Mercredi 16 février 2022

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition de M. Philippe Varin, ancien président de France Industrie, chargé d'une mission sur la sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie en matières premières minérales

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Philippe Varin, ancien président de France Industrie, qui est accompagné de M. Jean-Marie d'Anjou, directeur général délégué de France Industrie.

Monsieur Varin, vous êtes l'un des grands « capitaines d'industrie » que compte notre pays, puisque vous avez été à la tête de groupes tels que PSA Peugeot Citroën, Pechiney, Orano ou encore Suez. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. C'est aujourd'hui sur un sujet précis que nous souhaiterions vous entendre. En effet, vous avez rendu au Gouvernement, il y a environ un mois, un rapport sur la « sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie française en matières premières minérales ». Bien sûr, ni le calendrier ni le choix de cette thématique de travail ne sont des coïncidences, mais plutôt des évidences au regard des deux années qu'ont traversé nos entreprises industrielles : la pandémie de Covid-19, qui a soudainement mis à l'arrêt - en France plus qu'ailleurs - l'activité productive ; puis un redémarrage progressif, qui n'a pas encore permis de retrouver les niveaux de 2019 ; et désormais des tensions durables sur l'approvisionnement en intrants stratégiques, tels que les semi-conducteurs. Sans compter les défis structurels qui s'annoncent : transition numérique, transition environnementale et transition énergétique.

Comment donner à l'industrie française les moyens d'affronter ces défis, mais surtout comment garantir à notre pays une base industrielle résiliente, qui assure les besoins stratégiques de la Nation et limite notre dépendance aux facteurs externes ? C'est là la question qui nous intéresse aujourd'hui et sur laquelle nous avons souhaité vous entendre, à la lumière de votre connaissance de l'industrie française et de vos récents travaux. En effet, notre commission a initié - et c'est aujourd'hui la première audition de ce cycle - des travaux sur la souveraineté économique de notre pays. Mes collègues corapporteurs, Amel Gacquerre et Franck Montaugé, compléteront tout à l'heure ce propos introductif et vous adresseront leurs questions.

Pour amorcer notre discussion, je souhaiterais recueillir votre analyse sur les aspects suivants.

Le rapport dont vous êtes l'auteur se concentre sur les matières premières minérales et leur rôle dans l'industrie française. Vous estimez, vous me le confirmerez, que la demande pour ces matières sera multipliée par 3 ou par 4 dans les années à venir en raison de nos efforts de transition énergétique. Or la France importe près de 100 % de ses besoins - un peu moins en ce qui concerne le nickel, grâce à la Nouvelle-Calédonie. Vous estimez aussi, je crois, que d'ici à 2030, malgré les efforts conduits, l'Europe ne pourra pas produire plus de 20 % à 30 % de ses besoins en matières premières minérales. Pourriez-vous nous dire un mot de votre constat à cet égard : quel serait l'effet « domino » d'une pénurie de minerais dans l'industrie française, risque aujourd'hui bien réel ? Quel est aujourd'hui notre degré de vulnérabilité, et pour quelles filières ?

À l'occasion de l'examen de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et résilience », notre commission a adopté la réforme du code minier : notre rapporteur, Daniel Gremillet, a inscrit un objectif de « souveraineté minière » ; il a prévu que notre sous-sol fasse l'objet d'un recensement scientifique actualisé. C'est important, car nous sommes très conscients, ici au Sénat, que la transition énergétique et la souveraineté minière sont liées. S'il est vrai que l'énergie nucléaire nécessite de l'uranium, nous le savons tous, les énergies renouvelables aussi reposent sur des métaux rares ou précieux. Quel est votre point de vue sur cet enjeu ? Comment relancer notre activité minière ? Comment réussir la transition énergétique ? Quels sont les métaux et les secteurs les plus critiques ?

Ce n'est pas la première fois que le Gouvernement annonce se pencher sur le sujet de notre approvisionnement : en mars 2019, un rapport du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGE) intitulé Analyse de la vulnérabilité d'approvisionnement en matières premières des entreprises françaises lui avait déjà été remis. Votre travail sur le sujet vient-il confirmer ses conclusions ? Quel bilan faites-vous de la politique de l'État en matière de sécurisation de l'approvisionnement, avant la pandémie de Covid comme depuis ?

Après ces trois questions relatives aux constats, peut-être nous donnerez-vous votre avis sur les objectifs et les moyens. De votre point de vue, c'est-à-dire avec votre expérience d'industriel, quel doit être le rôle de l'État pour réduire la dépendance de l'industrie française et limiter les risques ? Est-ce un rôle actif, par exemple en encourageant l'exploitation de matières premières sur le territoire national - je pense à l'extraction minière ? Ou plutôt un rôle d'animateur et de soutien, en renvoyant aux filières et aux entreprises la responsabilité de s'organiser pour sécuriser leur approvisionnement ?

Pourriez-vous à cet égard nous dire un mot des actions conduites par les entreprises industrielles en la matière, tant les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) que les grands groupes ?

Enfin, ma dernière question sera plus politique. Dans le contexte que nous connaissons, où les tensions géopolitiques et l'instabilité vont croissant, où le multilatéralisme politique et économique est remis en cause, l'approvisionnement en matières premières deviendra-t-il un levier de guerre économique qui pourrait être manipulé par nos concurrents ?

Je vous cède maintenant la parole pour un propos liminaire. Les corapporteurs vous poseront ensuite à leur tour leurs questions, puis chacun de nos collègues pourra vous interroger.

M. Philippe Varin, ancien président de France Industrie, chargé d'une mission sur la sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie en matières premières minérales. - Merci, madame la présidente, de cette introduction. Je suis très heureux de me trouver de nouveau devant la représentation nationale pour évoquer un sujet qui m'est cher, ayant passé 44 ans de ma vie dans le secteur des métaux : l'aluminium, l'acier, l'uranium, etc.

Cette mission m'a été confiée par les ministres Agnès Pannier-Runacher et Barbara Pompili, et j'en ai remis les conclusions provisoires le 10 janvier dernier. Nous nous sommes focalisés dans un premier temps sur les chaînes de valeur « batteries et aimants », car nous voulions donner un certain nombre de recommandations pratiques sur les questions les plus pressantes. Nous travaillons désormais sur les chaînes de valeur de l'électronique, de l'aéronautique et de l'hydrogène.

Cette mission visait à évaluer le degré de sécurité des approvisionnements de l'industrie en matériaux critiques et à formuler des propositions. Nous avons organisé en trois mois une centaine d'entretiens avec des entreprises minières, constructeurs automobiles, responsables politiques, etc. Le rapport n'est pas public, car il contient des informations confidentielles.

Dans son communiqué du 10 janvier, l'État a retenu de ce rapport plusieurs axes d'action : premièrement, le lancement de travaux préparatoires à la constitution d'un fonds d'investissement dans les métaux stratégiques ; deuxièmement, le soutien à des plateformes pour la localisation d'activités industrielles en France ; troisièmement, l'élaboration d'une feuille de route de recherche et développement sur ces questions ; quatrièmement, la mise en place de compétences sur ces nouveaux métiers ; cinquièmement, un label certifiable du concept de « mine responsable » ; sixièmement, enfin, la mise en place d'un observatoire des matériaux critiques et la nomination d'un délégué interministériel pour piloter l'ensemble de ces actions. Le plan d'investissement « France 2030 » mobilisera 1 milliard d'euros sur cette thématique, dont 550 millions sur des projets et 500 millions en fonds propres.

J'exposerai d'abord quelques éléments de contexte.

La mobilité électrique sur les batteries et les aimants constitue un enjeu majeur non seulement pour la France, mais aussi pour l'Union européenne. Pour que les objectifs du plan européen « Fit for 55 » puissent être respectés, l'Europe devrait disposer en 2030 d'une capacité de batteries de 600 à 800 gigawattheures. Cela correspond à 38 gigafactories annoncées en Europe - dont certaines ne verront peut-être pas le jour -, dont 3 en France, et à 150 milliards d'euros d'investissement.

Depuis la gigafactory jusqu'aux mines, cinq étapes incluent le raffinage des métaux, la fabrication des précurseurs pour les éléments des batteries, des moteurs ou des aimants, puis le recyclage. Pour la France, on parle de 200 gigawattheures et 3 millions de véhicules électriques d'ici à 2030. À partir d'un objectif global pour le nombre de voitures, on arrive à des chiffres très importants concernant les besoins en matériaux critiques : nickel, cobalt et lithium.

Une batterie est composée de trois parties : l'anode, la cathode et, entre les deux, l'électrolyte. Les anodes sont faites en graphite ultra-pur, qui est fourni en totalité par la Chine, ainsi que d'autres métaux de « boost » tel le silicium ; les cathodes sont majoritairement du nickel, du cobalt et du manganèse, dont les sources sont contrôlées à 40 % à 60 % par les Chinois ; enfin, l'électrolyte est pour l'instant du lithium, qui se trouve un peu partout dans le monde. Pour les moteurs de voitures et d'éoliennes, on utilise des aimants, qui sont puissants quand on y intègre des terres rares, telles que le praséodyme, le néodyme et le dysprosium. Un moteur automobile possède de 2 à 5 kilos d'aimants, et une éolienne offshore en contient 600 kilos. Chaque smartphone en utilise environ 15 grammes.

Le monde d'après sera décarboné, mais très riche en métaux. Les risques de pénurie sont donc non pas un concept, mais une réalité. Pourquoi ? D'une part, notre décor géopolitique, régi par le pétrole et le gaz et fondé sur le triangle Arabie Saoudite, États-Unis et Russie, sera amené à changer. Ce triangle a déterminé beaucoup de choses : les guerres, notamment, mais aussi le degré de tolérance envers des excursions en dehors du référentiel de l'économie de marché, telles que l'organisation intergouvernementale des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Lorsque l'influence de ce triangle diminuera, la rivalité autour des métaux critiques, répartis sur toute la planète, opposera surtout la Chine et les États-Unis. Cela se traduit déjà dans les technologies-clés par un découplage : on ne peut travailler avec les deux pays simultanément ; il faut choisir son camp. À certains endroits, cela s'apparente déjà à une guerre des métaux. L'Australie, par exemple, est l'Arabie saoudite des métaux critiques pour la transition énergétique. Ses flux de minerai de fer vers la Chine vont probablement se poursuivre, mais pas forcément ceux des autres métaux. On trouve également en Afrique un terrain de jeu important de rivalités entre la Chine et les États-Unis.

Force est de constater que l'Europe n'est pas aujourd'hui sérieusement présente dans cette bataille. Les Chinois ont vingt ans d'avance et contrôlent 40 à 60 % de la chaîne de valeur des batteries et 90 % de la production d'aimants dans le monde. Nous devons réfléchir sérieusement à ce qu'implique un tel contrôle pour la production de moteurs de véhicules et d'éoliennes. En effet, cette situation ne me paraît pas tenable. Les États-Unis ont réagi fortement depuis cinq ans en mettant en place une « grande stratégie » qui associe différents ministères comme la justice, l'énergie, le commerce ou les relations internationales, pour parvenir à une coordination sur les cibles d'approvisionnement.

Par ailleurs, nous sommes face à une croissance explosive. Les extractions de la planète dans les trente prochaines années seront équivalentes à toutes celles qui sont intervenues depuis le début de l'humanité. Aujourd'hui, on extrait 100 milliards de tonnes de matières par an. Divisées par 7,8 milliards d'habitants, cela correspond à peu près à 17 tonnes par habitant, avec des différences selon les niveaux de vie. En Europe, nous extrayons en moyenne 30 tonnes de matière par personne et par an.

À cela s'ajoute une tendance, qui dure depuis plusieurs décennies, à l'augmentation de la population mondiale, du niveau de vie et de l'urbanisation. La décision de procéder rapidement, et pour l'éternité, à l'éviction du CO2, nécessite des surinvestissements massifs. On évoque rarement les tensions sur les matériaux que cela pourrait entraîner, avec des hausses de prix à la clef. Une éolienne, par exemple, a besoin d'énormément de ciment, d'acier et de cuivre. À l'horizon 2030, la demande en cuivre va être multipliée par deux, celle du nickel pour batterie par trois, et celle du lithium par quatre. Quand on sait que le développement d'une mine prend de cinq à dix ans, la situation de tension est assez inédite sur ces matériaux.

La tension entre l'offre et la demande comporte des risques de pénurie bien réels, liés à la situation géopolitique et à la concentration. Il faut s'en prémunir, car ce n'est pas une vue de l'esprit ! La République démocratique du Congo (RDC) contrôle 60 % à 70 % du cobalt. La Chine produit quant à elle 57 % des terres rares du monde, mais contrôle aussi la fin de la chaîne de valeur qui conduit à l'aimant. Des terres rares sont produites en Australie ou aux États-Unis par la société Mountain Pass, mais les aimants sont fabriqués en Chine, car la société n'est pas capable de le faire. -90 % des aimants sont aujourd'hui faits en Chine. Il y a dix ans, les Chinois avaient décidé du jour au lendemain de réduire leurs exportations de 30 %, ce qui a soulevé des problèmes importants. Or cela pourrait se reproduire dans le contexte actuel. Le lithium est quant à lui assez répandu sur l'ensemble de la planète, mais la demande à moyen terme va exploser. Il est très présent dans les saumures d'Amérique latine, entre l'Argentine, le Chili et la Bolivie, autant de pays qui ont basculé politiquement très à gauche, avec des approches en matière de propriété minière qui peuvent être différentes.

Ces difficultés se sont posées récemment sur les composants électroniques - indispensables pour la production des automobiles - et sur le magnésium, pourtant non critique, mais que la Chine ne pouvait plus produire pour des raisons énergétiques et qui a manqué. L'aluminium est actuellement concerné et a vu son prix atteindre un niveau historique de 3 000 dollars par tonne du fait de la situation sanitaire. Comme vous l'avez dit, madame la présidente, l'Union européenne peut aujourd'hui fournir au mieux 20 % à 30 % de ses approvisionnements « en interne ».

J'en viens aux recommandations du rapport, en reprenant les points que vous avez évoqués.

Premièrement, nous devons être en mesure de sécuriser nos approvisionnements miniers. Il faut penser à la mine, mais aussi aux stades aval. Sur la sécurisation, les grands constructeurs automobiles passent dorénavant des contrats d'enlèvement pour dix ans avec les opérateurs miniers afin d'avoir accès au métal qui sera ensuite transformé. Cela ne se faisait pas avant, car les constructeurs s'appuyaient sur les fournisseurs pour cela.

Nous disposons aujourd'hui en Europe d'opérateurs miniers en nombre limité : le groupe Eramet ; Imerys, qui est plutôt un acteur des minéraux, mais extrait des micas lithifiés ; Orano, qui est spécialisé dans le nucléaire. Eramet est le principal acteur, et a fusionné avec les Chinois en Indonésie et en Argentine pour permettre son développement. Je citerai aussi Boliden, qui est une société minière suédoise. Néanmoins, nous n'avons pas de grand groupe de l'ampleur de Rio Tinto (RIO), Anglo American (AAL) ou BHP Billiton par exemple.

Pour rendre les approvisionnements moins risqués, nous suggérons de mettre en place un fonds d'investissement destiné à sécuriser les contrats d'enlèvement (« offtake ») des constructeurs automobiles ou des gigafactories. Sans qu'il devienne un opérateur minier, le fonds prendrait une participation minoritaire dans la mine visée. L'expérience montre en effet que le contrat tient tant que la matière existe ; sinon, la force majeure est invoquée par le minier. Cela est légitime, mais entraîne des conséquences sur la production de voitures. Pour avoir voix au chapitre, il faut avoir une part dans le capital des miniers. Il s'agirait de « risk money », car même si la tendance des prix est positive pour les dix prochaines années, les hauts et les bas seront inévitables et il faudra avoir les reins solides. Enfin, la sécurisation peut être favorisée par une diplomatie française et européenne bien ciblée. Un fonds pourrait se démarquer grâce à l'application des normes européennes.

Deuxièmement, nous devons parvenir à attirer en Europe, et si possible en France et à proximité des gigafactories, les éléments de chaîne de valeur aval : le raffinage des métaux, la fabrication des précurseurs de cathode, etc. À cet égard, j'ai proposé, avec l'initiative du maire de Dunkerque et de la Région Hauts-de-France, que la plateforme d'approvisionnement en batteries françaises se situe à Dunkerque. D'une part, trois gigafactories sont implantées à proximité : celle de Douai, de Douvrin, ainsi que Verkor, qui vient de s'implanter à Dunkerque voilà deux semaines. D'autre part, la logistique est de très bonne qualité, le foncier est disponible et les procédures administratives limitées, l'énergie est décarbonée (sachant que ces chaînes de valeur sont très énergivores) et son coût raisonnable. L'Accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh), en vertu duquel le prix de l'électricité était de 46 euros/mégawattheure, disparaîtra en 2025. Or nous ne pourrons pas offrir des prix compétitifs reflétant l'attractivité du parc nucléaire français ; c'est pourtant l'un de nos atouts qu'il faut utiliser à bon escient.

Pour les aimants, un projet a été élaboré par Orano et Carester - société qui s'appuie sur les anciens personnels de l'usine de terres rares de La Rochelle, qui avait été fermée -, dont les compétences sont pointues. Le recyclage des aimants, afin de récupérer l'oxyde de terres rares, serait mis en place à Lacq. Ce site pourrait ultérieurement également développer la fabrication des métaux et des aimants, qui n'est pour l'instant pas significative en Europe.

Enfin, le code minier que vous évoquiez, madame la présidente, est un sujet clé. Il y va de l'existence de mines en France et en Europe. Il est essentiel, je l'ai dit aux ministres de l'industrie informellement réunis à Lens les 31 janvier et 1er février, que les mines soient intégrées dans l'acte II de la taxonomie européenne, à l'instar du gaz et du nucléaire. Sans cela, pas de financement, et nous ne pourrons pas les développer. De plus, les acteurs européens ne peuvent sans contradiction considérer ces activités comme « non propres », et vouloir ensuite récupérer les métaux produits hors d'Europe. Le rapport de la députée européenne Mme Hildegard Bentele est favorable à l'exploitation de mines « propres » sur le territoire européen, à condition que les normes d'exploitation soient certifiables. Cette responsabilité s'entend du respect de la biodiversité et de la lutte contre la corruption et le travail des enfants. Pour les industriels mineurs et les constructeurs automobiles, l'enjeu d'acceptabilité et pour leur marque est considérable. Le travail de normalisation et de labellisation est donc la priorité, associée à la taxonomie. La présidence française de l'Union européenne essaiera de faire en sorte que le règlement européen sur les batteries soit finalisé d'ici à la fin de ce semestre. Il y sera indiqué que les principes de « mine responsable » doivent être respectés. En outre sera instauré un passeport européen concernant la mesure des émissions de COproduites par les batteries.

Au niveau européen, le financement est un autre enjeu majeur. Le fonds d'investissement pourrait opportunément s'ouvrir à une dimension européenne. Actuellement, les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) - ou important projects of common european interest (IPCEI) - fonctionnent bien pour les batteries. Il faudrait élargir le cadre des PIIEC afin que les États puissent financer leurs industries en assouplissant le droit commun sur les aides publiques.

En conclusion, il faut assurer simultanément la sécurisation des métaux, la localisation des activités à valeur ajoutée en aval, la réglementation sur la taxonomie et les « mines responsables ». Cela doit être mené de front, car nous sommes dans une course de vitesse et de compétitivité. Cela dépendra du travail collectif des industriels et des pouvoirs publics. Le président de Stellantis, Carlos Tavares, a déclaré que tout allait beaucoup trop vite. En réalité, on part de rien et il y a tout à construire !

Les vulnérabilités de la chaîne automobile et des nouveaux systèmes énergétiques, comme les éoliennes, sont parfaitement identifiées. Il conviendra de les repérer dans les secteurs de la microélectronique, de l'aéronautique et de l'hydrogène.

Pour ce qui est de la réforme du code minier, elle est en bonne voie. Les industriels ont à mener avec le Parlement un travail important de pédagogie à l'égard de l'opinion publique. Sans métaux critiques, les outils de mobilité feront défaut. S'agissant des « mines responsables », les pouvoirs publics et les industriels devront être très proactifs.

Jusqu'à présent, l'État a travaillé sur les situations de pénurie et mené un inventaire, chaîne de valeur par chaîne de valeur, pour détecter les chaînons manquants. Parmi les outils, distinguons la relocalisation d'activités et la localisation de nouvelles activités. Je ne pense pas que la relocalisation d'activités abandonnées puisse être de très grande envergure. Dans le deuxième cas, on met en place des activités dont la valeur ajoutée est compétitive sur le territoire européen. Les enjeux, en volume, sont beaucoup plus importants.

Concernant le rôle de l'État dans la réduction des risques, je suis très partisan de la coconstruction. Tout a pour l'instant été fait en synergie étroite entre l'État et les industries. Il est vital de continuer sur cette lancée.

On ne raisonne pas par taille d'entreprise, mais par filière. Toute la chaîne de valeur est concernée.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour ces propos passionnants.

Mme Amel Gacquerre, rapporteure. - Merci pour ces propos très complets. Quel regard portez-vous sur les coopérations européennes en vue de relocaliser certaines productions ou de créer de nouvelles filières structurantes ? Vous avez évoqué les PIIEC, les projets importants d'intérêt européen commun, qui autorisent les États à subventionner davantage des coopérations industrielles, et la nécessité de les élargir. Comment les industriels perçoivent-ils ce dispositif ? Ont-ils répondu à l'impulsion politique ?

Parmi les métaux critiques nécessaires à la transition énergétique, certains sont produits dans des pays peu coopératifs ou peu sûrs sur le plan international. Dans quelle stratégie globale les pays européens doivent-ils s'engager à cet égard ? Quelle est votre vision géopolitique ?

M. Franck Montaugé, rapporteur. - Merci. Monsieur Varin, vous avez évoqué l'inventaire des ressources stratégiques pour l'industrie. J'ai du mal à penser que l'État français n'en a pas d'idée précise, même si j'ai conscience que ces données peuvent revêtir un caractère fortement confidentiel. Pouvez-vous préciser vos propos sur ce sujet ?

J'ai été très sensible à la dimension diplomatique et géostratégique que vous avez donnée à cette problématique. Actuellement, je ne sens pas notre gouvernement très solide.

La mise en place de stocks stratégiques est-elle envisagée ?

Vous avez insisté sur la localisation de nouvelles activités. Récemment, un industriel a choisi de localiser une production de batteries en Allemagne plutôt qu'en France
- à Valenciennes, me semble-t-il. Pourquoi ? Qu'a-t-il manqué à la France ?

Le fonds d'investissement que vous avez évoqué répond-il au manque de pouvoir d'achat de nos industriels ? Des mécanismes sont-ils envisagés pour les accompagner sur l'achat de matières stratégiques ? Le Chips Act de l'Union européenne, concernant les semi-conducteurs, est-il à la hauteur des enjeux ?

M. Philippe Varin. - Nous sommes au début des PIIEC. La ministre s'est exprimée sur le fait qu'il en fallait davantage. Il en existe deux sur les batteries. C'est ce qui a rendu possible la naissance d'Automotive Cells Company (ACC), en coopération entre Daimler, TotalEnergies et Stellantis. Il peut y en avoir d'autres, notamment dans le domaine des aimants. Les grandes sociétés ont conscience que les PIIEC existent, mais il faut en assurer la promotion auprès de Bruxelles et des industriels, ainsi que des autres pays européens.

Nous avons l'opportunité d'un vrai partenariat gagnant-gagnant entre l'Afrique et l'Europe, entre des pays riches en ressources et des sociétés européennes qui s'engagent à un développement responsable, respectueux de l'environnement et apportant une valeur ajoutée locale claire. On a une vraie opportunité. Si nous émettons une norme « mine responsable » bien claire, nous offrirons une approche très distincte de celle des Chinois.

Notre corps diplomatique est très compétent ; il a déjà été recentré sur la diplomatie économique. Actuellement, nous avons choisi une douzaine de cibles, sur lesquelles les diplomates locaux sont à la manoeuvre, avec la mise en place d'un pilotage central. Je fais confiance à nos ressources. En Afrique, dans le domaine économique, nous menons quelques actions, mais nous ne sommes pas du tout aussi actifs que d'autres États. Il y a un vrai potentiel à exploiter.

Nous sommes en train d'étudier la question des stocks stratégiques. Pour qu'un stock stratégique résiste dans la durée, il faut immobiliser des sommes colossales. Quand les métaux sont cotés, comme l'aluminium, les risques sont limités, mais quand ils ne sont pas cotés, c'est plus difficile. En outre, la qualité du lithium, du nickel ou du cobalt n'est pas standardisée comme celle du cuivre ou de l'aluminium. Il y a donc des difficultés techniques.

Il y a aussi des difficultés fiscales. L'Allemagne envisage de modifier la fiscalité pour une société qui voudrait se couvrir en mettant en place un stock stratégique. C'est important, car aujourd'hui, si une société a un stock de lithium dont le prix augmente, passivement, elle doit payer davantage d'impôts, car elle en dégage un résultat. Elle est donc pénalisée. Ce sujet mérite d'être approfondi techniquement et fiscalement.

Je ne saurais pas vous répondre concernant la localisation d'activités à Valenciennes.

Le fonds ne répond pas directement à une question de pouvoir d'achat, mais indirectement en quelque sorte. Les constructeurs automobiles ont une telle transformation à accomplir que le cash doit être utilisé à cette fin. Immobiliser de l'argent dans des mines n'est pas leur première priorité. L'idée est plutôt de mobiliser de l'argent prêt à être placé pour dix à quinze ans.

En cas de crise ponctuelle, l'État a toujours été présent pour aider les gros constructeurs.

Le Chips Act est très bien dimensionné. Que l'Europe ne produise que 10 % de ses besoins n'est pas supportable dans la durée. Les États-Unis ont pris des dispositions pour rapatrier de la production chez eux à la suite des difficultés avec les producteurs taïwanais. L'objectif européen de multiplier par quatre notre production de puces électroniques n'est pas évident à tenir, mais est absolument indispensable.

M. Daniel Gremillet. - Au Sénat, une grande question a été d'imposer l'objectif de souveraineté sur l'extraction dans la réforme du code minier. Le partagez-vous ? Que préconisez-vous pour l'atteindre ? La réforme du code minier a été présentée comme un outil au service de la relance des mines, mais les ordonnances n'ont toujours pas été prises. Qu'en pensez-vous ? Cette réforme place-t-elle la France en tête de l'activité minière durable ?

Nous sommes en panne de connaissances. Ne pensez-vous pas qu'il faut cartographier les sites miniers, recenser les minerais, donner l'état des approvisionnements ? Comment renforcer les liens entre chercheurs et industriels ?

Quelles sont vos préconisations en matière énergétique, notamment avec la fin de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ?

M. Jean-Claude Tissot. - Merci pour vos propos liminaires clairs et vos premières réponses. Les métaux rares sont indispensables à la transition énergétique et à l'évolution des moyens de transport.

Dans vos conclusions, vous évoquez la création d'un label « mine responsable » à l'échelle européenne. Le Gouvernement pourrait reprendre cette proposition, comme il l'a évoqué dans un communiqué. Qu'entendez-vous par cela ? Quelle en est l'utilité ? Selon quels critères serait-il accordé : la gestion de l'eau, les déchets, les rejets gazeux, la concertation locale... ?

Élu du département de la Loire, je suis particulièrement attaché à l'après-mine. À Saint-Priest-la-Prugne, l'après-mine d'uranium pose problème. Quel est votre point de vue sur l'adéquation entre un code minier obsolète et les enjeux importants d'approvisionnement en matières premières minérales ? Comment intégrer ces préoccupations ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Vous dites que le monde va extraire 100 milliards de tonnes par an d'ici 2030, soit autant que l'humanité depuis ses débuts. De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) ne vont pas manquer de réagir. Le manque d'acceptabilité, notamment au regard de l'empreinte carbone, peut freiner fortement le déploiement d'activités stratégiques en Europe.

Demain, ceux qui disposeront des métaux seront les rois du monde, ou du moins, feront les règles. On a évoqué l'Afrique. Il faut être très rapide, car les Chinois acquièrent massivement des sites stratégiques. Comment -pourrait-on s'appuyer sur les liens historiques de la France avec le continent africain, mais aussi les territoires ultra-marins, et plus largement, sur le globe ? Ces points pourront se révéler, demain, les têtes de pont de l'exploration.

M. Franck Menonville. - Les ambitions européennes sont de quadrupler notre capacité de maîtrise, pour réduire notre dépendance. L'Europe a-t-elle les moyens d'atteindre ces objectifs avec rapidité et agilité, face à la Chine et aux États-Unis ?

Quelle est la place du recyclage dans cette quête d'indépendance ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Et avec quel modèle économique ?

M. Alain Cadec. - Que pensez-vous de l'exploitation des nodules polymétalliques dans les océans ? La France a le deuxième espace maritime mondial.

M. Philippe Varin. - Je préfère la notion d'autonomie stratégique à celle de souveraineté stratégique, car la première est beaucoup plus acceptable.

Il faut bien distinguer les relocalisations liées à l'autonomie, quel que soit le prix, et les nouvelles localisations, qui intègrent des paramètres de compétitivité, entre autres.

La présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) est l'occasion de promouvoir la norme de « mine responsable ». On doit faire la course en tête, sinon, l'opinion publique ne l'acceptera pas. Il faut que les industriels et les pouvoirs publics défendent proactivement ce concept.

Les moyens du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sont insuffisants jusqu'à présent pour opérer un recensement cartographique. Surtout, dès lors que ses travaux ont été financés par les crédits de la Banque mondiale, le BRGM a dû partager ses informations avec la Terre entière. Ce n'est pas possible de servir ainsi nos concurrents chinois et américains ! L'État a accepté le principe de création d'un observatoire des métaux critiques. Il faudra y associer des moyens.

Nous disposons d'une bonne recherche, de niveau mondial, sur la chaîne de valeur batterie, pour ce qui est des niveaux de TRL (« technology readiness level ») de 1 à 4. En revanche, nous péchons sur le plan de l'industrialisation, car nous n'avons pas investi dans des gigafactories, contrairement aux Chinois. Heureusement, ACC dispose des compétences de Saft, mais il en faut plus. Outre le développement des gigafactories, un groupe de pilotage serait mis en place comprenant le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le CNRS et les trois gigafactories, pour définir une feuille de route technologique Il pourrait y avoir des appels à projets en fonction de ces axes.

Nous serons rapidement obligés de mettre en place un outil de formation dans les Hauts-de-France pour 10 000 opérateurs minimum sur les métiers de la batterie, qui sont très sophistiqués. Nous n'avons pas le choix. Il y a deux axes académiques à traiter : déployer des diplômes sur les batteries et renforcer les compétences dans les mines. Une coordination européenne se met en place sur ce sujet avec la European Battery Alliance.

Le label « mine responsable » part du principe qu'il faut des mines performantes en émissions de CO2, en maîtrise de l'eau, en respect de la biodiversité. Ce n'est pas la même chose d'envoyer des eaux d'hydrométallurgie à la rivière, comme certains de nos concurrents, et de disposer d'un bassin de rétention ! Il faut aussi intégrer l'après-mine. Il n'existe pas encore de référentiel pour le label « mine responsable ». À titre de comparaison, les constructeurs automobiles disposent du référentiel Irma, Initiative for Responsible Mining Assurance. C'est une certification, mais il y a encore du travail à faire.

M. Jean-Claude Tissot. - Ce sera opposable ?

M. Philippe Varin. - Une tierce partie examinera le respect du référentiel avant d'accorder la certification.

Il faut penser dès maintenant au recyclage des batteries lithium-ion en fin de vie, même si l'impact se verra seulement sept ou huit ans plus tard, voire davantage si elles connaissent une deuxième vie. Par ailleurs, les gigafactories ne seront pas à 100 % d'efficacité. Il y aura des déchets de production de l'ordre de 5 ou 10 % qu'il faudra recycler, dès leur démarrage.

Les constructeurs joueront un rôle sur la collecte, dans les casses, et sur le démantèlement des batteries, y compris au titre de la réglementation européenne. Ensuite, il y aura de la pyrométallurgie et de l'hydrométallurgie pour récupérer les métaux, avant de les recycler dans le circuit primaire. D'où l'intérêt d'un hub, si possible à Dunkerque.

L'impact du recyclage sur les besoins reste faible à horizon 2030. Ensuite, il sera vital pour faire face à la croissance de la demande.

Nous n'avons pas étudié dans le détail la question des ressources marines. L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) dispose de permis dans le Pacifique, mais n'est qu'en phase d'évaluation et non d'opération. La France n'est pas prête à se lancer dans l'immédiat.

La Nouvelle-Calédonie a deux mines importantes, SLN Eramet, pour la métallurgie, et Trafigura Prony, qui produit du nickel pour les batteries et servira probablement à l'approvisionnement de notre pays.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il me semble qu'elle a un contrat d'exclusivité avec Tesla.

M. Philippe Varin. - Je pense qu'il y a de la marge.

Mme Martine Berthet. - Ma première question porte sur le recyclage. Dès la fin de l'année, Ugitech pourra récupérer, à partir du recyclage de piles, puis plus tard de batteries, les minéraux dont il a besoin pour produire ses aciers inoxydables. Existe-t-il une étude sur la proportion de récupération lors du recyclage ?

Vous n'avez pas parlé du silicium, dont on a besoin pour le photovoltaïque et le médical. Ferropem, dont la fermeture est engagée, en produit. Quelles sont vos recommandations pour sécuriser nos productions minérales déjà existantes ? Si ce n'est plus la France qui produit, ce sera la Chine !

M. Pierre Cuypers. - J'avais aussi une question sur le recyclage.

L'État encourage les constructeurs automobiles à aller vers le tout électrique, mais n'est-ce pas très dangereux, compte tenu de la rareté des matériaux ? Quel est l'avenir du moteur thermique ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'ai bien compris qu'il n'y avait pas encore d'évaluation sérieuse sur les fonds marins. Les autres pays du monde adoptent-ils la même stratégie sur ces ressources ?

Le passage de Technip sous pavillon américain ne constitue-t-il pas une fragilité au regard de ses compétences en extraction, notamment maritime ?

Les États-Unis ont rassemblé autour d'une table les ministères de la justice, de l'énergie et du commerce. La France ne devrait-elle pas mettre en place une task force permanente de cette nature ? En Afrique, on ne peut pas se contenter de diplomatie. Il faut un travail intelligent avec les industriels. Nous pouvons faire mieux pour nous protéger.

Mme Valérie Létard. - Merci au président Varin, qui aborde enfin un sujet dont on a beaucoup entendu parler pendant la pandémie de Covid-19. Votre travail précieux donne déjà des résultats concrets, notamment dans la région des Hauts-de-France avec le développement d'une grande plateforme industrielle à Dunkerque. Une troisième gigafactory vient aussi d'être annoncée.

Dès à présent, dans les objets usuels tels que les téléphones, il y a matière à récupération et à recyclage des métaux rares. Dans le milliard d'euros d'aides aux projets industriels que vous avez évoqué, y a-t-il des projets de recyclage, et si oui, dans quelles proportions ?

Comment relancer notre industrie quand l'on sait que l'enveloppe France Relance pour 2022 est déjà consommée ? Comment voyez-vous notre stratégie d'accompagnement de notre industrie, dans la transition écologique ? France 2030 est-il suffisant ? Ne faut-il pas aller vers un grand plan stratégique d'investissement ?

M. Philippe Varin. - Si l'on recyclait tous les aimants existants à 100 %, on couvrirait 20 % des besoins européens en approvisionnement. Actuellement, le taux de recyclage effectif est probablement de moins de 1 %. Il faut déjà réaliser notre potentiel.

En plus de France Relance, il y a France 2030. Sur les aimants, trois projets sont déjà soutenus. L'un d'eux, à Lacq, a pour but de dégager des oxydes de terres rares, tandis qu'un autre vise à broyer des aimants pour fabriquer des plasto-aimants, moins puissants que les aimants des moteurs, mais qui peuvent servir à autre chose. Le programme d'investissements d'avenir (PIA) finance déjà une part substantielle des projets.

Sur le recyclage des batteries lithium-ion, il y a actuellement quatre projets en France. Veolia s'est allié à Solvay, Eramet à Suez, Orano au CEA, et SNAM se lance aussi.

Reste la question plus générale des déchets électriques et électroniques. Un iPhone 6 de 130 grammes nécessite 70 kilogrammes de matières. Or, il est recyclé à 2 %, pas davantage.

Il faut absolument faire progresser le recyclage des batteries, mais cela ne réglera pas tout le problème de l'approvisionnement.

Je n'ai pas parlé du silicium, car il a peu d'impact sur les batteries.

Monsieur Cuypers, la question, pour le moteur thermique, est simplement : jusqu'à quand ? Les investisseurs sont partis vers l'électrique et ne reviendront pas.

M. Pierre Cuypers. - Si cela ne va pas, il faut revenir !

M. Philippe Varin. - Rouler à l'électrique issu du charbon est complètement aberrant. Avec « Fit for 55 », il existe tout de même un cadre européen qui s'impose à tous. Lorsque les défis sont bien identifiés et que la collectivité s'y attelle, elle les relève. Le vaccin contre la Covid-19 a été trouvé en un an. Commençons déjà par installer les 100 000 bornes de recharge nécessaires !

Madame Lienemann, des pays tels que le Japon et le Canada sont plus agressifs que nous sur les fonds marins. La France n'a pas d'acteur crédible. Technip, qui détient des compétences indiscutables, n'est pas impliqué sur ce sujet. Louis Dreyfus, très présent dans les fonds marins, aura les compétences le moment venu. Mais pour l'instant, nous n'avons pas d'entreprise active.

Sur la stratégie interministérielle, je constate que nous avons fait travailler ensemble le Trésor, la direction générale des entreprises, la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature et le Quai d'Orsay. La nomination d'un délégué interministériel est aussi une bonne nouvelle. Je ne m'inquiète pas du maintien du lien avec les industriels, grâce à France Industrie.

Le volume d'investissements à venir est hors de mon champ de compétences. Avec France 2030, pour une fois, on traite des grands sujets futurs, de façon pertinente. Mais la grande question, c'est celle de la capacité de la France à financer son développement. Cela dépend des choix de dépenses publiques.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Les grandes filières de formation à l'exploration et à l'extraction se réduisent au fil des ans. Comment enrayer la baisse régulière du nombre d'enseignants-chercheurs et de chercheurs ? Comment renouveler la communauté d'experts en France, et former à ces métiers en intégrant de nouvelles thématiques ?

Mme Marie-Christine Chauvin. - Un grand merci pour vos explications.

Si 99,9 % des composants d'une batterie ont été évoqués, on n'a pas parlé du plastique. Le site de Solvay dans le Jura va investir 300 millions d'euros dans la fabrication de PVDF (polyfluorure de vilylidène), qu'il produit actuellement en Chine. Cette excellente nouvelle à l'échelle locale est-elle perçue ainsi à l'échelle nationale ? Ou la lutte contre le plastique fera-t-elle disparaître ce matériau des batteries ?

M. Fabien Gay. - Votre mission est extrêmement importante, à la croisée de l'environnement, de la réindustrialisation et du social. La question est celle du coût et du prix des produits.

On a une contradiction : si l'on veut réussir la transition écologique, on doit laisser 80 % des énergies fossiles et des minerais dans le sol, or on en a besoin pour réussir cette transition.

Depuis le 1er janvier, 2,5 millions de smartphones contenant des métaux rares ont été vendus. Le recyclage est primordial. Ne doit-on pas investir massivement dedans ?

La distinction entre souveraineté et autonomie n'est pas uniquement sémantique. La souveraineté, cela signifie que nous possédons ces métaux rares. L'autonomie, cela signifie que nous démarchons pour les obtenir. Dans la grande compétition internationale, la France et l'Union européenne sont naines.

Avec la raréfaction des minerais, l'Union européenne et la France n'ont-elles pas intérêt à défendre un autre point de vue que la concurrence ? Pourquoi ne pas construire un projet de développement et de coopération internationale ? Pour moi, la compétition n'est pas un bon système.

M. Alain Chatillon. - En 1986, je faisais partie de la petite équipe chargée d'accompagner Alain Peyrefitte en Chine. Pendant ce voyage de trois semaines, nous avons visité des usines pour étudier les productions et les modes de travail. Les Chinois avaient cinquante ans, voire un siècle de retard sur nous.

Or, trente ans après, la Chine dépasse les pays d'Europe et même les États-Unis dans presque tous les domaines. Depuis trois ou quatre ans, elle va chercher les métaux rares en Afrique sans que nous bougions, alors que nous avons longtemps appuyé ce continent. Est-ce le fait d'un manque d'anticipation ou d'une incompétence des structures, en particulier françaises ?

Nous avons réellement besoin d'une unité européenne. Ce n'est pas le tout de former des personnes : il faut les pousser à réfléchir par anticipation. Notre pays est fort de son intelligence ; mais, quel que soit le domaine, nous sommes en retard. Nous avons de hauts fonctionnaires et des industriels qui sont, en général, de qualité. Qu'attendons-nous pour trouver des solutions ?

M. Serge Mérillou. - La technologie des batteries met en lumière notre dépendance aux métaux rares, qui, pour l'essentiel, se trouvent dans des pays peu stables politiquement. À ce titre, la situation n'est pas sans rappeler notre dépendance au pétrole, laquelle ne fait que s'aggraver depuis cinquante ans. Peut-on concevoir des technologies plus économes en métaux rares, à horizon de dix ou de vingt ans ? Mène-t-on des recherches en ce sens ? Les constructeurs automobiles ont déjà évoqué cet enjeu.

En parallèle, le développement des filières de recyclage aurait au moins une valeur d'exemplarité. Il faut s'efforcer de recycler les métaux rares des smartphones et des voitures.

Enfin, l'hydrogène à base d'électricité d'origine nucléaire ou d'énergies renouvelables ne serait-il pas une voie plus pertinente que le recours aux batteries ?

M. Philippe Varin. - Madame Estrosi Sassone, la question des compétences minières doit avant tout être clairement identifiée - la France a d'ailleurs plusieurs mines à exploiter. Nos dispositifs académiques existent et ne demandent qu'à être régénérés. Mais il faut faire des efforts de communication - c'est peut-être, notamment, le rôle de France Industrie - pour convaincre les jeunes qu'il s'agit d'une filière d'avenir. On ne peut pas se contenter de l'évoquer pour dénoncer tel ou tel problème.

Cela étant, je ne suis pas très inquiet à cet égard : je reçois, aujourd'hui, des étudiants qui s'apprêtent à fonder des start-ups dans le domaine de l'énergie nucléaire. Un discours positif sur le nucléaire aura un impact pour l'ensemble des filières. De plus, nous conservons de belles compétences académiques, notamment grâce au Bureau de recherches géologiques et minières.

Madame Chauvin, au sujet des plastiques, il faut distinguer deux approches majeures. Du côté de la grande consommation, le travail de développement doit se poursuivre et la réglementation doit conduire à l'amélioration du taux de collecte. Du côté de l'industrie, ce n'est pas le sujet : si le plastique est nécessaire, il faut l'utiliser. Sa performance par rapport à d'autres types de matériaux est encore une autre question. Nous travaillons en lien étroit avec les sociétés Solvay et Arkema ; nous faisons en sorte qu'elles soient pleinement associées au nouveau programme de recherche.

Monsieur Gay, la neutralité carbone européenne aura nécessairement un coût, à l'instar des mines responsables. Il faut donc que les autorités européennes prévoient une mise en régime de ces mesures dans le temps, faute de quoi nous n'aurons d'autre choix que d'importer des batteries chinoises ou coréennes. Il nous faut un horizon et des jalons ; ne confondons pas vitesse et précipitation.

De même, nous devons nous protéger, par les bons moyens, de toute concurrence déloyale sur le territoire européen. C'est tout le sens du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

Ne soyons pas naïfs : le rapport de force s'impose à nous et l'Europe doit tenir sa place - ce n'est pas encore pleinement le cas aujourd'hui. Il existe toutefois des domaines de coopération : si la mine responsable fait l'objet d'une norme européenne, pourquoi cette dernière ne serait-elle pas promue par les Japonais ou les Américains ? Ce qui est sûr, c'est que les Chinois auront du mal à adopter une norme imposant une telle traçabilité.

Monsieur Chatillon, vous avez vous-même donné la réponse à votre question : il faut anticiper. Les grands industriels français l'ont fait en allant chercher leur bonheur ailleurs, au motif que la France n'était pas assez compétitive. Nos entreprises sont donc au coeur des grands défis dans le monde entier. Bien sûr, les PME n'ont pu en faire autant.

Il suffit de suivre la campagne présidentielle pour constater que, pour la sphère politique, il s'agit là d'un véritable sujet. Nous pouvons nous donner les moyens de nos ambitions dans le cadre de France 2030. Il faut également réfléchir aux investissements futurs en lien avec le plan.

Monsieur Mérillou, j'aurais dû aborder plus tôt l'enjeu, absolument essentiel, de la substitution. Aujourd'hui, certains équipements permettent déjà de se passer des matériaux critiques, par exemple les batteries fer-phosphate, que les Chinois développent beaucoup. C'est aussi, pour eux, un facteur d'autonomie. En Chine, le taux de pénétration de ces batteries est proche de 20 %. Il pourrait monter à 30 % dans le monde. Toutefois, en termes d'autonomie, les performances ne sont pas celles du lithium-ion ; s'y ajoutent des enjeux de recyclage.

Une start-up située près d'Amiens, Tiamat Energy, produit d'ores et déjà du sodium-ion. À mesure que la pression va monter, les idées vont fleurir. Mais, à horizon de dix ans, les jeux sont déjà faits à plus d'un titre. Les gigafactories sont lancées ; pour certaines technologies, d'autres matériaux peuvent être utilisés dans ce cadre. C'est une réflexion que le groupe de travail dédié aux batteries doit prendre en compte dans le mois qui vient.

Pour ce qui concerne l'hydrogène, la France est dans la course. L'Allemagne se concentre sur deux grandes entreprises ; l'action de notre pays est plus dispersée.

L'hydrogène n'est pas la solution à l'horizon 2030 pour la voiture individuelle. Tout l'enjeu, c'est l'infrastructure de distribution ; mais il y a un véritable potentiel et, entre le nucléaire et l'hydrogène, la France a une carte à jouer. L'équation économique est difficile, il faudra encore beaucoup de travail pour que l'hydrogène soit compétitif, mais il s'agit assurément d'une solution d'avenir.

Enfin, les platinoïdes sont utilisés pour les piles à combustible et pour les pots catalytiques destinés au diesel. Il faut déterminer si l'équilibre entre les besoins et les ressources peut être satisfaisant.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci infiniment de cette audition passionnante, au carrefour de l'économie, de la géostratégie et de la politique internationale. Vous l'avez dit avec raison : notre industrie connaît de grandes mutations mondiales et nous entrons dans une nouvelle ère.

Au Mali, l'intervention du groupe Wagner n'est d'ailleurs sans doute pas sans lien avec l'exploitation des minerais. Nous n'avons pas parlé aujourd'hui de la Russie, mais peut-être aborderons nous ce sujet lors d'une prochaine audition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public (deuxième lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons à présent, en deuxième lecture, la proposition de loi de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Le dispositif envisagé s'apparente à un « Nutriscore » de la cybersécurité, que nous avons appelé « Cyberscore » et qui doit permettre aux consommateurs usagers d'être mieux informés quant à la protection de leurs données en ligne.

Notre quotidien est de plus en plus virtuel. Nous communiquons par l'intermédiaire de messageries instantanées et, depuis le début de la pandémie, nous travaillons de plus en plus à l'aide de logiciels de visioconférence. Nous nous informons en ligne en consultant les résultats des moteurs de recherche. Nous interagissons sur les réseaux sociaux et nous téléchargeons des applications toujours plus nombreuses pour répondre à nos différents besoins et nous divertir. Mais nous n'avons pas toujours une bonne connaissance des risques qu'entraîne cet usage accru du numérique et une bonne maîtrise des pratiques de sécurité, qui doivent pourtant aller de pair.

Les fuites de données, les piratages des comptes, les escroqueries en ligne, les attaques malveillantes et les failles dans la cybersécurité des entreprises, des hôpitaux, des collectivités territoriales et des administrations sont malheureusement de plus en plus fréquents.

Selon les résultats des récents travaux de la délégation aux entreprises du Sénat sur la cybersécurité des entreprises, en 2020, 43 % des petites et moyennes entreprises (PME) françaises ont constaté un incident de cybersécurité ; 16 % des cyberattaques ont menacé la viabilité même d'une entreprise et les attaques au rançongiciel ont été multipliées par quatre entre 2020 et 2021.

Si tous ces incidents et scandales nous sensibilisent toujours davantage aux enjeux liés à la protection de nos données, nos habitudes de consommation et nos pratiques de production n'évoluent pas comme elles le devraient.

Plusieurs législations nationales et européennes concernent la protection des données, mais les textes en vigueur sont finalement peu orientés vers l'information des consommateurs. C'est cette carence que le présent texte entend combler en créant un dispositif simple, lisible et facilement compréhensible informant les consommateurs du niveau de cybersécurité des solutions numériques qu'ils utilisent.

L'article 1er est relatif au dispositif envisagé, à savoir le Cyberscore.

Le premier enjeu concerne le périmètre d'application.

Alors que la rédaction initiale désignait les opérateurs de plateforme en ligne, nous avions adopté, à l'issue de l'examen en première lecture au Sénat, un périmètre plus large applicable aux fournisseurs de services de communication au public en ligne. Nous avions alors retenu comme cible principale les logiciels de visioconférence, au regard de la généralisation de leur utilisation depuis le début de la crise sanitaire.

Après plusieurs modifications et de nombreuses hésitations du Gouvernement, c'est la notion d'opérateurs de plateforme en ligne qu'a finalement retenue l'Assemblée nationale. Le périmètre a été complété afin d'inclure les systèmes de messagerie instantanée et de visioconférence, conformément à notre souhait initial.

Un décret d'application viendra définir les seuils d'activité au-delà desquels ces acteurs seront concernés. J'insiste, notre cible initiale, c'étaient les plateformes et les services de communication les plus utilisés. À cet égard, la rédaction issue de l'Assemblée nationale satisfait nos attentes.

Le deuxième enjeu à l'article 1er concerne la nature et la dénomination du dispositif.

Au Sénat, nous avions souhaité que ce dispositif ne soit pas trop contraignant ou trop coûteux : il ne faudrait pas qu'il pénalise les très petites entreprises (TPE), les PME ou les start-ups innovantes en matière de services en ligne. À l'Assemblée nationale, la commission des affaires économiques avait adopté un dispositif contraignant de certification par l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi). En séance, un équilibre a été trouvé pour que le dispositif de Cyberscore soit, en fait, un « audit de cybersécurité » réalisé par des prestataires agréés de l'Anssi. La notion d'audit se rapproche davantage de ce que nous entendions par diagnostic et permettra des mises à jour régulières. L'équilibre trouvé à l'Assemblée nationale me semble donc également satisfaisant.

Le troisième enjeu à l'article 1er concerne le contenu de cet audit de cybersécurité, qui doit être défini par un arrêté ministériel.

Sous l'impulsion du rapporteur de l'Assemblée nationale et contre l'avis du Gouvernement, nos collègues députés ont adopté un amendement tendant à indiquer que cet audit doit porter sur la sécurisation et la localisation des données. Il s'agit là d'une précision importante, car la localisation permet de déterminer le régime juridique applicable. Une localisation au sein de l'Union européenne est une meilleure garantie de pouvoir bénéficier des protections permises par le droit communautaire et le règlement général sur la protection des données (RGPD). C'est un enjeu, non seulement de sécurité, mais aussi de souveraineté numérique.

Toutefois, la localisation ne peut pas être le seul critère pour apprécier les standards de sécurité de l'hébergement des données. Certaines données sont hébergées de manière sécurisée en dehors de l'Union européenne. À l'inverse, dans certains pays de l'Union, comme l'Irlande, le degré de protection des données est insatisfaisant.

C'est pourquoi il importe que la Commission européenne puisse prendre des décisions d'adéquation ou de standard attestant que le niveau de protection des données dans un pays tiers est au moins équivalent à celui permis, majoritairement, par le droit de l'Union. Une telle décision d'adéquation à l'égard des États-Unis a par exemple été invalidée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'arrêt Privacy Shield de 2020.

On ne saurait l'ignorer : les données peuvent être stockées sur des serveurs et dans des centres de données situés dans l'Union européenne, mais hébergées par des logiciels de cloud américains. On touche là les limites de la stratégie actuelle du Gouvernement et de son label « cloud de confiance », accordé alors que des entreprises utilisent des licences de logiciels américains. Nous devrons donc être vigilants sur ce point et suivre avec attention l'élaboration de l'arrêté ministériel qui définira le contenu du futur audit de cybersécurité.

Malgré ces réserves, le texte voté par l'Assemblée nationale est acceptable.

Le quatrième et dernier enjeu à l'article 1er concerne les modalités d'information aux consommateurs et de présentation du dispositif.

Au Sénat, nous avions opté pour un dispositif lisible, clair et compréhensible, grâce au système coloriel qui s'inspire de la présentation que nous connaissons avec le Nutriscore. Nos collègues députés ont maintenu ces dispositions.

L'article 2 visait à modifier les règles applicables à la commande publique pour prendre en compte des « impératifs de cybersécurité ». En commission, nous avions émis certaines réserves quant à la validité juridique de ces dispositions, qui ont été supprimées en séance. L'Assemblée nationale n'est pas revenue sur ces suppressions, ce qui permet de centrer le texte sur l'information des consommateurs.

Enfin, un troisième article a été ajouté à l'Assemblée nationale afin de prévoir un délai d'entrée en vigueur, fixé au 1er octobre 2023. Cette échéance peut sembler lointaine, mais la réalisation d'un audit de cybersécurité est à la fois inédite et très technique. La définition du périmètre d'application nécessitera donc beaucoup de concertations. De ce fait, l'introduction d'un tel délai me semble justifiée.

Les mesures réglementaires d'application sont nombreuses et le Gouvernement nous a indiqué que des consultations seraient menées pour préparer leur élaboration. Nous le lui rappellerons : il est indispensable que les parlementaires, et plus particulièrement les sénateurs, qui ont pris l'initiative de ce texte, soient associés à ces consultations.

Cette proposition de loi a été notifiée à la Commission européenne à l'issue de son examen en première lecture, conformément aux exigences de la directive européenne de 2015 relative aux services de la société de l'information. Dans l'éventualité où des observations seraient formulées, le Gouvernement devra transmettre ces informations au Parlement. Les consultations liées à l'élaboration des mesures réglementaires d'application permettront de prendre en compte les remarques de la Commission européenne et des autres États membres. Nous y serons attentifs.

Ainsi, au-delà de quelques points d'alerte, les modifications votées par l'Assemblée nationale nous semblent aller dans le bon sens. Je vous propose donc un vote conforme.

M. Jean-Pierre Moga. - Je tiens à féliciter notre rapporteure ; les élus de notre groupe voteront ce texte conforme.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 3

L'article 3 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

La réunion est close à 11 h 50.

Jeudi 17 février 2022

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 11 h 20.

Audition de M. François Jacq, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. François Jacq, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions d'administrateur général du Commissariat général à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette nomination par décret du Président de la République ne peut intervenir qu'après audition par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est ouverte à la presse et au public et retransmise sur le site du Sénat. Elle donnera lieu à un vote à bulletin secret, pour lequel les délégations de vote ne sont pas autorisées. L'Assemblée nationale ayant entendu M. Jacq ce matin, nous dépouillerons les bulletins sitôt la tenue du vote. Il ne pourra être procédé à la nomination si l'addition des votes négatifs dans les deux commissions représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Avant de passer la parole à notre collègue Claude Malhuret, rapporteur sur cette proposition de nomination, puis à notre collègue Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie », je souhaite rappeler le fort attachement de notre commission à la recherche énergétique, et singulièrement nucléaire. Dans la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite « Énergie-Climat », de 2019, notre commission a fixé à l'État la nécessité « d'impulser une politique de recherche et d'innovation » dans ce secteur. Depuis lors, nous vous avons auditionné, en octobre 2019, sur les conséquences de l'arrêt du projet de démonstrateur de réacteur à neutrons rapides (RNR) Astrid, ainsi que M. Bernard Bigot, en octobre dernier, sur les perspectives du projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER).

Ces enjeux sont, pour nous, absolument fondamentaux, car nous sommes convaincus de la centralité de l'énergie nucléaire, pour atteindre la « neutralité carbone » à l'horizon 2050, et de la nécessité de la science et de la raison pour garantir que cette énergie nucléaire soit toujours plus performante, sûre et propre.

À l'heure où l'exécutif entend opérer un complet revirement dans sa politique énergétique, en envisageant pour la première fois une « renaissance » de l'énergie nucléaire, pour laquelle nous avons toujours plaidé ici, puissions-nous enfin être entendus ! Il y va, sur ces enjeux, du devenir de notre souveraineté et de notre transition énergétiques.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Monsieur Jacq, je vous souhaite la bienvenue au Palais du Luxembourg, où vous avez été auditionné au moins à deux reprises par notre commission : en 2018, lors de votre désignation comme administrateur général du CEA ; puis en octobre 2019 dans le cadre de l'abandon du projet Astrid. Il s'agit d'une reconduction dans vos fonctions qui est aujourd'hui proposée par le Président de la République.

Vous avez été directeur au sein du ministère de la recherche - de 1997 à 2000 -, puis de l'industrie - de 2005 à 2007 - ; vous avez également été à la tête de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) - de 2000 à 2005 -, de Météo France - de 2009 à 2013 - et de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) - de 2013 à 2018.

Créé en 1945, suivant la volonté du général de Gaulle, le CEA a contribué à la mise en oeuvre de centrales nucléaires et continue d'être très impliqué en matière de traitement des déchets, de démantèlement des installations et de maintien de la sûreté nucléaires. Il intervient aujourd'hui dans quatre domaines : la défense et la sécurité, les énergies bas-carbone, la recherche technologique pour l'industrie et la recherche fondamentale en sciences de la matière et de la vie. Pour ce faire, il dispose d'un budget de 5 milliards d'euros et de 20 000 salariés.

Nous vous recevons aujourd'hui dans un contexte très particulier - je ne parle pas de l'élection présidentielle -, dont les conséquences pour le CEA ne peuvent qu'être très importantes. Je pense à la réglementation européenne récente sur la taxonomie et aux décisions françaises sur la place du nucléaire dans les énergies renouvelables qui seront prises sans nul doute, quelle que soit l'issue de l'élection nationale. À cet égard, je partage totalement la position de Mme la présidente.

Je souhaiterais vous entendre sur les enjeux suivants :

En premier lieu, dans la mesure où il s'agit d'une reconduction, pouvez-vous nous présenter votre bilan à la tête du CEA ? Je voudrais, tout d'abord, que vous reveniez sur l'arrêt du projet de démonstrateur de réacteur à neutrons rapides Astrid, dont le Sénat, mais aussi le grand public ont beaucoup débattu. Vous avez indiqué devant notre commission, en 2019, que cet arrêt ne portait que sur l'avant-projet de réacteur, que les connaissances accumulées seraient capitalisées et que l'ambition du CEA en matière de « fermeture du cycle », c'est-à-dire en matière de recyclage et de remploi du combustible usé, demeurerait. Pouvez-vous nous rappeler la raison qui a conduit le CEA à ne pas concevoir cet avant-projet de réacteur ? Et comment ont été capitalisées ces connaissances ? Par ailleurs, quid des projets du CEA pour réussir cette « fermeture du cycle » ?

Je voudrais également que vous reveniez sur le projet de réacteur expérimental Jules Horowitz (RJH). Les délais et les coûts de ce projet ont été dépassés. Pourquoi ? Ces difficultés sont-elles derrière vous ?

Un autre enjeu concerne la fusion nucléaire, dans laquelle le CEA est doublement impliqué avec le projet ITER, dans le domaine civil, et le laser Mégajoule, dans le domaine militaire. Où en sont ces projets ? Lors de l'audition par notre commission de M. Bernard Bigot, en octobre dernier, nous avons été impressionnés par les opportunités offertes par la fusion nucléaire. Quel est votre point de vue ? Partagez-vous celui du directeur général d'ITER, qui a indiqué envisager une application industrielle de ce projet dès 2045 ?

Au-delà de l'énergie nucléaire, le CEA est également très investi dans les domaines de l'hydrogène, de l'électromobilité et des biocarburants. Quels sont les projets les plus prometteurs ? Et quel est leur état d'avancement ? Lors de votre audition, en 2019, vous aviez évoqué le développement par le CEA d'électrolyseurs, de batteries ou de dispositifs de captation et de stockage du CO2 : où en êtes-vous ?

En second lieu, pouvez-vous nous présenter vos projets à la tête du CEA ? S'inscriront-ils dans la continuité, ou en rupture, par rapport à ceux qui existent, en fonction notamment de la conjoncture politique ? Les priorités iront-elles à la fission nucléaire, à la fusion nucléaire, aux énergies renouvelables ou au stockage de l'énergie - hydrogène ou batteries ? Surtout, dans le discours qu'il a prononcé la semaine passée à Belfort, le Président de la République a indiqué que le CEA occupera une place de choix dans la « renaissance » de l'énergie nucléaire : selon vous, quelle sera cette place ?

Enfin, dans son acte délégué sur la taxonomie verte, la Commission européenne vient de classer l'énergie nucléaire comme « transitoire » et non « durable », ce qui limite à terme ses possibilités de financement : anticipez-vous un impact sur le financement de la filière nucléaire et, singulièrement, de la recherche et de l'innovation en son sein ?

M. Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie ». - Je remercie notre rapporteur de sa présentation très approfondie ; je ne la compléterai que sur quelques points adjacents.

S'agissant de la « renaissance » de l'énergie nucléaire, quelle appréciation le CEA porte-t-il sur les EPR2 (evolutionary power reactor) et les SMR (small modular reactors) devant être développés par le groupe EDF ? Ces technologies vous paraissent-elles utiles pour produire le nucléaire plus performant, plus propre et plus sûr, comme indiqué par notre présidente ? Entendez-vous les soutenir ?

Concernant les moyens dont dispose le CEA, les jugez-vous suffisants et adaptés ? Dans le cadre de mes travaux budgétaires, j'avais relevé que les crédits alloués aux projets de recherche nucléaires du CEA sont passés de 451 millions d'euros en 2021 à 419 millions d'euros en 2022, soit une baisse de 7 %, du fait d'une compression des crédits de fonctionnement. Pouvez-vous nous confirmer que cette diminution est sans incidence sur les projets de recherche nucléaires en tant que tels ? J'avais aussi relevé le soutien budgétaire important alloué à l'énergie et à l'hydrogène nucléaires par le plan de relance puis le plan d'investissement. Quelle est l'incidence de ces plans sur le CEA ? Et où en est leur mise en oeuvre ?

Pour ce qui est des compétences de la filière du nucléaire, le Président de la République a admis, lors de son discours, la nécessité d'un effort en ce sens. En quoi le CEA y contribue-t-il actuellement ? Et comment peut-il mieux assumer encore cette fonction, dans le cadre de la « renaissance » annoncée de l'énergie nucléaire ?

Un dernier point sur lequel je souhaiterais vous interroger : l'inscription du CEA dans nos territoires et ses liens avec nos entreprises. Pouvez-vous nous indiquer l'état d'avancement des plateformes régionales de transfert technologique (PRTT), par lequel le CEA soutient localement les industriels ? Vous nous aviez précisé, lors de votre audition en 2019, que les liens étaient plus difficiles à nouer avec les PME que les grandes entreprises ; avez-vous depuis lors surmonté ces difficultés ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Les premières questions étant importantes et nombreuses, je vous suggère, monsieur Jacq, d'y répondre lors de votre propos liminaire.

M. François Jacq, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. - Puisque vous m'y invitez, je répondrai à M. le rapporteur et à M. Gremillet lors de mon exposé liminaire. Je vous remercie de m'inviter de nouveau devant votre commission, quatre ans après mon audition précédente. Je l'avais dit en 2018, c'est pour moi un grand honneur de diriger cet organisme, qui porte haut les couleurs françaises. Ce sentiment de responsabilité n'a pas diminué depuis ; il a même augmenté, car je mesure en toute humilité l'ampleur de la tâche.

Je commencerai par le bilan, sous trois angles qui recoupent les questions de M. le rapporteur. Premièrement, nous devions orienter et prioriser les travaux du CEA pour répondre aux enjeux du monde contemporain, notamment à la transition énergétique, climatique et numérique. Deuxièmement, il nous fallait traiter un certain nombre de sujets délicats, tels que les financements, le projet RJH ou l'assainissement-démantèlement. Troisièmement, enfin, il était important de promouvoir une ouverture, tant externe qu'interne, de l'organisme, et ce pour assurer un meilleur dialogue.

En développant ces trois éléments, j'évoquerai également un certain nombre de points qui ont été déjà été soulevés.

Sur le cadre stratégique du CEA, nous avons procédé en 2018 et en 2019 à un réexamen complet des programmes, qui nous a incités à définir la colonne vertébrale des travaux de l'organisme. Ceux-ci reposent sur trois piliers : l'énergétique, le numérique et la santé, avec une recherche en amont très forte, dont le télescope spatial James-Webb est l'illustration - je tiens à rendre hommage à ses créateurs.

Nous sommes allés encore plus loin en essayant de développer une vision intégrée de l'énergie. Pour quelle raison ? Parce que le CEA s'occupe du nucléaire, mais aussi d'autres formes d'énergies. Le rapport de Réseau de transport d'électricité (RTE) préconisait d'ailleurs de rapprocher les différentes formes d'énergie pour éviter toute opposition entre elles et favoriser leur coopération. Par exemple, l'hydrogène a un rapport avec le nucléaire, la chimie nucléaire peut être utilisée pour le recyclage d'autres matériaux, et la modélisation peut s'appliquer sur les piles à combustible. Nous avons réalisé tout cela par une concertation interne et la création d'une direction dite « des énergies ».

Nous avons effectué un travail similaire sur le numérique, qui pourrait apparaître mineur de prime abord. Le CEA est un organisme régalien au service de la Nation. Il repose sur l'excellence de la dissuasion, dont la compétence revient à la direction des applications militaires (DAM). On s'est aperçu, à la faveur de la crise actuelle, que le manque de composants industriels avait aussi une portée stratégique. Il y va du développement de la micro-électronique française et européenne et de la pérennité de ses fers de lance, comme le CEA.

Cette mise en ordre stratégique a porté ses fruits, notamment pour la production d'hydrogène par électrolyseurs. Nous avons créé une co-entreprise avec Schlumberger, Vinci, Vicat et la région Occitanie, qui est chargée d'industrialiser la technologie Genvia d'électrolyseur développée par le CEA. Nous pourrons ainsi, je l'espère, joindre la politique énergétique et la politique industrielle, en décarbonant avec des électrolyseurs fabriqués en France. Je citerai également l'entreprise Soitec, qui joue un rôle clé pour la micro-électronique et vaut plusieurs milliards d'euros en bourse, ou encore l'importance de l'European Chips Act.

Sur les chantiers à traiter, l'impasse financière de 2 milliards d'euros a disparu. Elle comprenait une dette de 800 millions d'euros, datant, de quinze ans vis-à-vis de l'entreprise Orano, que nous avons apurée grâce à l'aide de l'État. Aujourd'hui, notre situation budgétaire est saine, sous réserve de la complexité des lignes budgétaires.

Vous avez relevé à juste titre le projet de réacteur Jules Horowitz. Conçu à la fin des années 1990, décidé en 2005, il n'est pas encore terminé. Pour quelles raisons ? D'abord en raison d'une conception extrêmement ambitieuse, qui se révèle très compliquée à construire ; ensuite, les montages industriels mis en place pour la construction prévue ont eu du mal à fonctionner. À mon arrivée en 2018, j'ai réclamé une mission d'expertise extérieure, qui a été menée par l'un de mes prédécesseurs, Yannick D'Escatha - sa compétence est reconnue. Ce dernier a formulé des recommandations pour restructurer le projet, en prévoyant un pilotage unique de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'oeuvre par le CEA, en rattachant le projet à la direction générale, et en mettant en place des méthodes de gestion de projet avec les industriels. Les difficultés ne sont pas derrière nous, mais la piscine du réacteur est disponible. L'audit réalisé a posteriori salue des progrès sensibles, et ce projet a redonné l'espoir en reprenant une direction vertueuse ; cela est d'autant plus important qu'il s'agit d'un projet filière. Or la filière nucléaire ne pourrait pas se développer sans ce moyen scientifique et technique de base.

Les chantiers présentaient deux autres enjeux.

L'assainissement-démantèlement vise à traiter la radioactivité mobilisée lors des recherches du CEA depuis 1945. Mon prédécesseur, Daniel Verwaerde, y a mis une énergie considérable, qui se concrétise. Les autorités de sûreté, pour les installations civiles et celles qui intéressent la défense, sont satisfaites de l'avancement de la feuille de route partagée.

Dernier sujet clé : la sûreté, condition préalable aux activités. Avec Laurence Piketty, nous avons lancé une action de remobilisation en faveur de la culture de sûreté, qui requiert des efforts permanents, que louent les autorités de sûreté.

J'évoquerai à présent à la fermeture du site Astrid.

Le projet visait à parvenir à un design pour la construction d'un éventuel réacteur. Il est arrivé à son terme, car l'étude a été menée et capitalisée. Les dispositifs nous ont d'ailleurs valu un prix de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN). Pourquoi n'a-t-on pas réalisé le réacteur ? Les industriels de la filière, EDF et Orano, le CEA et l'État ont estimé que les réacteurs de quatrième génération étaient pertinents, mais que, compte tenu de la situation actuelle des marchés de l'énergie et des réacteurs, l'horizon des réacteurs à neutrons rapides (RNR) était plutôt renvoyé à la fin de ce siècle. En outre, au-delà du seul réacteur, il faut prendre en compte le cycle. Quand, dans le système de retraitement actuel, on manipule une tonne de plutonium, avec des RNR, on en manipulerait 10 tonnes. Eu égard à cette énorme complexité, nous avons proposé une stratégie intermédiaire de pas à pas : elle n'est pas idéale, mais elle présente l'avantage d'avancer vers le multirecyclage dans les réacteurs actuels, de multiplier par trois la quantité de plutonium manipulé et de préparer les installations du site correspondant. Ce projet du plan de relance a été réalisé en partenariat étroit entre EDF et le CEA. D'autres coopérations ont été annoncées lors du World Nuclear Exhibition (WNE).

J'en viens à l'ouverture de l'organisme.

À l'international, nous avons beaucoup oeuvré pour renforcer nos coopérations. Par exemple, la Commission européenne a annoncé un Chips Act en vue d'un réseau des grands acteurs de la recherche en électronique en Europe, dont l'Institut Fraunhofer en Allemagne, l'Institut de micro-électronique et composants (IMEC) en Belgique et le CEA.

Il en va de même, au niveau national et en interne, du partenariat avec les universités de Saclay et de Grenoble, ainsi que du travail étroit avec les organismes de recherche. Le premier programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) sur l'hydrogène est porté conjointement par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le CEA. Nous avons aussi essayé d'ouvrir le dialogue par des séminaires et concertations au sein d'ateliers divers. Enfin, nous avons voulu être à l'écoute du personnel au travers d'enquêtes régulières. Sur les 8 000 personnes consultées, 80 % recommandent le CEA comme futur employeur ; de plus, 90 % estiment que notre gestion de la crise covid a été socialement responsable.

Toutefois, le personnel dénonce de sérieuses épines dans le fonctionnement du CEA, trop complexe et trop bureaucratique selon eux. Il nous revient de mener ces chantiers ; une réflexion sur la charge de travail devra également être menée.

Enfin, nous avons un problème d'ordre salarial : compte tenu de la progression de l'inflation, des moyens supplémentaires doivent être débloqués pour renforcer l'attractivité des salaires.

J'en viens aux perspectives. Le CEA est une institution très singulière en France. Je conçois notre établissement comme un organisme de recherche technologique, c'est-à-dire un lieu où s'opère la rencontre entre une recherche d'excellence et les besoins industriels et économiques, en appui aux défis auxquels notre pays doit faire face et dans la continuité du projet stratégique déposé en 2018. La crise sanitaire a montré l'efficacité de ce modèle, autrefois décrié. L'indépendance, la souveraineté et l'autonomie sont les valeurs défendues par l'organisme : nous nous situons bien dans la modernité.

Je distingue trois pistes de travail dans le domaine nucléaire dans le cadre du plan de relance.

Premièrement, je rappelle que la conception et le déploiement de l'EPR sont du ressort d'EDF. Toutefois, le CEA est la source primaire d'expertise sur ces sujets, notamment lorsque surgissent les difficultés. Nous devons entretenir cette expertise, en soutien à la filière.

Deuxièmement, nous devons élargir la gamme des produits nucléaires. Le projet Nuward, auquel participent EDF, le CEA, TechnicAtome et Naval Group, consiste en l'élaboration de petits réacteurs classiques. Outre la production d'électricité, nous prenons part également aux autres débouchés de ce programme, notamment la production d'hydrogène.

Troisièmement, les réacteurs produisent également de la chaleur, qui représente elle aussi une source potentielle d'énergie décarbonée.

Ainsi, nous entendons non seulement promouvoir nos projets, mais aussi, à la demande du Gouvernement, soutenir les entreprises en leur mettant à disposition nos plateformes technologiques. Nous travaillons également au maintien des réacteurs de quatrième génération et au développement de projets innovants, tels que les réacteurs à sels fondus, ne nécessitant plus de combustible solide et offrant une capacité de retraitement en ligne.

La fusion nucléaire peut s'opérer soit par confinement magnétique, comme pour le projet ITER, soit par confinement inertiel, comme le pratique la direction des applications militaires avec l'exploitation du laser mégajoule. Chacun s'accorde à reconnaître que le confinement magnétique concentrera l'essentiel du débouché industriel. Des progrès importants ont toutefois été accomplis aux États-Unis dans le domaine inertiel.

ITER devait produire son premier plasma en 2025, mais la date devrait être repoussée à l'année 2027 en raison de la crise sanitaire. Je rends hommage au travail extraordinaire mené par Bernard Bigot, directeur général d'ITER. Considérer que le déploiement industriel puisse intervenir en 2045 est optimiste ; nous devons plutôt miser sur la seconde moitié de ce siècle. Les ruptures technologiques constatées aux États-Unis accéléreront peut-être le cours des choses.

Le CEA a pris en charge le socle de recherche du projet européen sur les futures batteries solides ion, ainsi que sur le recyclage des batteries existantes : dans ce domaine, le défi consiste à éliminer les métaux rares et précieux que celles-ci contiennent.

Je me réjouis que l'énergie nucléaire ait pu être intégrée à la taxonomie définie par la Commission européenne. Rien n'empêche désormais de développer la filière à l'horizon 2045. Nous devrons poursuivre le combat pour promouvoir la filière nucléaire ; nous disposerons d'arguments supplémentaires lorsque nous serons en mesure de présenter les nouvelles réalisations de nos projets.

Monsieur Gremillet, les SMR, les petits réacteurs nucléaires pourront trouver leur place non seulement en France, mais aussi à l'étranger : le réacteur Nuward, d'une puissance unitaire de 170 mégawatts - ou de 340 mégawatts lorsque deux éléments sont couplés -, représente le produit idéal pour remplacer une centrale à charbon, sans que l'opération soit trop complexe. Nos partenaires d'Europe de l'Est ont montré leur grand intérêt pour un réacteur de ce type. Nous essaierons de sensibiliser la Commission européenne à ce sujet.

La filière nucléaire doit disposer de compétences pour assurer son développement : je pense non seulement aux métiers indispensables, tels que les opérateurs et les soudeurs - pour lesquels le rôle du CEA est mineur -, mais aussi à la maîtrise des disciplines de base, comme la physique, la chimie et la neutronique : dans ce domaine, le CEA joue un rôle essentiel. Notre établissement doit être soutenu afin que ce socle puisse être maintenu.

Hormis les centres militaires, le CEA dispose de quatre sites en France, à Saclay, Grenoble, Marcoule et Cadarache. Cet ancrage territorial suscite l'intérêt des PME, qui ne sont pas toutes à la pointe de la recherche : je considère que nous assumons ainsi une mission de service public, nous permettant de nouer des contacts avec 150 entreprises chaque année pour les aider à optimiser leur processus de production. J'estime que tous les acteurs devraient fédérer leurs forces pour étoffer le tissu industriel.

M. Jean-Claude Tissot. - Vous vous présentez devant nous pour solliciter votre reconduction à ce poste ; vous êtes en quelque sorte comptable du bilan récent du CEA.

Votre établissement se situe au coeur de la redynamisation de la politique nucléaire récemment engagée par le Gouvernement.

Plusieurs organisations syndicales ont attiré notre attention sur la situation sociale particulièrement préoccupante au CEA. Les rémunérations et le point d'indice font l'objet d'un gel depuis plus de dix ans. Or les attentes à l'égard du travail des chercheurs sont de plus en plus importantes. Le recours à la sous-traitance se multiplie, notamment pour les chantiers de démantèlement, ce qui entraîne une perte de savoir-faire pour le personnel.

Le dialogue social ne semble pas être votre priorité. Si vous être reconduit, que comptez-vous décider pour répondre à ces dysfonctionnements ? Vous pourriez utilement profiter de la récente dynamique accordée à l'énergie nucléaire pour mener une concertation avec le personnel sur le fonctionnement du CEA.

Depuis 2010, la recherche dans le domaine des énergies renouvelables figure parmi les missions du CEA. Pouvez-vous nous préciser le rôle de votre établissement et de la recherche publique ?

M. Bernard Buis. - La sûreté constitue un élément clé de l'énergie nucléaire. Comment comptez-vous améliorer cet aspect ? La réactivité et la transparence ne sont pas toujours de mise : parfois, les incidents sont annoncés tardivement.

Par ailleurs, en tant que sénateur de la Drôme, je souligne que le territoire du Tricastin, qui dispose d'une longue acceptation de l'énergie nucléaire, attend sereinement les décisions futures relatives à l'implantation d'un EPR.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Dans mon département, la Côte-d'Or, le site de Valduc a établi un partenariat étroit et bien vécu avec les entreprises locales.

Ma première question porte sur l'information et la protection des populations riveraines des sites nucléaires. Les travaux de la délégation aux collectivités territoriales ont montré que l'utilisation des technologies numériques était utile dans ce domaine. Or celles-ci semblent peu utilisées, notamment à Valduc.

Par ailleurs, le Brexit a-t-il eu des conséquences sur le programme Epure, un partenariat franco-britannique visant à renforcer la sûreté des armes nucléaires ?

M. Serge Mérillou. - La France souhaite renforcer sa filière hydrogène via un grand plan national. Le CEA et le CNRS ont été mandatés pour assurer la conduite du Programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) dédié à l'hydrogène décarboné. Quels sont les grands axes de ce plan ?

L'hydrogène décarboné produit par électrolyse ou photocatalyse est-il l'avenir de l'industrie décarbonée et des mobilités lourdes - je n'évoque pas ici les véhicules légers ? Si votre réponse est positive, à quelle échéance peut-on espérer des progrès dans ce domaine ? Quel rôle peut jouer la filière française face à une concurrence mondiale importante ?

Dans un entretien que vous avez accordé au journal Les Échos le 21 juillet dernier, vous évoquiez le « nécessaire décloisonnement de la recherche ». Pouvez-vous nous en dire davantage ?

M. Jean-Pierre Moga. - Je suis rapporteur de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Sans minimiser les difficultés budgétaires du CEA, comment comptez-vous aborder le problème des salaires, qui sont gelés depuis onze ans ?

Comment percevez-vous la place de la France dans le domaine nucléaire par rapport à nos concurrents russe et chinois ?

L'article 35 de la loi de finances pour 2021 supprime le mécanisme du doublement d'assiette du crédit d'impôt recherche (CIR). Prévoyez-vous des pertes de recettes pour le CEA ?

M. Franck Montaugé. - Le CEA travaille-t-il sur le sujet de la transmutation nucléaire, un moyen de réduire la durée de vie - donc la durée de stockage - des déchets nucléaires ? L'abandon du programme Astrid signe-t-il la fin de cet axe de recherche ?

Le pilotage du PEPR consacré à la cybersécurité a été confié au CNRS, au CEA et à l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). Quel est votre point de vue sur ce sujet ? Les opérateurs nouent des partenariats avec les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) au plan national et européen, ce qui suscite quelques inquiétudes.

M. Fabien Gay. - Notre savoir-faire dans le domaine du nucléaire est reconnu dans le monde entier. Certes, nous sommes toujours à l'avant-garde, mais nous perdons des compétences depuis quelques années. Pourtant, les enjeux d'avenir, tels que le démantèlement des anciennes centrales, la construction des EPR et d'ITER, ne manquent pas.

Le développement de ces technologies suppose des investissements publics et privés très importants. Toutefois, nous manquons cruellement de savoir-faire et de compétences, comme pour le métier de soudeur, par exemple. Nous sommes responsables du démantèlement de cette filière, que nous devons aujourd'hui reconstruire.

Comment assurer son développement sur le long terme ? Quelles formations doivent être créées afin d'assurer la stabilité des emplois ? Le recours à la sous-traitance nous a placés dans une situation de grande difficulté.

Enfin, il me semble que la part de financement public consacré à la recherche doit être augmentée. Qu'en pensez-vous ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Lorsque nous l'avons auditionné hier, M. Philippe Varin, ancien président du conseil d'administration de Suez, chargé d'une mission sur la sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie en matières premières minérales, nous a rappelé notre dépendance aux métaux, aux aimants, aux piles, à l'uranium.

Comment intégrez-vous cette dimension stratégique, nécessaire pour garantir l'indépendance de la France et du continent européen ?

M. François Jacq. - Monsieur Tissot, le CEA est un établissement public industriel et commercial (EPIC), dont les mécanismes sont régis par le code du travail.

Les salaires des employés du CEA sont exprimés en points. Deux méthodes sont possibles pour accroître les salaires : augmenter la valeur du point ou distribuer des points. Je tiens à souligner que les salaires ne sont pas gelés au CEA depuis treize ans : en moyenne, ceux-ci ont progressé, chaque année, entre 2 % et 2,5 %.

Le CEA ne dispose pas d'une liberté complète de manoeuvre en la matière : comme tous les établissements publics, notre organisme est soumis par l'État à un cadrage fixant la marge de progression annuelle autorisée. Bien sûr, nous nous battons pour obtenir la progression la plus élevée possible, mais c'est l'État qui décide de l'harmonisation en dernier ressort. En 2021, notre progression s'est élevée à 2 %, contre 1,2 % environ pour les autres établissements.

Initialement, il n'y avait pas de mesure salariale concernant les EPIC dans la loi de programmation de la recherche. J'ai défendu le contraire. Je remercie le ministère de la recherche d'avoir accepté d'aller dans ce sens.

Nous avons revalorisé les jeunes et les bas salaires, c'est-à-dire nos doctorants et un millier d'embauchés récents. Nous avons aussi revu la grille d'embauche à la hausse. Nous nous sommes battus pour obtenir des moyens auprès de l'État, dans l'intérêt des salariés.

En raison de l'inflation actuelle, ce que les cadrages précédents autorisaient n'est plus possible. Je plaide auprès de l'État pour un geste significatif en 2022 à destination de tout le personnel, afin de reconnaître sa compétence et son investissement. Ces pourparlers sont en cours.

Nous passons un temps considérable en dialogue social et en information du personnel. La transparence de notre communication sur la situation financière est en progrès sensible.

Nous sommes présents sur l'hydrogène - j'y reviendrai. Sur le photovoltaïque, nous battons des records mondiaux de rendement des cellules à hétérojonction. Nous avons noué un partenariat avec l'Italien Enel pour l'industrialiser ; nous aimerions aussi développer des partenariats en France. Nous travaillons aussi sur les batteries et sur les réseaux intelligents, les smart grids, c'est-à-dire la gestion des consommations des uns et des autres pour parvenir à l'équilibre du réseau électrique.

La sûreté est un sujet compliqué, difficile et crucial, par lequel nous commençons toutes nos réunions de direction. Un univers de confiance est à bâtir, dans lequel les gens n'ont pas peur de dire ce qui s'est passé. On a connu des loupés récents : l'objectif n'est pas la sanction, car nous sommes collectivement responsables. On doit avoir une culture, non des livres, mais du concret, de la pratique. Nous avons travaillé sur les parcours de carrière des professionnels de la sûreté, parfois perçus comme des empêcheurs de faire, alors qu'ils sont des protecteurs, ainsi que sur le partage des bonnes pratiques. On a progressé sur la gestion de crise et la déclaration des incidents.

Epure, à Valduc, est un outil de radiographie d'opérations que je ne commenterai pas ici. Deux axes sont construits par la France ; le troisième, par le Royaume-Uni. Epure est régi par traité et la collaboration franco-britannique demeure, dans le but de partager les trois axes.

Je ne connais pas le détail de l'information et de la protection des populations. Une difficulté est peut-être liée à la manière dont la sécurité est assurée sur les centres de la direction des applications militaires, où vous êtes délesté de votre portable quand vous entrez. Je verrai avec le directeur des applications militaires comment améliorer l'information des populations.

Le centre de Valduc est un bijou.

Le PEPR hydrogène a plusieurs éléments : certains sont à vocation industrielle rapide, par exemple les cellules de céramique ; d'autres sont d'un degré d'avancement moindre, et ont pour but d'explorer des technologies alternatives ; il y a aussi toute une série d'opérations sur les matériaux et la modélisation. Je ne pense pas que l'on ait perdu la bataille de l'hydrogène. Il y a beaucoup de monde sur la ligne de départ, mais nous y sommes aussi. Nous n'avons pas à rougir de nos électrolyseurs. Nous n'aurions pas attiré Schlumberger et Vinci si nous n'étions pas bons.

Le but est de remplacer l'hydrogène produit par les combustibles fossiles par de l'hydrogène vert. L'une des cibles, ce sont les mobilités lourdes : train, camion et bateau. La décarbonation du transport maritime sera compliquée, mais certains chantiers navals sont intéressés par l'hydrogène, ne serait-ce que pour la consommation à quai.

Le stockage de l'hydrogène est un enjeu de flexibilité. Si vous produisez de l'hydrogène lorsque le courant est bon marché et que vous le stockez, vous pouvez l'utiliser au moment opportun. L'un des intérêts de la technologie que nous proposons est qu'elle est réversible : elle produit de l'hydrogène et peut ensuite l'utiliser pour restituer de l'énergie.

Sur le « décloisonnement de la recherche », nous ne sommes pas toujours responsables des titres choisis par les journalistes. Ce que je voulais dire, c'est qu'il faut travailler en transversal. Par exemple, il y aura des pistes dans la combinaison entre santé et numérique. En interne et en externe, le décloisonnement, c'est se dire que le CEA n'est pas le CNRS, mais que les deux savent travailler ensemble. Pour ma part, j'aurais utilisé le mot « transversalité » plutôt que « décloisonnement », mais c'est peut-être tout aussi technocratique.

J'en viens au nucléaire. Les situations chinoise et russe sont différentes. Les Russes ont un historique bien plus long et complet que les Chinois, qui sont en phase d'extension. Le retraitement n'est pas pleinement maîtrisé par les Chinois, alors qu'il l'est par les Russes, depuis longtemps. En revanche, les Chinois essaient tout : c'est leur gigantisme. Ils nous recherchent comme partenaires en raison de nos compétences industrielles ou de recherche. Mon homologue russe ne cesse de me pousser à des coopérations. Les partenariats avec la Chine se sont plutôt construits avec les industriels, tels qu'EDF ou Orano. Nous devons être vigilants, mais je ne crois pas que nous ne soyons plus au niveau. Certes, la force de frappe chinoise est gigantesque.

Je prends acte de la suppression du doublement du crédit d'impôt recherche. Cela nous pose problème, car nos partenaires industriels en bénéficiaient. Ils pourraient aller dans d'autres États aux conditions plus attractives. Nous saluons le crédit d'impôt collaborations de recherche (CICo), même si personne ne sait exactement comment cela se passera en 2022. Pour nous, il règle la moitié du problème, ce qui laisse une ardoise potentielle d'une vingtaine de millions d'euros. Nous souhaitons que les décrets d'application soient publiés le plus rapidement possible.

La transmutation, telle que prévue dans la loi de 1991, consiste à extraire certains éléments radioactifs et à espérer les détruire ou les transformer dans un réacteur dédié. Astrid, c'est autre chose : c'est un cycle complet du combustible nucléaire. Ce qui est principalement recherché, c'est le traitement du plutonium. Il ne faut pas rêver : la solution sans déchet radioactif n'existe pas. Une réaction de fission crée des produits de fission, qui ne sont pas transmutables. L'industrie chimique produit des déchets d'une durée de vie infinie. La radioactivité a au moins le bon goût de décroître !

Avant d'aller à la transmutation, il faut régler le problème du plutonium : le multirecyclage d'abord. Il faudra bien apprécier l'apport de la transmutation vis-à-vis de la sûreté et proportionner les efforts.

M. Franck Montaugé. - Vous ne travaillez donc pas dessus ?

M. François Jacq. - Si ! Des équipes s'y intéressent. Il y a un tronc commun de physique, de chimie, de neutronique au CEA. J'essayais d'évoquer des horizons.

Historiquement, sur la cybersécurité, notre approche vient de la direction des applications militaires. Nous sommes par nature extrêmement sensibles aux difficultés des partenariats étrangers. Nous disposons de toute une série de contre-mesures qui peuvent être incorporées dans les objets électroniques ou dans les logiciels. Par exemple, nous travaillons sur la façon de contrer la prise de contrôle d'un véhicule autonome par un cyberpirate.

Vous m'avez interrogé sur les savoir-faire et les compétences : la diminution du nombre de chantiers a entraîné une baisse des besoins que nous n'avons pas anticipée.

Le Conseil stratégique de la filière nucléaire (CSFN) et le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen) ont priorisé la question des compétences, en nouant des partenariats avec les organismes de formation. Le Gifen bâtit un grand plan de formation en cohérence avec les chantiers et les embauches à venir.

Je ne pense pas que la sous-traitance soit un bien ou un mal en soi. Si des industriels français sont compétents pour mener des opérations d'assainissement-démantèlement, parce qu'ils en ont vu chez EDF ou au CEA, ce sera une bonne chose. Le rôle du CEA est non pas de tout internaliser, mais de promouvoir une filière du démantèlement.

Sur certaines activités en partenariat avec l'industrie, la part publique de financement est trop faible. En Allemagne, le financement du Fraunhofer est composé d'un tiers de public socle, d'un tiers de public compétitif, lié aux projets, et d'un tiers de privé. Nous n'y sommes pas. Toutefois, nous avons amélioré le taux de financement public dans le cadre des PEPR.

Je conclus avec la mission Varin et la dépendance aux métaux. Ne remplaçons pas une dépendance par une autre. Au CEA, nous avons engagé un programme d'économie circulaire, pour s'assurer de la récupération ou du recyclage des matériaux du dispositif que nous concevons. Nous réfléchissons également à des dispositifs aussi libres que possible des matériaux rares. Enfin, par la modélisation et la simulation, nous concevons des matériaux qui seraient productibles et nous mettraient dans une situation de non-dépendance. Nous soutenons complètement les recommandations de Philippe Varin.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Faites-vous appel à des hackers éthiques pour tester les vulnérabilités de votre système de cybersécurité ?

M. François Jacq. - Oui, par le biais de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup pour cette audition extrêmement riche.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Merci !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture - Communication

Mme Sophie Primas, présidente. - La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture a été conclusive.

Proposition de loi visant à encourager l'usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d'accéder à internet - Communication

Mme Sophie Primas, présidente. - La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à encourager l'usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d'accéder à internet a été conclusive.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. François Jacq aux fonctions d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons procédé tout à l'heure à l'audition de M. François Jacq, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions d'administrateur général du CEA.

Nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletin secret comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de la loi du 23 juillet 2010, il ne peut y avoir de délégation de vote.

Nous procéderons ensuite au dépouillement.

L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

Mme Sophie Primas, présidente. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 20

Bulletin blanc : 0

Bulletin nul : 0

Nombre de suffrages exprimés : 20

Pour : 18

Contre : 2

Proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l'assurance emprunteur - Examen des amendements de séance au texte de la commission mixte paritaire

Mme Sophie Primas, présidente. - La commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi relative à l'assurance emprunteur a été conclusive. Néanmoins le Gouvernement présente plusieurs amendements.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU GOUVERNEMENT

Article 1er

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement n°  3 est rédactionnel. J'y suis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 3.

Article 3

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement n°  4 assure une coordination juridique. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4.

Article 7 bis

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement n°  2 fixe au 1er juin 2022 l'entrée en vigueur de la suppression du questionnaire médical, soit trois mois après la promulgation de la loi. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n°  5 qui est rédactionnel.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 5.

Article 9

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement n°  1 rectifié reprend notre rédaction quant à la demande de rapport du Comité consultatif du secteur financier (CCSF). Je ne peux qu'y être favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1 rectifié.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je remercie la présidente et tous les collègues pour leur confiance. Vu d'où nous partions, il n'était pas évident que la CMP soit conclusive.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ce sujet est très important pour tous nos concitoyens.

La réunion est close à 13 heures.