M. Francis DELATTRE, rapporteur spécial

III. LES RELATIONS ENTRE L'ÉTAT ET LA CNRACL

Le programme 741 « Pensions civiles et militaires de retraite » du CAS « Pensions » retrace les flux financiers entre l'État et la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), au tire de la neutralisation des conséquences financières du transfert de postes de fonctionnaires de l'État vers les collectivités territoriales , dans le cadre de l'acte II de la décentralisation.

Dans le contexte de dégradation de la situation financière de la CNRACL depuis 2010, votre rapporteur spécial a souhaité analyser les conséquences du dispositif de neutralisation mis en place en 2010 pour cette caisse et pour l'État.

A. LA FRAGILISATION DE LA SITUATION FINANCIÈRE DE LA CNRACL

Autrefois excédentaire, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) - qui gère le régime d'assurance vieillesse et invalidité des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers - est en situation de déficit depuis 2010 .

En 2012, une nouvelle dégradation du solde de la caisse a pu être évitée uniquement grâce au transfert de 690 millions d'euros, prélevés sur les réserves du fonds relatif à l'allocation temporaire d'invalidité (ATIACL) et du fonds de compensation de la cessation progressive d'activité (FCCPA), aux hausses de cotisations prévues dans le cadre de la réforme des retraites de 2010 et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Malgré tout, le déficit de la CNRACL devrait atteindre 420 millions d'euros en 2013 .

Tableau n° 23 : Évolution du déficit de la branche vieillesse de la CNRACL

(en millions d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014 (p)

- 491

- 375

- 14

- 420

- 205

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la commission des comptes de la sécurité sociale)

Les raisons de la dégradation des résultats de la CNRACL sont multiples.

La première d'entre elles réside dans la dégradation du ratio démographique , entre le nombre de cotisants et le nombre de pensionnés du régime. Celui-ci est passé de 4,5 en 1990, à 2,5 en 2003, puis 2,16 en 2012. En effet, l'effectif de cotisants a progressé d'environ 20 % entre 2003 et 2012 alors que sur la même période, celui des pensionnés a augmenté de plus de 46 %. Dès lors, l'évolution des ressources de la CNRACL est moins dynamique que celle de ses dépenses, conduisant à une dégradation de sa situation financière. À titre d'illustration, en 2012, les cotisations reçues par la CNRACL ont connu une hausse de 2,8 % alors que le montant des prestations servies s'est accru de 6,1 %. Malgré tout, la caisse bénéficie d'une situation démographique relativement favorable en comparaison aux autres régimes . Son ratio démographique (2,16 en 2012) reste en effet supérieur à celui du régime général, proche de 1,40.

Le deuxième facteur expliquant la situation déficitaire de la CNRACL est le poids des transferts réalisés au titre de la solidarité, au profit d'autres régimes de retraite dont la situation démographique est plus dégradée 24 ( * ) . La CNRACL compte parmi les principaux régimes débiteurs en ce qui concerne l'assurance vieillesse. Elle a versé 2,2 milliards d'euros au titre de la compensation inter-régimes en 2010 et 1,4 milliard d'euros en 2012, soit 15 % des contributions prévues au titre de la solidarité inter-régimes. Le régime des agents des collectivités territoriales et hospitalières est le deuxième contributeur après le régime général (67 %). Selon le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2013, cette contribution devrait s'élever à 1,4 milliard d'euros en 2013 et 1,5 milliard d'euros en 2014.

Enfin, le troisième facteur expliquant le creusement des déficits de la CNRACL est le dispositif de neutralisation des conséquences financières de l'acte II de la décentralisation, au titre des pensions de fonctionnaires transférés de l'État vers les collectivités territoriales . Sur les 130 000 postes de fonctionnaires transférés par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, 85 000 personnes ont opté pour l'intégration dans la fonction publique territoriale .

Du point de vue des pensions de retraite, ce droit d'option a eu les conséquences suivantes :

- les fonctionnaires de l'État ayant opté pour le statut de fonctionnaire territorial ont été affiliés à la CNRACL , à compter de la date de leur intégration dans un cadre d'emploi. Les collectivités territoriales ont, depuis lors, versé la contribution employeur due à la CNRACL, cette dernière versant la pension des intéressés pour la totalité de leur carrière dans la fonction publique ;

- les fonctionnaires de l'État ayant opté pour le maintien de leur statut sont restés affiliés au régime des pensions des fonctionnaires de l'État . La pension des intéressés est versée par le budget de l'État pour la totalité de leur carrière, les collectivités territoriales devant, quant à elles, s'acquitter de la contribution employeur due en cas de détachement.

Cette opération a eu pour conséquence un surcroît de cotisations pour la CNRACL du fait de l'intégration des fonctionnaires décentralisés aux cotisants. S'agissant du régime de retraite des fonctionnaires de l'État, celui-ci a accusé une perte de cotisations immédiate alors qu'il doit toujours assurer le paiement des pensions déjà liquidées (y compris celles versées aux fonctionnaires retraités qui occupaient des emplois aujourd'hui décentralisés).

Ainsi, un mécanisme de compensation spécifique entre l'État et la CNRACL a été mis en place. Toutefois, depuis sa mise en place, il se traduit par une charge nette conséquente pour la CNRACL : 434 millions d'euros en 2010, 352 millions d'euros en 2012 et 335 millions d'euros en 2013 .

B. LES FLUX FINANCIERS ENTRE L'ÉTAT ET LA CNRACL

L'article 59 de la loi de finances pour 2010 a instauré un mécanisme visant à neutraliser, chaque année, l'impact des transferts pour l'État et la CNRACL :

- en premier lieu, l'État rembourse les pensions versées par la CNRACL pour les agents ayant effectué une partie de leur carrière pour l'État . Il rembourse également une part de la compensation démographique correspondant à ces agents ;

- réciproquement, la CNRACL reverse à l'État les cotisations et contributions assises sur les traitements de ces agents , qui seraient revenues à l'État si ces agents n'avaient pas été transférés.

Ce dispositif donne lieu à un système d'acomptes et de régularisations 25 ( * ) , retracées dans le programme 741 « Pensions civiles et militaires de retraite » du CAS « Pensions ».

Actuellement, le montant versé par la CNRACL à l'État, pour compenser la perte de cotisations de ce dernier, est supérieur au transfert réalisé par l'Etat pour rembourser la part des pensions servies aux agents territoriaux, au titre de leur carrière dans la fonction publique d'État. Selon les prévisions disponibles, ce mécanisme de neutralisation conduira à ce que la CNRACL supporte une charge nette jusqu'en 2022 . Ce n'est qu'à compter de 2023 que cette charge s'inversera au détriment de l'État, qui deviendra contributeur net à l'égard de la CNRACL.

Graphique n° 24 : Transferts financiers entre l'État et la CNRACL au titre des agents décentralisés

(en millions d'euros)

Source : rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique, annexé au projet de loi de finances pour 2014

En 2013, la charge nette pour la CNRACL devrait s'élever à 335 millions d'euros 26 ( * ) . Au titre de l'exercice 2014, le présent projet de loi de finances prévoit :

- un versement de 562 millions d'euros de la CNRACL à l'État , au titre des cotisations perçues. En dépit de l'érosion de l'assiette des cotisations de la CNRACL, cette somme est en augmentation par rapport aux années précédentes en raison d'une régularisation au titre de l'exercice 2013 et de l'augmentation des taux de cotisation salariale (9,04 % contre 8,41 % en 2012) et employeur (30,25 % contre 27,32 % en 2012) ;

- un transfert de 202 millions d'euros de l'État vers la CNRACL afin de rembourser les dépenses de pensions et de compensation démographique des agents de l'État transférés.

Ainsi, en 2014, la CNRACL devrait supporter une charge nette de 360 millions d'euros au titre du mécanisme de neutralisation mis en place en 2010.

En conclusion, les transferts nets au titre du dispositif de neutralisation financière du coût des personnels de l'État intégrés dans la fonction publique territoriale ont représenté un total d'environ 1,15 milliard d'euros entre 2010 et 2013 , expliquant en partie la situation déficitaire de la CNRACL. Dès lors, le mécanisme mis en place n'est pas tout à fait neutre pour la CNRACL à court et moyen termes. Votre rapporteur spécial suivra avec attention l'évolution de ces transferts dans les années à venir, au vu de la situation financière de la CNRACL.


* 24 Les principaux bénéficiaires du mécanisme de compensation démographique sont les régimes des exploitants et des salariés agricoles, le régime des mines, le régime des indépendants et le régime de la SNCF.

* 25 Les montants et la périodicité de ces transferts sont fixés par arrêté conjoint des ministres chargés du budget et de la sécurité sociale.

* 26 Au titre de l'exercice 2013, la CNRACL a effectué un transfert de 526 millions d'euros de cotisations à l'État, tandis que l'État lui a transféré 119 millions d'euros pour le remboursement des pensions versées et 72 millions d'euros au titre de la compensation démographique vieillesse.