Mardi 3 juin 2014

- Présidence de M. Michel Teston, vice-président -

Déploiement d'un réseau d'infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l'espace public - Examen des amendements au texte de la commission

La commission examine les amendements sur le texte n° 562 (2013-2014) adopté par la commission, sur la proposition de loi facilitant le déploiement d'un réseau d'infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l'espace public.

La réunion est ouverte à 14 heures.

M. Michel Teston, président. - Nous avons six amendements à examiner.

Article 1er

M. Louis Nègre. - Je suis tout à fait favorable à l'exonération de redevance prévue par la proposition de loi, afin de faire décoller la filière du véhicule électrique. Mais une fois le modèle économique stabilisé, il n'y a pas lieu de la maintenir car c'est une forme de subvention indirecte. Mon amendement n°5 rectifié propose qu'un décret en Conseil d'État encadre cette mesure dans le temps. Mon sentiment personnel est que cette durée pourrait être comprise entre cinq et dix ans.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je comprends la proposition de notre collègue Louis Nègre. En effet, le déploiement des bornes pour les opérateurs qui en seront chargés ne sera pas un investissement rentable à court terme, ce qui justifie la mise en place de l'exonération. Mais cela ne sera peut-être pas toujours le cas, notamment avec la montée en puissance attendue du parc de véhicules électriques.

Pourtant, il semble difficile de déterminer aujourd'hui quelle durée précise pourrait être fixée. Je crois que nous gagnerions à ne pas limiter ce dispositif, d'autant que le manque à gagner pour les collectivités territoriales sera faible. Il sera toujours temps d'y revenir plus tard.

Je propose donc que l'amendement soit retiré, sinon avis défavorable.

M. Louis Nègre. - C'est un problème de principe !

La commission demandera le retrait de l'amendement n° 5rectifié pour lequel elle a émis un avis défavorable.

Mme Évelyne Didier. - Mon amendement n° 1 vise à ce que les plans retenus soient rendus transparents. Je crains en effet que pour certaines régions, il n'y ait pas d'opérateur volontaire.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Je vous propose de demander des garanties au ministre en séance et, ensuite, de retirer votre amendement.

La commission demandera l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 1.

M. Henri Tandonnet. - L'amendement n° 2 propose d'inclure dans la concertation sur l'implantation des infrastructures de recharge les personnes morales de droit public mentionnées à l'article L. 2224-37 du code général des collectivités territoriales dont le projet a déjà fait l'objet d'une délibération de l'organe délibérant.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. - Cet amendement est satisfait par le texte de la commission.

La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 2 ainsi que sur les amendements n° 3, n° 4 et n° 6, identiques.

Questions diverses

M. Michel Teston, président. - L'auteur de la proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé sur laquelle nous devons émettre un avis la semaine prochaine m'a fait part de son souhait de venir la défendre devant la commission.

L'article 18 du règlement du Sénat dispose que les auteurs de propositions de loi non membres de la commission sont entendus sur décision de celle-ci.

Êtes-vous favorables à la demande formulée par votre collègue ?

La demande recueille l'assentiment général.

La réunion est levée à 14 h 25.

- Présidence de M. Raymond Vall, président -

Candidature aux fonctions de président du conseil d'administration de Voies navigables de France (VNF) - Dépouillement

La commission procède au dépouillement du scrutin portant sur la candidature de M. Stéphane Saint-André aux fonctions de président du conseil d'administration de Voies navigables de France, en application de l'article 13 de la Constitution.

M. Raymond Vall, président. - Voici les résultats du scrutin du mardi 27 mai 2014 concernant la candidature de M. Stéphane Saint-André aux fonctions de président du conseil d'administration de Voies navigables de France : 7 voix pour et 2 votes blancs.

- Présidence commune de M. Raymond Vall, président et de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques -

Secteur des télécommunications - Audition de M. Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, et de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat chargée du numérique

La réunion est ouverte à 18 h 05.

M. Daniel Raoul, président. - Nous sommes très heureux de vous accueillir, à l'issue d'un cycle d'auditions des opérateurs de télécommunications, très riche d'enseignements, à l'heure où ce secteur connaît d'importantes évolutions. Nous souhaiterions vous entendre sur la situation économique de ce dernier à court et moyen termes : les règles de la concurrence sont-elles respectées ? La viabilité économique des opérateurs conduit-elle à la concentration ? Les investissements exigés par le déploiement de la fibre seront-ils effectivement réalisés ? Le plan France très haut débit devra-t-il être réactualisé ? Avant de céder la parole au président Vall, qui vous interrogera sans doute sur la couverture numérique du territoire, enjeu capital pour nous tous et relevant plus particulièrement des compétences de sa commission, je ne puis passer sous silence une proposition de loi relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques, dont il nous faudra revoir le dispositif, formé d'une sédimentation de compromis... Nous devrons mettre au propre le « brouillon » de l'Assemblée nationale.

M. Raymond Vall, président. - Les membres de la commission du développement durable sont également très heureux de vous accueillir. L'aménagement du territoire est en effet au coeur de nos compétences ; aussi est-ce sur cet aspect que nous souhaitons vous interroger, alors que certains schémas ont bien avancé, mais rencontrent des difficultés sur le terrain. Le président de l'association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), notre collègue Yves Rome, sera sensible aux possibilités d'optimisation des infrastructures, alors que certaines d'entre elles existent, mais n'apparaissent pas dans ces schémas. Nous avons bien du mal à les exhumer !

M. Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique. - Nous n'avons pas encore résorbé les effets de nature sismique de l'arrivée d'un nouvel opérateur, Free, décision qui fut prise dans des conditions peut-être justifiées politiquement, mais dont les conséquences n'ont pas été anticipées. Tel ou tel opérateur est-il, pour autant, condamné ? Non, car il revient aux pouvoirs publics de décider et de mener une politique qui ne peut se résumer à l'intensification de la concurrence. Telle n'est en effet pas la position de ce gouvernement. La concurrence est parfois nécessaire, mais elle aussi destructrice ; il faut agir de façon pragmatique, équilibrée et raisonnable. Le premier effet de la concurrence est de faire baisser les prix, ce qui représente un avantage pour le consommateur, dont il faut se féliciter. Cependant, cette situation n'est pas durable ; elle est même dangereuse, quand des opérateurs faisant des offres de services se livrent à une véritable guerre des prix. Notre pays est l'un de ceux, avec Israël, où les prix sont les plus bas au monde. D'où les dégâts sociaux, économiques et industriels que nous connaissons : accélération de la délocalisation des centres d'appels ; recherche d'équipements low cost par les opérateurs , arrivée de Huawei sur le marché européen au détriment d'Alcatel, ce qui a entraîné un plan social, même si ce n'en est pas la cause unique ; remise en question du système des services offerts en boutiques, avec des destructions d'emplois ; liquidation de Phone House ; plan social chez SFR, dont on a peu parlé, parce que les indemnisations étaient assez généreuses ; et autre plan à venir chez Bouygues Telecom, qui serait plus important... Beaux résultats ! Les prix baissent, certes, et les consommateurs y gagnent, mais au prix de la santé des entreprises et de l'emploi.

Cela n'est pas sans conséquence sur les investissements : il est question de consacrer des milliards d'euros au déploiement de la fibre. Les opérateurs devront investir, s'ils le peuvent et parce que c'est leur intérêt. Mais s'ils ne le peuvent pas, le contribuable sera à nouveau sollicité. Aussi, depuis deux ans que j'ai la charge de ce secteur, j'ai multiplié les déclarations, qui vont toutes dans le même sens : la situation européenne, et non pas seulement française, n'est plus acceptable. Combien d'opérateurs pour 300 millions de clients américains ? Disons trois et demi, avec les consolidations en cours. Pour les 800 millions de clients chinois, deux et demi ou trois... Et pour les 400 millions d'Européens ? 120 ! Cette balkanisation, cet émiettement de l'offre affaiblit les opérateurs. Combien d'opérateurs européens sont en bonne santé ? Je ne donne pas de chiffre, mais allez voir leurs comptes et vous constaterez les effets de l'idéologie obsessionnelle de la concurrence, y compris sur les infrastructures ! Cette stratégie européenne ne me convient pas.

J'ai noté des éléments d'inflexion depuis quelques mois. Avec la précédente ministre déléguée chargée de l'économie numérique, Fleur Pellerin, nous avions saisi l'Autorité de la concurrence, qui a admis que doive cesser la concurrence par les infrastructures, permettant ainsi le partage du territoire. Cet avis, qui date d'un an, fonde juridiquement des évolutions - bienvenues - de la doctrine européenne en la matière. Nous attendons, ce mois-ci, des décisions de la direction générale de la concurrence, concernant l'Allemagne et l'Irlande. Le Gouvernement est favorable à la consolidation autour de trois opérateurs. Celle-ci n'est pas synonyme d'entente. Il y eut des ententes à quatre et il peut y avoir de la concurrence à trois. Le maintien de Free exerçant une pression sur les prix, nous favoriserons le renforcement des opérateurs sur le plan national, tout en préparant une consolidation européenne que nous appelons de nos voeux et à laquelle nous travaillons, sans nous immiscer dans les choix stratégiques des opérateurs. Le rapprochement entre SFR et Numericable n'a pas permis cette consolidation à trois. Ces problèmes restent donc devant nous. C'est pourquoi nous incitons publiquement les opérateurs à rechercher les voies et moyens d'un rapprochement, autant qu'ils le voudront et selon les combinaisons qu'ils pourront imaginer.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État, chargée du numérique. - Face à la concentration dans le secteur, après l'annonce d'une réforme territoriale qui suscite des questions sur le rôle des départements, fondamental pour la mise en oeuvre du plan France très haut débit, mais aussi sur les contours des régions, il est tout à fait légitime que les élus et les parlementaires en particulier s'interrogent : le plan de déploiement de l'internet à très haut débit sera-t-il remis en cause ? La question se pose autant dans les 53 % du territoire en zone dite « AMII » (appel à manifestation d'intention d'investissement), où les opérateurs privés sont autorisés à déployer la fibre dans le cadre de contrats avec l'État et les collectivités territoriales, que dans les zones dites « blanches », qui regroupent les 47 % restants, où les autorités publiques et les collectivités locales interviennent pour déployer le très haut débit. Remettre en cause ce plan reviendrait à remettre en cause l'engagement du président de la République de déployer la fibre optique d'ici à 2023.

Soyons lucides et relativisons ! Dans cette période charnière, les opérateurs doivent être en mesure de continuer à investir. L'État s'est fortement engagé, à hauteur de 3,3 milliards d'euros : c'est le plus grand chantier d'infrastructures de ce début de siècle, le plus grand du quinquennat. Toutes les études montrent que le très haut débit entrainera un gain de valeur économique, de croissance et d'emplois. Il n'est pas question de remettre en question l'engagement de l'État. Le plan France très haut débit procède d'un cadre souple, fondé sur un dialogue avec les acteurs, animé par la mission du même nom. Il n'y a plus d'opposition de principe entre les opérateurs et les collectivités locales, sous l'arbitrage de l'État. Le dialogue prime et porte ses fruits, puisque les projets des départements ont été validés. Ce cadre souple permet aux opérateurs de mobiliser leurs capacités financières au service de nouvelles infrastructures en fibre optique, le plus rapidement possible dans les zones prioritaires, comme les écoles, visées par le plan École connectée que nous avons récemment lancé avec Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Déjà, 54 dossiers ont été déposés pour obtenir le soutien du fonds numérique, afin d'offrir à quatre millions de foyers l'accès au très haut débit, et à 600 000 autres un meilleur débit sur le réseau de cuivre. Cela répond à une demande des élus, que le Gouvernement doit entendre. Nous ne refusons pas par principe un mix technologique, car il y a urgence, pour combler la fracture numérique, sans remettre en cause, je l'ai dit, l'engagement du président de la République.

Le volume global des investissements s'élève à 7 milliards d'euros à ce jour : 3,2 millions de logements accèdent au très haut débit, dont 600 000 en dehors des zones les plus denses. Une dynamique est engagée. Le Gouvernement veillera à ce qu'elle ne soit pas enrayée, à ce que la concentration bénéficie à tous, à ce que les engagements soient respectés, comme les 450 millions d'euros supplémentaires de SFR et Numericable dans le plan « France très haut débit », de 2015 à 2017, pour les zones denses, et les 50 millions d'euros supplémentaires pour amorcer l'arrivée des grands fournisseurs d'accès à internet sur les réseaux publics.

Nous travaillons à l'accélération de cette dynamique au profit des territoires : ainsi, la réglementation de l'accès des immeubles à la fibre ne doit pas la pénaliser par rapport à d'autres technologies. Nous encourageons les montages de long terme, par lesquels les investisseurs accompagneront les investissements des opérateurs. Nous réfléchissons aux moyens de faire en sorte que la concurrence entre infrastructures bénéficie aux usagers.

Le plan cible les besoins prioritaires, pour le raccordement des entreprises et des services publics et pour le raccordement rapide des zones les moins favorisées. Le Gouvernement n'a nullement l'intention de remettre à plat l'ensemble de ce plan. Il entend, bien au contraire, rassurer les usagers et les opérateurs. Nous tiendrons compte des conséquences de la concentration du secteur et de la réforme territoriale pour trouver des outils de financement innovants, permettant de répondre aux besoins spécifiques, en particulier dans les zones denses.

M. Daniel Raoul, président. - N'y a-t-il pas des priorités à modifier, pour établir les zonages ? Je passe la parole à Pierre Hérisson, co-président du groupe d'études communications électroniques et poste, puis à Yves Rome, président de l'Avicca.

M. Pierre Hérisson. - Quelles que soient nos sensibilités politiques, nous souscrivons à l'essentiel de ce que vous avez déclaré l'un et l'autre. Je suis ce dossier depuis 1996 au Sénat, et nous avons connu des étapes plus ou moins inquiétantes. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, l'autorisation délivrée au quatrième opérateur a fait baisser la plus grande part de la capacité d'investissement de l'opérateur historique et des nouveaux entrants.

Heureusement, l'évolution technologique nous a éloignés d'une conception idéologique, à tel point que le bon sens et la raison sont en train de l'emporter sur l'absurde « tout ou rien ». J'en veux pour preuve un paragraphe de la réponse que nous a adressée Fleur Pellerin sur les infrastructures, qui mentionne, non seulement la fibre optique, mais aussi les autres technologies, dans une logique de complémentarité, pour assurer la couverture du territoire. Oui, nous nous en rapprochons, depuis les promesses des deux candidats présents au second tour de la présidentielle, de notre capacité d'investissement et de la réalité. Avec son service universel, toujours en vigueur, maintenu par l'opérateur historique, la France a couvert la totalité de son territoire par un réseau de cuivre, au moyen d'un échange donnant-donnant avec le détenteur du monopole. Si France Telecom y est parvenu sans aide publique, à l'exception de l'enfouissement des réseaux financé en grande partie par les collectivités locales, c'est grâce à l'argent du consommateur. Le moment est venu de faire preuve de réalisme, en donnant aux opérateurs les moyens de couvrir le territoire là où ils le peuvent, en complémentarité avec les collectivités locales là où ce n'est pas possible pour des raisons d'équilibre économique. Placer sur le même plan les réseaux d'initiative publique (RIP) et les obligations des opérateurs me paraît trop rapide, alors que les collectivités sont là pour accélérer les décisions.

Avec notre collègue Bruno Retailleau, également spécialiste de ce dossier, nous nous sommes interrogés sur le plan France très haut débit : sera-t-il corrigé, réorienté, avec la fusion de deux opérateurs ? La France connaîtra-t-elle une situation « à l'allemande » ? Les Allemands n'ont pas fait le choix de la fibre, mais utilisent le coaxial pour le parcours terminal, ce qui permet de couvrir avec un débit moyen de 50 Mbit/s, l'ensemble du territoire. Je rappelle toutefois que si en France 80 % de la population est répartie sur 20 % du territoire, en Allemagne, cette proportion est de 40/60, ce qui facilite l'équilibre économique... Où en est le projet de création d'une agence du numérique, que nous sommes plusieurs à défendre ici ?

Je tiens enfin, madame la ministre, à vous remercier de vous être exprimée, juste avant cette audition, devant la mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'internet.

M. Yves Rome. - Je ne partage pas totalement l'analyse de Pierre Hérisson. Il y a quelques années, notre collègue Philippe Leroy a permis aux collectivités territoriales d'agir dans le domaine du numérique. Près de dix ans après, nous en sommes à la croisée des chemins. Le plan France très haut débit représente un effort très positif. Pas moins de 64 collectivités locales ont adopté un schéma d'aménagement numérique ; une dizaine d'entre elles, dont un département, ont passé des marchés, pour quelques centaines de millions d'euros, pour déployer des réseaux, rendant possible l'accélération du plan France très haut débit. Au total, plus d'un milliard d'euros a été attribué aux collectivités territoriales. J'ai bien entendu la ministre, qui a voulu nous rassurer sur les 3,3 milliards d'euros, mais, à ce jour, je n'en ai trouvé nulle trace budgétaire. Ces sommes sont pourtant indispensables pour que les collectivités locales puissent envisager une issue favorable aux dossiers qu'elles ont déposés.

Il faut consolider les opérateurs. Nous partageons l'analyse du trouble occasionné par l'arrivée du quatrième opérateur, s'il s'agit de consolider les engagements et les investissements dans les zones AMII. Quid des véhicules financiers susceptibles d'être mobilisés au profit des opérateurs afin qu'ils tiennent leurs engagements dans ces zones ? J'ajoute que la réforme territoriale inquiète au plus haut point l'ensemble des collectivités territoriales, qui se sont fortement engagées. Que vont-elles devenir ? Qu'adviendra-t-il de leur gouvernance ? Quid des syndicats mixtes ouverts, que la plupart des départements - appelés à disparaître - et des régions - dont l'architecture est bouleversée - ont mis sur pied pour accompagner les efforts du Gouvernement ? Et je ne parle pas des intercommunalités ! Or, il faut que l'ensemble des échelons territoriaux soit mobilisé pour que se réalise l'objectif présidentiel. La plupart des projets bénéficient du Fonds européen de développement régional (Feder), du Fonds national pour la société numérique (FSN), des crédits des régions, des départements, et ne peuvent parvenir à l'équilibre économique sans l'apport des communes et des intercommunalités. Quel sera le sort du Feder, alors que les notifications européennes des investissements des collectivités locales soulèvent des difficultés ? Monsieur le ministre, les collectivités territoriales ont besoin d'être sécurisées dans leur engagement massif en faveur de cette priorité du président de la République.

M. Arnaud Montebourg, ministre. - C'est Axelle Lemaire qui est chargée de mettre en oeuvre ce plan très haut débit et je l'en remercie. C'est un travail considérable et il importe, pour le mener à bien, d'écouter les représentants des territoires que vous êtes. Avant de lui céder la parole, je tiens à rappeler l'esprit dans lequel nous travaillons. Nous souhaitons faire aboutir ce plan. Les événements qui affectent les opérateurs ne doivent pas influer sur notre détermination. Nous avons une vision pragmatique de ce projet ambitieux. Nous tenons notre cap. Les réformes de toute nature ne doivent pas nous faire dévier. C'est la compétitivité de notre pays qui est en jeu, alors que nous nous interrogeons sur l'utilisation de l'espace, face au défi démographique considérable que représentent la croissance de notre population et l'exode urbain : dix millions de Français disent vouloir quitter les grandes villes pour vivre à la campagne. Des mutations du monde du travail en découleront, des changements de société, puisqu'il ne s'agit pas que de relier des êtres humains, mais de connecter des milliards d'objets par internet, ce qui entraînera des applications dans tous les domaines de la vie quotidienne. La France dispose d'atouts extraordinaires pour relever ces défis. C'est pourquoi le plan très haut débit est un objectif stratégique. Vous avez évoqué la réforme des départements, la modification de la carte des régions, la consolidation des opérateurs... nous nous donnerons les moyens de ne pas nous démobiliser. Que demanderons-nous aux opérateurs, en contrepartie de la consolidation à trois ? De « pousser les murs », de faire davantage pour les investissements... Soyons intelligents ! Utilisons l'avis de l'Autorité de la concurrence sur la mutualisation des moyens.

M. Daniel Raoul, président. - Lors des auditions, on nous a beaucoup dit que la mutualisation serait un « cancer », que les opérateurs n'y survivraient pas...

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. - La compétitivité de l'État, des collectivités locales et du secteur privé est au coeur du plan France très haut débit. Nous l'envisageons sans naïveté : il faut un maximum d'investissements de la part des opérateurs privés. Le plan, je le répète, n'est pas remis en cause. Le Gouvernement reste très vigilant sur les engagements pris par les opérateurs. J'en discuterai avec M. Patrick Drahi ce jeudi. Il serait difficile de pousser les opérateurs à s'engager sur les investissements sans entendre leurs difficultés. Ils doivent retrouver leurs marges et nous devons les y aider. La question de la concentration se pose au niveau européen. C'est Angela Merkel elle-même qui a remis en cause l'application du droit de la concurrence, en considérant qu'elle a affaibli la position de nos opérateurs européens dans le secteur des télécommunications.

Cela dit, reconnaissons l'effort qu'ils ont accompli : leurs investissements ont beaucoup progressé depuis trois ans. Cet effort doit être amplifié. Est-ce soutenable, dans un contexte de baisse des revenus ? D'où la question de la mutualisation des infrastructures, essentielle pour que les opérateurs retrouvent les marges nécessaires à leurs investissements. Et que nous encourageons, autant pour le déploiement de la fibre que pour le réseau mobile. Ce problème est circonscrit. Ne le surestimons pas !

Les zones moins denses concernent quatre à cinq millions de prises, pour 1 500 communes. L'État y sera particulièrement vigilant.

Yves Rome, je vous assure que l'engagement de l'État, à hauteur de 3,3 milliards d'euros, sera tenu. Je comprends votre souci de le retrouver dans les lignes budgétaires ; j'y veillerai.

Quant à la gouvernance des syndicats mixtes ouverts (SMO), observons que le plan, au fil des ans, s'est adapté aux changements institutionnels. La Bretagne, tout comme certains départements, se sont engagés dans la construction de réseaux. Le ministère de l'intérieur avait décrété que cette compétence n'est pas sécable. Ce principe sera inséré dans le projet de loi de décentralisation, avec une exception pour les SMO, dont beaucoup sont d'envergure régionale ou départementale. Le plan très haut débit accorde une prime aux projets qui ont fait l'effort de se réunir pour accéder à une échelle suffisante pour attirer les investissements des opérateurs.

Nous aurons le débat relatif aux SMO dans le cadre de la prochaine loi de décentralisation.

L'État compte également beaucoup sur un financement du plan France très haut débit par le Feder, qui joue un rôle essentiel dans l'équilibre des territoires à l'échelle de l'Europe. Un commissaire européen a émis l'idée que ce plan et les autres programmes nationaux soient financés plutôt par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Quoi qu'il en soit, le Gouvernement a entendu vos préoccupations, dont nous avons fait part à la Commission européenne. Nous avons le soutien de la commissaire Neelie Kroes, et la décision qu'elle rendra devrait nous être favorable. Croyez en la pleine mobilisation du Gouvernement pour solliciter le Feder. Le cas échéant, je me rendrai à Bruxelles pour convaincre nos interlocuteurs.

M. Philippe Leroy. - Vous m'inquiétez autant que vous me rassurez. Il y a dix ans, Jean-François Le Grand et moi-même avons été à l'origine de l'article de loi autorisant les collectivités territoriales à s'engager pour lutter contre la fracture numérique. Les technologies ont évolué, mais la fracture demeure. Elle a partie liée avec la mixité technologique. Je n'ai rien contre celle-ci : dans mon département, nous utilisons toutes les technologies, satellite compris. En réalité, c'est le renoncement à l'objectif de la fibre optique pour tous qui aggravera la fracture numérique. Les besoins en débit augmentent partout car, en zone urbaine comme en zone rurale, les quantités de données échangées sont amenées à exploser avec les objets connectés. Renoncer à la fibre pour tous, c'est faire durer les solutions conçues comme provisoires, et laisser des zones entières à l'abandon. Les réseaux mobiles permettront de se passer d'un réseau fixe, entend-on parfois. Non ! Évitons de ne dépendre que des réseaux hertziens, qui de plus ne sont pas sans conséquences sur la santé.

Dans le cadre du plan France très haut débit, nous devrions reconsidérer les réseaux câblés, que nous avons à ce jour traités de façon trop légère. Numericable, qui était un réseau de télédistribution, se transforme en réseau de télécommunication : quel sera son statut juridique à terme ? Faudra-t-il l'ouvrir à la concurrence ? Le soumettre au contrôle de l'Arcep ? Le rachat de SFR lui permet de développer un vrai réseau très haut débit sur son infrastructure câble, ce qui risque de freiner SFR dans ses investissements...

M. Arnaud Montebourg, ministre. - Notre politique s'adresse à tous les Français. Pour développer la fibre pour tous, nous demandons aux opérateurs d'investir, et promouvons une régulation intelligente. À ce propos, chacun son rôle : le Gouvernement agit, le Parlement contrôle, et le régulateur régule ; j'ai eu maintes fois l'occasion de critiquer l'Arcep lorsqu'elle a cru pouvoir se prendre pour le ministre. Nous remplirons nos objectifs par l'alliance de tous les acteurs publics - collectivités, État, Europe - et privés. Si avec cela nous ne sommes pas capables de couvrir l'ensemble du territoire français, c'est que nous sommes manchots !

Pour y parvenir, nous devrons nous unir et répartir les efforts. Le câble complique les choses, dites-vous. Certes, tous les engagements des opérateurs n'ont pas été tenus, car ils se font la guerre entre eux et n'ont pas de marges suffisantes pour investir. À part Orange, qui arrive à suivre, il y a une interruption du service public délégué de la fibre aux opérateurs. Nous souhaitons que leurs investissements reprennent. Nous éluciderons pour cela les problèmes de concurrence sur le câble. Dans la bagarre entre Numericable et Bouygues, le Gouvernement a pris une décision très claire. Le board de Vivendi en a certes pris une autre, mais l'affaire n'est pas encore réglée. Le Gouvernement défend l'intérêt général de tous les Français - qui ne coïncide pas toujours avec les intérêts privés. Soyez-en sûrs : nous saurons rappeler les opérateurs à leurs engagements.

M. Claude Dilain. - Le ministre a fait référence à l'échelle européenne. Or nos opérateurs ont une vision strictement hexagonale des choses ; l'Europe est sortie de leurs radars. Ne serait-il pas souhaitable de favoriser les investissements à cette échelle ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. - Nous sommes très conscients du risque de fracture numérique. Le plan France très haut débit vise justement à confronter les stratégies des acteurs de l'internet pour couvrir l'ensemble du territoire. Le risque de zone blanche demeure bien réel. Il ne date pas du plan très haut débit. Le temps est venu de faire le bilan des engagements pris depuis dix ans, commune par commune, y compris en couverture basique de type 2G. Certains bourgs, nous le savons désormais, ont par exemple perdu le bénéfice de leur couverture à la suite d'une fusion de communes.

Le risque de fracture sociale est moins souvent évoqué. Or, internet est un outil d'insertion sociale et d'accès à l'emploi. Si la part des Français n'ayant pas accès à internet est de 20 %, celle des personnes gagnant moins de 900 euros par mois est de 40 %. D'où la nécessité de penser ensemble les infrastructures et les usages. Ce n'est pas un hasard si mon conseiller télécommunications est chargé des réseaux de communication électroniques et de l'inclusion numérique. Les opérateurs ont aussi un rôle à jouer dans la diffusion des usages, pour qu'internet soit plus facilement accessible à tous. Pour le reste, Philippe Leroy, dire qu'il faut moins jouer sur la concurrence dans les infrastructures dans les territoires déjà pourvus en câble, fibre, cuivre ou 4G ne remet aucunement en cause l'objectif du déploiement complet de la fibre optique à l'horizon 2023.

Quelle que soit l'infrastructure considérée, il faut des règles équitables. Nous nous ferons confirmer les intentions de Numericable, et les engagements pris par SFR dans les zones dans lesquelles ont été lancés des AMII. La question du statut du câble reste ouverte.

Un mot sur les concentrations en Europe. Les opérateurs français ont coutume de déplorer la baisse de leurs marges - alors qu'ils étaient champions du secteur il y a dix ans - et de l'imputer au défaut d'ambition industrielle européenne en matière de télécommunications, à l'arrivée de nouvelles plateformes numériques et à la concentration des acteurs étrangers. Cette analyse n'est pas fausse. Mais le temps est venu, pour les opérateurs, les gouvernements et la Commission européenne, de dresser un constat partagé. Je tiens ce discours en France comme à Bruxelles.

La Commission européenne, dans une décision relative aux concentrations dans le secteur en Allemagne et en Irlande, a autorisé le passage à trois opérateurs, ce qui est une bonne nouvelle pour consolider les marges de ces entreprises et progresser vers une véritable stratégie européenne. Mais la Commission pose des conditions très strictes : une capacité doit être laissée aux opérateurs virtuels d'intégrer le réseau. L'idée selon laquelle l'arrivée possible d'un quatrième acteur aurait un effet vertueux sur les opérateurs présents demeure à vérifier d'un point de vue économique. Les fréquences doivent en outre pouvoir être cédées à tout nouvel entrant potentiel. La chancelière Angela Merkel a estimé qu'il fallait revoir les règles de la concurrence en Europe : je vois dans le cas des télécommunications l'illustration parfaite de cette idée. J'aurais aussi pu évoquer le cas des géants du web 2.0, presque tous américains, dont les stratégies horizontales de déploiement de services leur permettent de contourner les règles de la concurrence.

Il faut désormais mettre en place une véritable stratégie industrielle. Les États doivent en être les principaux relais, face à la Commission européenne qui sera formée à l'automne et aux opérateurs privés. Ce chantier est essentiel pour les 505 millions d'utilisateurs européens de réseaux numériques, surtout quand on sait que les opérateurs américains s'appuient sur un marché équivalent.

M. Daniel Raoul, président. - Merci madame la ministre. Nous nous reverrons prochainement à l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques.

La séance est levée à 19 h 45.

Mercredi 4 juin 2014

- Présidence de M. Raymond Vall, président -

Réforme ferroviaire - Audition de M. Guillaume Pépy, président de la SNCF

La séance est ouverte à 9 h 30.

La commission entend M. Guillaume Pépy, président de la SNCF, sur le projet de loi portant réforme ferroviaire.

M. Raymond Vall, président. -Nous abordons la réforme ferroviaire qui devrait être examinée en séance au Sénat la première semaine de juillet. Il nous faut donc dès à présent entrer dans le détail de ses orientations et des dispositions précises du projet de loi.

Pour notre commission, monsieur le Président, le transport ferroviaire est une vraie priorité, pour des raisons de mobilité, d'environnement, d'aménagement du territoire, de compétitivité économique de notre pays, de cohésion sociale. Cette réforme est dès lors primordiale.

Si nous en connaissons maintenant bien les grandes lignes, il reste encore beaucoup de points à clarifier et d'arbitrages à poser. La réforme du modèle social est importante. Le transport ferroviaire est vital pour l'avenir de notre pays et cette réforme est absolument indispensable. Elle constitue peut-être même l'une des dernières chances de sauver le rail français. On sait que la dette est d'aujourd'hui 40 milliards d'euros et que, si nous ne faisons rien, elle augmentera d'1,5 milliard tous les ans. Il faut que nous puissions arrêter cette hémorragie.

J'ajoute que nombre d'élus locaux sur nos territoires ont également des attentes fortes à votre égard et regrettent parfois des décisions unilatérales ou des fins de non-recevoir. On voit des inquiétudes surgir au sujet de lignes capillaires de fret ou de lignes secondaires de voyageurs, qui sont dans un tel état qu'elles risquent de devoir disparaître.

Nous avons bien sûr des spécialistes dans notre commission, à commencer par notre rapporteur, Michel Teston, qui ne manqueront pas de vous interroger. J'espère que nous obtiendrons ainsi toutes les informations nécessaires pour engager notre travail de parlementaires.

J'ajoute une précision pour nos collègues : cette audition est d'abord consacrée à la réforme ferroviaire, mais, si vous en êtes d'accord, à la fin, nous pourrons aborder le sujet des quais et des rames de TER qui a fait couler beaucoup d'encre ces derniers jours.

M. Guillaume Pépy, président de la SNCF. - Merci de m'offrir cette opportunité de m'exprimer devant vous. Je voudrais tout de suite préciser, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, que la réforme est le projet du Gouvernement et du ministre, présenté devant l'Assemblée nationale et le Sénat. Je n'interviens ici qu'en tant que responsable de la SNCF, qui est l'opérateur public national de transport. Je ne suis pas là pour présenter le détail de cette réforme, mais pour indiquer ce que peut apporter la SNCF avec cette réforme, si le Parlement l'adopte.

De notre point de vue d'opérateur ferroviaire, cette réforme doit être faite pour améliorer la vie des voyageurs et des chargeurs. Il ne faut jamais perdre de vue cet objectif central qui est de rendre un meilleur service public ferroviaire. Je pense que c'est ce que le pays attend de la SNCF si la réforme est votée. Concrètement, qu'allons-nous faire ?

Premièrement, nous allons mieux organiser nos travaux, car il y a un mur de travaux sur le réseau aujourd'hui. Deuxièmement, nous devons obtenir une meilleure cohérence « système », avec la préoccupation constante d'instaurer le meilleur lien entre l'infrastructure et le ou les transporteurs. Troisièmement, il nous faut améliorer l'utilisation du réseau. Il y a un et un seul réseau, qui doit se partager entre les travaux, de maintenance et de régénération, et les circulations. Pour avoir vécu ces quinze dernières années le face-à-face de deux établissements publics, qui auraient pourtant dû être côte-à-côte, et la guerre ouverte qu'ils ont menées pendant quelques années, on voit bien que l'utilisation du réseau n'était pas optimale. Tout le monde connaît des tas d'exemples où des travaux prévus empêchaient la circulation des trains, alors que ces travaux n'avaient finalement pas lieu et inversement, des trains empêchant la réalisation de travaux alors que, finalement, le train ne circulait pas. De l'avis général, le réseau ferroviaire français est sous-utilisé, faute de coordination entre celui qui a la charge du réseau et ceux qui sont responsables des transports.

Si la réforme est adoptée, je m'engagerai à ce que la régularité des trains augmente d'un point supplémentaire tous les deux ans, soit d'un demi-point par an sur les quatre à cinq ans qui viennent. C'est un pari audacieux, dans une période de travaux tous azimuts. Mais je suis tellement convaincu que nous pouvons mieux faire fonctionner le système que je prendrai cet engagement.

Tous les élus de France ont vécu ces dernières années l'incroyable complexité du système ferroviaire, dans lequel les élus sont ballottés, renvoyés de Gares et connexions vers l'infrastructure, de l'infrastructure vers le transporteur... Ce n'est ni décent ni efficace, et cela a bloqué un nombre considérable de projets d'aménagement urbain et foncier. Par conséquent, je m'engage, si la réforme est votée, à unifier la gestion du patrimoine foncier et immobilier immédiatement. Au-delà du régime juridique et des personnes juridiques, nous allons mettre en place, avec Jacques Rapoport, dès le lendemain de la réforme, un plateau commun qui sera l'interlocuteur unique de tous les élus aux plans local et national pour simplifier les problèmes de foncier et d'immobilier. Il y aurait bien d'autres exemples à donner, mais celui-là me semble le plus frappant. Simplifier la vie des élus et des collectivités pour accélérer les opérations d'aménagement, et au-delà, la valorisation, pour le logement social et les équipements collectifs, ainsi qu'un meilleur traitement des délaissés. Il existe en effet dans toutes les agglomérations et dans toutes les villes des délaissés ferroviaires, qui sont dans un état déplorable et posent problème pour les élus. Nous allons nous engager à les traiter lorsque la réforme sera adoptée.

Comment peut-on s'engager vis-à-vis des autorités organisatrices ? J'espère que, dans votre sagesse, vous ferez des régions des autorités organisatrices de plein exercice, et que nous sortirons du milieu du gué actuel, où l'on ne peut pas vraiment dire que celui qui paie décide. C'est beaucoup plus compliqué que cela. Chacun sait par exemple que l'augmentation des tarifs TER est fixée chaque année lors d'une réunion interministérielle de l'État, mais s'applique aux régions. C'est un système un peu paradoxal. Juridiquement, les trains sont payés à 100 % par les régions, mais ne leur appartiennent pas. Une simplification et une clarification sont nécessaires autour de « qui paie décide ».

En tant que responsable de l'opérateur, je voudrais aussi indiquer que le Parlement européen a adopté un texte qui fixe des échéances en 2019 et en 2023. Le texte du Gouvernement ne traite pas de la préparation de l'ouverture à la concurrence. Mais pour l'opérateur, il faudra traiter cette question ultérieurement. Souvenons-nous en effet du choc massif subi lorsque le fret a été ouvert à la concurrence en 2007-2008, en raison de sa malheureuse impréparation : recul de tous les trafics fret, quasi-faillite de Fret SNCF... Il faudra donc se préparer à cette ouverture à la concurrence. Les personnels nous posent cette question : si la SNCF perd un marché en 2023, que se passera-t-il pour les personnels qui travaillent sur la ligne concernée ? Seront-ils transférés au nouvel opérateur, comme c'est le cas dans les villes ? Ou bien resteront-ils à la SNCF, qui les réaffectera sur d'autres lignes qu'elle gère, comme c'est le cas en Allemagne ? Plusieurs systèmes sont possibles, mais on ne peut pas attendre que cela arrive, en 2023, pour régler la question.

D'un point de vue économique, nous partageons la même analyse avec Jacques Rapoport. Le projet de loi tel qu'il est permet aux deux établissements publics de stabiliser leur dette à une échéance proche de 2020. Mais il s'agit de la stabiliser, et à un niveau très élevé. Ce n'est donc qu'une première étape, qui n'en reste pas moins fondamentale, puisque, aujourd'hui, suivant le loyer de l'argent et le nombre de projets de grande vitesse, la dérive se situe entre 1,5 et 3 milliards d'euros. Cet objectif de stabilité est ambitieux. Il suppose trois choses. Premièrement, que notre pays réduise la voilure sur les nouveaux projets de lignes à grande vitesse. Deuxièmement, que le système ferroviaire fasse un effort de performance sans précédent. Avec Jacques Rapoport, nous nous engagerons, si la loi est votée, à faire 1 milliard d'économies sur la facture ferroviaire de la France en trois à cinq ans : 500 millions du côté du réseau, 500 millions du côté de l'opérateur de mobilité. Troisièmement, l'État devra accompagner cet effort de stabilisation de la dette. Sans cet effort, la réforme n'atteindra pas son objectif de consolidation du système ferroviaire. D'autres étapes interviendront après cette stabilisation, mais commençons par celle-là, qui est déjà ambitieuse.

On ne peut pas préparer l'avenir en faisant l'impasse sur les règles sociales du système. Cela reviendrait à faire des cheminots la variable d'ajustement et à laisser leurs questions sans réponse. De ce point de vue, le projet de loi comporte une disposition fondamentale, le maintien du statut pour les cheminots aujourd'hui employés sous ce régime, comme cela a été prévu dans d'autres réformes, à EDF, à la météo, etc. et la prescription par la loi de la négociation d'une convention collective applicable à 100% des salariés du secteur. Cette convention collective devra fixer les règles d'emploi, l'application des 35 heures, les amplitudes, les repos, tout ce qui fait la vie quotidienne des cheminots du public ou du privé. Nous soutenons fermement cette disposition avec Jacques Rapoport, car elle incarne la préparation de l'avenir. Cette discussion s'est déjà amorcée : sept syndicats sont autour de la table, tous les salariés sont représentés et nous avons déjà obtenu un accord de méthode, ce qui est un point fondamental. Les syndicats et le patronat se sont engagés, sous l'autorité de l'État, dans cette négociation en partageant ses objectifs et la façon de négocier, ce qui est de bon augure, même si chacun sait que ce sera compliqué.

J'en viens à la question européenne. Lors de ma précédente audition à l'occasion de mon renouvellement, j'avais évoqué les positions de la Commission qui paraissaient très tranchées, un peu dogmatiques, puisqu'elle avait affirmé que seule la séparation serait à terme acceptée en Europe. La France, avec l'Allemagne, a joué son rôle, la France par la négociation, l'Allemagne plus par le rapport de force, et le vote du Parlement européen en février laisse ouvert le choix entre deux systèmes : le système intégré que vous vous apprêtez à examiner et un système séparé que d'autres pays ont choisi. Ces deux systèmes sont autorisés par l'Europe à la condition qu'il y ait un régulateur - en France, l'ARAF - et que ceux qui choisissent l'unité respectent le principe de non-discrimination des entreprises privées ferroviaires. Jacques Rapoport et moi-même sommes décidés à respecter ce principe, parce que c'est la condition d'existence d'un système intégré.

Pour finir, que peut apporter cette réforme à l'exportation et à l'emploi ? Il s'agit pour moi d'un point essentiel. On ne le sait pas, mais la SNCF est un champion industriel français, européen et international. Elle fait aujourd'hui presque dix milliards de volume d'affaires hors de France. Pour certaines de ses activités, la logistique, le métro, les tramways, la moitié de notre activité est réalisée en Europe ou dans le reste du monde. Nous sommes le deuxième groupe mondial de services de mobilité derrière le groupe allemand Deutsche Bahn. Ces activités sont en très forte croissance dans le monde entier. L'urbanisation et le développement de grandes métropoles exigent des solutions de transport écologiques et acceptables en termes énergétiques. Ces activités sont donc vitales dans le monde entier et c'est l'un des points forts de notre pays. Avec une nouvelle organisation, nous agirons, en tant qu'acteur majeur du système ferroviaire. Nous apportons des solutions globales à des villes et des entreprises : nous ne vendons pas le savoir-faire français par tranches. Nous arrivons avec des ETI françaises, avec des entreprises de génie civil, avec des constructeurs de matériel français. Cette dimension offensive de champion industriel français est la finalité. La chancelière allemande nous a un jour dit que le fonctionnement de la Deutsche Bahn faisait l'objet d'un consensus politique en Allemagne : quelles que soient les coalitions, le fait d'avoir un champion industriel lui permet de jouer un rôle prépondérant dans les systèmes de transport en Europe et dans le monde. Cette dimension est créatrice d'emplois, de croissance et d'équilibre pour le commerce extérieur.

M. Michel Teston. - J'ai deux questions sur l'organisation et les missions actuelles de la SNCF, une question relative aux relations avec les régions et une question sur le projet de loi de réforme ferroviaire.

En tant que rapporteur du projet de loi, j'ai procédé à de nombreuses auditions et j'ai été frappé, comme celles et ceux de nos collègues qui y ont assisté, par les critiques formulées par un certain nombre de nos interlocuteurs sur la gestion par activités qui, selon ces personnes, aurait profondément désorganisé l'entreprise. Je reprends un exemple qui est souvent cité : il est très difficile, voire impossible, qu'un conducteur affecté à l'activité fret puisse, en cas de nécessité, conduire un TER, même si ledit conducteur possède toutes les habilitations pour conduire ce train.

Deuxièmement, vous êtes chargé, par convention signée avec l'État, des trains d'équilibre du territoire, essentiels en matière d'aménagement du territoire. Or, ces trains sont très peu fréquentés, en raison de leur manque d'attractivité, de leur vétusté, de leurs horaires inadaptés. Que comptez-vous faire pour les rendre attractifs, à l'instar de ce qu'ont fait d'autres États de l'Union européenne sur des services similaires ?

J'en viens à la place des régions dans le dispositif. Le projet de loi initial la reconnaît peu. Certaines avancées ont été esquissées en commission à l'Assemblée nationale. Du côté de la SNCF, comment comptez-vous répondre aux critiques des régions, en particulier sur le manque de transparence de vos comptes ?

La dernière question est au coeur de la réforme ferroviaire qui s'engage dans un contexte un peu pesant si l'on en croit les informations sur des préavis de grève qui auraient été déposés par deux organisations syndicales représentatives. La question financière est bien un élément central de la réforme. Or, malgré les informations que vous nous avez données, le ministre, Jacques Rapoport et vous-même, la plupart des interlocuteurs que nous avons entendus n'ont pas été convaincus par les économies annoncées. La constitution d'un gestionnaire d'infrastructure unifié ne leur paraît pas suffisante pour assurer les économies attendues. Ils ont quelques doutes sur la stabilisation de la dette que vous avez mentionnée. Cette stabilisation se ferait en outre à très haut niveau, ce qui pose la question de savoir si une partie de la dette ne pourrait pas être requalifiée en tant que dette d'État, mais c'est un autre sujet que nous n'allons pas aborder aujourd'hui parce qu'il nous dépasse pour l'instant.

M. Louis Nègre. - M. Teston parle d'or : le climat est pesant. Nous avons aujourd'hui un préavis de grève. Cette réforme faite par un gouvernement de gauche ne recueille pas, semble-t-il, l'assentiment de sa base. C'est déjà un problème politique. Mais il n'y a pas que la base qui renâcle.

Cette réforme est attendue par tout le monde. Les Assises du ferroviaire ont bien montré l'intérêt d'une réforme. Il y a un consensus sur sa nécessité, peut-être moins sur son contenu. Je suis d'accord avec la mise en place d'un État stratège, en particulier sur le réseau. Cela a des conséquences : pour moi, le président du directoire doit être le président de SNCF Réseau. Ensuite, une validation par le Parlement est souhaitable. Il serait bon d'avoir, comme en Allemagne, une vision globale, réactualisable tous les cinq ans. Il faut rassembler les équipes pour obtenir de meilleurs résultats.

La place des régions me laisse songeur. Je n'ai pas très bien compris où elles se situaient ni ce qu'elles pouvaient faire. Elles manquent d'argent. Elles méritent pourtant d'être des autorités de plein exercice, je vous rejoins sur ce point-là. Il faut dès lors leur en donner les moyens.

Il y a un certain nombre de problèmes en ce qui concerne l'ARAF, qui n'a plus d'avis conforme mais un seul avis simple. Cela m'interpelle, j'en ai déjà fait part aux ministres.

La dette est un autre sujet important. Vous vous engagez sur un milliard d'économies en quelques années. Si on y arrive, merci pour votre honnêteté intellectuelle, ce sera déjà un grand progrès. Mais la dette se chiffre en dizaine de milliards d'euros et tout ce que l'on peut espérer aujourd'hui, dans le meilleur des cas, c'est sa stabilisation. Sa résolution est un vrai problème de fond.

J'en viens à ce que l'Europe a appelé les « murailles de Chine ». Si nous n'avons pas la garantie d'une autonomie et d'une indépendance des flux financiers, je m'opposerai à cette réforme. Il est souhaitable et nécessaire qu'il y ait de véritables murailles de Chine impénétrables entre les entités.

Enfin, où situez-vous les élus et les usagers dans cette démarche ? Les élus, en particulier les parlementaires qui votent le budget qui vous permet d'arriver à un équilibre, doivent avoir leur place. Je souhaite aussi retrouver les usagers, parce que nous sommes tous au service de nos concitoyens.

Une dernière question : que devient la gouvernance des gares ?

M. Francis Grignon. - Pour analyser cette réforme et effectuer des comparaisons, j'ai rencontré des personnes de la Deutsche Bahn (DB). Les deux grands champions étant allemand et français, cette comparaison m'a semblé intéressante. Je voudrais aborder le sujet sous deux angles : ce qui relève de la loi et ce qui n'en relève pas.

Pour ce qui relève de la loi, j'avais au départ des doutes sur la gouvernance et le directoire à deux. En Allemagne, il y a deux groupes avec un même directeur. Il y a deux groupes, parce qu'à l'époque, l'objectif était de privatiser l'activité de l'opérateur. Sans cette intention, il n'y aurait eu qu'un seul groupe. A la réflexion, quand je regarde ce qui s'est passé en Allemagne, il me semble que le projet de loi est tout à fait cohérent et que n'avons pas à séparer plus les deux entités, ce qui nous pénaliserait par rapport à l'Allemagne.

En ce qui concerne l'ARAF, au départ, j'étais un peu gêné par l'amoindrissement de ses pouvoirs, mais je crois que cela a été rectifié, à la satisfaction générale.

Le troisième point concerne le transfert au réseau de toutes les infrastructures qui sont aujourd'hui dans la partie « mobilités » de la SNCF. J'aimerais savoir si tout est bien transféré, pour que certains n'aient pas la tentation de faire des blocages sur le terrain, qui peuvent parfois être assez insidieux. En particulier, je soulève la question des cours de marchandises, afin que les opérateurs de fret puissent y accéder librement, facilement, sans aucune contrainte. Le sujet des facilités essentielles est aussi important.

Pour ce qui ne relève pas du domaine législatif, il faut souligner le problème de la dette. Pouvez-vous me confirmer le chiffre de 42 milliards, 35 milliards pour RFF et 7 milliards pour la SNCF ? A la DB, elle s'élève à 17 milliards, pour un chiffre d'affaires plus important. J'espère que l'État va continuer à garantir cette dette, sinon ce serait véritablement une catastrophe. Mais c'est une question que nous poserons au ministre.

J'ai quand même une interrogation. Si mes souvenirs sont bons, les sillons sont subventionnés à 40 % pour les opérateurs jusqu'en 2015. Que se passerait-il s'il était mis fin à ce système-là ? Cela entraînerait-il la mort définitive du fret et le report intégral du transport de marchandises vers la route ?

Reste le problème du décret socle : l'abrogation de l'article 1er de la loi du 3 octobre 1940 est une bonne chose. Sans elle, il était impossible de faire quoi que ce soit. Ceci étant, des négociations sont en cours avec les syndicats et le statut est conservé pour les salariés actuels sous statut. Pour les nouveaux, y aura-t-il un nouveau régime de protection sociale et surtout de retraite ? C'est dans ces domaines que les coûts sont les plus importants, à côté de l'organisation du travail. Sans trahir ou préjuger des négociations en cours, allons-nous dans cette direction ou non ?

La dernière question porte sur la largeur des quais. Là-dessus, la DB estime que la SNCF a eu raison d'agir comme elle l'a fait, parce qu'elle a homologué de nouveaux matériels, qui sont homogènes sur tout le territoire et dont la maintenance est moins coûteuse, alors qu'en Allemagne, les trains utilisés à Münich ne peuvent être utilisés à Hanovre.

Mme Hélène Masson-Maret. - Nos collègues spécialistes ont déjà évoqué beaucoup de choses, par exemple la dette abyssale. Je voudrais revenir sur la grogne des régions, apparue lors du débat sur le rabotage des quais. C'est un problème très important pour nous qui sommes élus territoriaux. Alain Rousset, président de l'ARF, l'a bien dit : « les régions ne sont pas des pigeons », avant d'ajouter qu'il refusait de payer. Le problème du paiement a été résolu, je n'y reviens pas, mais une nouvelle association, dont Jean-Jacques Queyranne a pris la tête, s'est créée : l'association d'études sur le matériel roulant. Il s'agit, pour les collectivités, de reprendre la main sur les équipements qu'elles financent mais que la SNCF gère et d'ainsi éviter qu'elles ne soient frustrées. Comment les relations avec les régions peuvent-elles être améliorées ?

Deux réformes sont en cours : l'élargissement des régions et la réforme ferroviaire. Selon vous, si ces deux réformes sont menées à bien, faut-il en attendre une amélioration, ou un nouveau casse-tête ?

M. Jean-Jacques Filleul. - J'approuve cette réforme et le discours positif sur la mise en ordre de marche de la SNCF. Il y a une véritable nécessité de disposer d'un système ferroviaire intégré.

Nous avons attentivement suivi les débats en commission à l'Assemblée nationale, et plusieurs questions ne manqueront pas de revenir au Sénat.

En ce qui concerne la mise en conformité avec le règlement européen sur les obligations de service public (OSP), le manque de réciprocité pose problème. La SNCF réalise dix milliards d'euros de chiffre d'affaires hors de France, il s'agit d'un atout essentiel pour le développement de l'entreprise. La SNCF doit pouvoir se positionner pour être le fer de lance de l'industrie ferroviaire dans le monde.

En matière d'autorité organisatrice de transports (AOT), il semble qu'il faille mieux définir les contours d'une autorité régionale de plein exercice.

J'approuve totalement le principe de la réunification du foncier, qui me paraît indispensable. Mais ne faudrait-il pas en faire une compétence de l'EPIC de tête ? Quelles seraient d'ailleurs les compétences de ce dernier, qui permettraient d'en faire un outil opérationnel intéressant dans la perspective d'un système intégré ?

Sur la question de la liberté tarifaire, la réflexion doit encore progresser. Les régions sont très attentives à ce débat.

On parle également beaucoup de limiter les TGV, de libérer davantage les TER, mais quid des TET ? On a l'impression d'un freinage, y compris de l'État, sur les TET, avec un certain nombre de lignes jugées prioritaires par rapport à d'autres. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Enfin, à propos des gares, notamment les plus importantes qui jouent un véritable rôle commercial au coeur de la ville, j'ai personnellement quelques interrogations sur l'articulation entre SNCF Mobilités et SNCF Réseau. Je souhaiterais connaître votre point de vue.

Mme Évelyne Didier. - Monsieur Pépy, vous nous avez bien expliqué la différence entre votre rôle et celui du ministre. Mais tout de même, vous n'êtes pas pour rien dans l'élaboration de ce projet de loi ! Vous avez été un partenaire privilégié, il ne faut pas que vous soyez si modeste.

La question du système intégré est importante ; et mon groupe aurait souhaité que l'on revienne à un système totalement intégré. Afin de mesurer la réalité de cette intégration, pourriez-vous nous donner votre sentiment sur les compétences de l'EPIC de tête ?

La qualité du réseau et sa nécessaire régénération sont une question récurrente. Aucun gouvernement, aucun groupe politique, ne peut reprocher à l'autre de ne pas avoir fait le nécessaire. La responsabilité est véritablement collective. Combien de temps et combien d'argent faudra-t-il pour que le réseau soit à peu près au niveau espéré ? La solution à tous les autres problèmes en dépend largement !

En évoquant la question des propriétés, vous avez indiqué que « celui qui décide paie ». Vous prêchez totalement une convaincue, nous aurons l'occasion d'en reparler sur d'autres sujets.

M. Charles Revet. - Monsieur Pépy, vous avez indiqué en préambule n'être là qu'en tant qu'opérateur et que vous n'interveniez pas dans le projet de loi qui nous est soumis. En tant qu'acteur principal, vous avez pourtant bien donné votre avis au ministre ! Comme Evelyne Didier, je m'interroge. Si vous ne nous dites pas quels points du texte vous préoccupent, comment voulez-vous qu'on le sache ?

Entre l'étude de l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne et le rapport de la Cour des Comptes, la situation est jugée très préoccupante. Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut redonner au ferroviaire une vraie place et le développer. Existe-t-il un état des lieux précis de la situation et une projection de ce qu'il faudrait faire, notamment en termes de coûts et de délais ?

Qu'en est-il des 10 000 km de voies ferrées secondaires inutilisées, tant du point de vue de leur entretien, que de leur réactivation ? Vous avez évoqué la mise en place du tram-train, j'y suis favorable.

J'en viens également à la question des ports. La part du fret ferroviaire est extrêmement faible actuellement et tout le monde souhaite la voir augmenter, surtout sur les longues distances. À partir du Havre, on devrait pouvoir aller jusqu'en Europe centrale !

Dernier point, pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez en affirmant « qui paie, décide », notamment par rapport aux régions qui interviennent beaucoup. Jusqu'où pourrait-il y avoir une évolution ?

M. Alain Houpert. - Je ne suis pas un spécialiste des questions ferroviaires, et je m'exprime en tant que simple usager.

La dette abyssale provient en partie d'un système social trop généreux, qu'il faudra réformer en profondeur. Il y a moins d'actifs que de retraités, les investissements font office de variable d'ajustement pour réduire ce déséquilibre.

L'Europe a besoin d'une harmonisation, en particulier dans le secteur ferroviaire. On fait trop souvent des réformes franco-françaises, alors qu'il faudrait un grand plan européen pour le ferroviaire. Aujourd'hui, il est encore trop difficile de voyager en Europe en train. L'avion pose nettement moins de problèmes.

Le train doit être un moyen de déplacement populaire, mais il coûte trop cher pour un français moyen. Il faut être ingénieux pour obtenir des prix acceptables. La voiture coûte souvent moins cher, ce qui ne favorise pas les objectifs de développement durable.

Le fameux « bug » sur le rabotage des quais est une illustration du désordre permanent. Il faudrait une meilleure communication entre l'ensemble des acteurs. L'EPIC de tête est une bonne solution, mais il serait encore mieux de rassembler RFF et la SNCF.

Le dossier Alstom est également un véritable drame. Les TGV ont longtemps été la vitrine de la France, lancés sous Georges Pompidou et inaugurés par François Mitterrand. Mais cette vitrine se dégrade fortement, avec du matériel roulant excessivement vieux et un accès aux nouvelles technologies à bord qui laisse à désirer. Il n'y a qu'à comparer avec les trains italiens pour s'en rendre compte.

Il faudrait aussi travailler avec les opérateurs télécoms pour assurer une meilleure itinérance. La SNCF a un partenariat avec SFR, mais il est très difficile d'envoyer des SMS ou des emails lorsque l'on est chez un autre opérateur.

Pour les élus, la dichotomie entre le gestionnaire de réseau et l'utilisateur du réseau est complètement absurde. On trouve fréquemment des communes traversées par une voie ferrée : les maires sont embêtés dès qu'ils veulent rénover une voie communale et qu'un pont passe au-dessus d'une ligne, car celui-ci appartient à RFF. J'ai en tête l'exemple du village de Poinçon-lès-larrey, où le maire ne parvient pas depuis vingt ans à rouvrir une voie communale, à cause d'un train qui passe une seule fois par jour ! En conséquence, les habitants sont obligés de faire un détour de 20 km. C'est un peu comme la traversée du Rhin : il y a des Rhin partout en France, qui sont des lignes de chemin de fer de petite capacité. Il faudrait utiliser l'EPIC de tête pour faire en sorte que le bon sens prime enfin !

M. Roland Ries. - Je tiens d'abord à signaler à mon collègue que le passage du Rhin ne pose pas trop de problèmes aujourd'hui. On a pas mal progressé par rapport à une certaine époque, on a de nombreux ponts !

Je souhaiterais ensuite revenir sur quelques points qui me tiennent à coeur, même si beaucoup de choses ont déjà été dites.

Tout d'abord, comme le souligne Monsieur Pépy, il ne faut pas mélanger les genres : la SNCF est un opérateur de transport ferroviaire qui doit être bien distingué de l'autorité organisatrice. Ce ne sont pas les mêmes fonctions, même si l'opérateur peut éclairer les choix de l'autorité organisatrice. Cette distinction existe depuis très longtemps en matière de transport urbain. On a trop longtemps vécu dans l'idée d'une SNCF « État dans l'État », à la fois autorité organisatrice et opérateur. Cette situation ne doit pas durer. J'approuve la réforme ferroviaire sur ce point.

Mon deuxième point est d'ordre politique. Le modèle de la délégation de service public (DSP) existe depuis longtemps et fonctionne plutôt bien en France : l'autorité organisatrice définit un cahier des charges, en identifiant des stratégies, des objectifs et des moyens ; ensuite, une concurrence régulée se met en place sur la base du cahier des charges, avec la possibilité pour les autorités organisatrices de choisir soit la régie, soit la DSP à une société d'économie mixte (SEM), soit la DSP à une société privée. Le choix est ouvert et fonctionne comme cela depuis les années 1980 en matière de transport urbain. Le modèle n'est certes pas transposable tel quel en matière ferroviaire, où le système s'appréhende à l'échelle nationale et internationale. Je n'en suis pas moins favorable à une concurrence régulée, en tant que social-démocrate invétéré de la première heure... je n'ai pas changé, moi !

M. Charles Revet. - Pourquoi « moi » ?

M. Roland Ries. - Il y en a d'autres... ne me demandez pas qui !

M. Charles Revet. - Des noms !

M. Roland Ries. - Non, je ne me laisserai pas entraîner dans d'autres voies, non ferroviaires !

Mon troisième point porte sur les autorités organisatrices régionales : elles n'existent pas ! Que l'on fasse de grandes régions ou de petites régions ne change rien au problème. Pour qu'il y ait autorité organisatrice, il faut qu'il y ait une compétence clairement identifiée, notamment vis-à-vis de l'État, et une ressource dédiée.

Quatrième élément, la dette : je pense que l'objectif de stabilisation est indispensable. Il doit reposer sur une base simple et claire : tout investissement doit être adossé à des recettes prévisionnelles permettant d'en garantir les perspectives d'amortissement.

Enfin, la question du fret ferroviaire me tient également à coeur : la situation est extrêmement difficile parce que l'on est dans le cadre d'une concurrence faussée et non régulée entre la route et le rail. Le dispositif de l'éco-redevance va dans le bon sens puisqu'il est destiné à internaliser les frais d'infrastructure dans le coût de la route. Le consensus politique sur ce sujet s'est effiloché au fil du temps, il faut le retrouver pour régler, entre autres, le problème du fret ferroviaire.

Mme Anne-Marie Escoffier. - Je m'interroge sur le patrimoine considérable de la SNCF. Quels sont les projets envisagés en matière de cession du foncier ?

Ma deuxième question est encore plus large : entre le rail, la route et l'avion, comment mettre en cohérence, au niveau national, l'ensemble de ces moyens de transport ?

M. Jean-Pierre Bosino. - Monsieur Pépy, dispose-t-on d'une évaluation du « mur des travaux » que vous évoquiez ? Comment concilier ces besoins avec la nécessité de réaliser des économies sur les investissements et la gestion du réseau ? Une réflexion est-elle conduite sur la possibilité d'accroître les recettes ?

Une question d'ordre social, qui concerne les personnels : quel sera le statut des nouveaux embauchés par la SNCF ?

Enfin, les débats sur l'autorité organisatrice de transports m'interpellent : qu'en est-il de l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire en matière de service public de transport ferroviaire ?

M. Guillaume Pépy. - Vos questions dressent un tour d'horizon assez complet de l'ensemble des enjeux à court, moyen et long terme.

Monsieur Teston, il existe effectivement un risque que la gestion par activités crée des rigidités. Mais je vous rappelle qu'elle succède, depuis 1991, à la gestion par circonscriptions géographiques qui conduisait à sacrifier systématiquement le fret au profit du transport de voyageurs. Or nous ne pouvons pas nous permettre de délaisser la qualité de service du fret, autrement les industriels se reporteront sur le transport routier. C'est le principe du choix modal : on ne sauvera le fret qu'avec des moyens dédiés !

De la même façon, en parlant d'autorité organisatrice, chaque président de région veut savoir quels sont les moyens effectivement mis en oeuvre par la SNCF pour assurer le service public, afin de pouvoir apprécier la transparence financière et se faire une opinion sur le rapport coût/efficacité des moyens déployés.

En ce qui concerne l'intercité, une vaste remise à plat est nécessaire. Le premier contrat arrive à échéance le 31 décembre 2014. La piste la plus prometteuse est celle de la commission Mobilité 21 qui recommande la création d'une activité de « train rapide de grande ligne », comme il en existe en Allemagne, à savoir des trains roulant à 160, 200, 220 km/h et ne supposant pas d'investissement dans des lignes à grande vitesse. C'est la solution d'avenir pour l'intercité, qui se définit aujourd'hui uniquement par « ni TER, ni TGV ».

Quant à la crise avec les régions, celles-ci ont eu largement raison, je l'ai déjà dit au Sénat. Nous sommes en train de sortir de l'impasse. Tout d'abord, les contentieux financiers sont quasiment tous réglés : il n'y a plus de suspension de paiement et nous avons signé des avenants pour que le devis soit stable à offre constante en 2014 et 2015. C'était une demande des régions en l'absence de recette nouvelle, comme l'a indiqué Roland Ries : leur message a été entendu. Deuxième point, au congrès de l'Association des régions de France (ARF) de l'automne dernier, j'ai proposé trois choses : liberté tarifaire, propriété régionale des matériels et gouvernance régionale des gares. C'est une proposition de l'opérateur, mais c'est au pouvoir politique, Gouvernement et Parlement, qu'il revient de trancher. Enfin, je suis favorable à ce que les comptes TER de la SNCF soient certifiés ou au moins validés par l'ARAF : il s'agit de garantir aux régions qu'elles ne sont en aucune manière surchargées de paiements qu'elles ne devraient pas faire.

Vous avez également évoqué le sujet de la grève. La réforme proposée est l'objet d'un consensus politique sur sa nécessité et son principe. Sur le contenu, la porte reste ouverte. Deux organisations syndicales sur quatre ont d'ores et déjà déposé un préavis de grève, pour le 10 juin, qui me semble prématuré et précipité : le ministre des transports a en effet indiqué qu'il recevrait l'intersyndicale le jeudi 12 juin à 15 heures. Il y a place pour une discussion utile. Et je tiens aussi à faire remarquer que deux organisations syndicales n'ont pas déposé de préavis de grève, ce qui mérite tout autant d'être souligné ! Enfin, je pense que les cheminots savent faire preuve de responsabilité : lundi 16 juin, 600 000 lycéens passent le baccalauréat, il faut que le service public soit au rendez-vous. On ne peut pas imaginer que 600 000 familles puissent être perturbées par un mouvement social sur lequel elles n'ont que peu de prise ! Toutes les garanties d'ouverture sont aujourd'hui sur la table.

Monsieur Nègre, en ce qui concerne l'ARAF, j'ai mentionné qu'en tant qu'opérateur, nous souhaitons un régulateur fort, tant d'un point de vue juridique qu'économique. Mais le réglage de ses compétences relève véritablement du pouvoir politique.

Sur la place des élus et des usagers dans le projet de loi, mon opinion est que l'on n'a pas assez pris conscience du rôle du conseil de surveillance du ferroviaire. C'est une novation considérable. Aujourd'hui, Jacques Rapoport et moi présidons nous-mêmes nos conseils d'administration, ce qui est une particularité française. Le projet de loi propose d'adopter le système allemand, en distinguant ceux qui gèrent et ceux qui contrôlent. Le conseil de surveillance aura deux lourdes responsabilités : il recevra périodiquement un rapport du directoire - en Allemagne, les dirigeants sont passés au grill une demi-journée tous les deux mois ; il définira et mettra en oeuvre la politique ferroviaire du pays, sous le contrôle des autorités politiques. Il s'agit donc d'une institution fondamentale, à l'intérieur de laquelle siégeront des représentants des régions et des usagers.

Monsieur Grignon, vous avez évoqué le directoire. Là encore, on reste dans le système allemand, avec deux entités, l'une de réseau, l'autre de services. Les deux PDG constitueront un couple solidairement responsable, devant le conseil de surveillance et le pays, de la bonne marche du système. Il est difficile de faire plus simple et plus efficace.

La question des gares est très débattue. La moitié des pays d'Europe a mis les gares du côté du réseau, et l'autre moitié du côté du service. Notre recommandation, avec Jacques Rapoport, est de laisser les gares du côté du service pour deux raisons : la réforme est déjà considérable et ajouter un volet gare au réseau, avec 10 000 personnes qui exercent des métiers d'accueil et de clientèle, ne ferait qu'alourdir la barque ; l'autre raison est que le système créé par la loi de 2009, avec une entité « Gares et connexions » au sein de la SNCF, n'est contesté par aucun concurrent, et il n'y a aucune affaire contentieuse devant l'ARAF ou l'Autorité de la concurrence. Il est donc préférable de conserver le système actuel puisqu'il fonctionne. En revanche, les cours marchandises sont clairement transférées par le projet de loi.

S'agissant du fret, évoqué notamment par Francis Grignon et Roland Ries, la situation a beaucoup évolué. Nous étions, il y a quatre ans, en situation de semi-faillite. En 2008, la marge opérationnelle de Fret SNCF était négative à hauteur de - 380 millions. Cette année, cette marge sera négative à hauteur de - 100 à - 120 millions. Nous avons donc parcouru quasiment les trois quarts du chemin de retour à l'équilibre. Nous avons stabilisé les volumes depuis l'année dernière en recentrant Fret SNCF sur les flux de long parcours - sur lesquels nous sommes compétitifs par rapport à la route - et sur le portuaire, le combiné, les autoroutes ferroviaires et les trafics européens. Certes, le niveau est encore très bas, mais Fret SNCF commence à regagner des parts de marché sur ses concurrents. Cette année, nous sommes, en volume, à + 2 %. Enfin, le « plan Borloo » de 2007-2008, qui prévoyait des investissements et des nouveaux produits sur le fret ferroviaire, se met progressivement en oeuvre. Avec les autoroutes ferroviaires, le combiné portuaire, le fret européen, nous inventons, année après année, un nouveau fret ferroviaire.

Concernant la satisfaction des clients, je tiens à saluer le travail extraordinaire des 9 000 cheminots du fret. En 2010-2011, le taux de satisfaction avait progressé de 10 points. En 2012-2013, la progression atteint 18 points d'après l'enquête que nous venons de terminer. Ainsi, 84 % des chargeurs clients de Fret SNCF se déclarent satisfaits ou très satisfaits. Certes, il reste encore des progrès à faire, mais je souhaite réaffirmer que les efforts des cheminots et les très nombreuses suppressions de postes ont permis une restructuration qu'il faut saluer et soutenir.

Les sillons constituent une menace réelle. Il existe aujourd'hui un « péage négatif », c'est-à-dire une sorte de subvention publique au fret ferroviaire dans notre pays qui représente 40 % du coût des sillons. Si ce péage négatif devait disparaître, les 18 opérateurs français devraient redimensionner leur activité. Cela constituerait une menace pour le volume du fret ferroviaire français.

Le projet de loi qui vous est soumis ne remet pas en cause le statut des cheminots, pour ceux qui remplissent les conditions. Celles-ci sont très simples. Les cheminots de moins de 30 ans seront à l'avenir embauchés au statut car cela permet de financier le régime de retraite. Ce dernier est devenu un régime d'État, financé par les cotisations des cheminots, de l'entreprise et par une subvention liée au déséquilibre démographique. Les cheminots de plus de 30 ans, quant à eux, seront embauchés en CDI, au régime général. Le projet de loi ne prévoit pas de changement sur cette question.

Pour répondre à Hélène Masson-Maret, les régions qui le souhaitent pourront acquérir directement leur matériel auprès des constructeurs, en respectant le code des marchés publics. Cela ne pose aucun problème à la SNCF.

La réforme territoriale souhaitée par le gouvernement pourrait, me semble-t-il, être bénéfique. Le système des trains express régionaux est aujourd'hui très émietté, avec des problèmes de liaisons entre régions et des parcs ne pouvant être mutualisés. La création de grandes régions pourrait être une source d'économies, en termes de frais de structure, mais aussi une source d'efficacité pour la SNCF, qui calquera naturellement son organisation sur ces nouvelles régions.

Jean-Jacques Filleul a soulevé un problème technique mais politiquement très important. Au Parlement européen, un mécanisme de sanction a été adopté en février dernier à l'égard des pays qui n'ouvriraient pas progressivement leur marché à la concurrence, en matière ferroviaire, à l'échéance 2019-2023. Les entreprises de ces pays ne pourront pas exercer leur activité dans les États qui, eux, ont ouvert leur marché. Aussi, dans la mesure où le marché français ne comporte pas aujourd'hui de dispositif qui prépare l'ouverture, les entreprises françaises dans le domaine ferroviaire ne pourraient plus s'implanter en Allemagne ou encore en Italie. Le secteur ferroviaire français aura beaucoup à craindre si ce mécanisme n'est pas considéré comme illégal.

Au sujet des compétences de la tête de groupe, le projet de loi rend celle-ci responsable des aspects système, c'est-à-dire de la bonne intégration entre le rail, la voie et le train, au bénéfice de la SNCF mais aussi de toutes les entreprises ferroviaires, sans discrimination. Des amendements examinés par l'Assemblée nationale prévoient en outre de confier la responsabilité du pacte social cheminot à la tête de groupe, de même que des fonctions de pilotage. En matière foncière notamment, il serait opportun que la loi le prévoie. Je pense que l'on pourrait également donner une compétence en matière de sécurité à la tête de groupe, dans le respect de l'indépendance des fonctions essentielles.

Pour répondre à Evelyne Didier, je vous confirme que, de mon point de vue, plusieurs améliorations du projet de réforme sont encore possibles. Ainsi, le degré d'intégration pourrait être renforcé sans pour autant porter atteinte à l'indépendance des fonctions essentielles. Le volet financier pourrait être rendu plus robuste par des mesures complémentaires destinées à stabiliser la dette. Le volet social pourrait être nourri des travaux des commissions. Enfin, les responsabilités des autorités organisatrices de plein exercice pourraient être clarifiées. Il faudra d'ailleurs que les régions aient, à terme, des ressources propres pour financer les TER.

Au sujet de la dette évoquée par Alain Houpert, je préciserai que celle-ci ne concerne pas les retraites. La caisse des retraites de la SNCF est désormais une caisse d'État.

Concernant l'harmonisation sociale, il faudra, une fois celle-ci effectuée en France, l'effectuer au niveau européen pour éviter une guerre des moins disant entre les réseaux. Dans le routier, le moins disant social vient perturber les marchés des États membres qui eux, ont des équilibres sociaux souvent décidés par des conventions collectives. Je considère qu'il faut, dans le ferroviaire, un véritable dialogue social européen et une harmonisation sociale.

S'agissant du coût du train pour les usagers, la baisse des tarifs doit passer par une baisse des coûts.

Enfin, comme vous l'avez demandé, je pense que nous devrons accentuer, avec RFF, la pression sur les opérateurs télécoms qui pratiquent les accords d'itinérance le long des voies.

M. Guillaume Pépy. - Sur les remarques de Roland Ries, avec lesquelles je suis très en phase, il existe bien une différence entre un opérateur et une autorité organisatrice, et la SNCF a mis trop de temps à totalement l'intégrer. Aujourd'hui, Alain Le Vern, patron des TER, termine un projet de décentralisation de la SNCF, conduisant à ce que chaque président de région aura face à lui d'ici la fin de l'année, un responsable TER qui ne pourra plus jamais dire « je défère à Paris ou à ma direction centrale ». Désormais, c'est le directeur régional qui sera en charge de la totalité des réponses. Il maitrisera les effectifs, ainsi que les moyens financiers, et il sera responsable des objectifs de qualité et de service. Sur le modèle de délégation de service public, j'y suis également favorable.

Sur la question de la dette, je pense qu'il faut d'abord bien distinguer le surendettement de l'endettement. Nous sommes aujourd'hui surendettés, cela signifie que nous risquons de devoir réemprunter pour assumer la charge de notre dette. Les taux d'intérêt sont très bas, s'ils remontent nous serons en situation de surendettement. C'est pourquoi l'objectif de stabilisation de la dette est vital. Mais, il suppose que les moyens financiers disponibles dans ce pays soient consacrés à la maintenance et à la modernisation du réseau existant, et que l'on réduise la voilure sur la construction de lignes nouvelles. Deuxièmement, il suppose un effort de performance. Nous nous engagerons par un contrat de performance signé avec l'État, sur le contenu de ce milliard d'économies : 500 millions pour le réseau, et 500 millions pour l'entreprise de services.

Enfin, il suppose sans doute que l'État puisse lui aussi faire sa part du chemin. Nous avons d'ores et déjà fait des propositions, et notamment que les dividendes versés soient réinvestis pendant un certain nombre d'années pour accélérer la stabilisation de la dette et que l'impôt sur les sociétés, qui est versé aujourd'hui, soit lui aussi affecté à la stabilisation de la dette. Cette question de la dette est absolument centrale, et l'étape de stabilisation est une première étape nécessaire.

Enfin, sur le patrimoine foncier. Que peuvent « rapporter » des cessions intelligentes ? Nous pensons que cela peut être de l'ordre de 150 à 200 millions d'euros par an, en tenant compte d'une loi que vous avez adoptée, qui prévoit des cessions dans le domaine ferroviaire, à tarif préférentiel pour les logements sociaux.

Sur la question de la mise en cohérence des différentes lignes, des différents services, vous évoquez un aspect essentiel. Il s'agit de la nécessité que les futures autorités organisatrices de plein exercice soient moins nombreuses, avec un ressort plus vaste, pour pouvoir elles même faire ce travail de mise en cohérence. En effet, lorsqu'on voit des bus départementaux en concurrence avec des TER régionaux, et avec des centrales de mobilité gérées par les agglomérations, on se dit que l'argent public n'y trouve pas son compte. Et donc là aussi, on peut faire un rapprochement avec la réforme territoriale.

Enfin pour répondre à la question de Jean-Pierre Bosino, relative aux moyens financiers pour le mur des travaux. Les 500 millions d'euros de RFF, ou du futur SNCF réseau, ne sont pas des économies sur la modernisation ou la maintenance, mais essentiellement sur les achats, les frais de structures et les duplications. Pour vous en citer une, il existe aujourd'hui, un contrat de gestion d'infrastructures de plus de mille pages, qui nécessite plusieurs dizaines de contrôleurs de gestion au plan central et régional, pour régler le ballet entre RFF et SNCF-infra. Il y a des dizaines d'exemples similaires, c'est à dire de personnes qui travaillent dur pour des tâches qui ne présentent finalement aucun intérêt en termes de service public ou de qualité.

Vous évoquiez également la question de l'augmentation des recettes. Dans le projet que je porte à l'intérieur de la SNCF, qui s'intitule « Excellence 2020 », et qui a été adopté il y a huit mois, le chiffre concernant le développement s'élève à 1,3 milliard d'euros sur la période, pour les trains de la vie quotidienne qui sont une priorité absolue, y compris les intercités. Deuxièmement, il s'agit d'être capable d'offrir un service de bout en bout, c'est-à-dire d'offrir là où c'est nécessaire, des trains, des trams, des métros, des bus et des transports à la demande, en somme toute la chaîne, pour que les Français puissent avoir une alternative à la voiture.

Enfin, l'activité internationale du groupe représente 25 % de son chiffre d'affaires, c'est-à-dire entre 9 et 10 milliards d'euros. Je me suis engagé à porter ce chiffre à 33 % d'ici 2017, pour que la France soit, encore plus qu'aujourd'hui, un champion reconnu des systèmes de mobilité au plan mondial, avec derrière ces enjeux en termes de chiffre d'affaires, les exports et l'emploi.

M. Raymond Vall, président. -  Merci M. le Président. Je pense que tous mes collègues ont pu apprécier la sincérité de votre intervention et la précision de vos réponses. Je ne doute pas que ce qui s'est exprimé ici, représente, une volonté forte, politique, de pouvoir contribuer à une réforme absolument nécessaire, et j'espère, que tous ensemble nous porterons ce projet indispensable.

Avant de terminer, peut être pourrions-nous parler de l'affaire des Régiolis.

M. Guillaume Pépy. - Jacques Rapoport et moi-même avons tenu un conseil d'administration, au lendemain de cette affaire, avec les administrateurs de RFF et de la SNCF, ainsi que les représentants des 260 000 salariés du groupe. Je veux dire devant le Sénat, qu'une forte proportion de ces salariés a été choquée de voir son travail, consistant pour l'essentiel à du travail d'expertise, avec du professionnalisme et des questions techniques liées à la sécurité, réduit et expédié en un emballement de quelques heures. Un emballement dans lequel les faits ont très vite disparu, au profit des réactions, des emballements, des demandes des uns et des autres.

Et j'ajoute avec la même émotion que la presse internationale est catastrophique. Parce qu'évidemment, la presse internationale a relayé l'idée que les Français ne savaient pas construire des trains. Or, à un moment où l'on se bat sur tous les marchés avec Alstom, Bombardier, Transdev, la RATP, avec l'ingénierie française qui est la première au plan mondial dans ce domaine-là, il va nous falloir des mois pour aller expliquer en Malaisie, en Angleterre, en Australie, que cette affaire est une polémique franco-française. Et donc reconvaincre que les Français savent faire des trains, savent faire des quais et savent mesurer.

Ayant fait ces deux remarques sur des aspects qui me perturbent et me touchent je reviens au fond de l'affaire.

Nous avons remis un rapport d'enquête totalement transparent avec cent cinquante pages de pièces jointes, consultables en ligne, et donc à la portée de tous les journalistes, tous les politiques et tous les Français. Il y a donc une totale transparence sur le sujet. Qu'est-ce qu'il ressort de ce rapport ? C'est ce qu'a dit le ministre Frédéric Cuvillier, et je le résume : non, les trains ne sont pas trop larges puisqu'ils ont été homologués par l'État, par l'établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF). Pense-t-on donc que les gens de l'EPSF ne savent pas calculer un gabarit ? Je le répète, les trains sont biens conformes aux gabarits. Les deux personnes qui ont décidé du choix du train, Bernard Soulage et Martin Malvy, qui ont présidé la commission d'appel d'offres, assument ce choix, et l'ont dit publiquement, mais cela n'a pas été beaucoup entendu, ni relayé.

Deuxièmement, le ministre l'a rappelé, les quais des 3000 gares de France, qui datent de toutes les époques, certains ont cent cinquante ans, d'autres un an, ont tous les formats en longueur, largeur et hauteur. Et donc, par conséquent, lorsqu'on introduit un nouveau train, fut-il conforme au gabarit international, il y a des chances que des quais de cent cinquante ans aient bougé de quelques centimètres. Et des voies qui n'ont pas été retouchées pendant vingt ans, c'est-à-dire pendant une période ponctuée d'aléas climatiques tels que des inondations ou la sécheresse, puissent avoir besoin d'être redressées. Le seul élément qui aurait été gênant dans l'affaire, c'est si des quais récents, construits dans les deux ou trois dernières années, avaient dû être rabotés. Or, on ne relève qu'un cas en région PACA, peut être un deuxième et une incertitude pour un troisième. Mais cela ne justifie en aucune manière l'emballement auquel on a assisté. Et, je souhaiterais ajouter que cela n'était une surprise pour personne. J'engage tout le monde à regarder les échanges de courriers. Des élus se sont déjà exprimés, notamment Antoine Herth, vice-président de la région Alsace chargé des transports, qui a expliqué que cette affaire est connue depuis 2009, qu'il s'en est emparé et qu'il a depuis le début, comme Alain Rousset, demandé qu'aucune charge ne soit portée aux comptes des régions. Il a eu satisfaction puisque c'est RFF qui prend tout en charge sur ses investissements propres.

Mais comme on a coutume de le dire, « il n'y a jamais de fumée sans feu ». Nous avons donc cherché l'origine du problème. Et le vrai problème n'était ni la largeur des trains ni l'étroitesse des quais. Le vrai problème est qu'effectivement entre 2009 et 2011, c'est-à-dire postérieurement au choix effectué par la commission « Malvy-Soulage », et avant 2011 où cette question a été reprise avec sérieux, il s'est écoulé deux ans pendant lesquels les deux établissements publics, qui se faisaient une guerre ouverte, n'ont pas travaillé cette question correctement. Donc, il est vrai que j'ai ma part de responsabilité dans le fait qu'entre 2009 et 2011, nous n'avons pas travaillé correctement, avec à l'époque Hubert Du Mesnil pour RFF. Cette « faute », a-t-elle eu des conséquences ? Là encore le rapport l'établit, il n'y a heureusement pas eu de conséquences, puisqu'à partir de 2011, nous avons recommencé à travailler ensemble. Les travaux ont été faits et il n'y a pas de situation, où, cette absence de travail en commun ait retardé la mise en service du Régiolis. On ne relève qu'une situation où il y a eu des difficultés entre Tarbes et Montréjeau, où la mise en service du Régiolis est retardée de quelques mois, en raison d'un problème de circuits de voies et de passage à niveau.

Dernier mot, le fond du problème réside dans la nécessité d'améliorer l'accès des fauteuils roulants, des poussettes, des familles, des seniors, de toutes les personnes ayant des difficultés à se déplacer jusqu'au train. Il s'agit de faire en sorte que la séparation entre le quai et le train ne soit pas trop importante, afin de permettre aux personnes en fauteuil roulant, ou se déplaçant avec une canne, d'avoir accès au train sans assistance. Or, tout le travail conduit par la commission « Soulage-Malvy » était de répondre à cette problématique. Aujourd'hui, le Régiolis est largement soutenu par les associations de personnes à mobilité réduite. Patrick Toulmet, qui est sur le sujet une référence absolue, le comité consultatif des personnes à mobilité réduite de la SNCF, ont soutenu ce projet, car ce train facilite l'accès des personnes à mobilité réduite au service public ferroviaire.

Le ministre a pris des décisions qui me paraissent tout à fait adaptées. Tout d'abord, il a rappelé la nécessité qu'il n'y ait plus jamais d'absence de travail coopératif, afin qu'au moment où on commande un train, les études entre le quai et le train soient terminées. Ensuite, il a exigé que le financement soit confirmé par les investissements sur fonds propres de RFF, afin que cela ne coûte rien ni aux usagers, ni aux collectivités régionales. Et enfin, il nous a demandé, car c'est le fond du problème, d'aller présenter devant chaque conseil régional l'avancement du schéma d'accessibilité régional, pour montrer que les trains vont être de plus en plus accessibles aux fauteuils, aux poussettes et aux personnes à mobilité réduite. C'est bien de cela, et uniquement de cela que nous devons parler, car c'est cela qui est l'enjeu.

Voilà, j'ai parlé avec un peu d'engagement, j'en suis désolé, mais c'est une affaire qui nous a profondément touchés.

M. Raymond Vall, président. -  Merci pour ce dernier volet de votre audition.

La réunion est levée à 11 h 35.

Sobriété, transparence et concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis sur la proposition de loi n° 310 (2013-2014), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques.

La réunion est ouverte à 15 heures 05.

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - Nous examinons une proposition de loi inscrite dans la niche réservée au groupe écologiste du 17 juin prochain, relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'ondes électromagnétiques. Le texte a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 23 janvier dernier. L'objectif de son auteur, la députée Laurence Abeille, est de réduire l'exposition de nos concitoyens aux ondes, au motif que leur innocuité n'est pas prouvée.

Qu'en est-il réellement ? L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) réalise une revue de la littérature internationale sur les risques posés par les ondes électromagnétiques, et dispose d'un groupe de travail dédié à ces questions. Les représentants de l'agence nous ont indiqué que la France était l'un des derniers pays à maintenir une recherche publique sur le sujet. L'Allemagne l'a récemment arrêtée, estimant que les connaissances actuelles ne justifiaient pas une vigilance accrue. L'Anses a publié une première étude en 2009, actualisée en octobre 2013. Son rapport conclut à l'absence d'effets sanitaires avérés pour les expositions environnementales, et note uniquement, avec des niveaux de preuve limités, l'existence d'effets néfastes potentiels pour l'utilisation de téléphones mobiles en mode communication chez les utilisateurs intensifs. L'Académie de médecine a rappelé qu'aucun risque des radiofréquences n'est avéré en dessous des limites réglementaires. Les radiofréquences ont pour seul effet connu l'échauffement, par absorption d'une partie de la puissance émise. C'est ce que mesure le DAS, ou débit d'absorption spécifique, indiqué lors de l'achat d'un téléphone. La réglementation limite la puissance autorisée, avec une marge de sécurité importante. Dans les études internationales menées, aucun effet biologique non thermique n'a été observé, de même qu'aucun effet nocif en dessous des seuils réglementaires. L'Anses ne recommande pas d'abaisser les expositions aux ondes électromagnétiques. Le seul sujet de vigilance concerne l'exposition au contact des téléphones portables, raison pour laquelle ils sont obligatoirement fournis avec un kit mains libres.

Le postulat de départ de cette proposition de loi, qui souhaite inscrire dans le droit en vigueur un principe de modération de l'exposition, ne semble pas être fondé. Le texte propose au titre Ier une révision de la procédure d'implantation des antennes relais. L'article 1er rénove le dispositif d'installation des antennes, en plaçant le maire au coeur du mécanisme de concertation, d'information et de facilitation du dialogue entre les parties prenantes. Cette modification de la procédure en vigueur n'est pas souhaitable, puisque la répartition des rôles entre l'État, à travers ses bras armés que sont l'agence nationale des fréquences et l'Arcep, et les communes a été clarifiée dans un arrêt du Conseil d'État d'octobre 2011 et une décision du Tribunal des conflits de mai 2012. L'Agence nationale des fréquences coordonne l'implantation sur le territoire national des stations radioélectriques de toute nature, et veille au respect des valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques. Elle dispose de pouvoirs de police spéciale des communications électroniques. L'État est seul compétent pour déterminer les modalités d'implantation des antennes-relais sur l'ensemble du territoire et les mesures de protection du public contre les effets des ondes qu'elles émettent. Le code des postes et des communications électroniques prévoit que le maire soit informé, à sa demande, de l'état des installations exploitées sur le territoire de sa commune. Pour autant, il ne peut pas adopter de réglementation relative à l'implantation des antennes-relais en vue de protéger le public contre les effets négatifs supposés des ondes. Sa seule compétence tient à ses pouvoirs en matière d'urbanisme : aucune antenne ne peut être implantée sans déclaration de travaux. Les rôles sont clairement répartis. Alourdir la procédure ne paraît pas opportun. Tout au plus, pourrait-on accepter une transmission systématique, dans un souci d'information, d'une copie du dossier de demande d'implantation au maire. L'Association des maires de France a publié en 2007 un Guide des relations entre opérateurs et communes, qui organise le dialogue et la concertation.

S'il est utile de renforcer l'information des maires, il n'est pas nécessaire de les placer au coeur de la procédure d'autorisation des antennes et à doublonner le système existant autour de l'Agence nationale des fréquences. L'AMF souligne la grande solitude dans laquelle les maires se trouvent depuis de nombreuses années pour répondre aux inquiétudes des habitants vivant à proximité des antennes-relais. Seul l'État, compétent en matière de risque sanitaire, peut assumer ce rôle. Je vous proposerai un certain nombre d'amendements visant à supprimer une partie des mesures prévues. Je vous proposerai de remplacer l'objectif de modération de l'exposition des ondes par celui, plus adapté, de maîtrise de l'exposition, qui n'implique pas nécessairement une baisse mais bien un contrôle et une vigilance des pouvoirs publics. Mes amendements à l'article 1er viseront aussi à rendre systématique l'information des maires par les opérateurs quant aux installations situées sur le territoire de leur commune, au-delà de la simple déclaration de travaux obligatoire.

De manière plus générale, je crois qu'il nous faut prendre garde, avec les dispositions de ce titre Ier, à ne pas complexifier la procédure d'installation des antennes-relais à un point tel que nous mettrions en péril l'aménagement numérique du territoire, alors même que le risque sanitaire n'est pas avéré. La semaine dernière, l'Arcep a ouvert trois enquêtes administratives à l'égard des opérateurs pour s'assurer du respect de leurs obligations. Une enquête visait Free Mobile, qui est tenu de couvrir en 3G, hors itinérance sur le réseau d'Orange, 75 % de la population d'ici le 12 janvier 2015 ; une autre concernait Bouygues, Free, Orange et SFR sur le déploiement d'un réseau 3G commun dans 3 500 communes rurales d'ici la fin de l'année 2013 ; enfin, une enquête s'assurait que la dernière échéance de déploiement du réseau mobile 3G par SFR couvrait bien la cible de 99,3 % de la population. Le désenclavement numérique de notre territoire, et en particulier des zones rurales ne doit pas être mis en péril. Il en va de l'intérêt général.

Le titre II de la proposition de loi renforce l'information et la sensibilisation du public. L'article 3 complète les missions de l'Anses pour y ajouter la veille en matière de radiofréquences. J'y suis favorable. L'article 4 renforce l'information. Il prévoit l'indication du débit d'absorption spécifique - le DAS - sur un certain nombre d'équipements, ainsi que la mention de la recommandation d'utilisation du kit oreillettes. Les appareils devront disposer d'un mécanisme simple de désactivation du wifi, et indiquer leurs émissions de champs électromagnétiques. Les établissements proposant un accès public au wifi devront l'indiquer clairement. Je vous proposerai deux amendements de précision.

L'article 5 est relatif à la publicité. Il étend l'interdiction de publicité pour les moins de quatorze ans, qui n'existe aujourd'hui que pour les téléphones mobiles, à tous les équipements terminaux radioélectriques. Je vous proposerai également la suppression de cette mesure, disproportionnée au regard du risque sanitaire. Je vous proposerai la suppression du dernier alinéa imposant aux opérateurs la fourniture d'un kit oreillettes adapté aux moins de quatorze ans, qui me semble constituer une contrainte supplémentaire disproportionnée. Les dispositifs actuels peuvent être utilisés par les moins de quatorze ans et les parents ont également une responsabilité à assumer sur ce sujet. En revanche, l'article prévoit l'obligation, pour toute publicité concernant les téléphones, de mentionner l'utilisation d'un kit mains libres, ce qui est une bonne chose dans la mesure où les études scientifiques récentes indiquent que cet usage nécessite d'être vigilant.

L'article 6 prévoit la mise en place par le Gouvernement d'une politique de sensibilisation et d'information. L'article 7 vise l'exposition des enfants aux ondes électromagnétiques. Il interdit, dans les crèches, l'installation du wifi dans les zones dédiées à l'accueil, au repos et aux activités des enfants. Il impose la désactivation du wifi dans les écoles primaires, lorsque l'accès sans fil n'est pas utilisé pour des activités numériques pédagogiques. Je vous proposerai la suppression de cet article fortement anxiogène, car ces dispositions ne sont étayées par aucune étude scientifique suggérant un risque spécifique ou supplémentaire pour les enfants. Cet article pourrait entraîner la mise en cause de la responsabilité du maître d'ouvrage, le maire, ou des enseignants. La question, légitime, de l'information lors de l'installation d'antennes relais à proximité d'établissements scolaires a été résolue par le décret du 3 mai 2002 relatif aux valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques. Son article 5 précise que les opérateurs doivent indiquer les actions engagées pour assurer qu'au sein des établissements scolaires, crèches ou établissements de soins situés dans un rayon de cent mètres de l'installation, l'exposition du public au champ électromagnétique soit aussi faible que possible tout en préservant la qualité du service rendu.

L'article 8 prévoit la remise d'un rapport du Gouvernement, dans un délai d'un an, sur le sujet de l'électro-hypersensibilité. Il est nécessaire de réaliser une étude sur les modalités de prise en compte de cette pathologie. L'article 9 applique les dispositions de la proposition de loi aux outre-mer.

Je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi, sous réserve des modifications, certes substantielles, que je vous ai présentées et que nous allons examiner plus en détail. Il est important de ne pas placer le débat sur le plan d'une inquiétude irrationnelle, et de fonder notre position sur les éléments de connaissance scientifique et sanitaire dont nous disposons. Des mesures trop restrictives au regard des risques purement hypothétiques ne manqueraient pas d'être interprétées par nos concitoyens comme une confirmation de la dangerosité des radiofréquences, au risque de mettre en place une politique contre-productive pour notre pays.

M. Ronan Dantec. - Nous découvrons des amendements qui sont nombreux et que nous n'avons pas eu le temps d'examiner. Ce texte est le produit d'un long travail. Il serait vain de détricoter le travail des députés, et surtout, nous devons mesurer les conséquences de nos amendements. La proposition de loi tend à faciliter la vie des opérateurs, même s'ils en sont les premiers pourfendeurs. Le rapport de l'Anses conclut à la « nécessité de limiter les expositions aux ondes électromagnétiques ». Le texte fait écho aux interrogations légitimes de la population sur le sujet. Mieux règlementer la puissance des émissions électromagnétiques autorisées, c'est sécuriser le processus d'information. Les maires n'ont aucun pouvoir de décision, en la matière ; il est essentiel qu'ils disposent de tous les outils d'information, pour répondre aux inquiétudes de leurs administrés. Le dispositif mis en place dans le texte a été longuement mûri. Il serait sage de nous y tenir. On peut contester l'emploi du terme « modération » ; il est difficile de faire table rase de tout le travail accompli. L'enjeu de la proposition de loi n'est pas d'inquiéter la population, ni de créer des zones blanches, mais de sécuriser tout le monde.

M. Michel Teston. - J'ai pris connaissance rapidement des nombreux amendements soumis à notre approbation. Le texte adopté par l'Assemblée nationale a été considérablement allégé. Nous devons prendre le temps d'analyser les conséquences de ces modifications. Je demande donc une suspension au nom du groupe socialiste.

M. Charles Revet. - Je ne suis pas spécialiste du sujet et il m'est difficile de prendre position. Je remercie le président pour son rapport très complet, mais une suspension ne suffira pas pour nous prononcer. Peut-être devrions-nous reporter l'examen de ce texte dont les enjeux sont non seulement économiques, mais aussi sanitaires.

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - La commission des Affaires économiques examinera le texte et nos amendements le mardi 10 juin à 15 heures. La proposition de loi sera débattue en séance le 17 juin. Si nous reportons l'examen du texte, il faudra nous réunir avant la commission des Affaires économiques, mardi à 14 heures par exemple.

Mme Anne-Marie Escoffier- Je vous remercie, monsieur le président, pour la qualité et l'impartialité de votre rapport. Vous nous avez présenté avec clarté un texte qui a déjà fait l'objet d'une analyse développée et qui a le mérite de reposer les vraies questions, celles auxquelles j'ai été directement confrontée sur mon territoire. Une antenne avait été posée à 150 mètres d'une école, provoquant un tollé dans la population. Seules deux ou trois personnes parmi les deux-cents habitants ont développé des symptômes sérieux. Les cas d'hypersensibilité sont reconnus par la médecine. Dans une telle situation, les riverains se retournent contre le maire qui a un besoin impérieux d'information pour faire face. En vous entendant, j'apprends que c'est la responsabilité de l'État qui est engagée, pas celle du maire - je suis désolée de l'apprendre si tard. Dans mon cas, l'État n'est jamais intervenu.

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - L'État intervient pourtant à chaque fois. Le rapport de l'AMF est clair sur ce point. Jamais la décision d'un maire ne s'est substituée à celle de l'État. En tant que maire, j'ai été accusé d'avoir causé la mort de six personnes, simplement parce que j'avais organisé une réunion d'information sur la pose d'une antenne. Mes administrés croyaient que j'avais un pouvoir décisionnaire. J'ai appliqué le principe de précaution et j'ai refusé de signer l'autorisation de travaux. Trois mois plus tard, le préfet autorisait la pose de l'antenne, considérant que les connaissances scientifiques ne permettaient pas de conclure à un réel danger sanitaire. Le seul pouvoir du maire est dans l'examen de la déclaration de travaux. Lorsqu'elle est affichée, les riverains ont un mois pour faire appel de la décision du maire. Le pouvoir de police, lui, revient à l'Agence nationale des fréquences. C'est une bonne chose que les maires soient mieux informés ; néanmoins, ils ne doivent pas être en première ligne. Leur rôle est de faciliter le processus, de favoriser la concertation ; la décision est du ressort de l'État.

Il y a une confusion permanente - l'article 1er n'y échappe pas - entre un éventuel danger de l'antenne et la nocivité avérée du terminal. L'utilisation abusive d'un téléphone mobile est dangereuse. Cela relève de la responsabilité des citoyens, comme toute autre forme d'abus. La « modération » n'est pas une notion sur laquelle on légifère.

M. Ronan Dantec. - La « maîtrise » et la « modération » sont deux notions qui se complètent.

M. Raymond Vall. - Faire figurer le mot « maîtrise » en tête de la proposition de loi n'est pas forcément judicieux. Les antennes font l'objet d'une norme codifiée en matière d'émissions d'ondes électromagnétiques. Comment modère-t-on une norme ? La modération ne peut valoir que pour l'utilisation d'un terminal, même si nous manquons de certitude à ce sujet.

M. Charles Revet. - Et qu'entend-on par « sobriété » ?

Mme Anne-Marie Escoffier. - J'admire votre détermination et votre force de conviction, monsieur le président. Nous avons besoin de travailler sur les amendements. Je suis favorable au report de la réunion. Je m'interroge également sur le mot « sobriété ».

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - Le mot « sobriété » figure dans le titre de la proposition de loi. L'article 1er reprend le terme « modération » à contresens.

Mme Hélène Masson-Maret. - Je suis d'accord avec ce que vous avez dit, surtout sur le titre Ier. On ne peut pas régler un comportement - la modération - par un texte de loi. Je dispose de toute une littérature sur les risques sanitaires liés à l'émission des ondes électromagnétiques. Je reste incapable de trancher. Je ne partage même pas votre conviction sur le principe de précaution. Ma seule certitude, c'est qu'il faut dissocier l'émetteur et le terminal.

M. Jean-Jacques Filleul. - Mon expérience de maire est similaire à celle de Mme Escoffier. Je n'ai reçu aucune aide de l'État. Je « vendais » le projet des opérateurs aux riverains, en faisant parfois appel à des cabinets d'expertise pour mener des études sur les ondes émises à partir des pylônes. Le cas échéant, je demandais aux opérateurs de faire quelques modifications. J'ai été très surpris d'apprendre que seule la responsabilité de l'État est engagée. Nous avons besoin d'un temps de réflexion pour revoir ce texte dont les enjeux sont complexes. Par exemple, l'installation du wifi dans les écoles pose des problèmes terribles. En éclairant la situation, le texte facilitera la vie des élus locaux et contribuera à protéger la population. Il n'y a, par exemple, pas de discussion possible avec l'association Robin des toits. Ils ont la science infuse et leurs positions sont relayées par la presse.

M. Charles Revet. - La sagesse est de reporter la réunion à mardi prochain ; les enjeux sont extrêmement importants.

M. Louis Nègre. - Pour ce qui est de la méthode, vous avez raison de demander un délai. Le sujet est sensible, nous sommes tous d'accord là-dessus. Pour ce qui est du fond, cette proposition de loi vise les effets nocifs des champs électromagnétiques pour la santé humaine. Sans être spécialiste de la question, j'y ai été confronté en tant que rapporteur du Grenelle II de l'environnement. J'ai participé à la Conférence de consensus où tous les acteurs étaient représentés - l'association Robin des toits, l'Académie de médecine, le ministère de la Santé, le président de l'Institut national du cancer, un spécialiste suisse envoyé par l'OMS, un spécialiste américain, etc. Nous avons mené une soixantaine d'auditions qui ont montré que le danger ne venait pas des antennes, mais des téléphones. En France, un décret limite à 41 voltmètres le niveau des émissions électromagnétiques en provenance des équipements. La règlementation internationale varie : un certain nombre de pays ont abaissé le niveau, en appliquant le principe de précaution : 3 ou 4 voltmètres en Belgique et au Luxembourg, 6 voltmètres en Italie. La différence est frappante et induit un doute profond dans la population. Sur le terrain, les rayonnements sont à 96 % inférieurs à 2 ou 3 voltmètres, de sorte que dans l'absolu on pourrait très facilement abaisser le niveau de 41 à 5 ou 6 voltmètres. Les écologistes veulent porter le seuil à 0,6 voltmètre : d'où vient cette valeur ?

M. Ronan Dantec. - Qui sont les écologistes dont vous parlez ?

M. Louis Nègre. - L'association Robin des toits. Le seuil de 0,6 a été déterminé par l'étude d'un scientifique autrichien qui a montré qu'au-delà, il pouvait y avoir des effets nocifs pour le cerveau. Les Robins des toits ont fait une vérité universelle de cette étude, alors qu'elle a été contestée par d'autres scientifiques et infirmée par son auteur lui-même. Le 0,6 est une valeur romantique, lyrique, qui n'a rien de scientifique. Le spécialiste américain a pris l'exemple d'un enfant qui garderait un téléphone portable sous son oreiller, pendant toute la nuit. À cet âge, la cage cervicale n'est pas encore tout à fait fermée et les ondes peuvent être nocives. Rien ne l'atteste avec certitude, comme l'a confirmé le président de l'Institut du cancer. J'ai fait effectuer des mesures dans une cour d'école : une douzaine d'ondes électromagnétiques ont été détectées, dont les plus puissantes - et de très loin ! - étaient celles d'un radar militaire.

En fait, nous baignons depuis longtemps dans une soupe d'ondes électromagnétiques ; les téléphones sont loin d'émettre les plus fortes. Les Robins des toits et les Suédois sont les seuls à reconnaître des cas d'hypersensibilité. Les études menées en France n'ont donné aucun résultat. Je suis très sceptique sur l'utilité de cette proposition de loi. Il ne faudrait pas nous couvrir de ridicule, ni augmenter la sensibilité à fleur de peau de nos concitoyens.

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - Parler de risque sanitaire pour les utilisateurs de téléphones mobiles serait anxiogène. Que dirait-on des tablettes devant lesquelles les enfants passent des heures ? La filière du jeu vidéo tient une place importante dans l'économie française. Nous connaissons la position du maire dans le processus, nous savons qui est le gendarme, des normes existent pour les antennes, le DAS pour les terminaux : que devons-nous maîtriser de plus ? Jamais la loi n'a mis fin à une addiction.

M. Ronan Dantec. - Elle a permis de réduire l'exposition à la fumée de cigarette.

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - Marquer « Fumer tue » sur les paquets de cigarettes n'empêche personne de fumer. Le citoyen garde son libre choix.

M. Michel Teston. - Nous ne sommes pas en mesure de donner un avis motivé sur le contenu et l'incidence des amendements. Je demande le report de la réunion.

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - La commission des Affaires économiques doit rester en mesure d'examiner nos amendements.

M. Louis Nègre. - Un renvoi du texte sans l'examiner est-il envisageable ? Sur le fond, il est catastrophique. L'article 1er incite à la modération : soit il existe un vrai risque et il faut traiter le problème, soit il n'y en a pas, et nous n'avons pas besoin de loi.

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - Les autres pays d'Europe ont arrêté toute recherche.

Mme Marie-Françoise Gaouyer. - Le téléphone portable est interdit dans les hôpitaux. Les usagers y sont pourtant isolés et les médecins passent outre à l'interdiction. Pourquoi cette interdiction, vieille d'au moins quinze ans ?

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - Sans doute, pour ne pas perturber le fonctionnement d'autres instruments.

Mme Marie-Françoise Gaouyer. - Je persiste à me demander si cette interdiction est encore fondée.

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - Notre commission n'est pas saisie au fond de la proposition de loi : la discussion peut continuer sans notre avis... Tout cela risque de finir par une empoignade dans l'hémicycle.

M. Charles Revet- En reportant notre réunion à mardi, nous pourrons approfondir la réflexion, et pour nous et pour la commission des Affaires économiques.

M. Raymond Vall, président et rapporteur. - J'ai parlé à son président, ce matin. Il n'avait pas d'élément nouveau sur la question du risque sanitaire. Le terme « modération » introduit une notion de risque. Il sera difficile d'en maîtriser les effets.

M. Charles Revet. - En motivant le report par des raisons bien pesées, nous alerterons la commission des Affaires économiques.

M. Raymond Vall, président et rapporteur.  - Nous nous réunirons donc mardi prochain, à 12 h 15 pour l'examen des amendements.

M. Ronan Dantec. - Un engagement pris de longue date m'empêchera d'être présent.

La réunion est levée à 16 heures 10.