Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme pour lequel la procédure accélérée a été engagée.

Discussion générale

M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe La République en marche) J'étais vendredi dernier à Nice pour la commémoration de l'attentat du 14 juillet 2016. Chacun avait le coeur serré, car toute la ville a été touchée. Chacun à Nice a eu un proche, un ami, un collègue, tué ou gravement blessé. Ils étaient des milliers sur la Promenade des Anglais en ce 14 juillet. Il faut imaginer le sourire des enfants, la joie des parents, des familles, venues ensemble partager ce moment de joie. Et puis soudain... l'horreur absolue, des centaines de blessés, 86 personnes arrachées à la vie, à cause d'un individu fanatisé par la propagande terroriste.

Le bilan aurait pu être plus lourd si des civils et des membres des forces de l'ordre n'avaient pas intercepté le camion. Personne n'a oublié ce qu'il faisait ni où il était au moment de l'attentat, à Nice. Les 14 juillet n'auront jamais plus la même saveur.

Ce projet de loi doit nous permettre de sortir de l'état d'urgence, mais aussi de lutter contre cette horreur. Nous ne pouvons sortir de l'état d'urgence sans adapter notre dispositif de lutte contre le terrorisme. Le Sénat l'a déjà renforcé, comme le montre votre rapport, en adoptant huit textes qui ont accru les moyens de l'État.

Des mesures essentielles restent à prendre. C'est l'objet de ce texte. La menace terroriste reste prégnante. La victoire à Mossoul, l'action antidjihadiste à Raqqa ne suffisent hélas pas à écarter la menace. Ceux qui commettent des attentats au nom du djihad peuvent frapper partout. Manchester, Israël, au Sahel, aucun pays, aucune ville, aucune région n'est épargnée, la France non plus.

Les terroristes peuvent passer à l'action en des temps de plus en plus courts avec des instruments de plus en plus rudimentaires, se rendant de plus en plus difficiles à détecter. Cette menace exige que l'on agisse rapidement. Cette loi ne saurait attendre ; elle est urgente, cruciale, essentielle, car elle touche à la sécurité immédiate de nos compatriotes.

Notre constante volonté a été de concilier efficacité de la lutte antiterroriste et préservation des libertés individuelles.

L'article premier traite des périmètres de protection destinés à sécuriser les grands événements culturels et sportifs. Utilisée 71 fois depuis 2016, cette mesure a permis l'organisation de l'Euro et du Tour de France. Depuis décembre 2016, 193 zones ont été établies par les préfets : c'est ainsi qu'ont été sécurisés le festival de Cannes, les Francofolies à La Rochelle, le défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées.

Cette mesure garantit et rend possible l'exercice de nos libertés collectives, tout en respectant les libertés individuelles. Chaque individu pourra s'il le souhaite se soustraire aux fouilles et sera accompagné par des policiers hors du périmètre. Les règles d'accès seront adaptées aux nécessités de la vie privée, familiale et professionnelle.

La commission a souhaité que l'établissement de ces zones soit restreint aux événements exposés à un risque actuel et sérieux. Or nous considérons que le risque est toujours actuel et sérieux : par conséquent, nous ne pouvons partager cette position.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Alors cela ne pose pas de problème !

M. Gérard Collomb, ministre d'État.  - La décision d'exempter de fouille les riverains, telle que le propose la commission, ne nous a pas non plus convaincus. Cette année, pour la fête des lumières, à Lyon, tout individu aurait pu louer un logement à l'avance pour être exempté de fouille et commettre un attentat dans ce rassemblement de deux à trois millions de personnes sur trois jours. Imaginez-vous les conséquences ?

Je proposerai donc que nous nous en tenions à la version initiale du texte de l'article premier.

J'en viens à l'article 2, donnant aux préfets la possibilité d'ordonner la fermeture administrative de lieux de culte. Cette mesure répond là aussi à un enjeu immédiat. Cinq lieux de culte ont été fermés depuis l'instauration de la cinquième phase de l'état d'urgence, évitant que plusieurs dizaines d'individus suivent des prêches fanatisés.

Nous avons prévu un ciblage serré, avec un contrôle plus important que sous l'état d'urgence : la durée de fermeture n'excèdera pas six mois et pourra faire l'objet d'un référé suspensif devant le tribunal administratif. Je me réjouis que ces dispositions aient fait l'objet d'un vaste consensus en commission.

Sur les mesures de surveillance prévues à l'article 3, je veux vous rassurer : le ministre de l'intérieur sera en mesure de prononcer des mesures de surveillance individuelles, les plus efficaces, mais à titre exceptionnel. La surveillance sera subordonnée à des raisons sérieuses, comme une relation régulière avec des organisations terroristes ou adhérant à des thèses terroristes. C'est un texte très ciblé. De plus, ces mesures devront être compatibles avec la vie privée et professionnelle des personnes et autoriseront des déplacements dans un périmètre au moins équivalent, j'y insiste, à la commune. Il y en a de grandes, monsieur le rapporteur !

M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois.  - Sans compter celles qui vont grandir !

M. Gérard Collomb, ministre d'État.  - La personne ne sera pas astreinte à rester chez elle la nuit. La commission des lois a voulu lever l'obligation de pointer une fois par jour au commissariat. Nous ne pouvons l'accepter : trois jours sans signalement, c'est suffisant pour passer à l'acte. Je me refuse à prendre un tel risque.

Le Gouvernement souhaite également rétablir l'obligation de communiquer ses numéros d'abonnement et ses identifiants de communication électronique ; cela ne concerne pas les mots de passe, l'administration n'aura donc pas accès au contenu.

Mme Nathalie Goulet.  - Ben voyons !

M. Gérard Collomb, ministre d'État.  - Quel mécanisme pour la prorogation de la mesure de surveillance ? L'intervention du juge judiciaire n'est conforme ni au principe de séparation des pouvoirs ni à notre tradition juridique ; mais le Gouvernement, sensible à vos préoccupations, proposera un amendement tenant compte de l'impact de renouvellement des mesures de surveillance.

L'article 4 porte sur les visites domiciliaires et les saisies. Sous l'état d'urgence, les perquisitions à la discrétion de l'autorité administrative ont fait la preuve de leur efficacité en permettant la saisie de 600 armes, dont 78 de guerre. Il ne s'agissait pas que de l'effet de sidération lié à la nouveauté de l'état d'urgence : depuis le cinquième prolongement, deux préparations d'attentat ont été prévenues par les perquisitions, alors qu'une perquisition judiciaire aurait été impossible. Il serait peu responsable de se priver d'un tel outil.

En même temps, une visite au domicile et une possible rétention sont une atteinte aux libertés ; c'est pourquoi ce régime sera, là aussi, ciblé sur les individus dont le comportement représente une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre public et qui sont en relation régulière avec des organisations terroristes ou prônant des actes de terrorisme. Rappelons que dans le cadre de l'état d'urgence, un tel ciblage n'existait pas, toutes les personnes présentant une menace contre l'ordre public étant concernées.

Ce régime sera soumis à un double contrôle de l'autorité judiciaire : le procureur de la République de Paris sera informé de toute visite effectuée sur le territoire national et pourra judiciariser le renseignement et reprendre l'enquête à son compte ; le juge des libertés et de la détention près le TGI de Paris autorisera la visite et contrôlera l'exploitation du matériel saisi. Cela concourt à une meilleure coordination entre autorité administrative et judiciaire, cette dernière se trouvant confortée dans son rôle de gardienne des libertés individuelles au sens de l'article 66 de la Constitution. Je salue l'esprit constructif du rapporteur et du président de la commission des lois. (Mouvements à droite)

Notre obsession est de concilier protection contre le terrorisme et préservation absolue des libertés, socle de notre démocratie. Ne perdons pas de vue l'impact très concret de nos décisions : il en va, à travers les zones de protection, de la liberté pour les Français de se cultiver et de se divertir. La possibilité de fermer des lieux de culte vise à éviter la radicalisation, les mesures de surveillance individuelles, visites et saisies ont vocation à éviter de nouveaux attentats.

Certains estiment que le droit pénal suffit, mais nous sommes ici en amont ! En cas d'indices graves et concordants, les services se tournent immédiatement vers l'institution judiciaire (M. Michel Mercier, rapporteur, le confirme.)

Un mot sur la création d'un fichier de passagers du transport maritime et la transposition du PNR (passenger name record).

Si le Gouvernement souscrit aux améliorations juridiques apportées par la commission des lois, il est réservé quant au fait de figer dans la loi les modalités de consultation de ces fichiers.

Concernant la surveillance des communications hertziennes, le Gouvernement, tirant les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 21 octobre 2016, a voulu distinguer les techniques portant atteintes au secret des correspondances, contrôlées par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), et les interceptions de communications empruntant la voie hertzienne publique.

Enfin, l'article 10 renforce les possibilités de contrôle aux abords des points de passage frontaliers. Sans remettre en cause la libre circulation, il renforce nos marges de manoeuvre face à une menace terroriste durable. La commission des lois, invoquant la jurisprudence européenne, a voulu encadrer davantage les contrôles dans la durée et l'espace ; veillons à ce que les restrictions ne rendent ces mesures inopérantes, alors que la levée des contrôles aux frontières intérieures se profile.

Un grand ancien de cette Assemblée, Victor Hugo, écrivait que « tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité ». Avec ce projet de loi, nous augmentons les libertés par rapport à l'état d'urgence, mais nous assumons pleinement notre responsabilité.

Ce texte exige un grand sérieux, d'infinies précautions...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Pour qui parle-t-il ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État.  - C'est l'état d'esprit dans lequel j'aborde nos débats, et ne doute pas que c'est cet esprit qui régnera sur vos bancs. (Applaudissements sur les bancs des groupes La République en marche ainsi que sur plusieurs bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE et Union centriste)

M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Union centriste et Les Républicains)

Une voix à droite.  - C'est le gang des Lyonnais !

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Ce texte, vous avez raison de le dire, est fondamental : il fait entrer dans notre droit commun des mesures qui n'y ont jamais été. Vous mettez en place un droit qui, soyons clairs, n'est pas celui de l'état d'urgence, dont le champ d'application est beaucoup plus large. Disons-le donc clairement : non, ce texte ne fait pas entrer l'état d'urgence dans le droit commun. La création de périmètres de protection, la fermeture de lieux de culte, l'obligation de résider dans une commune, les visites domiciliaires, sont des mesures de police administrative qui viennent parfaire un droit du terrorisme à la fois pénal et administratif - construction à laquelle le Sénat a pris toute sa part. La force du terrorisme nous a obligés à dépasser les catégories juridiques traditionnelles.

Les Français veulent vivre en sécurité, mais ils veulent aussi vivre libres. Monsieur le ministre d'État, vous êtes dans votre rôle lorsque vous plaidez pour la sécurité ; le Sénat est dans le sien quand il insiste sur les libertés que garantit la Constitution. Engageons un dialogue franc, loyal pour créer un équilibre durable entre ces deux exigences.

Vous avez présenté avec talent les mesures nouvelles qui visent à prévenir le terrorisme ; permettez-moi de revenir sur l'économie de la pensée de la commission des lois.

Les périmètres de sécurité n'existent pas dans le droit commun. Nous sommes prêts à reconnaitre à l'autorité administrative le pouvoir de prendre cette mesure mais nous aurions souhaité une distinction plus nette entre les événements et les lieux qui peuvent faire l'objet de ce périmètre de sécurité. Pas de problème autour des quatre piliers de la Tour Eiffel pour demander à ceux qui rentrent chez eux, dans le périmètre de sécurité, d'ouvrir leurs sacs. Cela peut être différent pour la place Bellecour, où, grâce à une politique municipale active en matière de logement social, beaucoup de gens habitent. (Exclamations à droite) On peut leur demander d'ouvrir leur sac, mais pas les empêcher de rentrer chez eux !

M. Gérard Collomb, ministre d'État.  - Évidemment.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Nous vous aiderons à trouver un système adapté.

Quant à l'obligation de rester dans une commune - je ne parle pas d'assignation -, l'enjeu principal est, pour nous, le renouvellement. D'après le Conseil d'État, une prolongation dans le temps de l'assignation à résidence pourrait transformer une mesure restrictive de liberté en mesure privative de liberté. Le Conseil constitutionnel, lui, a considéré que si la prolongation de l'assignation à résidence n'est pas assimilable à une peine privative de liberté, c'est que nous sommes en état d'urgence. Par conséquent, en vertu de la règle de l'effet utile, la question se poserait à nouveau une fois sortis de l'état d'urgence.

Nous avons donc voulu faire intervenir le juge, mais lequel ? À l'article 2, vous chargez le juge administratif du prolongement et de l'exécution de la mesure, mais à l'article 4, c'est le juge judiciaire qui valide les visites domiciliaires... Nous vous proposerons finalement le juge administratif, avec la possibilité d'un référé suspensif.

Sur les identifiants électroniques, les dispositions que vous introduisez figurent déjà dans la loi Renseignement ; de plus, le Conseil constitutionnel est hostile à la communication obligatoire des identifiants.

Sur les contrôles aux frontières, nous trouverons sûrement un accord.

Le texte amendé par notre commission parvient à un équilibre entre la nécessaire protection des Français et la préservation de leurs libertés. La commission s'est livrée à un travail de responsabilité républicaine ; c'est ce même travail que j'invite le Sénat à mener. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union centriste ainsi que sur plusieurs bancs des groupes Les Républicains et socialiste et républicain)

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Merci.

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Le PNR est issu de la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013, qui prévoyait une expérimentation jusqu'à fin 2017. Depuis la directive européenne du 21 avril 2016, tous les États membres doivent s'en doter, ce qui permettra un partage des renseignements collectés.

Le système simplifié de PNR maritime proposé par le texte sera utile si la coopération entre États est efficace. Il s'agit pour le moment d'une initiative franco-française. Rappelons que la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ont également souhaité que les déplacements ferroviaires internationaux soient eux aussi enregistrés.

La grande majorité des interceptions réalisées sur les communications hertziennes seront désormais soumises au régime de droit commun, ce qui constitue un contrôle renforcé : talkies walkies numériques, communications entre téléphones d'intérieur, ou entre mobiles et ordinateurs ou montres connectées.

Restent les communications exclusivement hertziennes que n'importe qui peut capter, pourvu qu'on soit calé sur la bonne fréquence : c'est le cas des radioamateurs, des talkies walkies analogiques mais aussi des moyens radios utilisés par les militaires. Le texte confirme la légalité des interceptions mais les soumet à certaines règles, par exemple en matière de conservation des données. Il donne à la CNCTR mission de veiller aux champs d'application respectifs du régime de droit commun et du régime spécifique.

Dans l'ensemble, le texte du Gouvernement nous convient. Nous encouragerons le Gouvernement à compléter le système PNR. Sur les communications hertziennes, préservons le rôle et le contrôle de la CNCTR. La commission a donné un avis favorable aux mesures du projet de loi qui lui étaient soumises. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°13, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (n°630, 2016-2017).

Mme Éliane Assassi .  - J'ai une pensée émue pour les familles meurtries par les attentats qui nous ont frappés dernièrement.

Le 9 septembre 1986, la France se dotait de la première loi antiterroriste, qui créait notamment un corps spécialisé de magistrats. Depuis, les régimes procéduraux dérogatoires se sont multipliés, comme les nouvelles infractions. En deux ans, l'état d'urgence a été prorogé six fois, tandis que l'on votait en parallèle une loi relative au renseignement et une loi de lutte contre le terrorisme.

Nous nous sommes toujours opposés à cet arsenal aussi dangereux pour la démocratie qu'inefficace - l'attentat de Nice en témoigne. Ce projet de loi porte en lui le coup d'après, introduisant l'état d'urgence dans le droit commun, sans garanties valables.

Le chef de l'État a tranquillement annoncé que c'était la première et dernière loi antiterroriste de son quinquennat. Évidemment ! De nombreuses voix s'élèvent contre cette introduction de l'état d'urgence dans notre droit commun.

« Renoncer à l'état d'urgence est nécessaire, mais n'autorise certainement pas à en faire notre droit commun » écrit Mireille Delmas-Marty, soutenue par plus de 500 universitaires, chercheurs et juristes.

Devant le Congrès, le 3 juillet dernier, Emmanuel Macron affirmait : « Le Code pénal tel qu'il est, les pouvoirs des magistrats tels qu'ils sont peuvent (...) nous permettre d'anéantir nos adversaires. Donner en revanche à l'administration des pouvoirs illimités sur la vie des personnes, sans aucune discrimination, n'a aucun sens, ni en termes de principes, ni en termes d'efficacité. » Nous sommes d'accord ! Mais hélas, ce texte est à l'opposé de ses propos.

Tous les jours, les procureurs et juges antiterroristes dirigent des enquêtes contre des personnes qui préparent des attentats. Entre novembre 2015 et novembre 2016, seules vingt enquêtes sont imputables à l'état d'urgence, contre 170 procédures judiciaires ouvertes dans le cadre normal !

Dans son livre Révolution, M. Macron disait vouloir sortir de l'état d'urgence. Pourquoi alors un tel texte ? Pure démagogie ? Ce texte n'est pas pragmatique mais idéologique ; il est dangereux. Défoncer à 4 heures du matin la porte de jeunes déjà tangents, les assigner à résidence, cela les rend-ils moins dangereux ? On attise le feu avec de telles méthodes, dénonce Marc Trévidic.

Passons d'une logique de peur irrationnelle qui justifie une logique de guerre à une logique de paix.

Pour lutter contre le terrorisme, il faut amorcer une réflexion, d'abord sur le plan international, remonter aux origines géopolitiques, aux guerres destructrices menées par les puissances occidentales en Irak et en Afghanistan, au non-sens de l'intervention en Libye, dénoncer le jeu trouble des puissances régionales car le terrorisme se nourrit de la guerre du pétrole et du trafic d'armes.

Une large coalition internationale sous l'égide de l'ONU doit être mise en place, avec pour objectif, au-delà du combat contre Daech, de reconstruire ces régions, pour établir une paix durable et permettre le retour des réfugiés.

M. Hervé Marseille.  - C'est le Père Noël...

Mme Éliane Assassi.  - Refondons le vivre ensemble en bannissant le culte de l'argent, si cher au président Macron. Faire miroiter la fortune à ceux qui ne pourront l'atteindre nourrit le désespoir et les dérives.

La culture, l'éducation sont le fruit d'un échange, de liens, de partages. (M. François Bonhomme s'amuse.) Rémunérons mieux les acteurs sociaux, les éducateurs, les assistantes sociales, les conseillers en insertion et probation. Les missions de service public de l'État sont trop souvent dévoyées au service de la lutte contre le terrorisme. Les policiers subissent depuis 2002 cette politique du chiffre, alors que leur rôle est au plus près de la population, pour lutter contre la radicalisation.

Quelle sera la prochaine étape ? L'état de siège ? La guerre matérielle ?

M. François Bonhomme.  - Tout en nuance !

Mme Éliane Assassi.  - Nos ennemis obscurantistes attendent le recul de notre démocratie, le retour à la loi du plus fort. La France doit être fidèle à ses idéaux et refuser la fracturation de nos sociétés et toute dérive vers le despotisme, fût-il doux. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

M. François Bonhomme.  - Quel angélisme !

M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - La motion me semble inadaptée. La menace terroriste perdure à un haut niveau ; ce texte en tient compte et nous faisons confiance au Gouvernement pour en apprécier l'importance, grâce aux services de renseignement. Le projet de loi, tel que nous l'avons voté en commission, concilie protection des Français et libertés constitutionnelles. Avis défavorable à la motion. (M. Philippe Bas et Mme Françoise Gatel applaudissent.)

M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - La présidente Assassi s'est quelque peu éloignée du sujet... Le cadre juridique des mesures que nous proposons est beaucoup plus protecteur que l'état d'urgence. Elles visent uniquement le terrorisme, non le maintien de l'ordre public. Elles sont encadrées, les droits individuels sont garantis, le seuil de déclenchement est très élevé. Notre administration utilise de tels dispositifs avec de grandes précautions, y compris dans le cadre de l'état d'urgence.

Mme Éliane Assassi.  - Et la loi Travail ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État.  - Les attentats sur notre sol nous ont sidérés ; si nous avons pris à chaque fois de nouvelles mesures, c'est qu'à chaque fois nous étions précédés par les terroristes qui montaient d'un cran. Il fallait nous doter des moyens légaux de riposter. (Mme Éliane Assassi s'exclame.)

Nul ne dit que la société est parfaite ! Comme vous, nous voyons les 3,5 millions de chômeurs. Mais c'est un autre débat.

Je partage votre constat de la paupérisation, de la ghettoïsation des quartiers. C'est pourquoi dans mon agglomération, j'ai favorisé la mixité sociale. Nous comprenons les maux de notre société. La fracture sociale est largement spatiale ; le Gouvernement s'attelle à la résorber.

Mais je ne peux être d'accord avec vous sur les mesures que nous proposons ici. Nous allons chercher, avec la commission, un équilibre entre sécurité et libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe La République en marche ; M. Philippe Esnol applaudit également.)

M. Jacques Bigot .  - Ce texte nous inquiète par certains aspects, mais il contient des mesures utiles et nous souhaitons que le débat ait lieu. Notre groupe votera contre la question préalable.

La motion n°13 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. François-Noël Buffet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous avons créé les conditions d'une sortie de l'état d'urgence sans nous affaiblir : voilà ce que déclarait M. Urvoas en mars dernier. Pourquoi cette loi, alors que le candidat Macron considérait l'appareil législatif comme suffisant ? La seule raison serait-elle l'élection d'un nouveau président de la République ?

On a pu parler de pilule empoisonnée de l'état d'urgence ; mais ne nous trompons pas de cible. La pilule empoisonnée, c'est le terrorisme. La menace est permanente, elle est devenue endogène. Mais pas question pour nous de nous accoutumer à l'état d'urgence, même si l'extrémisme islamiste perdure.

Nous tenons à l'équilibre précieux de nos institutions. Il faut, disait Montesquieu, que le pouvoir arrête le pouvoir... Que le pouvoir législatif exerce ses compétences constitutionnelles et que l'autorité judiciaire, gardienne des libertés, joue son rôle protecteur, comme le rappelle François Pillet dans un récent ouvrage.

Protéger les libertés publiques, telle est la mission historique du Sénat. Merci au président et au rapporteur de la commission d'avoir imposé l'expérimentation des deux mesures les plus attentatoires aux libertés individuelles.

Le Gouvernement veut garantir la sécurité des Français ; nous aussi.

Au cours des deux dernières années, nous avons pris de nombreuses mesures, souvent à l'initiative du Sénat : élargissement des conditions de perquisition nocturne, possibilité de prescrire des mesures de déradicalisation dans le cadre du sursis avec mise à l'épreuve, création de deux nouveaux délits en matière de terrorisme - l'entrave au blocage des sites incitant à la commission d'actes de terrorisme et la consultation habituelle de tels sites -, période de sûreté incompressible de trente ans au lieu de vingt-deux pour les criminels condamnés pour terrorisme, régime procédural spécifique pour empêcher leur libération conditionnelle. Ces mesures sont efficaces judiciairement, de l'aveu même du président de la République à Versailles.

Nous ne souhaitons pas qu'un état d'urgence masqué et dégradé soit introduit dans le droit commun. Saluons Michel Mercier, qui a su détecter toute mesure attentatoire aux libertés fondamentales. Les Français demandent aux pouvoirs publics de garantir leur sécurité, pour pouvoir vivre en liberté.

Plusieurs dispositions du texte ne posent pas de problème à nos yeux, qu'il s'agisse du renforcement des contrôles aux frontières, de la surveillance des communications hertziennes, de la transposition de la directive PNR ou de la fermeture des lieux de culte à seule fin de prévenir des actes de terrorisme. La prévention du terrorisme fonctionne d'autant mieux si elle procède de la coopération entre la justice judiciaire et la police administrative, comme en témoigne le cas de Paris où la collaboration entre le préfet de police et le procureur de la République facilite la judiciarisation des dossiers. Il est fondamental d'associer le juge judiciaire, garant de la liberté individuelle.

Les avancées de la commission des lois nous satisfont, notamment en ce qui concerne les mesures de surveillance individuelle, qui ne pourront être prononcées que pour une durée limitée, ni renouvelées que sur l'autorisation du juge. De même, l'accord exprès du juge sera requis pour retenir, au cours d'une visite domiciliaire, la personne à l'encontre de qui elle a été décidée. Cette intervention du juge judiciaire rassurera les Français et témoigne de ce que nous sortons réellement de l'état d'urgence, purement administratif. Il n'est question pour nous ni de faire perdurer un régime d'exception, ni de marginaliser l'autorité judiciaire.

Ne l'oublions pas, il faudra faire encore plus d'efforts pour que chaque maillon de la chaîne sécuritaire et pénale puisse assumer nos décisions. Alain Marc et Philippe Dominati, nos rapporteurs budgétaires, le savent.

Le soupçon ne saurait justifier des mesures attentatoires aux libertés. Mais la lutte contre le terrorisme est un motif suffisant pour que nous nous battions, collectivement, pour la sécurité de nos concitoyens et la liberté de notre pays. (Applaudissements au centre et à droite ; Mme Corinne Bouchoux applaudit aussi.)

M. David Rachline .  - Pourquoi une telle logorrhée législative, avec huit textes antiterroristes en quatre ans ? Pour faire croire aux Français que le Gouvernement agit. Or les gouvernements successifs sont responsables des dérives communautaristes, d'avoir laissé ouvertes les portes de la maison France à l'immigration de masse, de l'intervention hasardeuse en Libye, de nos alliances avec des pays qui soutiennent les islamistes radicaux, du laxisme de notre politique pénale. (Protestations sur divers bancs)

Mme Catherine Troendlé.  - Oh ! Ce n'est pas vrai.

M. David Rachline.  - À défaut de mener le combat, vous nous faites voter des textes. Un contrôle strict de la frontière franco-belge aurait été plus efficace que des pages de plus au code pénal. Voilà deux ans que nous vivons sous le régime de l'état d'urgence, et bon nombre de mesures qu'il permet n'ont pas été prises, comme la fermeture immédiate de la centaine de mosquées radicales. D'autres mesures efficaces se font encore attendre, alors que vous n'êtes nullement limités par le droit existant : expulsion des fichés S, condamnation de l'intelligence avec l'ennemi, désarmement des banlieues, renforcement des moyens humains et techniques de nos forces de sécurité. À Fréjus, la police ne pourra plus faire appel à ses réservistes ! Pour vous, la sécurité des Français passe après le respect de la règle des 3 % imposée par l'Union européenne.

Il faudrait faire preuve de courage politique. La confiance se mérite : il ne suffit pas de dire : « Je suis le chef ». Nous attendons des actes ! Hélas, les délits commis à l'occasion du 14 juillet ont encore donné lieu à bien peu d'interpellations... Pourtant, l'histoire tragique de ces dernières années nous apprend que certains de ces délinquants sont les terroristes de demain ! (Protestations sur divers bancs)

Nous refusons ce texte pour trois raisons : le droit actuel permet déjà de lutter contre le terrorisme, si l'on en avait le courage ; l'état d'urgence, qui n'est pas supprimé, peut être rétabli en cas de menace imminente ; enfin nous sommes trop attachés à la liberté pour accepter de la voir grignotée. Faisons nôtre la devise de Tom Morel, héros des Glières : « Vivre libre ou mourir ».

M. Alain Richard .  - Au-delà des formules éloquentes, demandons-nous pourquoi nous sommes appelés à légiférer, et sur quoi au juste nous devrons nous prononcer. Pourquoi cette loi ? Parce que la menace terroriste va perdurer, en dépit de la diminution progressive des capacités opérationnelles de Daech au Proche-Orient. Si nous voulons donc mettre fin au régime d'exception de l'état d'urgence, alors il faut examiner quelles mesures de prévention doivent être instituées ou maintenues.

Soyons précis, factuels. Ce projet de loi comprend quatre mesures principales. D'abord les périmètres de sécurité. La semaine dernière, dans combien de communes avons-nous dû mettre en place des contrôles renforcés comportant la limitation d'accès à certaines zones et la fouille des sacs, sur un fondement juridique un peu fragile ? Qui peut prétendre que c'est une limite à la liberté ? C'est au contraire le moyen de concilier la liberté, la vie sociale, culturelle et festive d'un côté, la prévention du terrorisme de l'autre.

La fermeture des lieux de culte ensuite. Rappelons que la loi de 1905 prévoyait dès l'origine des sanctions pénales à l'encontre des atteintes à l'ordre public dans l'exercice du culte, et qu'en de telles circonstances le Conseil d'État autorise les sanctions administratives depuis l'arrêt Jamart de 1936. Le dispositif ici prévu a le double avantage de réduire les délais et de garantir les droits de la défense.

Deux mesures seulement limitent, de manière tempérée et organisée, les libertés individuelles : les visites domiciliaires avec saisie sur décision administrative, et les limitations individuelles de mouvement et de contact. Différentes par leur teneur de la perquisition administrative et de l'assignation à résidence, elles sont indispensables au recueil du renseignement, carburant de la lutte antiterroriste. Les visites et saisies sont nécessaires pour repérer des situations où des poursuites judiciaires sont impossibles, et pour prévenir le risque en temps utile. Ce sont certes des mesures intrusives, et c'est pourquoi le Gouvernement et la commission se sont mis d'accord pour les soumettre à l'accord d'un juge judiciaire, le juge des libertés et de la détention. Où est donc l'atteinte à la liberté individuelle ? Le juge vérifiera l'adéquation de la mesure à la nécessité de garantir la sécurité publique.

La limitation de mouvement et de contact, mesure nouvelle de police administrative restrictive de liberté, ne saurait être décidée par un juge, dans l'urgence. Le Gouvernement et la commission sont d'accord pour l'encadrer strictement. Personne ne conteste au fond la pertinence d'une telle mesure.

Je ne parle pas de l'imposition d'un cadre légal à l'interception des communications hertziennes, mesure qui, à la vérité, est d'inspiration libérale.

Ce projet de loi est conforme à l'État de droit, le Conseil constitutionnel aura certainement l'occasion de le vérifier. Le Sénat fait son travail. Le conflit qui nous oppose est, au fond, celui d'Antigone et de Créon. En menant notre travail de législateur, défendons comme Créon la cité menacée, sans tourner le dos à la philosophie des Lumières. (Applaudissements sur les bancs du groupe La République en marche et sur quelques bancs à droite)

M. Christian Favier .  - Cet énième projet de loi propose d'inscrire dans le droit commun les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence. En assistant au débat en commission, j'ai été étonné par les propos nuancés de nos collègues Les Républicains, d'ordinaire plus tranchés ou guerriers. M. Pillet nous a cité Benjamin Franklin : « Un peuple qui accepte de sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre et finit par perdre les deux. » Quelle lucidité ! J'ai été plus étonné encore d'entendre nos collègues socialistes s'alarmer des dangers de ce projet de loi et invoquer la Cour européenne des droits de l'homme. Oublient-ils que c'est le gouvernement Valls qui a fait la première entaille dans notre droit commun, avec la loi du 3 juin 2016 ?

La commission des lois se pose en défenseure des libertés publiques. Toutes les mises en garde du rapporteur sont légitimes. Mais il reste à de prétendues garanties, même si aucune dérive n'avait jamais été constatée. À l'article premier, la commission a restreint timidement l'usage des périmètres de sécurité. Mais on peut toujours redouter une application discriminatoire de ce dispositif, puisque les fouilles ne requièrent aucune base objective ; en outre, le recours à des agents de sécurité privée suscite chez nous la plus vive opposition. Enfin, il y a lieu de craindre que ces périmètres de sécurité ne servent, une fois de plus, à étouffer la contestation politique sur la voie publique.

L'article 3, malgré les atténuations apportées en commission, fait entrer l'assignation administrative à résidence dans le droit commun. Quant à l'article 4, sur les visites domiciliaires et saisies, l'autorisation du juge des libertés et de la détention n'est pas une véritable garantie : soumis à la pression, à l'urgence, peu nombreux, ces magistrats auront du mal à refuser leur autorisation. En outre, le texte ne prévoit pas quelles pièces seront versées au dossier ; l'autorité administrative devra se prononcer au vu des documents fournis par les services de renseignement.

La commission des lois a limité dans le temps l'application de ces deux derniers articles, par une clause d'autodestruction révélatrice du danger qu'ils représentent. Nous ne pouvons accepter que soient ainsi remises en cause les libertés publiques.

Ce qui est à l'oeuvre, c'est un glissement dangereux de l'autorité judiciaire vers l'autorité administrative, dotée de pouvoirs permanents. Nous sommes à l'aube d'un état d'urgence permanent, les quelques garanties apportées n'y changeront rien. Les autorités administrative et judiciaire pourront être compétentes en même temps, quand nous aurions besoin de clarification. Quoi qu'il en soit, la lutte contre le terrorisme passe par un travail de long terme, associant renseignement, police de proximité, police judiciaire et magistrats travaillant selon des règles procédurales claires et en référence à des incriminations pénales.

Les membres du groupe communiste républicain et citoyen, refusant la banalisation de l'état d'urgence, voteront unanimement contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Philippe Esnol .  - Le géographe américain Jared Diamond, dans Effondrement, montre que les sociétés ne se maintiennent que si elles prennent conscience des maux dont elles sont affectées, pour pouvoir y apporter des solutions. À l'inverse, les sociétés qui tardent à regarder la réalité en face accélèrent leur effondrement. Un an après l'attentat de Nice, ce texte montre que le Gouvernement a pris la mesure de la gravité de la situation du pays.

Nous avons besoin de réalisme et d'efficacité. Il faut sortir de l'état d'urgence, et lui rendre son caractère exceptionnel alors que les menaces terroristes sont devenues permanentes. Dans les Yvelines où a eu lieu l'attentat de Magnanville, l'état d'urgence a été conduit avec professionnalisme par les autorités. Depuis novembre 2015, les forces de l'ordre ont fait preuve d'un dévouement exceptionnel. Mais l'état d'urgence s'essouffle, son efficacité décroît et nos concitoyens, tout en réclamant une vigilance maximale, aspirent à tourner la page.

C'est pourquoi le Gouvernement nous propose de nouveaux outils administratifs permanents, tirés du bilan de l'état d'urgence. Certaines mesures ont montré leur efficacité, comme les perquisitions administratives. Vous en proposez de nouvelles, monsieur le ministre, comme la protection des lieux et événements soumis à une menace particulière ou la fermeture des lieux de culte, répondant ainsi à l'évolution concrète de la menace. Les drames du Bataclan et de Manchester ont révélé la vulnérabilité des lieux de manifestations culturelles. De même, la fermeture des lieux de culte sur décision du préfet complètera utilement la faculté dont il dispose déjà d'expulser les prédicateurs radicaux ou d'interdire des réunions. Elle responsabilisera les propriétaires des lieux.

Depuis l'habeas corpus, une architecture institutionnelle s'est édifiée pour assurer notre sécurité sans sacrifier nos libertés. Le RDSE, dans un esprit de co-construction, proposera des modifications au texte afin de garantir cet équilibre. Souvenons-nous cependant que la lutte contre le terrorisme nécessite de donner des moyens à la justice et surtout aux services de renseignement. Nous regrettons enfin qu'un texte aussi important ait fait l'objet de la procédure accélérée. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Philippe Bonnecarrère .  - Notre pays aura vécu presque deux ans sous le règne de l'état d'urgence. Huit lois auront été votées dans les quatre dernières années. Notre pays a pu compter sur l'engagement sans faille du Parlement qui, avec l'exécutif, l'a doté de l'arsenal le plus complet pour combattre le terrorisme tout en restant dans le cadre d'une démocratie protectrice des libertés publiques. Il reste à sortir de l'état d'urgence.

Les deux réécritures de ce projet de loi, par le Gouvernement après l'avis du Conseil d'État, puis par la commission des lois, ont rendu plus assimilables les mesures voulues par l'exécutif. « Le Sénat ampute les ambitions sécuritaires du Gouvernement », ai-je lu dans la presse. C'est excessif et inexact. Le travail mené par notre commission était nécessaire pour rendre le texte compatible avec la Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme. Il s'agit non pas de raboter le texte, mais d'assurer son application effective.

Le Sénat s'est aussi attaché à trouver les bons équilibres. Entre l'impératif de la lutte antiterroriste et la préservation des libertés, d'abord : je n'y reviens pas. Entre les pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif, ensuite, grâce au maintien du contrôle parlementaire. Entre les juges judiciaire et administratif, aussi. De texte en texte, nous avons assisté à une extension des mesures de la police administrative vers ce qui relève de la sanction et inversement le droit pénal a défini les infractions en les situant de plus en plus en amont, se rapprochant ainsi de la prévention -  c'est l'hybridation dont parle M. Mercier.

Enfin, le Sénat a recherché l'équilibre entre le droit commun et le droit d'exception. Intégrer des mesures de l'état d'urgence dans le droit commun ne peut se faire sans précautions. L'état d'urgence ne fonctionne pas comme une boîte à mails où l'on transférerait le message d'un compte à un autre... Quelle place doit-on d'ailleurs réserver à l'avenir à l'état d'urgence ? Comment apporter une réponse progressive et différenciée à une situation de crise en démocratie ? L'exercice est difficile.

Le Parlement est conscient de la guerre menée par les terroristes, qu'elle soit individuelle ou organisée, d'origine exogène ou endogène. Nous savons que la fermeté est nécessaire, dans la durée.

Le groupe de l'Union centriste est favorable à ce texte qui dote l'État de droit des moyens de se défendre contre une menace permanente, dans le respect des droits et libertés. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)

M. Jacques Bigot .  - Personne ne saurait nier la permanence du risque terroriste, le drame des victimes, l'angoisse de nos concitoyens. Mais cela ne justifie nullement l'ampleur des atteintes à notre système démocratique et judiciaire que vous proposez, monsieur le ministre. Cela d'autant moins que le terrorisme a changé. Charlie Hebdo, le Bataclan étaient des opérations organisées, tandis que les attentats de Nice ou plus récemment des Champs-Élysées étaient le fait d'individus isolés. La chute de Daech ne diminuera pas la menace, elle pourrait même la démultiplier. Pourtant, on ne peut pas rester en permanence dans l'état d'urgence. L'actuel président de la République le disait déjà en décembre 2016, et il ajoutait que notre arsenal juridique de droit commun suffisait.

Certaines mesures de ce projet de loi peuvent paraître nécessaires. Ainsi de l'article premier : nos concitoyens veulent que l'on puisse continuer à organiser des manifestations d'ampleur, tout en assurant leur sécurité, ce qui ressortit de la compétence normale de l'autorité administrative. Les Français le comprennent.

S'agissant de l'article 2, la fermeture des lieux de culte est fondée sur des motifs qui se situent à la limite de l'infraction pénale d'apologie du terrorisme. L'article est cependant utile, et le contrôle a priori du juge des référés administratif est intéressant.

Les possibilités d'interception des communications hertziennes ne nous posent pas de problème non plus.

Les mesures figurant aux articles 3 et 4 sont, en revanche, très attentatoires aux libertés et dénoncées comme telles par le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNDCH), des universitaires et des magistrats - pas forcément d'extrême gauche. Je souligne votre habileté, monsieur le rapporteur, à démontrer que vous avez souhaité adoucir les mesures, mais votre rédaction prouve que l'on aurait pu rester dans le champ judiciaire. S'il y a « des raisons sérieuses de penser » que le comportement d'une personne constitue une menace, n'est-ce pas qu'elle s'est rendue coupable d'une infraction, et pourrait donc faire l'objet de poursuites plutôt que d'être poursuivie ?

Dans l'état d'urgence, le Parlement avait un pouvoir de contrôle. Monsieur le rapporteur, vous proposez certes que ces mesures soient limitées dans le temps mais pendant quatre ans, le Gouvernement pourra faire ce qu'il veut. Quant au contrôle de la juridiction administrative, le juge administratif n'est certes pas plus liberticide que le juge judiciaire, mais son contrôle est a posteriori. Le juge judiciaire, lui, peut prendre toutes les mesures qui figurent aux articles 3 et 4, mais il le fait dans le cadre d'une instruction et dans le respect du contradictoire.

Nous proposerons donc la suppression de ces articles inutiles, sinon pour rassurer les Français. Il faudrait plutôt leur expliquer que nous sommes allés au bout de ce que nous pouvions faire dans la loi, et que la sécurité absolue n'existe pas. En revanche, nous serons toujours à vos côtés pour renforcer les moyens des forces de sécurité et de la justice.

Retirez les articles 3 et 4, et nous voterons la loi. Sinon, nous rappellerons ce que le président de la République lui-même a dit en novembre 2016. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - M. Buffet a explicité certaines positions de la commission, nous en reparlerons.

À M. Rachline, je me contenterai de répondre que le héros du plateau des Glières n'aurait sans doute pas aimé être cité ainsi. (Mme Éliane Assassi le confirme.)

M. Richard, dont l'esprit de finesse n'a d'égal que celui du rapporteur, a expliqué la subtilité des articles 3 et 4. L'équilibre est toujours difficile entre sécurité et libertés individuelles.

Monsieur Favier, vous êtes hostiles par principe à de telles mesures et n'avez voté aucune des lois antiterroristes récentes. En face, nos adversaires ne sont pas dans la même logique. L'étendue du danger est réelle, je le vois dans les notes que l'on porte à ma connaissance. (Mme Éliane Assassi proteste.)

M. Esnol l'a très bien dit, une société qui tarde à prendre conscience de la réalité est une société en péril.

Certains ont cité le président de la République. Il a toujours dit qu'il apprécierait la situation après son élection. Une fois en fonctions, lorsque l'on prend connaissance des notes des services, on prend conscience de l'ampleur du danger.

M. Bonnecarrère nous appelle pertinemment à trouver de justes équilibres, et à poursuivre ce travail d'hybridation cher à Michel Mercier, rapprochant autorité judiciaire et autorité administrative.

M. Bigot approuve l'article premier, il a raison : sans lui, le marché de Noël de Strasbourg ne pourrait pas se tenir. Je le laisse juge de l'évolution de sa pensée sur le reste des dispositions...

Nous tenterons donc d'atteindre un point d'équilibre.

La discussion générale est close.