Mardi 29 avril 2014

- Présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président -

La réunion est ouverte à 14 h 18.

Rééquilibrage des règles relatives à la perception de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité au bénéfice des communes - Examen des amendements au texte de la commission

La commission procède tout d'abord à l'examen des amendements éventuels au texte de la commission n° 476 (2013-2014) sur la proposition de loi n° 415 (2013-2014) de M. Jacques Mézard et des membres du groupe RDSE, tendant à rééquilibrer les règles relatives à la perception de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité au bénéfice des communes.

M. François Marc, rapporteur général. - Lors de l'examen des amendements de commission sur cette proposition de loi, plusieurs de nos collègues avaient voulu concentrer davantage la ressource au niveau des autorités organisatrices de la distribution d'électricité, d'autres souhaitant au contraire revenir sur des situations existantes et redonner plus de choix aux communes, y compris celles de moins de 2 000 habitants.

Nous avions choisi une position simple et équilibrée consistant à revenir à la situation antérieure à la loi de finances rectificative pour 2013, ni plus, ni moins. Je vous propose de confirmer cette position et, donc, de donner un avis défavorable aux amendements qui nous sont soumis. Les amendements n° 4 rectifié bis et 5 rectifié bis d'Alain Richard suppriment tout transfert automatique de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité au bénéfice des communes (TCCFE), y compris pour les communes de moins de 2 000 habitants, contrairement au droit en vigueur, et fragiliseraient donc certaines autorités organisatrices de la distribution d'électricité. Quant à l'amendement n° 1 rectifié bis de Pierre Jarlier, son 1° est satisfait par le mécanisme actuel de reversement au bénéfice des communes de moins de 2 000 habitants ; son 2°, qui laisse les communes choisir et modifier la part de TCCFE qu'elles transfèrent, réduirait la visibilité du syndicat sur ses ressources ; son 3°, enfin, crée une contrainte pour les syndicats et les communes en imposant de prendre une décision sur le transfert de la TCCFE dans les six mois qui suivent le renouvellement des conseils municipaux.

Mme Michèle André. - Nous suivons l'avis du rapporteur général.

M. Pierre Jarlier. - Comme je l'ai déjà dit lors de la présentation du rapport, la vraie question est celle de l'automaticité du transfert de la TCCFE pour les communes de moins de 2 000 habitants lorsqu'elles ont transféré la compétence : pourquoi prévoir cette automaticité alors qu'il ne s'agit pas d'une taxe affectée ? Au conseil syndical de dire s'il a besoin de la totalité de ces sommes pour fonctionner, ou si une partie suffirait. Dans bien des syndicats, le transfert de compétences n'est pas total. À l'heure où les communes voient leurs dotations fondre, un peu de souplesse serait bienvenue. La TCCFE n'est pas une taxe affectée : rien n'oblige à ce qu'elle soit dédiée aux syndicats. Mon amendement propose donc que l'on étudie, à chaque renouvellement des conseils municipaux, si le syndicat a besoin de la totalité de la taxe ou non. C'est un amendement d'appel, mais la question mérite d'être posée.

M. François Marc, rapporteur général. - Vos arguments sont légitimes et recevables. Il est vrai que les communes sont confrontées à des situations budgétaires compliquées.

M. Philippe Dallier. - En effet !

M. François Marc, rapporteur général. - On peut souhaiter, comme le propose votre amendement, que ce soient les communes qui régulent les ressources des syndicats ou, à l'inverse, préférer que les syndicats régulent leurs ressources en fonction des investissements nécessaires, étant entendu qu'ils ont la possibilité de reverser tout ou partie des sommes perçues à leurs communes membres.

Il me semble qu'il y a une certaine unanimité, que ce soit parmi les associations d'élus ou au Gouvernement, pour aller vers plus de mutualisation et qu'il faut donc privilégier une régulation au niveau intercommunal.

Articles additionnels avant l'article 1er

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4 rectifié bis, ainsi qu'à l'amendement n° 5 rectifié bis.

Article 1er

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié bis.

Programme de stabilité - Communication

La commission entend ensuite une communication de M. François Marc, rapporteur général, sur le projet de programme de stabilité avant sa transmission à la Commission européenne, en application de l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

M. François Marc, rapporteur général. - Les États membres de l'Union européenne transmettent au Conseil et à la Commission, chaque année avant la fin du mois d'avril, leurs programmes de stabilité et leurs programmes nationaux de réforme. En mai-juin, la Commission européenne évalue ces programmes et élabore un projet de recommandations pour chaque pays. Le Conseil de l'Union examine ce projet et arrête des recommandations, qui sont ensuite présentées au Conseil européen pour approbation. En juillet, le Conseil adopte les recommandations par pays et les États membres sont invités à les mettre en oeuvre, notamment dans leur prochain projet de budget. La transmission du programme de stabilité ouvre donc une séquence essentielle du semestre européen.

La France poursuit un double objectif budgétaire : ramener le déficit effectif en dessous de 3 % du PIB en 2015, le Conseil ayant autorisé, dans sa décision du 21 juin 2013, le report de la correction du déficit excessif de 2013 à 2015 ; ramener le solde structurel à zéro en 2017.

Le Gouvernement retient une hypothèse de croissance de 1 % pour 2014, légèrement supérieure à celle du projet de loi de finances. La note de conjoncture de l'INSEE publiée en mars prévoit déjà un acquis de croissance de 0,7 % à la fin du premier semestre. En 2015, le Gouvernement anticipe une croissance de 1,7 %. Ces hypothèses sont très proches de celles de la Commission européenne, de l'OCDE et du FMI.

Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) estime que « la prévision de croissance du Gouvernement de 1 % pour l'année 2014 est réaliste et que le scénario sur lequel elle repose n'est affecté d'aucun risque baissier majeur ». Pour 2015, il considère que « l'hypothèse d'une croissance de 1,7 % en 2015 n'est pas hors d'atteinte, mais que le scénario macroéconomique du Gouvernement repose sur la réalisation simultanée de plusieurs hypothèses favorables ». Il fait état de fragilités résidant essentiellement dans l'estimation de l'impact économique du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ainsi que du Pacte de responsabilité et de solidarité, qui pourrait être plus tardif que ne le prévoit le Gouvernement.

Pour 2016 et 2017, le Gouvernement retient une hypothèse de croissance de 2,25 %. Le scénario macroéconomique associé au projet de loi de finances pour 2014, qui anticipait une progression de 2 % pour chacune de ces deux années, est actualisé afin de tenir compte des effets du Pacte de responsabilité et de solidarité qui, selon le Gouvernement, « soutiendrait la croissance à hauteur de 0,25 point en 2016 et 2017 et permettrait la création de 190 000 emplois à l'horizon 2017 », comme l'a récemment rappelé le Premier ministre.

Le Haut Conseil juge « optimiste le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2016-2017, car il repose sur des hypothèses favorables tant pour le soutien apporté par l'environnement international que pour le dynamisme de la demande intérieure ». Mais, dans les périodes sombres que nous traversons, n'est-il pas bienvenu de réhabiliter la vertu de l'optimisme ?

M. Aymeri de Montesquiou. - Soyons fous.

M. Vincent Delahaye. - Le précédent Gouvernement était déjà bien optimiste...

M. François Marc, rapporteur général. - En tout état de cause, la révision à la hausse des prévisions de croissance pour 2016 et 2017 n'a qu'un effet limité sur la trajectoire des finances publiques. Avec une croissance de 2 %, le solde structurel resterait inchangé, le solde public serait de - 1,6 % du PIB et la dette publique de 92,8 % en 2017 : les effets concrets de la réévaluation des anticipations de croissance pour les années 2016 et 2017 doivent donc être relativisés.

La trajectoire pluriannuelle des finances publiques vise à ramener le solde public à - 3 % du PIB en 2015, et à - 1,3 % en 2017, et le solde structurel à - 0,25 % en 2017. La dette publique serait stabilisée dès 2015 et décroîtrait en 2016 pour atteindre 91,9 % du PIB en 2017. La trajectoire de solde structurel a dû être décalée depuis le dernier programme de stabilité. En effet, le solde structurel pour 2011 a été réévalué à la fin du premier semestre 2013, ce qui a conduit à réviser à la baisse le solde structurel de 0,2 point en 2012. La faiblesse de la conjoncture économique en 2013 a creusé l'écart par rapport à la trajectoire. Le rendement des mesures nouvelles en recettes a été moindre qu'anticipé et des dépenses imprévues ou non maîtrisables ont dû être réalisées. En revanche, les dépenses de l'État et celles relevant de l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM), maîtrisables, ont été inférieures à la prévision - nous y reviendrons lors de l'examen du projet de loi de règlement.

Dans ces conditions, le solde structurel s'établirait à - 2,9 % du PIB en 2013, soit 1,3 point de moins que la cible retenue par la loi de programmation, ce qui devrait conduire au déclenchement du mécanisme de correction par le HCFP à l'occasion du projet de loi de règlement. Ce mécanisme joue en cas d'écart supérieur à 0,5 point de PIB sur une année entre le solde structurel et la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques.

Le solde public serait de - 4,3 %, selon les données publiées par l'Insee le 31 mars dernier, alors que la prévision associée au projet de loi de finances pour 2014 était de - 4,1 %. Cela s'explique par le ralentissement des recettes publiques et par le creusement du déficit des administrations publiques locales (APUL), multiplié par 2,5 entre 2012 et 2013. Afin de réduire l'écart par rapport à la trajectoire, le Gouvernement a d'ores et déjà programmé une réduction des dépenses de 4 milliards d'euros pour 2014. L'effort à consentir pour atteindre les 3 % du PIB serait ainsi réparti entre 2014 et 2015.

La répartition des efforts en dépenses et en recettes s'inverse à partir de 2014, comme s'y est engagé le Gouvernement. Dans un premier temps, l'ajustement des finances publiques a reposé sur les recettes, qui ont un effet moins pro-cyclique, à court terme, que les baisses de dépenses. Une fois la reprise de l'activité engagée, on passe aux économies.

La trajectoire de redressement des comptes publics de 2015 à 2017 repose sur un effort inédit de 50 milliards d'euros d'économies, qui implique une maîtrise sans précédent de l'évolution de la dépense publique. Cette dernière augmenterait en volume de 0,1 % en moyenne entre 2015 et 2017, mais baisserait de 0,3 % en 2015. Une partie substantielle de l'effort serait alors réalisée dès 2015 - année au titre de laquelle 21 milliards d'euros d'économies sont prévus. Le total des économies sera ensuite porté à 37 milliards d'euros environ en 2016, et atteindra les 50 milliards d'euros en 2017.

Les efforts seront partagés entre les différentes catégories d'administrations en fonction de leur poids dans la dépense publique : 18 milliards d'euros pour l'État et les organismes divers d'administration centrale, 11 milliards d'euros pour les administrations publiques locales et 21 milliards d'euros pour les administrations de sécurité sociale.

Il s'agit pour l'État de poursuivre la stabilisation du point d'indice de la fonction publique, de recentrer ses interventions, de réduire les moyens humains et financiers des opérateurs et de maîtriser les dépenses de fonctionnement des ministères. La baisse de 11 milliards d'euros entre 2015 et 2017 des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales devrait entraîner une rationalisation de la dépense publique locale, qui serait favorisée par le projet de réforme territoriale annoncé par le Premier ministre. Enfin, 10 milliards d'euros d'économies seraient réalisées sur les dépenses d'assurance maladie grâce à une réduction du taux d'évolution de l'ONDAM.

Le Gouvernement attend 11 milliards d'euros d'économies de la réforme des retraites et de celle de la politique familiale, qui ont d'ores et déjà été votées, ainsi que d'autres sources d'économies : un report de la revalorisation des prestations sociales, la poursuite du rétablissement de l'équilibre des régimes de retraite complémentaires, une diminution des dépenses d'assurance-chômage, la poursuite de la réforme de la politique familiale et des économies de fonctionnement dans les organismes de protection sociale.

L'effort sur les dépenses prévu par le projet de programme de stabilité devra impérativement être respecté. Calculé afin de ne pas hypothéquer la reprise, le montant des économies annoncées laisse peu de marge de manoeuvre. Faire moins compromettrait la capacité de la France à respecter ses engagements européens.

Des projections ont été réalisées à partir de deux scénarios : celui d'une croissance des dépenses en volume de 1,25 % entre 2014 et 2017, soit la moyenne constatée en 2012 et 2013 ; celui d'une croissance des dépenses de 0,75 %, soit une progression intermédiaire entre cette moyenne et l'objectif du Gouvernement. La trajectoire de l'effort en recettes est supposée inchangée. Ces projections montrent que le non-respect des objectifs d'évolution de la dépense publique dégraderait fortement la trajectoire : dans le premier scénario, le solde effectif s'établirait à - 3,8 % du PIB et la dette publique à 98 % du PIB, contre respectivement - 2,7 % du PIB et 95,3 % dans le deuxième scénario. Le solde structurel serait de - 2,6 % du PIB dans le premier scénario, contre - 1,5 % du PIB dans le deuxième. Lâcher sur les économies déséquilibrerait donc toute la trajectoire.

Le taux de prélèvements obligatoires va diminuer à compter de 2015 pour revenir à 45,3 % du PIB en 2017, soit 0,6 point en deçà de l'objectif initialement retenu dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques. Le président de la République a demandé au Gouvernement que cet engagement fort soit concrétisé. La baisse du taux des prélèvements obligatoires entre 2015 et 2017 traduirait les effets du Pacte de responsabilité et de solidarité, poursuivant la réduction du coût du travail engagée avec le CICE. Ce Pacte s'appuie sur plusieurs piliers : la poursuite de l'allègement du coût du travail, pour 10 milliards d'euros ; la modernisation de la fiscalité des entreprises, avec une suppression progressive de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et une baisse de l'imposition des bénéfices des sociétés, pour 11 milliards d'euros ; des mesures de solidarité pour les ménages modestes, à hauteur de 5 milliards d'euros.

Selon Eurostat, le déficit effectif de la zone euro serait revenu à 3 % du PIB en 2013. Cela engage la France à persévérer dans ses efforts. Elle figure en effet parmi les dix États de la zone euro ayant un déficit effectif supérieur à 3 %, et son niveau de dette publique est légèrement supérieur à la moyenne. Pour autant, la France a réalisé un effort substantiel d'ajustement de ses finances publiques. Entre 2010 et 2013, le déficit effectif a été réduit de 2,7 points du PIB ; c'est moins, certes, que l'Allemagne, qui a bénéficié d'une conjoncture économique plus favorable, mais plus que l'Italie, l'Espagne et les Pays-Bas. Son déficit structurel a diminué de 2,9 points de PIB, ce qui est proche de l'ajustement structurel réalisé par l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, et sensiblement supérieur à celui réalisé par les Pays-Bas. Enfin, si la dette publique a progressé de 10,8 points de PIB entre 2010 et 2013, seule l'Allemagne a fait reculer son ratio d'endettement au cours de la période. Malgré ce petit retard, notre situation est loin d'être calamiteuse. Le programme d'efforts que le Gouvernement nous propose vise à retrouver une trajectoire vertueuse.

M. Jean-Pierre Caffet, président. - Merci pour cet exposé pédagogique. Vous avez bien montré la sensibilité de la trajectoire du solde à différentes hypothèses de croissance et de dépenses. Ces projections complètent utilement l'avis du Haut Conseil des finances publiques, qui reste purement littéraire. C'est pourtant son rôle de tester, voire de contester les hypothèses...

M. Francis Delattre. - Il y a un an, nous était présenté, à grand renfort médiatique, le fameux rapport Gallois, qui devait rendre à notre pays sa compétitivité. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Le CICE, qui n'est pas financé... Vous avez annoncé des allégements de charges pour les entreprises à hauteur de 20 milliards d'euros ; la loi de finances en a financé 6,5 milliards par une hausse de TVA, le reste doit l'être par des économies. Ces allègements de charges sont certes nécessaires, mais comment comptez-vous les financer ? Sur les 50 milliards, quelle est la part correspondant au CICE ? Le tableau qui nous a été présenté parle de lui-même, de par son imprécision. Les mesures annoncées ne cessent d'évoluer. Ainsi, si l'on ne fait plus les poches des petits retraités, on fait gaillardement celles des collectivités territoriales. Je me souviens des hurlements de l'actuelle majorité quand un gouvernement avait demandé un effort de 200 millions d'euros ; aujourd'hui, on en réclame 11 milliards ! En tant qu'élus locaux, nous avons tous vu notre dotation globale de fonctionnement (DGF) baisser de 3 à 5 % ; les collectivités locales vont devoir réduire leurs investissements, au détriment de l'emploi.

Il faudra m'expliquer comment on compte économiser 10 milliards d'euros sur les dépenses d'assurance maladie. Pensez-vous vraiment y parvenir en développant la chirurgie ambulatoire ? Je doute que de tels documents soient pris au sérieux à Bruxelles.

L'Espagne, l'Italie, le Portugal ne se sont pas contentés de ralentir la progression de leurs dépenses publiques, ils les ont réduites, en valeur réelle ! Peut-on continuer de tout miser sur la reprise mondiale ? En attendant, les mesures emblématiques, comme l'imposition à 75 % des revenus de plus d'un million d'euros, font surtout fuir les entreprises.

La notion de déficit structurel est bien approximative. On ne tient pas compte des événements extérieurs qui auraient altéré les résultats. Soit, mais les 15 milliards de rentrées fiscales en moins par rapport aux attentes étaient tout à fait prévisibles : nous vous avions prévenus ! Là encore, il n'est pas certain que vous parveniez à convaincre Bruxelles.

Seule bonne nouvelle, le taux auquel l'État emprunte demeure exceptionnellement bas. Est-ce parce que les agences de notation estiment que l'Allemagne ne lâchera jamais la France ? Il n'est pas sûr qu'au rythme actuel, elles en restent longtemps persuadées...

M. Vincent Delahaye. - Baisse de la fiscalité, baisse des charges des entreprises, accent mis sur l'emploi : je me réjouis de ce nouveau cap, même si l'on en reste pour l'instant au stade du discours. La recherche de la compétitivité exige en effet des efforts de la part de tout un chacun. Taxer les riches et la finance ne suffira pas à redresser la situation.

Sincérité et prudence sont les principes de base de toute comptabilité, privée ou publique. Ont-ils été observés ici ? La sensibilité de la réévaluation des prévisions de croissance est faible, dites-vous. Pourquoi ? À partir de quel niveau de croissance l'impact sur les comptes publics serait-il visible ?

Je suis réservé sur la notion très théorique de déficit structurel, inventée pour se faciliter la tâche. De fait, il suffit d'accuser la conjoncture. Sur quelles hypothèses de croissance potentielle repose le calcul du déficit structurel ? Il me semble que le Gouvernement français et la Commission européenne n'ont pas la même appréciation.

Je me réjouis de voir que l'on annonce quelques efforts sur les dépenses, mais je remarque que les dépenses publiques ont augmenté plus vite en 2013 qu'en 2012, et qu'elles continueront d'augmenter en 2014. Parler aux Français d'économies et non de moindre augmentation des dépenses, c'est les berner...

Là où les dépenses baissent réellement, c'est sur les dotations aux collectivités territoriales. La répartition de l'effort est-elle équitable ? Pour le savoir, il faudrait connaître le budget, la dette et le déficit de chaque catégorie d'administration, en valeur absolue. Les collectivités locales me paraissent être davantage sollicitées que l'État ou la sécurité sociale. Or leurs investissements ont un impact direct sur la croissance et l'emploi. Il y aurait d'autres pistes d'économies à rechercher, notamment par des réformes structurelles.

À eux deux, le gouvernement Fillon et le gouvernement Ayrault ont alourdi les prélèvements sur les entreprises de 30 milliards d'euros, que vous leur rendez maintenant avec le CICE et les allègements de charge : l'on revient ainsi à la situation de 2011 - qui n'était déjà guère brillante...

M. François Patriat. - Quel aveu !

M. Vincent Delahaye. - En résumé, je me réjouis du changement de cap annoncé ; il va dans la bonne direction, même s'il faudrait aller plus loin.

M. Jean-Pierre Caffet, président. - Merci pour ces encouragements.

M. Charles Guené. - Je remercie le rapporteur général de son exposé. Nous commençons à être familiers de ce genre de document. Le nouveau cap est encourageant. Je m'interroge toutefois sur les efforts demandés aux collectivités locales : les 11 milliards d'euros d'économies sont censés provenir de la stabilisation des dépenses au niveau de l'inflation, d'une part, et de la réforme territoriale, d'autre part. Or l'inflation est aujourd'hui inférieure à 2 %. La stabilisation doit-elle être uniforme, ou s'entend-elle collectivité par collectivité ? La baisse des dotations de 1,5 milliard d'euros déjà actée est-elle incluse dans le nouveau chiffre ?

M. Philippe Dallier. - J'espère qu'elle ne s'y ajoute pas !

M. Charles Guené. - Le Gouvernement compte sur la réorganisation territoriale pour supprimer les doublons, mais je ne vois pas comment une telle réforme pourrait engendrer des économies d'ici 2017. Bref, ces 11 milliards d'euros proviennent-ils de la réduction des dotations ou correspondent-ils à une réduction des dépenses ou aux gains attendus de la réorganisation ?

M. Philippe Dallier. - Je ne peux que souhaiter que les objectifs budgétaires soient atteints, tout en remarquant que l'hypothèse de croissance retenue est plutôt optimiste.

Une baisse des dotations de 11 milliards d'euros forcera les collectivités territoriales à réagir. Seules les plus riches peuvent espérer trouver des économies sur leurs dépenses de fonctionnement ; les autres devront réduire leurs dépenses d'investissement, ce qui aura un impact sur la croissance, augmenter les impôts locaux ou augmenter leur endettement. A-t-on anticipé la réaction des collectivités ? Quelles hypothèses ont été retenues ? Je doute que l'on impose le régime draconien préconisé par le rapport Malvy-Lambert.

Qu'attend le Gouvernement des collectivités ? Il n'est guère réaliste de penser qu'une baisse de 11 milliards d'euros des dotations va se traduire par une baisse équivalente des dépenses, sans réduction des investissements ni hausse des impôts locaux.

Quant à la réorganisation territoriale, comment pourrait-elle avoir dégagé des économies d'ici 2017 ? Sans doute entraînera-t-elle même des dépenses, dans un premier temps. Je plains les maires qui ont été élus ou réélus sur des programmes généreux !

M. Yannick Botrel. - L'effort pour restaurer les comptes publics est nécessairement collectif. La DGF n'est pas la seule ressource des collectivités ; la péréquation existe. La chambre régionale des comptes de Bretagne a montré que sur trois ans, les ressources des intercommunalités avaient augmenté en moyenne de 5 % par an : leurs finances ne sont pas nécessairement en déshérence. Bien des communes ont transféré des charges aux intercommunalités sans pour autant commettre l'erreur de baisser les impôts. Certaines collectivités sont plus riches que d'autres, mais d'après mon expérience personnelle, dans l'ensemble le bloc communal a plutôt bien vécu ces dernières années. D'aucuns affirment que la baisse des dotations aura un impact sur l'investissement, c'est possible...

M. Philippe Dallier. - C'est sûr !

M. Pierre Jarlier. - C'est déjà commencé !

M. Yannick Botrel. - Ce n'est pas certain. Des communes, se fondant sur la solidarité territoriale des conseils généraux, ont été peu vigilantes sur leurs dépenses de fonctionnement. Certains réclament des réformes structurelles, mais jamais l'opposition ne dit ce qu'elle entend par là.

M. Francis Delattre. - Nous pouvons le faire !

M. Yannick Botrel. - Faites-le ! À chaque proposition, vous dites que ce n'est pas ce qu'il faut faire, puis vous critiquez une politique qui ne va ni assez vite ni assez loin : c'est contradictoire avec vos autres remarques. Le cap a été donné avec détermination et énergie. S'il faut rester vigilant, il convient aussi de mobiliser nos concitoyens autour de la politique dont l'avenir du pays dépend.

Mme Marie-France Beaufils. - Le choix de réduire les dépenses publiques, nous ne le partageons pas : c'est bien pour cela que nous n'avions pas voté le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Il faudrait, nous dit-on, dégager des ressources pour améliorer la compétitivité de nos entreprises, plombée par le coût du travail, et pour cela réduire les cotisations sociales. Il serait intéressant d'examiner l'évolution de la part des salaires dans la richesse produite par les sociétés non financières depuis les années 1980 : Christian Chavagneux pointe dans un article récent un niveau de rémunération du capital aujourd'hui très supérieur à ce qu'il était alors !

Les collectivités devraient participer à cette réduction, car elles dépenseraient beaucoup ? Avec le groupe de travail sur la fiscalité des ménages, nous avons vu comment leur action pour faire vivre des services publics était la manière la plus efficace de réduire les inégalités. Réduire leurs dépenses, c'est remettre en cause cette action. Souvenez-vous qu'en 2008, chacun se félicitait des atouts que constituaient notre protection sociale et les services publics locaux pour absorber les conséquences de la crise.

Les baisses prévues pour 2014 et 2015 font-elles partie des 11 milliards d'euros annoncés ? Nous voyons déjà les conséquences de la baisse pour les communes ayant une forte proportion d'habitants non imposables, d'une moindre compensation des exonérations : l'investissement baisse, avec des effets sur l'emploi et l'activité économique. Ces mesures sont contreproductives. Au lieu d'aider la France à se redresser, elles augmentent ses difficultés. J'ai lu la déclaration de Jean-François Copé dans Les Échos : il préconise une économie de 130 milliards d'euros, ce qui serait une saignée, une catastrophe insupportable. Nous en avons suffisamment d'exemples chez nos voisins méditerranéens, avec des conséquences chez nous, comme ces entreprises portugaises qui s'implantent sur le marché français du BTP et fragilisent nos petites entreprises.

Mme Fabienne Keller. - Je suis d'accord avec les orientations générales de ce programme de stabilité : la défense de l'emploi et la baisse des dépenses publiques. J'aimerais savoir si les baisses déjà prévues de 1,5 milliard d'euros pour 2014 et de 4,5 milliards d'euros pour 2015 font partie des 11 milliards d'euros annoncés ou s'y ajoutent. S'agit-il de 11 milliards en année pleine ou en cumulé ? Beaucoup de communes ont vu leur DGF baisser de 3 à 5 %, soit un tiers des économies annoncées l'année dernière : cela représenterait donc un sixième de l'effort finalement déterminé. Toutes parviendront-elles à présenter un budget en équilibre ?

Les 18 milliards d'euros de réduction affichés pour l'administration de l'État et les agences m'inquiètent. Nous avons tous participé à des travaux exigeants : pourquoi l'examen du projet de loi de finances rectificative ne serait-elle pas l'occasion d'analyser, mission par mission, les conséquences de cette réduction et notamment la cohérence entre moyens et personnel ? L'abandon de la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux pourrait en effet produire un décalage entre un personnel nombreux et une absence de moyens.

Les réformes structurelles que nous appelons de nos voeux sont celles qu'ont menées les pays du Nord : la réorganisation de l'administration de l'État, que la France n'a pas faite, comme en témoigne le caractère interministériel de toutes les circulaires que reçoivent les maires. Nous pouvons rêver à une administration publique globalisée avec la fusion des trois fonctions publiques. Ce gisement d'économies mériterait d'être exploré.

M. Aymeri de Montesquiou. - Le rapport que nous venons d'entendre ne cite pas un chiffre pourtant significatif : l'écart entre la dépense publique française et celle de nos voisins, qui est de dix points. Notre État est boursouflé et impotent. La nécessité de mener les réformes dont parle Fabienne Keller est évidente. Au lieu de prétendre intensifier ou accélérer la politique menée jusqu'à présent, le Premier ministre devrait avoir la capacité, comme Laurent Fabius en son temps, d'affirmer qu'il mène une autre politique. Avec l'idée que la baisse des dépenses serait plus récessive que les hausses d'impôts, nous nous retrouvons après deux années avec un manque à gagner de 15 milliards d'euros.

Les collectivités vont réduire leur investissement : la plupart des communes vivent sur un pied modeste. Par quoi le remplacer ? La logique voudrait que ce soit l'investissement direct étranger (IDE). Or la taxe imbécile à 75 %, qui ne concerne aucun d'entre nous, fait horreur à New York et à Londres : les IDE ont baissé de 77 %, chiffre colossal. Il faut redonner aux Français l'envie d'entreprendre et aux étrangers d'investir chez nous. Sinon, nous aurons mécaniquement un investissement moindre, donc plus de chômage et plus de dépenses sociales. Il faut inverser la politique suivie par le dernier gouvernement !

M. Pierre Jarlier. - Tout en souscrivant aux orientations du programme de stabilité, je me demande si les 11 milliards d'euros demandés aux collectivités contiennent bien la baisse de 4,5 milliards d'euros des concours financiers de l'État déjà annoncée. Vous parliez de baisses de DGF de 4 % ; j'en ai vu de 10 %, dans des intercommunalités, avec seulement 1,5 milliard d'euros de baisse. Comment opérer cette ponction sans créer de nouvelles inégalités territoriales ? Toutes les collectivités n'ont pas les mêmes capacités de contribution et certaines ont déjà fait des efforts de gestion importants. S'il est difficile pour une baisse de 1,5 milliard d'euros de faire monter en puissance la péréquation horizontale, cela sera encore plus délicat avec une baisse aussi importante. Ne peut-on pas prélever de manière différenciée selon les capacités contributrices ?

M. François Patriat. - Je salue la voie vertueuse qu'emprunte la politique gouvernementale. Vous citez le sud de l'Europe ; parlons du nord : nos voisins rhénans ont une croissance positive et un chômage en baisse parce qu'ils ont pris ces mesures il y a cinq ans. La Grèce elle-même, après avoir été mise à la torture, retrouve la grâce des marchés et la croissance revient.

L'opposition, qui vilipendait hier des collectivités dépensières et mal gérées, pleure aujourd'hui sur leur sort. Elles vont augmenter leurs impôts, M. Dallier ? La région Bourgogne n'en perçoit plus depuis trois ans, grâce à vos amis, sinon pour les cartes grises que personne ne touchera ! Sur un budget de 880 millions d'euros, l'État demandera à la collectivité que je préside momentanément un effort de 34 millions d'euros sur trois ans. Nous ferons des économies sur les transports, c'est certain, mais aussi par le rapprochement que j'engage avec une région voisine, qui peut rapporter six millions d'euros par an. La suppression d'un aéroport sur les deux petits que comptent nos deux régions représente une économie de quatre millions d'euros pour ma collectivité. Même chose sur les agences de développement, les incubateurs ou l'agence touristique. J'accepte bien volontiers les efforts dont le Gouvernement a le courage de montrer la nécessité, car ils seront payants demain. Certaines communes souffriront, certes. Mais n'en avez-vous pas vu, comme moi, vous présenter des projets autofinancés à 15 % et attendant 85 % de subventions ? N'avons-nous jamais eu la faiblesse de céder à une demande de terrain de sport, de salle à usage multiple, d'équipements manifestement redondants ? Nous ne pourrons plus le faire demain. Je préfère avoir de l'investissement productif dans l'économie que des subventions coûteuses pour la collectivité.

M. François Marc, rapporteur général. - Certains collègues de l'opposition comme Francis Delattre, reprochent à ce programme un manque de sérieux.

M. Francis Delattre. - Je le maintiens.

M. François Marc, rapporteur général. - Je lui rappelle ce qu'a fait son ami Alain Juppé, alors Premier ministre : pour atteindre des critères de Maastricht inaccessibles, il a réclamé au président de la République la dissolution de l'Assemblée nationale afin de disposer d'une majorité de combat. Je n'aurai pas l'outrecuidance de prétendre que c'est le gouvernement de gauche qui a offert à la France 3 % de croissance pendant deux ou trois ans...

M. Philippe Dallier. - C'est bien !

M. Francis Delattre. - C'était grâce au plan Juppé et à l'augmentation de 2 % de la TVA.

M. François Marc, rapporteur général. - Je vous laisse vos appréciations. La clairvoyance des gouvernants de 1995 n'était pas à son plus haut niveau...

Le changement de cap dont certains se félicitent a eu lieu en réalité lors de l'élection du président de la République qui a voulu relever le pays : tout partait à vau l'eau.

Mme Fabienne Keller. - Deux ans de perdus !

M. François Marc, rapporteur général. - Les impôts ont été sollicités en premier, certes, parce que le budget de 2012 n'était pas financé.

M. Francis Delattre. - Vous avez supprimé la TVA sociale !

Mme Fabienne Keller. - Pour la recréer après...

M. François Marc, rapporteur général. - Je partage l'inquiétude pour les collectivités locales. Le Gouvernement a recherché un équilibre en étalant dans le temps et en négociant avec Bruxelles deux années supplémentaires. Je note encore une contradiction chez Francis Delattre, qui dénonce un ralentissement sans commune mesure avec les coupes que d'autres ont opérées, et s'inquiète dans le même temps de la baisse des dotations aux collectivités et du ralentissement consécutif de l'investissement...

M. Francis Delattre. - Je ne vois pas en quoi cela est contradictoire.

M. François Marc, rapporteur général. - S'agissant de ces dotations, je ne suis pas l'auteur du document qui sera envoyé à Bruxelles ; je ne fais que lire comme vous à sa page 32 : « Après un gel en valeur des concours financiers de l'État aux collectivités locales en 2013, ces concours sont réduits de 1,5 milliard d'euros en 2014 puis de 11 milliards en niveau sur la période 2015-2017. »

M. Philippe Dallier. - En niveau ! C'est bien cela.

M. François Marc. - À l'Assemblée nationale, Christian Eckert a indiqué ceci : « La diminution des dotations aux collectivités territoriales par rapport à l'évolution tendancielle, de 11 milliards d'euros sur trois ans, sera ainsi accompagnée de réformes importantes évoquées par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale. La baisse des dotations devrait conduire la dépense locale à croître à un rythme proche de l'inflation jusqu'en 2017. Nous demandons donc aux collectivités locales un effort réel de stabilisation en volume de leurs dépenses, mais néanmoins inférieur à celui auquel l'État sera soumis avec la baisse en valeur des dépenses des ministères. L'effort ainsi porté par les collectivités est proportionnel également à leur poids dans la dépense, le secteur local représentant à peu près un cinquième de celle-ci. » Voilà les éléments de précision que vous me demandiez.

M. Francis Delattre. - De confusion !

M. François Marc, rapporteur général. - L'ensemble des organismes internationaux s'accordent à identifier une faiblesse de notre pays à la fois sur le plan de la compétitivité hors-prix, qui conduit nos produits à être très sensibles à l'appréciation de l'euro, et sur celui de la compétitivité-prix, car le coût du travail a augmenté plus vite que dans les autres pays de l'OCDE. C'est pour cela que nous supprimons la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) à hauteur de 5 milliards d'euros et réduisons encore les charges de 10 milliards d'euros.

Quant aux hypothèses de croissance, la différence entre 2 et 2,25 % n'est pas décisive pour atteindre les objectifs. Le niveau élevé des dépenses publiques de la France, que relève Aymeri de Montesquiou, n'est pas nouveau. L'OCDE montre que nous avions le plus haut de tous les pays dès 2007, alors qu'en 2013 nous sommes en quatrième position, même si la part dans le PIB a augmenté. Quant à ceux qui veulent baisser plus radicalement les dépenses, je les invite à aller expliquer cela dans les cages d'escalier...

M. Francis Delattre. - Nous l'avons fait !

M. François Marc, rapporteur général. - Nous ne mobiliserons pas le pays en suscitant le découragement. Il faut trouver une équation équilibrée, comme le fait le Gouvernement dans ce document. Le ministre répondra aux autres questions.

La commission donne acte à M. François Marc, rapporteur général, de sa communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est levée à 15h50.

Mercredi 30 avril 2014

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

La réunion est ouverte à 9h30.

Désignation d'un rapporteur

La commission nomme tout d'abord M. Jean Germain, rapporteur sur le projet de loi n° 481 (2013-2014) relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public.

Suite à donner au référé de la Cour des comptes concernant le contrôle des comptes et la gestion de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) portant sur les exercices 2001 à 2011 - Audition de MM. Nicolas Bourriaud, directeur de l'ENSBA, Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, et Michel Orier, directeur général de la création artistique

La commission procède ensuite à l'audition conjointe pour suite à donner au référé de la Cour des comptes concernant le contrôle des comptes et la gestion de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) portant sur les exercices 2001 à 2011 : MM. Nicolas Bourriaud, directeur de l'ENSBA, Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, et Michel Orier, directeur général de la création artistique au ministère de la culture et de la communication.

M. Philippe Marini, président. - Nous allons procéder ce matin à une audition pour suite à donner à un référé de la Cour des comptes. Je rappelle que cette procédure de contrôle a été initiée en 2007, en étroite concertation avec le Premier président Philippe Séguin, à la suite de sa participation au séminaire que notre commission avait organisé au Mans sous la présidence de Jean Arthuis.

Notre réunion concerne aujourd'hui l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA), à la suite du référé transmis par la Cour des comptes à notre commission le 16 janvier dernier, portant sur les exercices 2001 à 2011. La période étudiée est donc à la fois longue (dix ans) mais également relativement éloignée (de trois ans). Les conclusions du référé de la Cour des comptes arrivent aujourd'hui dans une situation qui n'est pas simple pour l'ENSBA.

Cet établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de la culture et de la communication constitue la plus ancienne et la plus prestigieuse école d'enseignement des arts plastiques en France. Cette institution est née au lendemain de la Révolution française. Si dans la cour de l'École nationale des Beaux-Arts sont regroupées des oeuvres, c'est que leur présence vise à servir de base d'inspiration pour la création artistique. Cette institution a également été créée en vue du rayonnement de Paris. Ainsi, comme vous le savez, elle présente la particularité d'accueillir un musée, en raison des collections constituées à des fins pédagogiques.

Dans son référé, la Cour des comptes émet une série de propositions et de recommandations pour améliorer la situation de l'École. Ces propositions portent en particulier sur les pouvoirs d'orientation, d'impulsion et de tutelle de l'établissement. Elles concernent donc non seulement l'établissement lui-même mais aussi le ministère de la culture qui exerce sa tutelle.

Notre audition vise à faire le point sur les actions mises en oeuvre et envisagées par l'école, comme par le ministère de la culture, pour répondre aux recommandations de la Cour des comptes.

Nous accueillons Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, ainsi que Louis Gautier, conseiller maître.

Après leur intervention, nos autres intervenants réagiront aux observations de la Cour des comptes. J'accueille et je remercie donc de leur présence : Nicolas Bourriaud, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts et Michel Orier, directeur général de la création artistique au ministère de la culture et de la communication.

Comme à l'habitude lors de nos auditions conjointes, je vous propose de laisser la parole à chacun de nos intervenants pour un bref propos liminaire. Puis j'ouvrirai le débat avec les questions du rapporteur général et du rapporteur spécial Yann Gaillard, suivies de celles de l'ensemble des commissaires qui souhaiteront s'exprimer.

M. Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes. - Le contrôle dont je vous rappelle les conclusions ce matin n'est pas allé au-delà, pour la partie juridictionnelle, de l'exercice 2011. Pour ce qui est de la gestion, il a toutefois porté jusqu'à la période 2012-2013. Je précise en outre que la procédure de suivi appliquée aux référés de la Cour des comptes a été étendue par le Premier président Migaud aux rapports particuliers. Dans le cas de la troisième chambre, elle pourra par exemple concerner les établissements de l'audiovisuel public sur lesquels nous travaillons (France Télévisions, Radio France).

L'ENSBA est héritière des académies royales de peinture et de sculpture. Elle est issue d'une fusion opérée sous le premier Empire et son statut date de la Restauration. Cet historique pèse sur l'école encore aujourd'hui. Mais il convient aussi de replacer les enjeux dans le contexte plus général de l'évolution de l'enseignement supérieur et de la recherche. Depuis l'origine, l'école a pour mission de former les artistes à la création. Vous l'avez rappelé, l'une de ses spécificités réside dans le fait qu'elle abrite sous le même toit une école et un musée.

À l'échelle du ministère de la culture, il s'agit d'un petit budget. Celui-ci est de l'ordre de 11 millions d'euros, dont 7,5 millions d'euros de subvention du ministère de la culture et de la communication. Les effectifs de l'école, relativement peu nombreux, s'établissent à 218 équivalents temps plein (ETP), tandis que le coût par étudiant se situe dans une fourchette haute de 19 000 euros.

Le cycle d'études dure cinq ans. Dans le cadre du processus de Bologne, l'école s'est adaptée à la règle « licence-master-doctorat » (LMD). Le diplôme national supérieur d'arts plastiques a désormais rang de master. Quelques étudiants suivent, ensuite, une formation doctorale dénommée « SACRe » (sciences, arts, création, recherche). Enfin, l'école a rejoint le pôle de recherche et d'enseignement supérieur.

Le référé de la Cour des comptes émet quatre séries de critiques.

Tout d'abord, il s'attache à la place et au rayonnement de l'ENSBA en France et à l'étranger. À cet égard, nous parlons d'un « îlot détaché dans un vaste archipel ». L'école ne partage aucune fonction support avec des établissements comparables, qu'ils soient parisiens ou nationaux. Un déficit de réflexion et de stratégie quant au devenir de l'école apparaît donc ; il incombe aussi bien au ministère de la culture qu'à celui de l'enseignement supérieur et de la recherche. Par ailleurs, l'ENSBA souffre d'un manque d'ouverture à l'international : elle peine à attirer aussi bien des étudiants que des enseignants étrangers. Cette situation la met en difficulté pour tenir son rang dans la compétition internationale.

Les conditions de conservation des oeuvres représentent le deuxième angle de critiques. Pour mémoire, l'ENSBA abrite 2 000 peintures et 3 700 sculptures. Ces oeuvres sont bien évidemment un élément de richesse mais leur conservation constitue également la source de multiples difficultés. En ce qui concerne les préoccupations liées à la surveillance, au contrôle et à la préservation des oeuvres - située rue Bonaparte, l'école est en zone inondable -, les retards se sont accumulés. C'est pourquoi un adossement à un autre établissement (la Bibliothèque nationale de France, le musée du Louvre, le musée d'Orsay ou le Centre Pompidou, par exemple) est souhaitable sur ces sujets.

Le troisième sujet de préoccupation de la Cour des comptes porte sur l'organisation de la politique éditoriale et des expositions de l'ENSBA. Ces dernières demeurent en effet relativement confidentielles avec 30 000 à 35 000 visiteurs par an. En outre, l'école n'a mis en oeuvre aucune mutualisation dans le cadre de ses éditions.

Enfin, le dernier sujet d'inquiétude concerne la gestion administrative de l'établissement. La Cour des comptes pointe des déficiences liées à l'absence de contrat de performance, au défaut de comptabilité analytique ainsi qu'à la faiblesse des procédures de contrôle interne et de suivi. Il résulte de ces lacunes une difficulté à mieux rationaliser les moyens de l'école. S'agissant de la gestion des ressources humaines, celle-ci est devenue prévisionnelle. Toutefois, il n'existe aucun outil de contrôle sur le temps de travail ni sur les conséquences des titularisations impliquées par la mise en oeuvre de la loi Sauvadet.

En conclusion, la Cour des comptes relève un défaut d'orientation stratégique dans le pilotage de l'ENSBA. Un contrat de performance sur une période triennale s'impose avec une réflexion d'ensemble sur les filières de l'enseignement artistique. Un plan général de conservation des oeuvres paraît également nécessaire avec l'adossement à un autre établissement. Certes, le budget de l'école est limité mais des économies peuvent néanmoins être réalisées.

M. Philippe Marini, président. - La parole est maintenant à Nicolas Bourriaud, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts. Vous avez pris vos fonctions en 2011, et vous avez donc pu proposer des remèdes aux insuffisances qui ont été rappelées.

M. Nicolas Bourriaud, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA). - Certaines des carences pointées par le référé ont été prises en compte, dans un contexte budgétaire difficile puisque les subventions versées par le ministère de la culture se sont élevées à environ 7 millions d'euros...

M. Philippe Marini, président. - Ce contexte budgétaire n'est pas une originalité propre au ministère de la culture, et la situation devrait s'aggraver...

M. Nicolas Bourriaud. - Les remarques de la Cour des comptes au sujet de la place de l'ENSBA dans le paysage de l'enseignement supérieur ne posent pas de problème particulier : elles soulignent que l'excellence de ses enseignements correspond parfaitement aux critères d'éligibilité du master. La place de l'ENSBA au sein de la filière des écoles supérieures d'art est en revanche plus problématique. À cet égard, je tiens à rappeler que les spécificités de l'ENSBA ne sont pas absurdes : l'école vise essentiellement à former des artistes et des créateurs, et une fusion avec d'autres établissements d'enseignement davantage portés sur le design ou l'architecture, par exemple, poserait certains problèmes. Il ne faut pas confondre les genres.

En revanche, les mutualisations de fonctions support sont tout à fait à l'étude aujourd'hui. Nous allons notamment proposer à l'école d'architecture de Paris-Malaquais de mutualiser certaines fonctions, notamment le laboratoire photographique et certains ateliers techniques qui partagent des enjeux communs, au-delà des apprentissages propres à chacune de ces écoles. Les problèmes de gestion commune des bâtiments du site pourraient aussi être abordés avec davantage de convivialité par les deux écoles.

Concernant l'internationalisation du corps enseignant et des étudiants, il me semble que l'école est toujours aussi attractive. Les deux professeurs chefs d'atelier recrutés depuis mon arrivée sont des professeurs étrangers : Pascale-Marthine Tayou, d'origine camerounaise et qui vit en Europe, et Ann Veronica Janssens, belge, sont tous deux des artistes internationalement reconnus. C'est une préoccupation constante de notre établissement, mais nous ne pouvons pas non plus proposer une discrimination à l'embauche, ce qui serait tout à fait impensable.

Le nombre d'étudiants étrangers est effectivement en chute : ils étaient entre 23 % et 30 % dans les années 1990, contre 13 % en 2011. Ce chiffre augmente très lentement depuis : la proportion est d'environ 15 % aujourd'hui. J'y vois plutôt un bon symptôme et un encouragement, car cette proportion correspond à celle de l'ensemble du système éducatif français. L'attractivité internationale de l'école dépend aussi de la communication, or le budget communication a baissé de moitié en 2014 en raison des restrictions budgétaires. Cette année, le site Internet sera traduit entièrement en langue anglaise pour la première fois : c'est bien entendu un levier extrêmement important. Il faudra également imaginer des enseignements en langue anglaise, qui sont pour l'instant uniquement le fait de certains chefs d'atelier mais ne sont pas étendus aux cours théoriques.

Concernant le budget des éditions, il faut bien comprendre que son déficit s'explique par la coexistence d'objets réalisés totalement à fonds perdus - notamment les plaquettes, le livret de l'étudiant et les cartons d'invitation - et des activités « commerciales » que sont les publications scientifiques et artistiques de l'ENSBA. Prises séparément, ces dernières sont tout à fait à l'équilibre, ce qu'une comptabilité analytique permettrait de constater, comme vous le soulignez. Les éditions de l'ENSBA ont par ailleurs vocation à faire partie du réseau plus étendu des écoles d'art françaises, voire à en devenir la tête de pont. Nous y travaillons avec la direction générale de la création artistique.

Concernant la gestion administrative, j'ai évoqué la nécessité d'une comptabilité analytique. Cela nécessitera le recrutement d'un agent supplémentaire : c'est la seule difficulté que nous éprouvons pour le moment. En général, la politique de recrutement de l'école est une politique de requalification de l'emploi. Par exemple, le départ à la retraite du photographe attitré de l'école nous permettra de créer un deuxième poste au service informatique qui, pour l'instant, n'en comporte qu'un seul. Cet ingénieur système pourra s'atteler aux problèmes récurrents d'un système informatique vétuste, constitué entre 1998 et 2000 et jamais remplacé, aboutissant le 19 septembre 2013 à une panne généralisée. Cela nous a amenés à investir et puiser encore sur le fonds de roulement de l'école pour stabiliser le système. Je pointerai, enfin, un changement spectaculaire : tous les agents concernés par la loi Sauvadet de mars 2012 ont été titularisés en 2013.

Je voudrais enfin insister sur le fait que le coût de 19 000 euros par étudiant est calculé par rapport au budget global de l'ENSBA, lequel couvre la totalité de ses missions statutaires et non pas uniquement l'enseignement. La diversité de ces missions statutaires constitue l'identité de l'école, dont le modèle unique au monde ne doit pas être banalisé ni standardisé. Son attractivité internationale repose sur ce modèle tout à fait original qui est appelé à faire florès.

M. Philippe Marini, président. - La parole est maintenant à Michel Orier, représentant de la tutelle en tant que directeur général de la création artistique au ministère de la culture et de la communication. Voilà un titre finalement assez étrange et paradoxal : nous imaginons que la création ne se dirige pas, ou en tout cas que ce n'est pas le rôle de l'État de la diriger... Cela ferait presque totalitaire, mais nous savons bien que ce n'est pas l'état d'esprit de quelqu'un qui a dirigé de grandes structures culturelles - Grenoble, Amiens - et qui est soucieux de l'indépendance des créateurs et des organisateurs.

M. Michel Orier, directeur général de la création artistique au ministère de la culture et de la communication. - Je voudrais tout d'abord rappeler que la ministre a fait de l'enseignement, de la transmission et de la jeunesse une priorité. L'administration de la culture a été réorganisée en 2010 avec la fusion de la délégation aux arts plastiques (DAP) d'une part, et de la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles (DMDTS) d'autre part ; mais la responsabilité des enseignements restait éclatée entre les différentes entités. Nous sommes aujourd'hui en train de revoir cette organisation dans le cadre du projet de service afin d'avoir une vision stratégique et une meilleure action d'ensemble sur la gestion des enseignements. Dans ce cadre, une cartographie nationale est en train de s'établir. Les problèmes relevés par la Cour des comptes font à cet égard l'objet de toute notre attention et de toute notre vigilance. Comme Patrick Lefas l'a rappelé, de nombreuses écoles nationales d'art ont relativement peu de liens entre elles : cette situation ne peut pas durer dans un contexte international. Les exemples du Royal College of Arts ou de la Central St. Martins School of Arts en témoignent. Avec l'ENSBA, nous avons la responsabilité de l'un des joyaux de l'enseignement artistique de niveau mondial, dont nous devons assurer l'avenir.

Dans ce cadre, nous étudions plusieurs scénarios afin de rapprocher les différents établissements, du moins l'ENSBA et l'École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD). Le cas de l'École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) est un peu plus complexe dans la mesure où il s'agit d'une école de design, par ailleurs placée sous la tutelle de deux ministères différents. Nous travaillons également depuis l'automne dernier sur les possibilités de mutualisation avec l'École nationale supérieure d'art de Paris-Cergy (ENSAPC), qui est un établissement de très grande valeur.

Le recrutement de professeurs étrangers, qui était auparavant difficile, a été facilité par la loi de juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. La présence d'enseignants étrangers dans nos écoles nationales supérieures permet ensuite le recrutement d'élèves étrangers et assure un meilleur rayonnement.

Concernant l'inscription dans le processus de Bologne, il faut souligner le travail accompli par l'ENSBA et par les écoles nationales supérieures en général : la réforme est aujourd'hui acquise, elle est en marche et bien intégrée. Le doctorat « SACRe », très important, est partiellement pris en charge par le pôle de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) Paris Sciences et Lettres (PSL), qui va se transformer en communauté d'universités et d'établissements (COMUE). Nous sommes très attentifs à la consolidation de ce COMUE dont l'enjeu est de relever le défi de la compétition internationale, notamment par un rapprochement avec les PhD anglo-saxons.

La question des collections est évidemment un problème aigu, puisqu'il tient à la spécificité même de l'ENSBA qui est à la fois un musée et une école. Les 400 000 oeuvres connaissent des problèmes de tous ordres - conservation, récolement, etc. - dans un contexte très difficile du fait de l'état global du bâtiment. À la suite du référé, nous avons engagé une procédure de classement au titre des Musées de France qui devrait permettre dans les mois qui viennent la mise à disposition de conservateurs pour accélérer les travaux de récolement et de conservation. Les risques sont très lourds, notamment celui d'une crue de la Seine, menace complexe à gérer et qui mobilisera beaucoup de crédits.

M. Philippe Marini, président. - La présence du quai Malaquais au bord de la Seine n'est pas un fait nouveau ...

M. Michel Orier. - Le budget des éditions, en déficit de près de 100 000 euros au moment du référé, est revenu à un quasi-équilibre, à 10 000 euros près : il convient de souligner les efforts accomplis par l'institution dans sa politique éditoriale.

L'amélioration de la gestion de l'ensemble de l'école requiert une gestion de site commune entre l'école d'architecture de Paris-Malaquais et l'ENSBA : les deux institutions n'ont presque aucun lien entre elles alors qu'elles sont sur le même site, ce qui pose un certain nombre de problèmes, notamment pour finaliser le schéma directeur des travaux engagés sur l'ensemble du site. L'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC) a confié la réalisation de ce schéma directeur à un bureau d'études. Quatre scénarios de rénovation sont envisagés. Évidemment, il faut engager de façon assez urgente, à la fois des travaux de sûreté, de structure interne et de mise aux normes énergétiques sur lesquels on ne peut pas faire l'impasse, et des travaux relatifs au clos et au couvert. Le total est pour l'instant chiffré à 47 millions d'euros TTC, ce qui demandera de mobiliser des crédits importants dans les années à venir afin de pouvoir continuer à accueillir le public et les étudiants dans des conditions admissibles par la commission de sécurité.

D'une manière générale, les questions de contraintes budgétaires sont importantes, mais l'ENSBA fait partie de nos priorités. Nous sommes très vigilants et ferons en sorte que l'école puisse continuer à assumer son statut d'établissement d'excellence de rang international dans l'enseignement artistique.

M. Philippe Marini, président. - Je vous remercie. Monsieur le rapporteur général, vous avez étudié la situation et regardé les documents qui nous ont été transmis : quelles remarques et interrogations cela vous inspire-t-il ?

M. François Marc, rapporteur général. - Mes questions ne porteront pas sur l'angle culturel de l'école, je laisserai le soin d'aborder ce thème à Yann Gaillard, rapporteur spécial de la mission « Culture ». En tant que rapporteur général, mon intervention se concentrera sur les aspects financiers et budgétaires de ce référé de la Cour des comptes.

Même si l'ENSBA constitue un « joyau », les appréciations portées par la Cour des comptes sur sa gestion entre 2001 et 2011 sont particulièrement critiques et ont, à ma connaissance, rarement été aussi dures dans le cadre d'autres référés.

Ainsi, s'agissant de la gestion administrative, la Cour des comptes déplore l'absence d'un contrat de performance et d'un schéma directeur des travaux, qui s'inscrit dans un effort de programmation qu'il convient de développer. Pire encore, le défaut de comptabilité analytique est également pointé du doigt. Ceci peut paraître d'autant plus surprenant que la comptabilité analytique constitue, comme cela est enseigné depuis cinquante ans, un élément de base de la gestion.

Le référé note encore, je cite, « des procédures de contrôle interne embryonnaires ainsi que la faiblesse des instruments de programmation et de suivi des activités de l'ENSBA », autant d'éléments qui révèlent les « carences des tutelles et les difficultés de rationalisation et d'optimisation des choix de gestion auxquelles se heurte la direction de l'établissement ».

Incontestablement, le référé met en évidence une gestion catastrophique de l'école. Suite à ce constat, il est évidemment nécessaire de redresser la situation, en s'appuyant notamment sur les pouvoirs d'orientation, d'impulsion et de tutelle de l'établissement.

Monsieur Orier, comment expliquer le fait que l'ENSBA ne dispose toujours pas de contrat de performances, document pourtant stratégique ? Où en est-on de son élaboration, alors que le projet annuel de performances de la mission « Culture » annexé au projet de loi de finances pour 2014, indique qu'il est en cours d'élaboration pour la période 2013-2015 ? Quelles en seront les principales orientations ?

Monsieur Bourriaud, le projet annuel de performances précité indique également que « le budget primitif confirme la volonté de la direction de dynamiser la recherche de mécénat et de partenariats face à la baisse de la subvention de l'État ». Conformément aux interrogations que nous formulons fréquemment concernant les agences ou les institutions qui bénéficient de subventions qui, comme le Président vient de l'indiquer également, risquent de se réduire au cours des prochaines années, comment comptez-vous renforcer les ressources propres de l'école, notamment en termes de recherche de mécénat ou de location d'espaces ?

Enfin, les collections de l'école qui sont encore conservées sur le site Malaquais sont exposées à trois risques majeurs : le manque de surveillance, l'incendie et l'inondation. Malgré cette situation insatisfaisante, aucun plan de sauvegarde n'a été engagé pour le moment. Comment expliquer cette absence de réactivité ? Que comptent faire l'école et la tutelle pour régler cette situation ? À cet égard, que pensez-vous des propositions de la Cour des comptes, à savoir notamment l'élaboration d'un plan général de conservation des collections et l'adossement de l'école à d'autres grandes institutions pour la gestion des collections ? Vous avez déjà fait mention de l'élaboration en cours d'un réseau permettant de mieux mettre en valeur ces collections et j'ai été frappé par le fait qu'en disposant de 400 000 oeuvres, vos expositions n'enregistrent que 30 000 visiteurs par an, ce qui n'est pas très éloigné de ce que peuvent connaître les musées de petites communes. Ces chiffres m'étonnent. Ces collections ne pourraient-elles être davantage mises en valeur ?

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Comme le rapporteur général, je m'interroge sur les raisons pour lesquelles les expositions de l'école, qui dispose pourtant de véritables « trésors », attirent aussi peu de monde. Sont-elles mal conçues ? Ne pourrait-on imaginer des expositions groupées avec de grands établissements publics tels que le centre Pompidou dont je suis membre du conseil d'administration ?

Les beaux-arts sont la gloire de la France : la bonne gestion de l'école devrait intéresser tout le monde. Les difficultés rencontrées s'expliquent-elles par des problèmes au niveau de la direction de l'école ou de rivalités internes ? Il manque certainement l'expression d'une volonté politique pour obliger les grands établissements publics culturels à coopérer et à travailler ensemble.

Pour ma part, ayant visité un grand nombre d'expositions, je n'en ai jamais vu de l'ENSBA, ce qui constitue, soit une grande ignorance de ma part, soit une certaine maladresse dans la publicité des événements organisés.

M. Philippe Marini, président. - Ceux qui se disent ignorants sont en général les plus savants et ceux qui se prétendent savants sont en général ceux qui ne savent rien.

Je souhaitais à mon tour vous interroger sur deux points.

Premièrement, compte tenu de la contrainte budgétaire qui ne peut qu'inévitablement s'accroître, vos ressources propres doivent se développer, notamment par le biais du mécénat, de ressources issues de la taxe d'apprentissage ou encore de recettes issues de l'organisation d'expositions. Il m'a été dit que le taux de ressources propres de l'école avait plutôt eu tendance à baisser ces dernières années. Pouvez-vous nous indiquer ce qu'il en est car, si tel était le cas, ce serait un indicateur négatif pour l'avenir de l'école.

Sans « vendre son âme », une institution culturelle doit aujourd'hui renforcer son indépendance et se libérer un peu de la contrainte budgétaire imposée par la tutelle, en recourant davantage aux ressources propres. Quelles sont les relations de l'école avec les entreprises et les potentiels mécènes, et donc aussi avec son conseil d'administration ?

Mon deuxième point portera justement sur le conseil d'administration qui, ce qui est étonnant, n'a pas été mentionné jusqu'à présent dans les différentes interventions. Son président a d'ailleurs décliné mon invitation à participer à la présente audition, en me faisant toutefois parvenir des remarques.

Le conseil d'administration d'une telle école doit, en étant notamment composé de personnalités extérieures, se prononcer sur ses orientations stratégiques, intervenir dans le cadre de l'élaboration et la mise en oeuvre du projet d'établissement et assurer le contrôle de sa gestion. Il doit pour cela compter des « Persans de Paris » comme notre collègue Yann Gaillard, qui disposent à la fois de la distance et de la connaissance nécessaire du fonctionnement de l'établissement pour poser les questions pertinentes. Qu'en est-il du conseil d'administration de l'ENSBA ? Son action est-elle insuffisante ? Ne faudrait-il pas le renforcer si l'école devait garder son statut actuel ?

M. Patrick Lefas. - S'agissant des ressources propres de l'école, le mécénat a principalement permis la réfection de la cour de l'école. Plus généralement, il est à noter que le mécénat culturel marque aujourd'hui le pas, tous les grands établissements culturels rencontrant des difficultés pour mobiliser ces ressources.

Des recettes sont également obtenues par les locations d'espaces et, bien que le nombre de visiteurs soit réduit, de la billetterie des expositions. Mais c'est surtout la taxe d'apprentissage qui pourrait constituer une perspective intéressante à exploiter pour l'avenir.

Les droits de scolarité, enfin, sont très faibles puisqu'ils s'établissent à 360 euros annuels par élève.

M. Philippe Marini, président. - Qu'il s'agisse d'étudiants français ou étrangers ?

M. Patrick Lefas. - Tout à fait. L'école ayant retenu l'organisation LMD, il me semblerait intéressant de différencier les frais de scolarité, notamment au niveau du doctorat. Les ressources issues des frais de scolarité ne représentent aujourd'hui que 200 000 euros.

Avec l'élaboration du contrat de performances, un des objectifs retenu sera nécessairement l'augmentation des ressources propres, afin de compenser la réduction de la subvention pour charges de service public.

Concernant le conseil d'administration de l'école, le principal enjeu réside dans le fait qu'il puisse jouer véritablement son rôle d'organe délibérant, à l'occasion de l'approbation du budget, de l'arrêté des comptes et du contrôle interne.

M. Philippe Marini, président. - Et aujourd'hui ces missions ne sont pas remplies par le conseil d'administration ?

M. Patrick Lefas. - Il ne joue pas pleinement son rôle d'organe délibérant qui poserait les problématiques et qui obligerait ainsi la tutelle à se positionner également.

M. Philippe Marini, président. - Monsieur Bourriaud, doit-on attendre la signature d'un contrat, d'un « pacte d'avenir », pour s'efforcer d'accroître les ressources propres de l'école ?

M. Nicolas Bourriaud. - Je souhaite, tout d'abord, préciser notre stratégie de développement de ressources propres depuis deux ans qui tend vers moins de locations d'espaces et davantage de partenariats durables. Ainsi, les montants de recettes se sont inversés entre ces deux types de ressources en trois ans, avec :

- en 2010, 608 000 euros pour la location d'espaces et 210 000 euros pour le mécénat ;

- en 2013, 485 000 euros pour la location d'espaces et 810 000 euros pour le mécénat.

M. Philippe Marini, président. - Ce qui aboutit à un montant global pour ces deux types de ressources de 818 000 euros en 2010 et près d'1,3 million d'euros en 2013.

M. Nicolas Bourriaud. - Exactement. L'année 2012 avait été encore plus florissante, avec 1,2 million d'euros pour le mécénat et 661 000 euros pour la location d'espaces.

La collecte de la taxe d'apprentissage a également été doublée depuis 2011, par l'effet principalement du recrutement en septembre 2012 d'un agent spécifiquement dédié au partenariat avec les entreprises.

M. Philippe Marini, président. - Quand on cherche on trouve !

M. Nicolas Bourriaud. - Tout à fait. S'agissant de la fréquentation des expositions de l'école, nous avons enregistré davantage de visiteurs en 2013, avec une nouvelle formule d'expositions, en passant à 50 000 visiteurs, à comparer au chiffre de 30 000 visiteurs qui correspond à 2011.

En réponse à Yann Gaillard, nous sommes justement en phase de finalisation d'une convention avec le centre Pompidou, pour différents types de collaborations, notamment dans le domaine pédagogique et du prêt d'oeuvres.

Autre progrès significatif, le récolement des collections est totalement achevé. Celles-ci se situent principalement dans un entrepôt situé à Saint-Denis.

M. Philippe Marini, président. - De quand date le déménagement de vos collections dans cet entrepôt ?

M. Nicolas Bourriaud. - De mémoire, le déménagement s'est effectué en 2010.

M. Philippe Marini, président. - L'entrepôt est-il sécurisé et répond-t-il aux normes de conservation ?

M. Nicolas Bourriaud. - Il répond effectivement aux normes de sécurité et de conservation des collections.

M. Philippe Marini, président. - Combien coûte-t-il ? Appartient-il à l'État ou s'agit-il d'une location ?

M. Nicolas Bourriaud. - Il me semble que l'entrepôt est de la propriété de la commune. Nous en disposons à titre gratuit.

Seule la collection de photographies est encore conservée sur le site de l'école, quai Malaquais, et pose donc des difficultés de conservation.

M. Philippe Marini, président. - Est-il si compliqué de conserver des photographies ? Dans notre assemblée, nous sommes un certain nombre à occuper par ailleurs des fonctions de maire, et nous nous efforçons de garder les pieds sur terre.

M. Nicolas Bourriaud. - Il existe des normes de conservation que nous devons respecter. Une solution devra donc être trouvée, nous réfléchissons actuellement à une possibilité sur notre site de Saint-Ouen, avec un volet tourné vers le public.

M. Philippe Marini, président. - Et s'agissant du conseil d'administration ?

M. Nicolas Bourriaud. - Il s'est tenu hier et s'est très bien déroulé. À mon sens, il joue pleinement son rôle dans la vie de l'école et dans ses rapports avec les autres instances, en particulier le conseil pédagogique. Je ne perçois pas de problème majeur dans son fonctionnement.

M. Michel Orier. - Le schéma directeur, pièce très importante du dispositif, est en cours. De même, le contrat de performances sera présenté au prochain conseil d'administration. S'agissant de la conservation des collections, je rappelle que nous avons été contraints d'abandonner le projet de rassemblement des collections des grands établissements culturels en bord de Seine, à savoir Orsay, le centre Pompidou, le Louvre, et, bien sûr l'école des beaux-arts. Il était ainsi prévu de construire un grand entrepôt pour accueillir l'ensemble des collections en question, mais ce projet a été abandonné pour des raisons budgétaires. C'est un problème récurrent, sujet de préoccupation pour le ministère de la culture et de la communication qui reste vigilant.

Sur la question des collections et des expositions, la ministre a souhaité mettre sur pied des propositions issues d'une commission, visant à mutualiser l'ensemble des oeuvres et à faire en sorte qu'elles voyagent ou qu'elles soient diffusées de façon beaucoup plus large, bref, qu'elles soient mises davantage à la disposition des publics, en faisant l'objet d'expositions dans des musées de région et dans d'autres villes que Paris. L'idée est de rappeler que notre patrimoine s'adresse à l'ensemble des Français et qu'il n'est pas l'apanage d'une minorité d'entités.

M. Philippe Marini, président. - Qui va payer cela ?

M. Michel Orier. - Nous avons de nombreux fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) ...

M. Philippe Marini, président. - Il y a effectivement beaucoup d'argent là-dedans !

M. Michel Orier. - Il y a aussi beaucoup de musées dans les villes françaises ; beaucoup de conservateurs de talents organisent des expositions un peu partout sur le territoire. Grâce à ces relais, il me paraît logique que les collections, plutôt que de rester dans des réserves, puissent être mises à disposition du public.

M. Philippe Marini, président. - Les budgets de toutes ces collectivités vont diminuer...

M. Michel Orier. - Oui, cela étant, même en période de contrainte budgétaire, on constate que l'activité culturelle reste importante ; elle est indéniablement prisée des Français et bénéficie de très bons professionnels sur le terrain. Cette démarche fait partie de l'optimisation des crédits qui nous sont alloués.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - M'étant déjà exprimé sur les observations du référé, je souhaite simplement émettre une suggestion : il me semble que le terme de « beaux-arts » est une notion un peu vieillie, dépassée. Peut-être conviendrait-il de trouver une dénomination plus actuelle, en se référant par exemple à la notion de « création française » ?

M. Philippe Marini, président. - Vous mettez le doigt sur une problématique qui touche à l'identité de l'institution. Il est vrai que, traditionnellement, en France et à l'étranger, la référence aux « beaux-arts » est connue, il s'agit presque d'une marque. On sait de quoi on parle, ce qui n'est pas le cas quand on cite l'« ENSBA ». Cela pose une vraie question : faut-il abandonner cette identité ou, au contraire, en trouver une autre, mais laquelle ?

M. Éric Doligé. - J'ai écouté avec intérêt les développements liés à la chute assez vertigineuse du nombre des étudiants étrangers au sein de l'école, dans des délais relativement courts. Selon vous, cette évolution, qui traduit l'incapacité de l'école à être reconnue sur le plan international, s'explique-t-elle par un problème d'image, de visas, de concurrence, ou encore, de lisibilité ? Où vont ces étudiants potentiels qui auraient pu venir en France ?

Ma seconde remarque devrait plaire à notre collègue Yann Gaillard : j'ai entendu les chiffres relatifs aux subventions de l'État dans le domaine culturel des beaux-arts ; en tant que président d'une assemblée délibérante d'une collectivité territoriale, je préfèrerais pour ma part, plutôt que de consacrer six millions d'euros à une fouille sur une petite zone d'activité, en allouer un peu aux beaux-arts ; je pense que cela serait beaucoup plus efficace que de trouver des marques de tronc sur un terrain sans intérêt... Si vous voulez de l'argent, essayez de convaincre le ministère de la culture pour qu'il arrête de nous enquiquiner avec des fouilles de cette nature !

M. Philippe Marini, président. - Tout cela, c'est la loi qui l'a imposé. C'est le Parlement qui légifère, donc nous sommes responsables...

M. Edmond Hervé. - Je ne partage pas totalement l'observation de notre collègue Eric Doligé, mais c'est un débat ancien et extrêmement important.

J'aurai trois observations à formuler. Tout d'abord, Monsieur Bourriaud, je comprends bien qu'une fusion des écoles soit difficile à réaliser ; nous connaissons tous ici la difficulté de fusionner des communes, donc vous êtes exonéré ! Toutefois, je pense que la démarche liée au projet éducatif que l'on doit retrouver à l'université ou ailleurs est quelque chose de très important ; vous avez cité les écoles internationales. Je partage totalement votre vue, mais n'oublions pas aussi les écoles régionales !

Deuxièmement, j'ai entendu ce qui a été dit concernant la gestion. À cet égard, je ne suis pas sûr que ce soit en diminuant la durée de vie des directeurs d'administration centrale ou d'institutions nationales que l'on puisse atteindre les objectifs qui sont les nôtres. Je pense que nous sommes en train de nous américaniser, avec une sorte de spoil system que, personnellement, y compris en tant que maire, j'ai toujours dénoncé : on ne peut pas demander à un directeur d'administration centrale ou d'école - Monsieur Bourriaud, je ne sais pas quelle est votre espérance de permanence à la tête de l'école - de mener une politique de gestion efficace en restant en moyenne deux ans en place. Ce que je dis est aussi valable pour les préfets !

J'émettrai donc une suggestion à l'attention de notre Président : lorsque nous auditionnons, pour donner notre avis, certaines personnes appelées à diriger de grandes institutions, il serait important que notre commission réfléchisse précisément sur la durée de ces mandats.

En tant que rapporteur spécial, je me suis penché sur la gestion immobilière publique de la ville de Paris, non pas en tant que collectivité territoriale, mais en tant que capitale. Je vous garantis, Monsieur le Président, maire de Compiègne, que nous, modestes élus locaux que nous sommes, pourrions aussi émettre quelques avis sur ces sujets !

Troisièmement, Jean Vilar disait « ce n'est pas le public qui m'intéresse mais le non public » - certes, l'expression est mauvaise. Nous sommes prisonniers d'une politique de l'offre. Il faut que nous ayons le courage de mener une politique de la demande. Monsieur Orier, vous parlez de circulation des expositions. Mais vous ne pourrez pas la mettre en oeuvre si vous n'avez pas élaboré un calendrier à dix ans. En effet, chaque musée élabore sa propre programmation. Et si vous me le permettez, ce n'est certainement pas en passant par l'intermédiaire des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) que vous pourrez y arriver, mais en dialoguant directement avec les élus impliqués.

M. Philippe Marini, président. - C'est une expérience partagée par beaucoup d'entre nous et il est vrai que si le Sénat a une utilité, c'est peut-être parce que ses horizons de temps sont différents de ceux d'autres institutions.

M. Roger Karoutchi. - Pour ma part, je voudrais juste m'interroger, voire m'inquiéter sur la situation générale. En effet, je pense que ce qui se passe à l'école des beaux-arts pourrait se retrouver dans d'autres grandes écoles artistiques ou établissements culturels. Notre pays jouit d'un patrimoine artistique, historique, culturel considérable. Le problème est que la France d'aujourd'hui n'est plus celle d'il y a trente ans au niveau économique et financier. Entre un État désargenté et des collectivités qui ne sont pas en situation de pouvoir les aider autant qu'elles le souhaiteraient, on demande aux établissements culturels de trouver des partenaires privés pour leur octroyer des moyens. Mais il y a de moins en moins de partenaires prêts à payer, et je peux témoigner de la difficulté de l'exercice, car j'ai eu l'occasion à la région Île-de-France de chercher des partenaires pour deux établissements culturels parisiens. Il est particulièrement dur de trouver des partenariats réguliers sur plusieurs années. Le discours officiel affirme que l'on ne peut en aucun cas regrouper, abandonner ou ne pas soutenir tous les secteurs ; sauf que dans les faits, on ne peut plus se le permettre ! Et la suppression de la clause de compétence générale rendra les choses encore plus difficiles. Le président de la commission des finances de la région Île-de-France que je suis en est ravi, car on empruntera enfin peut-être moins. Mais la vérité, c'est que d'un seul coup, il y aura des millions d'euros en moins au profit de l'activité culturelle, artistique, patrimoniale. Peut-on encore se permettre de conserver cette vision généreuse du soutien public au domaine culturel ? Ne devrait-on pas aller à l'essentiel ?

M. Philippe Marini, président. - La ministre de la culture et de la communication vient d'inaugurer la réouverture du théâtre du Château de Fontainebleau. Celui-ci a pu être restauré grâce à l'une des contreparties de l'accord, fortement critiqué, relatif au Louvre Abu Dhabi. Le patrimoine français est une vraie valeur dans les partenariats internationaux comme dans les relations avec les grandes entreprises, qu'elles soient françaises ou étrangères. Certes, les collectivités sont dans la situation qu'a décrite très justement Roger Karoutchi ; la question de la clause de compétence générale ne peut être traitée comme un sujet simple, car elle emporte de nombreuses conséquences ; vous voyez qu'à partir de la situation d'une école, certes relativement modeste à l'échelle de nos finances publiques, ou même du budget du ministère de la culture et de la communication, nous abordons des problématiques beaucoup plus vastes.

M. Éric Bocquet. - Je ne vais pas m'acharner sur le passé, mais s'agissant de la gouvernance, la Cour des comptes dresse un constat sévère et inquiétant pour les années 2001 à 2011. Je suis un peu rassuré par les propos de nos interlocuteurs, qui montrent que ces points ont été pris en compte et qu'un processus de rétablissement est engagé ; cependant, je m'interroge : les conditions d'une meilleure gouvernance sont-elles créées ? Le conseil d'administration a la charge de voter le budget et de vérifier l'exécution des comptes. Je suis étonné que personne, ni du côté du conseil d'administration, ni de celui de la tutelle, n'ait tiré le signal d'alarme sur la décennie passée.

Ensuite, on ne cesse de nous répéter qu'il va falloir vivre avec les moyens que l'on a. Mais je lis dans le référé de la Cour des comptes, que l'on ne peut suspecter d'être un apôtre de la dépense publique débridée, « qu'avec des moyens humains et budgétaires limités, le département du développement scientifique et culturel de l'école est confronté à une tâche considérable ». La Cour des comptes estime par ailleurs, je cite, que « l'école n'a pas les moyens d'exercer sa mission patrimoniale ». Donc la question des moyens, qu'on le veuille ou non, se pose aussi en matière de culture, et il ne faut pas l'oublier.

M. Philippe Marini, président. - Il revient à nos interlocuteurs de bien vouloir conclure cet échange, qui nous a permis de mieux prendre conscience des missions, de l'originalité et des enjeux d'avenir de l'ENSBA.

J'ajouterai une dernière question : quelles sont les relations avec l'enseignement de l'architecture ? En effet, c'était bien l'origine de l'institution des beaux-arts. Elle est née des rapports entre les oeuvres elles-mêmes et les démarches conceptuelles des créateurs et des architectes. Le plan stratégique de l'école prévoit-il de tisser à nouveau des liens avec une profession qui, par l'évolution des choses, est devenue une profession aussi bien technique qu'artistique ? J'ajoute que nous avons certainement besoin d'ingénieurs architectes et pas seulement de purs esprits.

M. Patrick Lefas. - Vous posez la question stratégique par excellence. Le débat montre bien que cette école a d'abord un problème de taille critique. Cela se mesure aux concurrents internationaux. Si l'on procède à des comparaisons, d'après les chiffres de 2011, l'ENSBA comptait 545 étudiants, contre 1 145 au Royal College of Arts, 4 500 à l'école Central St. Martins, 1 445 à la Californian Institution of Arts, et 630 à la Kunstakademie de Düsseldorf. On se rapproche d'une école de province à l'échelle mondiale.

M. Philippe Marini, président. - La France à l'échelle mondiale, c'est quoi ? C'est une petite Suisse ? On peut tenir ce raisonnement sur tous les sujets. À ce moment-là, on se dilue dans un « machin » de Cleveland !

M. Patrick Lefas. - Mon propos était de dire qu'avec un effectif de 545 étudiants, on a problème de taille critique, et que l'une des clés du raisonnement tient à l'attractivité internationale ; la chute du nombre d'étudiants étrangers est de ce point de vue très inquiétante, malgré un léger redressement récent. On comptait, en 2011, 76 étudiants étrangers, qui payent 360 euros de droits de scolarité. Ne serait-il pas logique de leur faire payer 3 000 euros ? Sciences-po ne s'est pas posé beaucoup de questions à cet égard. L'attractivité est notamment liée à cela. Cela implique forcément de s'internationaliser dans son corps professoral, d'avoir des relations de partenariat permettant des échanges. Dans l'enseignement supérieur, on est de plus en plus dans un système d'échanges ; les universités françaises l'ont très bien compris.

L'une des clés est donc de trouver des ressources propres à travers les droits d'inscription. C'est un sujet tabou. Même si l'on peut raisonner en excluant la quote-part afférente aux charges qui ne sont pas strictement liées à l'enseignement, quoique tout soit plus ou moins lié - par exemple, la médiathèque sert aux chercheurs, aux étudiants et joue aussi un rôle dans la problématique de la consultation des oeuvres par le grand public, pour autant que cela soit numérisé -, le coût de 19 000 euros par étudiant apparaît supérieur au coût moyen d'un étudiant. Certes, on n'atteint pas encore les 44 000 euros par étudiant du conservatoire national supérieur d'art dramatique...

Les catégories socio-professionnelles représentées par les étudiants de l'école des beaux-arts ne comptent pas parmi les plus défavorisées, mais dès lors que l'on tend vers cette logique, cela implique de se poser la question des bourses pour ceux qui ne pourraient pas payer le prix d'entrée.

Sur la question du mandat, je précise que le précédent directeur est resté en poste pendant cinq ans, et que la directrice adjointe est là depuis dix ans. Il me semble que c'est davantage la logique pluriannuelle inhérente au contrat de performances qui importe pour améliorer la gestion ; cette trajectoire pluriannuelle est tout à fait cohérente avec ce que vous avez voté hier sur le programme de stabilité...

M. Philippe Marini, président. - Nous ne l'avons pas voté, on ne nous demande pas de voter... Nous ne sommes pas dignes de voter, voilà !

M. Patrick Lefas. - La loi de programmation des finances publiques s'inscrit dans une logique pluriannuelle ; le contrat de performances permet de donner des objectifs et de fixer des indicateurs pour les atteindre. La lettre de mission du directeur est également un outil pour améliorer la gestion. Dès lors que l'on raisonne dans un cadre pluriannuel, on peut entrer dans une logique qui permet de mesurer les progrès réalisés.

Sur les ressources extérieures, vous avez cité le cas du théâtre du château de Fontainebleau. Nous sommes en train de travailler sur France-Museums, qui est un sujet très sensible, et nous pourrons, si vous le souhaitez, vous livrer les principaux enseignements de ce travail lorsqu'il sera terminé. Nous touchons là à un univers extra-budgétaire...

Différentes options sont possibles, et certains font mieux que d'autres. Le Louvre s'est, à cet égard, sans doute mieux débrouillé que le centre Pompidou.

Plus généralement, il me semble que la question des moyens passe par un adossement rapide à d'autres institutions pour la partie patrimoniale. Il s'agira ensuite de bâtir un cadre pour réaliser des économies d'échelle. Ces recommandations ne s'adressent pas seulement à l'école des beaux-arts : ainsi, les référés de la Cour des comptes relatifs aux trois conservatoires nationaux supérieurs d'art dramatique, de musique et de danse, et aux écoles françaises à l'étranger émettent le même type de remarques. Nous travaillons, parallèlement, sur les problématiques muséales : nous terminons deux contrôles sur le centre Pompidou et sur la Cité de l'architecture et du patrimoine (CAPA). Le résultat de ces travaux démontre à la fois les inquiétudes liées aux menaces financières qui pèsent sur ces établissements, notamment le centre Pompidou : comment préserver son intégrité et sa sécurité, comment assurer le renouvellement de ce grand projet culturel ? Il y a là un problème de ressources, ce qui implique nécessairement de se poser des questions d'arbitrage.

M. Nicolas Bourriaud. - Sur la taille critique, je crois qu'il est extrêmement important de comparer ce qui est comparable. Vous citez le Royal College of Arts ou Central St. Martins qui sont deux écoles très différentes. La seconde compte plus d'un millier d'élèves, mais qui sont répartis en différentes sections : design, stylisme, art. Par ailleurs, le nombre d'étudiants en art à St. Martins est à peu près équivalent au nombre d'étudiants de l'ENSBA. Il en est de même pour Goldsmith, qui compte environ 500 étudiants en art, dans un ensemble qui est aussi beaucoup plus vaste. La seule école d'art comparable est celle de Düsseldorf, qui compte 630 étudiants, soit l'étiage moyen de l'ENSBA.

Sur l'internationalisation, je rappellerai que sur nos 29 chefs d'atelier artistes professeurs, on compte 11 étrangers en provenance des cinq continents. De même, nous avons 81 écoles partenaires aux quatre coins du monde. Il y a donc une véritable empreinte internationale de l'école. J'ajoute que son développement extérieur se fera essentiellement par la communication et par une attractivité générale de la ville de Paris. De ce point de vue, il me paraît important de préciser que c'est la taille des villes qui oriente le choix des étudiants, et non un pays. C'est pour cela que nous précisons « École des beaux-arts de Paris », même si c'est une école nationale, car il y a un ancrage dans une histoire, dans une ville.

On parlait tout à l'heure des beaux-arts de Paris comme d'une marque ; c'est tout à fait cela, et il me paraît particulièrement important à cet égard de ne pas céder sur ce qui constitue notre ADN. C'est de cette histoire qu'il faut s'inspirer pour faire entrer l'école dans le 21ème siècle, et ne surtout pas abdiquer notre spécificité, fondée sur cette approche si particulière de la transmission à travers des oeuvres d'art et le contact avec les artistes. Si l'on arrive à revendiquer ce modèle au lieu de penser qu'il est dépassé, je pense que nous aurons tous les atouts pour faire de l'école un établissement pilote pour le 21ème siècle, mais il faut oser le revendiquer, et ne pas en avoir peur.

M. Philippe Marini, président. - Je crois que nous avons bien compris les enjeux et les difficultés liés à la volonté de préserver la compétitivité de notre pays dans le domaine culturel, tout en étant en mesure d'ajuster nos charges à nos moyens, de mutualiser, et de bien répartir l'argent public. Cela demande beaucoup d'imagination. Il revient à Michel Orier de conclure.

M. Michel Orier. - Le débat a été effectivement riche et permet de mettre en évidence l'ensemble des enjeux qui sont devant nous.

S'agissant de la question centrale de l'attractivité, il convient de maintenir l'identité très forte de chacun de nos établissements tout en mutualisant par ailleurs les coûts qui peuvent l'être pour conserver notre compétitivité. Comme l'a indiqué Nicolas Bourriaud, l'ENSBA dispose, pour son coeur de métier, d'une taille comparable aux écoles des autres pays.

Par ailleurs, l'amélioration de l'attractivité dépasse largement le cadre de l'ENSBA puisqu'elle repose aussi sur des éléments tels que le développement de campus ou encore le coût de la vie pour les étudiants.

Il convient également de ne pas aboutir à une injonction paradoxale. Ainsi, les frais de scolarité à la prestigieuse Julliard School, où je me suis rendu récemment, coûtent 38 000 euros par an, avec un système de bourse qui, bénéficiant à environ 50 % des élèves, ne permet pas de couvrir plus de 20 % de la dépense. Les étudiants doivent également assumer le coût de la vie à New York. Le directeur de cette école regrette aujourd'hui un manque de diversité dans son recrutement.

Nous sommes tous admiratifs des résultats de l'école Central St. Martins, dont les frais de scolarité s'élèvent à 15 000 livres annuelles, et qui a pour particularité d'être adossée au Commonwealth.

Tous ces éléments doivent être pris en compte dans la recherche de l'attractivité de nos écoles.

En réponse à Edmond Hervé, je souhaite indiquer, tout en partageant ses réflexions, que la difficulté pour la circulation des oeuvres ne me semble pas venir des DRAC mais plutôt de la nécessité d'un changement global de culture, où l'échange primerait plutôt que la propriété des oeuvres.

Afin de favoriser l'accès des oeuvres au public, la ministre a notamment souhaité le lancement, à l'automne prochain, d'une manifestation en partenariat avec les entreprises.

Enfin, je précise que l'ENSBA n'a connu que seize directeurs depuis 1863, ce qui traduit une relative stabilité.

M. Edmond Hervé. - Et dans l'administration centrale ?

M. Michel Orier. - C'est différent. Je ne fournissais cette indication que pour l'ENSBA.

M. Philippe Marini, président. - Je remercie l'ensemble des intervenants et invite Nicolas Bourriaud à fournir à Yann Gaillard la programmation des futures expositions de l'ENSBA.

La réunion est levée à 11h18.