Mercredi 15 février 2017

- Présidence de M. Jean Bizet, président, et de M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères -

La réunion est ouverte à 16 h 40.

Institutions européennes - Audition de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le Brexit et la refondation de l'Union européenne

Cette audition est commune avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Cette réunion conjointe avec la commission des affaires européennes a lieu dans le cadre de notre groupe de suivi sur le Brexit, qui s'est saisi de deux grands sujets : la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, mais aussi les grands axes, dans cette perspective, d'une refondation de l'Europe. Notre groupe de suivi vient d'adopter son rapport d'étape sur le Brexit. Nous avons eu de nombreux contacts, y compris en Allemagne et au Royaume-Uni.

Nous entendons tenir une position forte. Loin de l'idée que le Brexit serait un problème pour l'Union européenne, nous affirmons clairement que ce problème est celui du Royaume-Uni, quand notre souci est bien plutôt celui de l'unité de l'Europe. Gardons-nous de nous laisser prendre en otage par ce débat. Lorsque Mme May dit qu'il n'y aura pas de deal en cas de mauvais deal, nous ne voyons pas là une menace. Nous sommes certes attachés à préserver de bonnes relations avec le Royaume-Uni, qui engagent en particulier des questions de défense et de sécurité, et c'est pourquoi nous souhaitons un bon accord, mais sans pour autant donner le sentiment que nous serions les victimes d'une absence d'accord. Ne soyons pas faibles dans cette négociation difficile. Clairement, le nouveau statut du Royaume-Uni dans l'Europe ne saurait être meilleur demain qu'il n'était hier.

M. Jean Bizet, président. - Après le Brexit, il faut repenser le fonctionnement de l'Union européenne, et affirmer une stratégie. Les États-Unis, la Russie rêvent d'une Europe affaiblie, divisée. Nous voulons, au rebours, une Europe puissance, une Europe stratège, qui sache aussi rendre plus de poids aux parlements nationaux, en vertu du principe de subsidiarité. Nous voulons un couple franco-allemand qui, une fois passés les recadrages électoraux qui vont s'opérer de part et d'autre du Rhin, retrouve un nouvel élan. Nous voulons des avancées concrètes sur les politiques clé que sont l'énergie, le numérique, mais aussi sur la politique de la concurrence qui, écrite il y a près de soixante ans, au lendemain de la signature du traité de Rome, ne correspond plus à l'économie du XXIème siècle. Nous souhaitons, à la faveur de cette rencontre, monsieur le ministre, connaître votre appréciation sur le fonctionnement actuel et futur des institutions de l'Union européenne.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. - Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui. Le travail du Parlement est essentiel, parce que la question de l'avenir de l'Union européenne se pose de toute façon : la décision britannique n'est qu'une circonstance stimulante.

Face aux risques qui sont devant nous, dans le monde incertain voire dangereux où nous vivons, alors que les grandes lignes de la politique internationale de la nouvelle présidence américaine restent encore floues, tandis que l'attitude de la Russie est celle que l'on connaît et que des rééquilibrages s'opèrent, notamment dans les relations avec la Chine, quelle place pour l'Europe ?

Oui, l'Europe est en danger, mais les peuples européens, qui semblent, avec la montée des partis populistes, s'en détourner, n'ont pas été saisis par la contagion immédiate du Brexit, auquel ils ont, au contraire, opposé un réflexe de défense, de survie. Ceux qu'on aurait pu penser tentés d'emprunter le même chemin n'ont pas voulu prendre ce risque. Cela ne veut pas dire, pour autant, que tout est réglé : il existe une attente forte, à laquelle nous devons répondre.

Pour avoir vécu le référendum de 2005, nous savons quelles sont les interrogations de nos concitoyens, mais en cette fin de cycle, marquée par le retour des nationalismes, nous avons plus que jamais besoin de consolider l'ensemble européen qui a permis, après la seconde guerre mondiale, de garantir la paix, de construire la prospérité, de réunifier les peuples européens divisés, et qui porte une espérance, une flamme qu'il nous faut retrouver. Telle est notre responsabilité.

Lorsque j'ai pris mes fonctions, il y a un an, j'ai rencontré mon homologue allemand d'alors, Frank-Walter Steinmeier. Nos échanges nous ont convaincus de la nécessité d'une initiative franco-allemande, qui fut livrée sous forme d'une contribution publique, au moment du Brexit, mais dans l'élaboration de laquelle nous nous étions engagés bien avant. Le débat sur la Défense européenne a repris - et les déclarations du président américain sur l'Otan le rendent d'autant plus d'actualité -, aboutissant à un certain nombre de décisions adoptées par le Conseil européen, pour lesquelles, là-aussi, des initiatives franco-allemandes avaient été présentées.

Le fait est que tout le monde regarde du côté du couple franco-allemand. Et si l'on nous reproche parfois de décider pour les autres, on s'inquiète, par-dessus tout, lorsque nous restons silencieux. C'est là une réalité singulière, liée à l'histoire, puisque tout est parti de la main tendue à l'Allemagne par la déclaration Schuman. On connaît la suite, mais on sait aussi que depuis lors, l'Europe a dû faire face à de nouveaux enjeux. Je pense, récemment, à la crise migratoire, à la montée de la menace terroriste à laquelle nous devons répondre dans la durée.

Tout est prêt pour que la négociation sur le Brexit commence. Rien ne peut réellement commencer tant que les Britanniques n'ont pas officiellement demandé à quitter l'Union, mais Mme May s'est engagée à activer l'article 50 du traité d'ici la fin mars, peut-être même dès le Conseil européen des 9 et 10 mars si la procédure parlementaire engagée le permet, c'est un gage.

Dans cette attente, nous avons fixé, dès le 29 juin, après le vote britannique, des principes clairs, rappelés le 15 décembre dernier : il ne saurait y avoir de négociation bilatérale ou sectorielle en-dehors du cadre fixé par l'article 50 du traité. Tout accord sur la relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne devra reposer sur un équilibre entre droits et obligations ; en particulier, le maintien d'une participation du Royaume-Uni au marché unique devra obligatoirement passer par l'acceptation des quatre libertés, y compris la liberté de circulation des travailleurs. Pour promouvoir ces principes, l'entente franco-allemande a été, là aussi, essentielle.

Nous nous sommes également accordés sur les principales méthodes de travail qui présideront aux négociations, afin que celles-ci soient efficaces et transparentes. Cette organisation permettra à chaque institution de jouer pleinement son rôle. Dès la notification par le Royaume-Uni, le Conseil européen adoptera des orientations qui fixeront les principes de négociation de l'Union européenne. Une réunion extraordinaire des chefs d'Etat et de gouvernement pourrait être organisée à cette fin, probablement début avril. Puis la Commission présentera des recommandations au Conseil des ministres de l'Union européenne, lequel adoptera une décision autorisant l'ouverture des négociations, ainsi que des directives de négociation, et désignera la Commission comme négociateur de l'Union.

A la tête de l'équipe de négociation, Jean-Claude Juncker a désigné notre compatriote Michel Barnier, dont vous connaissez l'expérience tant sur la scène nationale que comme ancien commissaire européen à la politique régionale puis en charge du marché intérieur. Je pense, au terme d'un échange que j'ai eu avec lui, qu'il est sur le bon chemin : sa méthode est rigoureuse et il attend un mandat aussi clair que possible afin de poursuivre son travail. Je me félicite de ce choix.

Des dispositions spéciales ont également été prises afin que chaque institution joue pleinement son rôle. Un groupe de travail dédié sera créé à Bruxelles, qui permettra aux Etats membres d'être informés en permanence des travaux menés par l'équipe de Michel Barnier, le Parlement européen étant également informé à échéances régulières.

A l'échelon national, nous nous sommes organisés. Le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) conduit depuis l'été un important travail de cartographie des intérêts français tant au titre de la négociation de retrait qu'à celui du cadre des relations futures. Le ministère des affaires étrangères et des relations internationales a créé, quant à lui, une task force dédiée, pilotée par la direction de l'Union européenne. Nous disposons donc des outils pour défendre les intérêts français. Pouvoir compter sur le SGAE, qui mène un travail interministériel dans des conditions remarquables, est sans conteste un avantage, sur lequel tous les gouvernements ne peuvent pas compter.

En dépit du début de clarification que j'évoquais, il ne faut pas sous-estimer, cependant, les contradictions qui marquent la position britannique. Certains y verront une simple tactique, mais j'ai pu observer, au cours des mois passés, que cette position est bel et bien entachée de beaucoup de confusion, de divisions, y compris au sein des différentes familles politiques. Dès le 17 janvier, cependant, il y a eu un début de clarification, confirmé par le livre blanc présenté au Parlement.

Si Mme May maintient sa position, cela signifie clairement que le Royaume-Uni renonce au marché intérieur, car nous avons été clairs : dès lors qu'elle affiche un refus du principe de libre circulation des personnes et rejette la juridiction de la Cour de justice européenne, le Royaume-Uni doit sortir du marché intérieur. Pour autant, il faut rester vigilants, car Mme May souhaite négocier un accord de libre-échange qui ressemble à s'y méprendre à un accès sur mesure au marché intérieur. Les difficultés commencent. Elles commencent enfin, serais-je tenté de dire, mais il ne faut pas les sous-estimer.

La volonté de quitter l'Union douanière pour conclure des accords de libre-échange avec des États tiers a également été exprimée, mais elle s'accompagne du souhait de bénéficier de certains avantages de l'Union douanière. Il nous faudra donc le rappeler inlassablement : les quatre libertés ne sont pas divisibles et doivent être pleinement acceptées, à chaque étape. Il y va de nos intérêts, de ceux de l'Europe et de son avenir. Il ne faut pas être naïfs, et laisser Mme May se livrer à ce que l'on a appelé le « cherry picking ». Lorsque Boris Johnson nous accuse de vouloir punir la Grande Bretagne, je me récrie ! Tel n'est pas notre état d'esprit. Il ne s'agit pour nous de rien d'autre que de préserver l'avenir de l'Europe, et Mme Merkel, avec ses mots, ne dit pas autre chose : pas de négociation particulière, dit-elle en s'adressant à tous les Etats de l'Union, mais aussi aux Etats-Unis, pour parer à la tentation de négocier des accords de défense avec des contreparties. L'Allemagne comme la France adresse aussi le message aux organisations professionnelles, car la tentation est grande, dans des secteurs comme celui des services ou de l'automobile, de s'arranger avec ses homologues britanniques, pour demander ensuite à l'Union européenne d'avaliser. Cela serait dangereux : il nous faut garder une vision globale du processus de négociation.

Nous devons être clairs : quand on décide de ne plus appartenir à un groupe, on ne peut plus bénéficier des avantages qu'il offre. Il existe des règles, des engagements. Les Etats membres ont réussi, jusqu'à présent, à maintenir l'unité : il faut la préserver dans la durée.

Confrontés au Brexit et à la persistance des crises - menace terroriste, crise migratoire, montée des nationalismes, remises en cause du projet européen - nous devons faire face. Certains aujourd'hui voient l'Union européenne, comme une machine de guerre conçue pour concurrencer économiquement les Etats-Unis, en oubliant qu'elle a été conçue pour reconstruire l'Europe, et qu'elle a permis d'assurer la paix sur le continent, ce que tous les présidents américains avant M. Trump ont appuyé. Comme je l'ai dit et le redirai à mon homologue Rex Tillerson, il est de l'intérêt des Etats-Unis que l'Europe se porte bien et contribue à l'équilibre du monde.

Quelles que soient les réponses que l'Union européenne ait apportées à l'érosion de la confiance des peuples, les citoyens européens ont eu le sentiment, de sommet en sommet, que les annonces ne se concrétisaient pas. Cela ne veut pas dire, pour autant, que les Européens veulent moins d'Europe. Ce qu'ils veulent, ce sont des réponses concrètes, et pas de simples proclamations. Ce qui s'est fait à Bratislava en septembre et que le sommet de La Valette, le 3 février, a confirmé, va dans le bon sens. Les Vingt-sept ont dit leur volonté d'aller de l'avant. « Ce qui se joue, c'est le destin même de l'Union européenne. Ce n'est pas seulement le regard sur le passé qu'il faut porter, c'est une volonté pour l'avenir qu'il faut définir » a déclaré, à Malte, le Président Hollande. Il importe que les chantiers ouverts soient confirmés le 25 mars prochain, à l'occasion du 60ème anniversaire de la signature du traité de Rome.

Nous avons besoin d'une unité dans le verbe, dans l'expression politique, mais aussi dans l'action. L'Europe, tout d'abord, doit véritablement protéger ses citoyens, ce qui passe par la maîtrise de nos frontières extérieures. Elle doit aussi assurer notre sécurité, en organisant notre propre défense, non pas contre l'Alliance atlantique mais en complément de celle-ci. Nous y parviendrons en renforçant nos capacités, en coordonnant nos programmes, en nous dotant d'instruments de planification, en augmentant nos moyens financiers - la création d'un fonds a été décidée, il faut le mettre en oeuvre -, en favorisant une politique industrielle et de recherche européenne. Nous sommes engagés dans cette voie, il faut poursuivre.

L'Europe est une puissance économique, c'est une puissance commerciale, exportatrice, une puissance qui compte plus de 570 millions d'habitants. Il est normal que cet ensemble préserve ses intérêts dans les négociations commerciales, en faisant valoir le principe de la réciprocité. Certaines mesures ont déjà été prises. Je pense, en matière de concurrence, aux réactions suscitées par les exportations d'acier chinois. Il faut ouvrir d'autres chantiers encore, mais en se gardant d'un danger, celui du repli. Je suis frappé par les débats autour de l'accord de libre-échange avec le Canada, le CETA. Autant nous avons été en désaccord avec les Américains sur le projet de traité avec les Etats-Unis, le TTIP, trop déséquilibré, autant le Canada s'est montré beaucoup plus réceptif dans la négociation, tandis que l'Europe a su, de son côté, faire évoluer ses positions et se montrer plus exigeante sur certains points : accès à tous les marchés publics, protection de l'origine géographique des produits, préservations de nos normes sociales et environnementales -  on ne saurait prétendre que nous allons être inondés de produits OGM en provenance du Canada, car nous avons obtenu le contraire. Quant à la gestion des conflits, il a été décidé qu'elle ne passerait pas par les tribunaux arbitraux, privés, avec les risques de conflit d'intérêts qu'ils comportent aujourd'hui, mais serait confiée aux magistrats indépendants des tribunaux publics. C'est une avancée qui fera référence dans d'autres négociations.

Il ne suffit pas de suspendre les négociations sur le TTIP, mais encore faut-il, au-delà, savoir ce que l'on veut. Veut-on mettre fin aux relations économiques internationales, aux exportations ? Si l'on entend, au rebours, poursuivre les échanges économiques internationaux, cela ne saurait se faire sans règles. Nous devons être capables de bien préserver nos intérêts, et les plus libéraux des gouvernements en Europe sont en train d'évoluer, en particulier depuis la crise de 2007.

L'Europe doit être porteuse d'un projet politique et pas seulement économique et commercial. A nous Européens de porter à l'échelle de ce monde incertain la nécessité de la régulation mondiale. Le G20, sous la présidence de l'Allemagne, a retenu, notamment grâce aux propositions françaises, un agenda très chargé. L'Afrique y figure : c'est un sujet mondial, qui appelle le règlement de questions aussi lourdes que la sécurité, le développement, la lutte contre la pauvreté, l'accès à l'énergie. Des questions dont tout le monde doit se préoccuper, car elles appellent des solutions internationales. Aller vers moins de régulation mondiale, c'est aller vers le danger. Nous devons être porteurs de cette exigence. Certaines décisions ont déjà été prises par le G20, sur les paradis fiscaux, l'évasion et la fraude fiscale, notamment, mais craignons un retour en arrière, alors qu'il faudrait aller plus loin, vers un projet de civilisation, que l'Europe peut et doit porter.

Je ne suis tenté ni de proposer, pour sortir de la crise de confiance que traverse l'Europe, un nouveau traité ni d'appeler à une révolution institutionnelle. Non point qu'il ne faille rien changer à l'équilibre des institutions, ni aux relations avec les parlements nationaux, qui vous préoccupent à juste titre, mais j'estime que c'est quand s'exprime une volonté politique que les choses évoluent. Un exemple : en matière de lutte contre le terrorisme, le processus de décision s'est accéléré face au danger, et une décision sur le PNR (Passenger Name Record) a enfin vu le jour. Je pense de même aux gardes-frontières européens, au renforcement de Frontex : en six mois, des décisions ont été prises sur des sujets qui faisaient l'objet de débats depuis des années. Preuve que ce qu'il faut à l'Europe, c'est moins de technocratie et plus de politique. Cessons de déléguer à l'excès à l'administration et prenons, comme politiques, nos responsabilités, agissons, engageons-nous. C'est ainsi que l'on retrouvera la confiance. Peut-être faudra-t-il envisager, dans la durée, une refonte des traités, mais en faire une question préalable serait périlleux.

Permettez-moi, pour finir, d'évoquer un échange que j'ai eu avec M. Kaczyñski, chef du parti au pouvoir en Pologne, qui m'a dit n'être ni du côté de Trump, ni du côté de M. Farrage, ni de celui de Mme Le Pen, mais être un patriote polonais, favorable à la justice sociale. L'Europe ne fonctionne pas, a-t-il ajouté, car les Etats et les parlements nationaux y manquent de pouvoir. Et d'appeler à un nouveau traité, qui soumettra toute décision européenne à l'approbation nationale. Telle n'est pas ma conception, je vous le dis tout net.

En revanche, nous pouvons construire une Europe plus efficace, mieux liée aux enjeux du futur, renforcer la zone euro - en tout état de cause, nous avons besoin de plus de politique et de plus de volontarisme.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous avons besoin de plus de clarté, également, de politiques énoncées plus clairement.

M. Christian Cambon. - À Londres, plusieurs de nos interlocuteurs nous ont déclaré qu'ils préféraient pas d'accord, plutôt qu'un mauvais accord. Or, les experts précisent que la facture des seuls engagements pris par la Grande-Bretagne pourrait représenter entre 40 et 60 milliards d'euros ; comment sortir de cette contradiction entre des Britanniques qui veulent sortir de l'Europe sans payer - parce que leur vote s'explique pour beaucoup par leur volonté de ne plus payer pour les Européens - et les Vingt-Sept, qui ne veulent pas payer à la place des Britanniques pour les programmes déjà lancés ?

Paul Magnette, ensuite, ministre-président de Wallonie, a récemment déclaré que pour sauver l'Europe, il faudrait peut-être que ceux qui la critiquent la quittent, au premier chef les pays de l'est européen : qu'en pensez-vous ?

M. Gilbert Roger. - Quelles conséquences le Brexit a-t-il sur l'Irlande ?

M. Jean-Yves Leconte. - Le caractère indissociable des quatre libertés est trop souvent présenté comme un dogme, alors qu'il faut expliquer leur avantage. Ainsi, la liberté de services et d'installation des salariés a constitué un moyen de mutualiser les compétences et d'amortir les chocs d'emploi - depuis 2008, les salariés européens qui ont changé de pays de résidence représentent le quart du nombre de chômeurs européens, il faut le faire savoir. Ceux qui sont allés en Grande-Bretagne ne doivent pas perdre les acquis obtenus pendant que la Grande-Bretagne était partie intégrante de l'Union, il faut y veiller très attentivement dans la négociation, y compris dans les règles de certains fonds de pension britanniques. La mobilité est un acquis, il ne faut pas la pénaliser.

Que se passera-t-il, ensuite, après le Brexit ? L'accord passé entre la Grande-Bretagne et l'Union sera-t-il dans tous les cas ratifié par les parlements nationaux ? Dans quel calendrier ?

Mme Fabienne Keller. - Le Brexit défie la cohésion des Vingt-Sept, parce qu'ils ont des intérêts divergents sur les thématiques qui vont être abordées : comment préserver cette cohésion, tout en poursuivant notre intérêt national ? Quelle initiative le couple franco-allemand vous paraît-il pouvoir prendre pour l'Europe ? Je plaide pour un parlement mixte, qui harmoniserait les normes en matière économique, de droit du travail, en matière fiscale... et qui trouverait sa place naturelle à Strasbourg.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. - Le Gouvernement est très engagé pour défendre les sessions du Parlement européen à Strasbourg, nous avons refusé par exemple que le vote du budget ne s'y tienne pas - c'est un symbole mais un acte politique, nous refusons de laisser s'installer un état de fait où les équipements à Strasbourg seraient délaissés.

Je crois au dialogue, au contact. Sigmar Gabriel est venu à Paris dès le lendemain de sa nomination; je l'ai senti ému par ses nouvelles fonctions, je l'ai amené au salon de l'horloge, de façon informelle - c'est intéressant d'entretenir des liens forts, directs, surtout quand les bases peuvent être remises en cause.

Les pays de l'est européen n'auraient qu'à partir, s'ils ne sont pas contents de l'Union européenne ? Je ne partage pas ce point de vue de Paul Magnette, je crois que nous devons faire de la pédagogie, parler à ces pays - qui sont, en plus, ceux qui bénéficient le plus des programmes européens de soutien. J'ai reçu les représentants des trois Etats baltes à Paris, pour célébrer le vingt-cinquième anniversaire de la reprise de nos relations internationales... Nous n'y avons bien sûr pas tout réglé, mais elle a été vécue comme une étape importante. Le général de Gaulle n'avait pas accepté l'annexion des Etats baltes par l'URSS, le président Mitterrand a renoué les relations dès que cela était possible : les Baltes ne l'ont pas oublié. Les choses sont plus difficiles avec l'actuel gouvernement polonais, mais la société civile polonaise se mobilise : c'est un facteur d'espoir. Il faut dialoguer, accepter qu'il y ait des divergences. Quant à la Roumanie, le décret dont on parle a constitué une faute politique, mais l'opinion ne l'accepte pas, la mobilisation actuelle est aussi un facteur d'espoir. Vous noterez que Paul Magnette, en engageant le débat sur le Ceta au Parlement wallon, a obtenu des améliorations dans le sens que les Wallons souhaitaient : quand le débat citoyen est suffisamment préparé, il obtient des résultats, c'est une leçon à retenir.

Certains de vos interlocuteurs britanniques vous disent qu'ils préfèrent pas d'accord, plutôt qu'un mauvais accord ? C'est une opinion, mais la réalité est qu'un accord est dans l'intérêt de tous. La sortie de l'Union entraîne un prix à payer, il y aura une négociation, la cohérence des Vingt-Sept sera nécessaire.

Le caractère indissociable des quatre libertés n'est pas un dogme, vous avez raison de rappeler qu'il faut dire pourquoi - et je vous rejoins sur les droits acquis, en particulier pour les retraites.

Quant à la ratification de l'accord passé entre l'Union et la Grande-Bretagne, cela dépendra du contenu du texte - voyez dans le Ceta, certains éléments doivent faire l'objet d'une ratification, d'autres pas.

L'harmonisation des normes franco-allemandes ? Oui, il y a de quoi faire, un travail concret sur le plan social, fiscal, bancaire... mais c'est un travail à organiser.

Avec l'Irlande, il faudra trouver une solution, le problème est particulier ; je m'y rendrai prochainement, je crois que nous devons aider les Irlandais à passer ce moment d'angoisse tout à fait compréhensible. Ceux qui ont organisé le référendum sur le Brexit ont pris un grand risque pour leur pays - l'Ecosse, ainsi, envisage un référendum sur le maintien dans l'Union européenne.

Mme Leila Aïchi. - Le Brexit a-t-il un impact sur les accords militaires de Lancaster House ?

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. - Non, il n'a pas d'incidence sur l'ensemble des traités bilatéraux. Les traités de Londres, dits de Lancaster House, doivent être préservés.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Vous rejoignez notre analyse sur le fond, consistant à dire que le Brexit nous oblige à réfléchir aux voies d'une refondation européenne, qui passe par le fait de replacer la construction européenne au centre de notre agenda politique et à refuser que les Américains ne jouent des divisions européennes. Nous cherchons les moyens de réconcilier l'opinion avec l'idée européenne - ce sera l'objectif de nos deux rapports. Le Brexit accélère un mouvement que nous savions nécessaire. Je vous remercie pour vos propos.

La réunion est close à 17 h 35.

Jeudi 16 février 2017

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Énergie - Paquet « Énergie » (énergie renouvelable et mécanismes de capacité) : proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Jean Bizet et Michel Delebarre

M. Jean Bizet, président. - Notre commission aborde aujourd'hui pour la première fois un ensemble de textes à l'ampleur exceptionnelle, puisqu'il totalise quelque 5 000 pages. Ce paquet d'hiver, intitulé « Énergie propre pour tous les Européens », comporte trois volets principaux, dont un seul fait l'objet des textes aujourd'hui soumis à votre approbation. Il s'agit de l'évolution du bouquet énergétique vers une part accrue de sources renouvelables d'énergie, sujet auquel nous avons ajouté les mécanismes de capacité. Comme vous le savez, la détermination du bouquet énergétique est une compétence propre des États membres.

Dans ses propositions, communications et rapports, la Commission européenne distingue totalement la place des énergies renouvelables intermittentes et les mécanismes de capacité. Pourtant, l'essor de ces mécanismes a pour cause la part croissante occupée par l'électricité d'origine intermittente. C'est pourquoi nous avons rapproché ces deux thèmes, tout en les distinguant, puisque je traiterai du premier, avant que Michel Delebarre n'aborde le second.

Les énergies renouvelables peuvent être classées en trois catégories. D'abord, les sources intermittentes d'électricité, dont le débit échappe à la volonté des hommes. Il s'agit des filières photovoltaïque, éolienne, voire marémotrice. Leur médiatisation finit par occulter les graves inconvénients techniques et économiques directement induits par l'intermittence. Ces défauts dureront tant qu'il sera impossible de stocker massivement l'énergie produite en sus des besoins, pour la réutiliser plus tard. J'ai bon espoir que nous réaliserons ce rêve. Pour l'heure, le stockage n'est que très partiel. Regroupant biocarburants et biogaz, la deuxième catégorie d'énergies renouvelables peut être utilisée en substitution directe des produits pétroliers raffinés, mais avec un bilan carbone bien meilleur et une moindre pollution chimique de l'air par des produits toxiques. La troisième catégorie réunit essentiellement les barrages hydrauliques.

Les énergies renouvelables non intermittentes ont pour propriété commune d'être peu polluantes et de s'insérer aisément dans la production d'électricité au même titre que des centrales traditionnelles. Ces deux catégories présentent des caractéristiques extrêmement proches sur le plan environnemental et pour satisfaire les besoins des consommateurs.

Parmi les sources non renouvelables d'électricité, la filière électronucléaire présente des caractéristiques environnementales comparables à celles des énergies renouvelables non intermittentes. Dommage qu'elle soit caricaturée, vu l'expertise et la notoriété de la France en la matière ! Elle est d'ailleurs indissociable des énergies renouvelables, puisqu'elle assure une production de base qui rend possible leur développement. En définitive, les ressources thermiques fossiles
- basées principalement sur le gaz naturel, la houille et le lignite - sont les seules à produire de l'électricité avec des émissions de gaz carbonique, voire de substances polluantes dangereuses.

Conclusion évidente : toute politique énergétique accordant une large place aux préoccupations environnementales doit tendre à réduire la place de l'électricité d'origine thermique fossile. En revanche, aucune considération environnementale ne justifie de stigmatiser la filière électronucléaire au nom de la lutte contre le réchauffement du climat. Finalement, la seule interrogation qui subsiste concerne la place de l'électricité intermittente. Tant que le stockage ne dépasse pas quelques heures de consommation, le soleil et le vent représentent surtout l'avenir, pas le présent. Il est légitime de leur consacrer des moyens au titre de la recherche et développement, tout comme il est légitime de conduire des efforts semblables pour améliorer le stockage de l'énergie électrique. En revanche, il est impossible de compter sur ces filières pour satisfaire la demande lors les pointes de consommation constatées pendant les soirées d'hiver. Les graphiques qui vous ont été distribués parlent d'eux-mêmes.

Or, le paquet « Énergie propre pour tous » ignore totalement la véritable frontière entre les énergies renouvelables intermittentes et les autres énergies renouvelables, alors que la distinction revêtira une importance majeure tant que le stockage restera un espoir d'avenir. Symétriquement, la Commission européenne néglige l'analogie - sur le plan climatique - entre les énergies renouvelables non intermittentes et la filière électronucléaire. On sait qu'au Parlement européen certaines tendances « vertes » sont très bien relayées...

La résolution et l'avis politique tendent à tracer les frontières là où elles sont pertinentes au regard de la politique climatique, à savoir entre les énergies renouvelables intermittentes et les autres formes d'énergies renouvelables, d'une part, et la filière électronucléaire et les énergies fossiles thermiques, d'autre part.

Comme l'électricité d'origine intermittente bénéficie d'une priorité d'accès au réseau, les centrales indispensables à la couverture de la pointe hivernale sont confrontées à une concurrence accrue pendant les mois creux d'été. Les conséquences de cette situation dépendent bien sûr de la part dévolue aux énergies intermittentes : en Allemagne, elles ont fortement déstabilisé les filières conventionnelles ; en France, leur ampleur permet aux activités de recherche et développement de se dérouler à une échelle significative. Mais la contribution au bouquet électrique reste suffisamment limitée globalement dans l'Union européenne pour que la pérennité de l'alimentation électrique soit garantie par les mécanismes de capacité, sujet passionnant dont Michel Delebarre va maintenant vous entretenir.

M. Michel Delebarre. - Les mécanismes de capacité ont pour caractéristique principale de faire financer par la puissance publique le maintien en état de fonctionnement de centrales électriques inutilisées pendant une partie de l'année, afin que les pointes de demande ne débouchent pas sur des délestages massifs. À titre complémentaire, ces mécanismes doivent aussi éviter que le décalage entre l'offre et la demande d'électricité ne se traduise par des prix de gros excessivement élevés. L'existence d'une offre électrique d'origine intermittente principalement pendant les mois d'été rend les mécanismes de capacité particulièrement indispensables pour satisfaire la demande hivernale, au moment où l'électricité intermittente ne peut apporter qu'une contribution marginale à la production.

Bien sûr, le prix de revient du kilowattheure devient dangereusement élevé lorsque la durée d'utilisation effective de la capacité se réduit à peu de temps. Pour éviter les cas extrêmes de ressources électriques utilisées quelques jours, voire quelques heures par an, la mise de centrales « sous cocon », comme disent les professionnels, est complétée par un dispositif appelé « effacement de la demande ». Le principe est simple : des contrats sont passés, par exemple par le gestionnaire du réseau, avec des entreprises électro-intensives, pour que celles-ci se débranchent temporairement du réseau. À titre d'exemple, RTE a passé de tels contrats pour une puissance totale de 2,5 gigawatt au titre de 2017, soit l'équivalent de deux réacteurs nucléaires. Les contrats prévoient le versement de primes fixes rémunérant la disponibilité, ainsi que de primes variables versées lorsque l'effacement est activé.

Si l'électricité d'origine intermittente devait à l'avenir occuper une place plus importante dans le bouquet électrique, une baisse brutale du vent ou de l'ensoleillement pourrait provoquer une insuffisance de l'offre par rapport à la demande. Un nouveau risque de délestage apparaîtrait alors, provoqué non par une pointe de consommation mais par un creux soudain de l'offre. Dans cette hypothèse, l'effacement pourrait maintenir l'équilibre global du réseau.

Dans le paquet « Énergie propre pour tous », aucune proposition de directive ou de règlement ne porte sur les mécanismes de capacité. En revanche, une enquête leur est consacrée. Cet épais document de 208 pages est accompagné d'un rapport où la Commission européenne expose ses conceptions sur ce sujet.

Elle présente d'abord les mécanismes de capacité comme un palliatif à des dysfonctionnements du marché, sans que l'analyse conduite à Bruxelles n'accorde la moindre importance à la place des sources intermittentes d'électricité. Ensuite, elle introduit une distinction capitale à ses yeux entre les mécanismes présentés par les États membres comme devant disparaître au cours des deux années à venir et ceux destinés à durer. Dans le vocabulaire du paquet « Énergie propre pour tous », cette distinction se traduit de la façon suivante : les dispositifs à court terme sont dénommés « réserve stratégique » ; lorsqu'ils sont présentés à long terme, ils deviennent des « mécanismes de capacité », bien que cette même expression serve aussi à désigner l'ensemble des dispositifs, quelle que soit leur échéance.

Surtout, la Commission estime que les obligations imposées aux États membres doivent dépendre de l'horizon temporel. Ainsi, les « réserves de capacité » pourraient ne reposer que sur des centrales disponibles à l'intérieur des frontières de l'État membre considéré. En revanche, les « mécanismes de capacité » stricto sensu devraient impérativement avoir une dimension transfrontalière. Concrètement, l'Allemagne ayant élaboré un système de « réserve stratégique », elle serait libre de ne pas subventionner la disponibilité de centrales mises sous cocon hors de son territoire. À l'inverse, la France ayant présenté à la Commission un « mécanisme de capacité » devant durer plus que deux ans, elle devrait nécessairement lancer des appels d'offres transfrontaliers. Le caractère asymétrique des obligations est difficile à accepter, d'autant plus que la part croissante de l'électricité intermittente en Allemagne autorise un fort scepticisme quant à l'horizon temporel annoncé. Si l'actuelle « réserve stratégique » disparaît à l'horizon 2019, il faudra la remplacer par un dispositif semblable au moins aussi important.

À quoi pense la Commission européenne ? Elle pense au « tout marché » : le marché, rien que le marché, tout le marché, telle paraît être sa devise, dont les deux pierres angulaires sont, d'une part, la libération totale des prix afin que les pointes de cours assurent l'équilibre économique d'installations rarement mises en fonctionnement et, d'autre part, une moindre exigence en matière de continuité de l'approvisionnement électrique.

La proposition de résolution européenne et l'avis politique tendent à rappeler le lien fonctionnel entre sources intermittentes d'énergie et mécanismes de capacité. Les deux textes demandent que la - souhaitable - coopération transfrontalière soit laissée à la libre appréciation des États membres. Nous espérons avoir ainsi éclairé la proposition de résolution européenne et l'avis politique soumis à votre examen en conclusion d'un examen critique et constructif du paquet « Énergie propre pour tous ».

M. Jean Bizet, président. - Il a fallu lire les 5 000 pages !

M. Simon Sutour. - Merci aux co-rapporteurs pour ce travail. Cette proposition de résolution européenne et l'avis politique sont excellents et correspondent exactement à ce que pensent les membres de notre groupe. La position défendue est courageuse, par les temps qui courent. Je me souviens d'une réunion des présidents de commission des affaires européennes à Chypre, au cours de laquelle le commissaire à l'énergie, Günther Oettinger...

M. Jean Bizet, président. - Le commissaire allemand !

M. Simon Sutour. - En effet, et chrétien-démocrate, qui avait parlé pendant une heure et demie de l'avenir énergétique de l'Union européenne sans prononcer une fois le mot « nucléaire » ! Quand je suis intervenu, j'ai eu l'impression de renverser la table. Et notre collègue M. Krichbaum, qui préside la commission des affaires européennes au Bundestag
- également chrétien-démocrate - avait surenchéri en expliquant la décision allemande de sortir du nucléaire. Certes, je ne suis pas pour le tout nucléaire, et tiens qu'il nous faut développer les énergies renouvelables. Mais pour la planète, l'énergie nucléaire n'est pas mauvaise, à condition d'assurer une sûreté maximale - et en France, notre autorité de sûreté nucléaire est remarquable, comme en témoigne le rapport qu'avec M. Bizet nous avons rendu sur la question. On nous parle du Danemark, mais avec quatre ou cinq millions d'habitants, et une plateforme marine peu profonde, c'est facile ! Et les Allemands ont beau jeu de fermer des réacteurs tout en important de l'électricité d'origine nucléaire... Bravo à nos rapporteurs, donc.

M. Didier Marie. - Je les félicite également, car ce sujet est technique, complexe, et génère des textes abondants. C'est aussi un sujet sensible et l'on voit bien, lors des pics de consommation, que nos concitoyens ne sont pas prêts à accepter une moindre disponibilité de l'énergie - sans parler de ses conséquences économiques. Quelle est la part des ménages et des entreprises dans la consommation d'électricité ? Varie-t-elle au cours de l'année ?

Pour moi, la meilleure énergie, renouvelable ou non, c'est celle qu'on ne consomme pas. L'économie d'énergie est donc essentielle et, sur ce point, nous avons des progrès à faire, tant sur le plan individuel qu'à l'échelle macroéconomique.

L'énergie nucléaire est indispensable. La France est en pointe dans ce domaine, et dispose d'un savoir-faire reconnu. Certains arguments doivent toutefois être maniés avec précaution. Son prix, par exemple, est largement subventionné - et il n'intègre pas le coût du démantèlement, du carénage et du retraitement des déchets. J'estime qu'en la matière, le modèle français de service public doit être préservé, et même exporté. Rien ne serait pire, en effet, que de s'en remettre à un marché concurrentiel, où la recherche incessante d'économies pourrait compromettre la sûreté.

Quant aux énergies renouvelables, elles sont partiellement intermittentes, et nous sommes encore loin du compte, en termes de production comme de stockage. La Commission a raison de souhaiter leur développement, mais il ne faut pas les opposer aux autres énergies. À chaque pays de définir son propre mix énergétique en fonction de sa taille, de son histoire, de sa géographie, de la structure de son industrie énergétique aussi. Et chaque mix évolue avec le temps. Pour ma part, je soutiens les objectifs retenus par le Gouvernement : faire baisser la part du nucléaire pour accroître celle des énergies renouvelables, sans compromettre la filière électro-nucléaire.

M. Daniel Raoul. - Dans laquelle de vos trois catégories rangez-vous les centrales à biogaz ?

M. Jean Bizet, président. - Dans la deuxième.

M. Alain Vasselle. - Je m'interroge sur la compatibilité entre le développement de l'énergie éolienne et la préservation de nos paysages. La loi prenait en compte la nécessité d'une conciliation mais, dans mon village de 230 habitants, alors que nous n'avons pas d'éoliennes, nous en voyons de tous côtés !

M. Jean Bizet, président. - Et vous n'en percevez pas les revenus...

M. Alain Vasselle. - Exactement. Nous n'avons que les inconvénients.

M. Jean Bizet, président. - Ce n'est pas l'objet de notre réunion de ce matin, consacrée au paquet hiver de la Commission européenne. Mais votre question est pertinente. Les cartes et autres schémas n'empêchent pas, hélas, des nuisances visuelles.

M. Alain Vasselle. - Un peu d'éolien, d'accord, mais pas trop !

M. Jean Bizet, président. - Merci pour vos commentaires et appréciations. Ce n'est pas la première fois que, sur des sujets énergétiques, se manifeste un accord transpartisan.

Pour ma part, je ne comprends toujours pas l'attitude allemande. Après Fukushima, sans même en avertir notre Président de la République, Mme Merkel a décidé unilatéralement la sortie du nucléaire. Et voilà que, sur les mécanismes de capacité, l'Allemagne compte sur une réserve stratégique nationale. C'est un mauvais service qu'elle rend à l'Union de l'énergie, et ce n'est pas l'idée que je me fais de ce que doit être la solidarité européenne.

Oui, le modèle français du nucléaire doit être exporté. Il est dommage que nos écologistes n'aient pas compris que les énergies renouvelables lui sont adossées, et que c'est grâce au substrat qu'il offre, et qui assure 75 % de notre production d'électricité, que nous pouvons les développer. Après quelques errements, le secteur est entré dans une phase plus mature. Les subventions au démarrage sont légitimes mais, à terme, ces producteurs devront vivre de la vente de leur électricité. Quant aux mécanismes de capacité, ils doivent prendre en compte les interconnexions transfrontalières de façon fluide et réciproque.

À l'issue de ce débat, la commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne et l'avis politique qui en reprend les termes, dans la rédaction suivante :

Proposition de résolution européenne

(1) Le Sénat,

(2) Vu l'article 88 4 de la Constitution,

(3) Vu le paquet « Énergie propre pour tous les Européens » publié le 30 novembre 2016 par la Commission européenne, notamment :

(4) - la proposition de directive COM(2016)767 relative à la promotion de l'utilisation d'énergie produite à partir de sources renouvelables,

(5) - l'évaluation SWD(2016)416 de la directive 2009/28/EC du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation d'énergie produite à partir de sources renouvelables,

(6) - l'étude d'impact SWD(2016)418 de la proposition de directive COM(2016)767,

(7) - le rapport COM(2016)752 sur les mécanismes de capacité,

(8) - l'enquête SWD(2016)385 accompagnant ce dernier rapport,

(9) Approuve le franchissement d'une nouvelle étape dans la stratégie pour l'union de l'énergie, mais déplore que le volume exceptionnel du paquet « Énergie propre pour tous les Européens » compromette son appréhension par les citoyens, d'autant plus que l'essentiel des documents n'est, à ce jour, disponible qu'en anglais ;

(10) Se félicite que la Commission européenne s'efforce de promouvoir la décarbonation de l'énergie, tout en rappelant que chaque État membre est souverain quant à la détermination de son bouquet énergétique national;

(11) Regrette l'absence de toute proposition tendant à faire enfin remonter le prix de la tonne de CO2 dans le cadre du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE UE), une orientation cruciale puisque tout recours à la fiscalité est exclu faute d'unanimité des États membres;

(12) Observe que, pour une énergie électrique donnée, la filière électronucléaire n'émet pas plus de gaz à effet de serre que toute filière électrique basée sur des sources renouvelables d'énergie ;

(13) Souligne que toutes les sources renouvelables d'énergie sont loin d'apporter aux citoyens la même sécurité d'approvisionnement, puisque la disponibilité de l'électricité intermittente dépend des conditions météorologiques tant que les éventuels surplus ne peuvent être stockés à grande échelle ;

(14) Constate que, sur le plan de la contribution à la politique climatique, il convient de scinder le bouquet électrique en trois grandes catégories :

(15) - les filières utilisant des produits fossiles thermiques,

(16) - les centrales électronucléaires et les centrales utilisant des énergies renouvelables non intermittentes,

(17) - la production d'électricité intermittente ;

(18) Fait valoir que la première de ces catégories est la seule émettrice nette de gaz à effet de serre, et le restera jusqu'à ce que la capture massive et le stockage de CO2 soit systématisés ;

(19) Insiste sur le lien fonctionnel direct entre l'ampleur du recours à l'électricité intermittente et l'importance du rôle dévolu aux mécanismes de capacité, si bien qu'il est impossible
- en l'état des techniques utilisables - que de tels mécanismes soient mis en place pour un horizon temporel connu ;

(20) Ne peut accepter que certains États membres soient contraints d'inclure dans leur dispositif national des capacités de production transfrontalières ; estime hautement souhaitable que des États membres voisins élaborent en commun des mécanismes de capacité dans un cadre de réciprocité ; souligne la nécessité de promouvoir des interconnexions à même de renforcer la sécurité d'approvisionnement.

Économie, finances et fiscalité - Mise en oeuvre de la directive « Services » : avis motivés de MM. Jean-Paul Émorine et Didier Marie

M. Jean Bizet, président. - Nous entendons à présent la communication de Didier Marie sur la mise en oeuvre de la directive « services » au regard du principe de subsidiarité. Notre groupe de travail sur la subsidiarité a considéré que le dispositif proposé par la Commission européenne pouvait poser un problème en la matière. Jean-Paul Émorine et Didier Marie ont approfondi la question et ont élaboré deux propositions d'avis motivé.

M. Didier Marie. - Je vous prie d'excuser l'absence de notre collègue Jean-Paul Émorine.

La Commission européenne a inscrit le secteur des services comme priorité dans son programme de travail pour 2017. Le 10 janvier dernier, elle a ainsi présenté une série de mesures pour améliorer le fonctionnement du marché intérieur, et en particulier la mise en oeuvre de la directive dite « Services » de 2006. Ces nouveaux dispositifs s'inscrivent dans le cadre de sa stratégie pour le marché unique telle qu'exposée le 28 octobre 2015 dans sa communication « Améliorer le marché unique: de nouvelles opportunités pour les citoyens et les entreprises ».

Nous souhaiterions, mon collègue M. Émorine et moi-même, émettre des réserves sur deux de ces textes quant au respect du principe de subsidiarité.

Le premier de ces textes est la directive visant à moderniser la procédure de notification prévue par la directive « Services ». Les États membres sont aujourd'hui tenus de notifier à la Commission européenne toute nouvelle disposition législative, réglementaire ou administrative concernant les régimes d'autorisation ou certaines exigences pouvant restreindre la liberté d'établissement et la libre prestation de service. La Commission communique ces dispositions aux autres États membres - ce qui n'empêche pas leur adoption. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la notification, la Commission examine la compatibilité de ces nouvelles dispositions avec le droit européen et, le cas échéant, adopte une décision pour demander à l'État membre concerné de s'abstenir de les adopter, ou de les supprimer.

Elle estime aujourd'hui que cette procédure n'est pas efficace. Près de 40 % des textes semblent ne pas avoir été notifiés préalablement. La Commission juge que cette défaillance empêche la directive « Services » d'atteindre son plein potentiel économique, soit une augmentation de 2,6 % du PIB de l'Union européenne. D'après ses estimations, les réformes mises en oeuvre par les États membres entre 2006 et 2014 n'ont permis de réaliser qu'un tiers de son potentiel.

Le nouveau dispositif prévoit une notification des projets au moins trois mois avant leur adoption, qu'il s'agisse de lois, de règlements, de dispositions administratives de nature générale ou de toute autre règle contraignante. Cette notification ouvre une phase de consultation de trois mois pendant laquelle la Commission ou les autres États membres peuvent formuler des observations. Les États prescripteurs devront prendre en compte celles-ci. Si, à l'issue de ce délai, la Commission émet encore des réserves sur la conformité du projet de mesures notifié, elle en alerte l'État membre. Une telle alerte empêche pendant trois nouveaux mois l'État notifiant d'adopter les mesures concernées.

Le projet de la Commission de notifier un texte avant même qu'il ne soit adopté n'est pas sans susciter de fortes réserves. La phase de consultation que la notification ouvre laisse entendre implicitement une intervention de la Commission dans le travail du législateur national, ce qui paraît difficilement acceptable. Dans ces conditions, nous vous proposons d'adopter un avis motivé au titre de l'article 88-6 de la Constitution, conforme à la position du Gouvernement.

Le deuxième texte est la proposition de directive relative à un contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions. Son objectif est de demander aux États membres de mettre en place une évaluation préalable de toute nouvelle réglementation encadrant l'exercice d'une profession. Elle concerne toutes les professions dont l'accès est limité par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives. Cette évaluation devra être faite par un organisme national indépendant et objectif. La directive ne précise pas si cet avis est contraignant. Le Sénat a adopté une proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes réservant à la loi le pouvoir de créer ce type d'institutions afin d'en limiter le nombre.

La directive précise que ces dispositions nouvelles peuvent être prises pour des motifs d'intérêt général, notamment la sécurité publique, la santé publique ou la protection des consommateurs. Elle exclut les motifs d'ordre purement économique. Au regard des motifs invoqués, les dispositions envisagées sont évaluées pour garantir qu'elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et que le principe de proportionnalité est ainsi respecté. Les dispositions nouvelles sont alors notifiées à la Commission européenne. Les États membres et les parties intéressées peuvent présenter leurs observations.

Cette proposition de directive ne respecte pas le principe de subsidiarité. Tout d'abord, différents articles du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) excluent les mesures d'harmonisation et laissent toute latitude aux États membres pour établir leur réglementation. C'est le cas de l'article 195 du TFUE qui exclut toute harmonisation dans le secteur du tourisme. De même, en ce qui concerne la protection des consommateurs, l'article 169 du TFUE dispose que les États membres peuvent maintenir ou établir des mesures de protection plus strictes si elles sont compatibles avec les traités.

En outre, l'article 91 du TFUE dispose que pour l'établissement de règles encadrant les conditions d'admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans un État membre, il est tenu compte de l'impact sur le niveau de vie et l'emploi ainsi que de l'exploitation des équipements de transport. Or, le texte présenté exclut que des dispositions nouvelles soient adoptées pour des motifs d'ordre purement économique. Enfin, l'article 168 du TFUE prévoit que l'action de l'Union est menée dans le respect de la responsabilité des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. L'engagement de la responsabilité des États membres sur ces questions est incompatible avec la mise en place d'un contrôle de proportionnalité des dispositions prises pour encadrer l'accès au niveau national aux professions en lien avec la santé. Sur ce sujet, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne est constante : elle reconnaît la possibilité pour les États-membres de limiter la liberté d'établissement pour protéger la santé publique. Sur ce texte, nous vous proposons donc également d'adopter un avis motivé au titre de l'article 88-6 de la Constitution.

M. Jean Bizet, président. - Nous sommes là dans le droit fil de notre mission consistant à veiller que la Commission européenne respecte le principe de subsidiarité.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes adopte, à l'unanimité, les propositions de résolution portant avis motivé dans les textes suivants :

Proposition de résolution européenne portant avis motivé

(1) La proposition de directive modifiant la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur et le règlement (UE) n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur vise à moderniser la procédure de notification des régimes d'autorisation et des exigences en matière de services prévue par ces textes.

(2) Le nouveau dispositif prévoit une notification des projets au moins trois mois avant leur adoption, qu'il s'agisse de lois, de règlements, de dispositions administratives de nature générale ou toute autre règle contraignante.

(3) Cette notification ouvre une phase de consultation de trois mois pendant laquelle la Commission ou les autres Etats membres peuvent formuler des observations.

(4) Si, à l'issue de ce délai, la Commission émet encore des réserves sur la conformité du projet de mesures notifié, elle en alerte l'Etat membre.

(5) Une telle alerte empêche pendant trois nouveaux mois l'Etat notifiant d'adopter les mesures concernées.

(6) Vu l'article 88-6 de la Constitution,

(7) Le Sénat fait les observations suivantes :

(8) - Le projet de la Commission consiste à notifier un texte avant même qu'il ne soit adopté ;

(9) - La phase de consultation ouvert par la notification perturbe le travail du législateur national, qui doit alors prendre en compte les observations de la Commission, ainsi que celles des autres États membres considérés comme parties prenantes ;

(10) - A défaut d'une telle prise en compte, la Commission peut émettre une alerte interrompant pendant trois mois l'adoption de la mesure visée ;

(11) - La Commission, et à travers elle, potentiellement, les autres États membres, s'immiscent ainsi dans la procédure législative nationale ;

(12) Pour ces raisons, le Sénat estime que la proposition de règlement COM (2016) 821 final ne respecte pas le principe de subsidiarité.

Proposition de résolution européenne portant avis motivé

(1) La proposition de directive tendant à établir un contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions COM(2016) 822 final doit favoriser le développement d'un marché intérieur des services.

(2) Ce texte prévoit que les États membres mettent en place une évaluation préalable de toute nouvelle réglementation visant à encadrer l'exercice d'une profession. Les conclusions de cette évaluation seront notifiées à la Commission. Les autres États membres pourront présenter leurs observations. Ces dispositions nouvelles peuvent être prises pour des motifs d'intérêt général notamment la sécurité publique, la santé publique ou la protection des consommateurs. Les motifs d'ordre purement économiques sont exclus et ces mesures doivent respecter le principe de proportionnalité garantissant qu'elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire.

(3) Vu l'article 88-6 de la Constitution,

(4) le Sénat fait les observations suivantes :

(5) - ce texte permet à la Commission et aux autres États membres d'émettre un avis sur des dispositions prises dans un cadre national ;

(6) - le texte COM (2016) 822 final s'applique à l'ensemble des professions réglementées. Or, celles-ci s'exercent dans différents secteurs d'activité pour lesquels le TFUE peut prévoir des règles spécifiques ;

(7) - l'article 169 du TFUE dispose que les États-membres peuvent maintenir ou établir des mesures de protection plus strictes si elles sont compatibles avec les traités, pour la protection des consommateurs ;

(8) - dans le secteur des transports, l'article 91 du TFUE prévoit l'établissement de règles encadrant les conditions d'admission peuvent être prises au regard de motifs économiques ;

(9) - dans le domaine de la santé, l'article 168 du TFUE dispose que l'action de l'Union est menée dans le respect de la responsabilité des États membres, ce qui exclut toute application du principe de proportionnalité ;

(10) - l'article 195 du TFUE exclut toute harmonisation des règles législatives et réglementaires dans le secteur du tourisme.

(11) Pour ces raisons, le Sénat estime que la proposition de directive COM (2016) 822 final ne respecte pas le principe de subsidiarité.

Questions diverses

SUITES DONNÉES À UN CONTENTIEUX EUROPÉEN

M. Jean Bizet, président. - Lors d'une précédente réunion, nous avions évoqué l'éventualité d'adresser un avis politique à la Commission européenne sur la question des travailleurs détachés dans le transport aérien. Une procédure est en cours contre la France. Renseignement pris, il apparaît que la Commission européenne semble aujourd'hui attendre un jugement de la Cour de justice de l'Union européenne pour décider de la suite à donner à cette procédure. Cette prudence répond aux observations que j'avais exprimées dans le courrier adressé à la commissaire Thyssen en octobre dernier. Je vous propose donc de surseoir pour le moment à l'envoi d'un avis politique tout en restant vigilants sur l'évolution de ce dossier.

Cette procédure m'a surpris ; la Commission paraît attendre désormais ce que dira la Cour de justice. Si nous étions condamnés, notre pavillon continuerait de subir une distorsion de concurrence liée au dumping social de certains États membres - une tendance qui ne va pas diminuer avec le Brexit.

M. Alain Vasselle. - La libre circulation peut être restreinte pour une raison impérieuse d'intérêt général, mais qui apprécie cet intérêt général : l'État membre, ou la Commission européenne - et s'ils ne sont pas d'accord, qui arbitre ?

M. Jean Bizet, président. - C'est à l'État de l'apprécier, mais si la Commission estime que le motif n'est pas suffisant, la Cour de justice arbitre. Cette position d'arbitre du juge européen est d'ailleurs ce qui a motivé le Brexit pour bien des Britanniques.

RAPPORT D'ÉTAPE SUR LE BREXIT

M. Jean Bizet, président. - Le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne a adopté hier un rapport d'étape sur le Brexit.

Ce rapport sera diffusé dans les prochains jours. Je veux saluer le travail accompli par nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam, Fabienne Keller et Éric Bocquet, travail qui est appelé à se poursuivre.

Je précise que si la Grande-Bretagne va au bout du processus et qu'il n'y a pas d'accord, elle deviendra un pays tiers comme un autre, les barrières tarifaires de l'OMC s'appliqueront, avec des conséquences directes sur les produits agricoles, par exemple, donc sur nos agriculteurs. Dans la phase de négociation, il faudra voir si des accords thématiques sont possibles avec les Britanniques.

Le processus de retrait n'en est encore qu'à ses prémices puisque nous attendons la notification de la décision britannique, qui devrait être faite d'ici fin mars. Mais le groupe de suivi a souhaité, à travers un rapport d'étape, informer le Sénat sur l'état de ce dossier. Le rapport rappelle ainsi le désamour qui a conduit le Royaume-Uni à se détacher de l'Union européenne. Il précise le cadre du retrait tel qu'il est prévu par l'article 50 du traité. Il évalue enfin les enjeux et les risques de la négociation.

Je vous propose de prendre acte de ce rapport d'étape.

M. Daniel Raoul. - Le Royaume-Uni ne produisant quasiment plus de fruits ni de légumes, il les importe principalement de chez nous ; dans ces conditions, les taxes à l'entrée vont pénaliser les consommateurs britanniques, plutôt que les agriculteurs français.

M. Jean Bizet, président. - C'est vrai. Reste, cependant, la possibilité de négocier avec les vingt-sept un accord sur les produits agricoles.

M. Alain Vasselle. - Sauf à considérer qu'ils compensent ces taxes et que les agriculteurs se retrouvent les dindons de la farce...

M. Daniel Raoul. - Les Britanniques n'ont guère le choix, puisqu'ils ne produisent plus.

M. Alain Vasselle. - Ils pourront acheter ailleurs que chez nous !

M. Jean Bizet, président. - C'est bien leur objectif, que de libéraliser à outrance pour s'approvisionner partout dans le monde, comme à la grande époque de leur empire...

M. André Reichardt. - Devant le groupe de suivi du Brexit, Jean-Marc Ayrault a évoqué un coût de sortie, pour les Britanniques, de 40 à 60 milliards d'euros : à quoi correspond ce montant ?

M. Jean Bizet, président. - Aux engagements pris par la Grande-Bretagne dans les politiques publiques européennes au titre du cadre financier pluriannuel 2014-2020. Il faudra aussi prendre en compte d'éventuelles compensations que les partenaires de l'Union pourraient demander, dans le cadre des quelque 1 700 accords commerciaux qu'ils ont signés avec les vingt-huit, du seul fait que l'Union compte un membre de moins, donc un marché plus réduit. Sir Ivan Rogers, l'ambassadeur britannique auprès de l'Union européenne, estimait que la tâche était colossale... Michel Barnier nous a indiqué que la somme demandée aux Britanniques dépendra de la date de sortie de l'Union et qu'il refusait d'en faire un préalable, tant la question est sensible ; de fait, si les Britanniques ne voulaient pas payer la note de leurs seuls engagements, il faudrait que les vingt-sept le fassent. Le « paquet Monti » sur les ressources propres vient à point nommé, mais les marges sont étroites et il faut bien voir qu'on parle des 10 milliards annuels versés par les Britanniques. La contradiction, c'est qu'on demande toujours plus à l'Europe, pour la défense, contre le terrorisme, tout en lui refusant des moyens supplémentaires.

J'avais l'idée que Theresa May informe le peuple du coût réel de la sortie de l'Union, et que l'organisation d'un nouveau référendum soit possible sur cette base ; notre déplacement à Londres m'a convaincu du contraire, tant les Britanniques souhaitent retrouver leurs marges d'action et rêvent de retrouver la position qui était la leur du temps de leur empire...

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Vous semble-t-il que l'esprit soit d'aller vers un accord ?

M. Jean Bizet, président. - Seule la sortie est certaine, Theresa May va déclencher l'article 50 au mois de mars. Cela pose un défi de cohésion aux vingt-sept, car des discussions thématiques vont se multiplier, avec des intérêts qui peuvent être divergents. Nos interlocuteurs britanniques, cependant, nous ont dit qu'ils auront besoin des compétences très spécialisées des Européens, en finances comme en matière de sécurité nucléaire : ils devront trouver des solutions.

À l'issue de ce débat, la commission prend acte du rapport d'étape sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Institutions européennes - Audition de M. Patrick Mifsud, ambassadeur de Malte

M. Jean Bizet, président. - Monsieur l'ambassadeur, merci d'avoir répondu à notre invitation, en cette fin de législature. Votre présidence s'ouvre dans un contexte difficile pour l'Union européenne. Les défis sont nombreux. Nous vous souhaitons une pleine réussite.

Le Brexit constitue un choc pour la cohésion européenne. Mme Theresa May a désormais précisé la position de son pays. C'est une rupture claire avec l'Union européenne. Nous pouvons le regretter, mais nous devons acter une clarification qui était indispensable. Les vingt-sept doivent rester unis pour aborder la négociation dans les meilleures conditions. Nous souhaitons un dialogue constructif avec ce grand pays dont nous déplorons la décision, mais nous devons rester fermes pour défendre les intérêts de l'Union. Être un État membre ou un État tiers ne peut revenir au même ! Comme le disait le président Raffarin, démontrons qu'il fait toujours meilleur à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Union.

Votre présidence devra aussi gérer la crise des réfugiés - M. André Reichardt est plus particulièrement chargé de ce dossier au sein de notre commission. L'Union a pris des décisions appréciables, mais elle doit aller plus loin. Nous devons rapidement obtenir un contrôle effectif de la frontière extérieure. Nous ne pouvons plus tergiverser. Il faut aussi amplifier les partenariats avec les pays tiers concernés, pour tarir les flux.

La sécurité est un autre enjeu majeur. Face à la menace terroriste, l'Union doit jouer tout son rôle en appui des États membres. L'Union doit se doter des moyens de protéger les citoyens face à la menace.

Enfin, je veux souligner le défi de la croissance et de la compétitivité. Votre présidence devra faire progresser le marché unique du numérique. Elle devra contribuer à l'édification de l'Union de l'énergie. Il nous faut aussi réorienter la politique de la concurrence de façon à ce que les entreprises puissent conquérir de nouveaux marchés à l'échelle tant européenne que mondiale. Malte est donc confrontée à un défi très important, mais nous sommes confiants, connaissant la qualité de ses dirigeants.

M. Patrick Mifsud, ambassadeur de Malte. - C'est un grand plaisir et un privilège d'être devant vous pour vous présenter les priorités de la présidence maltaise du Conseil de l'Union européenne, dans une période particulière.

J'ai eu la chance d'être en poste à l'ambassade de Malte à Paris en 2004, où nous avons célébré l'adhésion de Malte à l'Union Européenne. C'est un grand plaisir de célébrer de nouveau ici, 13 ans après, notre présidence du Conseil.

C'est une première historique pour Malte depuis son adhésion en 2004, et même depuis la première étape de son processus d'adhésion en 1990. Malte a franchi toutes les étapes avec succès. Elle est entrée dans l'espace Schengen en 2007, dans la zone euro le 1er janvier 2008, et le traité de Lisbonne a été ratifié à l'unanimité par son Parlement le 29 janvier 2008. Les Maltais affirment aujourd'hui avec fierté leur identité européenne. Nous avons tâché de bien nous préparer à cette présidence aux niveaux national et international. À l'échelle nationale, nous affichons une réussite économique et sociale importante, avec la deuxième meilleure croissance du PIB au sein de l'Europe, une réduction de deux tiers du chômage des jeunes, la plus forte croissance de l'emploi, et notamment une augmentation de l'emploi féminin, le deuxième plus faible écart de salaire entre les hommes et les femmes, et tout cela en réduisant les impôts sur le revenu et en gardant des niveaux de dette et de déficit soutenables.

Lundi dernier, la Commission européenne a présenté ses prévisions économiques hivernales : notre taux de chômage sera inférieur à 5 % - ce qui, selon de nombreux économistes, revient au plein emploi. Le déficit atteindrait 0,7 % du PIB en 2016, 0,6 % en 2017, avec une dette publique inférieure à 60 % du PIB - l'année prochaine, elle devrait descendre en-dessous de 55 %. Nous avons voulu être forts dans notre pays pour être aussi forts en Europe.

Durant ces six mois, nous, plus petit pays de l'Union européenne, serons à la tête du Conseil. Nous nous sommes préparés pour assurer au mieux toutes nos tâches, tant dans les enceintes bruxelloises qu'à Malte - où nous bénéficions aussi de l'assistance de l'École nationale d'administration (ENA) - mais aussi dans toutes nos ambassades, relais nationaux de notre présidence. C'est donc avec un engagement et une motivation particuliers que nous entamons cette présidence. Malte est plus que jamais déterminée à montrer le rôle unificateur et proactif de l'Union européenne, en renforçant la croissance et la confiance des citoyens, en consolidant les projets européens, en oeuvrant au renforcement de la solidarité, et en adoptant une approche dynamique pour la croissance européenne à court et long terme.

Dans le contexte des défis majeurs du Brexit, de la pression migratoire et sécuritaire, Malte porte six priorités : la question migratoire, le marché unique, la sécurité, l'inclusion sociale, le voisinage européen et la politique maritime.

Nous avons discuté de la question migratoire, placée en tête de l'agenda politique, lors du sommet informel des chefs d'État et de gouvernement le 3 février à La Valette. Nous oeuvrons pour une distribution plus équitable de la charge migratoire, qui passerait par l'amélioration du système européen commun d'asile, la création d'une agence européenne de l'asile et la révision du règlement de Dublin. Dans une période de crise sécuritaire, nous devons renforcer la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne. La déclaration de Malte du 3 février souligne la nécessité de renforcer les capacités des autorités locales libyennes pour lutter contre les activités de transit et le trafic. Nous prônons une approche holistique de la question migratoire, qui passe par un investissement durable dans le voisinage afin de traiter les origines de la migration.

Deuxième priorité, l'approfondissement du marché unique. L'objectif est d'oeuvrer à la suppression de toute forme de discrimination, notamment via la suppression des frais de roaming (frais d'itinérance), la lutte contre le blocage géographique des consommateurs et le développement du wifi gratuit partout dans l'Union. La présidence maltaise a convenu d'un accord sur les nouveaux plafonds de frais d'itinérance, de 90 % inférieurs aux plafonds actuels, approuvé par les ambassadeurs des États membres le 8 février dernier. Il est en cours d'approbation formelle par le Parlement européen et le Conseil. Cette diminution garantit la suppression, à partir du 15 juin, des frais de roaming pour le consommateur. Pour supprimer toute discrimination, un autre accord provisoire a été signé le 7 février avec des représentants du Parlement européen, pour supprimer les obstacles à la portabilité transfrontière de services, de contenus et de lignes dans le marché intérieur. Nous souhaitons développer la croissance et l'emploi en renforçant les moyens de financement des petites et moyennes entreprises, et en prolongeant en temps et en ressources financières le fonds européen d'investissement et le mandat de prêt externe de la Banque européenne d'investissement. Nous voulons développer la durabilité de la croissance européenne en réduisant et en améliorant la consommation d'énergie dans les bâtiments industriels et résidentiels, et renforcer la sécurisation des approvisionnements d'énergie.

La sécurité revêt une importance particulière en raison des récents événements tragiques. Cette question doit être résolue par une réponse européenne commune, favorisant la coopération pour lutter contre le terrorisme. Cela passe par une diplomatie efficace en collaboration avec le Service européen d'action extérieure (SEAE), et par la lutte contre le financement du terrorisme, grâce à l'accord sur la quatrième directive contre le blanchiment des capitaux. L'échange d'informations doit être développé par l'interopérabilité des différentes bases et la révision du code Schengen. Nous soutenons les discussions actuellement en cours à la suite des propositions de la Commission en novembre dernier sur le système européen d'autorisation et d'information concernant les voyages (ETIAS), afin de réaliser des contrôles anticipés et, le cas échéant, de refuser l'entrée aux voyageurs normalement exemptés de l'obligation de visa. Nous voulons aussi garantir une coopération judiciaire plus coordonnée et améliorer la gouvernance d'Eurojust.

Comme la vulnérabilité est importante, l'inclusion sociale est la quatrième priorité maltaise, pour favoriser le dialogue avec les partenaires de la société civile, pour une politique sociale plus juste et inclusive. Notre pays a le deuxième écart de salaires le moins important entre les hommes et les femmes. Nous voulons améliorer la participation des femmes au marché de l'emploi et l'équilibre entre les hommes et les femmes, lutter contre la violence sexiste via le partage de bonnes pratiques, et réaliser un travail sur les questions lesbiennes, gay, bisexuelles, transsexuelles et queer (LGBTQ), dans la continuité de la feuille de route de la Commission.

Cinquième priorité, nous voulons concentrer nos efforts sur la stabilisation du voisinage européen au Sud et à l'Est. Nous porterons une attention toute particulière au voisinage méridional. Plusieurs défis majeurs se dressent devant nous : la stabilisation de la Libye et sa transition pacifique ont été débattues le 3 février dernier et soulignées dans la déclaration de Malte. Nous soutiendrons la nécessaire reprise du processus de paix israélo-palestinien, dans la continuité des engagements de la communauté internationale, réitérés lors de la conférence de Paris le 15 janvier dernier, à laquelle a participé notre ministre des affaires étrangères. La position de Malte est identique à celle la France : la seule solution possible est une solution à deux États - malgré les déclarations hier de Donald Trump.

Nous soutenons le maintien d'un dialogue politique et commercial avec la Tunisie, et le renforcement des relations entre l'Union européenne et la Ligue des États arabes, ainsi qu'avec le Conseil de coopération du Golfe. Nous soutenons l'approfondissement des efforts internationaux pour résoudre le conflit syrien. Sur le voisinage oriental, nous soutenons le dialogue sur la situation en Ukraine et l'accord avec la Russie.

Nation insulaire, notre dernière priorité est d'établir une politique maritime plus cohérente, compréhensive, efficace et durable. Nous voulons étendre la stratégie européenne « croissance bleue » au développement d'activités de recherche innovante pour la croissance et la compétitivité, pour une gouvernance internationale des océans plus cohérente, compréhensive et efficace. Nous mettrons en oeuvre l'initiative pour le bassin de la Méditerranée occidentale pour obtenir des conditions de concurrence équitable dans la région et garantir une approche durable.

La liste de nos objectifs est longue ; ils paraissent considérables, car notre détermination à les réaliser est largement à la hauteur. Nous ne manquerons pas de saisir notre chance pour prendre les rênes de l'Europe et impulser une dynamique à sa tête.

M. Simon Sutour. - Votre exposé est parfait, tant sur le contenu que sur la forme ! Sur la politique de voisinage à l'Est, j'apprécie la formulation pour « veiller à la coopération avec la Russie sur des questions d'intérêt mondial ou régional ». Notre commission et celle des affaires étrangères, puis le Sénat à environ 300 voix contre 17, ont voté une proposition de résolution européenne dont j'étais l'un des deux auteurs, demandant de lever les interdictions pesant sur les personnalités russes - et notamment les parlementaires. Nous souhaitions la levée progressive des sanctions économiques au fur et à mesure du respect des accords de Minsk. La Russie peut jouer un rôle très important pour la résolution de certains conflits comme en Syrie. Nous devons avoir un dialogue stratégique, pas forcément conflictuel, même si ce langage a du mal à passer...

Certaines présidences de l'Union ont négligé les relations avec la rive Sud de la Méditerranée - alors que vous êtes au centre de la Méditerranée. Je me félicite de votre action. Je suis l'un des deux représentants du Sénat à l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée, où Malte a toujours soutenu la France pour le dialogue 5+5 ; c'est l'une des rares instances où l'on rencontre non seulement les pays de la rive sud, mais surtout Israël et la Palestine. Je citerai aussi l'Union pour la Méditerranée, au sein de laquelle j'ai précédemment siégé. Il est important que votre présidence insiste sur l'aspect méditerranéen, qui se développera par des coopérations et des crédits.

M. André Reichardt. - Merci de cette présentation très claire et synthétique, et notamment pour la remise de ce document où l'on voit apparaître votre souhait pour la mise en oeuvre rapide des mesures déjà arrêtées par l'Union européenne. Nos concitoyens demandent des mesures concrètes. L'une d'entre elle concerne les migrations. Vous souhaitez « renforcer et rationaliser le système européen commun d'asile », et « transformer le Bureau européen d'appui à l'asile en une agence européenne à part entière ». Vous n'y parviendrez pas durant le temps de votre présidence, mais comment allez-vous faire pour, indépendamment de cette agence, distribuer plus équitablement la charge migratoire pesant sur l'Union européenne entre les États-membres ? Le Bureau européen d'appui à l'asile, que nous avons récemment auditionné dans le cadre de la Commission d'enquête sur l'avenir de l'espace Schengen, souhaitait parvenir à cette meilleure répartition. Mais selon lui, les États membres contribuant matériellement au fonctionnement du Bureau sont déjà ceux qui font le plus d'efforts : l'Allemagne, la France... Certains pays refusent de prendre leur part pour l'accueil des demandeurs d'asile. Il y a de nombreux demandeurs d'asile « en stock », et il en arrive tous les jours. Une meilleure répartition est indispensable, sinon les migrations pèseront toujours sur les mêmes, à moins qu'on ne ferme les frontières - ce qui n'est pas souhaitable. C'est un challenge difficile mais fondamental.

Mme Colette Mélot. - Félicitations pour votre exposé. Notre commission a travaillé sur tous ces sujets. Sur le marché unique, je me félicite de l'aboutissement de la fin des frais d'itinérance dans l'ensemble de l'Europe, et que vous vouliez permettre au consommateur de continuer à bénéficier de son abonnement « domicile » sur le contenu audiovisuel en ligne lorsqu'il voyage - j'ai travaillé sur tous ces sujets. Nous nous réjouissons que celui sur la portabilité aboutisse sous votre présidence... D'autres sujets du même ordre sont contenus dans le paquet télécom, comme le droit d'auteur. Nous avions adopté une résolution européenne pour que la protection dont bénéficient les auteurs en France puisse être partagée par l'Europe. Soyons-y attentifs. Nous devons avancer sur la fréquence haute vélocité pour la diffusion de la télévision numérique, et oeuvrer pour le wifi gratuit dans les villes. J'espère que votre présidence permettra de nombreuses avancées sur le sujet.

Je m'associe à vos propositions sur le volet social. Il faudrait également continuer à lutter contre le dumping social. Tous les États membres, et notamment la France, y sont attachés, et souhaitent une convergence fiscale et sociale.

M. Didier Marie. - Merci et félicitations pour votre présentation, et notamment pour la hiérarchisation de vos priorités : migrations, marché unique, sécurité sont également nos priorités.

Sur les migrations, je souscris à vos objectifs. Quelles positions mettrez-vous en avant sur l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, sa mise en oeuvre et les exigences de contreparties turques ? Que pense Malte du concept de solidarité flexible - la France n'y est pas favorable - prôné par les pays du groupe de Viegrad ?

Dans le cadre de la directive services, et sur préconisation de la Commission, il est envisagé une carte numérique pour les entreprises afin qu'elles puissent s'installer plus aisément dans les pays européens. Cela fait l'objet d'un débat au Conseil et de positions partagées. La France et l'Allemagne sont réticentes, considérant que cela introduit davantage de complexité. Vous n'avez pas abordé le plan Juncker, sujet que je suis plus particulièrement, et celui de sa future extension...

La mise en oeuvre du registre des données de passagers aériens (PNR) est prévue d'ici 2018, mais démarrera très vite. Seule la Grande-Bretagne a un PNR national. La France ainsi que d'autres États membres sont en train d'en mettre en place, tandis que d'autres pays sont encore au point mort. Quelles décisions la présidence maltaise pourrait-elle prendre pour accélérer cela ?

Nous avons débattu du Parquet européen au sein de notre commission. Lors du dernier Conseil européen, certains pays n'y étaient pas favorables. Que pensez-vous d'une coopération renforcée ?

Je me félicite de l'inscription de l'inclusion sociale et de la lutte contre les discriminations dans vos priorités. Pouvez-vous nous éclairer sur la conférence sur les questions LGBTQ que vous souhaitez mettre en place ? C'est un sujet rarement évoqué.

M. Jean Bizet, président. - Merci et félicitations. Vos priorités sont dans l'objectif des propositions REFIT du président Juncker pour mieux légiférer.

Frontex est aujourd'hui davantage appréhendée comme une agence de moyens
- pour la plus grande satisfaction de son directeur. J'aimerais la voir évoluer en vrai corps de gardes-frontières et garde-côtes, même si c'est difficile à accepter pour les souverainetés nationales. Nous ne sommes pas encore dans une union fédérale...

Merci d'avoir mis l'accent sur le marché unique du numérique, au coeur de l'économie du XXIème siècle. L'Union européenne doit se réapproprier certaines normes et standards, souvent rapidement captés par les Américains - parfois, les débats sur la propriété des données personnelles ne sont pas dénués d'arrières pensées commerciales... Nous y avons été particulièrement attentifs.

Originaire de Normandie, j'ai un tropisme agricole. Pourrez-vous suivre les travaux de la task force de Phil Hogan, pour faire comprendre que les politiques agricoles ne doivent pas rentrer sous le vocable général de la politique de concurrence ? Faisons attention, la sécurité alimentaire devient une arme à l'échelle mondiale. Repensons la politique de concurrence, initiée il y a soixante ans. Si l'on veut faire naître des champions européens, revoyons ce concept de marché pertinent. Ce travail serait fondamental pour que l'Union affirme sa véritable puissance : il lui faut une stratégie de concurrence.

M. Patrick Mifsud. - Merci de vos remarques. Dans les négociations avec les pays tiers, Malte a une position d'honest broker : nous avons le grand avantage d'être le plus petit pays de l'Union européenne. Nous n'avons pas d'agenda caché, ni d'intérêts particuliers, et défendons les intérêts de l'Union européenne en général. Malte a été historiquement un lieu de rencontre, de dialogue et de négociation pendant plusieurs siècles, et nous nous réjouissons de continuer ce rôle à la présidence de l'Union européenne. Cela vaut pour les questions de voisinage, notamment oriental : nous ne sacrifions pas notre propre intérêt au détriment du voisinage oriental. Nous poursuivons les discussions avec nos partenaires européens et le SEAE pour pousser les sujets de la meilleure manière possible. La présidence maltaise est la dernière présidence méridionale du Conseil avant longtemps... Nos partenaires méridionaux sont importants. Nous partageons de nombreuses positions avec la France sur les questions méditerranéennes et sécuritaires. Nous tâcherons de progresser autant que possible durant les six mois de notre présidence.

Six mois est un délai un peu court pour transformer le Bureau d'appui à l'asile
- abrité à Malte - en une vraie agence européenne, mais nous sommes ambitieux et comptons enregistrer un succès. Le statut de Frontex s'est transformé dans une brève période de sa vie. Avec la bonne volonté de tous, nous arriverons à transformer le Bureau de soutien en une agence européenne, nécessaire aujourd'hui pour traiter l'asile. C'est aussi une demande de nos concitoyens. La transformation de cette agence sera une étape importante de ce processus.

La déclaration unanime des chefs d'État et de gouvernement sur la distribution de la charge migratoire lors du sommet de Malte le 3 février est une étape très importante. Ils ont mis l'accent sur un phénomène attendu mais pas encore prévenu. Grâce à l'accord avec la Turquie, tant bien que mal, la route orientale des migrations a été stoppée. Il est fort probable que la Méditerranée centrale redevienne la principale voie de migration. Les chefs d'État et de gouvernement européens sont conscients de ce problème. Nous avons pu trouver cet accord unanime sans délai normal, ce qui est un signal fort de notre détermination. La situation libyenne diffère de la situation turque, mais ce n'est pas une excuse pour ne rien faire. Il y a des choses à faire. Nous sommes confiants, nous arriverons à traiter le problème.

Nous sommes déterminés à tarir les flux migratoires dès leur source. Cela fut le grand objectif du sommet de novembre 2015 à Malte, la première fois où les chefs d'État et de gouvernement européens ont rencontré leurs homologues africains, enclenchant le fameux « Migration Compact », accord entre l'Union et les pays africains individuellement, qui prévoit que l'Union investit dans ces pays en échange d'une réduction des flux migratoires. La semaine dernière à Malte, une réunion de hauts fonctionnaires pour le suivi de ce sommet UE-Afrique a constaté les progrès de ces quatorze mois. Il y a des signaux positifs augurant des résultats ultérieurs.

La lutte contre le dumping social est effectivement une question très délicate. Les points de vue diffèrent. Nous avons la position d'un honest broker, portant les discussions au sein du Conseil sans avantager ni un côté ni l'autre. Nous sommes neutres et indépendants.

L'accord entre l'Union et la Turquie porte sur les questions migratoires et doit être encore peaufiné, notamment sur le volet humanitaire. Nous essayons de continuer nos discussions. Les chefs d'État et de gouvernement européens ont souligné l'importance de travailler étroitement avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l'Institut de l'immigration, afin que nos travaux sur l'immigration et la sécurité soient compatibles avec une perspective humanitaire.

Il nous est difficile de comprendre le concept de solidarité flexible. Soit il y a de la solidarité, soit il n'y en a pas. Ce n'est pas possible de choisir la solidarité, trouvons le bon mécanisme pour que cela marche, sans utiliser ce terme, difficile à expliquer.

Je n'ai pas mentionné le plan Juncker car les travaux sont en cours. Nous sommes conscients des bénéfices obtenus et continuerons ces travaux.

Bien que la proposition d'un parquet européen fasse consensus entre les États membres, se posent des questions de répartition de compétences entre les États-membres et le niveau communautaire, de subsidiarité. Quelques membres, dont Malte, hésitent. Nous sommes attachés à la subsidiarité. Nous soutenons l'approche de la coopération renforcée, manière pratique et pragmatique pour que plusieurs pays puissent aller de l'avant dans une coopération sans obliger d'autres membres de l'Union. Je me souviens notamment, il y a quelques années, de la coopération renforcée sur l'Office européen des brevets (EU Patent Office).

Je n'ai pas plus de précisions sur la conférence européenne LGBTQ, mais je vous transmettrai des informations après cette réunion.

M. Jean Bizet, président. - Merci de vos réponses avec tant de franchise et de clarté, à l'image de votre pays durant cette présidence. Nous nous reverrons dans les prochains mois - vous aurez quelques soucis avec le Brexit... Vous serez toujours le bienvenu au Sénat.

M. Patrick Mifsud. - Vous pourriez vous inquiéter de notre position sur le Brexit, en tant qu'ancienne colonie anglaise durant un siècle et demi. Nous continuons à avoir des relations spéciales avec nos amis anglais. Nous conduisons même sur le mauvais côté de la route ! Je vous assure de notre loyauté envers nos partenaires européens. Nous partageons la même position que la France : les quatre libertés sont inséparables, il faut en faire un paquet global. Les négociations avec le Royaume-Uni ne pourront jamais aboutir à un résultat aussi favorable que s'il était membre de l'Union européenne. Je tenais à le souligner.

M. Jean Bizet, président. - Les représentants maltais ont évoqué cette même position, sans ambiguïté, à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) ; cela a fait plaisir aux vingt-six autres États.

M. Simon Sutour. - Pouvez-vous nous confirmer que les Maltais n'ont pas voté lors du référendum sur le Brexit ? Nous avons trouvé cette mention dans certains documents, ce qui nous a surpris.

M. Patrick Mifsud. - Évidemment non, Malte est un pays souverain.

La réunion est close à 10 h 50.