Débat préalable au Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012.

Orateurs inscrits

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes .  - Je me réjouis de ce nouveau débat sur l'avenir de l'Europe et de l'Union économique et monétaire, à la veille d'un Conseil européen qui sera l'occasion, nous l'espérons, de progresser sur la voie de l'intégration et de l'efficacité. Je voudrais évoquer devant vous quelques-uns des sujets importants que nous examinerons les 13 et 14 décembre prochains, rappeler les étapes franchies et celles qui restent à franchir.

Nous avons trois objectifs de réorientation de la politique européenne : rééquilibrer la politique de discipline budgétaire par des mesures en faveur de la croissance ; faire en sorte que le système financier et bancaire finance bien l'économie réelle ; enfin, dès lors que les politiques budgétaires et économiques convergent, faire davantage de solidarité.

Sur la croissance, le plan arrêté en juin est en cours d'application. Les 120 milliards se répartissent en trois enveloppes : 55 milliards de fonds structurels, 10 milliards pour recapitaliser la BEI pour lui permettre d'engager 60 milliards de prêts pour financer des projets structurants, et 4,5 milliards de project bonds. Nous voulons connaître, région par région, les montants des enveloppes susceptibles d'être mobilisés pour de nouveaux projets d'investissement.

M. Christian Bourquin.  - Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Une enveloppe de 2,5 milliards pourrait être redéployée au titre des fonds structurels.

En loi de finances, vous avez voté la contribution de la France à la recapitalisation de la BEI, soit 1,6 milliard. 60 milliards de prêts supplémentaires seront donc disponibles.

Enfin, la Commission européenne a pris des dispositions pour que les project bonds puissent entrer en vigueur ; ceux-ci s'articuleront avec les prêts de la BEI pour financer des projets innovants.

La France attend 7 à 8 milliards de ces dispositifs ; au total, la première enveloppe mobilisable pour notre pays sera de l'ordre de 10 milliards. La participation de la France sera à la hauteur des engagements auprès de la BEI. Je viendrai rendre compte à la commission des affaires européennes de cette question dès le début 2013. (On s'en félicite à gauche) Certains s'interrogent encore sur la réalité du plan de croissance ; je vous démontrerai son utilité.

Nous avons progressé sur le budget européen mais ne sommes pas encore parvenus à un compromis. Certains États ont demandé des coupes dans le budget mais aussi des chèques et des rabais pour eux-mêmes. Exiger 200 milliards de coupes alors que nous avions décidé un plan de croissance de 120 milliards n'était pas très cohérent... Un montant de 983 milliards doit permettre de mener de bonnes politiques de croissance, sans oublier, à l'horizon 2020, la PAC, la politique de cohésion. Enfin, nous souhaitons que le budget de l'Union européenne dispose de ressources propres. C'est pourquoi nous nous réjouissons que le Parlement européen ait adopté aujourd'hui même les dispositions relatives à la taxe sur les transactions financières ; les États qui l'acceptent demanderont à la Commission de préparer un texte législatif pour avril 2013.

Nous souhaitons aussi favoriser le développement du marché intérieur, ce qui ne signifie pas davantage de libéralisme ou de déréglementation. L'harmonisation fiscale et sociale doit être la règle : portabilité des droits sociaux, reconnaissance des qualifications professionnelles, mais aussi salaire minimum européen. Le marché intérieur doit être le lieu d'un haut niveau de protection sociale. L'harmonisation doit se faire par le haut.

J'en arrive à la remise en ordre de la finance. Les errements spéculatifs d'hier ne doivent pas pouvoir se reproduire. La finance doit être au service de l'économie réelle et non à celui d'activités hasardeuses, celles-là même qui sont à l'origine de la crise financière. (M. Roland Courteau approuve) C'est la spéculation qui a obligé les États, par la dépense publique, à recapitaliser les banques en 2007 et 2008 et amortir le choc. Remettre de l'ordre dans la finance, mais aussi dans nos comptes : nous n'y parviendrons pas si la croissance n'est pas au rendez-vous.

L'union bancaire, c'est un dispositif de supervision de toutes les banques par la BCE, des mécanismes de résolution des crises et la garantie des dépôts des épargnants.

En juin, nous avons décidé de mettre en oeuvre une supervision des banques ; une recapitalisation directe par le MES ne sera pas possible sans elle. Nous avons aussi décidé que la supervision et le rôle du MES justifiaient la possibilité donnée au FESF d'intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines. Avec le MES, le FESF et l'intervention de la BCE, nous disposons d'un pare-feu contre la spéculation. En octobre, nous avons décidé du périmètre -toutes les banques- et des modalités de la supervision par la BCE, superviseur unique ; nous devons encore acter définitivement le dispositif, c'est tout l'enjeu du Conseil de cette fin de semaine. Ce qui ne veut pas dire que la BCE supervisera toute seule toutes les banques -d'où la nécessité d'articuler rôle de la BCE et rôle des banques centrales. Avec les mécanismes de résolution des crises bancaires et la garantie du dépôt des épargnants, nous aurons un dispositif complet de stabilisation et de contrôle de la finance.

Un mot sur la solidarité : dès lors qu'il y a convergence des politiques budgétaires et économiques -la discipline budgétaire prémunit contre les marchés-, il doit y avoir solidarité. Si l'Europe n'est qu'une maison de redressement, il y a peu de chance que les Européens continuent à croire à l'Europe.

Le premier des instruments évoqués par la Commission et le Conseil est la contractualisation, destinée à accompagner les politiques structurelles. Elle doit permettre des grands investissements de compétitivité de demain qui feront la croissance d'après-demain mais aussi éviteront la récession d'aujourd'hui. Il nous faut aussi une politique pour l'emploi.

Le deuxième instrument, c'est le budget de la zone euro. S'il doit y en avoir un, il doit permettre de mener des politiques contracycliques, d'accompagner la croissance. Mais la question ne peut être traitée avant les perspectives 2014-2020, sauf à légitimer les demandes de ceux qui veulent des coupes -je ne donnerai pas de nom...

M. Roland Courteau.  - Nous les avons reconnus !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Ils ne roulent pas toujours à gauche...(Sourires) Il y a enfin la question de la mutualisation des dettes. La France entend que le débat ait lieu.

Enfin, il y a la question de la démocratisation de l'Union européenne : davantage d'union politique mais aussi davantage de lisibilité démocratique. Les recommandations faites dans le cadre du semestre européen doivent pouvoir être examinées par le Parlement avant la loi de finances -et non après. Nous devons réunir davantage l'Eurogroupe, mieux associer les parlements nationaux au dialogue entre la Commission européenne et les États.

Je forme le voeu que nous aurons d'autres débats sur ce sujet passionnant qui nous rassemble. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes .  - Je me réjouis de ce débat qui est l'occasion d'évoquer des questions essentielles. Les sujets économique, budgétaire et financier sont en tête de l'agenda du Conseil. Les objectifs sont ambitieux puisqu'ils concernent l'union bancaire et le renforcement de la gouvernance de la zone euro.

Depuis Lisbonne, les sujets essentiels sont traités dans la continuité ; c'est un progrès. Mais l'achèvement de l'union économique et monétaire suscite des interrogations légitimes.

L'union bancaire... A mesure que la crise financière s'éloigne, il semble que la détermination fléchisse. La responsabilité ultime doit rester entre les mains de la BCE, même si elle s'appuiera sur les superviseurs nationaux. On ne peut limiter son action aux seules banques systémiques -qu'est-ce qu'une banque systémique ?-, d'autant que la chute de petites banques peut produire de grands dommages. Supervision et système commun de résolution des faillites vont évidemment de pair. Certes, les résistances sont nombreuses mais on ne peut se contenter de solutions au rabais, il en va de la crédibilité de l'Europe.

Le Conseil européen met en tête de ses priorités la croissance et l'emploi au niveau national. C'est une victoire de la France et du président de la République, mais le seul moyen prévu est de faire pression sur les États pour qu'ils mettent en oeuvre des réformes structurelles. La Commission parle d'un cadre de coordination, M. Van Rompuy d'arrangements contractuels avec chaque État. A mettre en rapport avec l'idée d'une capacité budgétaire propre à la zone euro, qui pourrait en partie servir à encourager ces réformes ou sanctionner leur absence.

Le pacte de stabilité a déjà été durci, il y a eu le TSCG, le two pack est actuellement en discussion, on parle de suspendre le versement des fonds de cohésion aux États qui ne respecteraient pas leurs engagements. L'Europe doit être tout sauf une maison de redressement.

M. Christian Bourquin.  - C'est évident !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes.  - L'Europe ne doit pas devenir un carcan, une nouvelle mouture du despotisme éclairé. Une coordination, c'est un dialogue, une coopération, non une vision unique imposée sous la menace. Le fonctionnement de l'Union ne peut pas plus se résumer aux réformes structurelles ; en l'absence de dévaluations, l'ajustement se fait sur les salaires et les prestations publiques, qui tire le modèle social vers le bas.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes.  - Nous ne devons pas perdre de vue le triptyque de Jacques Delors : la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce, la solidarité qui unit. Or, on semble ne donner la priorité qu'à la concurrence...

M. Van Rompuy semble douter du rôle des parlements nationaux. Je n'oppose pas Parlement européen et parlements nationaux, mais on voit mal celui-ci, qui représente les 27, assurer à lui seul la gouvernance démocratique de la zone euro. Comment justifier que ceux-là ne soient pas associés ?

Voici, monsieur le ministre, mes préoccupations qui, je n'en doute pas, rejoignent celles du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances .  - Encore une fois, le Conseil européen sera dominé par des sujets économiques et financiers. Le 5 novembre, M. Van Rompuy a rendu son rapport  intitulé « Vers une véritable union économique et monétaire », un document qui propose à terme un saut fédéral dans le domaine économique. Le Conseil européen devra se prononcer sur ces propositions et dire lesquelles il retient. Le rapport prône un renforcement de l'Union en trois étapes, union bancaire, union budgétaire et union économique.

Le mécanisme de supervision unique confie à la BCE la responsabilité de superviser toutes les banques de la zone euro. Comme le demande la résolution votée ici le 20 novembre, le transfert du contrôle prudentiel de l'ACP à la BCE ne doit pas signifier la perte du droit de contrôle démocratique du superviseur -si celui-ci décide de mettre une banque en liquidation, les contribuables nationaux devront payer. Nous souhaitons qu'en situation d'urgence ou de crise, les parlements nationaux puissent auditionner le président du comité de surveillance de la BCE. Un débat démocratique est nécessaire. Au début de l'année, nous avons également adopté une résolution sur le paquet « CRD 4 », qui transpose les règles de Bâle III : nous nous sommes inquiétés des conséquences des nouvelles règles sur le financement de l'économie. Pouvez-vous nous rassurer sur les ratios de liquidités à court et moyen termes ? Où en sont les négociations ? Il est en outre important que le texte sur la résolution des faillites bancaires aboutisse rapidement. Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre ?

J'en viens à l'union bancaire et économique. L'idée du rapport Van Rompuy est d'utiliser l'union bancaire pour inciter les États à davantage de coopération économique. Dès 2014, les États devraient conclure des engagements contractuels en matière économique. Des incitations financières seraient mises en oeuvre. Quels en seront le montant et la nature ? Le budget de l'Union européenne ne représente qu'un point du PIB de l'Europe... Après 2014, à une échéance à déterminer, le rapport propose un dispositif susceptible d'amortir les chocs asymétriques : si un État est frappé par une crise, il faudrait disposer d'une capacité budgétaire pour lui venir en aide. Compte tenu des réticences de plusieurs États sur la mise en place du MES, pensez-vous que cet objectif soit politiquement réaliste, dès lors que les contribuables d'un État paieraient pour un autre ?

Ces questions sont un peu terre à terre mais méritent une réponse. Qu'en est-il, enfin, de la négociation sur le two pack ? Merci pour vos réponses (Applaudissements sur les bancs socialistes)

présidence de M. Jean-Pierre Raffarin,vice-président

M. Jean-François Humbert .  - Voilà deux ans que la commission des affaires européenne m'a chargé de suivre l'évolution des États européens affectés par la crise des dettes souveraines. J'étais, il y a un mois et demi, à Chypre où le chef de l'État, qui préside actuellement l'Union, envisageait de prendre la tête d'une manifestation contre le plan d'ajustement de la troïka... Le coût social des programmes d'assistance financière est effectivement élevé. Le Portugal est qualifié de bon élève par la troïka car il a mis en place 110 des 120 préconisations de celle-ci. Mais que dire de la situation sociale et économique de ce pays : 43 % de la population exposée au risque de pauvreté, 35 % des jeunes sans emploi, près de 90 000 Portugais qui quittent le pays chaque année...!

L'Union européenne apparaît aujourd'hui comme un symbole de moins-disant social et de pression fiscale. La monnaie unique, que je ne remets pas en cause, est devenue la devise de la précarité et de la reconfiguration à la hussarde de nos États providence. La crise de la zone euro se mue en une crise de confiance. Je ne veux pas faire un procès de la monnaie unique mais je m'interroge sur la qualité de la réponse apportée aux difficultés de la Grèce, de l'Espagne ou du Portugal. En Grèce, à côté des mesures d'ajustement, on a mis sur pied une task force pour mieux exploiter le potentiel de croissance du pays... Pourquoi ne pas faire de même dans les autres États ?

Le MES est censé prévenir les comportements de pyromanes. Mais on n'a pas assez réfléchi aux stocks de dette qui peuvent encore enflammer les marchés financiers. Il a fallu attendre le mois de juin pour que l'Union européenne se préoccupe de renforcer de l'union monétaire et économique. Le rapport Van Rompuy préconisait la mutualisation d'une partie des dettes souveraines, je regrette que cette proposition ait disparu du rapport final. La Commission a repris l'idée, mais l'échéance est lointaine ; où en sera alors l'Espagne ? Où en sera l'Italie ? Où en sera la France ? La mutualisation fait peur aux pays les plus vertueux, mais il n'y a pas d'autre solution. On salue le niveau historiquement bas des taux accordés à la France, mais s'ils sont bas, c'est que les marchés considèrent notre situation préférable à celle d'autres pays. Je crains que notre tour ne vienne. Les marchés ne prennent pas en compte les réformes structurelles menées en Espagne, qui sont pourtant plus ambitieuses que les nôtres...

La Commission et le Conseil proposent d'encourager les réformes structurelles via une forme de contractualisation, avec le soutien de l'Union européenne. Mais une mutualisation d'une partie des dettes permettrait de faire baisser les taux d'emprunt auxquels certains pays se financent.

Un mot enfin sur le rôle des parlements nationaux, aujourd'hui écartés des décisions de coordination et de la définition de la politique monétaire et économique de l'Union européenne. Le Parlement européen dispose-t-il d'une légitimité supérieure à la nôtre ? Le Sénat a adopté une résolution pour renforcer la place des parlements nationaux. Avec l'article 13 du TSCG et le protocole n°1 aux traités sur le fonctionnement de l'Union, les bases juridiques existent pour faire droit à nos propositions. Je souhaite que le Gouvernement reprenne cette résolution à son compte. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Michel Billout .  - L'ordre du jour du futur Conseil européen porte sur l'union économique et monétaire. Pourtant la gravité de la crise et les divergences entre États membres risquent d'achever l'Union. La Grèce n'en finit pas de s'enfermer dans une crise dévastatrice, M. Monti, l'homme-lige de Goldman Sachs, a jeté l'éponge et quand M. Berlusconi a annoncé son souhait de revenir aux affaires, les marchés ont repris leur spéculation. La nouvelle tentative de consolidation de la zone euro est menacée par la situation italienne. Nous sommes les prochains sur la liste. Notre groupe avait critiqué les conclusions du premier Conseil européen. Mais nous déplorons que M. Hollande ait approuvé le traité signé par M. Sarkozy.

M. Van Rompuy propose de renforcer les politiques d'austérité imposées aux peuples et pense que céder aux marchés permettra de sortir de la crise ; je crains que notre Gouvernement soit sur la même ligne... Les mesures présentées par M. Van Rompuy nous conduisent à un fédéralisme que nous combattons fermement. Le mécanisme unique de supervision des banques ne saurait nous convenir, d'autant que le MES n'est déjà plus suffisant. Les marchés ont encore de beaux jours devant eux ! L'Allemagne rejette la mutualisation des dettes, malgré les efforts accomplis par certains États.

En revanche, conscient des réticences de plusieurs gouvernements, dont le nôtre, M. Van Rompuy propose de mettre en oeuvre des réformes de manière contractuelle ; je crains que ce ne soit qu'une façon habile de faire passer la libéralisation du marché du travail et la dérèglementation des services.

Cette perspective d'intégration dans de telles conditions me paraît dangereuse.

Encore une fois, on dramatise les divergences entre la France et l'Allemagne pour mieux faire accepter des compromis aux dépens des populations. Le montage ne rendra pas aux États la capacité de résister aux attaques spéculatives des marchés. Pour ce faire, il faut que les États puissent emprunter directement auprès de la BCE. Nous avons besoin d'une grande banque centrale et non d'un ersatz de fonds monétaire.

Nous vous mettons en garde : la voix de la France ne doit pas, encore une fois, se diluer.

Mme Catherine Morin-Desailly .  - Le mois de décembre nous renvoie à de mauvais souvenirs : trois ans de crise de la zone euro, trois ans de trop, durant lesquels les conseils européens ont été exclusivement consacrés à la crise de la zone euro. Une crise qui provoque un chômage massif, qui se fait sentir dans tous les foyers, qui sème le désamour pour l'Europe. Les eurosceptiques bombent le torse dans l'espoir de voir le travail d'un demi-siècle mis à bas. La colère sociale gronde.

Et nous assistons au spectacle affligeant des dirigeants européens, à quelques encablures de la définition du budget européen. La France n'a pas su influencer la position de la Grande-Bretagne accrochée à son rabais comme Harpagon à sa cassette. Au lieu d'une Europe tatillonne, synonyme de contrainte, nous avons besoin d'une Europe politique et stratégique ouverte aux enjeux du siècle, pour traiter toutes les questions inscrites au programme 2020 : la recherche, l'énergie, etc.

Les propositions des centristes commencent à être entendues. Je veux être optimiste : en un an, nous avons vu la création du MES et le renforcement de l'UEM, entre autres. La France a joué son rôle mais dans l'Europe des 27, on ne peut en rester aux gouvernements nationaux

Si la France est notre patrie, l'Europe est dorénavant notre frontière et le monde notre horizon. La BCE a démontré sa crédibilité, de même que les institutions fédérales. J'espère que, dans un an, l'urgence aura cédé le pas à la construction d'une Europe fédérale, solidaire et prospère ! (Applaudissements à droite)

M. Alain Bertrand .  - L'Europe n'est pas en forme, elle vient pourtant d'être couronnée du Nobel de la paix. Cela nous oblige. D'une crise sort quelque chose de meilleur, disait Jean Monnet. Des avancées ont eu lieu : le TSCG, le six pack, le two pack. Même si la zone euro va mieux, il faut aller plus loin car la discipline budgétaire ne peut résumer à elle seule le projet européen.

Approfondissement du marché unique et soutien à l'investissement avec le pacte de croissance aideront à sortir de la crise et du chômage.

Priorité des priorités pour M. Van Rompuy, il faut pousser le feu du laborieux chantier de l'union bancaire. Cela suppose une supervision unique. On ne peut rester dans une vision maastrichtienne, allemande, où chaque État doit surmonter ses dettes. Le MSE est un progrès mais qu'en est-il du mécanisme de stabilisation européen et du projet de Trésor européen ? Évidemment, cela implique des ressources propres pour le budget de l'Union européenne.

Le groupe du RDSE plaide pour une véritable gouvernance économique et sociale appuyée sur un budget alimenté par des ressources propres. Économie propre, recherche et innovation, volontarisme social, tel est le souhait du groupe du RDSE pour l'Europe. Le Parlement européen doit être davantage impliqué, comme les parlements nationaux.

Monsieur le ministre, votre charge est de rendre l'Europe aux Français, à la croissance, à la jeunesse pour la faire aimer. Lourde charge ! Le groupe RDSE vous fait confiance car vous avez élaboré une stratégie. (Applaudissements à gauche)

M. Christian Bourquin.  - Bravo !

M. André Gattolin.  - Un événement récent est très révélateur, du moins symbolique, des difficultés majeures que connait l'Europe : l'étrange mise en scène lors de la cérémonie de remise à l'Europe du Nobel de la paix à Oslo.

M. Martin Schulze, le seul démocratiquement élu, n'eut pas voix au chapitre ; les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne ont seuls pris la parole. Surprenant trio à deux têtes !

Encore heureux que M. Schulze n'eût pas été remplacé in extremis par le président de la BCE...

Il ne suffit pas de dire l'Europe. Trente ans après Maastricht, vingt ans après l'euro, la question du projet politique européen reste pendante. J'aurais aimé que le prochain Conseil européen s'y intéresse. La supervision bancaire est fondamentale ; elle ne résoudra pas la crise. A trop compliquer le Meccano du Parlement européen, du Conseil européen, de la Commission, de la BCE etc., on risque de le casser.

Plusieurs visions coexistent. Mme Merkel exige une union politique dont elle se refuse à dire les contours, manière de repousser l'intégration. La France, elle, se veut pragmatique et compte sur une démarche progressive sans préciser les étapes. La vérité est que, comme dans toute construction humaine, projet politique et intégration doivent aller de pair. Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de faire de grandes déclarations sur le fédéralisme que, par ailleurs, j'appelle de mes voeux. Non, il faut faire évoluer le rapport de force entre le trio européen. Il serait juste et nécessaire, dans la perspective des élections européennes de 2014, que les États s'entendent sur le futur président de la Commission européenne et que celui-ci choisisse ses commissaires parmi les députés européens les mieux élus. Nous nous éloignerions ainsi des petits calculs européens, le double mandat de Barroso montre que la Commission européenne n'est pas neutre et qu'elle n'est pas issue de la souveraineté européenne.

Avec ce système, grâce au rapprochement entre Parlement européen, source de légitimité, et Commission européenne, semi-éxécutif, on contrecarrerait plus facilement les excès d'intergouvernementalité.

Pour finir, j'en reviens à la désuète cérémonie d'Oslo -on aurait cru être au concours de l'Eurovision dans les années 1970 (sourires)- pendant laquelle fut reprise l'antienne sur la paix et la prospérité.

Les Résistants, qui avaient lutté contre la barbarie, portaient aussi un projet d'espace politique démocratique. Passons d'un espace de prospérité facile à une espace de prospérité exigeante, plus juste et plus équitable, et rendons l'Europe aux idéaux qui ont marqué sa création !

M. Roland Ries .  - M. Barroso a présenté une feuille de route pour l'intégration politique de la zone euro, estimant qu'il s'agit de la seule option aux attaques spéculatives des marchés ; M. Van Rompuy la déclare ambitieuse mais nécessaire.

Cette feuille de route se décline en trois étapes : jusqu'à fin 2013, une discipline budgétaire accrue, puis une union bancaire jusqu'à fin 2014, une politique budgétaire structurée et des mesures structurelles saines ; enfin, à partir de 2014, un renforcement de la zone euro contre les chocs externes et l'augmentation des prises de décisions sur les budgets nationaux et plus de coordination sur l'emploi. Cette feuille de route a le mérite de fixer un cap : un budget central de la zone Europe pour des politiques contracycliques et la protection de la zone euro contre les chocs.

Ce projet serait alimenté par des ressources propres : la TTF et la taxe carbone en cours de gestation.

Mieux, l'Europe pourrait emprunter ; cela suppose la constitution d'un Trésor européen. Du temps de Maastricht, il était trop tôt pour parier sur un saut fédéral mais, dès 1991, nous le savions, monnaie unique et politiques nationales économiques ne pouvaient s'accorder. Les responsables politiques de l'époque ont renvoyé cette délicate question à leurs successeurs, pariant sur les effets de l'euro. C'est tout le contraire qui s'est passé : l'euro a servi de parapluie, il a fallu attendre la crise pour que cela change.

M. Hollande l'a dit, intégration et solidarité sont indissociables ; la présidente du FMI l'a dit également à sa manière.

Enfin, les députés de Strasbourg appellent de leurs voeux un pacte social : c'est indispensable pour contrebalancer la discipline budgétaire. Il pourrait concerner la santé, le logement social, les services publics, la formation de la jeunesse, etc. Cela redonnerait confiance à l'Europe. Monsieur le ministre, je vous sais attaché à ce projet. Il serait utile de l'évoquer devant le prochain Conseil européen ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Marie Bockel .  - La crise de la zone euro est, sans conteste, un événement majeur. Pourtant, tout reste à faire pour construire l'Europe de la défense. Nous sommes à la croisée de tous les enjeux stratégiques : Printemps arabe, Iran et Mali. Hélas, l'Europe de la défense, depuis l'intervention en Libye de la France et de la Grande-Bretagne et le traité de Lisbonne, reste au point mort.

Trouvons les axes de coopération avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne pour faire avancer ce projet alors que nous travaillons au futur Livre blanc de la défense et à la prochaine loi de programmation.

Sans l'Europe de la défense, la France aura peu de poids, malgré son retour dans le commandement intégré de l'Otan. Si les questions monétaires et économiques sont importantes, il faut sonner l'alerte au Conseil européen : avançons dans la mutualisation et bâtissons l'Europe de la défense ! (Mme Catherine Morin-Desailly applaudit)

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué .  - Monsieur Bockel, vos canaux d'informations ne sont peut-être pas tout à fait fiables. L'Europe de la défense est à l'ordre du jour du Conseil de vendredi : lors des discussions sur le retour de la France au commandement intégré de la France, le précédent gouvernement avait affirmé que cela accélérait l'Europe de la défense en rendant confiance à nos partenaires. Que s'est-il passé ? Rien, sinon l'accord de Lancaster avec les Britanniques. Depuis notre arrivée au gouvernement, il y a eu la réunion de Weimar du 15 novembre, qui associait la Pologne et l'Allemagne à la France, et de Weimar plus avec l'Italie et l'Espagne.

Les décisions qui y ont été prises vont au-delà de ce que vous souhaitez : en ce qui concerne les opérations communes, y compris au Mali que vous citiez, où il a été décidé d'intervenir pour former l'armée malienne afin qu'elle puisse rétablir l'intégrité du pays, une réflexion a été confiée à Mme Ashton, qui doit rendre un rapport en septembre 2013 sur les orientations à retenir pour une Europe de la défense.

Notre stratégie est claire : intervenir là où l'Europe est efficace, mutualiser les moyens, renforcer l'intégration de notre industrie de défense.

Merci à tous les orateurs de leur intervention. Tous ont parlé de l'union économique et monétaire : certains en soulignent les progrès, d'autres en regrettent les retards. Au risque d'étonner, je partage l'avis de M. Humbert sur la mutualisation des dettes.

Même s'il reste du chemin à accomplir, beaucoup a déjà été fait : les outils pour lutter contre la spéculation ont été renforcés. La supervision bancaire et le MES sont indispensables pour rompre le lien funeste entre dette souveraine et dette bancaire. C'est un fait : depuis, les taux ont diminué, sans doute du fait de la situation économique de certains États membres, ce qui justifie aussi le maintien de nos efforts de redressement des comptes et de notre compétitivité.

La contractualisation ne doit pas dissimuler une discipline supplémentaire. Que des pays décident d'y recourir pour conduire des réformes structurelles, soit. En revanche, l'imposer aux États en difficulté, comme le propose la Commission, serait passer à côté du sujet : comme certains d'entre vous l'on dit, l'Europe ne doit pas se transformer en maison de redressement. Nous ne sommes pas contre la contractualisation. En tout état de cause, elle doit concerner aussi l'emploi, la croissance et la compétitivité. Pour financer les politiques contracycliques, il faut un budget propre pour la zone euro. Je suis très favorable à une intégration renforcée de la zone euro à condition de ne pas casser en deux le marché intérieur à 27. Trouvons une articulation intelligente. Nous discuterons de la méthode, un sujet sur la table au moins jusqu'aux élections de 2014.

L'union bancaire ? En juin, nous avons décidé la supervision qui, je le rappelle, conditionne la recapitalisation des banques. En octobre, nous avons défini le paramètre : toutes les banques. Puis le calendrier : les banques des pays en difficulté au premier semestre 2013, les banques systémiques au deuxième semestre 2013, toutes les banques en 2014. L'Allemagne a fait un compromis sur le périmètre ; nous, sur le calendrier ; c'est ainsi qu'on avance. Reste une question : qu'en sera-t-il de l'articulation entre la BCE et les banques centrales ? La BCE disposera d'un pouvoir d'évocation qui donnera consistance à la supervision unique.

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

Débat interactif et spontané

M. Jean-Yves Leconte .  - Je comptais vous interroger avec vigueur, monsieur le ministre, mais un communiqué de cet après-midi m'a rassuré. En 2011, deux symboles forts, l'euro et Schengen, ont été attaqués. En 2012, ce fut au tour d'Erasmus de l'être. Un compromis a été trouvé. Je m'en réjouis. Ce programme, qui bénéficie à 30 000 Français par an, concrétise l'Europe du citoyen : des millions de jeunes Européens sont passés par Erasmus depuis sa création, ils sont les meilleurs vecteurs de nos valeurs partagées. Il faut que ce programme se poursuive. Alors, plus jamais de tels doutes et de telles frayeurs ! Il manquait 90 millions, peu quantitativement par rapport aux milliards des banques, mais beaucoup dans le symbole. Il faut en finir avec ces négociations incessantes ; l'Union européenne doit disposer de ressources propres pour financer de tels programmes. J'en appelle à la convergence fiscale.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Au Conseil européen de novembre 2011, sous l'ancienne majorité, les gouvernements ont décidé de ne pas allouer pour 2012 le montant de crédits permettant de respecter les engagements décidés dans le cadre des perspectives budgétaires pour la période 2007-2013. Résultat, la Commission ne pouvait plus financer toutes ses politiques. L'impasse budgétaire atteignait 8,4 milliards, dont 8,3 pour les fonds structurels, 90 millions pour Erasmus et 56 pour la formation tout au long de la vie. Nous avons poussé dans le sens d'un compromis, soit le versement de 6 milliards en 2012, le solde en 2013 afin de couvrir tous les engagements. Le programme Erasmus n'est donc plus remis en cause. Nous voulons, au contraire, un « Erasmus pour tous », fusionnant le système conçu pour les étudiants et une série de programmes destinés aux jeunes. Dans les prochaines perspectives financières, Erasmus disposera de moyens suffisants. L'épisode fâcheux que nous venons de connaître ne se reproduira pas. Je signale que le gouvernement français était à la manoeuvre dans ces discussions... (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Chevènement .  - J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt votre intervention sur le contenu de la contractualisation. J'ai senti poindre l'inquiétude dans votre discours car, en homme politique fin et averti que vous êtes, vous percevez le danger. Au moment de mettre le doigt dans l'engrenage, vous vous demandez si vous pourrez éviter le précipice qui s'ouvre devant vous.

M. Van Rompuy évoque de possibles engagements contractuels entre les États et les institutions européennes, à partir de 2013, 2014. Quels sont-ils ? Ils seraient pris sur proposition de la Commission européenne -elle en a le monopole- et selon les « procédures existantes ». Quel sera le rôle exact du Parlement européen ?

Le commissaire européen aux affaires économiques M. Olli Rehn avait envoyé à M. Silvio Berlusconi, en novembre 2011, une lettre comportant... 51 conditions ! Bien plus, donc que les 21 de la IIIe Internationale. (Sourires) A peine quinze jours plus tard, M. Mario Monti le remplaçait comme président du Conseil...

Comment éviter l'alignement sur le moins-disant ? Comment éviter que l'Europe casse notre modèle social ? Quel rôle le Parlement européen conservera-t-il face à cette mécanique de redressement à laquelle vous donnez le feu vert, en prenant, vous le savez, un risque mortel, mais vous n'êtes pas le seul à décider, alors peut-être considérez-vous que ce n'est plus votre affaire ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Vos interventions, monsieur Chevènement, sont toujours de grands moments, mais elles contiennent parfois une dose de perversité... Conscients du danger, nous nous précipiterions en héros de tragédie grecque vers notre perte, incapables de contrer la fatalité ? Un tel jugement serait cruel, injuste, au regard de tout ce que nous avons fait. Nous ne sommes pas le seul pays à avoir perçu le danger ; et il fallait de l'équilibre et de la subtilité pour arrêter ces machines tragiques que vous avez décrites pertinemment.

Vous êtes trop attaché à la méthode et à la rigueur pour ne pas convenir que jamais nous ne sortirons de la crise sans efforts de redressement des comptes publics. Reste à discuter des modalités. Nous serons d'autant plus crédibles à demander une réorientation des politiques que nous aurons montré notre volonté de rétablir nos comptes. Pour y parvenir, le retour de la croissance est indispensable et nous devons donc être déterminés à créer les conditions de cette croissance.

Entre une maison bien tenue et une maison de redressement, il y a un monde. La rudesse de disciplines exclusives de tout le reste n'est plus de mise. Faisons converger les politiques économiques par la contractualisation, en donnant à celle-ci un périmètre adéquat, étendu à tout le champ économique. La convergence réclame des réformes structurelles, faisons en sorte que les grands investissements, ainsi que la politique de l'emploi, soient contractualisés. En revanche, ne laissons pas la contractualisation ajouter au cliquetis des chaînes, pour reprendre une expression qui vous est chère, monsieur le sénateur.

Enfin, vous avez raison, le blue print de la Commission européenne comporte la possibilité pour elle d'imposer des contractualisations aux pays en déficit excessif. Mais un contrat suppose un consentement mutuel, il ne peut être imposé par l'une des parties. Nous serons donc très vigilants. Il y aura, cela a été dit, un large débat. Et cette question ne sera pas tranchée au prochain Conseil. Nous aurons à en reparler.

M. Yannick Vaugrenard .  - Plusieurs pays sont en grande difficulté. L'objectif de réduction des déficits dans un temps trop court risque d'avoir des effets contraires à ceux escomptés. En Espagne, les plans d'austérité se succèdent, avec pour seul conséquence un risque de contagion sur ses partenaires au sein de l'Europe. Or les recommandations de la Commission continuent de sous-estimer le rôle de la croissance et de l'emploi. Les experts du FMI reconnaissent eux-mêmes que la cure d'austérité actuelle dans la zone euro est trop brutale. Il convient donc de proposer autre chose que la Commission et de concrétiser la conférence interparlementaire pour susciter une prise de conscience sur les politiques et la manière de les mener. La France doit promouvoir rigueur budgétaire et souplesse dans le temps, afin d'éviter la récession généralisée, qui asphyxierait les peuples.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Cette question traite de l'équilibre entre le redressement des comptes publics et la croissance. L'austérité seule nous mènerait à une situation catastrophique et risquerait de déboucher sur un divorce entre les peuples et l'Europe. Le retour des nationalismes n'est pas aussi marqué qu'il put l'être avant la fondation de l'Europe mais déjà on a observé durant les discussions budgétaires européennes les prémices de nationalismes égoïstes. Des formes de séparatisme se manifestent en Belgique ou en Espagne, et le populisme prospère sur le terreau de l'euro-hostilité.

Nous devons nous donner trois ambitions. D'abord, remettre en ordre la finance et recapitaliser les banque, car il est temps de casser le lien entre dette souveraine et dette bancaire. Ensuite, et c'est une mission pour les pays épargnés par la crise, relancer la croissance, afin que l'Europe en profite. Enfin, financer des investissements structurants pour augmenter la compétitivité européenne, et ce, via la contractualisation. Les sommes objet de tels contrats, dans les domaines de l'énergie, le transport, etc., pourraient être déduites du déficit structurel, le TSCG l'autorise. Voilà comment nous répondrons à votre préoccupation, qui est aussi celle du Gouvernement.