Rétablir le lien de confiance entre la police et la population

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population, présentée par Mme Corinne Narassiguin, M. Jérôme Durain et plusieurs de leurs collègues.

Discussion générale

Mme Corinne Narassiguin, auteure de la proposition de loi .  - (M. Jérôme Durain applaudit) L'objet de cette proposition de loi est ambitieux, mais réaliste et nécessaire : rétablir le lien de confiance entre la police et la population.

J'ai globalement partagé les constats de la mission d'information transpartisane sur les émeutes ayant suivi la mort de Nahel Merzouk, mais pas son analyse des causes de ces émeutes, ni les recommandations formulées. Je considère que la multiplication des petites frustrations et petits incidents, comme les contrôles d'identité, mine la confiance dans la police et alimente un fort sentiment d'injustice.

En novembre 2005, Bouna Traoré et Zyed Benna, rentrant d'un match de foot, décèdent tragiquement dans un transformateur électrique après avoir pris la fuite par crainte d'un contrôle policier. En 2015, dans le douzième arrondissement de Paris, des jeunes ont signalé avoir subi pendant deux ans des contrôles quotidiens et humiliants, toujours par les mêmes policiers. En 2017, trois jeunes de retour d'un voyage scolaire sont les seuls du train à être contrôlés en Gare du Nord.

Chaque jour, des jeunes sont contrôlés sans raison apparente. Le seul motif récurrent de ces contrôles : leur couleur de peau. De fait, les jeunes hommes âgés de 18 à 25 ans perçus comme noirs ou arabes ont une probabilité vingt fois plus élevée que le reste de la population de subir un contrôle. Alors que 32 millions de contrôles d'identité sont menés chaque année, combien d'entre vous ont été concernés ? Très peu, sinon aucun. Statistiquement, cela devrait être un sur deux...

De la Défenseure des droits à la Cour des comptes, le constat dressé est sans appel : dans notre République, des personnes sont contrôlées sur la base de leur couleur de peau. Nous ne pouvons accepter que des citoyens se sentent mis au ban de notre société car « ils n'ont pas l'air français » !

Oui, le contrôle d'identité est le point de cristallisation, parfois même l'élément déclencheur, d'une relation abîmée entre une partie de la population et nos forces de l'ordre. Or, depuis 2005, rien n'a changé. Cette relation s'est même dégradée, car les politiques n'ont rien fait. Après avoir promis la mise en place de récépissés, les socialistes n'ont pas agi entre 2012 et 2017 : c'était une erreur.

S'il est indéniable que la loi doit être modifiée, c'est, d'abord, parce que la Cour de cassation, le Conseil d'État et la Cour européenne des droits de l'homme ont tous reconnu l'existence de contrôles discriminatoires. L'État a même été condamné pour faute lourde. Il y a quelques semaines, l'ONU et le Conseil de l'Europe ont appelé la France à assurer la traçabilité des contrôles.

C'est aussi parce que, dorénavant, les forces de l'ordre reconnaissent elles-mêmes qu'un problème se pose. Selon une étude de la Défenseure des droits, plus de 39 % des policiers et gendarmes jugent les contrôles d'identité peu, voire pas efficaces : c'est le signe d'une perte de sens de cette mission, par ailleurs chronophage. Avec 47 millions de contrôles d'identité réalisés chaque année, d'après la Cour des comptes, le temps perdu est considérable.

Marie-France Monéger-Guyomarc'h, ancienne directrice de l'IGPN, a déclaré : « Je suis persuadée qu'il faut modifier la loi sur le contrôle d'identité. On met les policiers en danger en leur demandant d'appliquer une loi d'une complexité telle, que rares sont ceux qui peuvent expliquer les quatre cas de contrôle. Tenir un territoire par ces seuls contrôles n'a aucun sens. »

Le Comité d'évaluation de la déontologie de la police nationale (CEDPN) a mis en lumière des pratiques souvent abusives et discriminatoires, en particulier dans certains quartiers ; il recommande l'annonce systématique des motifs du contrôle et l'utilisation de caméras-piétons.

La société évolue, et il n'y a que sur une partie de ces bancs que certains ne veulent pas le voir.

Mme Audrey Linkenheld.  - Ils ne sont d'ailleurs pas là...

Mme Corinne Narassiguin.  - Je salue le travail exemplaire de nos policiers et gendarmes, en dépit du manque de reconnaissance et de moyens, et de l'hostilité croissante d'une partie de la population. Les violences dont ils sont victimes ne sont pas acceptables.

Leur action et leur formation doivent être réformées en profondeur. En particulier, nous devons revenir à une forme de police de proximité tournée vers la prévention par le dialogue avec les habitants plutôt que la répression sur le mode constant de l'urgence.

Dans le cadre de cette proposition de loi, nous nous sommes concentrés sur le problème criant des contrôles d'identité, avec cet objectif : plus aucun contrôle sans raison.

L'article 1er exclut toute discrimination dans les critères des contrôles d'identité, un principe qui ne figure actuellement que dans la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure.

L'article 2 instaure, pour les réquisitions écrites du procureur de la République, l'exigence d'une demande motivée du préfet, du préfet de police ou du procureur. Dans les faits, ces réquisitions sont souvent rédigées par la police elle-même, puis validées par le procureur. Quant aux contrôles administratifs, qui laissent une trop grande place à l'arbitraire, ils ne seraient plus autorisés que pour assurer la sécurité d'un événement exposé à un risque d'atteinte grave à l'ordre public.

L'élément central du texte est l'instauration, à l'article 3, d'un dispositif d'enregistrement et de traçabilité des contrôles : un récépissé serait remis à la personne contrôlée, mentionnant les motifs du contrôle, ses suites potentielles et le matricule de l'agent y ayant procédé.

Enfin, l'article 4 prévoit que les contrôles d'identité doivent être systématiquement enregistrés par caméra mobile.

Une personne qui considère avoir subi plusieurs contrôles d'identité rapprochés et non fondés doit pouvoir déposer un recours. Mais, pour cela, elle a besoin de preuves. C'est le sens du récépissé et de l'enregistrement vidéo. Si, actuellement, 94 % des contrôles n'ont aucune suite judiciaire, c'est à l'évidence du fait de l'absence de preuves.

Face à des discriminations documentées, ces propositions constructives résultent de multiples auditions. Mais la droite du Sénat nous dit : « circulez, il n'y a rien à voir ! ». Le rapporteur ose même affirmer que les discriminations sont avant tout un ressenti. Et certains vont jusqu'à nous accuser d'être anti-police, alors que ce texte vise aussi à sécuriser les policiers dans l'exercice de leur métier. Pourquoi un policier qui fait bien son travail devrait-il s'inquiéter de devoir délivrer un récépissé ou enclencher sa caméra-piéton ?

Les jeunes que je croise chaque jour dans mon département de Seine-Saint-Denis méritent mieux qu'un débat caricatural et des réponses hors sol. C'est à eux que je pense à cet instant : je ne veux pas que leur première interaction avec la police soit un contrôle d'identité, qu'ils aient cette vision de la République et se construisent dans la peur de ces contrôles.

C'est pour eux que je vous propose de réformer la pratique des contrôles d'identité pour mettre un terme à des discriminations qui sont autant de brèches dans notre contrat social. Parce que l'ordre républicain ne vaut que fondé sur la liberté, l'égalité et la fraternité. (Applaudissements à gauche)

M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois .  - La commission des lois n'a pas adopté cette proposition de loi, qui nous a semblé comporter d'importants écueils juridiques, techniques, politiques et même philosophiques.

Son intitulé, déjà, est problématique : nous ne partageons pas le postulat selon lequel le lien de confiance entre les forces de l'ordre et la population aurait besoin d'être rétabli. Dans leur très grande majorité, nos concitoyens soutiennent l'action de nos policiers et gendarmes. D'après les études, près des trois quarts ont confiance en eux, voire éprouvent de la sympathie pour eux. Peu de professions peuvent se targuer d'une telle popularité...

Par ailleurs, l'enjeu du lien de confiance entre forces de l'ordre et population ne peut être réduit à la question des contrôles d'identité, sauf à véhiculer des représentations biaisées.

Les auteurs de la proposition de loi semblent remettre en cause l'efficacité même des contrôles d'identité.

M. Jérôme Durain.  - Oui !

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Nous considérons qu'il s'agit d'un outil indispensable au bon exercice des missions, lourdes et difficiles, de nos forces de l'ordre.

À la demande de la Défenseure des droits, toujours prompte à se saisir de ces questions, ...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et pour cause : c'est sa mission !

M. François Bonhomme, rapporteur.  - ... la Cour des comptes s'est penchée sur les contrôles d'identité : elle considère qu'ils occupent une place centrale dans les actions de la police et de la gendarmerie nationales.

Au reste, l'efficacité de l'opération doit être appréciée dans son ensemble. Et les situations pouvant conduire à y avoir recours sont fort diverses, qu'il s'agisse d'interpeller des délinquants ou de saisir des stupéfiants, par exemple.

Il est hautement problématique de jeter une suspicion de principe sur les contrôles d'identité et d'introduire une forme de présomption de discrimination en dénonçant des pratiques qui seraient généralisées, voire systémiques.

Sur les 47 millions de contrôles d'identité recensés par la Cour des comptes, le nombre des signalements opérés est infime : en 2024, 29 pour la police et 80 pour la gendarmerie - et seuls une minorité alléguaient une discrimination. Quant à la Défenseure des droits, pourtant très chatouilleuse à travers son réseau de délégués territoriaux, son rapport annuel ne mentionne qu'un cas...

Bien sûr, il y a du non-recours. Reste que les cas signalés concernent 0,00007 % des contrôles... C'est dire si on est loin d'un phénomène généralisé !

Au reste, le Conseil d'État, saisi par six associations sur les contrôles d'identité jugés discriminatoires, a écarté le caractère systémique de ces pratiques.

Non seulement ce texte est donc malvenu, mais il est contre-productif en entretenant artificiellement l'idée que certaines parties de la population seraient victimes de discriminations de principe.

Sans doute, il peut arriver qu'un contrôle ait un caractère discriminatoire. Mais les possibilités de signalement existent et des sanctions sont prévues, disciplinaires et pénales. Police et gendarmerie sont pleinement engagées dans la lutte contre les dérives. Le sujet fait l'objet d'une attention particulière dans la formation initiale et continue des agents, y compris en lien avec la Défenseure des droits.

En outre, la commission a constaté que la proposition de loi présente d'importantes limites. Certaines dispositions sont purement déclaratoires, d'autres empêcheraient quasiment les forces de l'ordre de procéder à tout contrôle d'identité.

Plutôt que de changer la loi, il faut améliorer les pratiques. La Cour des comptes a formulé des recommandations concrètes auxquelles le ministère de l'intérieur s'est déclaré favorable au cours de mes auditions.

L'article 1er du texte affirme l'exigence de motivation des contrôles d'identité, de leur caractère non discriminatoire et du respect de la dignité des personnes. Ces exigences étant déjà garanties, le dispositif est inutilement proclamatoire.

L'article 2 conditionne les contrôles d'identité judiciaires à une demande préalable du préfet et restreint significativement le champ des contrôles d'identité administratifs. Il crée une confusion entre les cadres judiciaire et administratif et limite à l'excès les possibilités d'action des forces de l'ordre.

L'article 3 prévoit la remise systématique d'une attestation à la personne contrôlée. Il s'agit du fameux récépissé, un temps promis par François Hollande et finalement abandonné, pour de bonnes raisons. Je fais miens les arguments qu'avançait alors Bernard Cazeneuve : la procédure serait alourdie sans plus-value évidente pour la personne contrôlée ; et ce récépissé n'exonérerait en rien son détenteur de contrôles postérieurs, ne serait-ce que parce qu'il faudrait vérifier la concordance entre son identité et celle figurant sur l'attestation. Par ailleurs, il peut arriver que la réitération des contrôles soit justifiée par les nécessités d'une enquête ou la préservation de l'ordre public.

En outre, la création d'un fichier de masse serait nécessaire. Il serait plus pertinent de modifier le fichier des personnes recherchées pour pouvoir préciser, à chaque consultation, si elle intervient ou non dans le cadre d'un contrôle d'identité, ce qui garantirait une traçabilité.

Enfin, l'article 4 prévoit l'activation systématique d'une caméra-piéton lors des contrôles d'identité. Or la jurisprudence constitutionnelle invite davantage à encadrer les captations qu'à les systématiser et cette proposition se heurterait à des contraintes matérielles difficilement surmontables, notamment en termes de capacités de stockage.

La commission des lois recommande le rejet de cette proposition de loi - ou l'adoption des amendements de suppression déposés par certains de nos collègues à bon escient.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Je reconnais aux rédacteurs et défenseurs de cette proposition de loi une certaine constance.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est aimable !

M. Michaël Weber.  - Mais est-ce bon signe ?

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Selon eux, il conviendrait de rétablir la confiance entre la police et les Français. Ils laissent entendre que les relations entre la population et les forces de l'ordre seraient détériorées, du fait de la pratique régulière, voire systématique, de contrôles d'identité orientés, pour ne pas dire douteux - en clair, au faciès.

Je m'inscris en faux contre cette allégation. Bien sûr, il arrive que certaines personnes ne se comportent pas bien. Elles font l'objet de poursuites et sont sanctionnées.

On ne saurait prétendre que nos compatriotes n'auraient pas confiance dans les services de police. Selon l'Ifop, 71 % portent un regard positif sur la police et 85 % sur la gendarmerie.

Par ailleurs, il est établi que la traçabilité sous la forme que vous proposez entraînerait un risque constitutionnel, puisqu'il faudrait accepter un fichier tenant compte des origines ethniques.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Pas du tout !

M. François-Noël Buffet, ministre. - L'article 1er du texte est superfétatoire, car un contrôle discriminatoire peut déjà être signalé et poursuivi. La voie de contestation juridique est ouverte. De même, le rappel du nécessaire respect de la dignité des personnes est redondant avec les dispositions du code de la sécurité intérieure.

L'article 2 soumet à un ordre du préfet les contrôles d'identité menés sur réquisition du procureur.

L'article 3 prévoit la délivrance systématique d'un récépissé afin de déterminer la motivation du contrôle. Si François Hollande a renoncé à cette idée, c'est peut-être qu'il s'est rendu compte qu'elle serait inefficace ou que sa mise en oeuvre serait extrêmement complexe... D'ores et déjà, le numéro d'identification de chaque agent doit être bien visible sur son uniforme - il y figurera même bientôt en plus grand.

Enfin, l'obligation de filmer systématiquement les contrôles, prévue à l'article 4, conduirait à une collecte généralisée et discrétionnaire d'images, portant ainsi gravement atteinte aux droits des personnes, notamment au respect de la vie privée.

Voilà pourquoi le Gouvernement se prononce, à l'instar de votre commission des lois, en défaveur de cette proposition de loi.

L'IGPN fait son travail et ne laisse rien passer lorsqu'elle est saisie : les enquêtes sont menées jusqu'au bout et les sanctions tombent. Par ailleurs, le ministère de la justice dresse chaque année un bilan des contrôles d'identité, qui peut être consulté.

Ne croyez pas que nous serions indifférents aux cas où les règles ne sont pas respectées : chaque fois qu'il y a lieu, des sanctions sont prises. Enfin, j'ai personnellement constaté que le rappel des règles, en matière d'armes à feu mais aussi de contrôles d'identité, occupe une place importante dans la formation de nos agents.

Mme Salama Ramia .  - L'intention des auteurs du texte peut sembler louable, mais le dispositif proposé appelle de profondes réserves.

Les forces de l'ordre exercent leurs missions dans un cadre juridique et déontologique dense et contraignant. Les pratiques sont strictement encadrées par des chartes comme par la jurisprudence. Ce système fonctionne. Et lorsque les règles ne sont pas appliquées, il faut plutôt corriger les pratiques que modifier systématiquement la norme.

Oui, des dérives se produisent. Dans sa décision du 11 octobre 2023, le Conseil d'État a reconnu la réalité des contrôles d'identité discriminatoires. Ils sont fermement condamnés par la justice, les inspections, les autorités hiérarchiques. L'État de droit est garanti.

Ne commettons pas l'erreur de confondre dérives individuelles et défaillance systémique. Le Conseil d'État a clairement écarté le caractère généralisé des contrôles discriminatoires. La dérive est l'exception, pas la règle.

L'article 2 restreint le champ des contrôles d'identité administratifs à des cas où une atteinte grave pourrait être portée à l'ordre public. Il transforme ainsi en profondeur la nature de ce contrôle en le privant de sa dimension préventive. Cette mesure pourrait constituer une régression par rapport à la jurisprudence constitutionnelle, qui reconnaît la sauvegarde de l'ordre public comme une nécessité de la vie démocratique.

Le contrôle d'identité est un outil essentiel pour les forces de l'ordre et constitue leur premier levier d'action, au coeur de la prévention et de la lutte contre la délinquance. Il doit rester disponible avec discernement, mais sans entrave superflue.

Contrairement à ce que suggère ce texte, la confiance entre la population et la police n'est pas rompue. Selon une enquête de juillet 2023, 77 % des Français ont une bonne image de la police, un quart une très bonne image : on est loin du divorce.

La confiance ne se décrète pas ; elle se renforce par celle que nous, législateurs, témoignons à ceux qui veillent sur notre sécurité.

À partir d'un constat contestable, cette proposition de loi propose des réponses inadaptées et risque de semer le doute là où nous attendons clarté et soutien. Le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi.

M. Michel Masset .  - Le lien de confiance entre la police et la population est indispensable. Les forces de l'ordre républicaines protègent les citoyens à tout moment et sur l'ensemble du territoire. Je rends hommage à ces femmes et ces hommes qui servent la nation.

L'honneur de cet engagement oblige à une grande responsabilité : policiers et gendarmes sont les représentants de la loi, sur lesquels repose une partie de la promesse d'égalité devant le droit.

Nombreuses sont les institutions publiques et les associations qui interpellent la puissance publique sur l'encadrement des contrôles d'identité.

Le Conseil d'État a reconnu en 2023 que les contrôles d'identité discriminatoires n'étaient pas des cas isolés. Mais la situation est difficile à appréhender pour les pouvoirs publics. La Cour des comptes déplore un manque de contrôle judiciaire ainsi qu'une absence totale de traçabilité. Tant pour les victimes de discriminations que pour les forces de l'ordre, le cadre légal pourrait être insuffisamment protecteur. Notre loi réprime les actes discriminatoires, mais les preuves sont difficiles à établir.

Nous ne voulons en aucun cas stigmatiser les forces de l'ordre, mais améliorer l'exercice quotidien de leurs missions.

La réalité nous empêche de balayer la proposition de loi d'un revers de main, et nous oblige au contraire à chercher des solutions.

J'entends les difficultés relevées par le rapporteur. La proposition de loi s'inspire de mécanismes déjà éprouvés au Royaume-Uni - les récépissés - voire de préconisations émises par différentes inspections générales - l'activation des caméras-piétons.

Soyons lucides : la distance entre police et population ressentie dans certains territoires est parfois renforcée par des discriminations. Acceptons que notre modèle d'ordre républicain soit toujours perfectible. Le RDSE, partagé, réserve son vote. (MmeMarie-Pierre de La Gontrie et Corinne Narassiguin et M. Ian Brossat applaudissent.)

Mme Anne-Sophie Patru .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) C'est un vieux débat, au Parlement comme dans les médias, mais, le sujet étant évolutif, je remercie nos collègues de nous permettre de l'avoir à nouveau.

Les contrôles d'identité abusifs causeraient un éloignement entre la police et les citoyens ; bien que l'intention des auteurs soit louable, je ne partage pas ce constat. Il serait nécessaire de rétablir le lien de confiance entre la police et la population ? Pourtant, selon l'Ifop, 71 % des Français ont confiance ou éprouvent de la sympathie pour les forces de l'ordre.

Mettons fin au suspense : le groupe UC votera contre ce texte.

Comme le rapporteur l'a souligné, l'exigence de motivation des contrôles d'identité et leur caractère non discriminatoire sont déjà garantis par le droit en vigueur. Le cadre juridique et déontologique des forces de l'ordre est complet et efficace.

La proposition de loi restreindrait excessivement le recours aux contrôles d'identité, outil efficace pour la prévention des troubles à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions. Un récépissé alourdirait considérablement la procédure de contrôle sans bénéfice clair pour les contrôlés, alors que les forces de l'ordre rejettent déjà l'excès d'administration dans leurs tâches.

La création d'un fichier de masse pour la traçabilité des contrôles d'identité interroge aussi.

L'activation systématique des caméras-piétons pose des problèmes de stockage et de respect de la jurisprudence constitutionnelle.

Rennes a récemment été le théâtre de plusieurs incidents violents impliquant la police : une course-poursuite au cours de laquelle un enfant de cinq ans a pris deux balles dans la tête et une fusillade en pleine journée dans le quartier de Villejean. Il faut réduire les contraintes des forces de l'ordre plutôt que d'en ajouter.

Nous devons protéger nos forces de l'ordre tout en travaillant à des solutions pragmatiques pour renforcer le lien entre police et population.

Nous ne nions pas l'existence de certaines dérives. Mais lorsque les dérives sont révélées, elles sont sanctionnées. Le droit positif le permet déjà.

La proposition de loi, outre qu'elle fait planer un doute généralisé sur les forces de l'ordre, serait inefficace. Nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Ian Brossat .  - Cette proposition de loi défendue par Corinne Narassiguin pose la question suivante : existe-t-il dans notre pays des contrôles aux faciès ? La réponse est oui.

Les faits sont têtus et chiffrés : les jeunes hommes entre 18 et 25 ans perçus comme noirs ou arabes ont une probabilité vingt fois plus élevée que la moyenne de subir un contrôle d'identité. Le Conseil d'État a reconnu que ce n'était pas un cas isolé.

Derrière ces chiffres, il y a des réalités vécues : enseignant au lycée Jean-Jacques Rousseau à Sarcelles et empruntant le RER D tous les jours, je n'ai pas été contrôlé une seule fois, alors que mes élèves qui se rendaient à Paris l'étaient systématiquement.

On peut faire semblant, mais, de fait, ces contrôles au faciès existent. La droite sénatoriale et le Gouvernement nous reprochent souvent une culture du déni. Là, il n'est pas de notre côté.

Deuxième question : l'existence des contrôles au faciès étant démontrée, pose-t-elle problème ? En République, oui.

Vous avancez que les Français ont majoritairement confiance en leur police, à plus de 70 %. C'est vrai ! Mais cette réalité ne contredit pas celle des contrôles au faciès (M. Jérôme Durain le confirme) : une majorité a confiance en la police, tandis qu'une minorité subit des contrôles au faciès. Cela doit interroger l'ensemble de la société. Et ce n'est pas parce que tous les Français n'en ont pas conscience que ce n'est pas un problème.

Cette proposition de loi reprend des exigences posées par une proposition de loi d'Éliane Assassi de 2016, comme le récépissé. Cohérents, nous la voterons. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE)

M. Guy Benarroche .  - Renforcer la confiance de la population envers la police est un enjeu d'importance. Loin des clichés dont nous accuse l'autre partie de l'hémicycle ou le Gouvernement, notre position est claire : la police doit être respectée. Le problème n'est pas les errements de quelques-uns, mais l'incapacité systémique de les empêcher.

L'encadrement des contrôles d'identité doit donc évoluer. Actuellement, les officiers et agents de police judiciaire peuvent inviter toute personne à justifier de son identité sur la voie publique dans un cadre préventif et administratif, quel que soit le comportement de la personne. Le défaut de statistiques officielles sur les caractéristiques des personnes contrôlées a longtemps empêché de mesurer la réalité.

La Conseil d'État rappelle les faits : « Un contrôle d'identité effectué selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée sans aucune justification objective préalable constitue une discrimination directe. » Citant le rapport du défenseur des droits de 2019 et le rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance du 28 juin 2022 s'inquiétant de « la persistance de contrôles discriminatoires et de comportements abusifs de la part des forces de l'ordre françaises », il indique que, compte tenu de l'absence de traçabilité administrative, et de l'impossibilité qui en résulte de déterminer leur nombre et leurs motifs, on peut tenir comme suffisamment établie l'existence d'une pratique discriminatoire qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés.

Les faits sont là ; les nier, ce n'est pas aider et soutenir la police, dont l'immense majorité des membres effectuent leur travail avec engagement, courage et probité. (M. Jérôme Durain renchérit.)

Le Conseil d'État balaie les arguments qui se fondent sur le faible nombre de plaintes. Un rapport du délégué du ministère de l'Intérieur de juillet 2021 montre que ces données ne permettent pas de rendre compte de l'ampleur du phénomène, en raison notamment de la difficulté à en établir la preuve et de la résignation ou du manque d'information des victimes.

Mettre en place les récépissés et l'enregistrement par les caméras mobiles, cela donne des moyens à la police de résister à la pression de sa direction en faveur d'une pratique aussi chronophage qu'inutile (Mme Sophie Primas s'en amuse), en même temps que cela permet aux citoyens de savoir que leur droit à ne pas être contrôlés de manière arbitraire, répétitive et parfois discriminatoire est mieux garanti.

Le GEST votera ce texte. Nous souhaitons aussi une réforme de l'IGPN, la modification de la doctrine de maintien de l'ordre dans les manifestations et une meilleure formation des forces de l'ordre. (Applaudissements à gauche)

M. Jérôme Durain .  - Chaque jour, des femmes et des hommes en uniforme veillent au maintien de l'ordre et interviennent dans des situations complexes, parfois dangereuses. La police est un pilier de notre pacte républicain : elle protège les faibles, fait respecter la loi et incarne l'autorité légitime de l'État. Mais elle est sursollicitée et manque de ressources. Dans ce contexte, chaque action compte. Tout doit l'aider à remplir ses missions premières : protéger la population et faire respecter les droits de tous. Nous devons donc avoir un débat lucide, serein et républicain.

Il ne s'agit pas de remettre en cause le travail des policiers, que nous connaissons et respectons ; difficile, parfois ingrat, mais indispensable. Il ne s'agit pas de nier les réalités du terrain, dont les agressions fréquentes de policiers rendent compte. Mais il faut entendre ce que disent certains Français, qui se sentent contrôlés non pour ce qu'ils font, mais pour ce qu'ils sont.

La majorité des contrôles d'identité ne débouchent sur aucune procédure, et 40 % des policiers et gendarmes s'interrogent sur leur utilité.

C'est pourquoi nous prônons une traçabilité des 32 millions de contrôles. Chaque heure de travail est précieuse et chaque patrouille compte : peut-on encore se permettre d'allouer autant de temps à des pratiques dont l'utilité semble marginale ? Ne devrait-on pas redéployer ces moyens vers la lutte contre les trafics, la présence sur les points de deal, la protection des victimes de violences ou encore la prévention auprès de la jeunesse ?

L'idée n'est pas de supprimer la totalité des contrôles d'identité, mais d'en restreindre le caractère massif, qui engendre forcément des dérives. La police doit aller là où elle est attendue et utile.

C'est aussi une question de justice. Quand les citoyens sont constamment contrôlés, on crée de la défiance, de la distance, de la colère, qui finissent par être exploitées et construisent une fracture hémorragique entre la police et la population.

On doit être irréprochable quand on lutte contre la délinquance. C'est le cas de la majorité de la police, mais cela ne doit pas exclure toute remise en question, comme semble le suggérer M. le rapporteur.

On nous oppose des opinions, des sentiments et des sondages. Nous aussi faisons partie des trois quarts des Français qui disent que la police fait bien son travail. Ce n'est pas le sujet !

On connaît la marotte de M. Bonhomme contre la Défenseure des droits, qui serait obsessionnelle... (M. François Bonhomme s'en amuse.)

Les militants, ici, ce n'est pas nous. Nos sources, c'est le Conseil d'État, qui dit que ces contrôles discriminatoires ne sont pas isolés ; la Cour des comptes, qui s'étonne de ne pas être capable de dénombrer ces contrôles d'identité ; l'IGPN, qui reconnaît un problème entre la police et la population.

Nos propositions, qui viennent de l'institution policière elle-même, sont simples : tracer et enregistrer grâce aux caméras-piétons.

Vous nous dites que les gens ne se plaignent pas ? Mais une victime d'un contrôle discriminatoire qui ne peut pas le prouver ne porte pas plainte !

Nous voulons conforter le fait que les policiers sont des citoyens parmi les citoyens et mieux assurer la sécurité et les droits de tous dans la République. (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Bravo !

M. Marc Laménie .  - Cette proposition de loi pose d'importants problèmes. Nous rejoignons la position du rapporteur. À l'heure où nos forces de l'ordre ont besoin de soutien, elle est malvenue.

Selon un rapport de l'IGPN, 23 membres des forces de l'ordre sont agressés chaque jour en France. Cela nous interpelle. C'est révoltant et inacceptable. N'oublions pas non plus les sapeurs-pompiers.

S'attaquer aux forces de l'ordre, c'est s'attaquer à notre contrat social. Cette proposition de loi n'est pas une réponse adaptée à la situation. Sa philosophie même pose une présomption de discrimination à l'égard des forces de l'ordre.

Sur les 4 856 signalements recensés par l'IGPN, seuls 29 avaient trait à des propos discriminatoires tenus lors d'un contrôle d'identité, soit moins de 1 % des signalements. Le Conseil d'État a écarté l'idée d'une discrimination généralisée ou systémique.

Les actes d'une minorité d'agents ne devraient pas être l'occasion de jeter l'opprobre sur l'ensemble des forces de l'ordre, qui travaillent dans des conditions difficiles.

Les mesures de la proposition de loi ne sont pas adaptées aux réalités du terrain. Il est notamment prévu d'inscrire dans la loi la motivation de chaque contrôle : c'est incantatoire, inutile, et même redondant avec le droit existant.

Le récépissé mentionnerait le fondement juridique et les motifs du contrôle d'identité : cela alourdirait inutilement les procédures et rien ne prouve que cela lutterait contre les discriminations. Au regard de ces contraintes matérielles, le Gouvernement s'y était déjà opposé en 2016.

Le texte propose aussi que les contrôles d'identité soient systématiquement enregistrés par les caméras mobiles : cela poserait des problèmes de stockage des données.

Si la proposition de loi ne répond pas à la situation de façon adaptée, elle pose une question que nous devrons traiter. Le groupe Les Indépendants ne votera pas le texte. Nous veillerons à ce que personne ne soit victime de discrimination, mais sans alourdir la tâche déjà bien lourde de nos policiers et gendarmes. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il est des mots qui claquent comme des serments républicains. Confiance, police et population sont les éléments de notre pacte social. Trois mots que la proposition de loi prétend réconcilier. Mais derrière, se cache une mécanique de suspicion.

M. Jérôme Durain.  - C'est faux !

M. Stéphane Le Rudulier.  - Ce texte, sous couvert de rétablir la confiance, l'érode totalement. (Mme Audrey Linkenheld proteste.)

M. Patrick Kanner.  - C'est vieux comme Hérode ! (Sourires)

M. Stéphane Le Rudulier.  - C'est vrai, il existe des tensions dans certains quartiers, des injustices ont pu être commises et nous devons les reconnaître. Mais la réponse n'est certainement pas de placer nos forces de l'ordre sous la contrainte permanente d'un formulaire ou sous le regard d'une caméra brandie comme un contre-pouvoir systématique. Est-ce cela, la République ? Une société où l'on soupçonne ses serviteurs, où l'on contrôle le contrôleur sans jamais s'interroger sur les causes profondes de la défiance ?

Cela instaure une rupture de la confiance entre l'État et ses agents. Le récépissé est une stigmatisation qui rend chaque acte de sécurité suspect et envoie ce message implicite, mais limpide : nous ne vous faisons pas confiance...

Le respect de la dignité des personnes contrôlées est légitime. Mais qu'en est-il de celle des policiers et des gendarmes qui seraient désormais invités à justifier chaque intervention comme s'ils étaient les accusés permanents d'un procès sans fin ?

M. Jérôme Durain.  - Tout le monde le fait...

M. Stéphane Le Rudulier.  - Que diraient les policiers de Marseille, agissant dans des zones de non-droit, qui devraient cocher des cases et demander pardon d'exister ? Ce n'est pas cela l'autorité républicaine, l'honneur du maintien de l'ordre ! (M. Guy Benarroche proteste.)

Et que dire de l'article 4, qui ferait de chaque patrouille une opération de surveillance inversée ? Qui contrôle qui ? Où est la frontière entre transparence légitime et défiance institutionnalisée ? Ce texte se trompe de cible : le problème, ce n'est pas la confiance entre la police et la population, c'est l'effondrement de l'autorité. Dans une société où la violence progresse, où les uniformes sont pris pour cible, c'est là que le lien est rompu.

La discrimination doit être combattue, mais sans généraliser la suspicion. La République n'avance pas à coups de généralités culpabilisantes, mais par le discernement et l'équilibre entre liberté et sécurité.

Cette proposition de loi est un renoncement : à l'autorité, à l'universalité républicaine, au soutien dû à ceux qui incarnent la loi. Sans respect de la loi, il n'y a ni liberté, ni égalité, ni fraternité : il n'y a que désordre, violence et ressentiment.

Nous devons respecter la population, quelle que soit son origine, mais aussi ceux qui nous protègent. La police est un rempart, pas une menace. Ne créons pas une nouvelle ligne de fracture, ne cédons pas aux bons sentiments qui sapent l'autorité légitime de la République. Les liens de confiance ne se décrètent pas à coups de lois de soupçon.

Le groupe Les Républicains votera contre ce texte, par attachement à une République d'équilibre, de responsabilité et de courage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Marc Laménie et Olivier Henno applaudissent également.)

Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement .  - Comme François-Noël Buffet l'a rappelé dans la discussion générale, le Gouvernement ne soutiendra pas cette proposition de loi. Non pas par dogme : nous ne faisons pas de procès d'intention, cet hémicycle témoignant souvent de son soutien aux forces de l'ordre.

Mais les dispositions proposées aux premiers articles figurent déjà dans le droit commun et font l'objet d'améliorations continues de la part des forces de l'ordre. Des sanctions pénales et administratives sont prévues dans le droit actuel ; il faut les appliquer.

Le récépissé a tout de la fausse bonne idée. Cela rallonge le processus, même si j'ai bien compris que M. Durain souhaitait en réduire le nombre. Si nous rajoutons des informations sur l'origine, la couleur de peau, cela posera problème.

Mme Corinne Narassiguin.  - Je n'ai jamais dit cela.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée.  - Si nous voulons prouver le caractère discriminant des contrôles, nous devrons renseigner le fichier des récépissés et ainsi demander la couleur de peau, ce qui est interdit par notre droit. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Discussion des articles

Article 1er

M. Jérôme Durain .  - « Défiance », « loi de soupçon » ? Ce n'est pas du tout cela ! Le groupe SER ne cherche que l'efficacité de l'action de la police. Pas moins de 47 millions de contrôles : 15 millions sur voie routière et 32 millions - au jugé, selon la Cour des comptes ! Mais quel artisan ne sait pas combien d'objets il a fabriqués dans la journée ? Pourtant, concernant la police, nous devrions accepter de ne pas savoir ?

Tout le monde demande la motivation des contrôles. Je cite le rapport Vigouroux : « préciser par voie de circulaire les conditions de réalisation des contrôles d'identité de façon à veiller à ce qu'ils respectent les principes généraux définis dans le code de déontologie de la police et de la gendarmerie ». Proposition 51 : « Veiller à mieux circonscrire les contrôles en les ciblant et les limitant dans le temps et dans l'espace. » Proposition 52 : « Exiger qu'il soit communiqué verbalement les motifs des contrôles d'identité aux personnes contrôlées. » On parle d'une commande des ministres Darmanin et Dupont-Moretti...

Que dit le CEDPN ? Qu'il fallait rendre obligatoire l'usage des caméras-piétons. Ceux qui le demandent, ce sont des policiers eux-mêmes, et non d'affreux apparatchiks gauchistes. Ce sont ceux qui veulent que la police travaille bien.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Très bien !

M. Adel Ziane .  - Ce débat comporte du déni. Ne cédons pas à la facilité. Les Français soutiennent leur police nationale. Au Sénat, ce soutien s'affirme régulièrement. Mais on ne peut pas d'un côté déplorer un sentiment de défiance envers l'autorité et de l'autre ne rien faire pour le réduire.

En 2005, Zyed et Bouna avaient fui un contrôle, car leurs parents avaient confisqué leurs papiers d'identité, de peur qu'ils ne les perdent. Les travaux de François-Noël Buffet lui-même ont montré que les tensions s'étaient aggravées, notamment à cause des contrôles d'identité.

Engager une réflexion sur les contrôles d'identité grandirait la police nationale. Nous souhaitons redonner du sens au travail des policiers, dont près de 40 % d'entre eux trouvent ces contrôles d'identité peu ou pas efficaces.

Évaluer, c'est notre travail de parlementaires, et l'institution policière elle-même le demande.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 1er est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°282 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 115
Contre 225

L'article 1er est supprimé.

Article 2

Mme Corinne Narassiguin .  - L'article 78-2 du code de procédure pénale fait polémique. L'ancienne directrice de l'IGPN le dit : il est tellement large, tellement mal écrit, il laisse tellement de place à l'arbitraire que les policiers eux-mêmes se mettent en danger.

Je souhaitais restreindre ces contrôles, établir un cercle vertueux remettant en cause les contrôles d'identité comme instrument principal d'interaction avec les jeunes. Il n'est pas nécessaire, pour demander à des jeunes bruyants de se calmer, de recourir à des contrôles d'identité. D'autres moyens moins agressifs seraient plus efficaces.

Mme la présidente.  - Amendement n°4 rectifié de M. Haye et alii.

M. Ludovic Haye.  - Le recours aux réquisitions écrites par le procureur de la République est un cadre légal rigoureux. Ajouter une exigence supplémentaire de demande motivée du représentant de l'État complexifierait la procédure, alors que nous devons rechercher la facilité.

Supprimons l'article 2 pour réaffirmer notre confiance en nos procédures et nos agents.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°6 rectifié bis de Mme Belrhiti et alii.

Mme Marie-Do Aeschlimann.  - Défendu.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Avis favorable. Cet article restreint considérablement les contrôles d'identité dans le cas de troubles à l'ordre public, qui seraient limités à des événements et des manifestations.

Cet article brouille les pistes entre police administrative et judiciaire. Outre la charge administrative supplémentaire pour le parquet, la publication de certaines données fournirait des informations précieuses aux délinquants sur les méthodes des forces de l'ordre.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée.  - Avis favorable. La modification apportée est susceptible de créer une confusion entre les régimes judiciaires et administratifs des contrôles d'identité. Cela pourrait s'apparenter à une atteinte à la séparation des pouvoirs. Enfin, la restriction des contrôles à certains événements est excessive.

Mme Corinne Narassiguin.  - Depuis que l'État a commencé à être condamné pour des contrôles administratifs abusifs, il y a de plus en plus de contrôles sur réquisition. Dans de nombreux cas, la police rédige elle-même la réquisition et la fait signer au procureur.

J'ai voulu que chacun prenne ses responsabilités. Si le préfet estime qu'un besoin existe en un temps et en un lieu donné, alors il adresse une demande au procureur, qui pourra toujours prendre par ailleurs des réquisitions de son propre chef.

Mais il faut aussi contrôler ces contrôles par réquisition. Nous n'avons aucune donnée sur leur efficacité. Durant les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), les policiers étaient présents partout en Seine-Saint-Denis, mais la population était très contente, parce que la police avait reçu instruction d'avoir un rapport bienveillant avec elle. Cela prouve qu'il est possible de faire autrement.

À la demande du groupe Les Républicains, les amendements identiques nos4 rectifié et 6 rectifié bis sont mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°283 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l'adoption 206
Contre 118

Les amendements identiques nos4 rectifié et 6 rectifié bis sont adoptés et l'article 2 est supprimé.

Article 3

Mme Corinne Narassiguin .  - L'article 3 instaure des récépissés. J'avoue ne pas comprendre l'idée saugrenue selon laquelle nous voudrions faire un fichage en fonction de la couleur de peau. À moins que la couleur de peau soit un critère de contrôle, mais là il y aurait un petit problème... (Mme Sophie Primas se récrie.)

Je suis opposée aux statistiques ethniques, contraires à tous les principes républicains.

Les arguments techniques sont aussi fallacieux : aujourd'hui, les amendes forfaitaires délictuelles se multiplient. Si les policiers peuvent enregistrer les motifs d'une amende et les coordonnées du contrevenant, ils doivent pouvoir le faire pour les contrôles d'identité.

Les données afférentes doivent-elles être stockées par la police ? Je prévois précisément pour le savoir que les modalités seront fixées par décret après avis de la Cnil. Mais le récépissé est une nécessité.

M. Yan Chantrel .  - Depuis le début de cette discussion, nous faisons face à une oeuvre de minoration de la part de la majorité sénatoriale et du Gouvernement. Le ministre de l'intérieur n'est même pas présent ! Il préfère se déplacer pour préparer un congrès...

Quand on est attaché à la police et à la sécurité publique, on éradique les contrôles au faciès.

Je vais vous livrer le témoignage d'un collègue parlementaire, d'origine tunisienne : lors d'une année d'études à Sciences Po Paris, il a compté avoir été contrôlé 300 fois, sans motif, en étant parfois victime de brimades. Il n'a commis aucun délit. Que lui était-il reproché ? Sa présence dans l'espace public.

Certains pays agissent en recourant aux récépissés : le Royaume-Uni, l'Espagne, le Canada. Les policiers canadiens doivent justifier un contrôle : soit la commission d'un délit, soit la suspicion d'en commettre un. Ce n'est qu'en agissant en profondeur que nous pourrons faire société et que nous aurons une police qui oeuvre pour la sécurité publique -  ce que vous ne défendez pas. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Catherine Conconne applaudissent.)

M. Guy Benarroche .  - Le Conseil d'État, la Commission européenne, la Défenseure des droits expliquent qu'il faudrait savoir combien de contrôles sont réalisés, pour quelles raisons, et s'ils sont efficaces. Ces contrôles rendent-ils service à la police, au renseignement, au citoyen ?

Vous nous opposez juste que les policiers sont attaqués, ou bien des arguments techniques. Comme si nous ne savions pas, en France, recueillir des données et les traiter !

Notre but est de réduire le nombre de contrôles qui ne servent à rien, pour faire gagner la police en efficacité.

M. Adel Ziane .  - Cet article est vertueux et efficace. Le droit à l'information, grâce à la mise en place du récépissé, ne peut que renforcer le lien entre police et population. Ce récépissé éclaire le citoyen sur la portée légale d'un contrôle, qu'il peut percevoir comme injuste. Nous limitons donc les contrôles abusifs, inutiles et chronophages, pour concentrer l'action policière là où elle est nécessaire.

Il y a 32 millions de contrôles de police chaque année. En réduisant leur nombre, les forces de l'ordre auraient plus de temps pour lutter contre la délinquance.

L'article prévoit un décret en Conseil d'État pris après avis de la Cnil : le risque est limité.

En 2023, le Conseil d'État a reconnu que les contrôles d'identité discriminatoires existaient en France. Le récépissé est un outil de confiance, qui responsabilise les agents et protège les citoyens et les policiers. Ce n'est pas une contrainte, mais une garantie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - Je défends l'attestation de contrôles d'identité depuis longtemps.

J'écoute le récit effrayant de Yan Chantrel sur les 300 contrôles subis par celui qui est devenu l'un de nos collègues. Une question : quand avez-vous été contrôlés pour la dernière fois ?

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Jamais contrôlée !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Probablement, depuis fort longtemps, dans votre jeunesse...

En réalité, le pouvoir d'État ne sait pas comment imposer un certain nombre de règles à la police. On l'a tenté dans les années 1980 grâce à l'article 78-2 du code de la procédure pénale, puis sous François Hollande avec les caméras-piétons, puis avec le RIO.

Comme vous ne vous sentez pas capables de proposer quelque chose de plus clair, vous restez dans le déni : ça n'existe pas...

L'absence des deux ministres de l'intérieur nous interpelle, même si nous sommes ravis de voir notre ancienne collègue Sophie Primas, qui a sans doute moins mal au ventre au Sénat qu'à la sortie du conseil des ministres.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée.  - Je vois que vous avez de saines lectures.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Mes chers collègues, je suis consternée par votre position !

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié quinquies de Mme Aeschlimann et alii.

Mme Marie-Do Aeschlimann.  - Cet amendement supprime l'article 3. La délivrance systématique d'un récépissé augmentera le temps de chaque contrôle et dissuadera les forces de l'ordre d'en réaliser, notamment dans les quartiers où la petite et moyenne délinquance mine le quotidien.

Il serait incompréhensible que le législateur alourdisse les contraintes qui pèsent sur les forces de l'ordre au lieu de les soutenir. Ce récépissé contribuerait à nourrir la défiance envers elles.

J'ai discuté de cette proposition de loi avec mes deux fils de 21 et 23 ans. L'un des deux a été contrôlé deux fois l'an dernier. Que faut-il en déduire ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Qu'il s'en est bien sorti !

Mme Marie-Do Aeschlimann.  - Qu'il se comportait bien. (Mme Corinne Narassiguin s'indigne.) Il a simplement sorti ses papiers d'identité et tout s'est bien passé. Il arrive à tout le monde d'être contrôlé. (On le nie à gauche.)

M. Yan Chantrel.  - On peut bien se comporter et être contrôlé.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°3 rectifié bis de M. Haye et alii.

M. Ludovic Haye.  - Dans le même esprit, j'estime que ce récépissé constituerait une charge administrative supplémentaire, alors que les contrôles d'identité sont actuellement strictement encadrés. Se posent aussi des questions de protection des données personnelles.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°7 rectifié ter de Mme Belrhiti et alii.

L'amendement n°7 rectifié ter n'est pas défendu.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Avis favorable. L'objectif de traçabilité pose des questions importantes, car le récépissé alourdirait les procédures administratives et affaiblirait les capacités opérationnelles de la police et de la gendarmerie : 47 millions de récépissés !

Il faudrait créer un fichier de masse. Est-ce proportionnel à l'objectif ?

Ensuite, selon la Cour des comptes et le CEDPN, l'objectif pourrait être atteint par des moyens techniques, sans intervention du législateur.

Vous parlez de « minoration », de « déni »... Il y a eu plusieurs débats sous votre majorité. Les faits sont têtus.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et les caméras-piétons ?

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Les ministres de l'intérieur ont tous rejeté l'idée. Manuel Valls estimait que cela n'apportait pas de solution au contrôle au faciès. Pour lui, c'était une mesure gadget.

Votre proposition alimente la confusion des esprits et la victimisation.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée.  - Avis favorable.

Je réagissais aux différentes interventions en discussion générale sur le « contrôle au faciès ». Pour moi, cela implique des conséquences sur la collecte d'informations, qui ne sont ni souhaitables ni constitutionnelles.

Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Corinne Narassiguin.  - Non !

Mme Sophie Primas, ministre déléguée.  - Au Royaume-Uni et en Espagne, on collecte des informations d'ordre ethnique. Les outils et les mentalités sont différents des nôtres.

La police agit déjà pour lutter contre les discriminations. Le droit permet une amélioration continue en ce sens.

Le Gouvernement considère que cet article 3 doit être rejeté.

M. Guy Benarroche.  - Votre défense est bizarre... Vous faites référence à des éléments peu cohérents. Par principe, vous considérez que pour certains textes de loi, il faut des contrôles généralisés de la population ; et là, ce ne serait pas possible ? On contrôlerait le travail de la police ?

Non. Nous voulons juste faire en sorte que la police travaille mieux. Réaliser 47 millions de contrôles n'est pas logique : c'est le fait d'a priori. Instaurer des récépissés réduira drastiquement le nombre de ces contrôles, alors que nous sommes sans doute champions du monde...

Très souvent, les services d'enquête sur le narcotrafic demandent à réduire le nombre de contrôles dans la rue, car cela les pénalise : les personnes sont contrôlées non en raison d'une suspicion d'action, mais en fonction de ce qu'elles sont.

Mme Corinne Narassiguin.  - Le groupe socialiste a tenu aujourd'hui un colloque sur ce sujet. Deux personnes qui ont témoigné sont à l'origine de la condamnation de l'État pour faute lourde sur le contrôle au faciès. Non, le but n'est pas de ficher les personnes en fonction de leur origine ethnique.

Ces deux personnes nous ont dit qu'elles avaient pu porter plainte parce qu'elles étaient accompagnées en sortie scolaire par leur enseignante, qui connaissait un avocat qui a accepté de travailler pro bono. C'était donc un concours de circonstances très particulier.

Si l'on est contrôlé abusivement par la police, on ne va pas porter plainte auprès de la police ! On a besoin des récépissés pour porter plainte, mais aussi pour établir des statistiques et ainsi évaluer la qualité et l'utilité du travail des policiers. Les policiers sont en souffrance et ont besoin de retrouver le sens de leur travail.

M. Jérôme Durain.  - Je suis inquiet sur la question sécuritaire. Je ne suis pas certain que les effectifs budgétaires suffisent à endiguer une menace d'une extrême gravité. Nous sortons de l'examen de la proposition de loi sur le narcotrafic. Je le dirai de façon bestiale : nous avons besoin de policiers qui fassent du boulot utile plutôt que d'aller emmerder des gamins. Quand un môme est contrôlé dans sa commune cinq fois de suite par des policiers qui connaissent son identité et qui viennent la lui redemander, ce n'est pas du travail utile à la société...

Nous nous reverrons sur ce sujet. Sur certains bancs, il faudra clarifier votre position. Soit vous êtes dans le déni, soit vous considérez que les personnes contrôlées ont forcément quelque chose à se reprocher. Le déni et la suspicion ne font pas de bonnes politiques publiques. Dommage, le récépissé était une idée intéressante.

M. Ian Brossat.  - Il n'y a rien de pire que d'expliquer à des gens que ce qu'ils vivent tous les jours n'existe pas.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée.  - Ce n'est pas cela !

M. Ian Brossat.  - Des milliers de jeunes hommes et jeunes femmes subissent tous les jours des contrôles au faciès. Vous nous dites que cela nous fait mettre le doigt dans l'engrenage des statistiques ethniques. Le seul responsable politique qui s'y est dit favorable, c'était Bruno Retailleau, le 19 janvier dernier sur BFM... à condition qu'elles n'engendrent pas de discrimination positive... (Rires à gauche)

Ne cherchez pas la défense des statistiques ethniques de notre côté ! (Applaudissements à gauche)

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Madame Narassiguin, la justice a fonctionné. Il ne s'est pas rien passé !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Il y a eu condamnation de l'État !

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Parler de déni, c'est faire une extrapolation abusive. (Mme Corinne Narassiguin ironise.) Que faites-vous du discernement des gendarmes et policiers, qui prêtent serment et sont formés ? Il existe aussi des plateformes de signalement, le Défenseur des droits. Dans chaque compagnie de gendarmerie, il y a un référent. Il est toujours possible de saisir le procureur de la République, qui sera juge de l'opportunité des poursuites. Entretenir l'idée d'un déni, c'est manquer de voir la totalité du problème.

Par principe, le contrôle d'identité est une levée de doute. C'est une prérogative du policier et du gendarme, pour prévenir tout trouble à l'ordre public.

Bernard Cazeneuve, qui ne peut pourtant pas être soupçonné de dérive droitière caractérisée, allait dans notre sens.

Mme Corinne Narassiguin.  - Il a eu tort !

M. François Bonhomme, rapporteur.  - On court après le sujet. Faites confiance au discernement des policiers.

M. Jérôme Durain.  - C'est un boulot pour l'opposition.

M. Adel Ziane.  - On rate la cible en refusant de vérifier l'efficacité des contrôles.

Puisqu'on en est à faire de l'archéologie, quand on parle de posture de la police nationale, remontons un peu plus loin. J'ai souvent été contrôlé dans ma jeunesse, pour des raisons qui m'échappent... (On s'en désole sur les travées du groupe SER.)

En 1998, sous le gouvernement Jospin, a été créée la police de proximité, à la suite de la loi Pasqua de 1995, pour « que la police retrouve toute sa place dans la cité ».

Nous voulons une approche fondée sur la présence, l'écoute et la prévention des policiers dans les quartiers : une police du lien, brutalement supprimée en 2003, car Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, a tourné la page d'une police sociale, qui s'est finalement coupée du terrain. Cela a créé un sentiment d'abandon et a rompu la confiance entre la police et la population.

À la demande du groupe Les Républicains, les amendements identiques nos1 rectifié quinquies et 3 rectifié bis sont mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°284 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 224
Contre 117

Les amendements identiques nos1 rectifié quinquies et 3 rectifié bis sont adoptés.

L'article 3 est supprimé.

Article 4

Mme Corinne Narassiguin .  - Cet article 4 instaure l'obligation de l'activation des caméras mobiles lors d'un contrôle d'identité. Actuellement, on incite les policiers à le faire seulement quand les choses tournent mal. Lors d'un recours, on nous explique que la caméra n'a pas été activée, ou qu'elle n'avait pas de batterie. C'est pourquoi on doit inscrire dans la loi cette activation obligatoire, dès le début du contrôle. Le policier doit déclencher la caméra avant même de s'approcher.

Ainsi, nous protégerons aussi les policiers. En effet, la relation entre les forces de police et la population s'est détériorée. Des jeunes contrôlés pour la cinquième fois dans la même journée peuvent adopter des comportements agressifs, et il faut pouvoir protéger le policier qui fait impeccablement son travail. C'est souvent vers la caméra-piéton que l'on se tourne quand on rejette le récépissé, ce que vous venez de faire.

La caméra-piéton est un engagement de la France auprès du Conseil de l'Europe.

Mme Colombe Brossel .  - La droite sénatoriale ne souhaite pas voter pour le récépissé, dont acte. Mais la stratégie des amendements de suppression sur chacun des articles aboutit à ce que la droite sénatoriale vote contre des dispositifs qu'elle a elle-même défendus ou qui sont simplement de bon sens.

Je relisais les arguments de collègues des groupes Les Républicains ou UC lors de débats parlementaires sur la caméra-piéton, par exemple pour la police des transports. Dans un grand nombre de questions écrites, ils demandent l'extension de l'usage des caméras-piétons. Il y aurait des contraintes matérielles difficilement surmontables, nous dit-on ? Pourtant, ce ne sont pas ces arguments qui sont développés dans ces mêmes questions.

Ne faites pas semblant de trouver des arguments raisonnables quand vous votez déraisonnablement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Patrick Kanner .  - Merci à nos collègues de droite qui m'ont rajeuni de huit ans, me ramenant à la loi Égalité et citoyenneté. Il avait été décidé d'expérimenter les caméras-piétons. L'objectif était de sécuriser la relation de confiance entre la police et la population. C'était en 2017 ; nous sommes en 2025.

Madame la ministre, que s'est-il passé depuis ? Avez-vous évalué l'expérimentation ? Avez-vous fait en sorte de donner les moyens aux policiers pour tous les équiper ?

J'entends vos remarques sur le récépissé, mais il y avait un consensus potentiel sur les caméras-piétons. Pour moi, un policier qui sort de sa voiture doit immédiatement déclencher la caméra.

L'objectif, c'est que, sur ces dizaines de millions de contrôles, il n'y ait plus un seul contrôle au faciès. J'espère la bienveillance du Sénat.

Mme la présidente.  - Amendement n°5 rectifié de M. Haye et alii.

M. Ludovic Haye.  - L'ambition de la vérité est essentielle, et les enregistrements vidéo y concourent. Si la caméra mobile est appréciée des policiers, dans certaines situations il est difficile de l'activer, si tant est que tous les policiers en soient équipés. C'est pourquoi il faut une formulation plus souple, qui tienne compte de la complexité et de la réalité du terrain.

Évitons toute incertitude juridique pour les forces de l'ordre.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Je comprends l'intention de préciser les conditions de mise en oeuvre de l'article 4, néanmoins vous ne lèveriez pas l'ensemble des difficultés. L'obligation d'enregistrer les interventions pourrait fragiliser les procédures.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Comment ?

M. François Bonhomme, rapporteur.  - On pourrait ainsi annuler des procédures, si la caméra n'a pas été déclenchée. (Mme de La Gontrie le conteste.)

L'activation des caméras individuelles n'est pas systématiquement synonyme de désescalade. Au contraire, elle peut envenimer la situation. Remettons-nous-en au discernement des forces de l'ordre.

M. Patrick Kanner.  - Il faut un cadre.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Vous encouragez une suspicion permanente sur la nature des contrôles, comme si les policiers faisaient toujours un usage dévoyé des contrôles d'identité.

Monsieur Kanner, je vais encore vous rajeunir, de treize ans cette fois-ci. Pourquoi avez-vous à l'époque renoncé au récépissé ? (Protestations sur les travées du groupe SER) D'où ma demande de retrait.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - On a instauré la caméra-piéton, et le RIO !

Mme Sophie Primas, ministre déléguée.  - Cet article me paraît inconstitutionnel. Le Conseil constitutionnel a exclu un usage généralisé et discrétionnaire des caméras. Cet article constitue une atteinte généralisée aux libertés individuelles. Avis défavorable à l'article et demande de retrait de cet amendement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Cela ne tient pas la route !

L'amendement n°5 rectifié est retiré.

Mme la présidente.  - Si cet article n'était pas adopté, il n'y aurait plus de texte. Il n'y aurait plus lieu de voter, et donc pas d'explications de vote. Y a-t-il des prises de parole ?

Mme Corinne Narassiguin .  - Je veux remercier les collègues présents, sur toutes les travées. Même s'il n'a pas été surprenant, ce débat éclaire la route qu'il reste à parcourir.

Monsieur le rapporteur, si nous revenons à la charge malgré des promesses non tenues sur le récépissé, c'est parce que les besoins sont encore plus criants. Le problème s'est aggravé et les solutions actuelles sont insuffisantes. Nous avions mis en place le RIO et l'expérimentation des caméras-piétons, mais les preuves de la réalité des discriminations s'accumulent. L'IGPN elle-même l'évoque, et pas seulement la Défenseure des droits.

Tout le monde veut une République qui fonctionne bien, et donc une police républicaine digne de porter ce nom. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K ; M. Michel Masset applaudit également.)

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 4 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°285 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l'adoption 123
Contre 202

L'article 4 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.