Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi), présentée par Mme Anne Chain-Larché, M. Pierre Cuypers et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe Les Républicains.
Discussion générale
Mme Anne Chain-Larché, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous sommes nombreux dans cet hémicycle à représenter des territoires durement frappés par des inondations. (M. Jean-Baptiste Lemoyne le confirme.)
Nous connaissons des épisodes de plus en plus fréquents, aux conséquences de plus en plus lourdes, en Seine-et-Marne, mais aussi dans le Var, les Bouches-du-Rhône, le Pas-de-Calais, les Landes ou le Gers. Ces catastrophes sont devenues structurelles. Elles bouleversent la vie de nos concitoyens, détruisent des infrastructures et paralysent la vie locale, mettant à rude épreuve nos territoires et laissant les élus locaux désemparés.
L'État vole souvent à leur secours en cas de sinistre. Mais il est temps de s'attaquer aux causes et non plus seulement aux conséquences.
La Gemapi a été une avancée, mais mal comprise et inégalement exercée. Elle peut être vécue comme une contrainte par certaines collectivités territoriales qui attendent plus de solidarité. Les élus se sentent souvent seuls face à des responsabilités techniques et juridiques lourdes. Ils demandent plus de clarté, de souplesse et de cohérence.
Il nous a semblé utile de faire évoluer la législation. Avec Pierre Cuypers, nous présentons donc une proposition de loi composée de quatre articles.
L'article 1er permet aux EPCI de déléguer aux départements, avec l'accord des communes membres, tout ou partie de la Gemapi. Il ouvre une nouvelle porte vers une meilleure coopération, une mobilisation plus efficace des moyens - une porte que les collectivités ne seront pas obligées d'ouvrir. Il n'y a ni contrainte ni obligation.
L'article 2, dont Pierre Cuypers vous parlera davantage, ajuste le périmètre de la gestion des eaux pluviales urbaines (Gepu) en y plaçant de manière explicite le ruissellement et l'érosion des sols dès lors qu'il y a un lien avec les inondations.
L'article 2 bis donne aux communes la possibilité de contractualiser avec les départements pour obtenir une assistance technique dans la lutte contre le ruissellement.
L'article 3 prévoit un rapport sur la taxe Gemapi qui envisage la création d'un fonds de péréquation à l'échelle des bassins versants : il faut donner plus de moyens aux territoires les plus touchés sans augmenter la pression fiscale.
Nous avons conscience que cette proposition de loi est une première étape. Je salue le travail des rapporteurs Hervé Reynaud et Laurent Somon. Nous devons bâtir une politique de prévention des inondations plus opérationnelle et mieux adaptée aux réalités locales. C'est l'objet de la mission d'information flash sur la gestion des milieux aquatiques (Gema) de Rémy Pointereau, Hervé Gillé et Jean-Yves Roux, qui devrait déboucher, à l'automne, sur un texte complémentaire.
Cette proposition de loi est un texte de liberté et de confiance envers les élus locaux, pour une politique ambitieuse.
M. Pierre Cuypers, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue le travail en commission et remercie Hervé Reynaud et Laurent Somon pour leur implication constante.
Je salue l'apport crucial de Mathieu Darnaud, rapporteur du texte créant la Gemapi.
Je salue Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux, auteurs d'un précieux rapport d'information sur la prévention des inondations, qui a documenté les enjeux actuels.
Je remercie Rémy Pointereau dont la mission d'information flash sur la compétence Gema produira des recommandations riches.
Nous avons souhaité, ensemble, construire une réponse pragmatique et efficace face à une urgence territoriale évidente : les inondations par ruissellement qui frappent largement, bien au-delà des zones classiquement inondables, par des pluies intenses qui ne pénètrent plus les sols saturés, compactés ou imperméabilisés. Ce sont des coulées d'eau mêlées de boue qui descendent des pentes, inondent les caves, détruisent les habitations, créent des embâcles, emportent les cultures, bloquent les routes, détruisent les équipements publics d'eau et d'assainissement, détériorent nos monuments, dégradent le patrimoine. Ce sont des crues-éclairs, brutales, mais aussi à répétition, parfois plus destructrices que les crues fluviales elles-mêmes. En Seine-et-Marne, nous avons connu cela : coulées de boue de septembre et crue du Grand Morin d'octobre dernier. Nos territoires ruraux sont en première ligne, en grand danger. Les élus n'ont pas forcément le personnel adapté.
Cette proposition de loi ouvre des perspectives. L'article 2 clarifie le périmètre de la compétence Gemapi en y intégrant explicitement la lutte contre le ruissellement et l'érosion des sols dans les zonages des eaux pluviales, ce qui permettra aux intercommunalités d'agir de manière juridiquement sécurisée sur les zones sensibles : implantation de haies, bassins de rétention, fascines, fossés ou bandes enherbées - car des solutions existent.
L'article 2 bis permet à des communes de bénéficier pour cela de l'assistance technique des départements. C'est une mesure de bon sens fondée sur la réalité de terrain, qui ne crée pas de contrainte mais offre une possibilité aux maires.
Ce texte n'est pas une réforme d'affichage. Il n'ajoute pas de strate ni n'alourdit les dispositifs, mais il soutient et il sécurise. Ce n'est que du bon sens.
C'est une nouvelle pierre à poser ensemble pour mieux prévenir, protéger, préserver et armer nos territoires face aux phénomènes météorologiques qui vont s'intensifier.
M. Hervé Reynaud, rapporteur de la commission des lois . - Avec Laurent Somon, nous avons mené des travaux sur cette proposition de loi dans un esprit d'adaptation concrète.
Jean-Yves Roux et Jean-François Rapin l'ont rappelé l'année dernière : les inondations sont le premier risque naturel et recouvrent une pluralité de phénomènes de fortes intensité et fréquence.
Depuis le 1er janvier 2018, les EPCI à fiscalité propre (ECPI-FP) assurent la compétence Gemapi, que la loi Maptam avait attribuée aux communes, avec transfert obligatoire aux EPCI auxquelles elles appartiennent - transfert fixé à cette date par la loi NOTRe. Toutefois, face aux difficultés de mise en oeuvre concrète des transferts de cette compétence, le législateur a introduit plusieurs ajustements : depuis la loi Fesneau-Ferrand de 2017, dont Mathieu Darnaud était rapporteur, les départements, les régions, les groupements et les autres personnes morales de droit public qui assuraient des missions relevant de la Gemapi à la date d'entrée en vigueur de la loi peuvent continuer à les exercer sous réserve de l'accord de l'EPCI sous la forme d'une convention de cinq ans renouvelables.
La Gemapi s'exerce aussi au niveau du bassin versant : des syndicats mixtes ont ainsi été constitués depuis longtemps à l'échelle pertinente.
Le financement de la compétence est assuré par une taxe facultative, plafonnée, assumée par les communes et les EPCI.
Cette proposition de loi vise à répondre aux fortes demandes des élus locaux, qui veulent bénéficier de nouvelles souplesses. Les réalités territoriales sont souvent complexes, les acteurs sont divers.
Deux articles de la proposition de loi entrent dans la compétence de la commission des lois, prévoyant une faculté de délégation de tout ou partie de la Gemapi des EPCI aux départements, pour une meilleure coordination et un appui logistique ; et, à titre subsidiaire, une clarification en matière de gestion des eaux pluviales et de ruissellement par l'introduction possible des mesures relatives au ruissellement dans le zonage communal ou intercommunal d'assainissement.
Près d'une décennie après sa création, la compétence Gemapi ne satisfait pas totalement les élus locaux. Les frontières sont parfois poreuses entre les compétences Gemapi et Gepu.
Tout en approuvant l'économie générale de la proposition de loi, nous en avons clarifié les dispositions. Nous avons aligné la procédure de délégation de la compétence Gemapi aux départements sur la délégation de droit commun.
À l'article 2, nous avons explicité le lien entre la lutte contre le ruissellement et l'érosion des sols.
Enfin, par un article additionnel, nous avons ajouté la lutte contre le ruissellement dans la liste des sujets sur lesquels le département peut aider les communes.
Avec cette proposition de loi modifiée, je vous propose de poser une nouvelle pierre à l'édifice des libertés locales, même si ces travaux ont vocation à être complétés, notamment par ceux de la délégation aux collectivités territoriales.
Madame la ministre, je regrette que le Gouvernement ne se soit pas saisi de ce texte pour accompagner les élus locaux, souvent démunis. Il faut des financements à hauteur des enjeux relevant de la sécurité publique, donc relevant de la solidarité nationale.
J'espère que le Gouvernement prendra réellement en compte les aspirations des collectivités territoriales. Écoutez la voix du Sénat !
M. Laurent Somon, rapporteur pour avis de la commission des finances . - (M. Emmanuel Capus applaudit.) Fin mai, trois personnes ont perdu la vie dans des inondations dans le Var. Cela rappelle la récurrence de ces épisodes, comme dans le Pas-de-Calais et la Somme fin 2023 et début 2024. Je pense aussi à l'épisode tragique de 2001 dans mon département de la Somme, qui avait duré plusieurs mois.
L'EPCI exerce la compétence Gemapi depuis 2014, avec la création d'un nouvel impôt local facultatif, la taxe Gemapi. Bien que son produit croisse, elle n'est pas suffisante : dans les territoires exposés, elle atteint souvent le plafond de 40 euros par habitant. Le problème principal est sa répartition inégale sur le territoire.
La commission des finances s'est vu déléguer deux articles.
L'article 3 prévoit un rapport sur la mise en oeuvre de la taxe Gemapi et sur l'opportunité d'un fonds de péréquation. Certes, le Sénat est souvent méfiant à l'égard de telles dispositions, le dernier rapport de Sylvie Vermeillet ayant montré que 20 % seulement des rapports demandés étaient réalisés. Néanmoins, parce qu'il permet d'engager une réflexion partenariale avec le Gouvernement et surtout d'affirmer qu'il lui revient en priorité de prendre ses responsabilités en matière de solidarité nationale, nous avons adopté l'article 3 sans modification.
L'article 4 prévoyait que les recettes de la taxe Gemapi puissent financer les actions menées dans le cadre de la gestion des eaux pluviales en zone non urbaine et que les personnes à qui la Gemapi a été transférée puissent reverser la taxe en partie ou en totalité aux communes pour qu'elles gèrent les eaux pluviales. Cela me semble superflu : il est déjà possible de reverser ces financements aux communes dans le cadre d'une délégation.
La commission des finances a donc supprimé cet article 4. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville . - Cette proposition de loi s'inscrit dans la logique de la réflexion engagée au Parlement depuis plusieurs années sur la répartition de la compétence Gemapi entre les différents niveaux de collectivités territoriales.
C'est à la suite de la tempête Xynthia, qui avait entraîné la mort de 53 personnes, que nous avons voulu une gestion plus efficace des risques d'inondations.
Les inondations sont de plus en plus dramatiques, étant plus fréquentes, intenses et graves. Nous devons agir pour y répondre plus efficacement. Les images des catastrophes nourrissent un besoin de réactivité des pouvoirs publics.
Depuis la loi Fesneau-Ferrand du 31 décembre 2017, il existe déjà des possibilités de transferts et de délégations à des syndicats formés à l'échelle des bassins versants.
Il est aussi possible, pour un département déjà engagé dans ces actions, de les poursuivre en contractualisant avec les Gemapiens.
Aucune des deux chambres n'a remis en question ni ces modalités d'exercice de la compétence Gemapi ni l'échéance du 1er janvier 2018.
Parce que les inondations franchissent évidemment les limites administratives, la loi a déjà prévu des outils de coopération intercommunale en prévoyant le regroupement des Gemapiens au sein de syndicats spécialisés, dans le périmètre d'un bassin versant. Ces syndicats peuvent aussi prévoir des règles de partage des coûts pour plus de solidarité. Ces dispositifs sont souples et équilibrés.
Le Gouvernement comprend la volonté du groupe Les Républicains d'améliorer les outils juridiques, notamment pour mieux articuler cette compétence avec la Gepu. Cela permettra de prévenir les dégâts.
Les eaux pluviales urbaines posent aussi problème. Les Français partagent de plus en plus cette inquiétude. Sont en jeu le destin de familles, des territoires et la crédibilité de la puissance publique. C'est tout l'objet des articles 1, 2 et 2 bis.
Il est évident que le Gouvernement est ouvert à la discussion, notamment avec Rémy Pointereau, Hervé Gillé et Jean-Yves Roux, qui mènent actuellement une réflexion sur le sujet.
Nous ne pensons pas que la délégation de compétence aux départements simplifie les choses. La position du Gouvernement reste la même : l'EPCI à fiscalité propre est le bon échelon, et le bon périmètre est davantage le bassin versant que le département.
La flexibilité recherchée par la proposition de loi n'atteindra pas son but, n'entraînant pas d'économie d'échelle ni de lisibilité de la compétence. Le Gouvernement émettra un avis de sagesse sur l'article 1er.
À l'article 2, nous partageons la volonté d'une prévention du ruissellement, mais la rédaction nécessite une adaptation. Nous proposerons un amendement rédactionnel, tout comme à l'article 2 bis.
La suppression de l'article 4 est une bonne chose. Celui-ci permettait à un EPCI à fiscalité propre ou à un syndicat de reverser une partie de la taxe Gemapi à une commune membre ; or une taxe doit nécessairement être affectée à la compétence pour laquelle elle a été créée.
Le Gouvernement est prudent sur cette proposition de loi. Pour légitime que soit l'intention, il convient de poursuivre l'accompagnement des territoires en optimisant les outils déjà à disposition, sans remettre en cause les équilibres de la loi Fesneau-Ferrand.
Le Gouvernement attend beaucoup des conférences de l'eau dans nos territoires menées par Agnès Pannier-Runacher et de la mission d'information évoquée précédemment. Nous pourrions alors parfaire le dispositif dans l'intérêt de tous.
Mme Audrey Linkenheld . - Le Nord, comme d'autres secteurs des Hauts-de-France, a été frappé par de violentes inondations aux conséquences dramatiques. La France entière est particulièrement vulnérable. Le changement climatique accroît encore ce risque, avec davantage de fréquence et d'intensité. C'est pourquoi il est indispensable de mieux structurer ces compétences.
Avec les lois NOTRe et Maptam, la Gemapi a été attribuée obligatoirement aux EPCI à fiscalité propre : il fallait introduire de la cohérence et de l'efficacité, et établir un lien étroit entre la politique de l'eau et les politiques d'aménagement.
Parce que les périmètres administratifs ne correspondent pas toujours aux bassins versants, des souplesses ont été prévues. À date, la compétence Gemapi est donc sécable administrativement et géographiquement. Les régions et départements déjà acteurs en matière de Gemapi peuvent continuer à l'être par convention ou par participation à l'un des 450 syndicats mixtes existants.
L'article 1er prévoit une faculté de délégation des EPCI vers les départements. Dans sa rédaction initiale, il suffisait d'une simple déclaration communautaire. La commission des lois a corrigé cette curiosité en associant mieux les maires par un alignement de la procédure sur le droit commun. Mais si l'on revient au droit commun, c'est-à-dire à une compétence sécable et à laquelle sont associés les départements, pourquoi légiférer à nouveau ? Nous ne souscrivons donc à aucune des rédactions proposées.
Nous sommes aussi réservés sur l'article 2. Intégrer la lutte contre le ruissellement et l'érosion des sols dans le cadre des zonages en matière d'eau et d'assainissement a du sens - à tel point que le code général des collectivités territoriales le prévoit déjà ! La frontière entre la lutte contre le ruissellement et l'érosion, d'une part, et la prévention des inondations d'autre part est ténue, mais le bloc communal peut intervenir librement sur toute la chaîne. Le seul intérêt d'inclure directement le ruissellement dans la compétence serait d'ordre financier, pour que la taxe Gemapi finance d'autres actions. Mais les financements actuels ne sont déjà pas suffisants. L'article 2 ne serait qu'une solution de façade ; nous n'y sommes pas favorables.
Idem pour l'article 2 bis. Soit la lutte contre le ruissellement relève de la Gemapi et les départements peuvent déjà agir par la loi Fesneau-Ferrand, soit elle relève de l'aménagement du territoire et ils peuvent aussi déjà agir par la loi NOTRe.
Par souci de clarté et pour affirmer le besoin de solutions bien plus structurantes, le groupe SER ne votera pas cette proposition de loi.
M. Emmanuel Capus . - (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.) Le concept de réchauffement climatique a été créé par et pour les Chinois... déclarait Donald Trump avant sa première élection. C'est pourtant bien plus qu'un concept. Un quart de nos concitoyens sont confrontés au risque inondation. Marie-Claude Lermytte et Dany Wattebled l'ont constaté dans le Nord lors de l'hiver 2023-2024.
L'augmentation de la fréquence de ces phénomènes a justifié la mise en place de politiques publiques, confiées aux EPCI à fiscalité propre.
Dix ans plus tard, les auteurs de la proposition de loi nous invitent à assouplir le régime existant. Sénateurs de Seine-et-Marne comme Louis Vogel, ils savent à quel point les inondations peuvent nuire aux réseaux de mobilités de 123 communes.
L'objectif est de déléguer tout ou partie de la compétence Gemapi au département. Le Sénat a la bonne habitude d'ouvrir des facultés sans contraindre, car les élus locaux sont les mieux placés pour résoudre les difficultés de leur territoire.
La Gemapi pose deux problèmes : premièrement, l'hydrographie n'obéit pas aux découpages administratifs ; deuxièmement, une compétence, pour être exercée, doit être financée.
La taxe Gemapi est parfois décrite comme facultative. Elle ne l'est pas pour les contribuables, mais pour les collectivités territoriales, libres de l'instituer ou non. Mais les territoires qui en ont le plus besoin ne sont pas nécessairement les plus peuplés. C'est pourquoi la question de la péréquation se pose.
Le caractère facultatif nous semble également problématique : il est difficile pour les élus de décider seuls de la mise en oeuvre de la taxe et de déterminer son montant.
Les effets du dérèglement climatique s'accroîtront. Nos territoires ne sont pas sur un pied d'égalité face aux inondations, aux sécheresses et aux incendies. Nous ne devons donc pas les laisser livrés à eux-mêmes.
Cette proposition de loi est bienvenue. Les Indépendants soutiennent la possibilité d'une assistance technique des départements aux collectivités territoriales pour lutter contre le ruissellement.
Mais il y a un éléphant dans la pièce : c'est toute l'architecture des collectivités territoriales qu'il faut revoir. Un projet de loi d'ensemble pour remettre en ordre la décentralisation est nécessaire.
Nous savons que des sujets plus urgents occupent le Gouvernement, mais combien de temps pourrons-nous fonctionner ainsi ?
Nous voterons cette proposition de loi en espérant du Gouvernement des réformes de fond, dont notre pays a le plus besoin. (M. Pierre Cuypers et Mme Anne Chain-Larché applaudissent.)
M. Laurent Burgoa . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Merci à Anne Chain-Larché et à Pierre Cuypers pour leur texte nécessaire, au vu des difficultés rencontrées par les élus locaux avec la Gemapi. Le transfert aux EPCI pour éviter le morcellement des responsabilités n'est pas toujours satisfaisant : je le vois sur le territoire de Terres de Camargue, les bassins versants font fi de toute considération administrative. Cette proposition de loi, enrichie en commission par les rapporteurs, mérite notre approbation. La recrudescence du risque inondation appelle des réponses souples et sur mesure.
L'article 1er instaure une faculté de transfert de Gemapi des EPCI vers les départements, pour mobiliser leur expertise technique et logistique.
L'article 2 clarifie la répartition des responsabilités en intégrant les eaux pluviales et le ruissellement dans le zonage d'assainissement. La commission a veillé à aligner le régime sur le droit commun et créé un article 2 bis étendant l'assistance des départements à ce risque. Ainsi, nous donnons les outils nécessaires aux élus locaux sans les contraindre.
Cependant, il faudra que la solidarité nationale s'exprime clairement. Le changement climatique démultiplie les risques.
Cette proposition de loi équilibrée traduit une philosophie de la solidarité, de la confiance et de l'intelligence collective. Votons-la. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Le Sénat s'est pleinement emparé de ce sujet avec la mission sur les violentes inondations de 2023-2024 de Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux, ayant débouché sur une proposition de loi, et cette proposition de loi de Pierre Cuypers et Anne Chain-Larché.
Nous sommes de plus en plus soumis aux catastrophes naturelles, notamment les territoires d'outre-mer, chers au RDPI.
Le risque de crue et de submersion va croissant, avec une augmentation de la pluviométrie extrême - on l'a vu l'an dernier dans l'Yonne, avec les crues du Serein et de l'Armançon.
Le RDPI se réjouit de ce débat important sur la gouvernance, le financement et le périmètre de la Gemapi. Mais nous légiférons de façon parcellaire.
Certains articles apportent de la souplesse, mais des questions se posent. Nous attendons le rapport d'évaluation des lois NOTRe et Maptam de Jean-Yves Roux, Hervé Gillé et Rémy Pointereau.
Un débat a lieu chez les élus locaux et dans la population, comme en témoigne le Récid'eau qui s'est tenu à Auxerre à l'initiative de Yonne Median, où j'ai eu l'occasion d'échanger avec des élus.
L'article 1er étend une disposition de la loi Fesneau-Ferrand. Attention à ne pas faire du département l'unique collectivité chargée de cette compétence. On sait parfois quels sont les rapports de force politiques sur les territoires. Mieux vaut réfléchir par bassin versant. Je rends hommage aux syndicats qui oeuvrent de concert avec les EPCI.
Le financement est le deuxième sujet clé. J'en parlais avec le président du syndicat du bassin du Serein, Patrick Mercuzot : les capacités de financement des territoires en amont sont parfois très faibles, alors que les besoins sont importants.
L'article 3 prévoit un rapport sur la péréquation, évoquant le bassin versant. Faut-il retenir cette échelle-là ou prévoir une solidarité nationale ? La péréquation est de toute manière indispensable.
Nous avons déposé un amendement pour susciter le débat sur l'article 4.
Dernier point, le périmètre : l'article 2 inclut la lutte contre ruissellement dans la Gemapi ; il est vrai que la frontière est particulièrement poreuse, ce qui pose un problème dans la vie quotidienne des élus.
Le Parlement n'a pas fini d'en débattre, afin de rendre les six lettres de Gemapi toujours plus intelligibles, et surtout effectives.
Mme Maryse Carrère . - La compétence Gemapi incarne une ambition louable : doter nos territoires d'un cadre cohérent pour gérer le risque inondation.
Cette compétence a été confiée aux intercommunalités pour lutter contre l'émiettement. Mais cela a entraîné une solitude institutionnelle des élus locaux.
Notre pays est confronté à une grande diversité d'aléas. Si les causes sont avant tout météorologiques, les situations sont aggravées par les facteurs humains.
Cette proposition de loi procède d'un constat lucide : il faut des assouplissements pour répondre à la diversité des territoires.
Ouvrir la possibilité pour les intercommunalités de déléguer cette compétence aux départements est une avancée utile. La réalité impose parfois de recomposer intelligemment les niveaux d'action.
Dans de nombreux territoires, les départements disposent d'une ingénierie et d'une expérience éprouvées, ainsi que d'une connaissance fine des cours d'eau. Ils sont parfois les seuls à même de porter des projets complexes.
Pour autant, ce n'est pas toujours l'échelon le plus pertinent. Départements de France nous a alertés sur leur mauvaise santé financière ; je ne suis pas certaine que les départements apprécieraient de recevoir une nouvelle compétence déléguée.
En outre, la prévention des inondations appelle une approche par bassin versant. Ce ne sont pas toujours les communes les plus victimes qui doivent engager les travaux les plus coûteux. Cette tension est particulièrement nette dans les zones de montagne où les communes amont, souvent petites et peu dotées, doivent engager des travaux coûteux dont bénéficieront en aval des métropoles à fort potentiel fiscal. Il faut donc du temps et de la méthode pour construire un modèle plus juste.
La taxe Gemapi pourrait rapporter 3 milliards d'euros si le plafond de 40 euros par habitant était appliqué partout ; or celui-ci s'élève en moyenne à 8 euros.
Les intercommunalités urbaines ou littorales disposent des marges fiscales les plus importantes alors que ce ne sont pas celles qui en ont le plus besoin. Il faudrait donc ouvrir le débat sur une péréquation à l'échelle des bassins versants.
Sortons de la logique des ajustements successifs : la Gemapi, comme nombre d'autres compétences, pâtit d'un empilement opaque.
Une mission d'information relative à la compétence Gemapi est en cours, sous la houlette de Jean-Yves Roux, Rémy Pointereau et Hervé Gillé. Il aurait été judicieux d'attendre ses conclusions.
La position du RDSE est réservée. Chacun restera libre de son vote. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Entre novembre 2023 et juin 2024, 53 % des départements ont été touchés par des inondations. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, les dégâts sur les biens assurables s'élèvent à 640 millions d'euros. Plus d'un habitant sur quatre est exposé.
Nous devons faciliter le travail des collectivités, qui peinent à réparer les dégâts et à financer les travaux d'aménagement nécessaires.
En 2015, la loi NOTRe a imposé le transfert obligatoire de la compétence Gemapi aux EPCI pour assurer l'unité de la gouvernance. Mais sa mise en oeuvre se heurte à l'augmentation des risques, au manque de moyens financiers et à la fragmentation des acteurs.
L'article 1er rend possible le transfert de tout ou partie de la compétence Gemapi aux départements. Bien que facultative, cette délégation pourra s'avérer pertinente, mais pas partout - je pense notamment aux territoires de montagne.
L'article 2 clarifie les responsabilités, notamment en matière de lutte contre le ruissellement et l'érosion des sols. L'article 2 bis ajoute la lutte contre le ruissellement dans le champ de l'assistance technique.
L'article 3 prévoit la remise d'un rapport par le Gouvernement sur la taxe Gemapi. Vaste chantier ! La réflexion se poursuivra avec les conclusions de la mission d'information Roux-Pointereau-Gillé. Les territoires ruraux et de montagne, peu denses, disposent d'un potentiel fiscal limité, mais peuvent être très exposées aux risques : dans les Hautes-Alpes, 56 communes sur 162 ont été reconnues en état de catastrophe naturelle à la suite des intempéries de 2023 et 2024.
Face aux inondations à répétition, il faut déplafonner la taxe Gemapi. Pourquoi ne pas envisager sa régionalisation ? Les mesures prises autour des bassins versants protègent l'aval. Surtout, il faut une plus grande solidarité fiscale : les habitants des Hautes-Alpes payent seuls l'entretien de la Durance, qui alimente la ville de Marseille...
Parlons concret. La communauté de communes du Guillestrois et du Queyras, 8 000 habitants et quinze communes de montagne, comprend deux rivières. Côté Guil, 25 millions d'euros de travaux Gemapi ; côté Durance, 20 millions - sachant que le produit de la taxe Gemapi est de 800 000 euros, dont la moitié va au fonctionnement...
L'Union centriste votera sans enthousiasme ce texte. C'est une étape, certes modeste, vers la mère des réformes : que l'assiette de la taxe Gemapi soit la région, voire la nation.
Les propositions de loi se multiplient. À quand un grand texte ambitieux pour traiter toutes les situations en solidarité active ? La procrastination n'est jamais féconde : elle coûtera plus cher demain, si nous ne faisons rien. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean-Pierre Corbisez . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Il faudra bien un jour conjurer la décrue centennale des moyens accordés aux collectivités territoriales, qui rend inopérants les principes de proximité, de responsabilité et de justice territoriale.
Mme Audrey Linkenheld. - Bien dit !
M. Jean-Pierre Corbisez. - Ce texte renforce la subsidiarité et assouplit l'organisation de la compétence Gemapi.
Le ruissellement et l'érosion des sols, au coeur des désordres hydrauliques, ne relèvent d'aucune compétence clairement identifiée. Ce texte y remédie partiellement en redonnant aux communes des leviers d'intervention - qui devront être strictement liés à la prévention des inondations, a utilement précisé le rapporteur.
Les élus locaux portent cette compétence avec volontarisme, mais sans moyens, ingénierie, ni lisibilité. Il faut reconnaître la diversité des réalités locales. La possibilité d'une délégation de la compétence Gemapi aux départements est une avancée cohérente. Dans la lignée des travaux du Sénat, ce texte redonne une consistance politique à l'échelon départemental, quand certains rêvent de sa disparition.
La demande de rapport sur la péréquation de la taxe Gemapi vise à corriger les inégalités criantes entre territoires. La gestion hydraulique ne peut être pensée à l'échelle restreinte d'un EPCI : les dynamiques hydrauliques ignorent les découpages administratifs, elles obéissent à la géographie des bassins versants et au cycle de l'eau.
Le plus juste, le plus pertinent serait le recours à l'impôt national. L'aquataxe poursuit sa montée en puissance, avec une multiplication de son produit par onze entre 2017 et 2021. L'État ne peut éternellement déléguer sans assumer. La clarification au niveau local devra trouver son pendant à l'échelon national.
Dans le Pas-de-Calais, terre des gueules noires, nous savons ce que l'eau peut cacher : il faut encore pomper sans relâche les eaux d'exhaure des anciennes mines pour prévenir les inondations. L'État en assume la charge - c'est un symbole.
Ce texte en appelle d'autres. La protection des habitants passe par un renforcement des services publics : c'est pourquoi le groupe CRCE-Kanaky votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.
M. Grégory Blanc . - Ce texte pose la question de la résilience de nos territoires face à la dégradation du cycle de l'eau.
Il a deux mérites. Premièrement, il intègre le ruissellement à la réflexion sur le cycle de l'eau. C'est bien par l'addition de mesures complémentaires, entre gestion des zones humides et traitement de l'imperméabilisation, que l'on traitera le problème.
Deuxièmement, il aborde la question de la taxe Gemapi, levée principalement en aval alors que les problèmes viennent du non-traitement du ruissellement en amont. Faire contribuer l'amont pour protéger l'aval impose une vraie péréquation. L'article 3, qui demande un rapport, pose le problème, mais n'apporte pas de réponses solides.
Pour agir, il faut renforcer le poids des bassins et des agences de l'eau. Or les promoteurs du texte ont voté la réduction des crédits des agences de l'eau, garantes du principe de solidarité entre bassins versants. Comment avancer si l'on affaiblit les instruments qui permettent d'agir ? La ponction s'est élevée à 150 millions d'euros !
Nous avons besoin d'une approche systémique, d'une stratégie nationale de l'eau. L'absence de projet de loi structurant pour traiter les problèmes dans leur globalité, voilà le mal qui ronge notre vie publique. On bricole, on crée de l'instabilité juridique. Or le Pnacc 3 (plan national d'adaptation au changement climatique) chiffre à 143 milliards d'euros d'ici à 2050 l'impact des catastrophes climatiques.
Cette proposition de loi permet d'avancer, un peu, en attendant un texte structurant - si on s'en donne les moyens.
Les territoires concernés par le recul du trait de côte ou ceux qui entretiennent des digues le long des fleuves n'ont pas les moyens d'aider les communes à désartificialiser, à reconstituer des zones humides. L'article 4 permettait aux EPCI situés en amont, qui prélèvent peu la taxe, d'en transférer une part aux communes qui réalisent des travaux de traitement du ruissellement. C'était là la petite avancée du texte. Sans article 4, il n'y a plus de loi, sauf à transférer une nouvelle charge aux départements, qui n'en veulent pas. Dans ce cas, autant retirer le texte pour éviter l'encombrement législatif.
Mme Frédérique Espagnac . - Depuis sa création, la compétence Gemapi a fait couler beaucoup d'eau et d'encre.
Le produit de la taxe Gemapi est notoirement insuffisant. Si son potentiel est évalué à 2,9 milliards d'euros, le plafond est loin d'être atteint. Dans les Pyrénées-Atlantiques, la vallée d'Aspe a été frappée par un épisode pluvio-orageux intense qui a causé des inondations et endommagé la RN 134, mais la taxe ne suffit pas à financer les réparations.
Qui plus est, la répartition de l'effort fiscal est profondément inéquitable. Les communes de montagne, très exposées, mobilisent la taxe à son plafond, quand d'autres territoires ne l'activent pas ou peu.
Nous espérions que le texte affronte la question du financement de la Gemapi, or l'article 4, qui imposait de nouvelles missions à financer par la taxe, a été supprimé en commission.
Comment permettre à toutes les collectivités, quelles que soient leurs ressources, de faire face aux risques de crue ou d'inondation ? Ce texte n'y répond pas.
L'article 3 demande un énième rapport, alors que seuls 20 % sont remis. Et quand bien même, l'urgence impose une décision politique. Pourquoi ne pas avoir proposé un fonds de péréquation, afin de lancer le débat et forcer le Gouvernement à se positionner ?
Cela dit, je ne balaie pas ce texte d'un revers de main. Mais en simplifiant les procédures, en assouplissant le cadre juridique, ne risque-t-on pas d'en accentuer la complexité ? Supprimer des dispositifs sans proposer d'alternative robuste fragilise l'édifice.
Le groupe SER s'oppose à la délégation de la compétence Gemapi aux départements. Cessons de complexifier la répartition des compétences. Les élus demandent de la stabilité. C'est pourquoi nous voterons contre ce texte, vidé de sa substance, qui ne résout rien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La Gemapi a été créée par la loi Maptam, défendue par Anne-Marie Escoffier, ancienne sénatrice de l'Aveyron, alors ministre - ce n'est pas ce qu'elle a fait de mieux.
Sept ans après son transfert obligatoire aux intercommunalités, ses limites sont criantes : manque d'agilité dû à la complexité des procédures, difficultés de coordination, inégalité des ressources entre territoires. Les EPCI, en première ligne, sont démunis. La taxe Gemapi est inégalement répartie et insuffisante face aux besoins d'investissement et d'entretien. D'où une double tension, entre capacité d'action du bloc local et montée des risques, entre responsabilité juridique des élus et faiblesse des outils à leur disposition.
Cette proposition de loi attendue permet aux intercommunalités de déléguer toute ou partie de la compétence Gemapi aux départements, qui ont un savoir-faire historique en matière de gestion de l'eau. Ce partenariat renforcé permettrait de sortir d'une impasse technique.
Le texte clarifie l'articulation entre Gemapi et Gepu, et intègre explicitement les phénomènes de ruissellement et d'érosion des sols.
Le volet financier n'est pas oublié : la demande d'un rapport en vue d'introduire de la péréquation va dans le bon sens. L'équité devant le risque doit être garantie, avec la possibilité de reverser une part de la taxe aux communes qui assument la charge opérationnelle.
La mission d'information de la délégation aux collectivités territoriales sera l'occasion de proposer une refonte du financement de la Gemapi, en renforçant la solidarité amont-aval.
Ce texte n'est pas une réforme de fond, mais une étape utile. Il répond aux alertes et aux demandes des élus : nous le voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Martine Berthet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La loi Maptam a instauré la compétence Gemapi, par amendement et sans étude d'impact ; la loi NOTRe a rendu son transfert effectif, entraînant un flou juridique, des attentes contradictoires et une surcharge administrative.
Malgré tout, la réforme s'est progressivement mise en place, grâce au pragmatisme local. La loi Fesneau-Ferrand du 30 décembre 2017 a permis aux régions et aux départements déjà investis de poursuivre.
Cependant, le transfert opéré par l'État en janvier 2024 de la gestion des digues domaniales contre les inondations est perçu comme forcé et inadéquat. Les travaux atteignent 110 millions d'euros pour un des syndicats de mon département ! Les élus dénoncent un transfert ubuesque d'ouvrages dégradés. Normes irréalistes inadaptées aux digues anciennes, surcharge des bureaux d'études, impact financier insoutenable : c'est une impasse.
Je salue cette proposition de loi dont l'article 1er permet la délégation de tout ou partie de la compétence aux départements. Cela déchargerait les petites communes qui pourraient s'appuyer sur leurs ressources.
Jamais réévaluée depuis 2014, la taxe Gemapi ne reflète plus les réalités des territoires et les charges supportées. Elle est insuffisante dans certains secteurs, notamment en montagne. Impossible, vu la grande diversité des situations locales, d'établir des critères équitables.
Cette proposition de loi est l'occasion de repenser les modalités de financement de la Gemapi. Je ne doute pas que la mission d'information de Rémy Pointereau complétera ces éléments. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Béatrice Gosselin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le littoral normand est en première ligne face aux effets du changement climatique : recul du trait de côte, érosion accélérée, submersion marine. Nous aurons des digues à renforcer, des plages et des habitations à protéger - soit plusieurs millions d'euros d'investissements, à la charge des collectivités.
L'article 4 a, hélas, été supprimé en commission des finances au motif que les recettes actuelles ne suffisent déjà pas à couvrir les missions Gemapi. Mais que propose-t-on à la place ? Rien. La solidarité territoriale reste théorique. On refuse aux collectivités les moyens d'agir.
Le comité interministériel de la mer, réuni le 26 mai à Saint-Nazaire sous l'égide du Premier ministre, a réaffirmé le principe selon lequel le littoral doit financer le littoral. En demandant toujours plus aux communes, sans péréquation, on creuse les inégalités territoriales.
Je soutiens la demande de rapport à l'article 3, mais il faudra surtout créer dans le projet de loi de finances un fonds dédié à l'adaptation du littoral, et au recul du trait de côte. Les départements littoraux comme celui de la Manche ont besoin de lisibilité pour envisager sereinement l'avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Discussion des articles
Article 1er
M. Michel Masset . - En l'état, je ne voterai pas ce texte. Dans mon intercommunalité, le Lot se jette dans la Garonne, nous sommes inondés deux à quatre fois par an. La compétence Gemapi nous a été imposée sans compensation financière, nous avons dû créer un service. On nous a donc autorisés à lever un impôt qui nous a rapporté 450 000 euros, sur un budget de 10 millions. On nous a demandé une étude du système d'endiguement : 500 000 euros. Puis une brèche de 100 mètres linéaires est apparue : 300 000 euros. Pour la communauté voisine, c'est 22 millions d'euros !
Nous sommes un département pauvre. Or un mariage entre pauvres fait rarement un couple riche.
Sans vision amont aval, sans péréquation sur l'ensemble du territoire, ce texte n'est pas acceptable en l'état - d'autant que quantité de textes sont en cours d'examen, ce qui est difficile à expliquer sur le terrain.
M. Hervé Gillé . - Je suis corapporteur de la mission d'information de la délégation aux collectivités territoriales ; notre approche est beaucoup plus globale, tout en étant fine et technique.
Certains aléas normaux peuvent être pris en charge par un EPCI gémapien, d'autres nécessitent de faire appel à la solidarité. Les moyens doivent être levés à l'échelle du bassin ou du sous-bassin, bien mieux placé que le département.
Cette proposition de loi est à la croisée des logiques de bassins et des logiques de collectivités territoriales.
La gestion du pluvial dépend d'une stratégie définie à l'échelle de la collectivité, qui participe de la prévention des inondations. Il faudra clarifier ce qui ressort d'un syndicat d'eau et d'assainissement et ce qui peut ressortir d'une gestion gémapienne. Le texte ne traite pas ces aspects. Je voterai contre.
Mme Anne Chain-Larché . - C'est vrai, le texte n'est pas abouti. Le département n'est pas le bassin versant - mais l'EPCI non plus ! Alors que la Seine-et-Marne protège Paris, les frontières du département sont déjà trop étroites pour régler le problème dans sa totalité. Reste que les communes et syndicats de communes sont désemparés : il fallait envoyer un signal fort, face à l'immobilisme de l'État - et même du Sénat - en offrant aux territoires la possibilité de confier cette compétence au département.
Sur la taxe, la balle est dans le camp du Gouvernement. Son niveau peut varier de 0 à 40 euros selon les territoires. Nous plaidons pour une véritable solidarité, pour un impôt inondations sur le modèle de l'impôt sécheresse, afin de responsabiliser les territoires.
L'article 1er est adopté.
Après l'article 1er
M. le président. - Amendement n°1 rectifié de Mme Romagny et alii.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Il faut pouvoir déroger au calendrier annuel d'entretien des cours d'eau, afin de mener des mesures de prévention des inondations. En effet, impossible de procéder aux travaux aux dates préconisées, entre octobre et mars, car les berges sont immergées. Sans compter que les entreprises compétentes se font plus rares et allongent leurs délais d'intervention.
Hier, à ma question orale, la ministre m'a d'abord répondu en évoquant la taille des haies, avant de me dire que des adaptations étaient possibles. Mais que faire lorsque le préfet du département ne répond pas ?
Il faut de la souplesse réglementaire pour s'adapter aux conditions, tout en respectant la biodiversité ; d'où ma proposition de saisir le préfet et l'Office français de la biodiversité (OFB) un mois avant. Chez moi, des travaux de vannage sont près de céder au bout de deux ans sans travaux.
M. Hervé Reynaud, rapporteur. - De nombreuses collectivités peinent à entretenir leurs cours d'eau. Néanmoins, la rédaction de l'amendement aurait gagné à coller davantage aux réalités. Vous proposez de déroger « systématiquement » au calendrier, or il existe déjà des dérogations au cas par cas. L'amendement est donc satisfait. (Mme Anne-Sophie Romagny le conteste.) Au vu de la soudaineté des intempéries, saisir le préfet et l'OFB un mois avant n'est pas pertinent.
Je sais que notre collègue est tenace et ne s'est pas satisfaite de la réponse de la ministre Chappaz hier. C'est l'occasion ce soir de connaître l'avis du Gouvernement. Sagesse.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Je vous confirme mon soutien à la facilitation des travaux d'entretien des cours d'eau et comprends votre souhait d'adapter les périodes d'intervention au cas par cas, en fonction de la situation pluviométrique et hydrologique.
Les dates qui figurent dans les arrêtés sont rarement obligatoires, une souplesse existe. Tous les syndicats de rivières peuvent demander au préfet des adaptations, notamment pour l'entretien des ripisylves. J'insiste néanmoins sur les périodes de nidification des espèces protégées : les adaptations devront rester limitées et encadrées. Votre amendement me semble satisfait. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Les dates sont une recommandation pour les particuliers, mais entreprises, collectivités et syndicats s'exposent à un risque d'amende et de sanctions pénales ! Quand le préfet ne répond pas, que fait-on ? Dans ma commune, un vannage datant de 1901 est sur le point de céder : toutes les populations en aval seront inondées.
J'entends qu'il faille protéger les oiseaux, mais faisons confiance aux élus locaux. Il est de leur responsabilité de protéger leur population. Nous prenons un risque inconsidéré.
M. Laurent Burgoa. - Je voterai cet amendement de bon sens.
Madame la ministre de la ville, il y a peu de cours d'eau dans les quartiers de la politique de la ville. Écoutez plutôt le bon sens des territoires que les administrations centrales déconnectées !
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - La loi est conçue pour permettre aux élus locaux d'interpeller le préfet en vue de demander une adaptation ou une dérogation. Celui-ci doit vous répondre.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Ce n'est pas le cas !
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Dans ce cas, écrivez-nous. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains)
À la demande du groupe UC, l'amendement n°1 rectifié est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°309 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 260 |
Pour l'adoption | 241 |
Contre | 19 |
L'amendement n°1 rectifié est adopté et devient un article additionnel
Mme Anne-Sophie Romagny. - Merci !
L'article 2 est adopté, de même que les articles 2 bis et 3.
Article 4 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°2 de M. Grégory Blanc et alii.
M. Grégory Blanc. - Cet article a été supprimé en commission des finances au regard des enjeux de péréquation et de financement. L'ambition du texte est d'abord de prendre en compte le ruissellement. Or si l'on élargit la compétence Gemapi, il faut trouver des moyens, notamment là où la taxe est peu levée, afin de financer la prévention du ruissellement.
Il me semble que la loi ne permet pas de transférer si facilement une partie des financements aux communes. Si c'est déjà le cas, où sont les avancées de cette proposition de loi ? Autant la retirer.
M. le président. - Amendement identique n°3 de M. Lemoyne et du RDPI.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Cet amendement est pêché à bonne source. Pourquoi la commission des finances a-t-elle supprimé l'article ? Il prévoit qu'une partie du produit de la taxe Gemapi peut être transférée aux communes membres pour des travaux de lutte contre le ruissellement ou l'érosion des sols - sujets interstitiels dont les élus ont du mal à s'emparer. On entrait dans une logique de fonds de concours, l'intention était intéressante.
M. Laurent Somon, rapporteur pour avis. - Le problème est celui du financement. Plus on étend les items de la Gemapi, plus ses moyens seront insuffisants. Même si le dispositif est facultatif, il fera porter une responsabilité nouvelle aux intercommunalités. C'est d'ailleurs pourquoi le Sénat avait refusé de déplafonner la taxe Gemapi ; la perspective de voir cette taxe financer une nouvelle compétence a inquiété les élus locaux que nous avons auditionnés.
En amont, les communes sont souvent peu denses et disposent de peu de recettes, même avec une taxe au plafond ; en aval les recettes pourraient être plus importantes, mais les communes du littoral, qui ont des besoins considérables, ont peur que ces moyens soient tous utilisés à des travaux en amont, en montagne par exemple.
À l'article 1er, il s'agit bien d'une délégation de compétences au département, et non d'un transfert. Dans ce cas, la collectivité titulaire de la compétence Gemapi peut reverser tout ou partie de la taxe à une commune, à condition qu'il s'agisse de travaux Gemapi.
Dans le cadre d'un transfert de compétences, la taxe étant affectée, la collectivité qui a la compétence ne peut reverser tout ou partie de la taxe Gemapi aux communes, sauf en cas de délégation de maîtrise d'ouvrage ou de travaux d'intérêt communautaire.
Enfin, un EPCI et un département peuvent, par convention, créer un fonds de concours. Si celui-ci est abondé par la taxe Gemapi, il doit concerner des travaux de lutte contre les inondations.
Avis défavorable.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Permettre à un EPCI de reverser une partie du produit de la taxe Gemapi à une commune pour lutter contre le ruissellement et l'érosion des sols nous semble périlleux : ne décorrélons pas la taxe de l'objet pour lequel elle a été créée.
En outre, le reversement du produit de la taxe que vous prévoyez ne fonctionne pas. D'une part, parce que seuls les EPCI compétents en matière de Gemapi peuvent percevoir la taxe, mais ni les syndicats mixtes ni les départements. D'autre part, un EPCI à fiscalité propre ne peut prélever que les montants de taxe Gemapi correspondant à ses charges propres.
D'où mon avis défavorable.
M. Hervé Gillé. - Entre budget annexe et budget général, une clarification s'impose : il me semble préférable de privilégier le budget annexe, plus transparent.
La DGFiP doit également clarifier les choses sur le pluvial : qu'est-ce qui relève d'une gestion classique et qu'est-ce qui relève d'une gestion stratégique, portant sur la prévention des inondations ?
Pour faire face à des aléas majeurs, la taxe Gemapi, même portée à son plafond, ne suffira pas. Il faudra donc envisager une nouvelle fiscalité de solidarité. La dernière brique, c'est le fonds Barnier, qui interviendrait sur les enjeux de solidarité les plus importants.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Mon amendement, d'appel, visait à obtenir des explications de la commission des finances sur la suppression de l'article 4.
Dans l'Yonne, on me le dit : les communes n'ont pas les moyens de réaliser les travaux de maîtrise du ruissellement des eaux pluviales et de l'érosion des sols. L'article 4 répondait à ce besoin, même si j'entends l'argument de la ministre sur l'objet de la taxe.
Mais il faudra traiter cette question, qui contribue à la prévention des inondations.
L'amendement n°3 est retiré.
M. Grégory Blanc. - Dans ce débat, il n'y a pas d'un côté les communes littorales et de l'autre celles de montagne. Il y a aussi en amont des territoires plus riches qu'en aval, et dans ces territoires plus riches, la taxe Gemapi n'est pas forcément levée - c'est le cas du Choletais. C'est une piste pour accompagner des communes, dans une logique de fonds de concours.
Soit tout est déjà prévu dans la loi et cette proposition de loi ne sert à rien, soit ce n'est pas le cas et il faut une loi de plus grande ampleur.
M. Laurent Somon, rapporteur pour avis. - Les auteurs de la proposition de loi n'ont pas souhaité obliger les collectivités à instaurer la taxe Gemapi au taux plafond, pour leur laisser de la liberté. Nous parlons d'une compétence obligatoire, financée par une taxe facultative.
Néanmoins, en effet, les inégalités territoriales posent un problème de financement et de péréquation. J'ai participé à l'élaboration de la péréquation horizontale entre départements : bon courage pour l'instaurer sur la Gemapi !
L'amendement n°2 n'est pas adopté. L'article 4 demeure supprimé.
Vote sur l'ensemble
M. Hervé Gillé . - La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable aurait mérité d'être consultée pour avis, au titre de la gestion des milieux et de la prévention des inondations. Avec Pascal Martin, nous travaillons sur la gestion du risque. Jean-Yves Roux est également très investi sur ces sujets.
J'ai confiance : le rapport de la délégation des collectivités territoriales du Sénat sera transpartisan et nous aidera à avancer. Je vous donne rendez-vous pour en reparler.
Mme Anne Chain-Larché . - Ce n'est qu'un début, mais il faut un début à tout. Nous avions proposé à Rémy Pointereau d'élaborer un texte commun. Nous avons compris que la démarche n'était pas encore complètement aboutie, mais nous y souscrirons pleinement.
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°310 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 306 |
Pour l'adoption | 224 |
Contre | 82 |
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et INDEP ; Mme Annick Billon applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.