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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Commission (Nomination)

Changement d'intitulé d'une mission d'information

Accord en CMP

« Tests PME » et création d'un dispositif « Impact Entreprises »

Explications de vote

M. Emmanuel Capus

Mme Dominique Vérien

M. Guillaume Gontard

M. Fabien Gay

M. Michel Masset

Mme Nadège Havet

M. Simon Uzenat

M. Olivier Rietmann

M. Christopher Szczurek

Scrutin public solennel

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique

Mises au point au sujet de votes

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois

Question préalable

M. Robert Wienie Xowie

Discussion générale (Suite)

M. Pierre Médevielle

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Mélanie Vogel

Mme Cécile Cukierman

M. André Guiol

M. Olivier Bitz

Mme Corinne Narassiguin

M. Georges Naturel

M. Patrick Kanner

M. Mathieu Darnaud

Commission (Nomination)

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Suite)

Discussion des articles

Avant l'article 1er

Article 1er

Mme Cécile Cukierman

Article 2

Modification de l'ordre du jour

Accord en CMP

Aide publique au développement (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement

M. Christian Cambon, rapporteur de la commission des affaires étrangères

M. Olivier Cadic

M. Akli Mellouli

Mme Michelle Gréaume

M. Raphaël Daubet

Mme Marie-Claude Lermytte

M. Rachid Temal

M. Jean-Luc Ruelle

Mme Nicole Duranton

Discussion des articles

Mise au point au sujet d'un vote

Saisie et confiscation des avoirs criminels (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois

M. Guy Benarroche

M. Ian Brossat

Mme Nathalie Delattre

Mme Patricia Schillinger

M. Jérôme Durain

Mme Catherine Di Folco

M. Louis Vogel

M. Paul Toussaint Parigi

Mme Karine Daniel

Ordre du jour du mercredi 27 mars 2024




SÉANCE

du mardi 26 mars 2024

76e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral, est adopté.

Commission (Nomination)

M. le président.  - Une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a été publiée. Elle sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

Changement d'intitulé d'une mission d'information

M. le président.  - Le Sénat est appelé à examiner, demain à 16 h 30, une demande d'attribution de pouvoirs de commission d'enquête à une mission d'information sur les modalités de constitution d'une société commerciale par la Ligue de football professionnel.

Par lettre en date du lundi 25 mars, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a fait savoir qu'elle souhaitait modifier l'intitulé de cette mission d'information, qui porterait désormais sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français.

Il en est ainsi décidé.

Accord en CMP

M. le président.  - La commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

« Tests PME » et création d'un dispositif « Impact Entreprises »

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprises ».

Explications de vote

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le bon fonctionnement de notre État de droit repose sur un principe simple : nul n'est censé ignorer la loi. Ce n'est pas une hypothèse, mais une affirmation, voire une injonction. Car si l'on était fondé à l'ignorer, on pourrait se prévaloir de cette méconnaissance pour l'enfreindre.

Seulement voilà : aujourd'hui, nul ne peut connaître la loi. Un des fondements de notre État de droit est ainsi devenu en partie inopérant.

De fait, la complexité de notre droit obère notre compétitivité et fait peser sur les dirigeants d'entreprise un risque juridique permanent. Olivier Rietmann, président de notre délégation aux entreprises, le résume bien dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi : comment un chef d'entreprise pourrait-il connaître les 11 176 articles du code du travail, les 7 008 articles du code de commerce et les 6 898 articles du code de l'environnement ?

Je remercie le président Rietmann pour l'initiative de ce texte, qui répond au problème essentiel de la complexité normative, source d'angoisse pour les dirigeants d'entreprise et frein pour notre économie.

Chaque norme nouvelle, nationale ou européenne, sera désormais évaluée à l'aune de ses effets sur les entreprises, singulièrement les PME. Cette nouvelle manière de produire la norme est bonne pour notre économie, bonne pour notre démocratie.

Certes, le Haut Conseil dont la création est prévue ne simplifiera pas notre droit du jour au lendemain, mais l'élaboration des normes sera plus en phase avec les réalités économiques. Si ce n'est pas la panacée, c'est une avancée. (Mme Elsa Schalck approuve.)

La proposition de loi sort du Sénat plus robuste et plus efficace. Je salue le travail de notre rapporteure Elsa Schalck, pragmatique et respectueux de l'esprit originel du texte. En particulier, le repositionnement du Haut Conseil auprès du Premier ministre assurera un portage politique plus fort ainsi qu'un travail transversal.

Nous avons débattu de l'opportunité de le doter de moyens propres. La rapporteure considère qu'il sera source d'économies : mais les économies sont toujours hypothétiques, quand les dépenses sont réelles et immédiates... La révision à la hausse par l'Insee du déficit pour 2023 me conforte dans ma position à ce sujet. Il faudra, en tout cas, placer le Haut Conseil sous le signe de la frugalité. Pour alléger la pression fiscale sans alourdir notre dette, nous devrons réduire les dépenses ; commençons par ne pas en créer de nouvelles !

Madame la ministre, j'ai cru comprendre que le Gouvernement était favorable à ce texte d'initiative sénatoriale. Je m'en réjouis, pour nos entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Olivier Rietmann et Christian Klinger applaudissent également.)

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Pas moins de 60 milliards d'euros : c'est le coût de la complexité administrative qui pèse sur nos entreprises. Chaque année, nous sacrifions ainsi 3 % de notre PIB à un excès de normes qui handicape nos entreprises, les détournant de leur objectif premier : la création de valeur. Imaginez qu'un chef d'entreprise est censé connaître plus de 20 000 articles de loi...

Au lieu d'accompagner et protéger, nos normes contraignent et pénalisent. Notre compétitivité s'en ressent fortement.

Nous sommes nombreux à partager ce constat. Le sujet revient régulièrement : les premières assises de la simplification datent de 2011 et l'exécutif annonçait déjà en 2013 un choc de simplification...

Les études d'impact qui accompagnent les projets de loi sont rédigées par l'administration, juge et partie. La sous-partie consacrée aux entreprises se résume le plus souvent à la mention : « aucun impact n'est attendu », comme pour le dernier projet de loi de finances ou encore le projet de loi sur l'immigration... (Mme Elsa Schalk le confirme.)

Nous, parlementaires, avons une responsabilité évidente. Il faut certes un changement de culture administrative, mais aussi une nouvelle façon de fabriquer la loi. Nous devons élaborer des normes nécessaires, simples et compréhensibles, coconstruites avec les entreprises et dont les effets sont évalués.

C'est l'objet de la présente proposition de loi, et je remercie Olivier Rietmann et Elsa Schalck pour leur travail. Les tests PME nous aideront à rattraper notre retard par rapport à l'Allemagne et aux Pays-Bas.

Le rôle du Haut Conseil à la simplification sera important ; espérons qu'il ne devienne pas un coûteux comité Théodule. Son rattachement au Premier ministre garantira un portage politique de haut niveau. Nous avons opportunément clarifié les procédures de consultation.

À l'évidence, ce texte va dans le bon sens. Il faut changer de paradigme, sans quoi nous débattrons à nouveau d'un texte sur la simplification dans quelques années... Commençons par appliquer la loi avec un peu de bon sens dans le traitement des dossiers par l'administration ! Nous voterons ce texte, en espérant qu'il donne l'impulsion nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, sur plusieurs travées du groupe INDEP et sur quelques travées du RDSE)

M. Olivier Cadic.  - Bravo !

M. Guillaume Gontard .  - Surcharge administrative, océan de paperasse, tsunami réglementaire : nous entendons régulièrement les chefs d'entreprise déplorer les lourdeurs auxquelles ils sont confrontés. Ayant moi-même été responsable d'une petite entreprise, je connais bien ces difficultés.

Cette surcharge nous coûte cher : les dépenses inutiles représentent 3 à 4 % du PIB. Elle pose aussi un problème d'équité, car les PME sont les plus touchées, n'ayant pas les mêmes ressources que les grandes entreprises.

Oui, il faut simplifier. Mais comment ? D'abord, l'inflation normative doit être nuancée : les codes épaississent, mais ils contiennent en partie des dispositions qui ne s'appliquent plus et des recommandations relevant de la soft law.

Les conditions dans lesquelles nous légiférons sont aussi en cause. Usage systématique de la procédure accélérée, recours croissant à des propositions de loi, dépourvues d'étude d'impact : nous sommes contraints de travailler dans des délais réduits et sans information complète. La qualité de la norme s'en ressent nécessairement. C'est pourquoi aussi nous devons souvent revenir sur des réformes à peine adoptées. Ne nous étonnons pas que les entreprises ne suivent pas...

La simplification ne doit pas servir de prétexte pour affaiblir les normes régulant l'appétit insatiable du capitalisme pour le profit. C'est en son nom qu'ont été conduites les deux lois Travail, qui suppriment des protections aux salariés, et que le Gouvernement a suspendu le plan Écophyto et attaqué l'Office français de la biodiversité (OFB). Simplifions, oui, mais pas à n'importe quel prix !

Si le texte vise un objectif louable, il apporte une mauvaise réponse à un vrai problème.

Le Haut Conseil dont la création est proposée disposerait d'un pouvoir politique considérable, jusqu'à obliger le Gouvernement à revoir sa copie. Il exercerait une tutelle de fait sur la fabrique de la loi.

Certes, il faut associer les entreprises à l'élaboration des normes, mais qui d'entre nous ne le fait pas déjà ? Et les entreprises ne disposent-elles pas de puissants lobbies ? Le rôle du pouvoir politique est d'arbitrer entre des intérêts divergents : ceux des entreprises, mais aussi des travailleurs et de l'environnement.

La composition de ce Haut Conseil nous interroge aussi. Pourquoi prévoir un siège pour les grandes entreprises ? Le Medef n'a-t-il pas déjà assez de pouvoir ? Et pourquoi ne pas associer des représentants du personnel ?

En outre, il ne nous paraît pas pertinent de confier à cette commission une mission de lanceur d'alerte en matière de surtransposition. Bien souvent, il y a lieu d'aller au-delà de ce que prévoit la norme européenne : soyons fiers d'avoir été précurseurs, par exemple, sur le devoir de vigilance des sociétés donneuses d'ordres ! Il faudrait plutôt se pencher sur la sous-transposition de certains textes...

Nous craignons que ce texte ne conduise à affaiblir davantage les droits des salariés et les protections environnementales, qui, pourtant, sont parfois utiles aux entreprises. Prenez l'interdiction des gaz chlorés par le protocole de Montréal pour protéger la coche d'ozone : on nous annonçait la fin de la chaîne du froid, mais les industriels se sont adaptés et Elf Atochem, leader mondial, a fini par applaudir à la réglementation. Idem avec la loi Agec : ce sont des normes et des interdictions qui nous ont fait avancer sur la limitation des emballages.

Même amélioré en commission, nous craignons que ce texte aboutisse à un détricotage des règles environnementales et salariales qui nous protègent. Travaillons à des simplifications pour nos entrepreneurs et nos administrations, mais pas de la sorte. Le GEST votera contre. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Fabien Gay .  - Je remercie chaleureusement le président Rietmann pour le dépôt de ce texte.

Une entreprise, ce sont un chef d'entreprise et du capital, mais aussi, on ne le dit pas assez, de l'intelligence humaine : celle des travailleurs et travailleuses qui la font vivre au quotidien.

Le nombre de défaillances d'entreprise bat des records : 57 729 l'année dernière, soit un bond de 38 %. C'est la conséquence de problèmes de financement dans un contexte d'inflation, notamment des matières premières et de l'énergie - à cet égard, nous réaffirmons qu'il faut réformer le marché européen de l'électricité et renationaliser les entreprises énergétiques.

La première difficulté des entreprises serait le trop de normes. Mais de quelles normes parle-t-on ? Et la création d'un Haut Conseil à la simplification permettra-t-elle d'y remédier ? Il faudrait, si une telle structure voit le jour, qu'elle tienne compte de la diversité des entreprises. Les plus petites sont, en effet, particulièrement concernées par le surplus administratif. Par ailleurs, les travailleurs et travailleuses devraient être représentés au sein d'une telle commission.

Il y a parfois trop d'administratif, mais cela ne veut pas dire trop de normes sociales et environnementales. Un quart des dirigeants de PME disent consacrer plus d'un tiers de leur temps aux démarches administratives, notamment parce que celles-ci ne sont pas regroupées. Il faut souvent envoyer les mêmes papiers à l'administration, à la banque, au commissaire aux comptes... Créons un guichet commun.

Les entreprises ont aussi besoin de stabilité et de visibilité. Guillaume Gontard a raison : nous relégiférons trop vite sur les mêmes sujets, sans évaluation des mesures votées. Or il faut parfois plusieurs années aux entreprises pour s'adapter à un dispositif.

Cette proposition de loi fait pendant à la loi Pacte II en préparation. À ce propos, madame la ministre, vous direz à Bruno Le Maire (M. Bruno Sido ironise) qu'il ne peut s'agir de porter de nouveaux coups au code du travail. La CPME propose de rehausser le seuil pour les obligations sociales, d'abolir les 35 heures, de faciliter les ruptures de contrat de travail, de réduire le délai de saisine des prud'hommes... Si c'est cela, ce sera sans nous !

Trois sujets doivent être mis sur la table. D'abord, la formation, notamment continue - à cet égard, vous êtes coupables d'avoir cassé les Afpa (agences nationales pour la formation professionnelle des adultes). Ensuite, les salaires, qui doivent être augmentés pour que les travailleurs et travailleuses vivent à nouveau dignement de leur travail. Enfin, l'accès au crédit, devenu trop cher pour les entreprises.

Si la loi Pacte II traite de ces sujets, ce sera avec nous. Sinon, nous la combattrons résolument ! Dans l'immédiat, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, sur plusieurs travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Ancien entrepreneur, je connais les difficultés liées aux nouvelles normes administratives qui désorganisent des structures humaines, parfois jusqu'à les compromettre. C'est pourquoi j'ai cosigné cette proposition de loi : elle répond à de vraies inquiétudes et permettra d'anticiper les effets de la législation.

Nous dénonçons souvent l'inflation normative - encore récemment, à propos du ZAN. Mais, si nous pouvons faire des efforts de simplification, nous n'échapperons pas à la création de normes nouvelles, notamment environnementales. Dans notre récent rapport sur les difficultés d'accès au foncier économique, Christian Klinger et moi-même insistions sur la nécessité de penser plus en amont certaines questions essentielles, comme la sobriété foncière.

Penser le risque juridique au plus tôt me semble un très bon objectif. C'est celui visé par cette proposition de loi à travers la création du Haut Conseil à la simplification, suivant une recommandation du rapport sur la sobriété normative. Ce Haut Conseil comportera des représentants des différents types d'entreprises, notamment de PME. Il sera consulté en amont de l'adoption des normes et jouera aussi un rôle d'évaluation.

La commission a introduit un article 1er bis précisant ses compétences : il sera consulté sur les projets de loi, de règlement et d'acte européen ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises ; il pourra aussi être consulté par les présidents des chambres sur des propositions de loi. Le test PME consistera à évaluer les effets des normes envisagées sur les entreprises.

Cette démarche couvrant à la fois l'amont et l'aval entérine un processus vertueux d'évaluation des normes et de coconstruction. En revanche, la mission confiée au Haut Conseil en matière de surtransposition nous pose problème : il ne saurait être question de revoir à la baisse nos engagements environnementaux et sociaux.

Nous pouvons nous rassembler pour voter ce texte utile, première pierre avant le projet de loi de simplification annoncé pour l'été. Le RDSE le votera à l'unanimité. (L'orateur insiste sur ce dernier terme, provoquant des marques d'amusement sur diverses travées ; applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) L'excès de normes et leur complexité nous coûtent 70 milliards d'euros par an, plus de 3 % de notre PIB. Ce sont des freins à la compétitivité de nos entreprises.

Le Président de la République a annoncé vouloir simplifier et réduire les délais. Les Français y sont largement favorables.

Dans cette perspective, Bruno Le Maire a annoncé deux mesures de simplification supplémentaires : à compter de 2027, les entreprises n'auront plus à transmettre de déclaration d'arrêts maladie ni d'attestation d'assurance chômage. Des dizaines de millions de documents par an seront ainsi supprimés. La sobriété administrative se conjugue parfois avec la sobriété environnementale...

Madame la ministre, vous avez aussi annoncé le lancement d'un test CSRD pour les PME.

Après les courbes du chômage et des émissions de CO2, inversons celle de la complexité !

Nos collègues Rietmann, Moga et Devinaz ont publié un rapport remarqué, dont cette proposition de loi est une traduction.

Les entrepreneurs finistériens qui participaient, la semaine dernière, à la journée des entreprises organisée par le Sénat ont exprimé des attentes fortes. La France se place au deuxième rang des pays où la bureaucratie est la plus complexe, avec des conséquences sociales : souffrance au travail, sentiment d'inutilité.

Simplifier, c'est compliqué - les majorités qui nous ont précédés en savent quelque chose. M. Rietmann propose de changer le logiciel de l'administration. Le RDPI soutient cette ambition.

Sa proposition de loi doit être regardée comme la première étape du chantier de simplification. Elle prévoit des tests PME, l'évaluation des normes par une autorité indépendante et le pilotage de la simplification par un Haut-commissaire.

Nous saluons le travail de la rapporteure. Commission administrative consultative rattachée au Premier ministre, le futur Haut Conseil sera consulté sur les projets de loi, de texte réglementaire et d'acte de l'Union européenne ayant une incidence sur les entreprises.

Nous devons simplifier sans déréguler : pour cela, appliquons déjà les normes existantes de façon homogène. Il faut aussi soigner la relation entre l'administration et les usagers, avec moins de documents et plus de proximité, moins de défiance et plus de confiance.

Le RDPI votera ce texte important et attendu. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Simon Uzenat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi rend obligatoires les tests PME et simplifie le cadre normatif applicable aux entreprises. Considérées isolément, les mesures proposées semblent parées de nombreuses vertus. Mais leurs objectifs et leurs conditions de mise en oeuvre ne sont pas suffisamment précis pour répondre aux attentes des entrepreneurs et des autres acteurs économiques.

Pour avoir, dans une vie antérieure, accompagné des chefs d'entreprise, je puis témoigner de leur engagement résolu en matière de responsabilité sociétale. Le travail mené au sein de la délégation aux entreprises par Brigitte Devésa, Lauriane Josende et moi-même l'a confirmé. Les entreprises doivent être des partenaires de l'action publique - nous travaillons dans cet esprit au niveau local -, sans préjudice des prérogatives du politique.

Pour faire référence à un sketch bien connu, je m'imaginais dans le Bouchonnois législatif, m'interrogeant sur la différence entre une bonne et une mauvaise norme... Certains considèrent peut-être toute norme comme mauvaise. Pour le groupe SER, il ne faut pas moins de droits, mais mieux de droits.

Nous avons besoin d'engager une véritable transition législative, avec les mêmes principes que la transition énergétique : sobriété, efficacité, soutien au renouvelable, c'est-à-dire évaluation.

Le Conseil national d'évaluation des normes a un bilan des plus mitigés. Quant au Conseil de la simplification pour les entreprises, vous avez fait le choix de ne pas le reconduire.

Il faut travailler a priori plutôt qu'a posteriori. Le groupe SER l'a maintes fois souligné, critiquant notamment l'insuffisance des études d'impact. Le Sénat a adopté à l'unanimité une proposition de loi organique à ce sujet en 2018, hélas restée sans suite...

Il faut prendre le temps nécessaire pour simplifier. Les procédures accélérées, les CMP en catimini posent problème à cet égard et nuisent à la qualité de la loi.

Donnons-nous le temps d'associer les entreprises en amont, par exemple, s'agissant de la commande publique, en matière de sourcing, pour faire mieux correspondre les normes et les réalités de terrain.

Il faut aussi mieux associer les corps intermédiaires et permettre une application des normes différenciée dans le temps.

Veillons à prendre en compte les réalités sectorielles. Dans le bâtiment, la restauration ou la métallurgie, les situations diffèrent fortement. Nous regrettons l'absence de représentants du personnel au sein du Haut Conseil.

Enfin, il faut prendre en considération la diversité des réalités territoriales.

Beaucoup d'interrogations demeurent sur le contenu même des futurs tests PME. Quant aux moyens du Haut Conseil, ils nous paraissent pour l'heure nettement insuffisants.

Cette proposition de loi marque une avancée, mais ne suffira pas à établir la politique publique pleine et entière dont nous avons besoin pour accélérer une transition dont dépend la compétitivité future de nos entreprises. Le groupe SER s'abstiendra donc. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Olivier Rietmann .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Loïc Hervé et Vincent Louault applaudissent également.) Nos débats de la semaine dernière ont mis en lumière une large convergence d'analyse entre la délégation sénatoriale aux entreprises et le Gouvernement. Cette concorde tient au travail sérieux et efficace de la commission des lois, pour lequel je remercie le président Buffet et la rapporteure Schalck. Je remercie également les présidents Larcher et Retailleau, qui ont permis l'inscription de ce texte à l'ordre du jour. (M. Vincent Éblé ironise.)

Ce texte est le fruit d'un rapport d'information adopté à l'unanimité par la délégation aux entreprises. Le constat en est simple : notre pays souffre d'une accumulation démesurée de normes. Mme Grégoire le partage, et, sans vous faire offense, madame la ministre, je regrette son absence cet après-midi, car je souhaitais la remercier pour son esprit collaboratif. (Marques d'ironie à gauche) Nous espérons qu'elle accompagnera ce texte vers une adoption rapide à l'Assemblée nationale.

D'aucuns diront que les dispositions de cette proposition de loi trouveront leur place dans le projet de loi récemment annoncé par le Gouvernement. Mais nous n'avons plus de temps à perdre.

Il faut couper le robinet des normes dès maintenant. Dès maintenant, les études d'impact doivent être solides. Trop d'entre elles sont indigentes, voire muettes : l'article 23 de la loi relative à l'immigration et l'intégration fait peser sur les entreprises le financement de cours pour les salariés ne maîtrisant pas suffisamment le français, pour un coût estimé entre 24 000 et 33 000 euros par salarié, sans que l'étude d'impact en fasse même mention ! (M. André Reichardt s'en scandalise.)

Le réarmement de nos entreprises passe par le test PME obligatoire que nous proposons. Votons ce texte pour les soutenir dans la guerre économique ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur certaines travées des groupes UC et INDEP)

M. Christopher Szczurek .  - L'inflation législative complexifie la décision, alourdit les coûts et laisse le citoyen perdu dans le brouillard du droit.

Nous sommes tous soucieux de la compétitivité de nos entreprises, mais cette proposition de loi ne paraît pas de nature à résoudre un mal français persistant.

Dès 1991, le Conseil d'État s'est inquiété d'une loi qui tend à la logorrhée, de plus en plus incompréhensible pour nos compatriotes et pour le législateur lui-même. Mais, depuis 2002, le volume du droit français a augmenté de près de 100 %... Et ce gouvernement, supposé être celui de l'expertise et du sérieux, a battu tous les records d'inflation législative !

Les conséquences sont désastreuses pour nos entreprises, avec des dizaines de milliards d'euros perdus chaque année. Notre place dans le classement mondial de performance du secteur public est alarmante. Les entreprises peinent à nager dans notre océan bureaucratique, et les PME sont les plus en difficulté. Hélas, le Gouvernement comme le législateur peinent à mettre leurs actes en accord avec leurs discours.

La création d'un Haut Conseil n'est ni nécessaire ni pertinente. À quoi bon un énième comité Théodule, alors qu'existent déjà le Conseil national d'évaluation des normes et de nombreuses instructions réglementaires ?

Nous avons plutôt besoin d'une gouvernance raisonnée et coopérative des ministères de la justice et de l'économie et des acteurs économiques. Cette proposition de loi n'allégera pas le fardeau normatif pesant sur nos entreprises, aussi les sénateurs du RN s'abstiendront. (MM. Joshua Hochart et Aymeric Durox applaudissent.)

Scrutin public solennel

M. le président.  - Il va être procédé, dans les conditions prévues par l'article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l'ensemble de la proposition de loi.

Voici le résultat du scrutin n°161 :

Nombre de votants 334
Nombre de suffrages exprimés 265
Pour l'adoption 232
Contre. 33

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements à droite et au centre)

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique .  - Je vous prie d'excuser l'absence d'Olivia Grégoire, retenue à Toulouse.

Voilà bien longtemps que la pression normative est en débat. Une simplification s'impose : Allemands, Néerlandais, Suisses ou Britanniques nous ont devancés, et les résultats sont au rendez-vous. Nous nous réjouissons donc de vos travaux, et je salue M. Rietmann et Mme Schalck. (On s'en félicite à droite.)

Désormais, nous mènerons des concertations avec nos entreprises sur les normes qui leur seront appliquées. Nous nous assurons ainsi de l'acceptabilité de la loi.

Je remercie tous ceux qui ont travaillé de manière constructive à ce texte ; nous légiférons au service de ceux qui, tous les jours, créent de la valeur dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

La séance est suspendue quelques instants.

Mises au point au sujet de votes

M. Dominique Théophile.  - Lors du scrutin public n°160, Olivier Bitz souhaitait voter pour.

M. Bernard Delcros.  - Lors du scrutin public n°159, je souhaitais voter contre.

M. Claude Kern.  - Lors du scrutin public n°159, Christine Herzog souhaitait voter contre, et lors du scrutin public n°160, elle souhaitait voter pour.

M. Philippe Bonnecarrère.  - Lors du scrutin public n°160, Alain Duffourg souhaitait s'abstenir.

Mme Lauriane Josende.  - Lors des scrutins publics nos159 et 160, Jean-Baptiste Blanc et Christian Bruyen souhaitaient voter pour.

Acte en est donné.

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur les travées du groupe INDEP) Nous examinons aujourd'hui le projet de loi constitutionnelle sur les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, une semaine après le vote du projet de loi organique les reportant d'ici au 15 décembre 2024 - et non le 15 décembre 2024 ; ce texte adopté par 307 voix, dont celles du groupe socialiste, qui, aujourd'hui, souhaite reporter les élections à 2025.

Sur place, il n'y a pas eu d'opposition au report, bien que la majorité du Congrès soit indépendantiste. Les indépendantistes, même ceux n'ayant pas formellement voté le report, sont favorables au décalage des élections, j'y reviendrai.

Quel que soit le choix des Calédoniens, qu'ils soient favorables à l'indépendance, à l'abstention ou à l'attachement à la France, tous estiment que le report est une décision de bon sens.

Je vous remercie d'avoir voté la loi organique.

Nous voici à la deuxième étape, la modification constitutionnelle. Depuis les accords de Nouméa, les listes des élections provinciales relèvent de la Constitution.

Je rends hommage aux auteurs des accords de Matignon et de Nouméa. C'est un modèle institutionnel qui sert le projet de paix et de développement de la Nouvelle-Calédonie, le libre choix des peuples, notamment d'outre-mer, à disposer d'eux-mêmes ; par trois fois, les Calédoniens ont choisi la France.

Ces accords poursuivent un objectif simple : donner les moyens aux Calédoniens de choisir leur avenir. Depuis trente ans, nous avons écouté les Calédoniens, qui veulent rester dans la République française.

Les règles électorales sont strictes : tous les habitants, pourtant nés en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens, ne peuvent pas voter aux élections locales. La liste référendaire est plus large que la liste provinciale ; c'est paradoxal !

Bien sûr, ces règles originales ne s'opposent pas au respect des identités des uns et des autres. La citoyenneté calédonienne s'ajoute à la citoyenneté française, selon la Constitution. Le gouvernement de ce territoire est le plus autonome de la République.

Les indépendantistes dirigent quatre des cinq institutions de la Nouvelle-Calédonie.

Aujourd'hui, participons collectivement à ouvrir une nouvelle page de l'histoire calédonienne, celle de la stabilité.

Tous les acteurs locaux doivent savoir dans quel cadre ils vivront dans les prochaines années. Avoir toujours une épée de Damoclès sur la tête, savoir si l'on va se prononcer dans un an ou deux ou non sur une éventuelle indépendance, voilà qui ne contribue ni à la paix ni au développement économique du territoire.

À la demande du Président de la République, nous nous inscrivons avec le garde des sceaux dans le temps long, le temps humble de la réforme constitutionnelle, qui aborde un sujet primordial, symboliquement et démocratiquement : le corps électoral.

Les accords précédents ont introduit la notion de citoyenneté calédonienne. L'île, qui compte moins de 300 000 habitants, compte trois listes électorales : l'une pour élire le Président de la République, les maires et les députés ; une deuxième pour les élections provinciales ; la troisième pour un éventuel référendum d'autodétermination.

Les deuxième et troisième listes sont restreintes en fonction de la durée de résidence sur le territoire. L'histoire calédonienne fait que ceux qui sont de passage sur l'île ne sont pas pleinement associés à son avenir. C'est discutable - les habitants paient des impôts et ont la citoyenneté française... Dans leur sagesse, les partis politiques ont souhaité inscrire ce droit électoral exorbitant dans la Constitution. C'est la ligne de l'ensemble des Calédoniens et celle du Gouvernement. Oui, il doit y avoir des listes et des corps électoraux différents de tout le reste du territoire national.

Les élections provinciales permettent d'élire les représentants des assemblées des trois provinces et donc du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Jusqu'à présent, le constituant a prévu que trois cinquièmes du Congrès pouvaient déclencher un référendum d'autodétermination. Voter aux provinciales, c'est voter pour ses représentants locaux, c'est choisir la majorité au Congrès et c'est déclencher le référendum d'autodétermination - si nous aboutissons à un accord avec toutes les parties, ce que je souhaite.

L'enjeu électoral se conjugue aussi à un enjeu de représentation - le scrutin est proportionnel.

Depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules les personnes inscrites sur les listes électorales au moment de l'accord de Nouméa de 1998 ont le droit de voter aux élections provinciales.

Certains Calédoniens naissent en Nouvelle-Calédonie, de parents calédoniens, et ne peuvent voter pour leurs élus locaux.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - C'est un problème.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Vous ne pouvez pas non plus voter pour votre représentant à la province.

L'élargissement du corps électoral est donc une obligation morale pour ces Calédoniens nés en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens.

Contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là dans la presse, nous ne proposons que le dégel du corps électoral, sous certaines conditions, pour les élections locales.

Le corps référendaire est plus large : il est plus facile de voter lors d'un référendum d'autodétermination que lors des élections locales.

Le nombre d'électeurs exclus du vote était de 8 338 en 1999, soit 7,5 % du corps électoral ; il s'élevait à 42 596 en 2023, soit un électeur sur cinq. Peut-on raisonnablement tenir des élections locales dans la quand avec un électeur sur cinq est privé du droit de vote ?

Devant le Parlement réuni en Congrès, Dominique de Villepin, alors ministre de l'intérieur, indiquait que le gel ne valait que pour les élections provinciales de 2009 et de 2014. Pour accepter cette dérogation fondamentale aux principes constitutionnels d'égalité devant le suffrage, le constituant s'était appuyé sur son caractère transitoire.

Actuellement, le processus est clos. De quel droit exclurions-nous une partie de la communauté calédonienne de ses propres droits ? D'ailleurs, nous risquerions d'exclure des Kanaks et des non-Kanaks - je ne fais la distinction qu'à l'occasion de nos débats, car il n'y a que des Français pour le Gouvernement.

Un gel du corps électoral n'est pas acceptable au regard de nos valeurs, de notre bloc de constitutionnalité et du respect de nos engagements internationaux.

Il ne s'agit pas seulement d'une préoccupation d'ordre juridique. L'enjeu pour le Gouvernement est de tenir sa parole et de respecter l'esprit du Congrès de Versailles.

Au bout de trois ans de débats - trois ans ! -, la majorité des Calédoniens doit choisir ses responsables locaux, alors que ce territoire connaît d'importantes difficultés économiques, notamment dans le secteur du nickel, qui représente la moitié des emplois locaux.

Le Conseil d'État a lui-même émis de sérieux doutes sur la compatibilité du corps électoral avec nos engagements internationaux.

Le Gouvernement s'est engagé à réduire cette distorsion. La France est une démocratie. Le Président de la République et le Gouvernement ont toujours affiché leur volonté d'élargir le corps électoral par la voie parlementaire, si aucun accord local n'était trouvé avant fin 2023. Ce projet de loi n'est donc pas une surprise. Je tiens à votre disposition tous les documents étayant ces faits, y compris ceux signés par des indépendantistes.

Nous voulons un cadre stabilisé et équilibré. Là où les indépendantistes sont opposés au dégel du corps électoral, les non-indépendantistes voulaient des durées de domiciliation entre un et trois ans. Après avoir consulté - je me suis rendu sept fois en Nouvelle-Calédonie -, j'ai proposé de retenir une période de dix ans. Je ne me suis aligné sur aucune des demandes des non-indépendantistes. Dix ans : telle était la proposition de Lionel Jospin avant que le président Chirac décide d'un gel total...

Il s'agissait de la durée évoquée dans les premiers accords entre indépendantistes et non-indépendantistes et de la première interprétation du Conseil constitutionnel. Et c'est l'objet de ce projet de loi. Le Gouvernement propose à la représentation nationale de modifier la Constitution, d'ajouter les natifs, Kanaks ou non, en retenant une demande d'ailleurs formulée par le FLNKS.

Ce corps électoral accueillera 25 000 nouveaux électeurs. Dix ans d'attente, c'est déjà extraordinaire pour choisir un élu local ! Aucun État démocratique n'interdit durant dix ans à ses citoyens de voter aux élections locales, alors qu'ils sont engagés, paient des impôts, ont des enfants... La France est le seul territoire démocratique à décider d'un tel gel.

Il ne s'agit donc pas d'imposer l'option d'un camp contre un autre, mais de proposer un compromis équilibré, respectueux de la démocratie, conforme à ce qui avait été proposé par Lionel Jospin lors de l'accord de Nouméa. On peut être opposé à cette proposition, on peut aussi refuser le droit de vote : ce n'est pas, alors, le projet d'un pays démocratique !

J'ai entendu les mots d'accélération et de marche forcée... Mais il y a eu trois référendums. La Nouvelle-Calédonie a choisi de rester dans la France. Nous aurions pu décider de dégeler pour toutes les listes électorales, indiquant que la Nouvelle-Calédonie valait bien la Polynésie française ou le nord de la France. Ce n'est pas ce que propose le Gouvernement.

Je réponds par avance aux arguments de Philippe Bas, dont je salue le travail. Non, nous ne sommes pas dans une phase d'indécision. Nous devons donner aux Calédoniens du temps long : il faut connaître les règles du jeu démocratique à long terme et ne pas convoquer le Parlement tous les six ans pour modifier le corps électoral. Les Calédoniens, notamment les jeunes, demandent ce temps long. Les partenaires économiques internationaux, les investisseurs ont besoin de ce temps long. Le Parlement le doit aux Calédoniens, qui ont trop attendu.

Oui, il y a un besoin de stabilité. Mais il ne s'agit pas ici d'imposer quoi que ce soit : le Gouvernement est attaché à l'autodétermination et à un accord global sur les institutions de la Nouvelle-Calédonie. Ne nous trompons pas de débat : le Gouvernement n'impose rien. Il souhaite juste que les Calédoniens puissent voter aux élections locales.

Souvenez-vous de ce qu'est la démocratie : la loi du plus grand nombre. Lors d'un vote, ceux qui sont plus nombreux ont raison. Cela paraît une tautologie pour nous, ce n'est pas le cas en Nouvelle-Calédonie.

Choisir tel candidat, être citoyen, c'est cela la démocratie. Cela suppose une liste électorale et de tenir les élections à l'heure.

Cela suppose aussi de respecter la décision de la majorité... Il ne faut pas de sentiment d'injustice, sinon les tensions augmentent et surviennent alors le désespoir et la violence.

Autre sujet : la répartition des sièges entre provinces au sein du Congrès fait débat. La démarche des non-indépendantistes est logique. Les règles constitutionnelles veulent que le nombre d'élus soit proportionnel au nombre d'électeurs. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé à plusieurs reprises sur ce point.

L'équilibre au sein des institutions de Nouvelle-Calédonie permet leur fonctionnement. Un jour, il faudra réviser la proportion des sièges par province. Mais il ne faut pas le faire par le biais d'amendements ne tenant pas compte de l'avis des acteurs calédoniens ; je m'y opposerai. Oui à des élections avec un corps électoral élargi, non à un accord politique qui changerait l'équilibre des forces.

Ce projet de loi ne préjuge en rien de la signature d'un accord, que nous demandons et espérons.

Une révision constitutionnelle est prévue par le Président de la République le 1er juillet. Si un accord se dessinait d'ici là entre les parties, le Gouvernement est prêt à reporter le débat institutionnel définitif pour le transposer.

Mais c'est bien parce que nous avons déposé des textes de loi au Conseil d'État que les formations politiques se réunissent et que les élus locaux prennent position.

Le Gouvernement ne forcera pas la main des parties, et prendra le temps qu'il faut pour aboutir à un accord, mais il faudra bien tenir un jour des élections en Nouvelle-Calédonie. Le projet de loi a été rédigé pour permettre au processus d'aboutir jusqu'à la dernière minute. Provoquer un nouveau report du scrutin -  au plus tard en novembre 2025  - est possible si et seulement si un accord sérieux survient entre les parties.

Notre dessein collectif est bien de parvenir à un accord global en Nouvelle-Calédonie, entre tous les Calédoniens, indépendantistes ou non, sans qu'aucun soit humilié.

Je suis allé sept fois sur place, le Président de la République une fois, le garde des sceaux une fois, les ministres des outre-mer de nombreuses fois. D'innombrables réunions ont été organisées. Des textes ont été écrits, réécrits, sur la citoyenneté calédonienne, ou les discussions économiques, qui sont dans tous les esprits.

Le Gouvernement souhaite aborder tous les sujets dans un accord global, inscrit dans la continuité de celui de Nouméa, qui comprendrait un élargissement des listes électorales provinciales ainsi que des dispositions relatives à la citoyenneté calédonienne.

Cinq institutions régissent ce territoire de 270 000 habitants, de quelques centaines de km2, qui souffre du réchauffement climatique et de difficultés économiques, notamment dans le secteur du nickel. La compétition internationale dans le Pacifique est féroce. Nous ne pouvons laisser la Nouvelle-Calédonie dans cette situation. Nous devons lui donner toutes ses chances.

L'enjeu du nouvel accord sera aussi l'occasion de s'interroger sur le lien entre la Nouvelle-Calédonie et la France. La France est prête à imaginer des modèles institutionnels originaux. Ainsi, le pouvoir diplomatique pourrait être partagé (M. Éric Dupond-Moretti renchérit.) ; ces propositions fortes n'ont jamais été présentées par aucun gouvernement, y compris ceux qui ont évoqué l'autodétermination.

La République ne saurait refuser à la Nouvelle-Calédonie le droit de se prononcer sur son avenir, mais les scrutins ne doivent pas se tenir trop souvent, pour éviter tout risque d'instabilité. Les Calédoniens le disent : l'incertitude bloque l'essor de leur territoire. Il faut garantir la santé, faire rentrer les impôts, faire revenir les jeunes Calédoniens, ouvrir des perspectives de progrès social, et, si nécessaire, aller vers une autonomie renforcée.

Près de trois ans après la dernière consultation, nous proposons d'avancer. Le Gouvernement est prêt, et tend la main aux Calédoniens.

Plus on est proche de l'impasse, plus vite on trouve une solution. C'est le voeu que je formule pour ce magnifique territoire. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; MM. Vincent Louault et Alain Cazabonne applaudissent également.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Lors de notre déplacement en Nouvelle-Calédonie, j'ai inauguré le centre de détention de Koné et annoncé la construction tant attendue de la nouvelle prison de Nouméa, moyennant un engagement d'un demi-milliard d'euros.

De nombreuses cultures cohabitent dans ce territoire attachant où le poids de l'histoire récente est très important. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a pris acte de cette histoire unique, en distinguant l'archipel des autres collectivités d'outre-mer.

La citoyenneté calédonienne est une innovation majeure, porteuse d'une forte charge symbolique. À cela s'ajoute l'existence d'un corps électoral spécifique pour les élections provinciales et le Congrès.

La persistance d'un corps électoral restreint contrevient cependant au principe d'égalité du suffrage. Nous avons rencontré beaucoup de Français qui nous ont fait part de leur incompréhension et de leur frustration face à cette situation.

Aux termes de l'article 1er de la Constitution, la République assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion. Selon son article 3, sont électeurs tous les nationaux français majeurs des deux sexes jouissant de leurs droits civils et politiques. L'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame solennellement que la loi est l'expression de la volonté générale et que tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formulation.

Le gel du corps électoral contrevient également aux obligations internationales de la France, dont l'article 3 du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne des droits de l'homme qui affirme la nécessité d'organiser à intervalles raisonnables des élections libres, dans des conditions assurant la libre expression de l'opinion du peuple.

Dans un arrêt de janvier 2005, Py contre France, la Cour européenne des droits de l'homme avait jugé que l'exigence de dix années de résidence en Nouvelle-Calédonie pouvait paraître disproportionnée, sans remettre en cause la constitutionnalité du dispositif transitoire. Cette décision aura vingt ans dans quelques mois. Or la situation démographique a largement évolué ; la Cour pourrait être saisie par une personne résidant depuis vingt ans en Nouvelle-Calédonie, privée de droit de vote aux élections locales.

Si un corps électoral spécifique reste justifié, la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France est plus qu'incertaine, alors que le processus défini par les accords de Nouméa est achevé. Les référendums de 2018, de 2020 et de 2021 ont tous conclu au refus de l'accession à la pleine souveraineté.

Plus de 40 000 de nos concitoyens pouvant voter aux élections nationales sont privés de droit de vote pour les élections provinciales et du Congrès. Parmi elles, 12 000 personnes nées et ayant fait leur vie en Nouvelle-Calédonie, et 12 000 autres qui y vivent depuis dix ans. Ce n'est plus tolérable en 2024.

La priorité du Gouvernement reste néanmoins de trouver un accord. Ainsi, de manière inédite, l'entrée en vigueur d'un projet de loi constitutionnelle est subordonnée à l'absence de conclusion d'un accord entre les partenaires politiques. Le Gouvernement a confié au Conseil constitutionnel le soin de constater l'existence d'un accord.

Le pouvoir réglementaire déterminera les modalités de mise en oeuvre de la révision constitutionnelle. Ce renvoi inhabituel n'est en rien une défiance, bien au contraire. L'intervention du pouvoir réglementaire se justifie par l'urgence. Le Gouvernement s'est en effet engagé à ne pas reporter les élections au-delà de 2024, par respect de la démocratie. Il a fixé les matières dans lesquelles ce décret est susceptible d'intervenir, telles que la composition du corps électoral ou les dispositions relatives aux conditions d'inscription.

Peut-on reporter les élections jusqu'au 30 novembre 2025 ? La jurisprudence constitutionnelle admet la possibilité de prolonger les mandats dans un but d'intérêt général. Toutefois, le législateur doit respecter les règles et principes constitutionnels. Les électeurs doivent être appelés aux urnes selon une périodicité jugée raisonnable. Selon le Conseil d'État, l'élection ne peut être reportée au-delà de dix-huit mois.

Je salue le formidable engagement du ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Le destin commun de la Nouvelle-Calédonie est dans les mains des Calédoniens. Si la priorité du Gouvernement demeure la conclusion d'un grand accord entre les partenaires politiques pour parvenir à une organisation politique durable, nous devons agir pour mettre fin à l'injustice démocratique qui prive de droit de vote aux élections aux assemblées provinciales et au Congrès un électeur calédonien sur cinq. (M. Olivier Bitz applaudit.)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.) Je salue particulièrement MM. Naturel et Xowie pour leur aide dans la préparation de ce débat.

Monsieur le ministre de l'intérieur, vous l'avez dit : une page se tourne. Il faut en ouvrir une autre, comme en 1988 avec l'accord de Matignon et en 1998 avec l'accord de Nouméa. La stabilité du territoire suppose que les représentants de toutes les catégories de population s'entendent pour vivre ensemble et assurer le développement de l'île. Cet accord n'a pas encore été trouvé, malgré vos efforts. Peu de ministres de l'intérieur auront fait autant de déplacements sur place...

Gouvernement et Parlement doivent être impartiaux, dans un souci d'équilibre. Si un accord survient, nous serons tous prêts à le traduire dans la Constitution, la loi organique et la loi ordinaire. Mais il ne s'agit pas de cela aujourd'hui.

Aucun cadre stable ne peut être posé pour la Nouvelle-Calédonie sans accord. En effet, seul un accord global permettra d'obtenir le temps long que vous réclamez, monsieur le ministre.

Le présent texte vise simplement à sortir du blocage du corps électoral, en passant d'un corps électoral gelé à un corps électoral glissant. Car ce ne sont plus 7 % d'électeurs qui sont écartés du vote aux élections locales, comme au moment de la révision constitutionnelle de 2007, mais 20 %.

Le Conseil d'État a exprimé de forts doutes sur la capacité à organiser régulièrement des élections en Nouvelle-Calédonie sur le fondement d'une telle liste électorale. La Constitution permet le gel depuis 2007, mais la dérogation à l'égalité de suffrage doit être proportionnée à l'objectif poursuivi. Ce n'est plus le cas.

Il y a urgence, comme l'a souligné le garde des sceaux. Comment organiser des élections sans dégel de la liste ? Et faute d'élections, comment continuer à prolonger indéfiniment des mandats qui n'auraient plus la légitimité du suffrage ? Ce n'est pas possible !

Nous aurions tous préféré que ce moment survienne après un accord. Mais nous sommes au pied du mur : pour que des élections aient lieu, il faut dégeler le corps électoral.

La commission des lois, dont la position a suscité des incompréhensions, a choisi un dégel permanent, irrévocable, irréversible, par abrogation de la disposition constitutionnelle autorisant le gel. C'est son choix - le Gouvernement a fait le sien.

Une fois ce dégel effectué, quelles règles imposer ? Nous pourrions ouvrir le corps électoral à tout le monde, mais cela irait à l'encontre de l'accord permanent entre le Gouvernement et le gouvernement calédonien. Il faut être intéressé à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie pour voter sur les institutions calédoniennes.

Le Gouvernement propose d'intégrer tous les natifs de Nouvelle-Calédonie ayant atteint l'âge de 18 ans et tous les résidents présents sur le territoire depuis au moins dix ans. Cette proposition est sage, et nous la soutenons. Elle ne va pas trop loin dans l'intégration de nouveaux citoyens calédoniens à la liste électorale. La commission des lois donne raison sur ce point au Gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur a évoqué l'un de mes amendements. Je pense fermement que nous devons prendre des mesures d'urgence pour permettre la tenue d'élections. Ne statuons pas indéfiniment en préemptant ce qui a été l'un des principaux sujets de discussion entre l'État et les Calédoniens.

Cela dit, j'ai compris que la position de la commission était jugée excessive. On a dit que l'enjeu était d'en finir, non pas avec le gel, mais avec le corps électoral restreint, une fois pour toutes. Nous avons trouvé un compromis, grâce au président Buffet : si un accord survient après les élections en Nouvelle-Calédonie, il faudra, par une loi organique, que le corps électoral restreint soit modifié sur la base de l'accord signé. Les dispositions que nous adopterons aujourd'hui ne sont donc pas définitives, car nous continuons à privilégier la conclusion d'un accord.

J'espère que ce compromis, que j'ai accepté, prévaudra lors du vote. D'autres questions, telles que le partage des sièges entre les provinces, doivent faire l'objet de discussions spécifiques.

Des amendements visent à reporter les élections. Je ne crois pas que ce soit la bonne approche. On ne peut faire campagne le soir dans des meetings et négocier un accord avec ses adversaires le matin...

Les élections doivent avoir lieu le plus tôt possible, pour que la démocratie calédonienne s'exprime. Sur cette base, nous pourrons aboutir à un accord global. Je redis aux Calédoniens toute l'attention que le Sénat leur porte. Nous devons stabiliser ce magnifique territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Annick Jacquemet et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°22, présentée par M. Xowie et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie.

M. Robert Wienie Xowie .  - Ipié co. Respect et humilité. Nous avons un rendez-vous avec l'histoire - un rendez-vous manqué. Le pari de l'intelligence sur le devenir de mon pays, la Kanaky, c'est faire peuple.

« Moi je suis passager, mais je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir, tout ce que je peux faire pour que le pays que je lègue à mes fils soit le plus beau pays. » À ces mots de Jean-Marie Tjibaou, je voudrais ajouter les miens, ceux d'un rêve qui anime ma chair, celle de mes aïeux, et maintenant celle de mes enfants et petits-enfants : dire et faire en notre nom propre. Un rêve dont les rencontres de Nainville-les-Roches en 1983 sont le symbole. Cette main tendue, je veux croire qu'elle sera saisie un jour par l'ensemble des communautés qui feront peuple en Kanaky.

Qaja Kuca, parler et faire. Parler de ce qui a été fait, de ce qui est fait, et de ce qu'on pourra faire. Exprimer la voix d'un peuple debout, qui existe, qui vit et crie haut et fort son existence, sa résistance.

Le pari de l'intelligence était de construire une communauté de destin, autour du peuple kanak, avec les descendants de la colonisation dans un pays commun.

Hélas, ce projet de loi veut diviser pour mieux régner - une démarche meurtrière. La représentation nationale et le Gouvernement peuvent-ils décider sans le peuple concerné ? Monsieur le ministre, vous avez déclaré le 14 février devant la commission des lois : « Toutes les tendances indépendantistes et non indépendantistes ont signé un document, sous ma présidence, que j'ai co-signé également, qui acceptait le dégel du corps électoral à dix ans. »

Dois-je comprendre que nous sommes des menteurs ou ce document existe-t-il réellement ? La saisine du Congrès de la Nouvelle-Calédonie sur cette réforme constitutionnelle n'a pas été faite.

Nous sommes déjà le 27 mars au pays ; ici, on est le 26 : les décisions depuis Paris seront toujours en retard, car le destin de notre peuple se dessine sur sa terre.

Ce projet de loi s'inscrit à contresens de notre histoire en touchant au coeur même de la citoyenneté calédonienne : le corps électoral.

Nous ne pouvons pas examiner ce projet de loi unilatéral avec l'unique prisme des valeurs républicaines si fondamentales à la nation française que sont l'universalisme et la démocratie.

Monsieur le ministre, vous avez affirmé à l'Assemblée nationale, lors de la discussion du projet de loi organique, le 18 mars dernier, qu'être contre, c'était être « contre une forme de démocratie qui fait la France depuis 1789. »

De quelle démocratie parlons-nous ? Dois-je vous rappeler, moi, Kanak, les sombres méandres et les pans honteux de l'histoire de la « démocratie » française au temps des colonies ?

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Ce n'était pas une démocratie...

M. Robert Wienie Xowie.  - Que les Kanaks ont été exclus du droit de vote en Kanaky pendant près de 60 ans ? Qu'en 1945, le gouverneur Jacques Tallec fut à l'origine du premier gel du corps électoral calédonien empêchant l'inscription des Kanaks ? Qu'en 1946, le ministre de la France d'outre-mer avait proposé la création d'un double collège électoral ? Qu'il ait fallu attendre 1957 pour que l'Assemblée territoriale représente véritablement l'ensemble de la population ? Que la circulaire Messmer de 1972 a volé au peuple kanak sa majorité et sa légitimité démocratique ?

Cela fait beaucoup de rappels historiques ; mais ne dit-on pas que la pédagogie est affaire de répétition ? Nous éviterions volontiers une répétition du passé. Au nom de la démocratie, le Gouvernement oublie son passé et brandit les valeurs républicaines à géométrie variable.

Selon la Cour de cassation en 2023, tant que le pays est sur la voie de la décolonisation, il n'y a pas de nécessité à une réouverture du corps électoral - laquelle ne fait que reprendre la stratégie de colonie de peuplement. Pour le Gouvernement, la démocratie l'emporte sur la décolonisation ?

Nous avons tout subi, mais le combat d'un peuple n'a pas de prix. Ce projet de loi est un héritage de la pensée coloniale, des méthodes d'antan qui ont réduit nos anciens au code de l'Indigénat, les privant du droit de vote sur leur propre terre.

Le consensus, par un accord global, est le seul et unique moyen de respecter notre histoire. Voici ce qu'indiquait le point 5 de l'accord de Nouméa : « Tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette ?irréversibilité? étant constitutionnellement garantie ». Or aujourd'hui aucun accord n'a été trouvé et le Gouvernement passe en force.

Ce mode de fonctionnement dédaigneux, paternaliste et déconnecté de nos pays met en lumière le caractère profondément colonialiste de l'intervention de l'État. On ne discute pas sous la menace.

Le corps électoral est le ciment de la citoyenneté calédonienne : rompre les équilibres, c'est éradiquer la notion de peuple kanak constitutionnalisé.

Cette réforme ouvrant le corps électoral à tous les résidents de plus de dix ans s'inscrit dans cette droite ligne de la circulaire Messmer, nous rendant minoritaires sur nos terres, et laissant la maîtrise de nos administrations locales entre les mains des populations accueillies. C'est légitimer pour mieux recoloniser.

D'autre part, le gouvernement français rompt avec ses engagements internationaux. La Kanaky est inscrite depuis 1986 sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser. Le projet de loi vient en contradiction avec le point 11 de la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU : « Les puissances administrantes devraient veiller à ce que l'exercice du droit à l'autodétermination ne soit pas entravé par des modifications de la composition démographique dues à l'immigration ou au déplacement de populations dans les territoires qu'elles administrent. »

« Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir », disait Frantz Fanon. La nôtre est intergénérationnelle et nous voulons la remplir : celle de la lutte pour la pleine souveraineté. Nos enfants le porteront à leur tour. Tant qu'il y aura un Kanak sur cette Terre, la revendication subsistera.

Aimé Césaire disait : « Faire un pas avec le peuple, pas deux pas sans lui ». Dans sa précipitation, le Gouvernement fait deux pas sans le peuple kanak, le premier lors du troisième référendum, le deuxième aux prochaines élections provinciales. Nous revenons au « pays sans nous ».

Mon peuple vous répond : respect et humilité. Le peuple français n'est pas l'ennemi du peuple kanak. Chacun ses valeurs, chacun ses responsabilités. Je suis venu exprimer, sans haine ni mépris, notre droit de faire pays, tout comme vous aspirez à votre souveraineté. Pourquoi serions-nous moins légitimes à parler de nous-mêmes ?

Le FLNKS, réuni en congrès ce samedi 23 mars, et le groupe CRCE-Kanaky demandent le retrait de ce texte. Rejeter ce texte, c'est respecter le chemin de l'histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. François-Noël Buffet.  - Le groupe CRCE-K, par cette motion, propose au Sénat de ne pas examiner ce projet de loi, considérant que le renoncement à ce texte ne créerait pas de vide juridique, le temps de la poursuite des négociations.

Ce projet de loi constitutionnelle ne prétend pas régler l'avenir ni même apporter une réponse globale. Nous regrettons qu'aucun accord n'ait encore été trouvé, mais nous demeurons confiants. Seul un accord global consensuel assurera la stabilité politique et institutionnelle, mais aussi économique.

Ce projet de loi constitutionnelle pallie l'une des principales difficultés que pose l'arrivée à leur terme théorique des modalités actuelles. Depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007 prévaut le gel du corps électoral, conformément à l'article 77 de la Constitution.

Selon le Conseil d'État, ce dispositif déroge significativement au principe d'égalité et d'universalité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à la Constitution et au protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme. Le Conseil Constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme ne l'ont admis qu'à titre transitoire. Il découle de l'accord de Nouméa, auquel la Constitution fait explicitement référence. Après l'organisation des trois référendums, nous sommes au terme du processus prévu par cet accord et il faut en tirer toutes les conclusions.

Quels qu'aient été les résultats des référendums, un nouveau régime devait être défini pour le corps électoral.

Il ne serait pas responsable d'organiser des élections sans garantir leur régularité.

L'évolution de la démographie en Nouvelle-Calédonie depuis les années 1990 a vu la part des exclus du scrutin provincial augmenter. De 7,46 % du corps électoral, ils en représentent environ 20 %, soit 42 000 électeurs.

Ce projet de loi constitutionnelle s'inscrit dans une démarche subsidiaire à tout accord futur. Il faut une solution rapide, faute de quoi la démocratie calédonienne serait suspendue. Ce projet de loi permet la tenue des prochaines élections provinciales. Tous les autres sujets pourront toujours faire l'objet d'un accord.

L'article 2 du projet de loi prévoit l'interruption de l'entrée en vigueur du texte en cas d'accord, même si quelques souplesses supplémentaires sont nécessaires.

Quelle que soit notre position de fond, l'examen de ce projet de loi constitutionnelle devant le Parlement est légitime : celui-ci ne saurait être écarté du processus calédonien. Nous voterons contre cette motion.

La Nouvelle-Calédonie mérite de trouver une stabilité institutionnelle à travers un accord entre les partis politiques. Mais il faut tenir compte de la réalité du corps électoral. Nous devons passer au vote. Peut-être qu'ensuite, un accord global sera trouvé plus rapidement, et nous pourrons le retranscrire dans notre législation.

La solution viendra du terrain, même si nous apporterons, le moment venu, notre contribution positive comme nous le faisons aujourd'hui. Il faut construire de façon pérenne un destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Je partage l'avis du président de la commission des lois. Nous faisons tout, par nos amendements, pour préserver les chances d'accord avant les élections, et à défaut, après les élections. Il n'y a pas de destin possible en Nouvelle-Calédonie sans que les Calédoniens s'entendent.

La possibilité d'autodétermination ne disparaît pas, mais doit être organisée sur la base d'un nouvel accord : il faut éviter de créer de la précarité institutionnelle en Nouvelle-Calédonie.

Le vaste chantier s'ouvrira quand les uns et les autres y seront prêts. Mais pour cela, les élections provinciales et au Congrès doivent se tenir sans retard.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - J'invite l'assemblée à rejeter la motion.

Je regrette, monsieur Xowie, que vous ne nous proposiez aucune solution. Les partenaires refusent de se réunir, mais nous devons organiser des élections. Le constituant a en effet estimé que le gel total ne pouvait concerner que deux élections provinciales, celle de cette année étant donc exclue.

Monsieur le sénateur, vous faites des parallèles très politiques, mais qui ne correspondent pas au projet de loi constitutionnelle examiné aujourd'hui. Vous auriez pu demander la tenue d'élections avec le corps actuel, mais il est évident que le décret de convocation des électeurs aurait été attaqué et que les élections seraient annulées.

Les indépendantistes, dont vous faites partie, parlent beaucoup d'engagements internationaux, mais pas pour le droit de suffrage !

Monsieur le sénateur, vous ne faisiez pas partie de la délégation du FLNKS.

J'ai toujours été à la hauteur de la politesse que l'on doit avoir vis-à-vis de chacun : je ne traiterai donc jamais personne de menteur. Voici (M. Gérald Darmanin brandit un document) le rapport du FLNKS ; ce que vous voyez là est bien son logo, et non celui de la République française ! J'ai fait une photocopie pour vous de ce document de 12 pages signé par MM. Victor Tutugoro et Roch Wamytan. Je vous le lis : « Le FLNKS ne voit pas d'inconvénient à ce que les 11 000 natifs présents sur le corps électoral spécial pour la consultation puissent être intégrés sur le corps électoral provincial. » Pour cela, il faudrait au moins une réforme constitutionnelle. Dommage que vous ne l'ayez pas dit...

« S'agissant de la durée de résidence suffisante, suite à la proposition de l'État de sept ans, le FLNKS ne peut accepter une durée inférieure à dix ans. » Je me suis rangé à sa position sur ce point.

« Le FLNKS demande que des travaux soient menés en concertation avec les services de l'État afin d'évaluer les impacts et réaliser des projections sur l'évolution de ce corps électoral en prévision des élections provinciales. »

Vous avez le droit d'être opposé à ce que dit la délégation du FLNKS et même le droit de changer d'avis. Mais dire que le Président de la République ment et que cette proposition est meurtrière et coloniale... Je suis petit-fils de colonisé et je n'en suis pas moins attaché à la République et au débat démocratique, fondé sur l'honnêteté.

« Le FLNKS souhaite enfin que la citoyenneté calédonienne soit désormais rattachée au corps électoral spécial pour la consultation. » Pour cela aussi, il faudrait une révision.

J'entends votre franche opposition. Je souhaite que nous aboutissions à un accord, mais vos partis politiques ne le souhaitent pas pour l'instant. Je le respecte. Nous ne ferons rien sans le FLNKS. Nous lui avons apporté des réponses extrêmement précises sur les modalités d'autodétermination et les transferts de compétence de l'accord de Nouméa.

Monsieur le sénateur, on ne peut pas opposer démocratie et décolonisation - en tout cas, ce n'est pas ce que j'avais compris du projet indépendantiste. Certes, la France a colonisé la Nouvelle-Calédonie, avec des violences, des maladies : la République l'a reconnu dans la Constitution, en faisant un audit, et en envoyant - elle est la seule à le faire sur les cinq pays concernés - un ministre à l'ONU pour expliquer comment elle garantit l'égalité des droits en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. J'y retourne le 13 avril prochain.

La Nouvelle-Calédonie a été colonisée, les Kanaks ont beaucoup souffert dans leur chair. Il y a eu la privation des terres, des maladies et des massacres, mais ne confondez pas la France et notre régime politique, la République.

La démocratie est dans le projet des indépendantistes, me semble-t-il. J'ai toujours compris que le droit de propriété serait protégé, comme l'égalité entre les femmes et les hommes, la liberté de culte, la liberté sexuelle et le droit de vote. Opposer démocratie et indépendance me paraît étrange - cela donne raison à ceux qui ont peur de l'indépendance. Sans doute votre langue a-t-elle fourché.

La citoyenneté calédonienne n'est pas attachée aux Kanaks. Distinguer les Kanaks des autres n'est pas idéal pour « faire peuple » ... De plus, tous les Kanaks ne votent pas pour l'indépendance. Ne les essentialisez pas - comme l'a fait LFI à l'Assemblée nationale.

Kanaks, Wallisiens, Japonais, Antillais, descendants de bagnards, colons, Maghrébins déportés en Nouvelle-Calédonie (M. Rachid Temal le confirme de la tête), tous doivent pouvoir voter parce qu'ils sont calédoniens sans qu'on préjuge de leur vote.

M. Gérard Poadja, ancien sénateur, est éminemment kanak ; il n'en est pas moins opposé à l'indépendance. Même chose pour M. Alcide Ponga.

Nous respectons profondément le peuple kanak, reconnu comme peuple premier par la Constitution.

Ne confondons pas ce qu'a fait la France et ce que fait la République. Discutons de ce sujet important, en nous respectant les uns et les autres. Ma porte sera toujours ouverte et ma main sera toujours tendue. Nous signerons, j'en suis sûr, un accord avec tous les indépendantistes et le FLNKS sera profondément respecté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Rachid Temal.  - Je partage les propos des deux ministres, sur le poids de l'histoire et sur la dimension démocratique du processus. L'histoire de la Nouvelle-Calédonie est particulière, avec une colonisation très féroce, et un processus d'autodétermination.

Nous avons le souci de la continuité. En 1988, notre famille politique a su trouver les mots d'un accord ayant permis de sortir d'une quasi-guerre civile au profit de la stabilité pendant dix ans. En 1998, Lionel Jospin a relancé le processus. À chaque fois, nous avons eu le souci du consensus et de l'impartialité de l'État.

Monsieur le ministre, j'aimerais lire votre document. (M. Gérald Darmanin fait signe qu'il est à la disposition de l'orateur.) Il montre qu'il y a des avancées. Par cohérence, nous souhaiterions qu'il y ait d'abord un accord local et ensuite des élections. Nous avons déposé des amendements en ce sens.

Sans partager le contenu de la motion de renvoi, nous la voterons pour respecter ce calendrier.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Je donnerai au président de la commission des lois une copie de ce document, qu'il pourra ensuite distribuer à ceux qui le souhaitent.

M. Rachid Temal.  - Merci, monsieur le ministre.

La motion n°22 est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°162 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption   98
Contre 242

La motion n°22 n'est pas adoptée.

M. Bruno Belin.  - Très bien !

Discussion générale (Suite)

M. Pierre Médevielle .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Imaginez un archipel situé dans l'océan Pacifique, juste au-dessus du tropique du Capricorne, au climat idéal, bordé de plages, au milieu d'un lagon d'un bleu sans pareil protégé par une incroyable barrière de corail. Voilà le décor de carte postale de la Nouvelle-Calédonie.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Il y a quelques requins !

M. Pierre Médevielle.  - Mais il y a l'envers du décor : sur les 270 000 habitants, 42 000 personnes sont privées de droit de vote. Imaginez : vous y vivez depuis 25 ans ou vous y êtes né, vous travaillez et payez vos impôts, et vous êtes privé du droit le plus basique, celui de choisir ceux qui vous gouvernent. C'est une injustice inacceptable.

En 1998, la liste électorale était restreinte aux électeurs inscrits avant 1998 ou arrivés après, mais justifiant de dix ans de résidence. Mais, en 2007, le corps électoral a été totalement gelé par une révision constitutionnelle. C'est pour cela que ne peuvent voter que les inscrits sur les listes électorales avant 1998. Cela aurait été inacceptable dans l'Hexagone. Mais cela a été accepté car c'était transitoire.

L'accord de Nouméa est caduc. À trois reprises, la Nouvelle-Calédonie a exprimé sa volonté de rester française.

Ce projet de loi constitutionnelle prévoit de dégeler le corps électoral, en étendant les listes aux résidents depuis dix ans, permettant à 25 000 personnes supplémentaires de voter. C'est un juste rééquilibrage.

La situation économique et sociale ne permet plus de tergiverser. Nous ne pouvons plus attendre, d'autant que les précédentes élections ont permis l'accès au pouvoir d'une coalition indépendantiste ayant pourtant 16 points de retard sur ses adversaires.

Il faut un rééquilibrage de la représentativité des trois provinces, la province sud étant passée de 59 à 75 % de la population ; j'ai déposé un amendement en ce sens. Les Calédoniens ont le droit de choisir ceux qui les gouvernent ; or il faut 2,4 fois moins d'électeurs en province Sud pour avoir un élu que dans les îles. Il faut assurer la souveraineté dans tous les territoires de la République. Il y va de la crédibilité du Gouvernement.

Par trois fois, la Nouvelle-Calédonie a choisi la France. Rétablissons un véritable processus démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. François Patriat et Georges Naturel applaudissent également.)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe UC est favorable au dégel de la liste électorale, mais défavorable à une modification de la répartition des sièges au Congrès. Au-delà de mesures techniques, ce projet de loi constitutionnelle insiste sur la perspective politique à donner à la Nouvelle-Calédonie dans l'attente d'une nécessaire initiative politique.

La Nouvelle-Calédonie, magnifique territoire, cher à chacun d'entre nous, connaît une situation complexe. Son histoire a été rappelée.

Il n'est pas de bonne solution ; nous devrons trouver la moins mauvaise. Nous devons aussi nous exprimer avec modération. « Respect et humilité », cela vaut aussi pour mon intervention.

La situation économique et sociale est difficile. Le pacte nickel n'est toujours pas signé. La situation de la caisse d'assurance maladie et d'assurance retraite est difficile, sans parler de la caisse d'assurance chômage. Le Gouvernement calédonien est en difficulté financière.

Les Néo-Calédoniens, compte tenu de l'ampleur de la crise économique et sociale, ont donc des préoccupations surtout matérielles. Mais un destin commun doit être organisé. Nous devons trouver un accord entre les différents partenaires. Il n'y a pas que les indépendantistes et les autres, la société est de plus en plus métissée. Il y a trois fois plus de Wallisiens en Nouvelle-Calédonie qu'à Wallis et Futuna...

Il n'y a pas d'autre solution qu'un dégel des listes ; sinon, les élections seraient annulées. Nous savons gré à Philippe Bas d'avoir accompagné cette solution par une levée de ce qui a pu être perçu comme un ultimatum au 1er juillet. Si un accord intervient à dix jours des élections, il sera pris en compte. C'est une mesure d'apaisement.

Nous nous étions interrogés sur la date des élections. Ce projet de loi pourrait modifier les dispositions de la loi organique qui prévoyait le 15 décembre au plus tard. Nous ne voyons pas de raison objective de modifier la date.

Sur la répartition des sièges au Congrès, le Conseil d'État a indiqué que la distorsion n'est pas telle qu'elle remettrait en cause le mode de scrutin. Nous n'avons donc pas lieu de modifier cette répartition.

Il faut tracer une perspective politique. Le Sénat doit prêter une grande attention à la situation, en surplomb, et respecter une logique d'impartialité.

Il est indispensable d'accompagner le processus électoral par une initiative politique.

Je ne fais pas l'impasse sur le caractère provisoire ou non du dégel. Le ministre de l'intérieur souhaitait un dégel définitif, et une stabilité électorale, uniquement pour les élections provinciales. Philippe Bas proposait un dégel uniquement pour les élections de 2024. Nous examinerons le sous-amendement de François-Noël Buffet revenant sur ces modalités. Le groupe UC est plutôt favorable à la position de Philippe Bas d'un dégel provisoire. Dans une situation sensible, agissons a minima, pour l'élection de 2024.

Jusqu'à présent, notre pays n'a constitutionnalisé que les dispositions ayant fait l'objet d'un accord global entre tous les partenaires, que ce soit à Matignon ou à Nouméa. Cela nous pose problème de constitutionnaliser des dispositions n'ayant pas fait l'objet d'un accord : nous nous abstiendrons donc sur ce sous-amendement.

Je rends hommage à votre travail, monsieur le ministre de l'intérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe INDEP)

Mme Mélanie Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) C'est avec beaucoup d'humilité et un certain inconfort que je défends la position de mon groupe.

Française de métropole, je ne suis jamais allée en Nouvelle-Calédonie-Kanaky. J'ai compris la colère, la défiance et la blessure provoquées par l'attitude du Gouvernement depuis 2020. Rien de bon n'en sortira.

Mais je ressens aussi de l'inconfort. Alors que ce territoire est à décoloniser, selon les Nations unies, j'ai un questionnement profond sur la légitimité historique de la décision que nous allons prendre.

Ce questionnement n'est pas lié au contenu : si les partenaires arrivaient à un accord sur la base du projet de loi constitutionnelle du Gouvernement, je m'en féliciterais. Mais est-ce juste que le Parlement se prononce sur une proposition unilatérale du Gouvernement sur la composition du corps électoral sans accord local ? Alors que le Conseil d'État a donné la possibilité d'agir jusqu'en 2025 et que le calendrier gouvernemental a été vécu comme une pression ? Il faut un accord global de toutes les parties, et que l'État respecte sa parole et son impartialité.

Opposer les principes démocratiques républicains aux principes du droit à l'autodétermination des peuples colonisés est inconséquent. Personne ne le conteste : toujours plus de citoyens sont exclus du corps électoral et il faut le réformer.

Mais la Nouvelle-Calédonie a été une colonie de peuplement. En 1972, le Premier ministre Messmer écrivait « À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire ». C'est pourquoi le corps électoral est au coeur de toute revendication ; le gel du corps électoral en 2007 était une promesse de contrat social.

Or nous avons multiplié les fautes depuis 2020. L'indispensable impartialité de l'État a été rompue, lorsque le référendum a été maintenu alors que nous avions décalé les élections en métropole, lorsque Sonia Backès, cheffe de file des loyalistes, a été nommée au Gouvernement.

Il nous est demandé de prendre le risque de trop : remettre en cause la parole de l'État en rompant unilatéralement le contrat de 1998, et « détricoter les principes de la paix civile », comme le dit Jean-François Merle, ancien conseiller de M. Rocard, dans une tribune parue dans le Monde.

Je remercie Philippe Bas de la finesse et l'attention avec laquelle il a travaillé, et qui a compris cela. Le GEST ne votera pas ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Corinne Narassiguin applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Le corps électoral est une question politique cruciale, en Kanaky comme en Nouvelle-Calédonie. Il a été restreint et constitutionnalisé en 2007.

Le Gouvernement a déposé au Sénat un projet de loi organique et un projet de loi constitutionnelle pour revenir dessus. Le Sénat a adopté le projet de loi organique le 27 février, au motif que le corps électoral ne répondrait plus aux exigences démocratiques résultant des principes constitutionnels et des engagements internationaux de la France.

Le Gouvernement veut élargir le corps électoral aux citoyens français résidents depuis plus de dix ans. Ce corps électoral glissant organise la noyade du corps électoral kanak.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - C'est le grand remplacement ?

Mme Cécile Cukierman.  - Il heurte le processus de décolonisation. Il met à mal trente ans d'efforts pour créer une citoyenneté calédonienne consensuelle, et le symbole de la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Le Gouvernement rompt avec la méthode des gouvernements précédents. Pendant 36 ans, ce fut la paix. Le Gouvernement prend donc une responsabilité énorme. Pourquoi un tel empressement, un passage en force que rien ne justifie ?

Un accord est en cours de négociation entre partenaires calédoniens. Les indépendantistes doivent discuter avec deux tendances loyalistes qui peinent à s'entendre. Ils ne sont pas opposés à l'arrivée de populations nouvelles nécessaires au développement économique, mais souhaitent préserver le corps électoral tant que le processus d'émancipation n'a pas abouti.

Les indépendantistes ne sont pas opposés à une inclusion des natifs, mais ces questions doivent être traitées, selon eux, dans un accord global, seul à même de garantir la paix civile et une stabilité politique, économique et sociale.

Notre groupe déplore l'attitude paternaliste et méprisante, voire colonialiste, du Gouvernement.

Je salue le travail du rapporteur et de la commission des lois rappelant la nécessité d'un accord global, qui doit demeurer notre boussole politique. Ce serait une perspective salvatrice pour le respect de la parole de la République donnée à l'ensemble des habitants de Nouvelle-Calédonie.

Parce que nous sommes un groupe responsable, sachant concilier nos valeurs républicaines et les aspirations kanak, nous aurons des votes en partie positifs, avec la non-participation au vote de Robert Xowie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. André Guiol .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Olivier Bitz applaudit également.) Les accords de Matignon, puis ceux de Nouméa, ont ramené la paix. Ne renions pas cet esprit de consensus.

Ces accords avaient restreint l'accès au suffrage d'une partie des Calédoniens, pour préserver la paix - restriction constitutionnalisée par les dispositions « transitoires » du titre XIII de la Constitution.

Le présent texte prévoit qu'à défaut d'un accord trouvé au 1er juillet 2024, une partie du corps électoral sera dégelée, permettant à 25 000 Calédoniens de participer aux prochaines élections locales. Les citoyens installés continuellement sur l'archipel depuis 2014 pourront voter.

Si nous saluons l'équilibre recherché, nous nous inquiétons de la préservation des acquis politiques depuis Matignon et Nouméa.

De fait, l'inscription d'une partie des citoyens sur une liste spéciale revient à reconnaître une citoyenneté néo-calédonienne. Il s'agissait de reconnaître la spécificité de ce territoire, son histoire et la représentativité de son peuple premier, conformément à une exigence des Nations unies.

Ce dégel ne doit pas apparaître comme une victoire des loyalistes, ce qui replongerait l'archipel dans un nouveau cycle de violences. Il ne faut pas non plus que de telles entorses démocratiques perdurent. En 2005, la CEDH avait accepté des dispositions transitoires, tournées vers l'objectif d'autodétermination. Ce processus est-il en passe d'aboutir ? Nous craignons que le statu quo soit compromis, si aucune garantie juridique et politique n'est prévue.

Un dialogue impartial, loyal et intransigeant doit se poursuivre entre toutes les parties.

Il faudra une coopération renforcée avec le Caillou dans les secteurs économiques, énergétiques et sociaux, de même qu'il faut garantir la stabilité régionale. L'autodétermination est une inconnue dans l'équation géopolitique de l'Indo-Pacifique, marquée par l'impérialisme chinois.

Par-dessus tout, il faut des garanties pour préserver l'archipel d'une nouvelle crise. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Alain Marc et Mme Gisèle Jourda applaudissent également.)

M. Olivier Bitz .  - La Nouvelle-Calédonie doit relever d'énormes défis. Défi économique, avec la crise du secteur du nickel et un nouveau report de la signature du pacte nickel. Défi social, avec des inégalités marquées, un taux de pauvreté important et la cherté des prix. Défi financier, avec une crise majeure des finances publiques du territoire. Défi politique, enfin, avec la nécessité de définir, après quarante années de paix civile, les moyens de définir un nouveau destin commun. Tous ces sujets s'entremêlent, dans un contexte d'incertitude.

La vie démocratique doit se poursuivre pendant la période de transition que nous connaissons. C'est le sens du report de quelques mois de la consultation électorale provinciale.

Il s'agit aujourd'hui d'intégrer dans le corps électoral des élections provinciales les citoyens nés ou arrivés après 1998. Je salue l'excellent travail du rapporteur Bas et l'esprit dans lequel se sont déroulés les échanges en commission des lois. Le principe d'égalité du suffrage impose une évolution du corps électoral : la bloquer poserait un problème démocratique mais aussi et surtout juridique. Le Conseil d'État a envoyé un message clair : une consultation électorale sur la base d'une liste arrêtée en 1998 serait frappée d'irrégularité en raison de nos engagements internationaux et de notre Constitution. Le dégel du corps électoral est donc une nécessité juridique.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Exactement.

M. Olivier Bitz.  - Nous regrettons que les parties calédoniennes n'aient pas réussi à se mettre d'accord, sachant que ce point fait partie des éléments constitutifs de la nationalité calédonienne, sujet sensible difficilement détachable d'un accord global.

Puisqu'il nous faut avancer pour garantir la régularité des prochaines élections provinciales, le Gouvernement nous propose un corps électoral glissant, en retenant une durée de résidence minimum de dix ans. Cela nous paraît raisonnable. Le principe d'une citoyenneté calédonienne n'est pas remis en cause. Cette proposition ne suscite pas d'opposition marquée du côté loyaliste comme du côté indépendantiste et ne semble pas de nature à compromettre un accord global.

Cependant, afin de ne pas préempter les conclusions de l'accord à venir, l'État doit intervenir le moins possible de manière unilatérale. Seule l'urgence liée à la régularité des élections à venir justifie l'intervention présente. L'État doit demeurer un acteur actif et impartial pour que les Calédoniens déterminent ensemble leur destin commun. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Corinne Narassiguin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis l'accord de Nouméa en 1998, que l'on doit à Lionel Jospin, seules peuvent voter aux élections provinciales les personnes qui remplissent les conditions détaillées dans l'accord. Il s'agissait de trouver le point d'équilibre des aspirations des Néo-Calédoniens : identité kanak, citoyenneté calédonienne, nationalité française. Cette citoyenneté se traduit dans l'accord par les limitations du corps électoral et les mesures pour préserver l'emploi local.

Ce corps électoral restreint, condition sine qua non d'une décolonisation réussie, a ensuite été gelé par Jacques Chirac lors de la révision constitutionnelle de 2007.

Sont aujourd'hui exclus du suffrage des natifs de Nouvelle-Calédonie, y compris kanak, et des personnes installées de longue date. Il faut évoluer, mais pas n'importe comment.

Les élections territoriales de novembre 1984 ont été boycottées parce que le Gouvernement d'alors n'avait pas voulu entendre les revendications des indépendantistes sur le corps électoral. En 1988, l'élément déclencheur était le maintien des élections au Congrès le même jour que l'élection présidentielle - le ministre Bernard Pons était passé en force. Nous retrouvons les mêmes éléments aujourd'hui : le corps électoral et le calendrier, et une même volonté du Gouvernement de passer en force, en mettant la pression sur les acteurs locaux.

Monsieur le ministre de l'intérieur, avez-vous appris à écouter et pas seulement à faire la leçon ? Souhaitez-vous vous mettre dans les pas de Michel Rocard ou de Bernard Pons ? Avec ce texte, vous êtes en rupture totale avec la méthode des accords de Matignon et de Nouméa, qui reposaient sur un accord politique local préalable.

Votre ultimatum n'est pas acceptable. Le Gouvernement enchaîne les fautes depuis le départ d'Édouard Philippe : organisation à marche forcée du troisième référendum, nomination de Sonia Backès, rapporteurs partiaux à l'Assemblée nationale, remise en cause de la parole de l'État donnée à Nouméa... Monsieur le ministre, vous êtes sur une pente dangereuse ! L'État doit demeurer impartial et faciliter l'émergence d'un accord global.

Modifier le corps électoral, oui. C'est une nécessité constitutionnelle. Mais ce n'est pas une urgence institutionnelle. Modifier la répartition des sièges au Congrès, non. C'est un pilier des accords antérieurs qui a ramené la paix civile.

La situation locale est difficile. Le territoire connaît une crise économique et sociale majeure : crise du nickel, déficits sociaux qui s'aggravent... Vu les tensions, jouer ainsi avec le feu est inconscient. La seule intervention urgente de l'État qui est attendue sur place, c'est un plan de sauvetage économique !

Nous saluons l'approche de Philippe Bas, qui plaide pour un accord entre les acteurs locaux. Laissons-leur le temps de parvenir à un accord global, au service d'une décolonisation réussie : prolongeons la poignée de main entre MM. Tjibaou et Lafleur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Robert Wienie Xowie applaudit également.)

M. Georges Naturel .  - Plus de 20 % des électeurs, soit 43 000 Calédoniens, sont privés du droit d'élire leurs représentants à des instances qui régissent leur vie quotidienne. Parce qu'ils sont arrivés en Nouvelle-Calédonie après le mois de novembre 1998, ou sont nés de parents installés après cette date couperet, des milliers de Calédoniens, de coeur ou de naissance, qui y ont passé leur jeunesse et y construisent leur avenir, sont exclus de la vie démocratique de notre territoire.

Jamais les accords de Matignon et de Nouméa n'ont fixé les conditions d'un tel gel du corps électoral, ajouté postérieurement par la révision constitutionnelle de février 2007, dans l'optique des élections provinciales de 2009 et 2014, pour permettre aux référendums d'autodétermination de se dérouler dans le calme.

Ces dispositions transitoires perdurent depuis trop longtemps. Ne pas dégeler le corps électoral nous placerait en dehors des exigences constitutionnelles et conventionnelles qui nous lient, ce qui ne serait tenable ni juridiquement ni politiquement.

Ne pas voter ce texte reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. Comment imaginer que les élections provinciales ne soient pas contestées si 20 % des électeurs sont tenus à l'écart des urnes ? Quelle légitimité pour les assemblées qui en seraient issues ?

Le groupe Les Républicains votera, avec vigueur, en faveur du dégel du corps électoral, pour inclure ceux qui sont nés en Nouvelle-Calédonie ou y résident depuis au moins dix ans, soit 25 000 Calédoniens. Je serai vigilant à ce que ce dégel soit ferme et définitif.

J'ai déposé deux amendements fondamentaux. Le premier vise à réduire à cinq ans la durée de résidence requise du conjoint d'un citoyen inscrit sur la liste provinciale. Ce serait une mesure de justice, et de confiance à l'égard de ceux qui ont adopté la Nouvelle-Calédonie.

Mon second amendement vise à rétablir le principe d'égalité devant le suffrage en rééquilibrant la représentation des provinces au sein du Congrès. Les accords de Matignon et de Nouméa avaient accordé une sur-représentativité aux provinces à majorité indépendantiste, Nord et Îles Loyauté. Or depuis 1988, la province Sud est passée de 68 % de la population calédonienne à 75 %, mais n'a toujours que 60 % des sièges. De tels écarts de représentativité ne sont plus acceptables. Un rééquilibrage est indispensable, pour remettre la démocratie au coeur du fonctionnement institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Ne cédez pas au chantage à la paix, démocratiquement dangereux, qui ne fait pas honneur au destin commun que tous les Calédoniens s'efforcent de bâtir. Ce ne sont pas les excès de prudence qui donneront à ce territoire la force de relever les défis qui se présentent.

Depuis le 26 juin 1988, date de la poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, la Nouvelle-Calédonie a montré sa détermination à construire un futur où chacun pourra trouver sa place, où chaque culture pourra s'exprimer dans sa diversité, un futur au sein de la République française.

Mes chers collègues, je vous demande avec force de voter pour ce projet de loi constitutionnelle et de soutenir mes amendements. Il y va de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie et de ce destin commun qui nous est si cher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous débattons, sur fond de crise économique et sociale, du dégel du corps électoral de la Nouvelle-Calédonie. Lors des accords de Matignon, la Nouvelle-Calédonie était au bord de la guerre civile. Michel Rocard a su ramener la paix, retisser les liens de la confiance et engager un mouvement de décolonisation pacifique.

La Nouvelle-Calédonie s'est organisée autour de trois provinces, pour donner aux Kanaks la responsabilité politique de leurs régions et favoriser leur développement économique. Un effort financier sans précédent de l'État a été déployé, assorti d'un programme de formation. La culture kanak est désormais reconnue, comme en témoigne le centre culturel Tjibaou, l'un des grands travaux du président Mitterrand. Je salue le courage politique de Jacques Lafleur.

L'accord de Nouméa, oeuvre de Lionel Jospin, a poursuivi ce mouvement. Il exprime une vision partagée de l'histoire et de l'avenir du pays et porte un regard commun sur la douloureuse période coloniale.

Michel Rocard disait : « La paix, c'est la négociation, c'est le courage de céder sur certains points au nom d'un objectif plus essentiel, le courage de transformer l'ennemi en interlocuteur. » Cette méthode, qui fut aussi celle de Lionel Jospin, doit nous inspirer.

Or le Gouvernement actuel a rompu avec l'impartialité et la neutralité de l'État. La construction originale qui avait été imaginée visait à construire un destin commun pour la population pluriethnique de Nouvelle-Calédonie. Le débat que nous avons est celui de la décolonisation, de l'autodétermination, du droit à l'émancipation.

L'exécutif se trompe en agissant à marche forcée, dans la brutalité institutionnelle. Les réformes se font désormais à coups de 49.3. Pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, la verticalité n'a pas sa place. Alors que tous les acteurs en présence préconisent un accord global, vous avez choisi, monsieur le ministre, de scinder les sujets.

Aucune solution imposée ou arrachée ne sera bonne. Je fais mienne la conclusion de la tribune de Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour les outre-mer : « la modification d'un contrat en l'absence d'accord s'appelle une rupture de contrat. » En Nouvelle-Calédonie, nous devons nous inscrire dans le temps long. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Mathieu Darnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il nous revient d'écrire une nouvelle page, après trois référendums au cours desquels nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie ont réaffirmé leur attachement à la France et à notre communauté de destin.

Nous devons renouer avec le temps long, et rechercher, en permanence, la stabilité. Nous devons le faire avec humilité et tempérance, avec clarté également.

Pas moins de 42 596 personnes sont exclues du corps électoral. Il est difficile d'imaginer que l'on prive nos concitoyens du droit de participer à la désignation de la gouvernance de leur territoire.

N'opposons pas la nécessité d'aboutir à un accord global et celle de la tenue des élections. La province, comme le Congrès, fixe le cap du territoire et répond aux défis, sociaux, et plus encore économiques, qui se dressent devant lui.

Le scénario idéal aurait été la conclusion d'un accord d'ensemble ; le législateur aurait eu alors pour tâche d'accompagner l'évolution du statut, sur cette base. Malheureusement, il n'y a pas eu d'accord.

Face à cela, le Gouvernement a choisi de déposer un projet de loi constitutionnelle traitant du corps électoral. Il rétablit un corps électoral glissant, tout en ménageant la possibilité d'un accord global, en prévoyant un nouveau report des élections.

Nous sommes favorables à un système plus souple et plus respectueux des exigences démocratiques. La durée de présence requise peut être discutée, mais la fixer à dix ans ne nous semble pas inacceptable.

À 17 000 km d'ici, nos débats sont scrutés par nos compatriotes. Nous leur devons la clarté, et la possibilité de répondre aux défis qu'ils affrontent, qu'il s'agisse du plan nickel ou de l'avenir de la caisse d'assurance maladie et chômage.

Le groupe Les Républicains votera ce projet de loi tout en appelant de ses voeux la conclusion rapide d'un accord entre les acteurs locaux, seul à même de répondre aux problématiques de la Nouvelle-Calédonie.

Dans cet hémicycle, nous voulons tous que l'avenir de la Nouvelle-Calédonie soit plus beau demain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Je remercie ceux qui soutiennent ce projet de loi, et salue l'évolution du groupe centriste. Comme l'a dit M. Bonnecarrère, l'essentiel est l'adoption de la réforme constitutionnelle.

Madame Vogel, votre démonstration sur le manque d'impartialité de l'État me pose problème. Vous avez prétendu que le troisième référendum avait été organisé malgré le Covid, quand aucune élection ne se tenait en France hexagonale. Rien de plus faux. Ce sont les indépendantistes, et non l'État, qui ont demandé au Congrès de déclencher le troisième référendum : c'était le 8 avril 2021, un an et demi après le début du Covid. En juin 2021, en plein Covid, les Français ont voté aux élections régionales et cantonales, et le 12 décembre 2021, les Calédoniens ont voté au référendum. Les maires - dont M. Xowie - ont organisé le scrutin et une partie des indépendantistes ont voté, et l'ont même revendiqué, dont M. Néaoutyine. Le retour aux urnes s'est fait quelques jours avant le premier tour des législatives, avec l'espoir d'élire un indépendantiste dans la circonscription de M. Metzdorf.

On reproche au Gouvernement de vouloir tenir des élections ? C'est pourtant assez normal ! Cela a été bien organisé et jamais contesté, ni par le Conseil d'État ni par les instances internationales.

Je n'ai entendu personne dénoncer des ingérences étrangères scandaleuses : l'Azerbaïdjan finance une partie du mouvement indépendantiste, et est même prêt à porter à l'ONU la contestation du troisième référendum. Et cela n'émeut personne ? La Nouvelle-Calédonie n'a d'ingérence à tolérer d'aucun pays, encore moins de ceux qui massacrent des populations. J'ai demandé à la DGSI d'y travailler. Le vote des Calédoniens doit être libre et indépendant.

Ensuite, vous reprochez à Mme Backès d'avoir été au Gouvernement. Aucun Calédonien n'aurait le droit d'être ministre de la République ? Faut-il inscrire ce non-cumul dans la Constitution ? Mme Backès n'est-elle pas une citoyenne comme les autres, qui peut être appelée à servir son pays ?

M. Patrick Kanner.  - Elle était présidente de la province Sud !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Et alors ? Ce n'est pas la première fois que des ultramarins servent la République ! Cet argument ad hominem n'est pas à la hauteur.

Monsieur le président Kanner, nous rendons tous hommage à Lionel Jospin pour l'accord de Nouméa, qui a garanti la paix. Mais ce n'est pas parole d'évangile pour autant, et il y a eu un manque. L'accord a été conçu pour qu'au moins une fois sur trois, il soit répondu oui au référendum sur l'indépendance - or les Calédoniens ont répondu trois fois non. Qu'était-il prévu en pareil cas ? Que les partenaires se réunissent afin de constater la situation ainsi créée. La belle affaire !

Vous me reprochez de ne pas être dans la continuité de l'accord de Nouméa  - mais la situation actuelle en découle ! Il faut absolument un accord préalable, dites-vous. Et s'il n'y a pas d'accord, que proposez-vous ? Le report des élections pendant des années ? (M. Rachid Temal s'en défend.) Le Conseil d'État fixe une date butoir en 2025, mais vous dites, vous : pas de vote sans accord. Or prolonger sans cesse des mandats n'est pas constitutionnel. Je m'étonne que vous le défendiez.

M. Rachid Temal.  - Lisez nos amendements !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - L'accord de Nouméa a débloqué la situation, garanti la paix sociale, respecté le peuple premier et fixé des échéances, que nous avons tenues : l'audit de décolonisation et les trois référendums.

Vous n'apportez pas de solution, à défaut d'accord. Je comprends que c'est une posture.

Mme Narassiguin a donné des leçons à la tribune ; son propos me concernant était suffisant mais pas nécessaire.

Mme Corinne Narassiguin.  - Vous devriez vous écouter parler !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Je peux aussi me taire et vous laisser parler ! Puisque vous avez récemment découvert la Nouvelle-Calédonie, sans doute avez-vous compris que la situation y était complexe. Mais vous n'avez pu vous empêcher de faire de la politique sur le dossier calédonien - cela ne me surprend guère, de votre part. (Mme Corinne Narassiguin sourit.)

M. Rachid Temal.  - Vous n'êtes pas très respectueux.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Mme Narassiguin a été particulièrement insultante. (On se récrie sur les travées du groupe SER.)

Madame Cukierman, votre propos sur les populations m'a choqué. « Des populations extérieures venues de France pour noyer le peuple kanak » ? Vous reprenez l'argument du grand remplacement ! Je pensais que les communistes étaient universalistes. (Mme Cécile Cukierman proteste.) Je m'étonne de cette essentialisation. On peut être blanc et indépendantiste, être Kanak et voter pour la France.

Mme Cécile Cukierman.  - Je ne les accuse pas d'avoir renié la République !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - L'argument du grand remplacement n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Ce n'est pas notre conception universelle de la République.

Il s'agit de donner le droit de vote aux élections locales, pas de refaire l'accord de Nouméa. J'ai dit que j'étais favorable à l'attribution de la diplomatie à la Nouvelle-Calédonie, et à d'autres transferts de compétences, notamment celles de l'article 27. Nous sommes prêts à envisager de nouvelles institutions, à être créatifs. J'ai suggéré, tout en restant dans le giron français, une autonomie très large, sur le modèle britannique ou néo-zélandais. Travaillons là-dessus, plutôt que d'expliquer qu'une organisation d'Européens blancs viendrait « grand-remplacer » les Kanaks !

Au demeurant, démographiquement, le calcul est à l'avantage des non-Européens : les Calédoniens « blancs », pour reprendre une expression malheureusement entendue à l'Assemblée nationale, ne sont pas assez nombreux pour emporter le vote contre l'indépendance !

L'objet de ce projet de loi constitutionnelle n'est pas le référendum, mais les élections locales. Cela n'a rien à voir.

Vous avez dit, madame Cukierman, que le critère de dix ans de résidence, glissant, serait contraire à nos engagements internationaux. Où êtes-vous allé chercher cela ? Citez-moi une instance, un traité, qui l'interdise ! C'était une proposition de Lionel Jospin. Aucun pays démocratique n'oblige un citoyen à attendre dix ans pour pouvoir voter à une élection locale - même les pays du Golfe, les plus restrictifs en matière de droit de vote. Je le précise, car vous m'avez quasiment traité de colonialiste. Vous avez prononcé là une contre-vérité.

Si nous ne modifions pas la Constitution, soit le Gouvernement ne convoquera pas d'élection et il n'y aura donc pas de possibilité pour les Calédoniens de gérer les crises économiques et sociales de la Nouvelle-Calédonie - je rappelle que le territoire est autonome, et nous sommes dans la chambre des territoires - soit le Gouvernement convoquera des élections sur une base électorale qui sera rejetée par le Conseil d'État et ne respectera pas nos engagements internationaux.

Il n'y a pas d'alternative. Il ne suffit pas de dire « accord, accord, accord » pour qu'il soit signé...

Commission (Nomination)

M. le président.  - Une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Suite)

Discussion des articles

Avant l'article 1er

M. le président.  - Amendement n°29, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'avant-dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée : « Pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par l'accord mentionné à l'article 76 de la Constitution, l'État préserve les conditions du dialogue par le respect d'une stricte posture d'impartialité. »

Mme Mélanie Vogel.  - Cet amendement rappelle que l'État doit agir de manière impartiale sur ce dossier.

Oui, il y a eu une violation du principe d'impartialité de l'État sur la tenue du troisième référendum. Oui, les indépendantistes l'ont demandé, mais en avril ; or le premier cas de covid dans ce territoire a été détecté en septembre 2021. La couverture vaccinale était de 30 %. Les pratiques culturelles, les rites funéraires locaux imposaient un report de quelques mois, après les élections nationales de 2022. Le refus du Gouvernement a été vécu comme une violation du principe d'impartialité.

Sonia Backès est une citoyenne comme une autre et a le droit d'être ministre. Mais vous êtes assez fin pour comprendre que six mois après le refus de reporter le référendum, nommer la représentante d'un des camps ait été mal perçu.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Avec cet amendement, la Constitution exigerait de l'État qu'il « préserve les conditions du dialogue par le respect d'une stricte posture d'impartialité ». Passons sur les termes - l'impartialité n'est pas une posture, mais une qualité. Tous, nous devons écouter tous les Calédoniens et favoriser leur accord pour un destin commun dans un cadre démocratique. La Constitution est hélas impuissante à garantir cette qualité personnelle chez chacun. Ce n'est d'ailleurs pas son rôle. Cette disposition purement incantatoire n'y a pas sa place, d'où l'avis défavorable de la commission des lois.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avis défavorable.

L'amendement n°29 n'est pas adopté.

Article 1er

Mme Cécile Cukierman .  - Le ministre a l'avantage d'un temps de parole non décompté.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Mais je suis tout seul !

Mme Cécile Cukierman.  - Je reste disponible pour débattre de l'interprétation de la résolution de l'ONU de 1986 sur la Nouvelle-Calédonie.

Apparemment, vous avez été traumatisé par le débat à l'Assemblée nationale, avec un groupe qui n'existe pas ici. Je n'en serai ni la victime expiatoire, ni la responsable. Vous pouvez toujours sortir des mots de leur contexte, caricaturer les propos, faire des amalgames entre des formations politiques qui n'ont aucun rapport, mais cela ne vous honore pas. Nous avons des désaccords politiques, monsieur le ministre, mais je n'ai jamais fait quelque amalgame que ce soit entre vos propos et des partis qui ne font pas partie de l'arc républicain.

Mme Audrey Linkenheld.  - Très bien.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - J'ai cité ce que vous avez dit.

M. le président.  - Amendement n°9 rectifié, présenté par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat, Mme Apourceau-Poly, MM. Bacchi, Barros et Bocquet, Mmes Brulin et Corbière Naminzo, MM. Corbisez et Gay, Mme Gréaume, M. Lahellec, Mme Margaté, MM. Ouzoulias et Savoldelli et Mmes Silvani et Varaillas.

Supprimer cet article.

M. Robert Wienie Xowie.  - Nous voulons protéger constitutionnellement notre volonté de faire peuple et assurer l'irréversibilité de l'organisation politique actuelle de la Nouvelle-Calédonie. La notion de peuple kanak doit figurer dans la Constitution. Pourquoi chambouler les équilibres ? Le Gouvernement raye unilatéralement ce que l'on a obtenu dans le passé ! Il ne saurait y avoir de nouvelle organisation sans consensus.

Monsieur le ministre, les indépendantistes vous avaient demandé de reporter le troisième référendum ! (M. Gérald Darmanin le conteste.)

M. le président.  - Amendement identique n°14, présenté par Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Corinne Narassiguin.  - Le Gouvernement emploie la mauvaise méthode. Nul ne conteste la nécessité de faire évoluer le corps électoral. Nous avions voté pour le projet de loi organique reportant les élections et proposé un report plus long, pour se donner le temps d'aboutir à un accord global.

La définition du corps électoral est consubstantielle de la définition de la citoyenneté calédonienne : si vous supprimez la première, vous éloignez la possibilité d'un accord global. Nous sommes opposés à cette méthode brutale. Les Calédoniens ont le sentiment d'être traités comme des enfants par un État paternaliste.

M. le président.  - Amendement identique n°27, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Mme Mélanie Vogel.  - Oui, il faut négocier une évolution du corps électoral actuel, mais dans le cadre d'un accord entre toutes les parties concernées. Aussi bien arrivera-t-on à la même solution que propose le Gouvernement. Notre opposition n'est pas sur le fond, mais sur le caractère unilatéral. Il faut d'abord obtenir un accord, puis le ratifier. C'est en exerçant une pression que l'on crispe les parties et que l'on risque de bloquer les discussions.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - J'ai la conviction inverse. Après avoir écouté toutes les parties calédoniennes, je pense qu'il faut que les élections se tiennent le plus vite possible si nous voulons avoir une chance d'obtenir un accord sur un destin commun.

Si les élections n'ont pas lieu cette année, les formations politiques calédoniennes, qui sont en concurrence (M. Rachid Temal renchérit), ne pourront pas aboutir à un accord. Il faut d'abord des élections pour ensuite négocier sereinement cet accord que tout le monde attend.

Or ces élections ne peuvent pas avoir lieu sur la base de la liste électorale gelée. Il faut donc la dégeler pour avoir des élections régulières -  ce que fait cet article 1er. Si vous supprimez le dégel de la liste électorale et l'ouverture du corps électoral - qui demeure restreint -, on ne peut pas organiser d'élections. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avis défavorable, car vous contestez l'idée même de l'accord de Nouméa qui prévoyait des dispositions transitoires.

Nous modifions la Constitution sur le corps électoral pour les élections provinciales. Nous proposons d'y inclure les natifs, à la demande du FLNKS, et de prévoir une durée de résidence de dix ans.

Quel meilleur accord pour les indépendantistes que celui que nous proposons ? Voulez-vous quinze ou vingt ans de résidence, ce qui reviendrait à geler le corps électoral ? Certaines composantes du FLNKS demandent dix ans. Avec ou sans accord, sur ce sujet du corps électoral, quel serait, selon vous, le meilleur accord pour le FLNKS ? Sauf à ne pas dégeler le corps électoral, comme le propose le groupe communiste...

Le corps électoral est actuellement fermé : aucun nouvel électeur ne peut y entrer, il s'amenuise donc. Les indépendantistes au Sénat veulent une liste électorale où il n'y aura bientôt plus d'électeurs ! C'est absurde. (Mme Cécile Cukierman proteste.)

M. Georges Naturel.  - Sans article 1er, pas de dégel possible : 20 % du corps électoral calédonien serait exclu du vote et la Nouvelle-Calédonie serait en dehors des clous constitutionnels et conventionnels.

Grâce à cet article, 25 000 Calédoniens auront accès au suffrage. La Nouvelle-Calédonie a le droit de connaître un véritable exercice démocratique !

La situation économique y est catastrophique. Beaucoup d'élus sont déjà en campagne électorale. Organisons les élections et faisons un accord après. Je m'oppose avec force à ces amendements. (Bravos et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Rachid Temal.  - Ne tombons pas dans la caricature, monsieur le ministre !

Le groupe SER propose d'aller au bout de la proposition du Conseil d'État -  soit novembre 2025  - , pour négocier un accord local, puis le traduire dans la loi et la Constitution.

La politique, ce sont aussi des symboles. Dans la tradition du Caillou, il revient d'abord aux parties locales de conclure un accord, dans lequel il sera question du corps électoral. À eux de traiter ce sujet. Ne faites pas semblant de croire que nous ne proposons rien.

Je connais l'engagement de M. Naturel, mais s'il faut aller vite, pourquoi avoir repoussé les élections ? Nous avons besoin d'un accord local pour que la paix demeure. Le Gouvernement n'est pas en reste pour demander la signature de l'accord sur le nickel...

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Le sujet du nickel est très complexe. La filière est déficitaire depuis toujours. Le président Mapou a demandé un report de la signature. L'État français paie les salaires.

M. Rachid Temal.  - C'est une bonne chose.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Je tiens à rappeler que 4 % de l'impôt sur le revenu national sont reversés à la Nouvelle-Calédonie... Le nickel, ce sont quelques centaines de millions d'euros à chaque discussion. Nul chantage. Bien sûr, avant les accords de Nouméa, il y a eu les accords de Bercy.

Vous ne contestez pas que ce que nous proposons dans ce projet de loi sur le corps électoral est mieux-disant pour le FLNKS.

M. Rachid Temal.  - Ce n'est pas ce que je dis.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Quelle est votre solution ?

M. Rachid Temal.  - L'accord local est possible.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Nous proposons dix ans, plus les natifs. Mais que proposez-vous : quinze, vingt, vingt-cinq ans ?

Mme Audrey Linkenheld.  - 2025 !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Vous voulez attendre novembre 2025. Or ni le Conseil constitutionnel ni le Conseil d'État n'accepteront un report supplémentaire. Si les négociations traînent jusqu'en octobre 2025, comment établirez-vous les listes électorales ?

M. Rachid Temal.  - Nous le ferons avant. Nous ne sommes pas des incompétents !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - C'est intenable. Nous proposons une première échéance au 15 décembre 2024 ; en cas d'accord, quelques mois supplémentaires seront nécessaires pour modifier les listes. Il faut se laisser une marge de manoeuvre, pour décliner, par exemple, la notion de centre des intérêts matériels et moraux (CIMM).

Au bout de trois ans de négociations, le Gouvernement a déjà reporté les élections locales. C'est comme si dans vos départements, on demandait d'attendre dix ans pour voter...

M. Rachid Temal.  - Ce n'est pas la même chose !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Le Gouvernement est respectueux, mais il prend ses responsabilités : un Gouvernement démocratique organise des élections démocratiques.

Les amendements identiques nos9 rectifié, 14 et 27 ne sont pas adoptés.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Bas, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 3

1° Remplacer le mot :

Dans

par les mots :

Pour le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, dans

2° Après le mot :

organique

insérer les mots :

prise après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie

II.  -  Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

.... - Par dérogation à l'article 77-1 de la Constitution, en l'absence de conclusion d'un accord portant sur l'évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie en vue d'assurer à tous les citoyens de Nouvelle-Calédonie un destin commun, négocié dans le cadre des discussions prévues par l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998, une loi organique peut, après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie, prévoir l'application du présent article à un renouvellement général ou partiel suivant le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle. 

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Cet amendement prévoit le dégel définitif et irrévocable du corps électoral, et un corps électoral restreint pour les élections de 2024. Il ne faut traiter que le strict nécessaire pour l'organisation des élections, en renvoyant sinon à un accord. À défaut d'accord, la loi organique pourra reconduire l'organisation prévue pour les élections de 2024.

À la suite des réactions en Nouvelle-Calédonie et d'un débat en commission, nous avons adopté le sous-amendement qui prévoit que les critères d'inscription sur la liste électorale sont pérennes, comme le souhaite le Gouvernement, mais qu'en cas d'accord global sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, une simple loi organique réglera la question de la liste électorale. Nos positions ne sont pas si éloignées l'une de l'autre. Trouvons un bon compromis !

M. le président.  - Amendement identique n°18, présenté par Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Corinne Narassiguin.  - Amendement de repli. Nous souhaitons que le projet de loi constitutionnelle soit le moins nocif possible, pour permettre la conclusion d'un accord global.

Monsieur le ministre, vous avez un talent particulier pour tordre nos propos... Oui, il doit y avoir des élections en Nouvelle-Calédonie. Ce n'est pas pour ou contre la démocratie.

Nous voulons laisser toutes ses chances à un accord global. Or le dépôt de ce projet de loi constitutionnelle a mis un coup d'arrêt à des négociations qui étaient en bonne voie. (M. Gérald Darmanin le nie.)

Nous ne souhaitons pas l'adoption du sous-amendement de M. Buffet. Nous voulons que la définition particulière du corps électoral ne s'applique que pour les élections de 2024 et laisser à l'accord global le soin de définir le corps électoral : c'est une question politique.

M. le président.  - Sous-amendement n°35 à l'amendement n°4 de M. Bas, au nom de la commission, présenté par M. Buffet.

Amendement n°4

I. - Alinéas 2 à 5

Supprimer ces alinéas. 

II. - Alinéa 11

remplacer les mots : 

Par dérogation à l'article 77-1 de la Constitution, en l'absence de conclusion d'un

par les mots :

En cas d'

et les mots : 

une loi organique peut, après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie, prévoir l'application du présent article à un renouvellement général ou partiel suivant le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle

par les mots :

les critères d'admission au corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie mentionnés à l'article 77-1 de la Constitution dans sa rédaction issue du II du présent article peuvent être modifiés par une loi organique

M. François-Noël Buffet.  - Le dégel doit avoir un caractère pérenne.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avis défavorable à l'amendement n°4 à moins qu'il ne soit sous-amendé. Dans quel cas, avis favorable.

M. Georges Naturel.  - Merci au rapporteur et au président de la commission. Nous voterons cet amendement et ce sous-amendement qui donneront aux Calédoniens un peu plus de temps pour négocier.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Je remercie Georges Naturel qui a oeuvré pour trouver une solution. L'histoire retiendra que c'est grâce à lui que nous avons abouti à un bon compromis.

Avis favorable au sous-amendement n°35.

Mme Corinne Narassiguin.  - Il me semble que M. Buffet a déposé ce sous-amendement moins comme président de la commission des lois que comme agent de paix au sein du groupe Les Républicains... Nous avons tous entendu l'injonction du député Nicolas Metzdorf au président Retailleau et regrettons cette ingérence de l'Assemblée nationale dans les débats du Sénat.

En cas d'adoption du sous-amendement, nous nous abstiendrons sur l'amendement n°4, car l'intérêt politique en serait anéanti -  même si nous sommes d'accord sur le recours à une loi organique plutôt que constitutionnelle.

Mme Cécile Cukierman.  - Il faut trouver des solutions. La caricature de nos propos par le ministre est difficilement supportable.

Une partie de notre groupe votera l'amendement et le sous-amendement, afin de mettre l'ensemble des parties prenantes autour de la table pour avancer.

Monsieur le ministre, si les rapports de force tenaient à la couleur de peau ou à l'appartenance à telle ou telle classe, cela se saurait...

Conscient de ces contradictions et de la nécessité de les dépasser, et parce que c'est cela le pluralisme, Robert Xowie ne prendra pas part au vote.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Il s'agit d'un amendement de dégel du corps électoral, mais pour une fois.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Non. Le dégel est définitif, mais les critères d'inscription sur la liste seront différents.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Cet amendement, en l'état, est moins disant que ce que propose le Gouvernement.

Madame Narassiguin, M. Metzdorf est élu, il mérite du respect. Il appartient à la majorité présidentielle, ce qui n'est pas encore le cas du président Retailleau.

M. Rachid Temal.  - Ah bon ?

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Mmes Ruffenach et Backès, que Philippe Bas a rencontrées, sont favorables à la position gouvernementale. Il n'y a pas eu d'injonction mais un travail gouvernemental, amendé par votre commission. Je suis heureux qu'on revienne à une position plus raisonnable, qui nous permettra de lever le stylo durant les négociations.

À la demande du groupe Les Républicains, le sous-amendement n°35 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°163 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 284
Pour l'adoption 204
Contre   80

Le sous-amendement n°35 est adopté.

L'amendement n°18 est retiré.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°4, sous-amendé, est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°164 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés25 6
Pour l'adoption 257
Contre     1

L'amendement n°4, sous-amendé, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°23, présenté par M. Xowie et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Alinéa 3

Après les mots :

loi organique

insérer les mots :

et conforme à la conclusion d'un accord global sur la nouvelle organisation politique signé par les partenaires de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998

M. Robert Wienie Xowie.  - Le Gouvernement pose des ultimatums pour tenter de passer en force, alors que des discussions sont en cours localement. Comment concilier le chemin du pardon avec une telle posture ? Je retire cet amendement et tous les amendements que j'ai déposés.

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

Les amendements nos23, 10 rectifié, 11 rectifié 12 rectifié, 24, 25 rectifié et 26 rectifié sont retirés.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié septies, présenté par M. Naturel, Mmes Primas et Estrosi Sassone, MM. Karoutchi et Lefèvre, Mme Puissat, MM. Somon et Szpiner, Mmes Eustache-Brinio, M. Mercier et Schalck, MM. H. Leroy et Frassa, Mmes Josende, Tetuanui, Aeschlimann et V. Boyer, MM. Panunzi, Brisson, Tabarot, Mandelli, Bazin et Le Gleut, Mmes Valente Le Hir, Petrus et Muller-Bronn, MM. Sautarel, Burgoa, Chaize et Courtial, Mme Gosselin, MM. Milon, Belin et de Nicolaÿ, Mmes Berthet et Lassarade, MM. Meignen, Favreau et Sido, Mmes Lopez, Jacquemet, Malet, P. Martin, F. Gerbaud, Imbert, Pluchet, Belrhiti et Joseph et MM. Bruyen, Cambier, Reynaud, Grosperrin et Omar Oili.

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ce délai est de cinq années pour les électeurs mariés à un membre du corps électoral susmentionné.

M. Georges Naturel.  - Cet amendement réduit de moitié, à cinq ans, le délai minimal de domiciliation sur le territoire calédonien pour devenir électeur quand on est conjoint d'un membre du corps électoral. C'est une mesure de bon sens et de justice démocratique, car s'installer en Nouvelle-Calédonie est un choix de vie.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - La commission préfère s'en tenir au critère d'inscription sur la liste électorale proposé par le Gouvernement. À force d'aménagements, le texte risquerait d'être compliqué à adopter. Laissons les discussions se poursuivre. Les perspectives tracées par le texte, avec la règle des dix ans, sont favorables y compris pour les personnes visées par l'amendement. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°2 rectifié septies n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié septies, présenté par M. Naturel, Mmes Primas et Estrosi Sassone, MM. Karoutchi et Lefèvre, Mme Puissat, MM. Somon et Szpiner, Mmes Eustache-Brinio et M. Mercier, M. H. Leroy, Mmes Josende, Tetuanui, Aeschlimann et V. Boyer, MM. Panunzi, Brisson, Tabarot, Mandelli, Bazin et Le Gleut, Mmes Valente Le Hir, Petrus et Muller-Bronn, MM. Sautarel, Burgoa, Chaize et Courtial, Mme Gosselin, MM. Milon, Belin et de Nicolaÿ, Mmes Berthet et Lassarade, MM. Meignen, Favreau et Sido, Mmes Lopez, Malet, P. Martin, F. Gerbaud, Imbert, Pluchet, Belrhiti et Joseph et MM. Bruyen, Cambier, Reynaud, Grosperrin et Omar Oili.

I.  -  Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Art. 77-2.  -  Le congrès est composé de membres des assemblées des trois provinces. La répartition des sièges du congrès entre les membres de chacune de ces assemblées est fonction de la population respective desdites provinces sur le fondement de la répartition initiale définie par l'accord mentionné à l'article 76, et est révisée avant chaque renouvellement général. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

II. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

.... - Par dérogation à l'article 77-2, la répartition des sièges du congrès est fixée comme suit pour le premier renouvellement général du congrès postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle : 5 membres de l'assemblée de la province des îles Loyauté, 13 membres de l'assemblée de la province Nord et 36 membres de l'assemblée de la province Sud.

M. Georges Naturel.  - Depuis 1998, le Congrès de Nouvelle-Calédonie est constitué des élus des trois provinces : Nord, Sud et îles Loyauté. L'accord de Nouméa a réparti les sièges sur une base essentiellement démographique, en favorisant les indépendantistes. Depuis, les écarts se sont creusés : la province Sud compte 75 % de la population mais seulement 60 % des élus. Un élu de cette province représente plus de 6 300 habitants ; un élu des îles Loyauté, 2 600 ! C'est une rupture du principe d'égalité devant le suffrage. Revenons à une répartition plus proche des équilibres démographiques, qui maintiendrait toutefois, pour des raisons de politique locale, un léger avantage en faveur des provinces Nord et îles Loyauté.

Par ailleurs, nous souhaitons inscrire, pour le renouvellement de décembre, le nombre des membres des assemblées de chaque province, pour éviter tout vote précipité.

Maire durant quinze ans de la deuxième plus grande commune de Nouvelle-Calédonie, j'ai pu mesurer l'aspiration à un destin commun.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par MM. Médevielle et Verzelen, Mmes Bourcier et Lermytte, MM. Wattebled, Chasseing, A. Marc, Chevalier, Brault, V. Louault et Capus et Mme Jacquemet.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  Après l'article 77-1 de la Constitution, il est inséré un article 77-2 ainsi rédigé :

« Art 77-2.  -  À partir du premier renouvellement général des assemblées de provinces et du congrès suivant la publication de la présente loi constitutionnelle, la répartition des sièges entre les trois provinces au congrès de la Nouvelle-Calédonie, telle qu'elle résulte de l'accord mentionné à l'article 76, sera modifiée avant chaque renouvellement afin que cette répartition évolue dans le même sens que l'évolution démographique entre les trois provinces. Les modalités de cette répartition sont prévues par loi organique.

« Pour le premier renouvellement général des assemblées de provinces et du congrès suivant la publication de la présente loi constitutionnelle, la modification de la répartition des sièges entre les trois provinces au congrès de la Nouvelle-Calédonie prend en compte l'évolution démographique depuis l'accord mentionné à l'article 76. »

M. Pierre Médevielle.  - Pour avoir un élu, il faut 2,4 fois plus d'habitants en province Sud que dans les îles. En 1985, le Conseil constitutionnel avait censuré un rapport de représentativité de 2. Le rapport de 1,4 que je propose, avait été accepté en 1988 et en 1998. Bien que restant favorable aux indépendantistes, il est plus juste.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Les arguments de M. Naturel sont importants, mais ce sujet est étranger à la question de la liste électorale, objet principal de ce texte.

Le Conseil d'État admet que les élus ne représentent pas nécessairement le même nombre d'habitants. Mais il faut tenir compte des évolutions : la population de la province Sud est passée de 68 % à 75 %, alors qu'elle ne détient toujours pas plus de 59 % des sièges. Cette question doit être traitée.

Je propose à M. Naturel de rectifier son amendement, en y ajoutant : « par dérogation à l'article 77 de la Constitution, la répartition des sièges entre les provinces au sein du Congrès de la Nouvelle-Calédonie peut être modifiée par une loi organique, prise après avis du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. » Cette question ne serait donc plus constitutionnelle, mais dépendrait d'une simple loi organique. Le pouvoir serait donné au législateur, à la majorité simple.

M. Georges Naturel.  - Je rectifie mon amendement en ce sens.

M. le président.  - Ce sera donc l'amendement n°3 rectifié octies.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - L'amendement ainsi rectifié devrait satisfaire M. Médevielle : retrait, sinon avis défavorable à l'amendement n°1 rectifié bis.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Il me semble contradictoire d'appeler d'un côté à maintenir la liste électorale pour les élections provinciales dans l'attente d'un accord, et de l'autre, de modifier la répartition des sièges au Congrès, ce qui relève manifestement du champ de l'accord.

L'incontestable disproportion dans la représentativité des élus calédoniens devra être traitée. Est-il néanmoins souhaitable d'alourdir la Constitution avec des dispositions appelées à être revues ? Ne préemptons pas le débat sur la représentation au Congrès et donc le gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Attendons l'accord. Je rappelle que les provinces ont été créées pour répartir le pouvoir entre indépendantistes, au Nord et dans les îles, et non-indépendantistes, au Sud.

Sagesse sur l'amendement n°1 rectifié bis de M. Médevielle.

J'attends de disposer de l'amendement rectifié de M. Naturel pour me prononcer. Pouvez-vous me le fournir ?

M. le président.  - L'amendement n° 3 rectifié octies va être distribué.

La séance est suspendue quelques instants.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avis défavorable à l'amendement n°3 rectifié octies.

Je maintiens mon avis de sagesse sur l'amendement n°1 rectifié bis de M. Médevielle, tout en attirant l'attention du Sénat sur le fait qu'il n'est pas conforme à l'esprit du texte du Gouvernement.

La séance, suspendue à 19 h 20, reprend à 19 h 30.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avis défavorable à l'amendement n°3 rectifié octies. Sagesse sur l'amendement n°1 rectifié bis. Ces questions sont légitimes, mais elles relèvent plutôt de l'accord local.

M. Philippe Bonnecarrère.  - Le groupe UC votera contre l'amendement n°3 rectifié octies : il faut que la révision constitutionnelle puisse aboutir et que les élections aient lieu.

Nous avons compris l'importance que revêtait le sous-amendement n°35 pour le Gouvernement et le groupe Les Républicains. S'il avait été rejeté, la capacité à dégager une majorité au Sénat, ou, à tout le moins, la majorité des trois cinquièmes au Congrès était menacée.

La nouvelle rectification qui vient d'être introduite avec l'amendement n°3 rectifié octies franchit une ligne rouge. Nous sommes d'accord sur le dégel du corps électoral, mais n'avons jamais envisagé de modifier la répartition des sièges entre les provinces. Déclasser la répartition des sièges, c'est-à-dire déconstitutionnaliser cette partie des accords de Nouméa, est une lourde responsabilité, susceptible d'entraîner de sérieuses difficultés sur place. Nous voterons contre.

M. Rachid Temal.  - Nous nous opposerons à ces amendements qui ne correspondent pas à l'objet initial du texte. On va très loin, et cela complexifierait les discussions locales.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez déjà beaucoup obtenu sur le dégel, il faut savoir s'arrêter. À trop charger la barque, on risque de la renverser.

Monsieur le ministre, je suis satisfait que vous vous opposiez à l'amendement n°3 rectifié octies, mais surpris par votre avis de sagesse sur l'amendement n°1 rectifié bis.

M. Georges Naturel.  - Je vois que mon amendement et celui de M. Médevielle font débat... Mon objectif est que la loi soit votée. On a besoin, en Nouvelle-Calédonie, d'organiser des élections rapidement pour construire un destin commun.

Le rapporteur m'a sollicité pour que je modifie mon amendement, afin d'éviter une nouvelle discussion constitutionnelle ; je l'en remercie. Je maintiens mon amendement et je fais confiance à chacun.

L'amendement n°3 rectifié octies n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°1 rectifié bis.

M. le président.  - Amendement n°16, présenté par Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéas 4 à 7

Supprimer ces alinéas.

Mme Corinne Narassiguin.  - Ne renvoyons pas au pouvoir réglementaire le soin de mettre en oeuvre ce projet de loi organique et ne contournons pas le Parlement. Le législateur organique doit délibérer sur la modification du corps électoral.

M. le président.  - Amendement identique n°32, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Mme Mélanie Vogel.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Bas, au nom de la commission.

Alinéa 4

1° Remplacer la référence :

77-1

par la référence :

46

2° Remplacer les mots :

décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres

par les mots :

une loi organique votée dans les conditions prévues à l'article 45

3° Remplacer le mot :

septembre

par le mot :

octobre

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Ne donnons pas au pouvoir réglementaire une habilitation pour traiter de questions qui relèvent de la loi organique. Le suffrage n'est pas une matière réglementaire.

Avis défavorable aux amendements nos16 et 32 au profit de l'amendement n°5.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avis défavorable aux trois amendements. Sans décret, on ne tiendrait pas les délais. Il me semblait que nous nous étions mis d'accord sur cette position. L'adoption de l'amendement n°5 rendrait l'organisation des débats très délicate.

Mme Corinne Narassiguin.  - Je retire mon amendement au profit de l'amendement n°5 dont la rédaction est plus robuste juridiquement.

Les amendements identiques nos16 et 32 sont retirés.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Monsieur le ministre, je comprends l'argument des délais, mais nous avions anticipé votre inquiétude en prévoyant de recourir à une loi ordinaire, et non à une loi organique. Ainsi, les choses seront plus simples.

Nous savons voter des textes rapidement ! L'argument des délais n'est pas valable, mais n'hésitez pas à nous en proposer d'autres.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Monsieur Bas, vos propositions n'ont pas toujours été d'une grande cohérence. Je goûte peu votre remarque.

En commission, vous m'avez reproché de ne pouvoir tenir les délais. Dès lors, quoi de mieux qu'un décret pour y parvenir ? Que faire si le Gouvernement devait convoquer les élections sans majorité à l'Assemblée nationale pour les autoriser ? Vous nous faites courir le risque de ne pas pouvoir les organiser.

Que le groupe socialiste soit favorable à cet amendement devrait vous interpeller...

M. Rachid Temal.  - On est les méchants !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Je me méfie des Grecs, même lorsqu'ils apportent des cadeaux.

Si vous ne confiez pas au Gouvernement le soin de convoquer les élections, celles-ci risquent de ne pas pouvoir se tenir. Mais peut-être est-ce le match retour, après la demande de rectification de l'amendement de M. Naturel par la commission...

Si le projet de loi constitutionnelle n'est pas voté à l'identique par les deux chambres, nous n'aurons pas de révision constitutionnelle le 1er juillet. Même en passant par une loi ordinaire, n'oublions pas qu'une pandémie a récemment sévi, que la guerre est aux portes de l'Europe et qu'une motion de censure ou une dissolution sont toujours possibles.

Dès lors, comment organiser les élections avec autant d'imprévisibilité ? Il faut être raisonnable. N'inscrivons pas dans la Constitution la convocation des électeurs, c'est le travail du ministère de l'intérieur. Je le répète : s'il était adopté, l'amendement du rapporteur m'empêcherait d'agir.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Souffrez que nous ayons un désaccord. Il s'agit de la liste électorale et non du décret de convocation des électeurs. En tant que parlementaires, nous ne pouvons accepter que vous ne respectiez pas le Parlement ; ces questions ne relèvent pas du pouvoir réglementaire. Et nous vous offrons la garantie d'un traitement rapide, via la loi ordinaire.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Monsieur le rapporteur, je ne vous permets pas de dire que je ne respecte pas le Parlement. Vous n'êtes pas le Parlement à vous seul. Les contradictions existent parfois entre vous et votre majorité. Vous commandez le Sénat, sans doute, même si cela reste encore à démontrer : les discussions ne sont pas si simples avec vos amis centristes ou avec le président de la commission des lois, qui, pour la première fois, sous-amende un amendement du rapporteur. (M. Philippe Bas proteste.)

En tout cas, vous ne commandez pas l'Assemblée nationale. Il est troublant que le groupe socialiste s'aligne sur votre position.

Nous ne pourrons pas organiser les élections provinciales si vous ne confiez pas au Gouvernement le soin de le faire. Concrètement, votre proposition empêche le texte de s'appliquer. Mais le Sénat votera comme il l'entend, bien évidemment.

Mme Lana Tetuanui.  - Je donne raison au ministre. Il s'agit d'un décret de convocation des électeurs.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Non !

Mme Lana Tetuanui.  - Nous avons prévu tant de garde-fous dans la loi. On a l'habitude des décrets qui convoquent les électeurs. (Mme Corinne Narassiguin le conteste.) Je voterai contre l'amendement du rapporteur.

L'amendement n°5 est adopté.

(M. Gérald Darmanin le déplore.)

L'article 1er, modifié, est adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°15, présenté par Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Supprimer cet article.

Mme Corinne Narassiguin.  - Le Gouvernement s'est mis lui-même dans la seringue. Le Conseil d'État a rappelé le délai constitutionnel de novembre 2025, mais c'est bien le Gouvernement qui a privilégié la fin de l'année 2024.

Bien sûr, nous souhaitons que les élections aient lieu le plus rapidement possible, mais laissons les acteurs locaux s'organiser. Ils sont les meilleurs juges, et ont toujours su trouver le chemin.

M. le président.  - Amendement identique n°28, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Mme Mélanie Vogel.  - Défendu.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Nous donnons la priorité à l'accord : le processus pourra être interrompu jusqu'à dix jours avant les élections. Nous supprimons ce qui a été compris comme un ultimatum au 1er juillet 2024. Avis défavorable à la suppression de l'article, qui est nécessaire pour que ces règles entrent en vigueur.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Même avis.

Les amendements identiques nos15 et 28 ne sont pas adoptés.

M. le président.  - Amendement n°17, présenté par Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

I.  -  Alinéa 1, première et deuxième phrases

Remplacer la date : 

1er juillet 2024 

par la date : 

1er juillet 2025 

II.  -  Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa : 

Par dérogation au premier alinéa de l'article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province ont lieu au plus tard le 30 novembre 2025. La liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l'article 189 de la même loi organique sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

Mme Corinne Narassiguin.  - Cet amendement de repli laisse le maximum de temps aux parties, et s'en remet donc à la position du Conseil d'État : un dégel du corps électoral au 1er juillet 2025, avec des élections au plus tard en novembre 2025. Ne posons pas d'ultimatum.

M. le président.  - Amendement n°33, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Alinéa 1, première et deuxième phrases

Remplacer l'année :

2024

par l'année :

2025

Mme Mélanie Vogel.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°30, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Alinéa 1, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

si l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie l'a approuvé par un avis adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés

Mme Mélanie Vogel.  - Cet amendement atténue la dimension unilatérale du projet de loi constitutionnelle, en conditionnant son entrée en vigueur à une approbation à la majorité des trois cinquièmes du Congrès de la Nouvelle-Calédonie - une belle symétrie des formes !

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Bas, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 1

1° Deuxième phrase

Remplacer les mots :

le Conseil constitutionnel saisi

par les mots :

les présidents des deux assemblées du Parlement saisis

et le mot :

constate

par le mot :

constatent

2° Dernière phrase

Remplacer les mots :

Le Conseil constitutionnel se prononce

par les mots :

Ils se prononcent

et le mot :

sa

par le mot :

leur

II.  -  Alinéa 2, première phrase

Supprimer cette phrase.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Le Gouvernement a prévu que le Conseil constitutionnel constate l'existence d'un accord avant le 1er juillet 2024. Nous lui substituons une décision conjointe des présidents des deux assemblées, indépendantes et non parties à l'accord.

M. le président.  - Sous-amendement n°19 à l'amendement n°6 de M. Bas, au nom de la commission, présenté par Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Amendement n° 6, alinéa 15

Compléter cet alinéa par les mots :

après consultation officielle des présidents de groupe des deux assemblées

Mme Corinne Narassiguin.  - Nous souscrivons à l'esprit de l'amendement n°6 du rapporteur. Nous ne voulons pas que le Parlement soit contourné. Nous voulons aussi que les présidents de tous les groupes soient consultés, pour aboutir à un avis transpartisan.

M. le président.  - Amendement n°31, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

I.  -  Alinéa 1, deuxième phrase 

Après le mot :

ministre

insérer les mots : 

, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, le Président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ou le Vice-Président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

II.  -  Alinéa 2, première phrase 

Supprimer cette phrase.

Mme Mélanie Vogel.  - Qui constate l'accord ? Au Conseil constitutionnel de trancher cette question. Nous voulons élargir la liste des acteurs pouvant saisir le Conseil constitutionnel non seulement aux présidents des deux assemblées, mais aussi au président et au vice-président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Nous allons plus loin que l'amendement n°6.

M. le président.  - Amendement n°7 rectifié, présenté par M. Bas, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 1

1° A la deuxième phrase

remplacer les mots :

avant le 1er juillet 2024

par les mots :

au plus tard dix jours avant la date des élections pour le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle

2°  Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

Le Gouvernement présente en conseil des ministres un projet de loi organique visant à reporter le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, afin de permettre l'adoption des mesures constitutionnelles, organiques et législatives nécessaires à la mise en oeuvre dudit accord. L'adoption en conseil des ministres de ce projet de loi organique emporte, le cas échéant, report du décret de convocation des électeurs pour ledit scrutin.

II.  -  Alinéa 2, après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Par dérogation à l'article 46 de la Constitution, la loi organique précitée est votée dans les conditions prévues à l'article 45.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Nous voulons prendre en compte un accord, au plus tard dix jours avant la date des élections. La loi organique dérogera aussi à l'article 46 de la Constitution, à savoir les délais d'adoption d'une loi organique, pour relever de l'article 45.

M. le président.  - Sous-amendement n°21 à l'amendement n°7 rectifié de M. Bas, au nom de la commission, présenté par Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Amendement n° 7 rectifié

Après l'alinéa 1

Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :

... ° A la première phrase

Remplacer l'année : 

2024 

par l'année : 

2025

Mme Corinne Narassiguin.  - Nous comprenons et approuvons l'intention du rapporteur. Il s'agit de donner toutes ses chances à la prise en compte d'un accord tripartite. La date du 1er juillet 2024 est problématique. Pour plus de lisibilité, et pour lever tout soupçon d'ultimatum sur le projet de loi, nous proposons la date du 1er juillet 2025.

M. le président.  - Sous-amendement n°34 à l'amendement n°7 rectifié de M. Bas, au nom de la commission, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Amendement n° 7 rectifié

I. - Alinéas 7 et 8 

Supprimer ces alinéas.

II. - Alinéa 11, au début

Insérer deux phrases ainsi rédigées : 

Lorsque la conclusion de l'accord a été constatée, et s'il ne l'a pas déjà fait, le Gouvernement est tenu de présenter dans les plus brefs délais en conseil des ministres un projet de loi organique visant à reporter le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, afin de permettre l'adoption des mesures constitutionnelles, organiques et législatives nécessaires à la mise en oeuvre dudit accord. L'adoption en conseil des ministres de ce projet de loi organique emporte, le cas échéant, report du décret de convocation des électeurs pour ledit scrutin.

Mme Mélanie Vogel.  - Défendu.

M. le président.  - Sous-amendement n°20 à l'amendement n°7 rectifié de M. Bas, au nom de la commission, présenté par Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Amendement n° 7 rectifié, alinéa 11

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Par dérogation au premier alinéa de l'article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province peuvent avoir lieu au plus tard le 30 novembre 2025. La liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l'article 189 de la même loi organique sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

Mme Corinne Narassiguin.  - Pour éviter toute contradiction dans le calendrier, nous offrons la responsabilité de reporter les élections jusqu'au 30 novembre 2025.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Avis défavorable aux amendements nos17 et 33, qui interdiraient la tenue des élections en 2024 : la loi constitutionnelle doit entrer en vigueur pour prendre les textes nécessaires, et notamment la loi organique. Il faut que ces élections aient lieu pour dégager un espace pour les futures négociations, qui ne peuvent se tenir durant la campagne électorale.

L'amendement n°30, qui conditionne l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle à un vote à la majorité qualifiée du Congrès, mettrait en péril la possibilité de tenir des élections en 2024. Avis défavorable.

Avis défavorable au sous-amendement n°19. Les présidents des deux chambres sont des autorités constitutionnellement indépendantes. Cela ne les empêche pas de consulter les présidents de groupe.

Même avis sur l'amendement n°31, pour les mêmes raisons.

Avis défavorable aux sous-amendements de repli nos21 et 20.

Le sous-amendement n°34 est très judicieux : j'en ai tenu compte dans la nouvelle version de mon amendement n°7 rectifié. Retrait ?

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avis défavorable à l'ensemble des amendements et sous-amendements.

Votre amendement n°6 politise le constat de l'accord. Or il nous faut un notaire : le Conseil constitutionnel serait la solution la moins politique. Il est original de demander aux présidents des assemblées de sortir de leur rôle politique pour jouer ce rôle. Mais si c'est ce que veut le Sénat, le Gouvernement n'y voit pas d'inconvénient.

Les présidents des deux assemblées font aussi de la politique. Le président Larcher est membre des Républicains, la présidente Braun-Pivet de Renaissance, deux partis non indépendantistes : cela politise davantage le débat. Mais vous pouvez aussi associer tous les groupes politiques, comme le propose le groupe socialiste...

Votre amendement n°7 rectifié pose davantage problème. Vous voulez une loi organique votée sous forme de loi ordinaire pour décaler les élections.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Non.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Vous supprimez la date du 1er juillet 2004, et estimez qu'il est possible de faire voter une loi dans les deux assemblées jusqu'à dix jours avant les élections. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! Mais si les assemblées ne peuvent se réunir à temps, que faisons-nous ?

Le Sénat a beaucoup de chance, il ne peut être dissous par le Président de la République. En contrepartie, il ne peut pas renverser le Gouvernement, sans quoi je ne serais plus devant vous depuis un certain temps... (Sourires)

Monsieur Naturel, la loi sera contrôlée par le Conseil constitutionnel. Si celui-ci la censure, on ne pourra pas tenir les élections... Voilà ce que vous avez voté ! Sans date butoir, il faudra convoquer les chambres pour reporter la date. Vous videz de toute substance ce que nous faisons.

M. Georges Naturel.  - L'avis du Conseil d'État évoque un accord signé par les signataires de l'accord de Nouméa. Or il n'en reste plus beaucoup ! Je crois que je suis le seul élu pouvant encore y participer... Qui en Nouvelle-Calédonie peut signer cet accord ?

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Effectivement...

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Si l'amendement n°7 rectifié était ce que le ministre en a compris, je ne l'aurais pas présenté.

En réalité, si un accord survenait jusqu'à dix jours avant le scrutin, le Gouvernement présenterait en conseil des ministres un projet de loi reportant les élections. L'adoption en conseil des ministres vaudrait retrait du décret de convocation des électeurs. Vous seriez alors très heureux de la conclusion de cet accord global et vous auriez le temps de faire les choses correctement pour l'appliquer.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - L'argumentation du rapporteur montre la complexité de l'amendement : il faut un projet de loi organique, un avis du Conseil d'État... Or je ne suis pas tenu de présenter un projet de loi. Tout cela alors que les électeurs ont déjà été convoqués !

Onze jours avant, il faudrait donc que le Président de la République convoque en urgence un conseil des ministres pour un projet de loi organique ?

Monsieur Bas, j'ai bien compris votre amendement, extrêmement complexe, qui met en péril la démocratie en Nouvelle-Calédonie. Laissons le Gouvernement agir par décret.

L'amendement n°17 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos33 et 30.

Le sous-amendement n°19 n'est pas adopté.

L'amendement n°6 est adopté.

L'amendement n°31 n'a plus d'objet.

Le sous-amendement n°21 n'est pas adopté.

Le sous-amendement n°34 est retiré.

Le sous-amendement n°20 n'est pas adopté.

L'amendement n°7 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par M. Bas, au nom de la commission.

Alinéa 1, deuxième phrase

Après le mot :

Nouvelle-Calédonie

insérer les mots :

en vue d'assurer à tous les citoyens de Nouvelle-Calédonie un destin commun

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Nous précisons que l'accord vise à « assurer à tous les citoyens de Nouvelle-Calédonie un destin commun ». Cette notion, symboliquement importante, figurait en tête de l'accord de Nouméa.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Vous préemptez le contenu de l'accord ! Celui-ci est susceptible de déboucher sur l'indépendance, l'indépendance-association, une partition, le Commonwealth... Avec cet amendement, vous enfermez l'accord. Ce n'est pas ainsi que l'on négocie.

L'amendement n°8 est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

M. le président.  - Nous avons terminé l'examen des articles. Les explications de vote et le vote sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle se dérouleront mardi 2 avril, à 14 h 30.

Modification de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date de ce jour, Mme Maryse Carrère, présidente du RDSE, a souhaité inverser l'ordre d'examen des deux propositions de loi inscrites à l'ordre du jour de l'espace réservé de son groupe le jeudi 11 avril.

Acte en est donné.

La séance est suspendue à 20 h 15.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 45.

Accord en CMP

Mme la présidente.  - La commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

Aide publique au développement (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi du 4 août 2021.

Discussion générale

Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Rachid Temal et Louis Vogel applaudissent également.) Le niveau inédit de nos efforts en matière de solidarité internationale nous oblige à rendre des comptes. Après plusieurs années de baisse, la France a engagé en 2017 un processus de refondation de sa politique d'aide publique au développement (APD) pour asseoir sa crédibilité diplomatique et répondre aux grands enjeux mondiaux.

Les chiffres de l'APD pour 2022 sont historiques. Avec 15 milliards d'euros, la France est le quatrième bailleur mondial et a dépassé son objectif intermédiaire de 0,55 % du revenu national brut (RNB).

La mission « Aide publique au développement » est cependant mise à contribution comme les autres pour les économies annoncées. Il est d'autant plus crucial que les projets soutenus aient une incidence concrète.

La secrétaire d'État Chrysoula Zacharopoulou est engagée sur le terrain.

Le sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial a mobilisé la communauté internationale sur ce défi du financement, de la lutte contre la pauvreté et de la préservation de la planète. Nous continuons de porter cette ambition grâce au pacte de Paris pour les peuples et la planète, aujourd'hui soutenu par 54 partenaires.

La loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, promulguée le 4 août 2021, a marqué une étape importante. Un conseil présidentiel du développement a fixé en mai 2023 dix objectifs prioritaires précisés par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de juillet 2023 pour un changement de paradigme : la politique d'aide publique au développement s'est transformée en stratégie d'investissement solidaire. Ce choc de méthode doit permettre de rendre compte de notre action plus efficace, grâce à un pilotage politique renforcé.

L'efficacité de notre action passera par l'évaluation des effets de notre action.

Une commission indépendante d'évaluation a été prévue par la loi du 4 août 2021, mais n'a pas encore été installée. Beaucoup ont déploré ce retard. Mais n'ayez aucun doute : le Gouvernement a bien la volonté de la mettre en place rapidement.

Notre objectif est de débloquer cette mesure importante de la loi de 2021 et de conforter ses missions : évaluer les projets et les programmes, et non simplement contrôler l'usage des fonds.

Nous sommes disposés à héberger cette commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui se porte garant de son indépendance. Il n'en serait pas l'autorité de tutelle, et des moyens humains et financiers supplémentaires lui seraient alloués.

L'évaluation doit être envisagée comme un outil d'amélioration de nos actions.

Nos investissements répondent à des besoins vitaux, mais s'inscrivent aussi dans le temps long, pour que les populations soient mieux armées pour faire face aux conséquences du dérèglement climatique et aient accès à une source d'énergie décarbonée.

Il est crucial que nos concitoyens prennent conscience que nos actions en faveur du climat, de la santé, de l'agriculture partout dans le monde, contribuent également à leur avenir et à celui de leurs enfants. La mise en place rapide de la commission d'évaluation de l'APD est nécessaire. Aussi je vous invite à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Christian Cambon, rapporteur de la commission des affaires étrangères .  - Cette proposition de loi vise - enfin ! - à mettre en place la commission d'évaluation de l'APD plus de deux ans après sa création théorique par la loi de 2021.

L'Agence française du développement (AFD), son principal opérateur, a vu son budget passer de 6 milliards d'euros en 2009 à 14 milliards en 2020. Il a fallu recruter, et l'aide a été élargie à de nouveaux pays. Elle a prospecté dans le monde entier pour placer ses prêts à des taux proches du marché dans des pays qui n'en avaient pas tous besoin ; mais l'AFD a récemment renforcé ses dons, en se concentrant sur les pays les plus démunis et les besoins vitaux tels que la santé et l'éducation.

De cette expansion ne pouvait résulter qu'une demande accrue de contrôle et d'évaluation.

Il est difficile d'appréhender l'efficacité d'une politique de solidarité internationale : les projets sont menés dans des pays et avec des acteurs dont nous avons par définition une connaissance limitée. À tort ou à raison, nous nous interrogeons parfois sur leur efficacité et leur bien-fondé.

Il existe actuellement trois organismes d'évaluation interne, au ministère des finances, au Quai d'Orsay et au sein de l'AFD. Les évaluations sont menées par des cabinets de conseil sélectionnés sur appels d'offres sous la direction d'une équipe de responsables administratifs des ministères ou de l'AFD.

Outre ces dispositifs, des évaluations externes peuvent être réalisées par l'OCDE, des ONG, la Cour des comptes ou le Parlement.

Les évaluations internes sont bien informées, mais aboutissent parfois à des conclusions stéréotypées ou peu incisives, faute d'indépendance, et ont du mal à faire face à l'éclatement des acteurs. Les évaluateurs externes ne disposent pas toujours des données ou analyses nécessaires pour produire les évaluations les plus pertinentes.

La France n'est pas bien classée en matière de transparence dans ce domaine : l'AFD n'est ainsi qu'au 28e rang sur 50 en matière de transparence des donneurs, selon l'ONG Publish What You Fund.

L'analyse porte souvent plus sur les processus de gestion que sur l'impact final et la pérennité des actions au service de l'influence de notre pays.

C'est pour dépasser toutes ces limites que nous avons créé la commission d'évaluation, sur le modèle de ce qui existe au Royaume-Uni. Cette commission sera indépendante de l'AFD. Un collège de parlementaires, introduit par notre commission, renforce son indépendance et assure la prise en compte de nos préoccupations.

Nous voulions une véritable autorité administrative indépendante (AAI), mais son coût aurait été considérable et elle été aurait une couche de plus dans le millefeuille administratif.

Il fallait bien adosser la commission à une organisation préexistante apte à en assurer le secrétariat. C'est ainsi que l'Assemblée nationale a choisi la Cour des comptes.

Le décret d'application du 6 mai 2022 avait déjà accentué le rôle de cet organisme en faisant siéger deux de ses membres, dont son premier président, au sein de la commission. Cette solution nous éloignait du projet initial d'un organisme sui generis, spécialisé et davantage tourné vers l'évaluation plutôt que le contrôle.

C'est pourquoi, après des péripéties, le président Bourlanges a déposé cette proposition de loi qui la rattache au Quai d'Orsay. C'est le plus simple à mettre en oeuvre, donc le plus susceptible d'assurer une mise en place rapide. Les experts de la commission, indépendants, doivent déposer une déclaration d'intérêts.

N'oublions pas l'apport du Sénat : la présence des parlementaires, autre garantie d'indépendance.

La loi ne pouvant entrer dans un trop grand luxe de détails, nous avons donc demandé à être associés, comme la commission de l'Assemblée nationale, à l'élaboration des décrets précisant l'organisation de la future commission.

M. Rachid Temal.  - Comme la dernière fois ?

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Nous espérons qu'une personnalité indépendante sera élue à la tête de la commission et estimons que ce doit être un emploi à temps plein. Enfin, il serait pertinent qu'un représentant de la coopération décentralisée y siège.

M. Rachid Temal.  - Il y a un amendement pour cela !

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Ce texte reste très proche de la loi de 2021 adoptée à l'unanimité. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères et de la défense l'a adopté conforme.

Mettons fin à un feuilleton qui n'a que trop duré. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Ludovic Haye et Raphaël Daubet applaudissent également.)

M. Olivier Cadic .  - En mai 2021, nous avons voté à la quasi-unanimité une loi qui a porté les crédits de l'APD à 0,55 % du RNB avec l'objectif d'atteindre 0,7 % en 2025.

Notre approche est différente de celle de la Chine, pour qui win win, c'est quand la Chine gagne deux fois... Différente de celle de la Russie, qui confond développement et aide à la personne : Poutine donne en effet 1 000 francs CFA à chaque manifestant pour porter des pancartes anti-françaises et nous chasser de certains pays. À Bangui, un manège a été installé devant la maison de la Russie, belle illustration de sa volonté de faire tourner les Africains en rond...

Climat, biodiversité, paix, éducation, urbanisme, santé, gouvernance, les équipes de l'AFD sont engagées dans plus de 4 000 projets dans 150 pays.

Lors de l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement », plusieurs collègues ont insisté sur la nécessaire amélioration du contrôle.

La France a mis en oeuvre de nombreux projets dont j'ai pu avoir connaissance à travers mes déplacements. L'an dernier, à Antananarivo, j'ai participé à l'inauguration du parcours touristique de la Haute Ville permettant d'assainir des quartiers prioritaires. Ceint de mon écharpe tricolore, j'ai vu la joie des habitants profitant des nouveaux points d'eau. Quelle joie de les entendre crier : « Vive la France ! » Notre APD est un outil essentiel au service de notre stratégie d'influence. Nous devons assumer cette ambition sans naïveté.

La commission d'évaluation de l'APD répond à une demande du Parlement, particulièrement du Sénat. Mais, deux ans après la promulgation de la loi qui la crée, elle n'est toujours pas mise en place. Elle est pourtant nécessaire, car l'évaluation de la politique de l'APD est perfectible.

La France n'est pas la mieux classée pour la transparence, d'autant plus nécessaire que les montants sont passés de 9,5 à près de 15 milliards euros entre 2016 et 2023.

Dans son rapport d'août 2018 sur la modernisation de la politique partenariale, Hervé Berville, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, plaidait pour que l'évaluation devienne un axe central de l'APD.

Un cadre d'évaluation adéquat est de nature à améliorer l'efficacité de l'action publique. Il faut aussi un dialogue approfondi sur les objectifs stratégiques. L'indépendance de la commission est capitale.

La commission aura deux collèges, l'un constitué de deux députés et deux sénateurs, l'autre de dix personnalités qualifiées. Son président est élu parmi ses membres. Elle peut être saisie par le Parlement.

La commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale avait prévu de la placer auprès de la Cour des comptes, son secrétariat étant assuré par celle-ci. L'article 2 du décret du 6 mai 2022 précise la composition du collège d'experts. Le président devant être élu par ses membres, cela aurait abouti à l'élection du premier président de la Cour des comptes. Cela ne répondait pas à la volonté du législateur de créer un instrument nouveau. Il paraît clair que les résultats de l'APD ne peuvent se mesurer sous le seul prisme financier.

J'ai eu l'occasion d'apprécier l'engagement de Chrysoula Zacharopoulou. Nous aussi, parlementaires, devons mouiller l'écharpe tricolore en inaugurant les projets. Il y va du rayonnement et de l'influence de notre pays.

Cette proposition de loi rattache la commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères et précise ses missions. Le groupe UC s'associe à la position du rapporteur, afin que la mise en place de la commission ne soit pas retardée. (M. Christian Cambon applaudit.)

M. Akli Mellouli .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Patrice Joly, Rachid Temal et Raphaël Daubet applaudissent également.) La fraternité et la sororité sont des valeurs au coeur de notre engagement républicain. C'est ce qui crée du lien. C'est ce qui permet la solidarité et le partage entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui n'ont pas assez.

Les pays de l'OCDE affichent un revenu par habitant 52 fois plus important que les pays les plus pauvres. Le dérèglement climatique a des effets destructeurs, et les problèmes d'accès à l'eau se multiplient.

La France doit continuer à faire rayonner ses valeurs de fraternité et de sororité, avec éthique, équité et transparence. Nous réalisons tous l'importance cruciale de l'APD. Les Nations unies ont ainsi structuré leurs actions en matière de développement solidaire et durable en se fixant des objectifs à horizon 2030.

Deux ans après la loi de programmation, il est nécessaire de tirer un bilan pour gagner en efficience et en transparence.

Je salue l'engagement d'allouer 0,7 % du RNB à l'APD ; malheureusement, il n'est pas tenu. La hausse devait être progressive, de 5 milliards d'ici deux ans, mais le Gouvernement a annoncé 800 millions d'euros d'économies sur ce poste, soit plus de 10 % des aides attribuées chaque année. Cette incohérence écorne l'image de notre pays, d'autant que nous avons organisé, pas plus tard qu'en juin dernier, un sommet ambitieux pour un nouveau pacte financier. Un manquement apparaîtrait comme un renoncement.

Alors que la France a connu de nombreuses difficultés sur la scène internationale, notamment en Afrique, un énième renoncement serait perçu comme un signe de faiblesse par ceux qui aimeraient voir notre pays s'affaisser au niveau d'une puissance moyenne sur le plan géopolitique. C'est pourquoi il faut atteindre l'objectif de 0,7 %.

En Afrique, il est nécessaire de nous projeter vers l'avenir en reconnaissant et en assumant le passé colonial. L'APD peut contribuer à réparer les séquelles laissées par des siècles de domination. Il ne s'agit pas de charité, mais de justice et de reconnaissance.

Écartons le néocolonialisme économique. Il faut privilégier les dons aux prêts, alors que de nombreux pays luttent déjà contre des difficultés financières accrues par le changement climatique. Comme le Cese, je suis favorable à des sources de financement innovantes, telles que les taxes sur les transactions financières ou sur les billets d'avion.

Toute notre politique d'APD doit être réalisée dans une plus grande transparence, avec un meilleur suivi. C'est ce qui a justifié que la commission d'évaluation soit placée sous l'égide de la Cour des comptes dans la loi de 2021.

Il nous est proposé de la placer auprès du Quai d'Orsay ; nous entendons la logique de la proposition de loi, mais il faut garantir l'indépendance de la commission.

Je veux enfin rappeler le travail primordial des collectivités territoriales...

Mme la présidente.  - Cher collègue, il faut conclure.

M. Akli Mellouli.  - Il faudra des assises de la solidarité internationale. Nous voterons ce texte tout en restant vigilants sur sa mise en oeuvre. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Robert Wienie Xowie, Rachid Temal et Patrice Joly applaudissent également.)

Mme Michelle Gréaume .  - La commission dont il est question doit évaluer si chaque projet d'APD a réellement amélioré les choses. La loi du 4 août 2021, adoptée dans le consensus parlementaire, a clarifié les rôles des différentes organisations et fixé l'objectif de 0,7 % du RNB dédié à l'APD en 2025.

Mais en mai 2023, le Président de la République a décidé arbitrairement de modifier toutes ces orientations. Le Cicid en a pris acte et a modifié les objectifs de l'APD, alors même qu'ils étaient inscrits dans la loi.

Ces changements ont surtout permis d'assujettir notre APD aux turpitudes de la politique étrangère du président, comme en témoigne la sanction de suspension de l'APD à l'encontre du peuple malien, alors que les pays membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) ont levé leurs sanctions.

Le Cicid a décidé de reporter l'objectif de 0,7 % du RNB, soit un manque à gagner de près de 11 milliards d'euros pour la solidarité internationale entre 2025 et 2030.

Le Gouvernement l'a justifié par la nécessité de réduire le déficit. Ce qui était présenté comme une simple pause s'est transformé en un retour en arrière lorsque le ministère des finances publiques a annoncé couper 800 millions d'euros dans le budget de l'APD.

Il y a moins d'un an, le Président de la République accueillait des dizaines de chefs d'État et de gouvernement afin d'appeler à un sursaut international et à un choc des financements publics. Une telle coupe est incompréhensible et incohérente avec notre action diplomatique. Attention à ne pas perdre notre crédibilité à l'international.

Pourquoi la taxe sur les transactions financières reste-t-elle plafonnée à 528 millions d'euros ?

L'an dernier, le programme des Nations unies pour le développement (Pnud) s'alarmait que l'indice de développement humain ait diminué pendant deux années consécutives pour la première fois depuis 32 ans.

Il faut rehausser le taux de la taxe sur les transactions financières de 0,3 à 0,7 % et élargir son assiette pour que davantage d'entreprises en soient redevables. Le pilotage de l'APD doit être démocratisé.

Il est urgent de créer la commission d'évaluation. C'est pourquoi le groupe CRCE-K votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Guy Benarroche applaudit également.)

M. Raphaël Daubet .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Rachid Temal applaudit également.) Deux ans. Deux ans depuis le décret d'application de la loi, et toujours pas de commission d'évaluation. Il était temps de réagir. Nous parlons de 15 milliards d'euros par an, et d'un budget qui a progressé d'un tiers depuis 2017. La situation internationale est préoccupante et, dans le même temps, cette politique publique devient de plus en plus un outil de diplomatie dans un contexte de déclin de notre influence.

Face au narratif de nombreux États hostiles à la France ou à l'Occident, nos actions méritent d'être connues et reconnues.

L'APD est toujours la cible facile des coupes budgétaires : 742 millions d'euros ont ainsi été rabotés sur l'APD par décret le mois dernier - ce qui en fait le premier poste raboté en pourcentage.

La stabilité, la sécurité et la paix sont pourtant liées à l'APD. Cette politique devra faire la démonstration de son utilité et de sa bonne gestion. Il est temps de créer cette commission.

Rapporteur spécial de ces crédits, je sais qu'on ne peut regarder les enjeux sous la seule focale budgétaire.

La Cour des comptes n'a pas à juger de l'opportunité politique des choix réalisés ; toutefois, le RDSE ne croit pas qu'il soit bienvenu de placer cette commission sous l'autorité du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

M. Rachid Temal.  - Très bien !

M. Raphaël Daubet.  - Ce ministère sera juge et partie, ce qui n'est pas judicieux. Il faut garantir l'indépendance de la commission.

Il était pourtant facile de rattacher cette commission au Parlement, à qui la Constitution confie la mission de contrôler l'action du Gouvernement. C'est pourquoi nous voterons l'amendement de Michel Canévet.

Autre regret : aucun échange formel n'est prévu entre les collectivités locales et la commission. La coopération décentralisée a des choses à nous apprendre : c'est le sens de l'amendement de Rachid Temal.

Le RDSE fera néanmoins le choix du pragmatisme en votant cette proposition de loi pour qu'enfin cette commission soit créée. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI ; MM. Rachid Temal, Akli Mellouli et Guy Benarroche applaudissent également.)

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La France figure parmi les grands contributeurs de l'APD : plus de 15 milliards d'euros en 2022. Cela nous impose une grande responsabilité quant au contrôle de l'emploi de cette aide. La France progresse vers l'objectif de 0,7 % du RNB recommandé par l'ONU.

En temps de crise, il est tentant de réduire l'APD, mais c'est précisément là que le besoin est le plus pressant. Nous défendons une aide fondée sur le partenariat et l'investissement, opérée directement avec la société civile.

L'aide accordée par la France, issue de l'argent du contribuable, doit être contrôlée. Nous devons nous assurer qu'elle ne bénéficie en aucune manière à nos adversaires. Chaque euro compte.

La loi de 2021 prévoyait une commission d'évaluation ad hoc qui remette des rapports au Parlement, lequel vote chaque année les crédits de l'APD. Trois ans plus tard, cette commission n'a toujours pas été réunie.

Aux termes du décret du 6 mai 2022, sa mission s'apparentait de plus en plus à du contrôle budgétaire, avec une présidence confiée dans les faits au premier président de la Cour des comptes. Or l'évaluation de l'APD ne peut être seulement financière.

Les députés nous proposent de préciser les missions de la commission d'évaluation : l'APD doit répondre aux besoins des populations et servir les intérêts de la France. Il serait bien naïf d'agir autrement.

La proposition de loi prévoit le rattachement de la commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. C'est cohérent.

En commission des affaires étrangères et de la défense, le rapporteur Christian Cambon a proposé une adoption conforme du texte. Nous pensons aussi qu'il faut que la commission d'évaluation se réunisse au plus vite. Aussi le groupe Les Indépendants n'a déposé aucun amendement et votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Louis Vogel et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.) Deux ans, depuis l'adoption de la loi du 4 août 2021, dont j'étais corapporteur avec Hugues Saury.

Or ce que l'on nous propose ce soir, c'est du Gérard Majax : la grande illusion ! (Sourires) On nous parle de commission indépendante, mais le mot « indépendante » ne figure nulle part, ni dans l'intitulé, ni dans les modalités.

Les collectivités, importantes pourvoyeuses de l'APD, n'apparaissent pas dans la loi. On nous dit qu'elles seront dans le décret - mais c'est impossible, si elles ne sont pas dans la loi !

Troisième grande illusion : croire que le Sénat aura son mot à dire. Ce soir, c'est rideau. La proposition de M. Bourlanges doit être acceptée conforme, sans débat.

Les budgets associés à la loi adoptée en 2021 sont déjà entamés, la loi de programmation arrivant après coup. On nous demande de nous concentrer sur les crédits des trois prochaines années. Or 742 millions d'euros viennent d'être supprimés, sans débat au Parlement, et on nous dit que rien ne change ?

La loi identifiait dix-neuf pays prioritaires, dont dix-huit en Afrique. Le Président de la République a réuni son conseil présidentiel du développement pour dire que ce n'était plus le cas et inventer d'autres critères transversaux. Drôle de méthode...

Nous discutons de ce texte très tardivement, en l'absence des ministres concernés.

Le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD ne correspond pas à ce que nous avons voté, mais à la loi précédente. Qu'à cela ne tienne, on continue, la musique est trop belle ! Je pourrais aussi citer les rapports budgétaires non reçus...

On nous a demandé de ne pas déposer d'amendements sur le texte, car il fallait agir vite. Mais en deux ans, il s'est passé des choses ! Le Gouvernement a imposé la Cour des comptes comme organisme de rattachement de la commission. Le décret du 6 mai 2022 n'a jamais été appliqué. Et il faudrait accélérer ?

On nous demande d'accepter une commission d'évaluation qui n'est en rien indépendante, qui serait placée sous l'autorité du ministère qu'elle devra évaluer. Au passage, pas un mot sur Bercy dans le texte... C'est extraordinaire ! Même McKinsey n'y aurait pas pensé ! On s'autoévalue, en disant que c'est indépendant ! Cela ne fonctionne pas.

Madame la ministre, dans votre courrier au président Larcher, vous annoncez une CMP sur cette proposition de loi en mai. C'est donc qu'il n'y a pas péril en la demeure, et que nous pouvons discuter et adopter des amendements.

Plutôt que la Cour des comptes, nous proposerons ainsi que la commission soit rattachée à France Stratégie, organisme placé auprès du Premier ministre.

Le texte évoque la « pertinence » des évaluations. Nous proposerons de supprimer ce terme.

Notre troisième amendement, inspiré par les associations d'élus, prévoit que les collectivités locales, qui financent aussi l'APD, soient membres du collège des élus.

M. Philippe Grosvalet.  - Évidemment !

M. Rachid Temal.  - La loi de 2021 était déjà dépassée à sa naissance. Adoptons nos amendements, puis un texte définitif en mai. Nous pourrons ensuite travailler à une nouvelle loi. Nous souhaitons qu'il y ait un débat libre et éclairé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDSE et du GEST)

M. Jean-Luc Ruelle .  - Au coeur de l'été 2021, le Parlement votait à une rare unanimité la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Ce texte rénove en profondeur le cadre de la politique française de l'APD et sa philosophie. Il fixe pour objectif d'y consacrer 0,7 % du RNB d'ici à 2025, renforce les partenariats avec dix-neuf pays prioritaires et revoit le pilotage de l'APD.

Plus de deux ans après ce satisfecit général, subsistent des ombres au tableau. Première carence : rien sur l'instauration des conseils locaux de développement créés au sein des ambassades, leur fréquence, leur composition. Dans certaines ambassades, aucun conseil ne s'est tenu depuis la promulgation de la loi, comme au Sénégal ou au Bénin. Dans d'autres, les conseillers des Français de l'étranger n'ont pas été invités. Ce sont pourtant ceux qui connaissent le mieux les besoins locaux ; leur expertise est précieuse. Je regrette qu'aucun texte réglementaire n'explicite le fonctionnement des conseils locaux de développement.

Deuxième carence, la non-installation de la commission d'évaluation, apport fondamental de la loi du 4 août 2021, inspirée de l'Independent Commission for Aid Impact britannique.

Une évaluation concrète de l'efficience, de l'efficacité et de l'impact des projets d'APD est nécessaire. Il faut passer d'une évaluation comptable à une démarche fondée sur la performance et le pilotage par les résultats : combien de kilomètres de route construits, combien de malades du paludisme soignés, combien de classes ouvertes, combien de femmes ayant eu accès à des protections hygiéniques.

Cette commission n'est donc nullement un énième comité Théodule, mais un outil pertinent de pilotage et de contrôle. Sa mise en place est urgente. La proposition de loi corrige les blocages qui l'ont retardée. Le rattachement initial auprès de la Cour des comptes et le décret du 6 mai 2022 avaient placé les magistrats financiers au coeur du dispositif, donnant la prééminence à l'évaluation budgétaire et financière, loin de l'esprit du législateur. Son placement auprès du ministère de l'Europe et des affaires étrangères évitera ce glissement comptable.

Le texte précise les missions assignées à la commission : évaluation des projets depuis la conception jusqu'à l'application, appréciation des résultats au regard des orientations en matière de politique extérieure et de coopération et des intérêts de la France à l'étranger. Ces clarifications sont de bon aloi.

J'appelle votre attention sur deux points d'importance. Le premier est le détournement des flux d'APD. La Banque mondiale a évalué ce phénomène, dans les 22 pays qu'elle aide le plus, à 5 % des flux. Ces fuites renforcent des régimes corrompus et appauvrissent encore davantage les populations. Saluons à cet égard le mécanisme de contrôle mis en place par l'AFD en Côte d'Ivoire.

Le Président de la République a rappelé la nécessité pour l'AFD de travailler en bonne intelligence avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour déployer des partenariats stratégiques. La commission d'évaluation s'inscrit dans cet objectif. Elle facilitera les relations entre l'AFD et le ministère, auquel son rattachement s'impose.

Je souscris entièrement aux dispositions de cette proposition de loi, que je voterai sans réserve.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Merci.

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC) Cette proposition de loi précise et complète la loi du 4 août 2021.

En 2022, la France, quatrième bailleur mondial, a consacré 15,2 milliards d'euros à l'APD. Notre effort de solidarité se concentre sur dix-neuf pays dits prioritaires, essentiellement africains. En 2020, 39 % de notre APD bilatérale allait vers l'Afrique, soit 3,6 milliards d'euros.

Ces montants appellent une plus grande transparence, d'où la création d'une commission d'évaluation dédiée.

L'évaluation ne se fera pas uniquement à l'aune de critères financiers, mais prendra aussi en compte le respect des objectifs fixés par le conseil présidentiel de développement. Il s'agira de scruter l'avancée des projets d'APD, en posant des questions concrètes : les droits humains sont-ils protégés au Brésil ? L'accès à la santé a-t-il été garanti au Liban ? Combien de femmes auront-elles bénéficié du plan de lutte contre les violences gynécologiques et obstétricales au Sénégal ?

L'AFD est devenue une véritable plateforme pour le développement. Je salue son travail. Celles et ceux qui y travaillent traduisent en action notre politique de développement dans les domaines de la santé, de l'environnement ou de l'éducation, entre autres. La commission d'évaluation rendra justice à leurs efforts.

Elle nous permettra, à nous parlementaires, de prendre part au travail d'évaluation. Quatre parlementaires y siégeront, gage d'une meilleure compréhension de l'APD, notamment lors de l'examen des projets de loi de finances.

Le Gouvernement prévoit de consacrer plus de 6,37 milliards d'euros à l'APD en crédits de paiement dès le budget 2025, somme à la hauteur du travail mené et de celui qui reste à accomplir.

Accompagner les pays les plus fragiles, c'est assurer notre propre sécurité. Les ressources allouées à nos politiques de solidarité internationale servent à la fois un objectif de développement et un objectif de diplomatie. L'APD contribue à des relations bilatérales saines, et partant, à la stabilité mondiale.

Cependant, notre politique de développement reste mal connue du grand public.

La commission d'évaluation n'est toujours pas instituée, en raison de la confusion créée par le décret du 6 mai 2022 qui réservait deux places sur dix aux magistrats de la Cour des comptes, et aurait conduit son Premier président à en être naturellement élu président. Or tel n'était pas le chemin tracé par le législateur.

Cette proposition de loi corrige la surinterprétation de la loi d'août 2021 induite par le décret de mai 2022. Il met fin au blocage et limite tout risque de confusion en rattachant la commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui ne sera toutefois en aucun cas sa tutelle. Au contraire, il garantira l'indépendance de ses travaux. Il gérera son secrétariat et s'assurera de l'absence de conflits d'intérêts.

Le groupe RDPI votera en majorité pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Discussion des articles

Mme la présidente.  - Amendement n°8 rectifié, présenté par MM. Canévet, Delcros, Cambier, Bonneau, Henno, Bonnecarrère et Longeot, Mme N. Goulet, MM. Courtial, Mizzon et Menonville, Mmes Billon et Romagny, M. Folliot, Mmes Jacquemet, Havet et Gatel, MM. Parigi et Kern, Mmes O. Richard et Herzog et M. Bleunven.

Rédiger ainsi cet article :

L'article 12 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est ainsi rédigé :

« Art. 12. - I. - Il est institué une commission d'évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales. Cette commission conduit des évaluations portant sur la politique de développement, notamment sur son efficacité et son impact. Elle contribue a? la redevabilité de cette politique et a? la transparence sur les résultats atteints ainsi qu'a? l'information du public. Le secrétariat de la commission est assure? par les commissions permanentes chargées des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat.

« II. - La commission est constituée de quatre députés et de quatre sénateurs désignés par les commissions permanentes chargées des affaires étrangères et des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat de manière a? assurer une représentation pluraliste, et de quatre personnalités désignées en raison de leurs compétences en matière d'évaluation et de développement, nommées par les présidents de chaque assemblée a? raison de deux membres chacun.

« III. - Les groupes d'amitié de l'Assemblée nationale et du Sénat contribuent aux travaux de la commission, en évaluant de manière annuelle la politique de développement de la France, notamment sur son efficacité et son impact, dans les pays qui les concernent.

« IV. - La commission arrête de manière indépendante son programme de travail. L'État et les autres personnes publiques conduisant des actions en faveur du développement sont tenus de répondre a? ses demandes d'information et de lui apporter leur concours dans l'exercice de ses missions.

« V. - La commission remet au Parlement, une fois par an, un rapport faisant état de ses travaux, conclusions et recommandations. Elle peut être directement saisie de demandes d'évaluation par le Parlement. Elle lui adresse ses rapports d'évaluation.

« VI. - Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale est destinataire du rapport d'évaluation de la commission d'évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales et en tient compte dans l'élaboration des objectifs, orientations et moyens de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.

« VII. - La commission coopère, si elle le juge utile, avec les institutions et organismes d'évaluation des pays bénéficiaires intervenant dans le domaine du développement. »

M. Michel Canévet.  - Le rôle du Parlement est d'assurer le contrôle de l'action publique, selon la Constitution. Les actions de contrôle doivent donc être menées par le Parlement. J'avais déjà proposé cet amendement en 2021, sans succès. Deux ans et demi après, il ne s'est rigoureusement rien passé. Remettons donc l'ouvrage sur le métier.

Cet amendement confie à quatre députés, quatre sénateurs et quatre personnalités qualifiées nommées par les présidents des deux assemblées le contrôle réel de l'action menée en matière d'APD. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances et l'AFD ont chacun en leur sein un outil d'évaluation, il n'est donc pas pertinent de charger le ministère des affaires étrangères de s'autoévaluer.

Mme la présidente.  - Je précise que j'ai été saisie d'une demande de scrutin public par le groupe Les Républicains sur cet amendement.

M. Rachid Temal.  - Eh bien ! Ils ont peur ?

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Je remercie M. Canévet pour son imagination, mais cet amendement se heurte à des difficultés pratiques. Confier à huit parlementaires l'évaluation de 15 milliards d'euros, en plus de leurs autres tâches, irait au-delà de leurs possibilités. Le collège d'experts que nous proposons serait chargé d'expertiser les dossiers, le collège des parlementaires n'intervenant qu'en seconde ligne, en évaluation. Par ailleurs, il n'y a pas lieu d'empiéter sur le travail des commissions permanentes. Le Parlement doit garder un certain recul.

Les groupes interparlementaires d'amitié n'ont aucun pouvoir de contrôle ou d'évaluation. Une telle extension de leur rôle s'apparente à un diverticule constitutionnel qui ne correspond en rien à l'esprit de la loi.

Le seul organe de ce type qui existe est la délégation parlementaire au renseignement ; ce droit d'héberger un secrétariat a trouvé son origine dans une loi organique, ce qui n'est pas le cas ici.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - J'abonde dans le sens du rapporteur, il ne me paraît pas judicieux de faire de cette commission une instance strictement parlementaire.

L'esprit initial du législateur était d'avoir une commission composée à la fois de parlementaires et de personnalités qualifiées, en fonction des ministères concernés. Votre amendement irait à rebours de l'esprit de la loi de 2021. Avis défavorable.

M. Rachid Temal.  - Le groupe Les Républicains nous empêche de débattre et, en plus, bloque les votes en demandant un scrutin public !

L'amendement de M. Canévet prévoit bien des personnalités qualifiées. La commission indépendante le sera d'autant plus si elle est rattachée au Parlement. Nous allons au bout de la logique.

Les parlementaires seront assistés d'autres personnes. Je ne vois pas de raison de ne pas voter cet amendement, sinon qu'il faut un vote conforme... Nous voterons bien sûr pour.

M. Michel Canévet.  - Les propos du rapporteur m'étonnent. Il ne faudrait pas que le Parlement se saisisse du contrôle et de l'évaluation des politiques gouvernementales ? Cela relève pourtant de sa mission constitutionnelle !

Les commissions compétentes au sein des deux chambres continueront à jouer leur rôle. Et nous disposons à travers les groupes d'amitié d'une expertise précieuse, sur laquelle nous pouvons nous appuyer. C'est au Parlement qu'il appartient de mener ce contrôle.

Rattacher la commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères ne va pas dans le bon sens.

Des crédits sont prévus pour que l'on puisse faire appel à des experts indépendants, les parlementaires ne feront donc pas tout mais orienteront l'évaluation. Cet amendement est cohérent avec ce que nous voulons faire. (M. Rachid Temal acquiesce.)

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°8 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°165 :

Nombre de votants 286
Nombre de suffrages exprimés 285
Pour l'adoption 114
Contre 171

L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 3 

Remplacer les mots : 

du ministère des affaires étrangères 

par les mots : 

de France stratégie

M. Rachid Temal.  - Le rapporteur voulait une commission d'évaluation la plus autonome possible. Plutôt qu'une autoévaluation par le ministère lui-même, nous proposons que France Stratégie, organisme autonome rattaché au Premier ministre, porte administrativement la commission d'évaluation.

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéas 3 et 6

Après le mot :

ministère

insérer les mots :

de l'Europe et 

M. Rachid Temal.  - Précisons l'intitulé correct du ministère concerné. Ce dossier a été traité avec amateurisme, manifestement.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Dans cette affaire, prétendre que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères serait à fois le contrôleur et le contrôlé est une erreur et une offense. Le ministère veut au contraire renforcer son contrôle sur l'AFD, bras séculier de l'APD.

Vous voulez rattacher la commission à un organisme placé sous l'autorité du Premier ministre, or je rappelle que le Cicid, présidé par ce même Premier ministre, s'éloigne des orientations fixées par le Parlement...

M. Rachid Temal.  - Rien à voir.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Confier l'évaluation aux services du Premier ministre est une très mauvaise stratégie. La proposition de domicilier la commission d'évaluation chez France Stratégie ne correspond pas aux attentes du législateur de 2021. Avis défavorable.

Avis défavorable également à l'amendement n°2. L'intitulé du ministère est souvent imprécis dans la loi car il change souvent. Le décret rectifie ce type d'erreur. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - L'enjeu est de savoir si, placé sous la tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, la commission serait ou non indépendante. On ne parle que d'un hébergement, donc d'une indépendance de fait. Le ministère aura un simple rôle de secrétariat administratif.

En outre, l'article 12 de la loi du 4 août 2021, dont vous étiez corapporteur, monsieur Temal, dispose que la commission est composée d'un collège de parlementaires, dont nul ne doute qu'ils sont indépendants, et d'un collège d'experts indépendants. Tous sont donc indépendants. Avis défavorable aux deux amendements.

M. Rachid Temal.  - Madame la ministre, c'est vous qui n'avez pas su mettre en application la loi votée par le Parlement à la quasi-unanimité. N'inversez pas la charge de la preuve !

Cher Christian Cambon, on nous dit que l'hébergement au ministère ne pose aucun problème - mais s'agissant de France Stratégie, cela poserait problème ? Soyez cohérent !

Personne ne croira que cette commission - qui n'est pas indépendante, je le répète - va juger de l'emploi des crédits d'un ministère qui a la tutelle sur ses agents ! C'est une fable.

Nous assistons à l'enterrement de première classe de cette commission d'évaluation et à une tentative de bâillonnement du Parlement pour obtenir un vote conforme.

L'amendement n°1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°2.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 5 

Remplacer les mots : 

la pertinence des 

par le mot : 

les

M. Rachid Temal.  - Le terme « pertinence » dénature le rôle de la commission. Il ne figurait pas dans la loi de 2021, car nous ne voulions justement pas d'un tel jugement. Nous voulions savoir si les projets étaient conformes à la loi et mis en place sur le terrain.

En jugeant de la pertinence des projets, cette commission ne ferait plus d'évaluation : elle prendrait politiquement la main sur l'APD.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Ce terme a donné lieu à nombre d'exégèses. Je relis le texte : la commission évalue « la pertinence des projets et programmes d'aide publique au développement au regard des ambitions et des objectifs prévus par la loi et elle en examine les résultats pour apprécier leur efficacité, tant sur le plan financier que vis-à-vis des priorités de la politique extérieure et de coopération ainsi que des intérêts à l'étranger de la France. »

Il s'agit de vérifier que les projets sont en ligne avec les objectifs de la loi du 4 août 2021, et d'éviter que la commission ne se borne à un contrôle financier. L'évaluation se fait au regard des objectifs de la politique d'aide au développement. Avis défavorable.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - L'examen de la pertinence des projets se fait au regard des objectifs de la loi. Monsieur le sénateur, vous avez participé à la revue de l'APD par l'OCDE : l'analyse de la pertinence fait partie des six grands critères d'évaluation de l'OCDE, qui sont des standards internationaux. Avis défavorable.

M. Rachid Temal.  - En effet, j'ai participé à ces travaux. La phrase est : « elle évalue la pertinence des projets et les programmes d'aide ». Sans « la pertinence », la phrase n'a pas le même sens. Ne faites pas semblant.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé : 

... ° Le cinquième alinéa du III est ainsi rédigé : « La fonction de président de la commission est assurée alternativement, pour deux ans, par un député et un sénateur. » ;

M. Rachid Temal.  - Pour assurer l'indépendance de la commission, nous proposons qu'elle soit présidée par un parlementaire, avec une alternance entre députés et sénateurs, tous les deux ans.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Je le déconseille fortement une présidence par un parlementaire, car dans notre esprit, il faut être à temps plein pour examiner 13 milliards d'euros de crédits. C'est dix fois plus que le travail des présidents de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui était déjà considérable. Nous veillerons à ce que cela soit précisé dans le décret. Avis défavorable.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - Avis défavorable. Le décret précisera l'organisation de la commission, notamment l'élection de son président. Les parlementaires sont associés à la rédaction du décret, afin d'éviter ce qui s'est passé lors de la promulgation de la loi d'août 2021.

M. Rachid Temal.  - Merci d'annoncer que les parlementaires sont associés à la rédaction du décret, mais seul le rapporteur semble l'être...

La loi ne prévoyant ni rémunération ni dédommagement, comment pourrez-vous le prévoir par décret ? Vous avez quatre heures !

J'aimerais qu'on me réponde.

L'amendement n°5 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 7

Rédiger ainsi cet alinéa :

3° À l'avant-dernier alinéa du III, les mots : « au premier président de la Cour des comptes » sont remplacés par les mots : « à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ».

M. Rachid Temal.  - Nous ne pouvons accepter que les déclarations d'intérêts des personnalités qualifiées soient remises au ministère, alors qu'il existe une Haute Autorité de référence en la matière. Remettre sa déclaration au ministère que l'on est chargé de contrôler, c'est un peu léger... Mon amendement muscle le dispositif.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - L'article L. 122-2 du code général de la fonction publique prévoit que certains agents publics déposent une déclaration d'intérêts auprès de leur autorité de rattachement qui, en cas de doute, saisit la HATVP.

Nous ne parlons que du collège des experts, puisque les parlementaires remettent leur déclaration à la HATVP.

La loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit une liste exhaustive des personnalités soumises à déclaration d'intérêts. Les experts ne sont pas concernés. Il n'y a pas lieu de tordre le cou au droit de la fonction publique. Avis défavorable.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - Même avis pour les mêmes raisons.

M. Michel Canévet.  - Les propos du rapporteur m'étonnent : les experts nommés dans cette commission seront-ils donc tous des fonctionnaires du ministère ?

M. Rachid Temal.  - Exactement !

M. Michel Canévet.  - Je n'en reviens pas... Il n'y a donc pas d'indépendance ! Quel est le but du rapporteur ?

M. Rachid Temal.  - Le rapporteur n'a pas répondu à ma question sur la base légale de la rémunération.

Il nous répond sur les fonctionnaires, alors que nous voulions des experts internationaux ! C'est de la poudre de perlimpinpin ! Toutes vos réponses prouvent qu'il n'y a pas d'indépendance.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - La commission ne sera pas composée uniquement de fonctionnaires, mais le même droit s'applique aux experts privés, puisqu'ils seront rattachés au ministère, en tant que membres de la commission. C'est constant, nous l'avons vérifié. (M. Rachid Temal le conteste.)

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°7, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° Il est ajouté un paragraphe ainsi rédigé :

« .... La commission coopère avec les collectivités territoriales, les organisations non gouvernementales, les universités, les centres de recherche et les groupes de réflexion ayant une expertise en matière d'évaluation de l'aide publique au développement. »

M. Rachid Temal.  - Monsieur le rapporteur, le texte que vous avez cité tout à l'heure ne concernait que les fonctionnaires.

Nous proposons d'ajouter, dans le collège des experts, des représentants des collectivités territoriales, qui contribuent largement au financement de l'APD. Le texte de loi fera-t-il, oui ou non, référence aux collectivités ? Un décret ne suffira pas. Arrêtez donc vos tours de passe-passe entre loi et décret.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Il est bien évidemment hors de question de se priver des collectivités territoriales, mais il n'est pas nécessaire de l'inscrire dans la loi. Le champ des experts doit être le plus ouvert possible. Je pense à la suggestion de Jean-Luc Ruelle sur les comités locaux de développement, dont le rôle auprès de chaque ambassadeur est de veiller la mise en oeuvre de l'APD.

Laissons-nous la liberté, par décret, mais aussi par la pratique, de faire appel à toutes les expertises, y compris celles qui ne sont pas citées par la loi. Avis défavorable à cet amendement qui affaiblirait la commission. (M. Rachid Témal en rit.)

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - Avis défavorable également. La composition de la commission permet d'assurer le lien avec les différents volets des investissements solidaires et durables.

Le Gouvernement souhaite que la commission soit diverse et représentative. C'est ainsi que le monde universitaire sera associé via une personnalité qualifiée issue du ministère chargé de la recherche.

Deux instances de concertation avec les élus locaux et la société civile existent déjà : la Commission nationale de la coopération décentralisée et le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale dans lequel les parlementaires sont représentés.

M. Rachid Temal.  - Tout cela est bien compliqué pour ma faible intelligence. Nous parlons d'évaluation, pas de coordination. On ne peut pas tout mélanger, sinon c'est le mistigri... On parle soit d'évaluation, soit d'autre chose. Vous faites donc le choix de refuser les collectivités.

Nous détaillons toujours la composition des organismes. Pourquoi ne pas le faire ici ? Pourquoi ne reconnaissez-vous pas clairement que les collectivités vont passer à l'as ? Tout ceci est ubuesque.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Il n'a jamais été question de se priver des collectivités territoriales !

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

M. Rachid Temal.  - Nous parlons de plus de 15 milliards d'euros annuels. Et pourtant, le Sénat décide de ne pas déposer d'amendement et d'accepter la version de M. Bourlanges, dans son duel fratricide et public avec M. Moscovici. Ni évaluation ni navette.

Nous nous opposerons à ce texte.

La proposition de loi dénature la commission d'évaluation prévue par la loi de 2021. Comme il n'y a pas de pilotage politique de l'APD, il n'y aura pas non plus d'évaluation.

Je ne suis pas certain que le texte aille jusqu'au bout, car il pose plusieurs problèmes juridiques : pas d'indépendance, pas de transparence et pas de travail avec le Parlement.

À la demande du groupe SER, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°171 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l'adoption 273
Contre   65

L'article unique est adopté.

En conséquence, la proposition de loi est adoptée définitivement.

Mise au point au sujet d'un vote

M. Olivier Cadic.  - À la suite d'un cyber défaut sur le scrutin n°165, je précise que MM. Canévet, Delcros, Cambier, Bonneau, Henno, Bonnecarrère, Longeot, Mme Goulet, MM. Courtial, Mizzon, Menonville, Mmes Billon, Romany, Jacquemet, Gatel, M. Kern, Mmes Richard, Herzog et M. Bleunven souhaitaient voter pour.

Les autres sénateurs du groupe Union centriste souhaitaient s'abstenir, à l'exception de Mme Vermeillet, qui présidait la séance.

Acte en est donné.

Saisie et confiscation des avoirs criminels (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je suis heureux de pouvoir réaffirmer ma volonté de frapper toujours plus fort les délinquants au portefeuille. Cette proposition de loi renforce nos capacités de saisie et de confiscation, car nul ne doit tirer profit de son crime. Je soutiens ce texte avec force.

Nous avions déjà renforcé notre arsenal avec la loi Warsmann de 2010, qui a rénové l'approche judiciaire, donné une nouvelle dynamique aux enquêtes et permis aux investigations de devenir patrimoniales.

Les possibilités de saisie au stade de l'enquête ont été étendues à tous les biens confiscables afin que les juridictions de jugement puissent confisquer l'ensemble des avoirs criminels.

L'État s'est doté d'un dispositif pour gérer les biens saisis et confisqués, avec la création de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), bras armé de l'État pour aller chercher réparation, qui s'est révélée d'une efficacité redoutable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2011, 109 millions d'euros étaient saisis ; en 2023, 1,44 milliard d'euros, une multiplication par dix.

L'augmentation des saisies et des confiscations est un axe fort de ma politique pénale. La mobilisation de mon ministère n'a jamais fléchi.

Chaque année, policiers, gendarmes, douaniers, procureurs, juges font preuve d'un engagement sans faille. La confiscation du patrimoine des criminels est un levier incontestable de la répression. En 2020, le montant des confiscations s'élevait à 86 millions d'euros. En 2023, il atteignait 175,5 millions d'euros, soit une hausse de 105 %.

J'ai renforcé les capacités d'action de l'Agrasc, qui rayonne désormais sur l'ensemble du territoire national, avec huit antennes régionales. L'Agrasc dispense des conseils aux enquêteurs et magistrats. Les scellés sont mieux gérés, les décisions de confiscation mieux exécutées.

Surtout, nous avons renforcé ses moyens humains. Ma politique au ministère de la justice est constante : si l'on veut des résultats, il faut des moyens, et quand on a mis des moyens, il faut des résultats. Les effectifs de l'Agrasc sont passés de 45 agents en 2020 à plus de 85 en 2023.

La confiscation est aussi un levier efficace d'indemnisation et de réparation. Les biens immobiliers confisqués peuvent désormais connaître une réaffectation sociale dans des programmes d'intérêt public. Grâce à la loi du 8 avril 2021, des associations, fondations ou foncières solidaires peuvent se voir attribuer des immeubles confisqués. C'est ainsi qu'il y a un an, j'ai remis les clés d'un immeuble de Coudekerque-Branche à l'association Habitat et Humanisme.

Ce dispositif a été pensé dans une logique réparatrice, au service des victimes et des plus démunis. C'est par ce type d'action juste que nous retisserons le lien de confiance entre l'institution judiciaire et nos concitoyens. Nous nous inspirons des dispositions italiennes anti-mafia, pour une action au plus près des besoins des communes. En 2022, une villa a été remise à une association de lutte contre les violences conjugales ; un immeuble confisqué sera converti en logements sociaux ; un logement a été réaffecté à l'accueil de réfugiés ukrainiens.

La loi du 4 août 2021 a prévu la restitution des biens mal acquis aux populations spoliées. Désormais, le produit des biens confisqués à des dirigeants étrangers peut être affecté au financement d'actions de coopération et de développement.

Nous avons mis en place un cercle vertueux et les avancées sont incontestables. Mais il faut frapper encore plus vite et plus fort le patrimoine des criminels et des délinquants. Après une décennie de progrès, des lacunes doivent encore être comblées. Plusieurs préconisations du rapport Warsmann-Saint-Martin ont été mises en oeuvre. Pour que le crime ne profite plus, il faut renforcer notre législation. C'est tout l'objet de cette proposition de loi. Il faut saisir plus et confisquer mieux le produit des crimes et les profits des délinquants. Cet objectif nous rassemble.

L'article 1er prévoit d'accélérer la vente des biens saisis avant jugement. La commission des lois, dont je salue le travail, a étendu la procédure simplifiée de recours à l'ensemble des saisies ainsi qu'aux décisions de non-restitution des biens. Elle a prévu que la vente avant jugement des biens saisis pourra intervenir plus largement, notamment pour les biens dont la valeur se déprécie rapidement ou qui nécessitent d'importants frais d'entretien. L'affectation sociale des biens saisis a été étendue au profit des services judiciaires et de police judiciaire. La procédure de convention judiciaire d'intérêt public a été enrichie. Les juridictions de jugement ne devront plus motiver la peine de confiscation.

L'article 2 vise à améliorer l'indemnisation des victimes. Les parties civiles pourront obtenir le paiement de leurs dommages et intérêts sur les biens dévolus à l'État et ceux ayant fait l'objet d'une décision de non-restitution. Les officiers de police judiciaire pourront procéder à une saisie élargie des patrimoines, grâce à l'apport de la commission.

L'article 3 renforce l'efficacité des saisies en ne permettant plus que des proches des délinquants ou des criminels continuent de profiter de biens saisis par la justice.

L'article 4 élargit le mécanisme de restitution des biens mal acquis aux sommes saisies et confisquées sur les comptes bancaires.

Le ministère de la justice s'engage totalement dans la lutte contre la criminalité et la délinquance. Allons plus loin, pour que le crime ne paie pas, pour que le crime ne paie plus ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe CRCE-K ; MM. Olivier Cadic et Louis Vogel applaudissent également.)

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.) Appréhender le patrimoine des délinquants et démontrer que le crime ne paie pas, voilà un sujet majeur dans la lutte contre la délinquance et la criminalité.

La principale motivation d'un certain nombre d'infractions est l'appât du gain. Parfois, le risque de l'emprisonnement est assumé, dans la mesure où le gain financier est assuré. Il est donc important de pouvoir saisir le patrimoine des délinquants.

À l'initiative du député Jean-Luc Warsmann, une proposition de loi avait été votée en 2010. En 2019, le Premier ministre de l'époque lui avait confié, ainsi qu'à M. Saint-Martin, un rapport qui a abouti à 37 propositions. Toutes n'étaient pas de niveau législatif.

La procédure de saisie et de confiscation des avoirs criminels commence durant l'enquête ou l'instruction, où déjà, une partie du patrimoine peut être saisie, qu'il s'agisse de l'instrument de l'infraction, ou d'un patrimoine plus large.

Parfois, ce patrimoine a besoin d'être valorisé. Par exemple, un véhicule saisi se déprécie au fil des années alors que les frais de gardiennage augmentent. L'État doit avoir un intérêt à procéder aux saisies. En outre, dans l'hypothèse où le bien n'est pas confisqué, le produit d'une éventuelle vente doit pouvoir être remis à la personne qui n'est finalement pas condamnée.

L'Agrasc a été créée par la loi de 2010. Elle est chargée de la dynamisation des biens saisis. À la toute fin, la confiscation - ou non - des biens saisis est décidée.

La vente se fait au profit de l'État.

Premier enjeu : les services d'enquête et les magistrats doivent s'emparer de cet outil. Aujourd'hui, seulement 30 % des biens saisis sont confisqués. Il y a là une marge de progrès.

Deuxième enjeu : la fluidité de la chaîne entre la saisie et la confiscation, pour que le patrimoine soit mieux valorisé.

L'Agrasc a été déclinée en antennes territoriales, ce qui a considérablement accru ses résultats, grâce à des liens plus étroits avec les services d'enquête et les magistrats.

Mais il reste des progrès à faire. Ce texte en est l'illustration.

Sénat, Assemblée nationale, Gouvernement : nous souhaitons tous une amélioration, même si nous pouvons avoir des divergences techniques.

Les améliorations législatives sont nécessaires, mais il faut poursuivre les efforts dans d'autres domaines : formation des services d'enquête et des magistrats à ces procédures ; augmentation des effectifs de certaines juridictions ; enfin, la procédure pénale numérique (PPN) doit rendre possible le suivi des avoirs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.) Le crime ne paie pas, ou ne le devrait pas. Quel que soit le type de délinquance, les délinquants détestent être frappés au portefeuille. Pour être vraiment dissuasive, toute peine doit s'accompagner d'une confiscation, selon le député Warsmann.

La confiscation est une peine complémentaire de plein droit au-delà d'un an d'emprisonnement, sauf pour les délits de presse ; elle peut porter sur l'ensemble des biens qui ont un lien avec un crime ou un délit - que ceux-ci aient servi à commettre l'infraction ou qu'ils en soient le produit direct ou indirect.

Le sujet est d'actualité, alors que les travaux de la commission d'enquête sur le narcotrafic sont en cours. Nous légiférons donc sans attendre ses conclusions, c'est dommage.

Les pistes de cette proposition de loi sont néanmoins très intéressantes. Les avoirs criminels ne sont pas systématiquement identifiés, et seulement 30 % des saisies sont confisquées.

En 2011, 109 millions d'euros étaient saisis ; contre 761 millions d'euros -  dont 27 millions à Marseille  - en 2022, soit sept fois plus.

L'Agrasc est un succès, mais des marges de progression, réelles, existent : l'Office antistupéfiants (Ofast) estime à 3 milliards d'euros le chiffre d'affaires annuel du trafic de drogue, mais c'est sans doute davantage.

L'Agrasc peut procéder à la saisie, mais aussi à la vente des biens, comme le décrivait un article de La Provence. On vend le bling-bling des voyous, comme l'indiquait au journal Audrey Jouaneton, magistrat coordinateur des antennes de Marseille et de Lyon. L'argent mal acquis enrichit l'État. C'est un juste retour des choses.

La liste des personnes morales pouvant bénéficier des biens confisqués s'est étoffée, nous le saluons : les collectivités territoriales, mais aussi, grâce à la commission, les services d'enquête, les services judiciaires, l'Office français de la biodiversité (OFB) ou encore la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).

Je me suis déjà opposé à des mesures qui, sous couvert de pragmatisme, privaient les justiciables de leurs droits de contestation. J'adhère d'autant plus à l'article 1er que celui-ci répond aux difficultés actuelles : la contestation des saisies peut représenter 40 % des audiences devant la chambre de l'instruction.

Nous sommes favorables à la simplification des procédures qui enrayent parfois la machine, sans pour autant obérer le droit des justiciables.

Nous nous associons aux améliorations apportées aux modalités d'attribution des biens confisqués. Allons au-delà du tout prison.

Le GEST votera ce texte, qui consolide les moyens de sanctionner de manière efficace et différente. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. Ian Brossat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) La saisie et la confiscation ont souvent joué un rôle secondaire à côté des peines principales que sont l'emprisonnement et l'amende.

En Italie, la loi Pio La Torre a créé en 1982 le premier dispositif de confiscation des biens criminels. Le député communiste sicilien paiera de sa vie sa lutte contre la mafia.

En France, il a fallu attendre 2010 et la loi Warsmann créant l'Agrasc.

En 2018, à l'occasion de l'examen de la loi Elan, un amendement de Stéphane Peu, député de Seine-Saint-Denis, a permis la confiscation des biens des marchands de sommeil.

En 2021, deux textes complètent cet arsenal en facilitant la saisie et l'affectation sociale des biens immobiliers confisqués et en instituant un mécanisme de restitution des biens mal acquis via l'aide au développement.

Depuis quatorze ans, la confiscation des avoirs criminels s'est donc développée.

On peut se satisfaire grandement de l'action de l'Agrasc depuis dix ans, mais des axes d'amélioration demeurent. Ainsi le trafic d'armes, la cybercriminalité, la criminalité environnementale et le trafic de drogues peuvent encore rapporter gros.

Les gains du narcotrafic sont de 3 milliards d'euros par an dans notre pays, selon le directeur général de la police nationale (DGPN) auditionné par la commission d'enquête sur le narcotrafic. Or les dégâts de ces activités sont désastreux. Les règlements de compte laissent trop de familles endeuillées.

Avec des collègues de quatre groupes, nous avons déposé un amendement transpartisan prévoyant une automaticité de la confiscation des biens dont on ne peut justifier l'origine pour les personnes condamnées à plus de cinq ans de prison.

Les sanctions existantes ne sont pas assez dissuasives. Trop de jeunes rêvent encore devant la fortune des criminels.

Nous demeurons loin des résultats de l'Italie, qui a confisqué 11 milliards d'euros à la mafia ces 20 dernières années. Pour la seule année 2019, 947 biens criminels ont été mis au service de l'économie sociale et solidaire (ESS) par l'intermédiaire de 505 associations ou organismes HLM, de 26 fondations ou de 27 écoles, entre autres.

Mettre les biens criminels au service de l'intérêt général, c'est montrer que les systèmes mafieux ne l'emportent pas sur le bien commun.

Mais il faut que l'ensemble des acteurs de la justice s'emparent des peines de confiscation, malheureusement encore trop chronophages et trop techniques.

Nous voterons ce texte avec enthousiasme et présenterons plusieurs amendements pour l'améliorer. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; M. Guy Benarroche applaudit également.)

Mme Nathalie Delattre .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.) Ce texte est relativement technique ; pourtant, il est assez simple et empreint de bon sens.

Nemo ex delicto consequatur emolumentum : nul ne doit tirer profit de son délit.

Pour y parvenir, il revient au législateur de rendre plus efficace l'application des mécanismes de saisie et de confiscation des avoirs criminels. Il y a quinze ans, la loi Warsmann a marqué un tournant, permettant de prononcer des sanctions patrimoniales significatives. Comme pour toute loi, il est bon d'y revenir quelques années plus tard pour ajuster ce qui peut l'être.

En 2019, Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann ont rendu un rapport éclairant. Je salue leur travail.

Il est impératif que nous disposions d'une connaissance suffisante du sujet pour légiférer. Nous regrettons souvent le manque d'études d'impact ou de bilans chiffrés. Le président Larcher l'a évoqué lors de son discours d'ouverture de la septième édition de la Journée des entreprises, le 21 mars dernier.

Le rapport Warsmann-Saint-Martin met en lumière un paradoxe : le cadre législatif est abouti, mais il est insuffisamment utilisé. Il est performant, mais les acteurs de la justice y recourent trop rarement au-delà de la criminalité organisée.

Sur la délinquance de moyenne intensité, il existe une marge de progrès, pour que les mécanismes de saisie et de confiscation cessent d'être considérés comme complexes et chronophages.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est vrai.

Mme Nathalie Delattre.  - La proposition de loi reprend plusieurs propositions du rapport. Je salue les travaux précieux de la rapporteure.

Tout ce qui est de nature à faciliter la vie des enquêteurs est louable.

Toutes les décisions de saisie et confiscation doivent être systématiquement transmises à l'Agrasc, pour une meilleure efficacité.

Nous saluons les dispositions de l'article 3 et les améliorations apportées par le rapporteur. La confiscation systématique des objets ayant servi à l'infraction, ou qui en sont le fruit, est une très bonne mesure.

Je me réjouis de l'adoption en commission de mon amendement visant à affecter les biens immobiliers saisis et confisqués aux services d'enquête, aux services judiciaires, à l'OFB ou à la DGSCGC, notamment.

Nous avons déposé des amendements pour encore améliorer ce texte. Néanmoins, cette proposition de loi participe de la réaffirmation du pacte républicain. Le RDSE la votera. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Patricia Schillinger .  - (Applaudissements sur quelques travées du RDSE.) La semaine dernière, j'intervenais sur la justice patrimoniale au sein de la famille. Le crime ne doit pas payer, là non plus.

Nul ne doit tirer profit de son délit, prévoit le droit romain.

Les confiscations sont des leviers puissants de la lutte contre la délinquance et la criminalité. Les auteurs d'actes craignent plus qu'on s'en prenne à leur portefeuille qu'à leur liberté.

Je salue le travail de Jean-Luc Warsmann à qui l'on doit la loi du 9 juillet 2010. C'est en grande partie sur son texte que repose notre système de saisie et confiscation, puisqu'il a créé l'Agrasc, qui joue un rôle essentiel.

Le montant des saisies est en constante progression, en hausse de 87 % en 2023 par rapport à 2022, pour un montant de 1,4 milliard d'euros. Les confiscations représentent 175,5 millions d'euros.

D'importantes marges de progression subsistent néanmoins. Seuls 30 % des biens saisis sont effectivement confisqués.

Le texte met en oeuvre certaines recommandations législatives du rapport Warsmann-Saint-Martin. Certaines de ses propositions sont déjà satisfaites, notamment la réaffectation des biens.

Cette proposition de loi améliore le fonctionnement de l'Agrasc, élargit les possibilités d'affectation des biens saisis et confisqués et aménage les procédures pénales de saisie et confiscation.

Aux termes de l'article 3, les juges auront désormais l'obligation de confisquer les biens qui sont l'objet, le produit ou l'instrument de l'infraction.

Le texte a été substantiellement enrichi à l'Assemblée nationale.

Il est sage de pallier l'absence d'information dont l'Agrasc peut souffrir, et qui engendre d'importants frais de gestion.

Un amendement du Gouvernement a ajouté les collectivités territoriales à la liste des personnes morales bénéficiaires. Cela méritait d'être signalé au Sénat, maison des collectivités.

Je salue l'esprit constructif de la rapporteure, dont le travail a permis des modifications visant à l'appropriation des outils par les différents acteurs.

Alors que la proposition de loi précise que la confiscation vaut titre d'expulsion, un amendement à l'Assemblée nationale a étendu la portée de l'expulsion non seulement à la personne condamnée, mais aussi à tous les occupants de son chef.

La rapporteure a toutefois précisé les choses : cela ne doit pas viser des locataires légitimes de bonne foi, étrangers à toute infraction.

Cette proposition de loi renforce l'efficacité de notre justice. Cet objectif doit nous rassembler. Aussi, le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)

M. Jérôme Durain .  - Le 8 novembre dernier, le Sénat a lancé une commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures pour y remédier, que je préside. Lors des dizaines d'auditions que nous avons menées, plusieurs moments m'ont marqué.

Plusieurs témoignages l'ont montré : la prison n'est plus une menace suffisante pour les criminels. Les policiers répètent que le seul moment où ils les voient pleurer, c'est quand on leur confisque leur voiture, leur appartement ou leur compte en banque. Après l'opération Place nette XXL à Marseille, les dealers ont multiplié les commentaires bravaches depuis leur cellule. Ils continuent de gérer leurs affaires depuis la prison.

Mais il existe des moyens de leur faire mal. Il faut les frapper au portefeuille, car la prison est perçue comme une période de formation continue... En revanche, les saisies et les confiscations représentent une véritable remise en cause de la pyramide des valeurs sur laquelle repose leur monde.

Nombre de narcotrafiquants font preuve de provocation, comme le montre le livre de Fabrice Arfi, D'argent et de sang, qui porte sur l'arnaque du siècle, la fraude à la TVA. Les acteurs de ce psychodrame n'ont pas peur d'aller en prison, mais ils craignent de perdre les fruits de leur labeur illégal : c'est tout l'enjeu de cette proposition de loi.

Pour reprendre un titre célèbre du rap français, évitons que seul le crime paie.

Notre pays ne part pas de rien. L'Agrasc a revendiqué plus de 1,4 milliard d'euros de saisies en 2023. Le montant des confiscations a atteint 175,5 millions d'euros. Malheureusement, au jeu du chat et de la souris, celle-ci garde toujours un temps d'avance...

La proposition de loi que nous examinons contient plusieurs mesures techniques susceptibles de lever les craintes des magistrats.

Un consensus a émergé au cours des auditions de la rapporteure sur la nécessité d'une meilleure identification des avoirs. M. Darmanin entend judiciariser les personnes, puis les interpeller. Cela sera-t-il rendu possible par la réforme de la police judiciaire, contestée par beaucoup ?

En mai, le rapport de la commission d'enquête dégagera des pistes.

Le groupe socialiste a repris des amendements rédigés par Transparency International et Crim'HALT, car il faut entendre les propositions de la société civile.

Nous sommes pressés d'entendre les avis de la rapporteure et du Gouvernement sur notre amendement rendant obligatoire la confiscation de biens en cas de délit ou de crime puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Mme Catherine Di Folco .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France a été pionnière dans la législation antiblanchiment, dès les années 1990, en affirmant la confiscation des avoirs criminels comme un objectif de politique publique.

Le crime ne doit payer sous aucun prétexte.

Venue de l'Assemblée nationale, la proposition de loi s'ajoute à la liste des travaux réalisés par Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin.

Il est insupportable de constater que seuls 30 % des biens saisis finissent par être confisqués par une juridiction de jugement.

Le chiffre d'affaires annuel du trafic de drogue en France est estimé à 3 milliards d'euros.

Si la majorité des dispositions du texte peuvent paraître techniques, elles répondent à des impératifs simples et indispensables. Le produit du crime doit servir avant tout l'intérêt général.

Je salue l'action de la police, de la gendarmerie, des douanes, des magistrats et de l'Agrasc. Pour l'année 2023, le montant des saisies réalisées dépasse 1,4 milliard d'euros : c'est bienvenu pour nos finances publiques dégradées.

Cela dit, des marges de progression demeurent ; elles doivent être franchies rapidement.

Nous souscrivons à la modification apportée par la commission à l'article 1er bis C, qui vise à recentrer les notifications à l'Agrasc aux seules décisions de saisie et de confiscation relevant de sa compétence, afin d'éviter de la noyer.

Nous permettrons aussi aux officiers de police judiciaire (OPJ) de procéder à certaines saisies spéciales nouvelles. Notre lutte contre la délinquance ne doit pas faiblir.

Le groupe Les Républicains est satisfait des modifications apportées au texte par notre rapporteur.

Je ne doute pas qu'il votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.)

M. Louis Vogel .  - Le crime organisé est particulièrement rémunérateur dans notre pays. Avec 5 millions de consommateurs réguliers de cannabis et 600 000 de cocaïne, les stupéfiants rapportent environ 3 milliards d'euros chaque année aux trafiquants.

Dans ces conditions, la ponction financière est la meilleure des sanctions. Pas un centime ne doit rester à ceux qui volent, extorquent et dealent ! Il ne doit pas y avoir d'infraction lucrative.

Or les chiffres ne sont pas satisfaisants. Malgré la création de l'Agrasc en 2010 et la loi de 2021, seuls 30 % des biens concernés sont finalement confisqués ! Nous devons aller plus loin.

Le texte que nous examinons vise d'abord à mieux identifier ces avoirs pour mieux les saisir. Les gendarmes et les policiers pourront réaliser des enquêtes patrimoniales destinées à priver les malfaiteurs de tout profit.

La proposition de loi tend aussi à améliorer l'emploi de ces avoirs criminels ; de nouveaux organismes, tel l'OFB, en bénéficieront.

Nous sommes favorables à la possibilité ouverte aux collectivités territoriales de bénéficier d'un bien confisqué.

La confiscation vaudra désormais titre d'exclusion de la personne concernée et de tous les occupants de son chef. Cela accélérera les procédures.

Le texte corrige également certaines anomalies. En effet, le droit actuel ne permet la restitution des biens mal acquis que lorsqu'ils font préalablement l'objet d'une cession. Cela empêchait précisément la restitution des sommes d'argent saisies.

De même, les biens saisis ne donnent pas tous lieu à confiscation ; certains d'entre eux sont restitués, tandis que d'autres restent dans les limbes. Donner une destination à ces catégories de biens était important.

La rapporteure a introduit la possibilité pour les OPJ de saisir plus rapidement les biens afin qu'ils ne disparaissent pas avant leur saisie.

Cela dit, il n'est pas facile de mettre en oeuvre un mécanisme parfait de confiscation des biens.

Ce texte, très avancé, pourrait servir de modèle à l'Union européenne et adosser la culture judiciaire française au droit européen : la question de la confiscation se pose avec les avoirs russes gelés. Le groupe Les Indépendants votera ce texte.

M. Paul Toussaint Parigi .  - Pour qu'un châtiment produise l'effet voulu, il suffit qu'il dépasse l'avantage résultant du délit. Comme le rappelait Beccaria, l'efficacité d'une sanction tient pour grande partie à son caractère dissuasif.

Or les délinquants redoutent surtout d'être privés du fruit de leur crime. La loi Warsmann a sanctuarisé en 2010 un cadre procédural spécifique.

La privation de liberté ne suffisant pas, il fallait instaurer une culture de confiscation des avoirs criminels. Le champ des biens susceptibles d'être saisis a été élargi et l'Agrasc a été créée ; depuis lors, le nombre des saisies réalisées atteste de sa réussite : la valeur des biens est passée de 109 millions d'euros en 2011 à 1,4 milliard en 2023 ; celle des actifs a explosé, de 700 000 euros à 175 millions d'euros en 2023.

Nous demeurons cependant loin de l'Italie, qui a confisqué 11 milliards d'euros à la mafia en vingt ans.

Il nous est proposé de faire un nouveau pas. À l'heure où certains magistrats réclament un plan Marshall pour la lutte contre les réseaux criminels, ce texte rappelle combien la confiscation peut être essentielle pour priver ces derniers de leurs moyens.

Alors que le 6 décembre s'ouvrait le procès de la mafia nigériane qui sévit à Marseille, il faut se doter des armes pour combattre la grande criminalité internationale. Nous devons donc compléter le cadre procédural de 2010 afin de donner force de loi au principe selon lequel nul ne doit tirer profit de son délit.

Le texte améliorera entre autres la gestion des biens saisis, permettra de maîtriser les frais de justice et de simplifier l'indemnisation des victimes. Donnons-lui une véritable ampleur symbolique pour que la confiscation devienne la pierre d'angle de la lutte contre les organisations criminelles : j'ai donc proposé de la rendre obligatoire. Je me réjouis que d'autres groupes aient fait la même proposition et espère une adoption transpartisane.

Ce texte apporte des avancées attendues par les acteurs concernés et l'Agrasc, donnant plus d'efficacité à la sanction pénale. Le groupe UC le votera.

Mme Karine Daniel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je m'inscris dans le même état d'esprit positif que Jérôme Durain, président de la commission d'enquête sur le narcotrafic, dont je suis membre.

Si tous, nous nous accordons à mettre les confiscations au coeur de la lutte contre la délinquance, je souhaite intervenir sur les moyens de la police judiciaire. Le rapport de Nadine Bellurot et Jérôme Durain et celui de Muriel Jourda corroborent le constat selon lequel il reste possible de faire mieux.

Une meilleure identification des avoirs criminels dans le cadre des saisies est nécessaire. Or les moyens manquent cruellement, car les services peinent à recruter.

Les effectifs dédiés au traitement des contentieux économiques et financiers sont insuffisants et leur champ d'action est en souffrance au sein de la police judiciaire.

Des équipes dédiées doivent être créées et la police judiciaire doit être réformée en conséquence. Un rééquilibrage des moyens entre voie publique et investigation est indispensable.

Rappelons la nécessité d'inscrire la filière d'investigation dans le long terme, en faisant appel à de nouveaux outils technologiques.

Bruno Le Maire, auditionné par notre commission d'enquête, a montré l'ampleur du sujet : un chiffre d'affaires, sous-estimé selon lui à 3,5 milliards d'euros et 664 tonnes de drogues saisies depuis 2017... La question des moyens véritables des services et de la capacité de la France à s'emparer du sujet est cruciale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 27 mars 2024, à 15 heures.

La séance est levée à minuit cinquante-cinq.

Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 27 mars 2024

Séance publique

À 15 heures, à 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Mathieu Darnaud, vice-président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président.

Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, M. Mickaël Vallet.

1. Questions d'actualité

2. Suite de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels (texte de la commission, n°446 rect., 2023-2024)

3. Examen, sous réserve de sa recevabilité, d'une demande de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport tendant à obtenir du Sénat, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qu'il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour une mission d'information sur les modalités de constitution d'une société commerciale par la Ligue de football professionnel en application des articles L. 333-1 et suivants du code du sport introduits par la loi n°2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France.

4. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement (texte de la commission, n°429, 2023-2024)

5. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l'autonomie (texte de la commission, n°412, 2023-2024)

6. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (texte de la commission, n°443, 2023-2024)