Jeudi 18 février 2016

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Économie, finances et fiscalité - Achats en ligne et protection des consommateurs : proposition de résolution européenne portant avis motivé de M. André Gattolin et Mme Colette Mélot

M. Jean Bizet, président. - Après l'entretien hier avec M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), nous nous intéressons aujourd'hui, avec André Gattolin et Colette Mélot, à la protection des consommateurs lors des achats en ligne. La Commission européenne a présenté deux textes relevant du premier pilier de la stratégie numérique de l'Union européenne, dont l'objectif est d'améliorer l'accès des consommateurs et des entreprises aux biens et services numériques. Lors de sa réunion du 4 février, le groupe de travail « subsidiarité » a considéré que l'un de ces textes pouvait poser un problème au regard du principe de subsidiarité. Nos deux rapporteurs se sont penchés sur la question et ont élaboré le projet d'avis motivé que nous allons examiner.

Mme Colette Mélot. - En effet, la Commission européenne a transmis au Sénat deux textes mettant en oeuvre le premier pilier de la stratégie numérique de l'Union européenne. Elle constate que le marché unique européen n'est pas assez adapté au nouveau mode de consommation que sont les achats en ligne, et que nous ne profitons pas suffisamment des opportunités de croissance économique qu'il offre : en 2014, alors que 55 % des consommateurs ont effectué des achats en ligne dans leur propre pays, 18 % seulement en ont fait dans un autre pays de l'Union.

Les obstacles au commerce transfrontalier sont de deux ordres. Pour les entreprises, il s'agit principalement d'un manque de sécurité juridique dû à la fragmentation des législations et du surcoût généré par les différences entre les droits nationaux des contrats. Les consommateurs, eux, craignent l'incertitude sur leurs droits et leurs garanties contractuelles.

C'est pourquoi la Commission propose deux textes pour faciliter le commerce en ligne transfrontalier en harmonisant certains aspects des contrats concernant les transactions en ligne. Le premier texte concerne la fourniture de contenu numérique, et le second vise les achats sur internet ou à distance de biens matériels.

Sur le principe, je suis plutôt favorable à de telles initiatives. Si l'on veut que le numérique nous permette de créer de la valeur économique, il faut s'en donner les moyens. Et ces textes auront des répercussions très concrètes pour les consommateurs européens. Cela dit, la démarche de la Commission européenne n'est pas satisfaisante, surtout au regard du principe de subsidiarité.

M. André Gattolin. - Je pense également que ces propositions vont dans le bon sens. Pour construire une Europe du numérique, nous devons mettre en place une législation qui facilite l'activité des entreprises tout en assurant aux consommateurs européens un niveau élevé de protection.

Comme nous nous sommes bornés au seul contrôle de subsidiarité, je ne m'avancerai pas sur le fond, et me contenterai de mentionner que ces textes comportent des avancées en termes de protection des consommateurs.

Sur la fourniture de contenus numériques, la Commission propose une harmonisation maximale en ce qui touche à la conformité du contenu numérique, aux modes de dédommagement à la disposition des consommateurs en cas de défaut de conformité du contenu numérique au contrat, ainsi qu'à certains aspects relatifs aux droit de résilier un contrat à long terme et à la modification du contenu numérique.

Sur les achats en ligne de biens matériels, le projet vise la conformité des biens, les modes de dédommagement en cas de non-conformité, les modalités d'exercice correspondantes ainsi que les délais, de deux ans chacun, pour le renversement de la charge de la preuve et de la garantie légale de conformité. Une mesure me paraît symbolique : en cas de non-conformité du bien matériel ou du contenu numérique, c'est au vendeur qu'incomberait la charge de la preuve de la conformité et non à l'acheteur. C'est une garantie non négligeable.

Pour autant, il s'agit de deux propositions de directive, c'est-à-dire des textes qui, en principe, laissent des marges de manoeuvre aux États membres. Cela pourrait sembler plus respectueux de la subsidiarité qu'un règlement. Mais ces propositions se veulent d'harmonisation complète. Dès lors, on se demande quelle latitude est laissée aux États membres !

En approfondissant le travail effectué en groupe « subsidiarité », nous avons considéré que les deux textes posent des difficultés au regard du principe de subsidiarité. En effet, chaque proposition comporte un article qui impose que « les États membres ne maintiennent ni n'introduisent dans leur droit national des dispositions divergeant de celles établies par la présente directive, y compris des dispositions plus strictes ou plus souples visant à assurer un niveau différent de protection des consommateurs ». Ainsi, non seulement la France ne pourrait pas proposer de garanties allant plus loin que celles proposées par les propositions de directive, mais nous devrions aussi abaisser le niveau de protection existant sur certains points comme la garantie contre les défauts de la chose vendue ou la garantie en cas d'éviction, qui figurent dans notre code civil.

Ce risque a été évoqué au Parlement européen lors de la présentation de ces textes devant la commission « marché intérieur et protection des consommateurs ». La Commissaire chargée de la justice, des consommateurs et de l'égalité des genres, Mme Jourova, a reconnu qu'il ne serait pas possible d'aligner l'ensemble des législations sur celles présentant le niveau de protection le plus élevé, dont notre pays fait partie - sans que cela l'incite à modifier son projet.

Or, une directive doit définir un cadre commun à tous les Européens, un socle minimum de droits et garanties. Libre ensuite aux États qui veulent offrir plus à leurs consommateurs de le faire ! Nous ne sommes nullement dans un tel schéma. Ces directives d'harmonisation complète sont en fait des règlements qui ne disent pas leur nom. Et elles portent en elles un possible affaiblissement de la protection des consommateurs français. C'est pourquoi elles me paraissent contraires au principe de subsidiarité. D'où la proposition de résolution portant avis motivé que nous vous soumettons.

Mme Colette Mélot. - En effet, cette approche de la Commission européenne n'est pas satisfaisante. Pour construire un marché unique du numérique en Europe, nous devons renforcer la confiance des consommateurs, pour qu'ils achètent au-delà de leurs frontières nationales. Comment le faire si, par ces textes, nous leur ôtons des garanties ? C'est impossible ! 

M. Alain Vasselle. - Lorsque la Commissaire européenne a déclaré en commission que la directive ne prévoyait pas la possibilité d'un alignement sur le niveau supérieur de protection, lui a-t-on demandé si l'on pouvait, à l'inverse, envisager un plancher commun, au-dessus duquel, en vertu du principe de subsidiarité, notre pays pourrait conserver - et même renforcer - des dispositions plus protectrices ?

M. Michel Raison. - Bravo d'avoir ainsi creusé le sujet. Une telle résolution du Sénat a-t-elle une chance d'infléchir la position de la Commission européenne ? Certes, l'e-commerce offre des opportunités de croissance, mais il s'agit d'une croissance déshumanisée, qui conduit à la disparition des petits commerces et à la dévitalisation des centres-bourgs. La croissance, oui, mais pas à n'importe quel prix !

M. Daniel Raoul. - Nous souhaitons tous une harmonisation. Comment combiner cet objectif avec le principe de subsidiarité ? Il aurait fallu partir d'une plateforme de garanties minimales, puis appliquer ce principe.

M. André Gattolin. - Contrairement au règlement, d'application directe, la directive, dite d'harmonisation minimale, doit être transposée dans le droit national, ce qui n'interdit pas le mieux-disant. Nous observons là un cas d'auto-construction du droit. Simon Sutour avait travaillé sur le développement des actes délégués, qui accélèrent les décisions, mais renforcent excessivement le pouvoir de la Commission et du Conseil. Les directives d'harmonisation complète sont surtout utilisées dans le droit de la consommation, et sont justifiées lorsqu'elles comblent un vide juridique. Là, plusieurs pays, dont la France, disposent déjà d'une législation avancée. Notre recours serait donc bienvenu. Pour un carton jaune, nous devons réunir au moins un tiers des Parlements nationaux. Pourquoi ne pas essayer ?

Mme Colette Mélot. - Sur le premier texte, une procédure d'examen au titre de la subsidiarité a été lancée dans dix États : l'Allemagne, la Finlande, l'Irlande, l'Italie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Suède. Leurs Parlements doivent se prononcer avant le 8 mars. Déjà, la Lituanie semble émettre des réserves. Sur le second texte, une procédure d'examen au titre de la subsidiarité a été lancée dans onze États : l'Allemagne, la Finlande, l'Irlande, l'Italie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Suède. L'Irlande a émis un avis dans le cadre du dialogue politique pour formuler une réserve. Pour l'heure, aucun avis motivé n'a été émis. Une résolution sera communiquée aux autres parlements nationaux.

Nous ne savons rien de ce que pourrait être la position allemande. Mais au Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE) a accueilli favorablement ces textes tout en s'inquiétant du clivage entre ventes en ligne et ventes hors ligne et le Groupe socialiste et démocrate plaide pour un régime unique pour les ventes en ligne et hors ligne. Quant aux Verts, ils ont émis des réserves. Attendons donc le 8 mars pour connaître le résultat de ces procédures.

M. André Gattolin. - Le PPE et le Groupe socialiste et démocrate ont également émis des réserves sur l'harmonisation complète.

M. Gérard César. - Quelle est la position de l'Assemblée nationale ? Il serait préférable de parler d'une seule voix.

M. André Gattolin. - Elle me semble un peu moins active que nous sur les questions de subsidiarité.

M. Alain Vasselle. - Pourquoi n'avoir pas profité du débat d'hier soir pour interpeller M. Harlem Désir sur ce sujet ?

Mme Colette Mélot. - Il n'est pas à l'ordre du jour du prochain Conseil européen.

M. André Gattolin. - Nous allons rencontrer le commissaire Ansip sur ces questions.

M. Jean Bizet, président. - Cet avis motivé peut se transformer demain en résolution. De toute façon, le Gouvernement sera informé de la position du Sénat. Si nous réunissons un tiers des parlements nationaux, la Commission devra revoir sa position. Il n'est pas concevable que ce type de dérive finisse par faire jurisprudence : ce texte est presque un règlement !

L'avis du Sénat français est généralement très suivi, notamment par les pays d'Europe du Nord - on le voit lors des réunions des Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC).

À l'issue de ce débat, la commission adopte, à l'unanimité, le texte de la proposition de résolution européenne portant avis motivé.


Proposition de résolution européenne portant avis motivé

La proposition de directive concernant certains aspects des contrats de fourniture numérique, COM (2015) 634 final, et la proposition de directive concernant certains aspects des contrats de ventes en ligne et de toute autre vente à distance de biens, COM (2015) 635 final, visent à mettre en oeuvre le premier pilier de la stratégie numérique de l'Union européenne. Ils ont pour objectif :

- de créer un cadre juridique européen unique pour faciliter l'action des entreprises souhaitant fournir des contenus numériques et vendre des biens à distance au sein du marché unique européen ;

- d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs européens et de favoriser leur accès au marché unique du numérique par une harmonisation complète de certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique et d'achat de biens à distance ;

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- l'assurance d'un niveau de protection élevé est une condition de l'adhésion des consommateurs au marché unique numérique et une condition de réussite de la stratégie numérique de l'Union européenne ;

- la mise en place d'une harmonisation de la protection des consommateurs qui effectuent des transactions en ligne à l'échelon européen ne doit pas empêcher un État membre de proposer un niveau de protection plus important à ses consommateurs ;

- l'article 4 de la proposition de directive concernant certains aspects des contrats de fourniture numérique et l'article 3 de la proposition de directive concernant certains aspects des contrats de ventes en ligne et de toute autre vente à distance de biens, rédigés dans les mêmes termes et instaurant une harmonisation complète, s'opposent au maintien et au développement d'un niveau de protection plus élevé des consommateurs par les États membres ;

Pour cette raison, le Sénat estime que les propositions de directive COM (2015) 634 final et COM (2015) 635 final ne respectent pas le principe de subsidiarité.

Économie, finances et fiscalité - Organisation et exploitation des jeux dans l'Union européenne : rapport d'information de MM. Pascal Allizard et Didier Marie

M. Jean Bizet, président. - Didier Marie nous présente le rapport d'information qu'il a établi avec Pascal Allizard - retenu en Georgie avec Gisèle Jourda dans le cadre de leurs travaux sur le Partenariat oriental - sur l'organisation et exploitation des jeux dans l'Union européenne. La régulation des jeux relève très largement des États membres. C'est pourquoi j'avais sollicité la Division de la législation comparée du Sénat pour qu'elle mène une étude sur les solutions retenues par nos partenaires. Le droit européen peut aussi avoir un impact sur les réglementations nationales. Le sujet peut paraître marginal, mais il ne l'est pas tant que cela. L'attractivité de la place de Londres, par exemple, commence à éclipser celle de Paris.

M. André Gattolin. - La Normandie est performante dans ce domaine !

M. Didier Marie. - Quelques chiffres pour commencer. Au 1er janvier 2016, il y avait en France 199 casinos et 2 cercles de jeux, 22 951 machines à sous et 1 034 tables. Pour la saison 2013-2014, le produit brut du jeu était de 2,1 milliards d'euros dans les établissements, dont 1,9 pour les machines à sous ; concernant les jeux en ligne, les paris sportifs ont généré 1,44 milliard d'euros en 2015 - soit 30 % de plus qu'en 2014 - les paris hippiques 1 milliard, et les jeux de cercle, comme le poker en ligne, 3,7 milliards d'euros. Ce n'est donc pas anecdotique.

D'un point de vue économique, les jeux d'argent et de hasard constituent une activité de services relevant des articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatifs à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services, mais constituent un secteur dérogatoire au droit commun de l'Union européenne en raison de ses particularités : les États membres sont libres de lui appliquer des restrictions.

En l'absence de texte européen spécifique, les grands principes applicables sont essentiellement d'origine jurisprudentielle. Selon la Cour de justice de l'Union européenne, les restrictions en cette matière aux grandes libertés des traités peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général telles que la protection des consommateurs et la défense de l'ordre public - les monopoles publics sont donc licites - mais ces restrictions ne doivent pas être discriminatoires, elles doivent être de nature à garantir les objectifs poursuivis et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre. Les États membres disposent donc d'une importante marge de manoeuvre pour organiser le secteur des jeux dont ils peuvent avoir une conception différente en fonction de leurs valeurs et des spécificités de leur marché national.

L'action de l'Union européenne dans le domaine des jeux est circonscrite aux jeux d'argent et de hasard en ligne, non par voie législative, mais par des recommandations et des échanges de bonnes pratiques. La Commission européenne a ainsi publié une communication en octobre 2012 et une recommandation en juillet 2014. Ces textes sont centrés sur la protection des consommateurs, des groupes vulnérables et des mineurs, sur la prévention de la fraude et du blanchiment d'argent ou encore sur des pratiques de jeu responsables. Le rapport donne des précisions sur les mesures prises en France pour mettre en oeuvre ces lignes directrices, même si des dispositifs de protection de l'ordre tant public que social avaient été mis en place avant les recommandations européennes.

En novembre dernier, les autorités de régulation des jeux ont conclu, sous l'égide de la Commission, un mémorandum d'entente sur les jeux d'argent en ligne. Ce texte, non juridiquement contraignant, a pour objectif de formaliser un système multilatéral de partage d'informations et de renforcer la surveillance des entreprises dont le comportement serait suspect de blanchiment de capitaux.

La compétence encore largement nationale reconnue aux États membres pour réglementer le secteur des jeux explique la grande diversité des situations observées en Europe. L'étude de législation comparée, établie à la demande du Président Bizet et annexée au rapport, porte sur la forme juridique, la création et l'exploitation des établissements de jeux en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni et en Suisse.

Depuis le XIXe siècle, le droit français pose le principe général de l'interdiction des loteries, assorti de nombreuses exceptions. Les jeux proposés font l'objet soit d'un monopole, tel celui de la Française des Jeux sur les jeux de hasard et les paris sportifs, soit d'un régime d'autorisation administrative, comme celui des casinos et des cercles de jeux : les casinos, titulaires d'une délégation de service public, ont une mission de service public en raison de l'activité d'animation et de développement touristique à laquelle ils contribuent, comme on le voit à Londres ; les cercles de jeux, associations ayant un objet social, sportif, artistique ou littéraire, doivent être titulaires d'une autorisation du ministère de l'intérieur.

Visant à pallier l'interdiction légale de 1920 d'ouvrir des casinos dans un rayon de 100 kilomètres autour de Paris, les cercles de jeux constituent largement une spécificité française, voire parisienne puisque celui de Reims est désormais fermé. Leur nombre a considérablement diminué depuis quelques années : il n'en existe plus que deux aujourd'hui, contre une dizaine il y a encore quelques années. Leur fermeture est généralement consécutive à des enquêtes judiciaires, ce qui n'est toutefois pas sans conséquences sur la hausse de l'offre illégale de jeux notamment en région parisienne.

En mai 2015, le Préfet Duport, missionné par le ministre de l'intérieur, a jugé nécessaire d'entreprendre une réforme visant à mettre un terme à l'existence des cercles de jeux en raison de l'obsolescence de leur réglementation, admise par la profession elle-même. Abrogeant le statut actuel des cercles de jeux, il s'agirait d'instituer des clubs de jeux relevant du droit commercial, sans mission de service public, en mettant fin au système du banquier - souvent en cause dans les procédures judiciaires. Ces clubs proposeraient des jeux de contrepartie et de cercles comme dans les casinos, à l'exception des machines à sous, et seraient soumis à un régime de police des jeux identique.

Même si l'influence du droit européen sur la réglementation nationale du secteur des jeux est limitée, elle n'est pas nulle pour autant. On l'a vu en France, avec l'adoption de la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, résultant certes d'une évolution technologique mais aussi du droit européen, en particulier de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg. Cette loi institue une nouvelle autorité administrative indépendante, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), à laquelle sont confiées des missions juridiques, économiques, sociétales et en matière de contrôle, avec notamment l'agrément des opérateurs de jeux et paris en ligne. Elle est également un acteur important de la lutte contre la fraude et le blanchiment d'argent, et de la protection des mineurs et des joueurs contre les risques d'addiction.

C'est un secteur en pleine évolution maniant des sommes non négligeables, source de difficultés telles que le blanchiment ou l'addiction ; à suivre donc.

M. Daniel Raoul. - Quelles sont les conséquences de la multiplication des jeux en ligne sur le chiffre d'affaires des cercles et casinos ?

M. François Marc. - La loi de 2010 était avant-gardiste en Europe. La France est plutôt en pointe pour la surveillance. Il serait intéressant de faire évoluer d'autres pays, tels l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, pour une harmonisation par le haut. L'ARJEL a démontré qu'elle était une institution appropriée à ses missions. En 2010, les jeux ont rapporté 5,5 milliards d'euros au trésor public. Nous avions voulu réglementer les jeux en ligne pour rapatrier en France des activités qui s'étaient installées à Chypre ou ailleurs... Mais le montant n'a pas changé depuis et j'ai tendance à penser qu'il y a de la fuite. Les cercles de jeux sont ce qui rapporte le plus. Mais il s'agit là d'une conduite assumée par des adultes, comme le tabac : s'ils veulent dépenser tout leur argent, c'est leur droit ! Nous devons en revanche être vigilants pour les enfants et les jeunes, victimes du « hameçonnage » et du « marchandisage » de produits spécifiques pour eux, et qui se retrouvent dépendants. C'est le coeur du sujet.

Les motivations pour le jeu peuvent être différentes selon les pays. Au Portugal, c'est la Santa Casa da Misericórdia qui gère les jeux tout en ayant délégation des oeuvres sociales !

M. Michel Raison. - Nous, législateurs, devons être vigilants à l'égard des lobbies qui essaient de faire passer des amendements autorisant par exemple les machines à sous dans tous les bistrots. Les jeux en ligne font baisser le chiffre d'affaires des casinos... et donc les recettes des communes où ils se trouvent. La fiscalité suit un système bien français, très compliqué, avec une partie versée directement à la commune et une autre qui transite par l'État ; il gagnerait à être simplifié. Même dans les petits casinos, il y a du blanchiment. Beaucoup de gens modestes jouent aux machines à sous ; au début de mon mandat de maire, cela me faisait mal d'alimenter le budget communal avec les sous que des gens ayant de faibles revenus mettaient dans le fente... Finalement, les dirigeants du casino m'ont démontré qu'ils moralisaient le système et prévenaient l'addiction, cette véritable maladie, grâce aux interdictions de jeu, qu'il faut absolument maintenir.

Mme Patricia Schillinger. - L'installation d'un casino a des retombées financières certaines. Une station climatique près de chez moi en abrite un, qui ne profite qu'à trois communes, dont une ville de 20 000 habitants, Mulhouse, et la petite commune de Blotzheim. Il n'y a pourtant ni mer, ni montagne...

M. André Gattolin. - Il y fait beau ?

Mme Patricia Schillinger. - Pas plus que dans les villages voisins ! Comme nous sommes proches de la frontière, des Suisses et des Allemands s'y pressent, mais aussi des Kosovars avec des rouleaux de billets, jusqu'à 4 heures du matin. Certes, il y a un rôle social : les personnes âgées viennent y prendre un repas à cinq euros. Mais le contrôle devrait être renforcé.

M. André Gattolin. - Bravo aux rapporteurs pour leur travail. Ce sujet appelle des questions philosophiques sur le rôle de l'État. La prohibition, comme souvent, est plus dangereuse que l'encadrement d'une pratique qui existe de toute façon. Jérôme Durain m'a auditionné dans le cadre de la mission parlementaire temporaire dont il a été chargé avec le député Rudy Salles sur la réglementation de l'e-sport, ces compétitions de jeux vidéo qui génèrent des paris et des événements mondiaux comme la Paris game week. En Corée du Sud, il représente un chiffre d'affaires équivalent à celui de l'industrie du jeu vidéo elle-même. L'ARJEL a un discours ultraréglementariste ; mais des règles trop précises, dans un contexte aussi mouvant, peuvent être néfastes. C'est bien que l'Union européenne se préoccupe de ces sujets ; mais point trop n'en faut.

Le jeu génère des ressources, mais notre connaissance de la sociologie des joueurs est faible : sont-ils des personnes à faible revenus ou des riches faisant de grosses mises ? J'ai travaillé pour la Française des jeux dans des conditions de confidentialité absolue : je ne peux donc rien dire sur le sujet. Mais il faudrait en savoir plus pour bien légiférer.

Mme Colette Mélot. - A-t-on une idée des conséquences des jeux en ligne sur les recettes des casinos ?

M. Michel Raison. - Elles baissent. Il faut aussi incriminer l'interdiction de fumer - ce qui n'est pas une mauvaise chose : déjà que l'addiction au jeu est mauvaise, autant ne pas polluer en plus l'air des joueurs... Mais comme ils sortent fumer, ils jouent moins.

M. François Marc. - Et l'air frais leur donne du recul.

M. Didier Marie. - Les jeux sont aussi anciens que la civilisation ; nous n'empêcherons jamais les gens qui ont envie de jouer de le faire. Nous assistons à une explosion des jeux clandestins qui représente un vrai danger en termes de blanchiment, d'addiction ou de banditisme. Il est nécessaire de maintenir un encadrement. Le jeu évolue en permanence, plus vite encore avec le numérique.

Certains casinos ont souffert des jeux en ligne, sans doute, mais globalement leur chiffre d'affaires reste stable, voire connaît une légère progression. Le nombre de machines à sous a augmenté. Un deuxième phénomène est le succès du poker, qui continue d'envahir l'espace du jeu, notamment en ligne, mais pas seulement. Les tours éliminatoires de certains tournois se font en ligne, et les phases finales en établissement. Les pratiques évoluent en fonction de la société. Les paris hippiques, auxquels on s'adonnait en même temps que le pastis du midi au bar-PMU, n'intéressent plus les jeunes.

M. François Marc. - Ils ne sont pas levés à cette heure-là !

M. Jean Bizet, président. - Dans le cadre du projet de loi République numérique, la question de l'encadrement des jeux vidéo en ligne s'est posée, ce qui a motivé la mission de Jérôme Durain. En Corée du Sud, c'est une véritable institution nationale, avec des shows impressionnants... la France pourrait y arriver un jour. Les motivations du jeu sont certes différentes d'un pays à l'autre, mais la mondialisation uniformise les pratiques : c'est le cas du poker en ligne, par exemple.

L'Union européenne et les États membres semblent prendre conscience qu'une lutte contre l'addiction et la protection des usagers sont nécessaires. La Commission incite les États membres à partager l'information pour éviter qu'un joueur interdit en France aille jouer en Belgique. Il faut noter à ce propos que sur les 37 000 interdits de jeu, 33 000 ont demandé à l'être.

M. François Marc. - Où ils ont acquiescé à une suggestion qui leur était faite...

M. André Gattolin. - Il y a aussi le cas des mises sous tutelle.

M. Didier Marie. - Il est recommandé aux casinos de veiller au comportement des joueurs. De même, dans les jeux en ligne, des dispositifs alertent le joueur s'il perd les pédales.

La fiscalité du jeu est très complexe. Elle frappe différemment chaque jeu, sur la mise, le gain, l'établissement... Difficile de s'y retrouver ! Les recettes ainsi collectées ne sont pas dédiées, alors que celles des cercles de jeux sont fléchées en théorie en fonction de l'objet de l'association. La question de la péréquation entre les communes qui en profitent et les autres reste posée.

Notre législation est en avance sur les recommandations européennes, et nos outils fonctionnent bien : l'ARJEL est efficace. Cela dit, la législation a du mal à suivre l'évolution rapide du secteur. Une vigilance permanente s'impose donc.

M. Jean Bizet, président. - Vous dominez totalement le sujet ! Le rapport formule plusieurs recommandations intéressantes. Je déplore la baisse de l'attractivité du PMU, qui diminue les ressources de l'élevage équin, et en particulier celui des trotteurs. Nos départements normands doivent s'adapter ! L'encadrement est indispensable, à la fois pour moraliser le secteur et pour protéger les plus jeunes joueurs de l'addiction. Mais ne soyons pas naïfs : si nous pouvons rendre la place de Paris plus attractives, ne nous en privons pas ! Des rentrées fiscales de 5 milliards d'euros ne sont pas à dédaigner.

Mme Nicole Duranton. - N'y a-t-il pas des campagnes de prévention pour les jeunes ?

M. François Marc. - Il en existe effectivement.

M. Didier Marie. - Les jeux en ligne sont interdits aux mineurs. Les recommandations prescrivent l'identification du joueur et de son âge. On parle de mettre en place une carte d'identité numérique. D'ores et déjà, le contrôle parental est censé protéger les mineurs.

Mme Colette Mélot. - N'existe-t-il pas des jeux en ligne gratuits ?

M. François Marc. - C'est de l'amorçage.

Mme Colette Mélot. - Comment sont-ils régulés ?

M. Didier Marie. - Les jeux gratuits ne tombent pas sous le coup de la réglementation. S'ils incitent à passer à un jeu payant, l'ARJEL peut intervenir. Sinon, en l'absence de gain, ils ne sauraient être prohibés.

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

Nomination de rapporteurs

M. Jean Bizet, président. - Michel Billout a déposé le 5 février une proposition de résolution européenne sur l'étiquetage des produits issus des colonies israéliennes. Le règlement nous donne un mois pour l'examiner. Je vous propose de désigner comme rapporteurs Louis Nègre et Simon Sutour qui sont nos rapporteurs pour les questions relatives à la Méditerranée.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est levée à 9 h 50.