Impact environnemental de l'industrie textile (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile.
Explications de vote
Mme Mireille Jouve . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC) Le climat change et notre planète se porte mal. Nous sommes aux portes d'un territoire inconnu.
Selon BioScience, en 2023, vingt des trente-cinq paramètres vitaux liés au climat ont atteint des niveaux record. L'actualité égrène les catastrophes - canicules, orages... -, mais les climatosceptiques refusent d'entendre les signaux d'alarme.
Avec une feinte sérénité, nous continuons à donner raison à Adam Smith, qui estimait que la consommation est la seule fin et la seule raison d'être de toute production. Je vois vos mines interrogatives : quand parlera-t-elle enfin du texte ? C'est ce que je fais !
Les Français achètent en moyenne quarante-huit nouveaux produits chaque année et 3,3 milliards de vêtements sont mis annuellement sur le marché - 1 milliard de plus en dix ans, avec des prix qui ont baissé de 30 %. Cette consommation de produits textiles à bas coût induit une catastrophe sociale et environnementale, au détriment de nos commerces et de notre industrie textile.
Cet emballement est le fruit d'une grande liberté prise par rapport aux règles environnementales, mais aussi sociales : travail forcé, travail des enfants, exploitation d'une main-d'oeuvre féminine sous-payée.
Le textile occasionne 20 % de la pollution des eaux dans le monde, alors que les vêtements finissent soit dans nos placards, soit dans les dépotoirs du Sud global. Il pourrait être responsable de 26 % des émissions de gaz à effet de serre en 2050.
Certes, cette proposition de loi n'est pas parfaite et ne répond pas à l'explosion de la mode ultra-express, mais elle est bienvenue : elle incite à acheter moins mais mieux.
Elle sera un support pour les négociations européennes, même si les propos du Président de la République au sommet Choose France au sujet de la directive sur le devoir de vigilance peuvent inquiéter.
Oui à la nouvelle définition de la mode ultra-express. Je me réjouis de l'adoption des amendements du RDSE à l'article 1er : extension du champ de la définition aux pratiques industrielles et comptabilisation de toutes les références si la plateforme est le canal principal de vente.
Oui à l'identification des conséquences de la mode ultra-express sur la durée d'usage ou de vie d'un produit neuf.
Oui à la suppression du crédit d'impôt sur les invendus.
Oui à la base juridique permettant l'échange d'informations entre la DGCCRF et la Cnil.
Oui au dispositif d'écomodulation des contributions financières : il faut flécher les contributions vers les installations de recyclage situées en France.
Même si j'aurais aimé que nous allions plus loin sur l'affichage environnemental, oui à l'article 3, qui interdit la publicité.
Cette proposition de loi renforce la place de la France dans les négociations à l'échelle européenne. Nous regrettons cependant que l'ajout d'un message complémentaire à caractère environnemental pour éviter le greenwashing n'ait pas été retenu.
Oui à l'interdiction de la promotion des marques de la mode ultra-express, qu'il s'agisse de prestations rémunérées ou gratuites, en l'assortissant d'une sanction administrative de 100 000 euros.
Cette proposition de loi est le fruit d'un travail constructif dans le bon sens ; le RDSE, avec sa bienveillance habituelle, la votera. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP ; M. Jean-Yves Roux applaudit également.) Ce texte est un tournant pour le secteur textile, mais interroge plus largement notre rapport à la consommation, à la durabilité, à la responsabilité écologique.
Cette proposition de loi, profondément travaillée par notre commission et par Sylvie Valente Le Hir n'est pas un texte de circonstances : elle s'inscrit dans un temps long et promeut un nouveau pacte entre le consommateur, le producteur et la planète.
Ce texte équilibré, pragmatique, mais ambitieux honore le rôle du Sénat dans notre démocratie, celui d'une chambre raisonnée et raisonnable où le dialogue prévaut.
Nous avons pris de la hauteur et évité les effets de manche pour construire un cadre juridique rigoureux et opérationnel.
Premier apport majeur du Sénat : la redéfinition de la fast fashion. Nous avons introduit une distinction entre mode express et mode ultra-express qui manquait dans le texte initial ; il ne faut pas confondre un modèle d'accélération raisonnable souvent assumé par les entreprises européennes et un modèle ultra-accéléré fondé sur la rotation incessante des collections.
Cette précision cible les dérives sans fragiliser les acteurs qui, pour certains, engagent de réels efforts.
Je me réjouis que nous ayons élargi la définition de la mode express en y intégrant les pratiques industrielles. Il faut aussi interroger le marketing, mais aussi la chaîne de valeurs et les choix stratégiques. Ces clarifications ciblent les acteurs faisant fi des réalités sociales et environnementales, notamment Shein et Temu.
Le Sénat a procédé à plusieurs ajustements certes techniques, mais cruciaux. Le seuil de définition de la fast fashion doit être apprécié au regard du canal principal de vente : si une marque est massivement distribuée via une plateforme en ligne, c'est bien celle-ci qui doit être comptabilisée : cela permet d'éviter la création de marques écrans. En d'autres termes, nous coupons l'herbe sous le pied aux stratégies de façade.
Autre avancée : l'interdiction de la livraison gratuite, car rien n'est gratuit : la livraison a un coût environnemental et logistique. Il faut mettre fin à une illusion de gratuité qui entretient l'impulsivité d'achat.
La mention claire de l'origine des vêtements est une mesure de bon sens. Le numérique ne doit pas être l'angle mort de la traçabilité.
L'article 2, qui porte sur l'écomodulation des contributions, est le plus structurant. En tant que défenseur de la responsabilité élargie du producteur (REP), je me réjouis que la pénalité financière pour pratique de mode ultra-express soit désormais liée au coefficient de durabilité du produit. C'est une orientation cohérente avec la logique d'écoconception que nous défendons depuis longtemps : nous sortons du punitif pour inciter l'entreprise à produire mieux, de manière durable.
Le texte adapte le montant des pénalités selon le type de produit, avec une réhausse du plafond à 50 % du prix de vente lorsqu'il s'agit d'une mode ultra-éphémère. C'est à la fois proportionné et dissuasif.
Je salue également l'obligation désormais faite aux éco-organismes et aux opérateurs de déchets de contractualiser leurs relations.
Le complément apporté à l'article 3 bis, notamment la sanction applicable aux influenceurs, marque une volonté claire de ne pas laisser les nouveaux canaux de communication hors du champ de la régulation. Les influenceurs ont une responsabilité importante dans le développement de la fast fashion.
Je salue l'ajout d'un message incitatif pour une mode plus durable.
Je salue l'adoption de deux mesures en séance : l'inscription de la mode écoresponsable dans les programmes de développement durable, car sensibiliser les plus jeunes, c'est semer les graines d'une société de consommation plus éclairée ; la création d'une taxe sur les petits colis envoyés de pays extérieurs à l'Union européenne pour anticiper les effets délétères du dumping écologique et fiscal.
Ce texte à la fois symbolique et structurant marque une étape vers une consommation plus responsable, vers une industrie textile plus transparente, vers une économie plus durable. En votant cette proposition de loi, nous envoyons un signal fort non seulement aux géants de la mode ultrarapide, mais aussi aux consommateurs, aux jeunes, aux PME du textile et à nos partenaires européens : celui d'une volonté politique assumée de réguler.
En toute cohérence, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du RDPI, du RDSE et du groupe Les Républicains ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)
Mme Marie-Claude Varaillas . - L'industrie textile est l'une des plus polluantes au monde : elle est le troisième plus fort consommateur d'eau au monde. Un jean parcourt 65 000 km et sa production exige 7 000 à 10 000 litres d'eau. Sans parler des droits humains : les travailleurs subissent des conditions déplorables.
La fast fashion repose sur un modèle de renouvellement permanent : au lieu de quatre collections par an, les marques peuvent en produire cinquante-deux - une par semaine ! Ces marques copient les créateurs, produisent en grande quantité, voire trop, allant jusqu'à brûler les invendus. Résultat : 932 millions de déchets textiles par an, dont très peu sont recyclés.
Entre 2000 et 2020, nous sommes passés de 58 à 109 millions de tonnes de vêtements produits, et nous nous dirigerons vers une production annuelle de 145 millions de tonnes en 2030. Le nombre de vêtements mis sur le marché est passé de 2,3 milliards à 3,25 milliards entre 2010 et 2023.
Cette évolution est en décalage complet avec les besoins de la population : c'est surtout l'appétit du secteur qui explique cette consommation exponentielle. Les Français consommeraient 9 kg par an. L'Europe génère 4 milliards de tonnes de déchets issus de vêtements par an.
Ces plateformes veulent faire de nous des prisonnières et des prisonniers victimes de la surconsommation.
La fast fashion est une concurrence déloyale à nos industries textiles françaises, dont l'emploi a été divisé par trois depuis 1990.
Avec la désindustrialisation, la distribution est touchée : Camaïeu, Kookaï, Pimkie, San Marina, Jennyfer et Naf Naf ont été victimes.
Roubaix, l'ancienne ville aux 1 000 cheminées, compte 30 % de chômage. La cause ? Un report vers les enseignes low cost, sans oublier l'inflation ou les vagues de délocalisation massive.
Des plateformes comme Shein et Temu nous ont conduits à une économie de produits jetables. L'envers du décor, c'est l'exploitation des ressources naturelles, la pollution de l'environnement et la production de nombreux déchets. Chaque étape de la confection d'un vêtement participe de ce lourd bilan, insupportable pour la planète et les travailleurs.
En 2013, 1 130 ouvriers ont perdu la vie dans l'effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh. Les consignes d'évacuation avaient été ignorées par les responsables d'ateliers : les vies humaines valent parfois moins que les marchandises. Les profits des multinationales se font au détriment des travailleuses - car les femmes représentent 80 % des travailleurs du secteur.
Alors que Shein engrangeait 2 milliards de bénéfices en 2023 et Zara 5,8 milliards de dollars, le salaire d'un ouvrier ou d'une ouvrière est de 100 dollars par mois.
J'avais proposé un système de bonus et de malus dans l'un de nos amendements, malheureusement non retenu.
Cette proposition de loi est une étape. Elle incitera fortement l'industrie textile à repenser sa façon de produire.
Avec le rétablissement de l'article 3, l'interdiction de la publicité, nous nous attaquons à la racine : Shein a investi 48,3 millions d'euros dans la publicité digitale et Temu, 27,5 millions.
Nous aurions voulu plus d'ambition, notamment pour le soutien aux filières de recyclage.
Ce texte est néanmoins une étape encourageante dans la régulation du secteur - j'en remercie Mme la rapporteure. S'il reste beaucoup à faire pour réindustrialiser et décarboner le transport de marchandises, nous devons agir pour favoriser la sobriété et la relocalisation. Acheter moins, mais acheter mieux ! Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER ; Mme Sylvie Valente Le Hir applaudit également.)
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Plus d'un an après son adoption unanime à l'Assemblée nationale, il est temps de passer à cette étape décisive, prélude à une CMP - pas avant l'automne, nous dit-on - avant une phase de notification à la Commission européenne. Autrement dit, il faudra encore des mois pour limiter la déferlante de la fast fashion.
Cette proposition de loi est une étape relativement positive. Alors que l'on disait que le Sénat atténuerait la version des députés, le travail en séance a permis des modifications significatives, notamment en matière d'écomodulation et d'interdiction de la publicité.
Face aux disparitions d'emplois, aux liquidations, aux fermetures en série, à l'accumulation de déchets, la chambre des territoires a su dépasser un scénario connu d'avance et calamiteux, car elle partage un diagnostic : celui d'un modèle fondé sur la surproduction et la surconsommation, recherchant une main-d'oeuvre au coût toujours plus bas en faisant fi du droit du travail.
Shein, Temu, Amazon représentent 80 % des mises sur les marchés et 72 % du chiffre d'affaires du secteur. Ces entreprises poussent le modèle à son paroxysme, dévitalisant nos coeurs de ville. Mais la mode ultra-express et express, c'est la même logique d'une mode low cost, éphémère, jetable, qu'imposent les stratégies marketing.
Le Sénat a resserré le texte sur la mode ultra-express, à savoir Shein et Temu. Il ne serait pas question, selon vos propres termes, madame la rapporteure, de faire payer un euro aux entreprises françaises et européennes, qui contribuent certes à la vitalité économique de nos territoires, mais misent aussi sur la consommation compulsive.
On voit mal comment le malus ne s'appliquerait pas à tout le monde. L'écomodulation, la filière REP textile, le conventionnement obligatoire pour les déchets : autant de mesures permettant de faire reculer la mode jetable des plateformes étrangères, mais aussi des entreprises françaises et européennes. Ce que nous devons promouvoir, c'est la mode durable, quelle que soit la nationalité de l'émetteur.
Une voix à gauche. - Bravo !
M. Jacques Fernique. - Peut-on encore sauver une filière en perte de repères ? Nous n'y parviendrons qu'en promouvant la durabilité.
À l'article 1er, nous regrettons que trop d'éléments soient renvoyés au décret : la loi devrait prévoir un plancher. Cela dit, avoir introduit la comptabilisation pour chaque produit est une bonne chose. Nous éviterons ainsi les détournements par des acteurs dont on connaît l'inventivité commerciale.
Pour l'article 2, si nous pouvions entendre en mars, madame la rapporteure, qu'il était risqué de baser les écocontributions sur la méthodologie de l'affichage environnemental textile, ce n'est plus le cas depuis la validation du projet de cadre réglementaire relatif à l'affichage volontaire du coût environnemental des vêtements le 15 mai par la Commission européenne.
C'est sur une position moyenne que le Sénat s'est prononcé.
Malgré le risque d'inconstitutionnalité et d'inconventionnalité, l'abandon de l'interdiction de la publicité représentait un recul considérable.
Une voix à gauche. - Absolument !
M. Jacques Fernique. - Il faudrait peser pour que l'Europe débloque le verrou de la directive e-commerce qui nous empêche d'agir sur les plateformes, soumises le plus souvent au droit de l'Irlande, pays soi-disant d'origine...
Le rétablissement de l'interdiction limitée aux seuls médias classiques et aux marques est une première étape, et nous la soutenons. Mais nous devrons aller plus loin. La fast fashion envahit nos smartphones. Seule une interdiction globale sera efficace.
C'est ce signal fort que le Sénat envoie à la Commission européenne. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Avec l'adoption de l'amendement d'Antoinette Guhl, nous pointons l'impact environnemental, social et sur les droits humains et la nécessité de mesures miroirs pour changer la donne.
Nous voterons ce texte. C'est le dialogue européen et la CMP qu'il faut désormais mener à bien pour que l'avenir du textile soit à l'économie circulaire durable. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et INDEP)
Mme Nicole Bonnefoy . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La mode jetable nous confronte à la dérive d'un capitalisme autodestructeur à laquelle nous contribuons tous et qui se caractérise par l'effacement intentionnel de l'exploitation économique et sociale des travailleurs, l'invisibilisation du coût écologique et sanitaire et la surproduction érigée en système.
Nous ne voyons plus les dégâts de nos comportements, mais les faits sont là : la production textile pèse 10 % des émissions de gaz à effet de serre, soit l'équivalent des émissions cumulées des transports aérien et maritime.
Que vaut un t-shirt à 2 euros quand il dégrade notre environnement, exploite hommes, femmes et enfants et menace l'économie française, voire européenne ?
Les grandes firmes sont les principales à tirer profit de ce modèle : à part elles, il n'y a que des perdants. Elles entretiennent notre indolence au travers de la publicité, du lobbying et du marketing.
Même face à des géants, une société attentive peut se ressaisir par la délibération et la régulation. Cette loi protège l'environnement et l'avenir de nos enfants. Elle se donne les moyens de ses ambitions, à l'heure où l'écologie est mise à mal par le court-termisme, la course à la compétitivité et au profit, et une fausse idée de la capacité d'entreprendre.
Le texte s'est enrichi en cours d'examen. L'article 3 a été réintroduit. C'est un des leviers les plus efficaces à notre disposition face aux matraquages des entreprises du secteur. Le Sénat, chambre des territoires, connaît les conséquences de l'expansion de l'e-commerce sur nos villes. L'article 3 est une base de négociation pour demander une renégociation de la directive e-commerce. Sans quoi, ce ne sera qu'un coup d'épée en eaux troubles.
Nous saluons les amendements visant à réconcilier les terminologies nationales et européennes. Autre point important : l'intégration d'une information sur l'impact social du produit que nous avons portée - transparence indispensable.
Autre progrès : un droit à l'information sur l'impact environnemental de la livraison des marchandises, complété par l'interdiction de la mention trompeuse de livraison gratuite, qui tord le cou à l'idée mensongère que les livraisons n'ont aucun coût, alors que la mode ultra-express entraîne l'explosion du transport routier de marchandises.
Nous saluons la suppression de l'abattement applicable aux dons des invendus aux associations, qui constitue un outil d'optimisation fiscale pour les grands groupes à hauteur de plusieurs millions d'euros d'argent public, asphyxie les recycleries et encourage directement la surproduction.
Nous sommes parvenus à un texte ambitieux, mais il serait regrettable que les possibilités de contournement le rendent inefficace. Nous aurions souhaité, à l'article 1er, la fixation d'un seuil plus strict pour la mode ultra-express : 1 million de références ne concernent qu'une minorité d'acteurs.
L'instauration d'un mécanisme de révision du seuil offrait un outil d'amélioration important.
Le jalon important qu'est ce texte a fait réagir positivement la société civile et les médias qui s'en sont emparés.
Cela fera réfléchir ceux qui, au Gouvernement et au Parlement, veulent faire de l'environnement un bouc émissaire. Ce texte ouvre la porte à une régulation, aussi le groupe SER le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du GEST)
M. Christopher Szczurek . - (M. Aymeric Durox applaudit.) Il est des textes qui tombent tard, mais bien. Reconnaissez-nous au moins le mérite de la constance sur quelques sujets ; au-delà de la dénonciation du désordre migratoire - qui est passé du désordre aux frontières au désordre dans nos rues (protestations sur quelques travées à gauche) -, je pense à la lutte constante contre la mondialisation et le libre-échange dérégulé.
Beaucoup ici ont participé à des gouvernements qui ont validé l'entrée de la Chine dans l'OMC. D'autres ont soutenu avec la dernière servilité les commissions européennes successives multipliant les traités de libre-échange.
Il y a des années déjà, Marine Le Pen dénonçait un système faisant produire par des esclaves exploités cyniquement des biens vendus à des chômeurs appauvris sciemment. (On ironise sur les travées du groupe SER.)
Ce texte n'est qu'un pansement sur une plaie béante. Le problème n'est pas Shein - qu'a rejoint Christophe Castaner - ou Temu, mais le système qui permet aux entreprises de déverser chaque jour des tonnes de vêtements bon marché dans nos ports, nos aéroports, nos boîtes aux lettres ; c'est l'idéologie du déracinement, du dumping social généralisé et de l'abolition des frontières.
Ce texte est un début de réponse, mais surtout un aveu tardif : que le libre-échange n'est pas un dogme sans conséquence, que notre tissu économique, notre environnement, nos savoir-faire, nos travailleurs, nos jeunes paient le prix de la trahison de l'intérêt national et d'un juste échange, protecteur des producteurs d'ici contre les exploiteurs de là-bas.
Ne nous trompons pas de cible : ce ne sont pas les consommateurs qu'il faut blâmer si la production locale est devenue inabordable pour beaucoup. Les Français ne doivent pas être culpabilisés pour avoir cédé à une offre qui s'impose à eux, sans alternative.
Nous voterons ce texte, car tout pas vers la régulation est préférable à la servitude complète - mais sans illusion, sans naïveté, sans hypocrisie. Le jour viendra et il ne s'agira plus de compenser les dégâts de ce système, mais d'en changer : restaurer les frontières et imposer une préférence nationale, économique et écologique, redonner à nos artisans, à nos ouvriers, à nos territoires, la place qu'ils n'auraient jamais dû perdre. (MM. Aymeric Durox et Stéphane Ravier applaudissent ; Mme Laurence Rossignol ironise.)
M. Pierre Jean Rochette . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Pendant des années, on nous a fait une fausse promesse, celle qu'en délocalisant, les prix seraient plus bas. Or nous avons créé des dépenses futures. Les vêtements de la fast fashion ne reflètent pas leur coût réel. Au Sénat, nous percevons leurs coûts indirects à travers les déchets, à la charge des collectivités territoriales, ou les délocalisations et les fermetures d'enseignes françaises ; mais nous ne mesurons pas encore tous les coûts cachés. Nous devrons payer l'impact écologique. Les territoires sont durement touchés avec les fermetures d'entreprises, qui auront des conséquences en cascade, notamment la perte de savoir-faire de nos régions.
Le coût est aussi économique. Alors que l'Europe cherche à se réindustrialiser, nos décisions d'aujourd'hui influencent nos actions de demain.
Des amendements adoptés en séance, dont celui de notre collègue Vanina Paoli-Gagin, proposent de comptabiliser les références au titre des plateformes, dès lors qu'elles constituent le canal principal de vente de la marque. Cela permettra de centrer cette proposition de loi sur les géants chinois en évitant les effets de bords sur les entreprises françaises et européennes.
La production textile est responsable de 20 % de la pollution des eaux potables. La durée moyenne d'usage des produits d'habillement a été divisée par deux depuis 2000. Chaque seconde, 145 petits colis entrent en Europe : cela en fait 17 000 depuis le début de mon discours ! Pas moins de 800 millions de colis sont entrés en France en 2024, dont plus de 90 % en provenance de Chine.
L'Union européenne génère 12,6 millions de tonnes de déchets textiles par an et l'industrie textile a perdu 40 % de ses emplois en dix ans en France.
Nous faisons de la politique. Parfois, il faut envoyer des messages ; ce texte envoie un signal positif à nos entreprises françaises et européennes. Mais nous devrons aller plus loin. Notre manière de consommer évolue. On nous invente des besoins par une illusion du manque. Des publicités intempestives, des partenariats commerciaux, des promotions éphémères nous poussent à consommer dans une frénésie d'achats dictés par l'urgence et les réseaux sociaux, dopés par les influenceurs, eux-mêmes ambassadeurs de l'éphémère. Il faut encadrer ces publicités sournoises.
Il faut aussi des réponses concrètes pour freiner l'envoi de ces millions de colis qui échappent à toute forme de tarification. Je me réjouis de l'adoption de mon amendement, défendu avec brio par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, pour taxer les petits colis de moins de 2 kg - idée reprise par les ministres de l'économie et du budget lors du conseil des entreprises. Peut-être figurera-t-elle au prochain projet de loi de finances.
Des dispositions similaires sont en cours de négociation à Bruxelles. Nous ne protégerons pas seuls en France notre planète et notre industrie. Nous attendons des réponses fortes sur la révision de la directive déchets et sur la réforme de l'union douanière.
Agissons avant l'overdose de déchets, dès aujourd'hui. N'oublions que si les économies sont illusoires et immédiates, le coût réel est différé. (Applaudissements et « bravo ! » sur les travées du groupe INDEP ; M. Daniel Gueret applaudit également.)
Mme Sylvie Valente Le Hir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Ce texte est un bel exemple de ce que le Sénat produit de plus utile : une réponse lucide forgée dans le dialogue, enrichie par de multiples contributions et portée par un large consensus. Je salue cet esprit qui a donné à ce texte une dimension transpartisane. La proposition de loi trace une voie et pose des bornes ; c'est pourquoi nous la voterons avec détermination. Le Sénat n'a pas affaibli ce texte, il l'a renforcé en refusant la caricature et en prenant ses responsabilités : affirmer qu'il est temps d'encadrer les excès de la mode express sans pénaliser une mode plus responsable.
Il a su distinguer ce qui relève de la surconsommation programmée et ce qui relève de l'innovation soutenable. Nous avons tracé une ligne nette entre la mode ultra-express et la mode accessible, mais enracinée que nous voulons préserver, celle qui emploie en France et soutient le tissu économique local.
Nous avons aussi innové : pour la première fois, la logistique est intégrée au champ du textile. L'interdiction de la mention « livraison gratuite » et l'obligation d'information sur l'impact des livraisons marquent une avancée structurante issue des recommandations d'une mission d'information de 2021 dont Nicole Bonnefoy et Rémi Pointereau étaient les rapporteurs. La livraison n'est jamais gratuite ; elle a un coût environnemental et logistique qu'on ne peut plus éluder.
Enfin, nous avons renforcé les leviers de contrôle de la mode express. La suppression de l'avantage fiscal sur les dons d'invendus est une mesure de cohérence.
Le renforcement du partage d'information entre administrations permettra de mieux lutter contre les fraudes.
Nous avons pris une position équilibrée s'agissant de la modulation des écocontributions. Nous retenons l'essentiel, le coefficient de durabilité, fondé sur trois critères : la fréquence de renouvellement, la largeur de gamme, la transparence sur la chaîne de production.
Les sommes récoltées serviront un objectif stratégique : le renforcement des capacités nationales de recyclage textile. Car il ne s'agit pas seulement de punir, mais de reconstruire, de donner à notre pays les moyens de traiter ses déchets sur son sol, de créer des emplois dans la valorisation des matières, de réinventer un tissu industriel que la délocalisation a trop longtemps effiloché.
Fallait-il interdire toute publicité sur la mode express malgré les risques d'inconstitutionnalité et d'inconventionnalité ? Cette question est révélatrice de la complexité de notre tâche : conjuguer l'exigence démocratique avec la rigueur juridique, défendre l'intérêt général sans faire fi des équilibres constitutionnels.
Le Sénat a rétabli l'interdiction générale, ...
M. Loïc Hervé. - Très bien !
Mme Sylvie Valente Le Hir. - ... tout en maintenant les mesures d'encadrement proportionné de la publicité. Il faut retenir le message politique fort : la publicité ne saurait être une zone de non-droit ; en démocratie, il est légitime de poser des repères dans un univers dérégulé.
Réguler, ce n'est pas restreindre les libertés, mais donner un cadre commun. Le pouvoir d'achat ne peut justifier n'importe quelle marchandisation. Défendre la dignité des consommateurs, ce n'est pas leur proposer des vêtements jetables, parfois toxiques, souvent conçus dans des conditions inhumaines ; c'est leur permettre d'acheter mieux, dans la durée, avec conscience.
Ce texte défend une certaine idée de notre société : une société où le progrès ne se mesure plus au nombre de colis livrés dans la journée, mais à la qualité du lien entre producteurs et consommateurs, entre humains et environnement, entre présent et avenir.
Votons ce texte qui ne défend pas seulement un autre modèle de mode, mais un autre modèle de modernité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe INDEP)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jérôme Durain applaudit également.) Depuis quelques années, un modèle économique particulier s'est imposé dans le secteur de l'habillement : la fast fashion, qui renouvelle à un rythme effréné des collections toujours plus nombreuses à des prix toujours plus bas. Mais derrière cela, se cache une autre réalité environnementale, sociale et économique qu'il n'est plus possible d'ignorer.
Entre 2010 et 2023, le nombre de vêtements mis sur le marché français est passé de 2,3 à 3,2 milliards de pièces : cette hausse vertigineuse de près de 40 % en à peine 13 ans n'est pas anodine ; elle traduit une logique de surconsommation qui s'emballe avec des impacts majeurs.
Ces vêtements sont fabriqués en majorité en Asie du Sud-Est avec une empreinte carbone massive. L'industrie textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde, représentant près de 10 % des émissions de gaz à effet de serre.
Mais réduire la fast fashion à un enjeu écologique serait une erreur : cette distorsion de concurrence met à mal notre souveraineté industrielle et nos savoir-faire. La loi Agec et la loi Climat et résilience ont posé des jalons importants, mais sans permettre de renverser la dynamique.
Cette proposition de loi est donc une avancée essentielle en introduisant une définition claire et complète de la mode éphémère.
Elle prévoit des mécanismes de sanction et de responsabilisation dissuasifs pour les entreprises qui contreviendraient aux règles. Je salue la réintroduction de l'article 3 interdisant toute publicité, qui complète l'interdiction de la promotion par les influenceurs, à l'article 3 bis.
Nous ne proposons pas d'interdire de s'habiller, mais de redonner du sens à nos achats, de sortir de la logique d'accumulation au profit de celle de responsabilité. Pour toutes ces raisons, le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Audrey Linkenheld applaudit également.)
Scrutin public solennel
La proposition de loi est mise aux voix par scrutin public solennel.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°303 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l'adoption | 337 |
Contre | 1 |
La proposition de loi est adoptée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Je remercie le président Longeot, qui a pris l'initiative d'inscrire ce texte à votre ordre du jour et lui a donné une résonance particulière. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Laure Darcos applaudit également.) Merci à la rapporteure Valente Le Hir avec qui nous avons travaillé pour l'améliorer, merci aux sénateurs qui l'ont rendu plus robuste : je pense à l'interdiction de la publicité sur la mode ultra-express, à la fixation d'un minimum de pénalité, au malus assis sur le coefficient de durabilité et l'affichage environnemental.
Ce texte a deux ambitions : protéger notre environnement, mais aussi protéger notre commerce et la vitalité de nos centres-villes.
Dès demain, nous notifierons ce texte à la Commission européenne qui aura trois à quatre mois pour faire part de ses observations. Nous convoquerons la CMP et préparerons les décrets. Avec Agnès Pannier-Runacher, nous travaillons, avec la DGCCRF et auprès de la Commission européenne, pour lutter contre les pratiques des plateformes ; une action a d'ailleurs été intentée.
Le Gouvernement et le Parlement sont alignés sur ces priorités, c'est gage d'efficacité. Merci pour ce vote engageant qui nous permettra de poursuivre notre action. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Mme Sylvie Valente Le Hir, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Merci pour cette belle unanimité. C'était mon premier rapport (applaudissements sur de nombreuses travées) - un rapport hors norme, la revue de presse du jour en témoigne ! Face à l'adversité, je remercie la commission, son président et mon groupe de m'avoir soutenue. (Applaudissements)
Merci au président Larcher pour son soutien particulier. (Nouveaux applaudissements) Nous avons dû nous battre pour que ce texte arrive au Sénat. (Mêmes mouvements)
La séance est suspendue quelques instants.
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente