IV. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU SAMEDI 3 DÉCEMBRE 2011)

M. le président. L'amendement n° II-456, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous avons examiné très attentivement l'article 38 bis , ainsi qu'en témoigneront les explications un peu longues que je m'apprête à donner, mais nous n'avons pas réussi à en établir la portée juridique.

Cet article institue un plafond d'emplois pour les autorités publiques indépendantes, les API, dotées de la personnalité morale, principalement l'Autorité des marchés financiers, l'AMF, et la Haute autorité de santé, la HAS. Le dispositif concerne aussi l'Autorité de contrôle prudentiel, l'ACP, qui n'est pas une API dans la mesure où elle n'a pas la personnalité morale, mais qui n'est pas non plus une autorité administrative indépendante comme les autres puisqu'elle est rattachée à la Banque de France, qui est elle-même une personne publique sui generis .

L'intention des députés est claire : ils veulent mettre sous plafond d'emplois des emplois publics qui ne le sont pas. Cette volonté s'inscrit dans une démarche plus globale de renforcement du contrôle du Parlement sur toutes les structures qui dépensent de l'argent public.

Dans ce cadre, l'article 47 quaterdecies du projet de loi de finances pour 2012 prévoit la création d'un « jaune » budgétaire sur les API, qui contiendra des informations précises quant au fonctionnement de ces autorités, sur le modèle du « jaune » existant pour les opérateurs de l'État, eux aussi sous plafond d'emplois depuis deux ans, me semble-t-il.

Pourquoi la question de la mise sous plafond des emplois des API et de l'ACP fait-elle débat ?

Première raison : des régulateurs importants - l'AMF et l'ACP, notamment - s'inquiètent des conséquences de ce dispositif sur l'appréciation portée par les acteurs économiques - qui ne sont pas forcément français - sur leur caractère réellement indépendant.

Cette inquiétude n'est pas fondée, car, en France, beaucoup de régulateurs sont déjà soumis à des plafonds d'emplois - le CSA, la CNIL et toutes les AAI - et n'en sont pas moins indépendants. Toutefois, il faut tenir compte de cette inquiétude, car les observateurs extérieurs ne sont pas toujours au fait des subtilités du droit public français.

Deuxième raison : je ne parviens pas, madame la ministre, à me faire une idée de la portée juridique exacte de ce dispositif.

Si j'interprète littéralement l'article introduit par l'Assemblée nationale, je constate que la loi fixe, pour sept autorités, le plafond d'emplois qu'elles doivent respecter en 2012. J'en déduis que toute autorité qui ne respecterait pas ce plafond serait en contravention avec la loi. Cependant, en pratique, quelle serait la sanction ?

Cette question renvoie à la différence de nature entre, d'une part, le plafond des emplois de l'État, qui est limitatif et s'applique dans les conditions prévues par l'article 9 de la LOLF, et, d'autre part, le plafond d'emplois des opérateurs, qui ne constitue - pour reprendre les termes des projets de loi de finances - que le « mandat » des représentants de l'État siégeant dans leurs conseils d'administration.

En effet, puisque les opérateurs ont la personnalité morale, ce sont leurs organes dirigeants, et non l'État, qui prennent les décisions en matière de recrutement. Le plafond des opérateurs qui figure dans la loi de finances n'est donc qu'indicatif : si une majorité d'administrateurs décide de passer outre, il ne s'applique pas.

Néanmoins, le régime des opérateurs ne peut pas être transposé aux autorités publiques indépendantes. En effet, si ces deux catégories ont en commun d'avoir la personnalité morale, les API sont, par définition, indépendantes et aucun représentant de l'État ne siège dans leur collège. Le plafond des API qui serait voté dans le cadre du projet de loi de finances ne pourrait donc même pas constituer un mandat donné aux représentants de l'État.

En conclusion, sur le plan des principes, on peut difficilement envisager que le plafond applicable aux autorités indépendantes dotées de la personnalité morale soit plus contraignant que celui qui s'applique aux opérateurs, qui ont aussi la personnalité morale, mais sont sous la tutelle de l'État ; sur le plan pratique, dès lors que les API sont indépendantes et ne sont pas soumises au contrôle financier, on ne voit pas qui pourrait s'opposer à une politique de recrutement allant au-delà des plafonds, ni quelles seraient les sanctions possibles.

En revanche, on imagine que les contribuables des taxes affectées qui financent ces autorités - ce sont souvent les personnes régulées par ces mêmes autorités - pourraient tirer prétexte d'un dépassement desdites taxes pour contester leurs délibérations devant les tribunaux ou mettre en cause leur « train de vie ». L'autorité du régulateur en serait affaiblie et le fonctionnement du secteur en serait affecté.

Par conséquent, dans l'attente d'une analyse juridique plus aboutie, la commission des finances propose la suppression de l'article 38 bis .

En tout état de cause, le nouveau « jaune » budgétaire permettra au Parlement de bénéficier d'une meilleure information et d'en tirer éventuellement des conséquences sur les crédits ou les taxes affectés à ces autorités.

L'amendement n° II-453, qu'ont déposé M. Patriat et Mme M. André, vise à retrancher l'ACP de la liste des autorités soumises à plafond d'emplois. Il me semble préférable de supprimer l'article 38 bis , d'autant que l'information qui sera portée à la connaissance du Parlement suffira à lui permettre d'exercer correctement sa mission de contrôle.

M. le président. Pour la clarté du débat, j'appelle également en discussion l'amendement n° II-453, présenté par M. Patriat et Mme M. André, qui est ainsi libellé :

I. - Alinéa 1, première phrase

Remplacer les mots :

et des autorités administratives indépendantes dont les effectifs ne sont pas inclus dans un plafond d'autorisation des emplois rémunérés par l'État

par les mots :

mentionnées ci-après

et le nombre :

2 225

par le nombre :

1 104

II. - Alinéa 2, tableau

1° Troisième ligne

Supprimer cette ligne ;

2° Dernière ligne, seconde colonne

Remplacer le nombre :

2 225

par le nombre :

1 104

Cet amendement n'est pas soutenu.

Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° II-456 ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

L'article 38 bis fait suite à un important travail parlementaire, conduit notamment par les députés René Dosière et Christian Vanneste. Il vise à fournir au Parlement un élément d'information supplémentaire dans le cadre de sa mission de contrôle des politiques publiques. Il s'agit de compléter les plafonds d'emplois ministériels prévus par la LOLF pour les opérateurs de l'État et les établissements à autonomie financière, introduits sur l'initiative du Sénat.

Ces plafonds sont fixés de manière à permettre à ces autorités d'accomplir efficacement leurs missions en 2012. L'idée est que le Parlement puisse apprécier chaque année le niveau de ces plafonds.

Environ 80 % des personnels de ces autorités sont mis à leur disposition par l'État, et relèvent donc des plafonds d'emplois ministériels. Néanmoins, les députés ont préféré voter des plafonds d'emplois pour chaque autorité indépendante, afin d'éviter que leurs effectifs n'évoluent de manière incontrôlée.

L'amendement qui a introduit cet article n'est pas le fruit d'une initiative gouvernementale et, pour tout dire, le Gouvernement s'en était remis à la sagesse de l'Assemblée nationale lors de son examen. Toutefois, j'estime qu'il s'agit d'une bonne mesure, qui participe d'une bonne gestion, au plus près des effectifs des autorités indépendantes.

Je rappelle que la question des plafonds d'emplois a toujours été chère au Sénat, en tout cas dans son ancienne composition. Par exemple, Michel Charasse avait été extrêmement actif sur ce sujet. (Murmures sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-456.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 38 bis est supprimé.