Création de l'établissement public du commerce et de l'industrie de Corse (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant création de l'établissement public du commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse.

Discussion générale

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation .  - Je suis heureux de vous présenter un texte très attendu par la Corse et ses habitants, aboutissement d'un travail collectif qui a mobilisé le Gouvernement et les élus corses ces dernières années.

Une évidence, d'abord : la Corse est une île. (Sourires) Cette spécificité doit être prise en compte dans la plupart des décisions de la puissance publique, qu'il s'agisse de l'État ou de la collectivité de Corse.

Cette géographie impose une attention particulière à la desserte, maritime ou aérienne, et à l'accès au continent - c'est la continuité territoriale.

L'enjeu est aussi économique, car le secteur touristique contribue cinq fois plus à la richesse produite sur l'île que sur le reste du territoire.

La bonne gestion et la sécurité des ports et aéroports de la Corse est un impératif. La maîtrise d'ouvrage doit impérativement revenir à la puissance publique, seule garante d'une vision de long terme soucieuse du bien commun.

Je remercie la rapporteure pour son travail et la qualité de nos échanges. Sur son initiative, la commission a adopté des précisions bienvenues - dont l'une, toutefois, me semble appeler un ajustement, sur lequel je reviendrai.

Ce projet de loi est nécessaire dans le cadre du processus initié par la création, en 2018, de la collectivité unique de Corse, chargée des compétences en matière de développement économique et de continuité territoriale. Prolongeant cette orientation, la loi Pacte de 2019 a prévu une évolution statutaire des chambres consulaires afin de donner à la collectivité de Corse les moyens d'exercer pleinement ses compétences.

Ce projet de loi est attendu : il est le fruit d'une concertation étroite entre l'État, la collectivité et la CCI. Je remercie pour cet effort collectif les présidents des deux dernières, ainsi que les représentants syndicaux. Je salue également l'engagement de Catherine Vautrin, qui a initié ces échanges avec le concours du préfet de Corse.

L'Assemblée de Corse a émis, à l'unanimité, un avis favorable sur ce texte équilibré, de bon sens, sécurisé techniquement et juridiquement. La création d'un établissement sui generis, adapté aux spécificités locales, apporte une triple garantie : garantie de maîtrise d'ouvrage publique des infrastructures ; garantie des intérêts des agents ; garantie de qualité de service pour la population.

Placé sous la tutelle de la collectivité de Corse, le nouvel établissement public reprendra les missions actuelles de la CCI, dont je salue l'action, en particulier dans le domaine de la gestion portuaire et aéroportuaire. Les délégations de service public (DSP) relatives au port de Bastia et aux aéroports d'Ajaccio, Bastia, Calvi et Figari, arrivées à échéance le 31 décembre dernier, ont été exceptionnellement prolongées pour un an, mais cette situation ne peut durer.

La nouvelle structure, qui verra le jour au 1er janvier prochain, permettra une gestion en quasi-régie, garantissant le contrôle de la collectivité sur les grandes décisions stratégiques. Les élus de la collectivité seront majoritaires au sein de son conseil d'administration.

Le Conseil d'État a estimé qu'il n'était pas du ressort de la loi de déterminer la nature administrative ou industrielle et commerciale de cet établissement. Nous laissons les acteurs locaux décider de l'organisation la plus pertinente.

L'établissement public reprendra les missions obligatoires de la CCI ; la gestion des ports et aéroports est explicitement mentionnée. Le personnel et les biens de la CCI lui seront transférés à titre gratuit, sans impôt ni taxe. Financièrement, l'opération est neutre et même bénéfique pour la Corse, puisque l'établissement créé percevra les contributions des entreprises et les transferts du réseau CCI France et que la collectivité bénéficiera d'une compensation pour charges de tutelle.

Le conseil d'administration de l'établissement public sera composé majoritairement de membres de l'Assemblée de Corse, ainsi que de représentants élus des professionnels ; des représentants du personnel y siégeront à titre consultatif.

Je suis favorable aux précisions apportées par la commission en matière de gouvernance. D'une part, la présidence de l'établissement sera exercée par le président du conseil exécutif, qui pourra la confier à un autre membre de ce conseil : le président doit pouvoir assumer de droit la gestion d'une structure de cette importance. D'autre part, les conseillers exécutifs assurant la présidence d'une agence pourront siéger au conseil d'administration avec voix délibérative : il est naturel que les élus chargés du transport, du tourisme et du développement économique soient associés à la gouvernance.

De même, je salue les mesures introduites en commission prévoyant la présence de représentants du personnel avec voix consultative et limitant à vingt le nombre de représentants élus de la CCI. Pour être opérationnel, un conseil d'administration doit être assez ouvert pour être représentatif, mais aussi assez resserré pour garantir la qualité du dialogue.

Enfin, je salue le remplacement en commission du comité social et territorial par un comité social et économique répondant parfaitement aux demandes des partenaires sociaux.

Le Gouvernement n'a déposé qu'un amendement, sur le délai de renégociation des accords unilatéraux conclus au sein de la CCI de Corse, que le texte initial fixait à dix-huit mois. Par souci de sécurisation juridique et pour faciliter le dialogue social, il nous paraît opportun de l'allonger. Un délai de quatre ans semble un bon compromis entre la proposition de la commission et les préconisations du Conseil d'État.

L'éventuelle intégration de la Chambre de métiers et de l'artisanat (CMA) de Corse au nouvel établissement public, esquissée dans la loi Pacte, mérite d'être étudiée techniquement et de faire l'objet d'une concertation de même qualité que celle conduite avec la CCI. Dans l'immédiat, l'établissement public doit être créé dans les meilleurs délais ; cette intégration pourra être envisagée dans un second temps.

Je souhaite que ce texte, nécessaire pour sortir d'une situation juridique qui ne saurait être que transitoire, soit adopté rapidement, en vue d'une création de l'établissement public au 1er janvier prochain. Nous garantirons ainsi que les personnels seront transférés dans les meilleures conditions : je sais que vous y êtes tous attachés.

Mme Olivia Richard, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Fruit d'un long processus politique de réflexion et de négociation, ce texte vise à permettre le rattachement à la collectivité de Corse de la CCI de l'île, sous la forme d'un établissement public sui generis reprenant en totalité les compétences de cette dernière.

Le président du conseil exécutif, Gilles Simeoni, a souligné devant notre commission l'importance de cette évolution. Je salue sa présence en tribune, ainsi que celles du président et du directeur général de la CCI et de la présidente de l'Assemblée de Corse ; elles confirment l'importance capitale de cet enjeu pour l'île.

Je remercie Paul Toussaint Parigi et Jean-Jacques Panunzi. Les routes corses sont belles, mais peuvent être sinueuses : nos deux collègues m'ont guidée par leurs avis précieux.

Je salue aussi l'engagement du ministre Rebsamen et sa volonté d'aboutir.

La création de ce nouvel établissement garantira le maintien d'une gestion publique des ports et aéroports sans mise en concurrence.

Depuis 2002, la collectivité de Corse dispose de larges compétences, notamment en matière de développement économique et de continuité territoriale. Elle est devenue propriétaire des infrastructures portuaires et aéroportuaires, dont elle a confié la gestion à la CCI pour quinze ans. Cette gestion représente 90 % de l'activité de la chambre et de ses mille salariés.

En 2019, la loi Pacte a prévu une étude conjointe de la collectivité, de l'État et des chambres consulaires, qui a conduit en 2022 à préconiser l'absorption de la CCI et de la CMA au sein d'un nouvel établissement public, sous la tutelle de la collectivité.

Le présent projet de loi traduit cette orientation. L'accélération de son examen répond à l'expiration des actuels contrats de concession, déjà prolongés deux fois. Sans adoption rapide, une mise en concurrence serait nécessaire, dans des délais très contraints. C'est inenvisageable, car la maîtrise du tourisme et des importations est synonyme de liberté pour la Corse.

L'article 1er, relatif aux missions, au statut et aux ressources du nouvel établissement, s'inspire des dispositions générales du code de commerce sur les compétences des CCI. En particulier, il disposera d'une mission générale de représentation des intérêts des secteurs professionnels. L'article 3 lui confie en outre la responsabilité de délivrer les cartes professionnelles d'agent immobilier.

La nouvelle personne morale bénéficiera des mêmes ressources que la CCI, à commencer par la fraction de la taxe pour frais de chambre ; elle sera intégrée au réseau CCI France. Seuls des salariés de droit privé pourront être recrutés par l'établissement, dans les conditions prévues par le code du travail.

À la demande unanime des représentants de la CCI et de la collectivité de Corse, soucieux de conserver leur modèle de dialogue social, la commission a remplacé le comité social et territorial initialement prévu par un comité social et économique de droit commun, compétent à l'égard de l'ensemble des personnels, quel que soit leur statut. L'établissement a vocation à reprendre les 1 026 agents de la CCI, ce qui portera à environ 7 000 le nombre total d'agents de la collectivité de Corse et des organismes placés sous sa tutelle.

Les conseillers à l'Assemblée de Corse seront majoritaires au sein du conseil d'administration, qui comprendra également des représentants élus des professionnels. L'article 1er dans sa rédaction actuelle prévoit que le président de l'établissement public sera désigné par le président du conseil exécutif.

L'article 4 comporte des mesures transitoires destinées à sécuriser la mise en place du nouvel établissement, s'agissant notamment de la reprise des personnels, biens, droits et obligations de la CCI.

La commission a modifié le dispositif sur deux points : reprise par principe des accords en vigueur dans la CCI sans délai de renégociation et réduction de 40 à 20 du nombre d'élus consulaires appelés à siéger au sein du futur conseil d'administration. La collectivité de Corse n'aura ainsi pas à désigner 41 élus pour siéger au sein de ce conseil, pour lequel un effectif de plus de 80 membres aurait posé des difficultés pratiques.

Un constat s'est imposé à notre commission : résultat d'un long processus, ce texte fait l'objet d'un très large consensus autour de la sécurisation d'infrastructures hautement stratégiques, sur une île où le tourisme représente 40 % du PIB et où 80 % des denrées alimentaires consommées sont importées. Gilles Simeoni l'a dit : il est inenvisageable que les portes d'entrée de l'île soient gérées par des entités privées ayant pour seul objectif la rentabilité.

Je recommande donc l'adoption de ce texte, sous réserve de l'adoption des amendements de la commission visant à en améliorer la gouvernance : il s'agit de préciser que l'établissement pourra être présidé par le président du conseil exécutif ou un autre membre de ce conseil et d'associer à sa gouvernance les présidents de l'Agence pour le développement économique de la Corse, de l'Office des transports de la Corse et de l'Agence du tourisme de la Corse, dont les missions sont étroitement liées à son champ d'action. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE)

Mme Mélanie Vogel .  - Il est peu douteux que ce projet de loi sera adopté dans un large consensus, voire à l'unanimité, et c'est heureux.

Soutenu à l'unanimité par l'Assemblée de Corse en mars dernier, il vise à supprimer la tutelle de l'État sur la CCI de Corse ; cette mission sera transférée à la collectivité de Corse. Il s'agit d'une étape que nous saluons.

L'arrivée à échéance des contrats de concession actuels rend urgent ce transfert nécessaire au maintien d'une gestion publique des infrastructures stratégiques pour l'île. Le nouvel établissement reprendra les missions et les personnels, avec leur statut, de la CCI.

Tout cela est positif, mais nous, écologistes, y voyons un simple jalon, modeste, sur le chemin de notre engagement auprès du peuple corse.

Nous ne devons pas perdre de vue les enjeux globaux : la création de la collectivité unique en 2018, la loi Pacte en 2019 et l'accord conclu en 2024 à l'issue du processus de Beauvau s'inscrivent dans un processus politique global qui doit aboutir pleinement, c'est-à-dire déboucher sur un véritable statut d'autonomie dans la République, conformément aux revendications démocratiques des Corses. Nous avons pour responsabilité d'offrir cette perspective à celles et ceux qui défendent les revendications autonomistes dans le rejet de la violence et le respect de la démocratie.

Ce qui est en jeu, c'est la possibilité de réussir un processus négocié et mature répondant pacifiquement aux aspirations légitimes à l'autonomie, y compris normative. Pour vivre en partie en Belgique, État fédéral, je peux vous dire que les revendications des Corses sont tout sauf déraisonnables et restent même en deçà des compétences de certaines régions d'Europe.

Sortons de la politique des petits pas : sur 72 demandes d'adaptation normative,13 seulement ont été satisfaites par le Gouvernement... Nous ne pouvons décevoir les efforts de consensus entrepris sur place ni échouer à faire évoluer la République pour que s'épanouissent les aspirations légitimes à plus d'autonomie. Avançons vers une réforme constitutionnelle qui réponde démocratiquement aux aspirations populaires des Corses !

Dans l'attente de cette réforme globale, le GEST votera bien évidemment ce texte.

M. Éric Kerrouche .  - D'apparence technique, ce projet de loi constitue un moment important pour la Corse, cette île singulière qui résiste au temps et aux interprétations, pour reprendre la formule de Claude Arnaud.

Important, ce texte l'est aussi du point de vue de notre conception de la décentralisation. Il donne corps à une idée forte : les territoires doivent maîtriser les leviers essentiels de leur développement économique.

C'est le sens de cette réforme attendue, issue d'une étude terminée depuis 2022. Elle vise à doter la collectivité de Corse d'un outil adapté à ses spécificités, notamment celles liées à l'insularité. Partout en Europe, elles sont traitées de manière particulière, comme l'a dit Mme Vogel.

L'insularité entraîne notamment une forte dépendance aux secteurs maritime et aérien. La Corse accueille plus de 8 millions de passagers par an et importe 95 % des produits qu'elle consomme ; le tourisme représente près de 40 % de son PIB.

D'où la nécessité d'une gestion publique cohérente et stratégique, au service de l'intérêt général. À cet égard, la gestion des équipements aéroportuaire et portuaire est un enjeu crucial. Elle requiert une gouvernance renforcée et adaptée aux spécificités corses.

Dans cet esprit, le projet de loi crée un établissement public sui generis placé sous la tutelle de la collectivité. Cette formule de quasi-régie permet de préserver la gestion publique sans mise en concurrence. C'est une protection contre la privatisation et un choix politique fort.

Le tissu économique corse subit de plein fouet l'inflation et la pression foncière. Ce nouvel outil est donc opportun pour renforcer l'accompagnement de ceux qui font au quotidien l'économie insulaire.

Le schéma de gouvernance garantit un contrôle effectif de la collectivité sur les activités de l'établissement : c'est une condition essentielle pour bénéficier de l'exception de quasi-régie. Cette organisation équilibrée fait place aussi aux acteurs économiques, dans un cadre public.

Notre soutien à ce texte s'accompagne d'exigences. En particulier, les mesures transitoires doivent garantir la continuité des services et la préservation des intérêts des plus de 1 000 agents concernés, qui sont au coeur de la réussite de la transformation. Cette réforme ne peut se traduire pour eux par des pertes de droits, des incertitudes ou une dégradation des conditions de travail.

Sur le plan financier, nous constatons trop souvent des compensations incomplètes lors des transferts de compétences de l'État vers les collectivités - monsieur le ministre, vous en savez quelque chose. Les conditions fermes posées par l'Assemblée de Corse à cet égard sont légitimes.

Sur la méthode, nous regrettons que la consultation de l'Assemblée de Corse ait été faite dans des délais contraints du fait de l'échéance des concessions : ce calendrier précipité aurait pu être évité, le rapport d'Ernst & Young datant de 2021. Il faut en tirer les leçons dans la perspective des prochains projets de loi relatifs au statut de la Corse - qui devraient être d'une tout autre ampleur...

Ce texte constitue une réponse adaptée aux défis économiques spécifiques de la Corse, qu'il faut savoir traiter de manière particulière. Il renforce la capacité de la Corse de gérer ses infrastructures stratégiques et d'oeuvrer pour son développement économique.

Il est en phase avec notre conception de la décentralisation, consistant à faire confiance aux territoires et à reconnaître leurs spécificités. Il est en phase aussi avec notre conception de la gestion des infrastructures, qui ne peut être systématiquement soumise à la logique du marché : c'est dans le même esprit que nous avions soutenu le référendum d'initiative partagée contre la privatisation d'ADP.

Le groupe SER votera ce texte qui vise à protéger l'intérêt général et à dynamiser le développement économique en Corse.

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - La France est belle de ses différences, et la Corse est indéniablement différente, en raison de sa culture et de sa langue, mais aussi de son économie.

Son insularité l'explique en partie. L'économie corse souffre d'une trop forte dépendance au tourisme, d'un tissu industriel insuffisamment modernisé et d'infrastructures qui doivent être adaptées aux besoins.

Parce que la Corse est une île, le développement économique y sera toujours délicat, les importations comme les exportations se trouvant renchéries par des coûts de transport élevés. Le relief montagneux de la Corse complique en outre le transport intérieur des biens et des personnes. Mais la Corse a toujours su évoluer et dispose d'atouts liés notamment à sa culture, dont sa gastronomie, même si son commerce et son industrie ne sont pas au niveau qu'on pourrait attendre. Il faut dire que, sa superficie étant très inférieure à celle de la Sardaigne ou de la Sicile, son développement économique sera toujours d'une particulière difficulté.

Avec ce texte, nous confions aux élus corses l'avenir économique de leur territoire : c'est une révolution, car, sauf en Nouvelle-Calédonie, les chambres de commerce et d'industrie ne comprennent pas d'élus locaux. Le nouvel établissement public sera un levier stratégique et un outil opérationnel pour donner un nouveau visage à l'économie corse. La focalisation excessive sur le tourisme concentre l'emploi dans certaines zones et aggrave l'exode rural ainsi que le départ de la jeunesse corse, donc le déclin démographique de l'île.

Ce texte est l'aboutissement d'un travail de plusieurs années : il est grand temps de l'adopter ! Nous ajouterons ainsi une pierre à l'édifice de la souveraineté économique durable de la Corse. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.)

M. Jean-Jacques Panunzi .  - Je salue Gilles Simeoni, président du conseil exécutif, et Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse, ainsi que le président de la CCI et ses collaborateurs, présents en tribune. Bonghjornu !

Ce projet de loi est la conséquence de la loi Pacte, préfigurant le transfert de la tutelle des CCI de l'État vers les régions. Depuis 2022, les ports et aéroports sont la propriété de la collectivité de Corse, qui en a concédé la gestion à la CCI. L'établissement public est la meilleure façon de conserver une gestion publique de ces infrastructures et d'éviter que des groupes internationaux aux pratiques sociales différentes des normes européennes ne remportent ces marchés et ne développent une vision contraire à nos intérêts.

C'est l'argument essentiel qui emporte mon adhésion et me conduit à vous appeler, mes chers collègues, à voter ce texte.

L'allègement transitoire du conseil d'administration, avec seulement 20 représentants des professionnels au lieu de 40, a été entériné en commission. Le nouvel établissement reprendra l'ensemble des missions et personnels de la CCI, sous le contrôle direct de la collectivité, condition indispensable à la qualification de quasi-régie. Le conseil d'administration sera présidé par un membre désigné par le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse.

Établissement public, donc. Mais établissement public industriel et commercial (Épic) ou établissement public administratif (EPA), monsieur le ministre ? La logique voudrait qu'il s'agisse d'un Épic, afin de maintenir le statut de droit privé des personnels. Il serait cocasse qu'on impose un statut d'EPA à une structure dont la vocation est à ce point commerciale - la gestion des ports et aéroports représente 90 % de l'activité de l'actuelle CCI. La position défendue par le Conseil d'État m'étonne, et il est souhaitable que le Gouvernement opte pour l'Épic. Le rapport de la commission est rassurant sur ce point. En outre, le texte élargit les compétences de l'établissement au soutien au développement économique et à la formation professionnelle. Il faudra veiller à sa bonne articulation avec les structures existantes, dont l'Agence de développement économique de la Corse.

La dimension financière doit faire l'objet d'une vigilance particulière, pour éviter toute dégradation de la situation de la collectivité de Corse. Si l'on intègre la particularité liée aux concessions qui oblige à tenir compte des amortissements, la CCI dispose de 91 millions d'euros de capitaux propres et de 55 millions d'euros de disponibilités. Mais nous avons besoin de garanties suffisantes en ce qui concerne la compensation des charges transférées. Or, sur ce point, je ne suis pas rassuré : la question semble renvoyée au PLF 2026, dont on sait qu'il se fera dans un contexte contraint et mouvementé. Il n'est pas même certain que la loi de finances soit promulguée avant le 31 décembre, date à laquelle doit s'opérer le changement de tutelle.

Toute chose positive a son revers. Oui, ce texte préserve des infrastructures essentielles à la Corse d'appétits extérieurs aux intentions méconnues ; mais il aggrave aussi la concentration des pouvoirs par une seule collectivité. Avec ce regret, mais beaucoup de pragmatisme, je le voterai.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce projet de loi marque une étape importante dans la reconnaissance des spécificités de la collectivité territoriale de Corse. Il lui donne les moyens de piloter des infrastructures stratégiques - ports et aéroports. L'insularité du territoire façonne son organisation économique, ses besoins en transports et ses possibilités d'accès aux biens essentiels : cette réalité constitue un défi en matière de continuité territoriale.

Ces spécificités appellent des solutions différenciées. C'est le sens de ce projet de loi, qui institue un nouvel établissement public, sous la tutelle de la collectivité, en lieu et place de la CCI. L'objectif est de sécuriser la gestion publique des ports et aéroports, portes d'entrée de l'île, pour garantir la continuité territoriale et soutenir l'attractivité du territoire.

Au 31 décembre prochain, les concessions actuelles arriveront à échéance. Il faut garantir un cadre juridique stable dès maintenant, sans quoi une mise en concurrence, contraire à l'intérêt du territoire, ne pourra être évitée.

Ce texte est le fruit d'un processus long et réfléchi amorcé en 2018, conforté par la loi Pacte de 2019 et nourri par les travaux du processus de Beauvau en 2022. Il a été validé par le Conseil d'État et est attendu par les acteurs économiques locaux.

Il garantit une gouvernance adaptée de l'établissement public, nécessaire pour bénéficier de l'exception de quasi-régie. Les agents de la CCI de Corse seront repris dans des conditions respectueuses de leur statut et de leurs droits.

Ce texte ouvre la voie à une plus grande autonomie dans la gestion du développement économique local. Il renforce la capacité d'agir d'un territoire qui a besoin de leviers spécifiques pour surmonter ses contraintes structurelles.

Je suis convaincue que les collectivités ultramarines, sans prendre la Corse pour unique exemple, observeront attentivement l'évolution de cette réforme. Elle traduit un attachement profond à l'unité de la République dans le respect de la diversité de ses territoires ; en reconnaissant pleinement les spécificités corses, elle ne fait pas exception à nos principes, mais leur donne un sens concret. Le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Michel Masset .  - Disons-le d'emblée : ce texte apporte une réponse attendue pour l'avenir de la Corse. Le RDSE soutient la création de ce nouvel établissement public.

Le dispositif proposé a deux vertus : il crée un schéma institutionnel plus cohérent et lisible de l'action économique régionale et conforte l'oeuvre de décentralisation débutée en 1982.

La collectivité territoriale de Corse n'est pas une collectivité métropolitaine comme les autres -  son architecture institutionnelle unique nous le rappelle. La « plus proche des îles lointaines » subit les contraintes de son insularité. Cette réalité justifie des mesures particulières pour assurer la continuité territoriale de l'île, sans quoi les principes d'indivisibilité et d'égalité et la liberté d'aller et venir seraient mis en péril.

Il existe un lien historique entre la CCI de Corse et la gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires : déstabiliser ce modèle aurait des conséquences, notamment financières. D'autre part, ces points d'accès sont vitaux pour le développement de l'île.

Le RDSE est donc favorable à l'application de la quasi-régie, pragmatique et protectrice de l'intérêt général.

Reste que ce texte n'aborde pas la mutualisation des compétences et des moyens entre les chambres consulaires, pourtant essentielle au soutien efficace à l'activité économique - le sort de la chambre de métiers et de l'artisanat est renvoyé à plus tard. Sur la forme, le Parlement a été laissé de côté.

Dans son discours de politique générale, le Premier ministre s'est engagé à faire de 2025 une année d'évolution constitutionnelle sur le statut de l'île. Ce calendrier ambitieux pourra-t-il être tenu, alors que le Sénat et l'Assemblée nationale semblent divisés sur l'accord conclu entre les élus insulaires et le Gouvernement ?

Parce qu'il faut tenir compte de la spécificité de la Corse au sein de notre République, notre groupe votera ce texte à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Paul Toussaint Parigi .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) La Corse porte en elle une histoire institutionnelle faite de luttes pour la reconnaissance, d'aspirations à l'émancipation et de victoires démocratiques.

Nos infrastructures portuaires et aéroportuaires, stratégiques, sont au coeur de cette histoire. Elles sont un enjeu vital pour notre souveraineté économique et les piliers de la continuité territoriale. La CCI s'acquitte de leur gestion avec dynamisme et sérieux.

La réforme du paysage consulaire issue de la loi Pacte appelait pour la Corse un dispositif dérogatoire. La collectivité de Corse, forte de la confiance accordée par ses citoyens, a souhaité un outil à la hauteur de ses ambitions et en adéquation avec la volonté de son peuple, en mesure de conjuguer respect de son identité et exigences nées des mutations économiques et écologiques.

Le projet de loi concrétise la mise en place de cet outil. Il est le fruit d'un dialogue tripartite entre l'État, la collectivité de Corse et les acteurs consulaires, mais aussi avec l'ensemble des forces vives insulaires. L'Assemblée de Corse s'est prononcée à l'unanimité en faveur d'une évolution qui s'inscrit dans la dynamique d'autonomie et de responsabilisation voulue par le peuple corse.

Ce texte témoigne ainsi de la maturité politique et de l'unité des acteurs corses face aux défis économiques de notre territoire.

Il répond à une urgence : la fin des contrats de concession, déjà prorogés à deux reprises et qui arriveront à échéance définitive le 31 décembre prochain.

Ce texte préserve les intérêts économiques de notre territoire de la prédation des entités privées par la création d'un établissement public sui generis, sous la tutelle directe de la collectivité de Corse. Cette architecture juridique permettra à la collectivité de confier au nouvel établissement la gestion de ses infrastructures stratégiques sans mise en concurrence préalable, conformément à l'exception dite de quasi-régie.

Ce choix de souveraineté locale, respectueux du droit européen, consacre la volonté de rapprocher la décision publique des réalités du terrain. Le nouvel établissement reprendra l'ensemble des missions, droits, obligations et personnels de la CCI de Corse. Il pourra aussi participer à la création et au capital de sociétés civiles ou commerciales, ce qui lui permettra de renforcer l'attractivité et la compétitivité du tissu économique insulaire.

Son conseil d'administration sera composé majoritairement de représentants de la collectivité de Corse, tout en associant les milieux consulaires et économiques. Les règles relatives aux personnels et à leur représentation garantissent la préservation des droits acquis.

Je remercie la rapporteure Olivia Richard pour son écoute et sa volonté constante de comprendre les réalités corses. Son travail a donné plus de pertinence encore à la future gouvernance et facilitera le dialogue social. Les mesures adoptées ont renforcé le dispositif initial afin d'assurer une représentation équilibrée de toutes les parties prenantes, y compris durant la période transitoire.

L'attention portée aux personnels et à leurs représentants syndicaux, que je salue, est en outre à souligner. Ils bénéficieront d'une voix consultative au conseil d'administration.

Le comité social et économique remplacera le comité social territorial avec un mode d'élection unifié et des prérogatives étendues à l'ensemble du personnel, quel que soit son statut.

La commission a réaffirmé la priorité donnée aux missions de sécurité et de sûreté des infrastructures aéroportuaires.

Aucun doute ne subsiste sur la nature et l'équilibre des pouvoirs qui structureront le nouvel établissement. Ce point a d'ailleurs été examiné par le Conseil d'État avec la plus grande rigueur.

La collectivité pourra exercer sur l'établissement public un pouvoir analogue à celui d'un adjudicateur, afin de bénéficier de l'exception de quasi-régie.

Les principes de transparence et de pluralisme seront respectés, pour écarter tout risque de monopole décisionnel et favoriser une synergie constructive au service de l'économie corse.

La situation financière du futur établissement sera saine et stable.

En mon nom, au nom de la collectivité de Corse et de la CCI, représentées dans nos tribunes, je remercie le ministre Rebsamen pour son engagement, sa capacité d'écoute et sa détermination. Monsieur le ministre, je salue votre action qui témoigne d'une conception exigeante et généreuse de la mission ministérielle par rapport aux attentes corses.

Je vous invite à voter ce texte avec la même unanimité que celle qui a prévalu à l'Assemblée de Corse. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. François Patriat applaudit également.)

Mme Marie-Claude Varaillas .  - Présenté comme une rationalisation, le texte dissimule en réalité une recentralisation préoccupante. Certes, comme le souligne le rapport de la commission des lois, le schéma retenu a été conçu pour que l'exception de quasi-régie puisse jouer, et éviter ainsi la privatisation.

Toutefois, plusieurs points appellent notre attention.

Nous pouvons craindre une gouvernance confiscatoire. La mainmise de l'exécutif de la collectivité étouffe la représentation équilibrée des entreprises. Le lien de confiance entre les entreprises insulaires et leurs instances consulaires pourrait s'en trouver amoindri si les préoccupations locales ne sont pas assez prises en compte. Sans mécanisme indépendant de contrôle, la concentration des pouvoirs économiques et l'absence de transparence risquent d'être vecteurs de fragilité.

Ce projet institutionnalise un modèle vulnérable. La fusion des chambres consulaires entraînera en outre des réorganisations internes, impliquant des mobilités potentiellement sources de contentieux sociaux. Nous devons garantir la continuité des droits des personnels, statutaires ou contractuels.

Le choix d'un Épic au détriment d'un EPA nous interpelle quant aux fondements institutionnels de la représentation consulaire.

Un Épic risque de diluer la mission de représentation des intérêts économiques collectifs et d'ouvrir la voie à une externalisation accrue, voire à une privatisation. L'avis du Conseil d'État recommandant le retour à un EPA devrait être pris en compte.

Malgré la nécessité de moderniser les structures consulaires en Corse, ce projet de loi présente des risques significatifs pour la gouvernance, le personnel et l'intégrité du service public économique. C'est pourquoi nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Discussion des articles

Article 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°2 de Mme Richard, au nom de la commission des lois.

Mme Olivia Richard, rapporteure.  - Cet amendement précise que la présidence du nouvel établissement sera confiée au président du conseil exécutif de Corse ou à un conseiller exécutif qu'il aura désigné.

M. François Rebsamen, ministre.  - Avis favorable.

L'amendement n°2 est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°3 de Mme Richard, au nom de la commission des lois.

Mme Olivia Richard, rapporteure.  - Il s'agit d'autoriser la présence de membres du conseil exécutif de Corse au sein du conseil d'administration de l'établissement public.

M. François Rebsamen, ministre.  - Avis favorable.

L'amendement n°3 est adopté.

L'article 1er, modifié, est adopté.

L'article 2 est adopté.

L'article 3 est adopté.

Article 4

Mme la présidente.  - Amendement n°1 du Gouvernement.

M. François Rebsamen, ministre.  - L'amendement fixe une date butoir, au 31 décembre 2029, pour prolonger l'effet des conventions, accords et engagements unilatéraux et favoriser la mise en place d'un dialogue social fructueux. Le nouvel établissement public disposera d'un délai de quatre ans pour renégocier, le cas échéant, certaines de ses conventions.

Mme Olivia Richard, rapporteure.  - Avis favorable, ce nouveau délai permettant un dialogue social constructif et répondant aux inquiétudes formulées par les représentants du personnel.

L'amendement n°1 est adopté.

L'article 4, modifié, est adopté.

Le projet de loi, modifié, est adopté.

Mme la présidente.  - Belle unanimité ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, du RDSE et du RDPI)

M. François Rebsamen, ministre.  - Je salue le président de la collectivité de Corse, les représentants de l'exécutif, la présidente de l'Assemblée de Corse, les élus de la CCI et les représentants du personnel.

La décision que vous venez de prendre est une bonne nouvelle. Vous créez un établissement public sui generis : ce n'est donc ni un EPA ni un Épic. Il sera ce que décidera la collectivité. C'est une façon de préserver le statut du personnel, comme le prévoyait le Conseil d'État.

À ceux d'entre vous qui se sont inquiétés pour les finances, j'indique que, si l'on ne peut jamais savoir de quoi l'avenir sera fait, cette année a été exceptionnelle avec 237 millions d'euros affectés à la continuité territoriale, contre 187 millions d'euros précédemment. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, du RDSE et du RDPI)

La séance est suspendue quelques instants.