Débat préalable au Conseil européen

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat préalable à la réunion du Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013.

Orateurs inscrits

M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes .  - Deux points principaux seront à l'ordre du jour de ce Conseil européen : l'approfondissement de l'Union économique et monétaire et la politique de sécurité et de défense commune. Avant de les aborder, je tiens à vous faire part des grandes avancées obtenues hier sur les travailleurs détachés.

La mobilisation personnelle du président de la République a fait bouger les lignes afin de mieux protéger les travailleurs détachés, dans leur pays d'emploi comme dans leur pays d'origine. Des coopérations éviteront les contournements. Les États se sont engagés à fournir toutes informations sur les sous-traitants pour lutter contre les sociétés-écrans. On pourra exiger des travailleurs détachés eux-mêmes la preuve que leurs conditions de travail et de salaire respectent les règles. Les donneurs d'ordre seront responsables des agissements de leurs sous-traitants. Les sanctions, enfin, seront appliquées dans tous les États membres et les amendes pourront être recouvrées dans le pays d'origine. Aucune impunité ne pourra persister.

Vous le voyez, une Europe sociale est possible, à condition que l'on s'en donne les moyens et que l'on sache négocier.

Le Conseil européen sera l'occasion d'évoquer l'Union économique et monétaire. La crise a révélé la nécessité d'harmoniser les économies de la zone euro. Notre mot d'ordre doit être la solidarité. L'union bancaire en est un parfait exemple. Notre objectif est de la compléter avant la fin de la législature du Parlement européen, en mai, avec un mécanisme de résolution unique. Les grandes lignes d'un accord politique ont déjà été trouvées hier au sein du conseil Ecofin. Enfin, nous nous doterons de règles communes pour gérer les crises bancaires. Je salue la nomination d'une grande spécialiste de la régulation financière, la française Danièle Nouy, à la tête du comité de supervision de la BCE. Elle aura notamment en charge de conduire la prochaine phase de tests de résistance des établissements bancaires.

Les contrats de compétitivité et de croissance ne doivent pas être dissociés de mécanismes de solidarité financière. Ils doivent résulter d'un diagnostic économique d'ensemble sur la zone euro avant d'être adaptés à chaque pays. Il n'est pas non plus question de créer une usine à gaz mais de s'aligner sur le calendrier du semestre européen.

Sur la Politique européenne de défense et de sécurité, notre méthode est la même, fondée sur la négociation en amont. Cette politique sera à l'ordre du jour pour la première fois depuis cinq ans, à la demande de la France. C'est un processus de longue haleine que nous entamons. À l'heure où des événements dramatiques se produisent partout dans le monde, il y a urgence. Je pense à la Centrafrique, où la situation est si dramatique que le concours de la France a été demandé. Je rends hommage à nos soldats qui ont péri hier et adresse mes sincères condoléances à leurs familles.

En République centrafricaine, l'Union européenne est au rendez-vous. Elle apportera un soutien financier de 50 millions à la Misca à travers la Facilité de paix. La Commission européenne a relevé l'aide humanitaire d'urgence de 12 à 20 millions d'euros : c'est aujourd'hui le premier bailleur de fonds du pays. Les commissaires Piebalgs et Georgieva sont très engagés.

L'Union européenne doit être un acteur-clé de la sécurité internationale. La politique de sécurité et de défense commune est un facteur d'économie stratégique ainsi que de développement industriel.

Nous veillerons à la mise en place d'une stratégie de sûreté maritime et de lutte contre l'immigration illégale, à l'exécution du mandat confié à la Haute représentante sur les frontières sahélo-sahariennes, au suivi des capacités des États tiers et des États membres, notamment en matière d'avions ravitailleurs et de drones, au moyen de schémas de mise en commun ainsi qu'aux mécanismes de soutien aux capacités nationales par des exemptions de TVA.

Nous serons attentifs, enfin, au soutien apporté aux industries européennes.

Nous n'avons qu'un objectif : bâtir une Europe plus protectrice et plus solidaire, pour la croissance et pour l'emploi. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE).

M. Stéphane Mazars .  - Depuis son lancement en 1998, l'Europe de la défense a progressé mais, depuis 2010, l'Union européenne n'a lancé aucune opération sauf en Somalie. Elle est aux abonnés absents en Libye, en Syrie, au Mali ; elle l'est encore en République centrafricaine. Que n'utilise-t-elle ses groupements tactiques, nés en 2007 ? Nos concitoyens ne comprennent plus que la France soit le seul rempart et le seul payeur.

Cette lenteur s'explique avant tout par le manque de volonté politique. Le Royaume-Uni et la France ont encore une vision globale du monde ; l'Allemagne pense plus à son industrie de la défense qu'à la défense ; d'autres se reposent sur les États-Unis. Notre autonomie stratégique et la survie de notre industrie sont pourtant en jeu.

Entre un pessimisme coupable et un utopisme naïf, nous voulons croire que des avancées pragmatiques sont possibles. Pourquoi ne pas créer un groupe pionnier, élargi au-delà de la France et du Royaume-Uni déjà liés par le traité de Saint-Malo ?

Le Conseil européen sera aussi l'occasion de faire le bilan des pactes pour la croissance et l'emploi. Le président de la République a déploré certaines lenteurs ; il y a pourtant urgence à lutter contre le chômage de masse et à soutenir l'emploi des jeunes. Nous attendons des investissements dans les domaines stratégiques.

Pendant des années, l'Europe s'est contentée d'une gestion de la crise à la petite semaine. Elle s'est focalisée sur les indicateurs économiques et financiers. On est au moins parvenu à renforcer l'Union économique et monétaire, à s'engager dans la création d'une union bancaire et à mettre en place une assistance financière commune.

Mais cette construction est technocratique, parfois disciplinaire. Il est temps de créer une Europe plus solidaire, empêchant un dumping social délétère. L'Europe a besoin d'un projet. Si nous ne changeons pas de cap, la défiance des citoyens s'exprimera lors des élections. Quelles sont vos intentions, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur la plupart des bancs)

M. André Gattolin .  - Le dernier Conseil européen de 2013 présente un ordre du jour chargé. Les crises qui se succèdent dans le monde montrent à quel point la politique de sécurité et de défense commune reste embryonnaire, malgré sa nécessité. Exit, dans quelques mois, José Manuel Barroso que nous ne regretterons guère. Exit Mme Ashton qui, après des débuts catastrophiques et un mandat poussif, a fini par nous étonner par son rôle actif à propos du nucléaire iranien et de l'Ukraine. Quant à M. Draghi, dont le mandat court encore pour trois ans, il a pris des décisions courageuses, outrepassant peut-être son mandat, mais c'est en dépassant ses propres limites que l'Europe avancera. Bref, l'Union européenne a besoin, certes, d'une classe politique européenne mais surtout d'une politique qui ait de la classe.

Saluons les clarifications obtenues au sujet des travailleurs détachés, sans pour autant nous arrêter en si bon chemin. Pourquoi n'avons-nous pas étendu la responsabilité des donneurs d'ordre au secteur agro-alimentaire par exemple, comme le souhaite le Parlement européen ?

Rétablissons des régulations que des années de libéralisme dogmatique ont mises à mal. La création se nourrit d'elle-même... Réinventons les règles sans attendre un hypothétique retour de la croissance ! Il reste beaucoup de sacrifices absurdes.

Nous savons tous que la recherche est essentielle dans des sociétés fondées sur la démocratisation des savoirs et l'innovation. José Manuel Barroso fut à l'origine de la stratégie 2020 et de la création d'un institut européen de la technologie. Et voici que le gouvernement portugais décider de supprimer purement et simplement la Fondation pour la science et la technologie, l'équivalent de notre CNRS, mettant au chômage 90 % des chercheurs publics portugais ! Cela ne peut que choquer l'européen fédéraliste que je suis : il y a là un état d'esprit avec lequel nous devons rompre.

M. Jean Bizet .  - Chaque année, le semestre européen contribue à l'harmonisation de politiques économiques et à la surveillance budgétaire. Pour la première fois, la Commission européenne a publié ses avis sur les budgets nationaux, poussant à son terme la logique du semestre européen. Après un cheminement chaotique depuis 2008, on aperçoit le retour de la croissance. Tous les pays voient leur situation s'améliorer mais ce ne sera sans doute qu'après 2015 que l'effet des réformes structurelles sera sensible.

Bruxelles, en revanche, affiche son scepticisme sur l'avenir de notre pays. Ses prévisions de croissance sont les mêmes que celles du Gouvernement mais ses prévisions de déficit, de dette et de chômage sont moins flatteuses. Se profile ainsi le dérapage des finances publiques françaises, et d'une année 2015 très difficile.

Les réformes structurelles et la mise en place d'une architecture économique commune sont indispensables pour échapper à la pression des marchés. Votre politique économique, budgétaire et fiscale est de moins en moins lisible et prévisible. Malgré quelques succès, comme l'ANI...

M. Roland Courteau.  - Vous le reconnaissez !

M. Jean Bizet.  - Oui, mais les réformes annoncées sont rarement suivies d'effets.

Je m'étonne d'ailleurs que la « remise à plat » fiscale ne comporte aucun horizon européen. Elle pourrait d'ailleurs se perdre dans les limbes... L'avis de notre commission contient pourtant des pistes d'action : baisse de certaines dépenses sociales, réforme de l'assurance chômage, poursuite de la réforme des retraites, baisse du coût du travail...

L'écart entre la France et l'Allemagne s'accentue. Vous avez eu un temps la tentation de contourner par le sud notre grand partenaire : chimère ! La nouvelle composition du gouvernement allemand ne changera rien à la politique de nos voisins puisque le SPD a toujours validé les choix européens de Mme Merkel. J'attends des réponses claires. (Applaudissements au centre et à droite)