Mardi 9 juin 2009

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Audition de Son Exc. M. Jean de Ponton d'Amécourt, ambassadeur de France en Afghanistan

La commission a procédé à l'audition de Son Exc. M. Jean de Ponton d'Amécourt, ambassadeur de France en Afghanistan.

M. Jean de Ponton d'Amécourt a tout d'abord rappelé que, en 2001, lorsque les Etats-Unis d'Amérique sont intervenus en Afghanistan, le pays était totalement détruit par trente ans de guerre ininterrompue. La guerre contre les communistes au pouvoir et leur allié soviétique a ravagé les campagnes ; elle a été suivie d'une guerre civile entre moudjahidine, qui a notamment abouti à la destruction de Kaboul et d'une large partie des grandes villes ; enfin, la période de domination des taliban a entraîné la destruction de pratiquement toutes les administrations, du système de santé et de l'enseignement. Il en est résulté notamment l'émigration de neuf millions d'Afghans vers l'Iran et le Pakistan, deux millions de morts et l'élimination ou le départ du pays de la majorité des élites intellectuelles.

Après la conférence de Bonn, la première tâche a été de reconstruire le pays sur le plan politique, de réunir une Loya Jirga et d'adopter une Constitution et une loi électorale qui ont permis l'élection présidentielle de 2004, avec la victoire de M. Hamid Karzaï, et la tenue des élections législatives de 2005. L'Afghanistan est ainsi doté d'institutions démocratiques.

Parallèlement, il était procédé à la stabilisation militaire du pays. En théorie, l'Alliance couvre l'ensemble du pays bien que le contrôle soit très difficile dans le Sud, l'Est et en partie l'Ouest de l'Afghanistan. Aujourd'hui, la situation sécuritaire est contrastée. Malgré les attentats de 2008, on constate que la capitale et sa région connaissent une certaine stabilité. Par contre, le Sud, l'Est et l'Ouest connaissent des attaques en règle des forces des taliban dont l'accroissement est bien sûr lié à la perspective de l'échéance électorale présidentielle de 2009 et à la situation très tendue au Pakistan. Pour autant, les taliban sont incapables de conserver durablement le contrôle d'une ville ou même d'un chef-lieu de district.

Enfin, la troisième tâche a consisté à développer l'économie et la gouvernance. Des progrès très importants ont été réalisés : sept millions d'enfants ont été scolarisés dont 50 % de filles ; 80 % des Afghans ont accès aux soins ; la production agricole progresse ; les infrastructures, notamment la route circulaire qui entoure l'Afghanistan et les liaisons entre capitales régionales ont été réalisées ; la liaison électrique entre l'Ouzbékistan et la région de Kaboul est désormais opérationnelle ; enfin l'administration fonctionne.

Pour autant, la situation n'est pas satisfaisante. La conférence de Paris du 20 juin 2008 a permis d'organiser une meilleure coordination des puissances occidentales en reprenant et en complétant le programme de financement et de développement arrêté à Londres.

Le plan d'action pour l'Afghanistan a commencé à être mis en oeuvre sous l'égide de l'UNAMA. Toutefois, la population afghane, notamment rurale, a l'impression que l'action du gouvernement afghan comme celle de l'Occident sont inefficaces. Les Afghans se sentent à l'écart des progrès en matière de santé, d'éducation, d'infrastructures, d'accès à l'électricité et à l'eau courante, d'irrigation et d'emploi. Ce ressenti d'abandon conduit à une certaine désespérance des populations, notamment dans le Sud.

Trois facteurs façonnent la situation actuelle. L'élection présidentielle dont le premier tour doit se dérouler le 20 août prochain conduira vraisemblablement à la réélection du Président Karzaï, qui fait face à une opposition peu structurée. La solution consistant à prolonger le mandat du président au-delà de la date limite du 20 juin a finalement recueilli le consensus des forces politiques afghanes et permet au gouvernement d'expédier les affaires courantes jusqu'aux élections du 20 août. La communauté internationale doit s'assurer des conditions de régularité de l'élection ; l'Union européenne et l'OSCE procureront une assistance technique et participeront au contrôle des élections avec cinquante observateurs.

Le second facteur structurant de la situation actuelle est la montée en puissance des Etats-Unis dans l'ensemble de la région avec, en particulier, l'accroissement de leurs effectifs diplomatiques et militaires. Enfin, la situation au Pakistan est évidemment centrale pour la stabilisation de la région puisque l'insurrection trouve sa force, son soutien et ses ressources dans ce pays.

L'avenir de l'Afghanistan dépendra du succès de l'afghanisation, et en particulier de la prise en charge, par les Afghans, de leur propre sécurité. L'armée nationale afghane a accompli des progrès considérables et ses effectifs doivent augmenter progressivement jusqu'à 120 000 hommes. La communauté internationale et la France participent activement à la formation de la police. Outre l'afghanisation, le développement économique et social et la réconciliation nationale revêtent une importance majeure.

L'action de la France et de ses alliés s'inscrit dans la durée. Ce sont les intérêts stratégiques de la France qui sont défendus en Afghanistan pour éviter qu'Al-Qaïda reprenne le contrôle d'un État ou que les taliban reviennent au pouvoir. L'Afghanistan occupe en effet une position stratégique à proximité du Golfe persique, entre un État nucléaire et un autre qui souhaite le devenir.

M. Josselin de Rohan, président, a souligné l'implication croissante des États-Unis dont témoigne en particulier le remplacement, sans aucune information de l'OTAN et des alliés membres de la coalition, du général Mc Kiernan par le général Mc Krystal. Il s'agit de l'application simple de l'adage « qui paye commande ». Il s'est interrogé sur les conséquences que pourrait avoir une conduite quasi exclusive des opérations par les Etats-Unis et s'est demandé si cet état de fait ne conduirait pas certains des partenaires de l'Alliance à diminuer leur engagement sur le plan militaire.

M. Jean de Ponton d'Amécourt a indiqué que, avec le renfort de 21 000 hommes, la présence militaire américaine allait compter 71 000 soldats, à comparer aux 25 000 hommes fournis par les autres pays membres de l'Alliance et les puissances associées.

Il en va de même au niveau de l'UNAMA (United Nations Assistance Mission in Afghanistan) ou du PNUD (programme des Nations unies pour le développement) où les États-Unis prennent des initiatives unilatérales pour nommer des coordinateurs de l'aide ou de la préparation des élections dont ils considèrent qu'elles pourraient être grandement améliorées.

De même, les États-Unis ont remplacé l'adjoint de M. Karl Eide par un ambassadeur américain, M. Peter W. Galbraith, qui a présenté à la communauté internationale son plan d'action en l'absence de ce dernier. Néanmoins, cette attitude s'accompagne d'un message positif et de gestes concrets marquant la volonté des États-Unis de disposer d'une coordination étroite entre la communauté internationale, l'Alliance et l'Union européenne.

M. Didier Boulaud s'est interrogé sur le renforcement en catimini de la présence militaire française en Afghanistan, avec l'arrivée d'hélicoptères Tigre et d'effectifs de la gendarmerie nationale.

M. Jean de Ponton d'Amécourt a rappelé que la décision de renforcer le contingent français en Afghanistan avait été annoncée au sommet de l'OTAN, à Bucarest en 2008. Depuis cette date, il n'y a pas eu de renforts, à l'exception, après l'embuscade du mois d'août 2008, d'un accroissement des moyens qui faisaient défaut, de l'avis unanime, en matière de renseignement. Il s'est agi d'environ 300 hommes représentant les équipes, des hélicoptères, des drones et du pilotage technique du renseignement.

M. Jean François-Poncet a rappelé que, à la fin de l'année 2008, le gouvernement saoudien avait été chargé, par les États-Unis et le gouvernement afghan, d'une mission de prise de contacts avec les taliban. Il a souligné que c'était une démarche de réconciliation équivalente qui avait permis le changement significatif de la situation sécuritaire en Irak, dès lors que les tribus sunnites ont été ralliées. Cette démarche a-t-elle une chance d'aboutir en Afghanistan ?

M. Jean de Ponton d'Amécourt a rappelé la grande multiplicité des canaux de contacts avec les taliban qui correspondent à la mosaïque des mouvements insurgés. Il a souligné que, encore aujourd'hui, les fondations religieuses d'Arabie saoudite et des pays du Golfe demeurent parmi les principaux bailleurs de fonds de l'insurrection. Dans cette mesure, il est tout à fait nécessaire d'engager le gouvernement saoudien dans le mouvement de négociation de réconciliation. Toutefois les actions menées en direction des groupes taliban ont nécessairement, dans le contexte actuel, une forte composante électorale.

Cela étant, il n'existe pas de solution en Afghanistan sans réconciliation. Les élections législatives prévues en 2010 constitueront un test à cet égard. C'est au cours de l'année 2010, en préparation aux élections à la Wolesi Jirga (assemblée nationale), puis à nouveau en 2011, après les échéances électorales, que s'ouvrira, pour le gouvernement afghan, alors en position de force, la possibilité de mener de véritables négociations débouchant sur des résultats concrets avec l'opposition armée.

M. Jacques Gautier a souhaité avoir des précisions sur la sécurisation des zones confiées à l'armée et à la gendarmerie françaises. Il s'est également interrogé sur les conditions de travail actuelles des ONG en Afghanistan.

M. Jean de Ponton d'Amécourt a indiqué que les ONG avaient décidé, depuis environ une année, de replier leur personnel sur Kaboul et qu'elles rencontraient, dans le reste de l'Afghanistan, de très importantes difficultés liées à la situation sécuritaire. La politique suivie par la France consiste à renforcer son aide civile et à la concentrer sur les zones, notamment le district de Surobi dans la région de Kaboul et ceux de Nijrab, Tagab et Alasai, en Kapisa, où nos troupes opèrent et sont responsables de la sécurité. Le lien entre la dimension sécuritaire, le renforcement de l'État de droit, la mise en place d'une police efficace et le développement économique est évident.

Dans le cadre de l'intervention de la gendarmerie européenne le projet consiste pour la gendarmerie française à participer à la constitution et à la formation d'une véritable gendarmerie afghane et progressivement, dans une deuxième étape, à former et monitorer l'ensemble des policiers de chacun des quatre districts susmentionnés (environ 600 par district) pendant une durée de deux à trois mois. Au-delà de cette période, qui aura permis également une sélection au sein des effectifs existants, les gendarmes accompagneraient les unités en opération sur le terrain sur le modèle des OMLT dans l'armée nationale afghane.

Le travail de stabilisation effectué par les forces françaises en Surobi et Kapisa a été remarquable. Il est unanimement salué, en particulier par les Américains qui partagent avec la France la responsabilité de la Kapisa. La stratégie consiste, après élimination des insurgés, à soutenir la police et les pôles administratifs, en particulier la justice. La France engagera vingt millions d'euros dans des projets de développement dans les zones dont elle a la responsabilité.

M. Jean-Pierre Chevènement s'est interrogé sur les buts de guerre poursuivis par la coalition et par la France, sur la distinction qu'il est possible d'opérer entre taliban et sur le soutien apporté par les Pachtounes à Al-Qaïda. Il s'est demandé ce que pouvaient être les résultats des offensives menées par l'armée pakistanaise dans la vallée de Swat et au Waziristân. Il a enfin souhaité savoir comment s'articulaient l'action de l'ambassade et celle de l'envoyé spécial, M. Pierre Lellouche.

M. Jean de Ponton d'Amécourt a indiqué que la coordination avec l'envoyé spécial du Président de la République ne posait aucun problème. Il a souligné que, parmi les vingt-quatre représentants spéciaux des pays membres de la coalition, seuls le représentant américain, M. Richard Holbrooke, et celui de la France venaient du monde politique et étaient les représentants directs de leurs chefs d'Etats respectifs, ce qui leur donnait un poids et une légitimité particulière. De ce fait, le représentant français pouvait exprimer avec une force particulière les analyses françaises. Il a souligné le travail très important effectué par M. Pierre Lellouche depuis sa nomination.

Il a précisé qu'il convenait de distinguer les Pachtounes des taliban, même si la majorité de ces derniers appartient à cette ethnie qui représente environ douze millions d'habitants, soit 40 % de la population en Afghanistan, et environ 24 millions d'habitants au Pakistan. L'Afghanistan ne peut être gouverné sans les Pachtounes, en conséquence la politique de la main tendue aux taliban est une nécessité.

La population afghane, qui n'a rien oublié de la période de gouvernement des taliban, adopte une position de neutralité prudente. D'un côté, le sentiment de déception et d'abandon est très réel et les taliban, qui utilisent ce ressenti, jouent un rôle significatif, notamment en matière de justice et de règlement des différends. De l'autre, cette population garde l'espoir que le gouvernement afghan l'aide car il dispose des moyens de financement de la communauté internationale et du pouvoir de les répartir. La politique suivie par la communauté internationale, théorisée par le concept de « contre insurrection », vise à obtenir un changement de l'état d'esprit de la population pour la faire basculer d'une position de neutralité à une position favorable au gouvernement et à la coalition. Cette politique est bien sûr délicate à mettre en oeuvre, mais, exécutée avec art, elle peut connaître des succès importants dans les trois ans à venir. La population connaît une immense lassitude après quarante ans de guerre et d'insécurité. Les sondages montrent que le gouvernement et la communauté internationale n'ont pas perdu leur légitimité à ce jour, puisque le soutien à leur action reste de l'ordre de 57 %, même s'il a décru ces dernières années.

M. Robert Badinter a abordé la question du trafic de drogue, qui finance l'insurrection, et celle de la situation des femmes en Afghanistan.

M. Jean de Ponton d'Amécourt a rappelé que la situation s'était détériorée depuis 2001, puisque 80 à 90 % de la production mondiale d'opium a pour origine l'Afghanistan, et en quasi-totalité dans la province du Helmand. Cette production est gérée conjointement par les taliban et par les narcotrafiquants. Dans leur lutte contre ce trafic, les États-Unis et le Royaume-Uni n'ont pas atteint les objectifs qui avaient été fixés. Le chiffre d'affaires issu de la culture du pavot est d'environ quatre milliards de dollars par an. Sur ce total, environ 100 millions de dollars financent l'insurrection. Ce budget permet notamment de payer un chef taliban environ 1 200 dollars par mois et un soldat 300 dollars par mois. Ces montants sont à comparer au salaire d'un professeur d'école qui gagne environ 120 dollars par mois.

M. Jean de Ponton d'Amécourt a rendu hommage au courage des femmes afghanes qui luttent contre l'état de sujétion dans lequel elles sont maintenues. Pourtant, des progrès ont été obtenus, notamment en matière de représentation au Parlement, qui compte un tiers de femmes. Celles-ci occupent également un certain nombre de postes de responsabilité dans l'administration et le Président Karzaï a nommé une femme gouverneur de province. L'éducation des filles a considérément progressé et les femmes ont accès aux soins. S'agissant de la polémique et de la très forte réaction des pays occidentaux contre la loi adoptée et signée par le Président sur la communauté chiite, M. Jean de Ponton d'Amécourt a rappelé que la Constitution prévoyait un statut juridique spécial pour protéger cette communauté très minoritaire. Le projet de loi avait été préparé au Parlement par les plus extrémistes des Chiites afghans. En dépit du fait qu'il l'avait signé, le Président Karzaï a décidé de ne pas le promulguer devant le tollé occidental mais aussi du fait de la très forte réaction des femmes afghanes elles-mêmes.

A M. Christian Poncelet, qui émettait des doutes sur la possibilité d'aboutir à une réconciliation en Afghanistan, M. Jean de Ponton d'Amécourt a affirmé que, au contraire, la réconciliation était possible, en particulier compte tenu de l'importante dimension religieuse qui justifiait la démarche faite auprès des oulémas saoudiens. Il a rappelé que, au moment de l'indépendance du Pakistan, il existait 400 madrasas dans ce pays alors qu'il en existe aujourd'hui 20 000. Elles sont pour la plupart des écoles fondamentalistes et sont financées par les fondations religieuses du Golfe qui promeuvent une tendance littérale et radicale de l'islam, le wahabisme.

M. Jean de Ponton d'Amécourt s'est opposé à la notion de taliban « modérés ». Le véritable clivage se situe entre les taliban nationaux, qui pourraient accepter la Constitution en obtenant en contrepartie son adaptation, et les taliban internationaux qui soutiennent Al-Qaïda.

M. Jean-Louis Carrère a rappelé le déplacement qu'il avait effectué, au nom de la commission, avec M. Robert del Picchia, en 2008. Il s'est interrogé sur l'indépendance des forces aériennes françaises vis-à-vis des Américains sur la base de Kandahar. Lors des entretiens qu'il avait eus, au Sénat afghan, avec les parlementaires de la commission de la défense, ces derniers avaient fait part, avec une grande fermeté, de leur opposition à la présence occidentale sur le sol afghan et, tout en acceptant l'aide financière, avaient menacé les forces occidentales.

M. Jean de Ponton d'Amécourt ne s'est pas étonné de ces remarques provenant vraisemblablement de personnalités proches de l'insurrection. Il n'existe pas de taliban modérés. Les exigences des taliban portent sur le départ des forces alliées, leur place au gouvernement, dont ils exigent 50 % des postes, et les garanties de sécurité que leur apporterait la communauté internationale. Il a réaffirmé sa conviction que la tâche est certes difficile mais que l'engagement de la France est une nécessité pour défendre les intérêts stratégiques nationaux. Les forces aériennes françaises stationnées à Kandahar interviennent dans le cadre de l'Alliance sur demande des troupes au sol. Elles jouent un rôle très important à cet égard comme en témoigne le nombre considérable de missions effectuées.

Nomination d'un rapporteur

La commission a ensuite nommé M. Christian Cambon rapporteur sur le projet de loi n° 438 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à l'assistance et à la coopération en matière de protection et de sécurité civiles dans les situations d'urgence.

Mercredi 10 juin 2009

- Présidence conjointe de M. Josselin de Rohan, président, et de M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles -

Action culturelle extérieure de la France - Examen du rapport d'information

Au cours d'une séance tenue dans la matinée, la commission des affaires étrangères et de la défense et la commission des affaires culturelles ont procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Jacques Legendre et Josselin de Rohan sur la réforme de l'action culturelle extérieure.

M. Josselin de Rohan, président, a d'abord rappelé que les deux commissions avaient décidé, en mars dernier, de procéder à une série d'auditions conjointes sur le thème de l'action culturelle de la France à l'étranger, et que, dans ce cadre, elles avaient entendu notamment des représentants du ministère des affaires étrangères et du ministère de la culture, le directeur de CulturesFrance, le secrétaire général de l'Alliance française de Paris, mais aussi les directeurs du British Council et du Goethe Institut de Paris, ainsi que M. Bernard Faivre d'Arcier, auteur d'une étude comparative sur le sujet.

M. Josselin de Rohan, président, a également rappelé que le Parlement, et le Sénat en particulier, s'étaient préoccupés, depuis déjà de nombreuses années, du réseau culturel de la France à l'étranger, comme en témoignent les rapports de M. Yves Dauge, alors député, de 2001, de M. Louis Duvernois, de 2004, ou encore les rapports budgétaires pour avis de Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Yves Dauge, Louis Duvernois et Joseph Kergueris, ainsi que le rapport du rapporteur spécial de la commission des finances, M. Adrien Gouteyron.

Il a également indiqué que, à l'initiative de M. Louis Duvernois, une proposition de loi transformant CulturesFrance en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) avait été adoptée à l'unanimité par le Sénat en 2007.

M. Josselin de Rohan, président, a souligné que la diplomatie culturelle française était aujourd'hui à la veille d'une réforme d'ampleur, annoncée par le ministre des affaires étrangères et européennes le 25 mars dernier, avec notamment le projet de création d'une agence chargée de la coopération culturelle et linguistique et que, dans ce contexte, il semblait utile que les deux commissions puissent faire entendre suffisamment en amont un certain nombre de préconisations tirées de leurs auditions.

M. Josselin de Rohan, président, a souhaité ensuite présenter les principaux enseignements tirés des auditions des deux commissions :

- premier constat : la France dispose d'un réseau culturel exceptionnellement dense et diversifié qui comprend à la fois des services de coopération et d'action culturelle (SCAC) au sein de ses ambassades, ainsi que des instituts et centres culturels, qui dépendent du ministère des affaires étrangères, mais qui bénéficient d'un régime d'autonomie financière ; une autre originalité du dispositif français tient au vaste réseau des Alliances françaises, qui sont des associations de droit privé issues d'initiatives de la société civile locale. Enfin, l'action culturelle extérieure de la France repose également sur un grand nombre d'opérateurs, parmi lesquels CulturesFrance.

Il a estimé cependant que, à la différence des partenaires et concurrents de la France, comme le Royaume-Uni, avec le British Council, l'Allemagne, avec le Goethe Institut ou l'Espagne, avec l'Institut Cervantès, le réseau culturel français souffrait d'un manque de lisibilité et de visibilité.

De ce point de vue, la création d'une agence chargée de l'ensemble de la coopération culturelle et dotée d'un label unique représenterait une avancée.

- deuxième constat : l'action culturelle extérieure de la France souffre avant tout aujourd'hui d'un déficit de pilotage stratégique.

M. Josselin de Rohan, président, a estimé que le ministère des affaires étrangères et européennes devait conserver un rôle de premier plan dans ce domaine, puisque la culture est une composante essentielle de la diplomatie d'influence de la France. A ce titre, il doit exercer la tutelle de la future agence, le ministère de la culture et les autres ministères concernés n'étant pas suffisamment impliqués dans la mise en oeuvre de la coopération culturelle de la France à l'étranger.

Par ailleurs, il a indiqué que, au sein de l'administration du Quai d'Orsay, l'ancienne direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) n'avait pas réussi à élaborer une véritable stratégie, ni à exercer réellement sa tutelle sur les opérateurs, étant absorbée dans les tâches de gestion quotidienne du réseau, et que la mise en place récente d'une nouvelle direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGMDP), était directement tirée de ce constat.

- troisième enseignement : il est nécessaire de mettre un terme à la forte diminution des crédits consacrés à l'action culturelle française à l'étranger.

M. Josselin de Rohan, président, a estimé que, au moment où les partenaires britanniques, allemands et espagnols, et même chinois, avec les Instituts Confucius, augmentent fortement les moyens consacrés à leurs réseaux culturels, et où la nouvelle secrétaire d'État américaine, Mme Hillary Clinton, a fait de la diplomatie dite « de l'intelligence » une priorité de son action, il peut sembler paradoxal que la France soit le seul pays à diminuer fortement les crédits consacrés à son rayonnement culturel et linguistique dans le monde.

Il a rappelé, à cet égard, que le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France avait souligné qu'on ne pouvait réduire indéfiniment les effectifs et les moyens sans remettre en cause les ambitions européennes et internationales assignées à l'action extérieure.

- enfin, quatrième et dernière observation : la gestion des ressources humaines constitue sans doute le « point noir » du réseau culturel de la France à l'étranger.

Il a rappelé que les personnels appelés à diriger les centres culturels ne se voyaient proposer qu'une formation de cinq jours, alors que la formation initiale est de six mois en Allemagne, et que la durée d'immersion dans un pays était relativement courte, de l'ordre de trois ans, contre cinq ans pour les agents du British Council et du Goethe Institut, et enfin que l'Allemagne et le Royaume-Uni offraient de bien meilleures perspectives de carrière aux agents de leur réseau culturel à l'étranger.

M. Josselin de Rohan, président, a donc estimé que la rénovation de la gestion des ressources humaines du personnel du réseau culturel de la France à l'étranger devait constituer un axe central de la réforme.

M. Jacques Legendre, président, a ensuite présenté les principales recommandations du rapport d'information destinées à répondre aux différentes questions soulevées par le projet de création d'une agence chargée de la coopération culturelle et linguistique, concernant son statut juridique, sa tutelle, son périmètre d'intervention et, enfin, ses relations avec le réseau culturel, ses personnels et les ambassades.

Il a rappelé que la future agence culturelle devrait se voir conférer le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial. En effet, le Sénat s'était clairement prononcé en faveur de cette option en adoptant à l'unanimité, le 13 février 2007, la proposition de loi de M. Louis Duvernois transformant CulturesFrance en EPIC.

S'agissant de la tutelle, la première recommandation du rapport vise à répondre à l'urgence suivante : clarifier une fois pour toutes le pilotage stratégique de l'agence, au niveau tant politique qu'administratif.

En effet, il est ressorti des auditions conduites par les deux commissions que l'engagement financier du ministère de la culture ne lui permet pas de prendre autant d'initiatives dans la définition des orientations stratégiques de la politique culturelle extérieure de la France que le ministère des affaires étrangères.

Dans ces conditions, le rapport propose de placer la future agence culturelle sous la tutelle d'une autorité politique clairement identifiée, à savoir le ministère des affaires étrangères.

Toutefois, M. Jacques Legendre, président, a souligné le risque de voir à terme la politique de coopération culturelle et linguistique de la France diluée, voire effacée au profit d'enjeux plus globaux, sans réelles visibilité et lisibilité sur les plans politique, administratif et surtout budgétaire.

En conséquence, il a émis le voeu que la simplification de la tutelle politique de la future agence s'accompagne de la mise en place d'un secrétariat d'État chargé de la francophonie, de l'audiovisuel extérieur et des relations culturelles extérieures, placé auprès du ministre des affaires étrangères, sur le modèle de la formule ministérielle inaugurée par Mme Catherine Tasca de 1992 à 1993.

En outre, il a jugé indispensable de dynamiser la concertation interministérielle en matière de diplomatie culturelle. A ce titre, une place privilégiée devrait être réservée au ministère de la culture au stade tant de l'élaboration que de la mise en oeuvre de la politique culturelle extérieure de la France :

- au stade de l'élaboration d'abord : il s'agit d'instituer un conseil d'orientation stratégique associant le ministère de la culture mais aussi les autres ministères concernés à la définition de la stratégie culturelle de la France à l'étranger ;

- au stade de la mise en oeuvre, ensuite : au-delà du maintien de représentants du ministère de la culture au sein du conseil d'administration de la future agence, il est également nécessaire de faire signer le contrat d'objectifs et de moyens liant l'agence à l'État par tous les ministres concernés (affaires étrangères, culture, enseignement supérieur et recherche et éducation nationale).

Il a également semblé utile aux rapporteurs de proposer la mise en place, auprès du président de l'agence, d'un comité scientifique qu'il présiderait afin d'assurer l'information régulière des différents secteurs culturels intéressés et, en tant que de besoin, d'organiser toute concertation qu'il estime nécessaire. Ce conseil devrait comprendre également des représentants des Alliances françaises et des représentants des collectivités territoriales.

S'agissant du périmètre d'intervention de la future agence, M. Jacques Legendre, président, a fait valoir que l'élargissement du champ de compétences de la future agence à la coopération universitaire, scientifique et technique présentait le risque principal d'affaiblir sa vocation culturelle première.

Dès lors, le rapport propose que le périmètre d'intervention de la future agence soit cohérent et centré sur son coeur de métier, c'est-à-dire la coopération culturelle et linguistique. Dans ces conditions, la future agence culturelle devrait se voir confier les missions exercées jusqu'à présent par CulturesFrance, auxquelles s'ajouteraient la diffusion de la langue française et la promotion du patrimoine audiovisuel français. En revanche, la coopération universitaire, scientifique et technique devrait en être exclue et confiée à un opérateur distinct en charge de la mobilité et de l'expertise internationales.

M. Jacques Legendre, président, a ensuite abordé la question complexe des relations entre la future agence, le réseau culturel et ses personnels, et les ambassades.

A cet égard, il a tout d'abord rappelé la position de la commission du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France qui avait jugé que le futur opérateur de la coopération culturelle devrait être « pleinement responsable de la mise en oeuvre de la politique qui lui est confiée » et que cela supposait que « le réseau culturel et le personnel qui le compose relèvent de sa compétence ».

Il a également relevé que la mise à la disposition auprès d'un établissement public à caractère industriel et commercial de services déconcentrés de l'État à l'étranger avait connu un précédent dans le transfert progressif du réseau commercial des missions économiques du ministère de l'économie à l'opérateur Ubifrance en charge de la politique de soutien au développement international des entreprises françaises.

Forts de ces enseignements, les présidents des deux commissions proposent de rattacher progressivement à l'agence le réseau culturel en faisant des établissements culturels à autonomie financière (c'est-à-dire les actuels instituts et centres culturels bientôt fusionnés avec les SCAC) les représentations locales de l'agence, qui continueraient d'être sous la tutelle des missions diplomatiques.

Cette recommandation prend précisément en compte l'exigence suivante : la nécessité de développer un label unique de la présence culturelle française à l'étranger, pour lui conférer une lisibilité et une cohérence qui lui font aujourd'hui cruellement défaut.

Parallèlement, il convient de consacrer le rôle de l'ambassadeur dans la déclinaison de l'action culturelle extérieure au niveau local, en lui confiant le cas échéant, la présidence d'un comité d'orientation stratégique et de programmation placé auprès de chaque établissement culturel.

S'agissant de la gestion des personnels du réseau culturel, l'objectif principal consiste à donner à l'agence les moyens de mener à bien une politique rénovée des ressources humaines, en lui permettant de jouer sur les leviers de la formation, de la professionnalisation des métiers de l'action culturelle extérieure et de la continuité des carrières. Cela suppose notamment que l'agence ait la responsabilité, en étroite collaboration avec l'ambassadeur, des affectations, des mutations et du recrutement des personnels relevant de sa compétence dans les établissements culturels à autonomie financière, notamment en ce qui concerne les personnels d'encadrement (c'est-à-dire les directeurs de centres).

En termes pratiques, il est possible de s'inspirer de l'exemple d'Ubifrance pour prévoir que les affectations et les mutations des responsables des établissements culturels à autonomie financière soient strictement soumises à l'avis de l'ambassadeur et que ce dernier instruira les demandes d'affectation des personnels affectés par l'agence dans ses bureaux à l'étranger.

M. Jacques Legendre, président, a regretté que les personnels du réseau culturel fassent trop souvent les frais des contraintes budgétaires et qu'ils servent en conséquence de variable d'ajustement. Il a souligné la nécessité de sanctuariser les moyens du réseau culturel de la France à l'étranger au sein d'une ligne budgétaire clairement identifiée au profit d'un opérateur soumis à un contrôle étroit, aussi bien à Paris sous la tutelle du Quai d'Orsay que sur le terrain sous la tutelle de l'ambassadeur. Dans ces conditions, la future agence aura la charge de mettre en oeuvre la rénovation de la politique des ressources humaines du réseau selon les axes suivants :

- remédier à l'insuffisance de la formation et de la professionnalisation des personnels, en leur garantissant une formation initiale minimale longue et en s'assurant que les directeurs de centres culturels disposent d'une formation spécifique à la gestion d'un établissement à autonomie financière ;

- garantir la continuité des parcours professionnels au sein du réseau culturel en alignant la durée d'immersion dans un pays d'accueil sur celle en vigueur chez nos principaux concurrents (idéalement cinq ans) ;

- renforcer la spécialisation des carrières en lien avec la coopération culturelle ;

- développer la mobilité interne (entre les administrations des différents ministères concernés) et externe ;

- s'appuyer sur une charte de la gestion des ressources humaines fondée sur une plus grande objectivité des critères de sélection et une transparence accrue des procédures de nomination, charte qui encadrera les affectations et les mutations ;

- enfin et surtout, revaloriser les conditions de travail et de formation des contractuels de droit local.

En conclusion, M. Jacques Legendre, président, a appelé de ses voeux un effort budgétaire substantiel en faveur de l'action culturelle extérieure et suggéré que les deux commissions se mobilisent en ce sens dès cet été, à l'occasion du débat d'orientation budgétaire, pour inviter le Gouvernement à revenir sur la diminution programmée des moyens du réseau culturel. Il a fait observer en effet qu'une nouvelle agence ne pourrait raisonnablement être créée à l'automne sans que lui soient consentis, en loi de finances, les moyens suffisants pour garantir la mise en oeuvre effective de cette réforme attendue de très longue date.

A la suite de la présentation des rapporteurs, un débat s'est engagé au sein des deux commissions.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est félicitée de ce que le Sénat ait manifesté un intérêt constant pour l'avenir du réseau culturel français à l'étranger. Souscrivant aux constats formulés par les rapporteurs, elle a ensuite détaillé sa position, partagée par Mme Catherine Tasca, sur les différentes propositions du rapport :

- les propositions des présidents des deux commissions sur la rénovation du cadre institutionnel de la diplomatie culturelle française vont dans le bon sens. La constitution d'un secrétariat d'État à la francophonie, à l'audiovisuel extérieur et aux relations culturelles extérieures devrait permettre notamment de développer des synergies entre les différents leviers de l'action culturelle de la France à l'étranger. L'effort de mise en cohérence de la politique culturelle extérieure de la France sera renforcé aussi bien par la consécration de l'unité de la tutelle de la future agence culturelle que par la mise en place d'outils de concertation interministérielle et de consultation de la société civile, tels que le conseil d'orientation stratégique et le comité scientifique ;

- la gestion des personnels culturels en poste à l'étranger et leur formation constituent deux préoccupations centrales de la réforme. Dans ce domaine, une collaboration étroite doit être envisagée avec le ministère de la culture afin notamment de développer des passerelles entre le réseau culturel français à l'étranger et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). L'accent doit être mis, en particulier, sur la continuité des parcours professionnels dans le domaine de l'action culturelle extérieure ainsi que sur la valorisation des compétences acquises sur le terrain ;

- il n'est pas concevable que la future agence chargée de la coopération culturelle et linguistique se limite à une simple structure parisienne totalement déconnectée du réseau culturel. C'est pourquoi Mme Monique Cerisier-ben Guiga a défendu le bien-fondé de la proposition n° 6 du rapport qui vise à confier, à terme, à l'agence le pilotage du réseau culturel de la France à l'étranger, selon un processus négocié et échelonné dans le temps. Elle a souligné la nécessité de prévenir tout risque d'autonomisation de l'agence vis-à-vis de sa tutelle, afin de ne pas répéter les errements de l'expérience de l'Agence française de développement (AFD) ;

- une coopération étroite doit être établie entre les Alliances françaises et les centres culturels français à l'étranger ; à cet égard, la coordination de nos multiples instruments d'influence culturelle à l'étranger doit être pilotée par des directions régionales de l'agence. En effet, si la mise en place d'un secrétariat d'État à la francophonie, à l'audiovisuel extérieur et aux relations culturelles extérieures devrait conférer une plus forte impulsion centrale à l'élaboration d'une politique culturelle extérieure cohérente, cette dernière doit faire l'objet d'une mise en oeuvre qui tienne compte des spécificités des grands ensembles géographiques sous l'égide de structures régionales adaptées.

M. Yves Dauge a partagé le constat des rapporteurs selon lequel la stratégie culturelle de la France à l'étranger souffre depuis trop longtemps de l'absence d'une autorité de commandement clairement identifiée. Il a regretté que ce déficit de pilotage stratégique conduise à systématiquement considérer l'action culturelle extérieure comme une simple annexe de la diplomatie.

En outre, il a insisté pour que la définition de la stratégie culturelle de la France à l'étranger prenne en compte les deux éléments fondamentaux suivants : une dimension européenne renforcée et la promotion de la diversité culturelle sur le fondement de la convention de l'UNESCO d'octobre 2005.

En effet, la reconnaissance de la culture comme une composante à part entière de la diplomatie d'influence française ne pourra s'imposer sans mettre en avant la dimension européenne de l'action extérieure. De plus, dans un contexte de crise, la France est « attendue au tournant » sur la réalité et la sincérité des principes qui forgent sa diplomatie d'influence, au premier rang desquels figurent la diversité culturelle et le multilatéralisme.

M. Yves Dauge a également plaidé pour le rattachement progressif du réseau culturel et le transfert de la gestion de ses personnels à la future agence, afin que celle-ci ne se résume pas à une simple « coquille vide ». Cette évolution apparaît indispensable dès lors que le système actuel de gestion des personnels culturels en poste à l'étranger ne permet pas la poursuite harmonieuse des carrières au sein du réseau.

Enfin, il a souligné l'apport essentiel de la coopération décentralisée dans la conduite de l'action culturelle extérieure de la France : l'action extérieure des collectivités territoriales françaises constitue un levier exceptionnel au service de la promotion de la diversité culturelle en multipliant les échanges entre les milieux culturels français et étrangers au travers de projets concrets.

M. Joseph Kergueris a estimé que ce rapport d'information commun constituera une base solide à l'appui d'un projet politique fort et cohérent, largement consensuel, qui permettra en particulier aux deux commissions de défendre énergiquement les crédits de l'action culturelle extérieure lors de la préparation du budget. Il a fait valoir que les propositions des deux présidents sur le renforcement du pilotage politique et administratif de l'opérateur en charge de la coopération culturelle et linguistique et sur la rénovation de la gestion des ressources humaines du réseau culturel constituaient les deux points forts du rapport d'information. A cet égard, il a souligné la nécessité pour les deux commissions de se montrer fermes sur leurs propositions communes afin de les défendre efficacement, dans une démarche pédagogique, contre d'éventuelles réticences de la part de l'administration.

M. Ivan Renar a salué la qualité de la réflexion menée par les deux rapporteurs. Il a approuvé notamment le souhait qu'ils ont émis de voir se mettre en place un secrétariat d'État à la francophonie, à l'audiovisuel extérieur et aux relations culturelles extérieures : cette clarification institutionnelle va dans le sens d'un renforcement de la lisibilité tant politique et administrative que budgétaire de l'action culturelle de la France à l'étranger. Il a toutefois insisté pour que le rapport développe les points suivants :

- un lien étroit doit être aménagé entre l'ambassadeur et les représentations locales de l'agence, en permettant notamment à l'attaché culturel de l'ambassade de superviser la mise en oeuvre de la politique culturelle de la France sur le terrain ;

- au moment où les Etats-Unis d'Amérique et la Chine se sont engagés dans une politique d'influence conquérante et audacieuse, la France se doit de revenir sur la diminution programmée des ressources consenties à sa diplomatie culturelle. Il a appelé les deux commissions à interpeller énergiquement le Gouvernement sur ce sujet ;

- la coopération décentralisée a vocation à devenir un instrument central dans la mise en oeuvre de la stratégie culturelle de la France à l'étranger, au service des échanges entre artistes français et étrangers au niveau local.

Mme Marie-Christine Blandin a considéré que le souci principal de la réforme devait être de faire en sorte que les spécificités de la coopération culturelle et linguistique ne se retrouvent pas diluées au sein de la politique conduite par la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, essentiellement axée sur la compétition dans une mondialisation envisagée dans ses aspects économiques et commerciaux. Elle a estimé que les propositions des deux commissions en faveur du rattachement du réseau culturel et du transfert de la gestion de ses personnels à l'agence devaient être fermes et affichées clairement. Par ailleurs, elle s'est inquiétée de la diminution dramatique des moyens consentis au dispositif français d'action culturelle à l'étranger ; elle a relevé, à cet égard, que les collectivités territoriales étaient en passe de consacrer globalement plus de crédits à l'action culturelle extérieure que l'État. Elle a plaidé, enfin, pour une coopération étroite entre l'agence chargée de la coopération culturelle et linguistique et les établissements d'enseignement français à l'étranger gérés par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

M. Jean-Pierre Leleux a salué l'excellent travail réalisé par les deux rapporteurs. Il a estimé que, face à la forte dégradation de la présence culturelle française à l'étranger et à l'influence croissante des instituts culturels britanniques, allemands, espagnols et chinois, un sursaut était indispensable.

Il a mentionné, en particulier, les difficultés rencontrées par les jeunes étudiants marocains pour obtenir un visa afin de poursuivre leurs études en France, ce qui les incite bien souvent à se tourner vers les centres culturels d'autres pays, comme l'Espagne.

Il a également insisté sur l'importance de la coopération décentralisée en matière d'échanges et de coopération dans le domaine culturel, en rappelant que, par le biais des collectivités territoriales, la France pourrait multiplier sa présence culturelle hors de ses frontières.

M. Louis Duvernois a également félicité les deux présidents pour leur rapport, dont les orientations se situent dans le droit fil de son propre rapport sur la stratégie culturelle extérieure de la France qu'il actualise. A la lumière des précédentes interventions, il a souligné qu'un large consensus semblait se dégager sur les orientations proposées et il a émis le voeu que les deux commissions adressent un message fort et unanime au Gouvernement et, en particulier, au ministère des affaires étrangères et européennes concernant la réforme du dispositif culturel français à l'étranger.

Il a regretté que, au cours de ces dernières années, quels qu'aient été les gouvernements ou les ministres en place, l'action culturelle extérieure n'ait pas suscité toute l'attention qu'elle méritait de la part du Quai d'Orsay. La création d'un secrétariat d'Etat à la francophonie, à l'audiovisuel extérieur et aux relations culturelles extérieures constituerait, de ce point de vue, une avancée significative.

Il a également fait part des ses inquiétudes s'agissant des orientations actuelles concernant la future agence chargée de la coopération culturelle et linguistique, et, en particulier, des réticences manifestées par le ministère des affaires étrangères à ce que le réseau des établissements culturels à l'étranger ainsi que ses personnels soient rattachés à l'agence. Il a estimé que, si la mise en place de cette agence devait aboutir à une « coquille vide », le Parlement devrait s'y opposer, soulignant à cet égard que la gestion des personnels devrait être confiée à terme à la future agence chargée de la coopération culturelle et linguistique. Il a indiqué qu'il était favorable à la limitation du périmètre de la future agence à la coopération culturelle, de manière à aboutir à trois opérateurs distincts en charge de l'influence culturelle et intellectuelle française à l'étranger : un nouvel opérateur serait chargé de la mobilité internationale ; il serait issu de la fusion entre CampusFrance, Egide et France Coopération Internationale, et l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. Il conviendrait d'encourager les mutualisations et les synergies entre ces trois opérateurs, qui seraient regroupés à Paris au sein d'une « maison des opérateurs ».

Il a rappelé, à cet égard, que sa proposition de loi sur la transformation de CulturesFrance en établissement public à caractère industriel et commercial avait été adoptée à l'unanimité par le Sénat.

Il a estimé que la création d'un secrétariat d'Etat à la francophonie, à l'audiovisuel extérieur et aux relations culturelles extérieures ainsi que la mise en place d'une agence chargée de la coopération culturelle seraient de nature à relancer l'action culturelle extérieure.

A son tour, M. Jean Faure a souligné l'importance de ce rapport, dont il a indiqué partager les principales orientations. Il a toutefois estimé nécessaire d'impliquer davantage les collectivités territoriales dans l'élaboration de la stratégie culturelle à l'étranger, eu égard à l'importance croissante de la coopération décentralisée dans ce domaine. A ce titre, il a regretté l'insuffisante coordination entre l'action extérieure de l'Etat et celle des collectivités territoriales, les services de coopération et d'action culturelle des ambassades et les collectivités territoriales s'ignorant souvent mutuellement, ce qui entraîne parfois des chevauchements entre les initiatives et une moindre efficacité de la politique de coopération culturelle. Il a proposé l'élaboration d'une charte de la coopération décentralisée, dans laquelle les collectivités territoriales s'engageraient à informer au préalable les services de coopération et d'action culturelle des ambassades et les services du Quai d'Orsay des projets de coopération culturelle qu'elles entendent mener avec des institutions étrangères. Il a également regretté l'attitude restrictive de certains consulats en matière de délivrance des visas, qui peut entraîner des obstacles à la mise en oeuvre de projets conduits dans le cadre de la coopération décentralisée. Il a indiqué que l'action culturelle extérieure ne pouvait pas reposer sur l'exportation du modèle culturel français mais sur un échange avec les cultures des pays d'accueil.

M. Jacques Blanc est allé dans le même sens en soulignant l'importance de la coopération décentralisée, tout en estimant indispensable de concilier le principe de libre administration des collectivités territoriales et la nécessité de renforcer la coordination de l'action culturelle à l'étranger. Il a indiqué partager les orientations du rapport concernant le projet de création d'une agence chargée de la coopération culturelle et linguistique.

M. Jean-Louis Carrère a également rendu hommage au travail réalisé par les deux rapporteurs et s'est déclaré en accord avec les principales orientations du rapport. Il a souhaité toutefois que ce rapport mette davantage l'accent sur la dimension européenne de l'action culturelle nationale, l'Union européenne ayant un rôle essentiel à jouer en matière de diversité culturelle dans le cadre de la mondialisation et face au risque consécutif d'un nivellement de la culture. Il a également souhaité que le rapport insiste davantage sur l'importance de la coopération décentralisée, jugeant que les collectivités territoriales devaient être associées non seulement à la mise en oeuvre de l'action culturelle à l'étranger, mais aussi à la définition de la stratégie à poursuivre dans ce domaine. Il a aussi fait part de ses préoccupations concernant la mauvaise image de la France à l'étranger véhiculée par la politique d'immigration du Gouvernement. Enfin, s'agissant des moyens budgétaires et humains consacrés à la diplomatie culturelle, il a indiqué avoir pris note des positions exprimées par les deux commissions en vue du futur débat d'orientation budgétaire et de la discussion de la prochaine loi de finances.

Mme Bernadette Bourzai a indiqué que, à l'occasion d'un déplacement en Roumanie, notamment dans la ville de Cluj, elle avait pu mesurer l'attente des Roumains à l'égard de la France et elle a déploré la diminution des moyens de la coopération culturelle avec ce grand pays membre de l'Union européenne, francophone et francophile.

Elle a également regretté la suppression de la subvention du ministère des affaires étrangères au festival des Francophonies en Limousin.

Mme Gisèle Gautier s'est félicitée du large consensus entre les deux commissions sur la nécessité de réformer en profondeur le dispositif français d'action culturelle à l'étranger. Au regard des déficiences multiples constatées, elle a estimé que les deux commissions devraient manifester leur détermination commune auprès des plus hautes autorités de l'Etat.

En réponse, M. Josselin de Rohan, président, a constaté que les principales orientations proposées semblaient recueillir un large consensus au sein des deux commissions.

Afin de tenir compte des observations formulées, et dans le souci de peser véritablement sur les décisions qui seront prises concernant la réforme de l'action culturelle extérieure, il a indiqué que le rapport insisterait davantage sur la dimension européenne de la coopération culturelle, qu'il insisterait clairement sur la nécessité de rattacher le réseau des établissements culturels et de confier la gestion des ressources humaines du personnel de ce réseau à la future agence chargée de la coopération culturelle et qu'il mettrait davantage l'accent sur la coopération décentralisée en proposant de mieux associer les collectivités territoriales à l'élaboration de la stratégie culturelle à l'étranger.

M. Jacques Legendre, président, s'est également félicité que les deux commissions soient parvenues à s'accorder sur des propositions communes concernant la réforme de l'action culturelle à l'étranger, en indiquant que sur certains aspects, comme la tutelle de la future agence chargée de la coopération culturelle, des divergences auraient pu apparaître entre les deux commissions, notamment sur les places respectives du ministère des affaires étrangères et du ministère de la culture.

Il a rappelé que la France avait été à l'origine du concept de diplomatie culturelle, dès la fin du XIXème siècle, et que notre pays avait un rôle essentiel à jouer concernant la diffusion de sa culture et de sa langue dans le monde et la promotion de la diversité culturelle.

Il a souligné à cet égard l'importance de la mise en place d'un secrétariat d'Etat à la francophonie, à l'audiovisuel extérieur et aux relations culturelles extérieures ainsi que celle des échanges culturels, notamment par le biais des saisons culturelles croisées, à l'image de l'année du Brésil en France en 2009 ou de l'année de la Russie en 2010.

S'agissant des orientations du rapport, et afin de favoriser un large consensus entre les deux commissions, il s'est également déclaré favorable à ce que le rapport mette davantage l'accent sur le rôle des milieux culturels et artistiques, ainsi que sur celui des collectivités territoriales non seulement dans la mise en oeuvre, mais aussi dans la définition des priorités stratégiques de l'action culturelle à l'étranger. Il a rappelé, à ce titre, qu'une proposition de loi avait été adoptée, à l'initiative de M. Michel Thiollière, et que son prédécesseur à la présidence de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, avait été désigné ambassadeur itinérant pour l'Asie plus particulièrement chargé de la coopération décentralisée.

M. Jacques Legendre, président, s'est déclaré favorable à ce que le réseau des établissements culturels à l'étranger ainsi que la gestion des ressources humaines du personnel de ce réseau soient rattachés à cette agence. Il a indiqué, à cet égard, que l'agence devait conserver des liens étroits avec le ministère des affaires étrangères qui exercera seul la tutelle sur cette agence.

M. Ivan Renar, au nom du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, et M. Jean-Louis Carrère, au nom du groupe socialiste, ont alors indiqué que, compte tenu de la prise en compte de leurs observations, les membres de leur groupe respectif voteraient les recommandations proposées par les deux rapporteurs.

A l'issue de ce débat, et en tenant compte des observations précédemment formulées, la commission des affaires étrangères et de la défense et la commission des affaires culturelles ont adopté à l'unanimité les recommandations proposées par les deux rapporteurs et en ont autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 - Audition de M. Jacques Belle, président de la commission consultative du secret de la défense nationale

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Jacques Belle, président de la commission consultative du secret de la défense nationale, sur les dispositions du projet de loi de programmation militaire 2009-2014 relatives au secret de la défense nationale.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que les articles 12, 13 et 14 du projet de loi de programmation militaire portaient sur la procédure applicable lorsqu'une perquisition vise ou est susceptible de viser des éléments classifiés et protégés au titre du secret de la défense nationale. Le texte proposé repose sur l'intervention du président de la commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) aux côtés du magistrat au cours de la procédure.

Il a indiqué que la commission des lois se saisirait pour avis de ces dispositions et il a salué la présence de son président, M. Jean-Jacques Hyest, et du rapporteur pour avis, M. François Pillet.

Il a ajouté que l'audition de M. Jacques Belle, président de la CCSDN, visait à recueillir son sentiment sur le dispositif proposé, tel qu'il ressort des amendements qui ont été adoptés le 9 juin par l'Assemblée nationale.

M. Jacques Belle a rappelé que la loi du 8 juillet 1998 portant création de la commission consultative du secret de la défense nationale avait chargé cette dernière d'une mission d'assistance aux procédures juridictionnelles dès lors qu'elles se trouvaient face à des éléments protégés au titre du secret de la défense nationale. Il a rappelé que le code pénal définissait le secret de la défense nationale et incriminait toute compromission de ce secret, y compris par simple imprudence. La CCSDN est appelée à donner au ministre responsable un avis sur l'éventuelle déclassification de documents ou de supports, en vue de leur transmission aux juridictions. Le projet de loi élargit ses compétences en l'associant aux procédures de perquisition pour les rendre compatibles avec la protection du secret de la défense nationale.

M. Jacques Belle a ensuite commenté les dispositions prévues par le projet de loi de programmation militaire, tel qu'amendé par l'Assemblée nationale.

L'une des innovations majeures du projet de loi est la notion de lieu classifié, définie par un nouvel article 413-9-1 du code pénal. Il s'agit de lieux auxquels l'accès donne par lui-même connaissance d'un secret de la défense nationale. L'accès à ces lieux sera subordonné, y compris pour un magistrat, à une déclassification temporaire préalable faisant intervenir un avis du président de la CCSDN.

M. Jacques Belle a cité des exemples de sites correspondant à cette définition relativement restrictive. Il a observé que, au cours de ces dernières semaines, des indications diverses avaient été donné sur le nombre de sites concernés, le Gouvernement ayant cité le chiffre de dix-neuf lors du débat à l'Assemblée nationale. Il s'est interrogé sur l'amendement adopté par l'Assemblée nationale, qui prévoit la publication au Journal officiel de l'arrêté du Premier ministre décidant de la classification de ces lieux, le Gouvernement ayant par ailleurs indiqué que cet arrêté serait accompagné d'une annexe non publiée désignant ces lieux de manière plus précise.

L'autre innovation du projet de loi réside dans la modification du code de procédure pénale pour répondre au cas où un magistrat - procureur ou juge d'instruction - souhaite effectuer une perquisition dans des lieux où il peut soit trouver des éléments classifiés, soit rechercher de tels éléments.

M. Jacques Belle a tout d'abord estimé que l'Assemblée nationale avait amélioré le dispositif prévu relatif à l'hypothèse de la découverte fortuite d'éléments classifiés dans un lieu « neutre », non répertorié comme abritant ordinairement des éléments classifiés. Le texte de l'article 12 a été modifié de telle sorte que la perquisition ne soit pas interrompue, les éléments classifiés étant placés sous scellés dans des conditions évitant une compromission du secret de la défense nationale.

Il a ensuite évoqué la procédure prévue par l'article 12 pour les cas où le magistrat souhaite effectuer une perquisition dans des lieux abritant ordinairement des éléments classifiés, soulignant que le texte visait à concilier les objectifs de l'enquête, à savoir la recherche ou la poursuite d'infractions pénales, et la protection du secret de la défense nationale. La présence du président de la CCSDN ou de son représentant a précisément pour but de concilier ces deux impératifs.

M. Jacques Belle a indiqué que l'Assemblée nationale s'était montrée soucieuse de préserver l'effet de surprise propre à toute perquisition et qu'elle avait souhaité à cet égard que le président de la CCSDN ou son représentant puisse répondre « sans délai » à une demande de perquisition formulée par les magistrats. Il a précisé qu'elle avait prévu à cet effet que le président de la CCSDN puisse désigner des délégués habilités, mais a jugé probable, étant donné le caractère relativement peu courant de ce type de perquisition, que cette mission puisse être assurée par les membres de la commission eux-mêmes.

Il a indiqué ensuite que l'Assemblée nationale avait souhaité dissocier le moment où le président est saisi de la demande du magistrat et celui où ce dernier l'informe de la nature de l'infraction, des raisons justifiant la perquisition et de l'objet de celle-ci, ces éléments lui étant communiqués au commencement de la perquisition, au même titre qu'au chef d'établissement ou responsable du lieu.

Tout en soulignant qu'il était essentiel de préserver l'effet de surprise vis-à-vis des personnes ou services perquisitionnés, il s'est étonné que cette préoccupation se soit également manifestée vis-à-vis de la CCSDN et de son président. En effet, l'ensemble du dispositif mis en place pour permettre au magistrat d'obtenir, au terme de la procédure, des éléments initialement couverts par le secret de la défense nationale repose sur l'intervention du président de la CCSDN, chargé de sélectionner, parmi les éléments recueillis lors de la perquisition, ceux qui peuvent contribuer à l'enquête.

M. Jacques Belle a souligné que la loi de 1998 amenait le président de la CCSDN à partager le secret de l'instruction et qu'il en serait de même, avec le nouvel article 56-4 du code de procédure pénale dans le cadre de perquisitions dans des lieux abritant ordinairement des lieux classifiés. Il s'est interrogé sur l'intérêt de retarder le moment auquel le président de la CCSDN accède au secret de l'instruction alors que la bonne marche des phases ultérieures de la procédure implique une étroite coopération entre celui-ci et le magistrat.

M. Jacques Belle a indiqué qu'il ne lui paraissait pas cohérent d'informer dans les mêmes conditions, au même moment et dans les mêmes termes, le président de la CCSDN et le responsable du lieu perquisitionné sur l'objet de la perquisition, leur situation étant fondamentalement différente puisque le président de la CCSDN a mission d'assister le magistrat pour faciliter son enquête.

A la suite de cet exposé, M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois, a estimé que l'amendement adopté le 9 juin par l'Assemblée nationale aboutissait à une situation choquante, peu conforme à l'esprit même du statut d'une autorité administrative indépendante, le président de la CCSDN n'étant pas associé dès le début de la procédure alors qu'il est nécessairement amené à partager le secret de l'instruction. Il s'est étonné de telles réticences, alors même que l'acte par lequel le président de la CCSDN est informé des raisons et de l'objet de la perquisition est loin d'être le plus important au regard des prérogatives qui lui seront confiées par les nouvelles dispositions. Par ailleurs, il a rappelé que l'article 56-1 du code de procédure pénale définissait des modalités particulières de perquisition dans les cabinets d'avocats imposant la présence du bâtonnier, ce dernier étant chargé de veiller au respect du secret professionnel. Il a jugé qu'il serait paradoxal de témoigner vis-à-vis de l'implication du président de la CCSDN dans la procédure de perquisition des réticences qui n'apparaissent pas dans les dispositions régissant l'intervention du bâtonnier.

M. Josselin de Rohan, président, a estimé que le secret de la défense nationale, dont certains agents de l'Etat étaient les dépositaires, ne pouvait pas être moins protégé que le secret professionnel en cas de perquisition.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, a souligné que le projet de loi visait avant tout à permettre aux magistrats de mener leurs enquêtes sans tomber sous le coup des dispositions qui incriminent les compromissions du secret de la défense nationale. En effet, les magistrats ne sont pas habilités à prendre connaissance d'éléments classifiés, sous peine d'enfreindre les dispositions du code pénal.

M. Didier Boulaud a souhaité savoir si la CCSDN pourrait faire face à des demandes de perquisitions simultanées.

M. Jacques Belle a estimé que l'éventualité de perquisitions simultanées était limitée par le fait que la perquisition ne peut être réalisée que par un magistrat. Dans ces conditions, l'effectif de la CCSDN paraît en mesure de répondre aux demandes.

M. Joseph Kergueris, revenant sur le parallèle effectué entre le rôle du bâtonnier et celui du président de la CCSDN lors des perquisitions, a souligné les garanties particulières attachées au statut d'autorité administrative indépendante qui est celui de la CCSDN.

M. Jean-Pierre Chevènement s'est demandé s'il était réellement indispensable de mettre en place un dispositif aussi complexe qui instaure en outre la notion problématique de lieux classifiés, et si la législation actuelle ne permettait pas déjà d'assurer de manière satisfaisante la protection du secret de la défense nationale. Observant que l'exposé des motifs du projet de loi se référait à un avis du Conseil d'Etat, il a souhaité savoir dans quelle mesure les dispositions proposées découlaient des observations et préconisations émises par celui-ci.

M. Jacques Belle a répondu que le Conseil d'Etat avait préconisé l'extension des compétences de la CCSDN pour les procédures de perquisition, dans la mesure où les magistrats ne peuvent être habilités au secret de la défense nationale. Le Conseil d'Etat a précisé que les magistrats ne pouvaient déléguer à des officiers de police judiciaire, même s'ils sont habilités, plus de pouvoirs qu'ils n'en détiennent eux-mêmes. Enfin, le Conseil d'Etat a également confirmé que dans l'état actuel de la législation, aucun lieu quel qu'il soit n'était interdit d'accès aux magistrats.

M. Jean-Pierre Chevènement a estimé qu'on ne pouvait déduire de l'avis du Conseil d'Etat qu'il était nécessaire d'instaurer une catégorie de lieux classifiés. Il a souhaité savoir si la modification du cadre législatif avait été rendue nécessaire par des compromissions du secret de la défense nationale qui auraient été commises lors de perquisitions.

M. Jacques Belle a confirmé que de telles compromissions s'étaient effectivement produites. Il a cité l'exemple d'un document classifié relatif à la sécurité informatique d'un grand groupe industriel qui a été saisi dans des conditions qui ne permettaient pas sa protection.

Un débat est alors intervenu sur le caractère de secret de la défense nationale attaché à un tel document. M. Roger Romani a souligné que le secret de la défense nationale allait très au-delà du domaine strictement militaire et couvrait les activités de nombreuses entreprises, notamment de défense. Il a par ailleurs insisté sur le caractère hautement sensible des données liées à la sécurité informatique et rappelé que le Livre blanc faisait de la protection des systèmes d'information une priorité de la stratégie de défense et de sécurité.

Après que M. André Dulait s'est interrogé sur la nécessité de définir des lieux classifiés, M. Jacques Belle a indiqué que, aux termes du nouvel article 413-9-1 du code pénal proposé par l'article 13 du projet de loi, il s'agirait de lieux dont l'accès donne par lui-même connaissance d'un secret de la défense nationale.

M. Robert Badinter a estimé légitime de définir les conditions dans lesquelles la recherche de la vérité par le magistrat instructeur peut s'exercer dans des lieux sensibles, mais il a considéré que la protection devait moins s'attacher aux lieux eux-mêmes qu'aux documents ou éléments classifiés qui s'y trouvent.

M. Didier Boulaud a rappelé que l'un des objectifs du dispositif proposé par le projet de loi était que seuls soient saisis lors d'une perquisition, dans des conditions garantissant leur protection, des éléments classifiés en rapport avec l'enquête.

Après avoir remercié M. Jacques Belle, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que la commission examinerait les dispositions du projet de loi et les amendements éventuels les 30 juin et 1er juillet prochains.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, a précisé que la commission des lois envisageait d'examiner les articles 12, 13 et 14 le 24 juin et que ses amendements éventuels pourraient ainsi être examinés par la commission saisie au fond.