseaux criminels qui exploitent les migrants, suite au Conseil européen du 23 avril ? En avons-nous les moyens d'y contribuer, en plus de toutes les autres missions ?

Je souhaiterais également avoir une autre précision ; le décalage du Barracuda est-il un problème ou est-ce anecdotique pour la Marine ?

Concernant les effectifs, la moindre déflation des effectifs décidée par le Président de la République vous permet de renforcer vos effectifs de 1050 hommes. Comment seront affectés ces effectifs « en plus », que vous pourriez maintenir ou réorienter grâce à cette moindre déflation ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous avez mentionné la révolution et les changements importants que vous traversez en ce moment. Concernant l'engagement opérationnel, vous avez fait référence à la piraterie, qu'en est-il aujourd'hui de la situation de bateaux qui continuent peut être d'être arraisonnés, mais dont les médias ne parlent plus ? Quels moyens et actions ont été mis en place pour prévenir et combattre ces actes?

Il existe un certain nombre de zones maritimes sous tensions, notamment à cause de la présence de ressources naturelles sous-marines, telle que Chypre. Je souhaiterais avoir votre opinion sur cette question. Je souhaiterais également savoir quel rôle nous avons dans la surveillance de ces zones ? Comment voyez-vous leur évolution ?

M. Christian Cambon. - Vous avez exposé le paradoxe de la multiplication des missions dans un contexte marqué par les contraintes budgétaires et financières que nous connaissons. Au-delà des missions traditionnelles, il existe des missions nouvelles et notamment la lutte contre la piraterie, mais surtout la lutte contre l'immigration sauvage en Méditerranée. Dans ce contexte, quel est le niveau de coopération avec les marines européennes en Méditerranée et particulièrement avec l'Espagne et l'Italie qui subissent de plein fouet cette immigration ?

Sur un plan purement technique, que pourrions-nous faire si la situation se dégradait brusquement en Libye, avec le risque de voir des bateaux entiers s'échouer volontairement sur nos côtes ? Les dernières déclarations de dirigeants qui suggèrent des mesures telles que le blocus des côtes libyennes sont-elles des évolutions réellement envisageables ? Que pensez-vous des scenarii de djihadistes qui atteindraient, de façon coordonnée, notre territoire par ce moyen ? Qu'est-il possible de faire ?

D'autre part, la coopération européenne est-elle un moyen de pallier l'arrêt technique majeur du Charles de Gaulle, prévu en 2017, dans un cadre international qui ne risque pas de voir les tensions s'apaiser ?

M. Joël Guerriau. - La protection reste tout de même une des fonctions majeures de la Marine et je voudrais revenir sur les zones économiques exclusives. L'Albatros arrête ses fonctions, et il sera remplacé par les B2M. Ces derniers permettent-ils de réaliser des fonctions de même nature ? Comment évolue le contexte de protection des ZEE par rapport à l'expérience qu'acquiert la Marine ? Et de façon plus précise, où seront construits les B2M ?

M. Gilbert Roger. - Vous avez évoqué le dépyramidage de nos équipages, mais à l'envers avec l'arrivée des nouveaux bâtiments. Si j'ai bien compris vous y souhaitez une augmentation des professionnels de haute technicité ?

M. Alain Gournac. - Quels services resteront localisés à Houilles ?

Amiral Rogel, chef d'état-major de la Marine. - Concernant le projet Balard, il y a naturellement une cohérence certaine. Rassembler toutes les DRH des armées à Tours me parait être une bonne idée, bien que nous aurons moins de contacts physiques avec ces personnes. L'essentiel des services qui doivent être centralisés, ceux qui concourent aux décisions centrales, le seront à Balard et c'est cela l'important. Le service de recrutement de la Marine sera positionné à Vincennes.

Concernant la crise yémenite, nous la suivons de très près car elle peut avoir des implications à la mer et notamment dans le détroit de Bab-El-Mandeb. Si des missiles sol-air de longue portée venaient à tomber dans des mains indésirables, cela pourrait faire peser une large menace sur ce détroit vital.

Louvois est en effet un logiciel capricieux qui ne supporte pas les changements, et qui a du mal en particulier à prendre en compte les mutations vers l'outre-mer ou en retour en métropole. Cependant, nous arrivons à le contrôler aujourd'hui grâce au Centre d'Expertise des Ressources Humaines de la Marine. La surveillance personnalisée qu'exerce tout le personnel de notre chaîne RH fait que nous n'avons eu aucun cas de solde non payée dans la Marine. Je souligne par ailleurs que la qualité de cette gestion a conduit le Ministre de la Défense à nous désigner première armée à passer sous le futur système de solde, « Source Solde ». C'est un nouveau défi pour nous que d'aider à bâtir ce nouveau système tout en maîtrisant l'ancien ; un défi que je relève avec confiance grâce à la qualité de mon personnel des ressources humaines.

Le Golfe de Guinée, qui me tient particulièrement à coeur, est aujourd'hui une zone de non-droit où prolifèrent la piraterie, et tous les trafics - d'armes, de drogues, et d'êtres humains - ainsi que la pêche illégale. Notre ambition, en appui du Ministère des affaires étrangères, c'est la mobilisation des pays africains. Bien qu'ils ne soient pas tous naturellement tournés vers la mer, il existe aujourd'hui une véritable prise de conscience ; la mise en place d'un réseau de centres de crise et de surveillance le long des côtes du Sénégal à l'Angola le prouve. Nous apportons notre contribution, en particulier à travers la mission « Corymbe » qui assure la permanence d'un bâtiment français dans le Golfe de Guinée destinée initialement à permettre une évacuation de nos ressortissants qui sont 70 000 dans le Golfe de Guinée. Cette mission a évolué au cours du temps avec un volet anti-piraterie car le trafic maritime français s'est beaucoup développé dans cette zone. Enfin, une partie de cette mission a été dédiée depuis deux ans à une nouvelle mission (Mission « Nemo ») de formation des marines africaines. Il s'agit d'une sorte d' « université flottante ».A chaque déploiement d'un bâtiment de la marine dans le Golfe de Guinée, le Commandant en chef pour l'Atlantique, en charge de cette zone, se coordonne avec ses homologues africains pour répondre aux besoins en formation. Dans un contexte budgétaire restreint, ce format nous permet de les former à moindre coût ; et cela fonctionne très bien, à chaque mission, nous formons une dizaine de marines africaines environ. Cependant, l'action ne peut pas venir que des marines, l'action politique est indispensable, c'est tout le principe de l'action de l'État en mer et de la coopération interministérielle. Nous organisons le premier séminaire des Chefs d'états-majors des marines du Golfe de Guinée, avec la participation des chefs d'états-majors du Danemark, de l'Espagne et du Portugal également, les 25 et 26 juin prochains à Brest. Il s'agira de se pencher sur l'appropriation de la zone, et comment mieux fonctionner ensemble, notamment de façon interministérielle.

Le dialogue avec la marine britannique se poursuit, notamment dans le cadre de la CJEF (Combined  Joint Expeditionary Force). Pour la première fois, une frégate britannique a pris le rôle de commandement de la protection anti sous-marine du Charles de Gaulle pendant le déploiement « Arromanches ». Compte tenu du contexte budgétaire de la marine britannique c'était un bel effort que je veux saluer. De plus, les Britanniques construisent actuellement deux porte-avions - qui accueilleront des avions de construction américaine à décollage vertical, à la différence du Charles de Gaulle - ce qui nous permettra d'assurer une permanence franco-britannique à la mer. Cela n'arrivera malheureusement pas lors de la prochaine révision du Charles de Gaulle puisque leur premier porte-avions ne devrait être livré qu'en 2020.

Le Nord Atlantique devient à nouveau une zone très fréquentée, notamment sous l'eau, et l'aviation de patrouille maritime, ainsi que les sous-marins, sont donc sollicités. Il convient d'être très vigilant là aussi car, entre le Grand Nord et nous, nous ne pouvons compter que sur les Norvégiens, les Américains, et dans une moindre mesure, les Britanniques - en raison de leur renoncement en termes d'aviation de patrouille maritime.

Concernant la gestion des équipements et du personnel, il est vrai qu'elle n'est pas aisée dans un contexte de contraintes d'effectifs. Une de mes préoccupations actuelles réside dans la formation de mes équipages de FREMM, mais c'est également le cas pour le MCO. Les industriels ont naturellement tendance à se pencher sur le futur, mais je dois également garder les compétences pour faire naviguer les navires anciens.

Les drones sont d'un grand intérêt pour la Marine et nous avons expérimenté un drone sur le patrouilleur l'Adroit. Je suis intimement persuadé que les drones feront partie de l'avenir de la Marine et je pense que toute proposition dans ce sens est la bienvenue. Le drone permettra d'élargir les capacités de connaissance et d'anticipation des futurs patrouilleurs de haute mer. Ils sont moins coûteux et moins difficiles à mettre en place qu'un hélicoptère, cependant ils ne pourront remplacer totalement les hélicoptères. La conjonction des deux matériels, aéronefs habités et drones, sera nécessaire.

Concernant l'IPER (Indisponibilité périodique pour entretien et réparation) du Charles de Gaulle et le lancement du Barracuda, le décalage est technique et non budgétaire, et très léger s'agissant du Barracuda (six mois), compte tenu de la complexité technologique de ce sous-marin d'attaque nucléaire (l'un des objets les plus complexes qui soient au monde). Le programme arrivera à peu près à l'heure et ce décalage ne représente pour moi qu'un aléa limité.

Concernant les associations nationales de professionnelles de militaires, je prends acte de leur création. Toutefois, dans le conseil de la fonction militaire (CFM), je discute de tout avec mon personnel, non seulement des statuts, mais aussi de la vie quotidienne, de la complexité des réformes, et je crois que le personnel de la Marine est content du système de concertation tel qu'il existe aujourd'hui. Ce qui m'importe c'est de ne pas fragiliser cette confiance et ce système de concertation. Le bon moment pour l'introduction des associations dans le CFMM sera donc, à mon sens, quand le conseil de la fonction militaire marine sera lui-même prêt à absorber ces associations. Ce que je demande c'est donc un peu de temps pour que cela se mette en place. Je crois qu'écouter ce que disent les marins est la meilleure méthode.

La réserve opérationnelle et particulièrement importante pour nous. Mes centres d'opérations Marine aujourd'hui ne tourneraient pas sans la réserve opérationnelle. Ce sont également les réservistes qui gardiennent les bâtiments pendant les permissions ce qui permet de libérer les équipages. Nous avons déjà un bon système, mais je crois qu'il faut qu'on le dynamise encore un peu. Aujourd'hui la réserve opérationnelle est beaucoup constituée d'anciens marins et nous devons réfléchir à son élargissement. Mais cela pose d'autres problèmes, notamment pour les entreprises et les employeurs.

La lutte contre les migrations est un vrai sujet. Une des premières missions et obligations du marin c'est, en mer, le secours aux personnes. Mais un des dangers de positionner des bâtiments militaires, c'est que les passeurs y voient la garantie que les victimes seront sauvées et augmentent les flux. Les zones de guerre alimentent le mouvement mais le changement climatique qui pousse les populations vers les côtes également. Il convient d'appliquer une solution globale telle que nous l'avons fait lors de la mission Atalanta. L'action de la marine seule ne résoudra pas l'accroissement des flux de migration. J'espère que la mission de l'Union européenne se calquera sur ce modèle c'est-à-dire : identifier les réseaux de passeurs, conduire des missions de renseignement, mettre en place des outils financiers et trouver des solutions de jugement et d'incarcération des passeurs. La France devrait prendre le poste d'adjoint au commandant italien de l'opération européenne ; et nous verrons quels moyens nous mettrons à disposition en fonction de la génération de forces. 

Aujourd'hui, nous continuons les déflations d'effectifs telles qu'elles étaient prévues - initialement 1800, puis 2000 à la suite des analyses fonctionnelles. Les moindres déflations en revanche vont permettre de couvrir les besoins nouveaux, soient la protection des emprises et un certain nombre d'autres besoins tels que la cyber défense qui est une priorité. Les moindres déflations permettront également de soulager les fusiliers marins qui supportent une charge de travail et d'astreinte trop importante.

La piraterie n'a pas cessé, elle a évolué en raison des changements économiques dans les pays européens. La diminution du nombre de raffineries en Europe en est un exemple - en France le nombre de raffineries a été divisé par trois en quarante ans. Cela s'est traduit par une plus grande importation de produits raffinés, plus chers et plus faciles à écouler, qui sont une aubaine pour les pirates. Ces derniers se sont donc recyclés et s'attaquent principalement aux pétroliers transporteurs de produits raffinés, c'est que l'on appelle le bunkering. Dans le golfe de Guinée, nous sommes passés d'un phénomène de coupeurs de route, de brigandage, à de la piraterie professionnelle et violente. Là aussi, le changement climatique joue un rôle dans la piraterie, la misère qui arrive sur les côtes va multiplier les trafics.

Concernant les zones maritimes sous tension, c'est ce que j'ai évoqué sous le terme territorialisation : à mesure que les ressources vont devenir plus rares à terre et que les technologies modernes vont progresser, l'appétence pour le fond des mers va croitre. Cela est déjà très marqué en Mer de Chine. La Chine aujourd'hui y installe son droit. Vous avez raison, on retrouve le phénomène aussi dans l'Est de la Méditerranée avec des gisements autour des nouvelles frontières à la mer et bientôt, j'en suis sûr, nous le retrouverons partout. Nous avons intercepté il y a deux ans, un prospecteur minier à la mer qui prospectait dans notre ZEE dans le canal du Mozambique sans autorisation ; et la semaine dernière dans le Golfe de Gascogne. C'est ici tout l'enjeu des moyens de souveraineté et de surveillance maritime. Au premier rang, les patrouilleurs, les avions de surveillance maritime. Ils doivent être capables de savoir ce qu'il se passe dans notre ZEE car si nous la laissons sans surveillance, cela se saura et elle sera pillée. Dans ces affaires de pillage, il existe également un phénomène qui prend de l'ampleur, c'est la pêche illégale. La démographie galopante mondiale fait qu'il y a de plus en plus de besoins et que certains pays laissent, par défauts de moyens, se développer de la pêche illégale dans leur zone ; c'est quelque chose que nous retrouvons partout en Outre-mer. La surveillance de nos zones maritimes est donc nécessaire.

La coopération avec les Marines européennes se passe bien, dans la limite des moyens de chacun. La France est encore un îlot de verdure dans le paysage des Marines européennes et cette tendance de notre continent tranche assez fortement avec mes propos précédents de « nouvelle redistribution maritime mondiale ». Ce que certains appellent encore les « pays émergents », je vous assure que sur le plan de la puissance maritime, ils ont émergé ! L'Inde, le Brésil, et puis la Chine, les États-Unis, la Russie ont tous des politiques maritimes importantes, à long terme, avec une Europe, qui pardonnez-moi, mais est « à la traîne » dans la prise de conscience de ces enjeux. Tous les pays européens n'ont certes pas la deuxième ZEE au monde mais nous avons des enjeux communs auxquels il faut prendre garde, ne serait-ce qu'en Méditerranée. Certaines Marines européennes ont des bâtiments mais n'arrivent pas à les faire naviguer faute de budget, d'autres n'ont plus de budget. Nous essayons de rassembler toutes les bonnes volontés, c'est ce que nous faisons en Méditerranée. Nos échanges avec les pays de la côte nord et de la côte sud de l'ouest de la Méditerranée nous permettent de bien contrôler les affaires d'immigration illégale dans cette partie du bassin. Nous avions auparavant des contacts assez suivis avec la Libye, aujourd'hui c'est un peu plus compliqué ; ce qui explique aussi que les migrants trouvent là un point d'embarquement assez favorable. Mais le niveau de coopération est bon entre les Marines européennes ; nous essayons également de les impliquer, et singulièrement le Danemark, le Portugal et l'Espagne dans la sécurisation du Golfe de Guinée.

Pour éviter que des bateaux arrivent sur nos côtes, cela passe par la surveillance de nos approches. Notre réseau de sémaphores et notre réseau de surveillance maritime dans les préfectures maritimes permettent de détectent les bâtiments suspects. Aujourd'hui, il existe un système d'identification qui s'appelle l'AIS qui permet de surveiller et de suivre les bâtiments. C'est 10% de la Marine qui est attelée à la tâche de surveillance maritime mais c'est essentiel. Une autre des missions de la Marine est le contre-terrorisme maritime. On a eu les gratte-ciels à New-York, on a eu Charlie Hebdo à Paris, il n'est pas exclu qu'on ait, demain, un attentat à la mer. Il est d'autant moins exclu que parmi les gens qui partent se battre en Syrie, il peut se trouver des gens qui aient des compétences maritimes. Donc, il faut être extrêmement vigilant sur le futur.

Le site de Houilles accueille le commandement de la gendarmerie maritime ainsi que les services déconcentrés du commandement de la marine à Paris (COMAR Paris). Ils seront rejoints prochainement par les gendarmes qui travaillent aujourd'hui à l'Hôtel de la Marine. .

Pour terminer sur l'Albatros, on a trouvé, pour le remplacer, un beau partenariat qui est le premier partenariat interministériel avec les TAAF (Administration des Terres Australes et Antarctiques Françaises). Dans le Sud de l'Océan Indien, l'Astrolabe sera désarmé à peu près en même temps que l'Albatros ; nous avons désormais un partenariat commun qui va se traduire par la construction d'un navire polaire (et non un B2M) qui sera financé par l'administration des Terres Australes et Antarctiques Françaises, et armé et maintenu par la marine nationale. C'est un bâtiment à deux équipages, de façon à compenser au mieux le remplacement de deux bâtiments par un seul. Il couvrira une bonne partie de leurs missions et notre objectif c'est de le maintenir, grâce aux deux équipages, plus de 250 jours en mer par an pour couvrir l'essentiel des besoins, à la fois de l'administration des TAAF et de l'action de l'État en Mer. Les B2M eux sont actuellement construits au chantier Kership-Piriou à Concarneau qui a remporté l'appel d'offre. Le premier sera mis à flot au mois de septembre. C'est un chantier extrêmement compétent qui entretient déjà nos bâtiments école.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci beaucoup Amiral. Mes chers collègues, nous voyons tout de même dans ces propos la mutation de la Marine qui est devenue vraiment hautement technologique.

L'effort fait pour « Sentinelle » dans l'actualisation de la LPM ne doit pas faire oublier que l'Armée de l'Air et la Marine sont également sous tension.

Merci beaucoup, Amiral, vous pouvez compter sur notre soutien déterminé à vos efforts.

La réunion est levée à 12 h 40.