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Table des matières



Élection sénatoriale partielle

Conférence des présidents

Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre

M. Mathieu Darnaud

M. Patrick Kanner

M. Hervé Marseille

M. Claude Malhuret

M. François Patriat

Mme Cécile Cukierman

Mme Maryse Carrère

M. Guillaume Gontard

M. Christopher Szczurek

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre

Rappel au règlement

Renouvellement du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Mathieu Darnaud, auteur de la proposition de loi organique

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure de la commission des lois

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois

Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer

Question préalable

M. Robert Wienie Xowie

Discussion générale (Suite)

M. Georges Naturel

M. Mikaele Kulimoetoke

M. Patrick Kanner

Mme Cécile Cukierman

Mme Mélanie Vogel

Mme Annick Girardin

M. Olivier Bitz

M. Claude Malhuret

Rappel au règlement

Discussion générale (Suite)

Discussion des articles

Article 1er

M. Philippe Folliot

Article 2

Article 3

Intitulé de la proposition de loi organique

Vote sur l'ensemble

Mme Annick Girardin

Mme Cécile Cukierman

M. Philippe Folliot

M. Rachid Temal

Questions orales

Avenir des concessions hydroélectriques

M. Daniel Chasseing, en remplacement de M. Pierre Jean Rochette

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Retour du loup

M. Franck Menonville

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Enquêtes pour violences policières

Mme Corinne Narassiguin

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Dérive de la généralisation de l'usage des OQTF

M. Akli Mellouli

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Accès aux soins des enfants du Lot

M. Raphaël Daubet

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Prix du lait dans la grande distribution

Mme Béatrice Gosselin

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Décrets d'application de la loi sur le cancer du sein

Mme Cathy Apourceau-Poly

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Ordre du jour du lundi 20 octobre 2025




SÉANCE

du mercredi 15 octobre 2025

2e séance de la session ordinaire 2025-2026

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Alexandra Borchio Fontimp, Mme Céline Brulin.

La séance est ouverte à 15 h 05.

Élection sénatoriale partielle

M. le président.  - Par lettre en date du 15 septembre 2025, le ministère de l'intérieur m'a fait connaître qu'à la suite des opérations électorales du dimanche 14 septembre 2025, Mme Annick Girardin a été proclamée élue sénatrice de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le mandat de notre collègue a débuté le 15 septembre 2025 à 0 heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements)

Conférence des présidents

M. le président.  - Les conclusions adoptées par la conférence des présidents, réunie hier, mardi 14 octobre 2025, sont consultables sur le site du Sénat.

En l'absence d'observations, je les considère comme adoptées.

Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre .  - Il y a le temps des crises ; il y a aussi celui du rebond.

De la division naît le débat, du débat naît le compromis. Ce temps est indispensable, car la France a besoin de stabilité. Et il n'y a pas de compromis sans bicamérisme. Le Sénat représente les collectivités territoriales, au sein desquelles il faut s'entendre avec ses oppositions, parfois au sein de sa majorité, avec les maires des communes voisines. Tous ne pensent pas comme vous, mais tous veulent servir. De cette contrainte apparente naît une intelligence locale, qui doit nous inspirer nationalement.

Le Gouvernement souhaite porter cette ambition. Il faut sortir de cette crise par le haut, dans le respect des convictions de tous et de la parole de chacun, y compris des oppositions ; nous ne l'avons pas suffisamment fait par le passé, il faut le reconnaître.

M. Jean-François Husson.  - Ce n'est rien de le dire !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Il faut doter la France d'un budget utile pour les Français, pour la fin de l'année. Pour cela, il faut redonner du sens à la vie politique et parlementaire, grâce à une nouvelle pratique du pouvoir.

Huit dossiers sont urgents.

Priorité absolue du Gouvernement : le budget de l'État et celui de la sécurité sociale. Les Français n'attendent pas moins de leurs représentants. Au Gouvernement de le proposer, à nous d'en débattre, à vous de le voter.

Le projet de budget est plus que perfectible, vu les circonstances. À l'instar de Michel Barnier, voilà un an, j'ai déposé le texte en respectant les délais constitutionnels, en faisant évoluer la copie à l'aune de mes nombreuses consultations. Mais il reste des points à améliorer. Je sais que le Sénat y prendra toute sa part, en responsabilité.

Le budget repose sur un principe simple : la maîtrise des comptes publics, qui réduira le déficit à 4,7 % du PIB. À la fin de la discussion budgétaire, celui-ci ne devra pas dépasser 5 %, quoi qu'il arrive.

Dès cette année, nous respecterons les 5,4 % de déficit prévus. C'est une priorité pour maintenir le consentement à l'impôt. Le Président de la République a choisi de ne pas transiger avec notre souveraineté et notre sécurité. D'où l'augmentation inédite des crédits en faveur des armées.

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - De même, les moyens des ministères de l'intérieur et de la justice seront en progression.

En revanche, les moyens des autres ministères baisseront en euros constants, tout comme ceux des administrations. L'effort ne sera toutefois pas suffisant. C'est pourquoi j'ai installé la mission « État efficace », chargée de formuler des propositions de rationalisation des dépenses publiques, en s'appuyant notamment sur vos travaux.

Il faut un mouvement continu d'amélioration de l'efficacité de l'État et revoir le format de l'État central, malgré les mouvements de déconcentration et de décentralisation. L'État déconcentré s'est trop paupérisé ces vingt dernières années.

Deuxième priorité : lutter contre la fraude fiscale et sociale.

Mme Nathalie Goulet.  - Ah !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Nous présenterons le projet de loi le plus ambitieux contre les fraudes depuis plusieurs décennies.

Les interventions et soutiens de l'État ne peuvent donner lieu à des situations de rente. Ainsi du secteur des énergies renouvelables : s'il est hors de question de baisser nos ambitions environnementales, il l'est tout autant que cela pèse anormalement sur le contribuable. Ces secteurs doivent supporter la concurrence. Nous ne devons pas avoir de tabou pour lutter contre les effets de rente, y compris en matière de police des prix.

Le Sénat a voté plusieurs mesures d'économies, certaines consensuelles, d'autres non. Toutes seront débattues. Seul le résultat compte, dès lors que ces mesures sont sincères, documentées et justes.

En matière fiscale, les partis politiques ont des propositions divergentes. Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises : il ne faut pas augmenter la masse globale des prélèvements obligatoires.

Mes prédécesseurs qui ont eu la lourde tâche de faire voter le budget pour 2025 ont déjà eu recours à la fiscalité pour augmenter les prélèvements obligatoires. L'effort fiscal doit, par principe, être le plus limité possible. Il sera moins important que l'année dernière. La pression fiscale représentera 36 milliards d'euros de moins qu'en 2017.

Le budget pour 2025 ne prévoyait aucune diminution d'impôt ; nous proposons une baisse de la CVAE au profit des PME. Vous trancherez.

Ce budget demandera un effort aux collectivités territoriales, comme à tous les autres acteurs de la République. J'ai conscience que cet effort est difficile et parfois incompris. Aussi ai-je souhaité que les moyens alloués aux collectivités maintiennent une trajectoire de hausse en 2026, car c'est la base de la confiance pour réussir l'acte de décentralisation.

Comment ne pas voir la situation préoccupante des conseils départementaux ? L'État sera au rendez-vous, avec un fonds de sauvegarde.

Autre conviction animant le Gouvernement : il faut décentraliser, en repartant de l'État. C'est une conviction que partage le Sénat, à commencer par son président. Un projet de loi sera soumis au Parlement avant les élections municipales. Il réformera l'action publique de manière globale, non pour faire plaisir aux élus locaux, comme on peut le lire parfois, mais pour agir dans une logique de responsabilisation et de proximité.

Qu'attend-on de l'État ? Police, sécurité, justice, relations internationales, défense, sont au coeur de son action. D'abord parce qu'il ne peut s'y soustraire, ensuite parce que nos compatriotes attendent plus de lui dans ces domaines.

Les budgets des missions régaliennes de l'État ont augmenté depuis 2017 et continueront à le faire. Il ne faut pour rien au monde renoncer à ce renforcement. Pour le reste, il faudra se réorganiser.

Des missions aujourd'hui assumées par l'État pourront être prises en charge au niveau local, et inversement. La question sera d'identifier une bonne fois pour toutes qui est responsable de quoi. Il faut un seul responsable par politique publique - ministre, préfet ou élu. Il faut décentraliser non seulement des compétences, mais aussi des responsabilités et des libertés, y compris normatives -  le tout avec des moyens. Cela répond à un principe de bon sens : celui qui décide est responsable devant les électeurs. Nous nous y engageons.

On m'a beaucoup dit que le Parlement était trop divisé pour s'entendre sur ce sujet, notamment à l'Assemblée nationale. Je pense tout le contraire. C'est précisément parce que cette réforme prendra du temps qu'il faut la lancer tout de suite : nous n'attendrons pas.

D'autres textes, issus du Sénat, avancent. La proposition de loi sur le statut de l'élu se traduira notamment par une amélioration du régime indemnitaire. Le Gouvernement la soutient : c'est une clé pour les prochaines élections municipales.

La troisième priorité, c'est la santé. Pour les comptes de la sécurité sociale, la question des franchises médicales est cruciale. Les femmes enceintes, les mineurs et les plus pauvres, soit 18 millions de Françaises et de Français, seront exclus de cette mesure.

Il y aura un débat aussi sur l'accès aux soins. Nous ne devons pas attendre la prochaine élection présidentielle pour lutter contre les déserts médicaux. L'ouverture de maisons France Santé partout en France s'inscrit dans cette ligne, comme avoir un rendez-vous chez un médecin en moins de quarante-huit heures à moins de trente minutes de son domicile.

L'ouverture d'officines sera facilitée dans les communes de moins de 2 500 habitants. Il n'y aura aucune fermeture d'hôpital en 2026. On peut faire des économies sans tomber dans l'austérité. La santé bénéficiera de 5 milliards d'euros de crédits supplémentaires dans le PLFSS ; 300 millions d'euros seront consacrés à la santé mentale.

Nous devons nous interroger sur l'organisation de notre politique de santé. Trop d'acteurs interviennent sur une même politique, on multiplie les initiatives, donc les dépenses. Le projet de loi sur la décentralisation et la réforme de l'État doit poser sereinement ce débat. Il n'y a pas de réponse magique, mais le surplace et le statu quo ne sont plus possibles. Il faudra être réformateurs, tout en respectant les femmes et les hommes qui rendent ce beau service public.

Il faut aussi lutter contre le réchauffement climatique. (M. Yannick Jadot apprécie.) Nous devons avancer, avec efficacité et sans dogmatisme et avec une approche locale. Car l'écologie, c'est de l'aménagement du territoire. Décentraliser, c'est aussi l'occasion de repenser notre planification énergétique. Nous ferons des propositions précises sur ce sujet, en nous appuyant sur certains travaux du Sénat.

La mobilité est un enjeu majeur : pas de croissance sans transport. Pour éviter le sentiment de relégation, le ministre des transports proposera une loi-cadre pour flécher les recettes des futures concessions autoroutières vers la construction de nouvelles infrastructures, notamment ferroviaires.

Il faut aussi parler du logement.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Si beaucoup a été entrepris depuis 2017, les résultats ne sont pas au rendez-vous. (Murmures à gauche)

M. Jean-François Husson.  - C'est le vide sidéral !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Je salue les décisions prises par Valérie Létard. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Loïc Hervé.  - Où est Valérie Létard ?

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - La part des dépenses de logement dans le revenu des ménages est excessive. Le reste à vivre qui se réduit, voilà l'un des principaux problèmes du pouvoir d'achat des Français. Pourtant, des solutions existent, comme réduire le millefeuille des documents de planification ou simplifier les procédures d'urbanisme. La proposition de loi Huwart était un premier pas, il faudra continuer.

La cinquième priorité est confiée à Françoise Gatel et à Michel Fournier. Il y a urgence pour nos campagnes. Pas moins de 80 % de notre territoire est rural. Je vous le dis comme je le pense : ce sont des territoires d'avenir. Quelque 22 millions de Français y vivent, de notre industrie et de notre agriculture, qui garantit notre souveraineté alimentaire. Il est temps de leur faire confiance. (Mme Kristina Pluchet ironise.)

Michel Fournier aura pour mission de développer toutes les formules itinérantes de services publics et de commerces de proximité. Il devra aussi garantir un accompagnement adapté des collectivités rurales les plus fragiles. Pour sauver et développer le commerce de centre-ville, je compte sur le ministre des PME, qui entre au service de l'État avec une solide expérience et des idées.

Sixième priorité : il faut répondre aux attentes de nos concitoyens pour plus de justice et de sécurité. (« A! » sur les travées du groupe Les Républicains)

La loi de programmation de la justice sera respectée à l'euro près.

La loi Narcotrafic, issue de vos bancs, sera intégralement appliquée, avec, au 5 janvier, l'installation du parquet national anticriminalité organisé, grâce à l'action du garde des sceaux. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains)

J'annoncerai de nouvelles mesures de fermeté dans les prochains jours. Le ministre de la justice se tient à la disposition des parlementaires pour coconstruire un projet de loi pénale. Nous le proposerons, nous en débattrons, vous le voterez.

Le ministre de l'intérieur a reçu pour mission d'obtenir des résultats contre la délinquance. Il en aura les moyens, les budgets de l'intérieur étant en augmentation constante.

L'immigration constitue un défi majeur pour l'Europe.

M. Marc-Philippe Daubresse et Mme Agnès Evren.  - Ah !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Nous devons l'affronter avec sérieux et responsabilité, en ne cherchant pas la popularité dans nos paroles, mais l'efficacité dans nos actes. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pascal Savoldelli.  - C'est lyrique...

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Nous devons mener une politique claire, stable et conforme à nos valeurs. (Mêmes mouvements)

L'intégration est non pas une option, mais une responsabilité partagée. Notre boussole : l'efficacité dans le respect du droit et l'équilibre entre humanité et autorité.

M. Mickaël Vallet.  - Très bien !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - La République est forte quand elle est juste. Il faudra continuer, aux niveaux français et européen à améliorer les contrôles aux frontières. L'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est une priorité absolue. Mais le bon sens commande de traiter le problème à la racine avec calme, méthode et discernement.

Mme Laurence Rossignol.  - Calme ?

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Je souhaite qu'on cible durement les réseaux de passeurs et de trafiquants d'êtres humains, qui ne sont pas sans lien avec la grande criminalité, voire avec les réseaux terroristes. (Mme Nathalie Goulet renchérit.) Demain, l'instrumentalisation des flux migratoires figurera parmi leurs stratégies.

Agir pour nos territoires, c'est aussi agir pour nos outre-mer. La lutte contre la vie chère est une urgence absolue parmi toutes les autres. C'est la priorité de la ministre des outre-mer, qui sera aussi celle de la lutte contre les abus. Un projet de loi est prêt. Il y aura beaucoup de sujets à débattre, d'autres à introduire. La copie est imparfaite ; nous la reverrons lors des débats parlementaires.

Il faut faire jouer la concurrence, mettre de la transparence, en particulier dans la grande distribution, et ne refuser aucune discussion, y compris sur les outils fiscaux.

Autre urgence : la reconstruction de Mayotte, dévastée par le cyclone Chido. L'État a pris des engagements, ils seront tenus.

Urgence aussi en Nouvelle-Calédonie. La fin de l'accord de Nouméa a créé un vide, comblé ensuite par l'accord de Bougival. Je salue les travaux de votre assemblée qui ont guidé l'État dans la poursuite de cet accord. Je suis convaincu que le Sénat, en particulier son président, est le meilleur acteur pour porter cet accord. Mais je souhaite aller plus loin dans le traitement des inégalités économiques et sociales.

La Nouvelle-Calédonie a besoin d'un choc de confiance. Les Calédoniens ont besoin d'un emploi, pas que l'État leur paie le chômage indéfiniment. La ministre proposera des solutions en concertation avec les acteurs du territoire.

Certains acteurs ultramarins ont formulé des demandes d'évolution institutionnelle. Le 30 septembre dernier, le Président de la République a confié au Gouvernement le soin de constituer des groupes de travail avec les territoires qui ont des projets précis, comme la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe. Pour ce qui concerne la Corse, un projet de loi a été présenté en conseil des ministres.

M. Mickaël Vallet.  - Ce n'est pas l'outre-mer !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - J'en viens à un sujet qui me tient à coeur : le paritarisme.

Le Gouvernement proposera un texte pour suspendre dès maintenant la réforme des retraites. (Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Suspendre la réforme n'a d'intérêt que si c'est pour avancer. J'ai donc proposé une grande conférence sur les retraites et sur le travail avec les organisations syndicales et patronales. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains)

Notre système de retraite doit être réinterrogé : système par points, par capitalisation (exclamations sur les travées du groupe CRCE-K), suppression de toute référence d'âge ne peuvent valoir que si le modèle est pérenne. (Vives protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains) J'ai confiance en la démocratie sociale. C'est une conviction profonde partagée avec le ministre. Pourquoi ne pas développer ce qui fonctionne comme c'est le cas avec l'Agirc-Arrco ? Il faut en débattre et ne pas en avoir peur. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Plusieurs voix à droite.  - On en a déjà débattu !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Je le répète : suspendre n'est pas renoncer. (Vives exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Max Brisson.  - C'est une lâcheté !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Ce n'est pas non plus reculer, si nous savons utiliser ce temps avec intelligence et volonté d'avancer. La cohésion sociale, l'unité du pays et donc sa stabilité sont une force. La droite, dans le passé, a su le montrer. La division, elle, a un coût : l'instabilité aura coûté 12 milliards d'euros.

Je crois en la sagesse du Sénat pour aider le Gouvernement à calmer les tensions. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

Il faut trouver des compromis dans l'intérêt du pays. Après des semaines difficiles, il est permis d'espérer. Le Parlement peut fonctionner.

M. Olivier Paccaud.  - Voeu pieux...

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Nous pouvons donner un budget à la France, soutenir la croissance et l'emploi dans les territoires, renforcer la défense et redonner confiance. Le Gouvernement y est prêt. Le budget et les projets de loi sont prêts. Le pays est prêt.

La politique s'est parfois éloignée des problèmes de la vie quotidienne. Elle s'est parfois isolée des méthodes prévalant dans les grandes démocraties comme dans nos conseils municipaux.

Le Sénat participera au débat et saura trouver le compromis. Je n'en doute pas : c'est son histoire depuis 150 ans. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe UC, du RDSE et du groupe INDEP)

M. Mathieu Darnaud .  - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur quelques travées du groupe UC) L'heure est grave. Partout dans le pays, des voix s'élèvent qui traduisent la colère et l'exaspération des Français. L'heure est grave, car la France s'engloutit dans les abîmes de la dette. Une dette qui fragilise nos services publics et nos collectivités. L'heure est grave, car le monde nous regarde et ne nous comprend plus à un moment où la voix de la France doit être forte. L'heure est grave et il faut agir.

Monsieur le Premier ministre, vous plaidez pour la rupture. Nous pourrions vous suivre sur cette voie si cette rupture était porteuse de souffle et de méthodes nouvelles. Il faudra nous en dire plus pour nous convaincre. Plus que le renoncement à l'article 49.3. Plus que cette formule aux allures d'évidence : « le Gouvernement proposera, nous débattrons et vous voterez ». C'est simplement l'article 34 de la Constitution... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)

Plus que du flou des propos que vous avez tenus hier, les esprits chagrins auraient pu parler d'une déclaration partiale tant elle s'adressait à un seul parti. (Vifs applaudissements et « Très bien ! » sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur quelques travées du groupe UC)

Cet après-midi, nous avons droit à une déclaration de politique pléthorique (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC), et nous peinons à entrevoir quel pourrait être le calendrier pour répondre à toutes ces priorités.

J'irai droit au but : la gravité de l'instant exige de la clarté. Nous avons besoin que vous réaffirmiez un cap clair. Si ce cap est à la hauteur des enjeux, vous nous trouverez à vos côtés. A contrario, si vous cultivez le flou et ne cherchez que des voies de passage, avec comme objectif de gagner du temps, je vous le dis clairement : ce sera sans nous.

La gravité de la situation de notre pays ne permet plus les équivoques et les petits calculs. La stabilité institutionnelle de la France est fragilisée et sa crédibilité internationale affaiblie. Notre dette est colossale et notre économie vacille. Lorsque la dépense publique atteint 57,3 % du PIB, il ne reste pas grand-chose pour l'enthousiasme et les initiatives privées.

Les Français, épuisés et agacés, sont inquiets pour leur avenir, leur pouvoir d'achat, leur santé et leur sécurité. Nous ne pouvons accepter ce portrait d'une France bloquée.

Il n'est pas question d'abdiquer dans la tourmente, mais il faut mépriser les agitations, prétentions et surenchères. Les pouvoirs publics ne valent en fait et en droit que s'ils s'accordent avec l'intérêt supérieur du pays et avec les citoyens. C'est notre vision de la France, mais est-ce la vôtre, monsieur le Premier ministre ?

Nos convictions s'appuient sur un triple principe de cohérence, de liberté de responsabilité. Telle est la conception du général de Gaulle lors du discours de Bayeux en 1946, qui demeure d'actualité. C'est là où le bât blesse. Entre votre déclaration de politique générale hier à l'Assemblée nationale et celle d'aujourd'hui au Sénat, vous ne nous dites pas grand-chose de la direction à faire prendre au pays. (M. Sébastien Lecornu s'en étonne.)

L'an dernier, j'interpellais votre prédécesseur, François Bayrou, en ces termes : la France pourra-t-elle encore peser en Europe et dans le monde si elle perd la maîtrise de son destin ? Le monde de demain ne fera pas de cadeaux aux nations les plus fragiles. Nous devons retrouver notre force et quelques ajustements budgétaires n'y suffiront pas. Il nous faut un rétablissement historique, comme en 1958. Aurez-vous l'audace d'agir pour redresser enfin nos finances publiques et desserrer l'étau qui étrangle la France ?

Vous ne proposez pas moins de 14 milliards d'euros de hausses d'impôts. La majorité sénatoriale a toujours fait preuve de responsabilité pour dégager des économies et éviter l'impôt. Nous allons continuer !

Ce n'est pas en refusant les réformes structurelles que l'on améliore durablement la situation. Pourtant, vous annoncez la suspension de la réforme des retraites. Certes, cette dernière est imparfaite et nous avions proposé des améliorations. (On ironise à gauche.)

Nous aurons l'occasion d'en débattre, mais nous n'accepterons pas les renoncements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)

Une voix à gauche.  - Il faudra l'avaler !

M. Mathieu Darnaud.  - Votre programme devrait également intégrer la remise à plat des politiques publiques, ainsi que la réduction du périmètre de l'État en supprimant ou fusionnant ces multiples émanations erratiques et désordonnées que sont les agences. La commission d'enquête dont Christine Lavarde était le rapporteur a formulé des propositions à ce sujet.

Il faut arrêter les fausses solutions à coups de hausses d'impôts ou de taxes nouvelles alors que la France excelle dans la créativité fiscale qui étrangle l'initiative. Il faut des mesures claires et compréhensibles en faveur de la sécurité sociale, de la justice, de l'accès aux soins et du soutien aux plus fragiles dans une économie dynamique.

Votre Gouvernement nous proposera des projets de loi ; nous les examinerons avec pragmatisme, car l'heure est trop grave. Nous déposerons des propositions de loi quand cela paraîtra nécessaire. Nous serons très vigilants sur les mesures touchant les collectivités territoriales, car ces dernières sont au service des Français et sont un soutien majeur à l'économie et à l'emploi.

Nous en débattrons et nous voterons : c'est non pas une rupture, mais c'est simplement notre rôle plein et entier.

Nous avons peu entendu un mot pourtant essentiel : celui de liberté. Il manque singulièrement à votre discours, alors qu'il est consubstantiel à l'exercice du pouvoir. Bien sûr, il est absent du discours des démagogues, mais les Français aimeraient l'entendre et le voir concrétisé. Qu'en pensez-vous ?

La France se fatigue. Elle fléchit sous le poids des contraintes et des interdits dont les objectifs sont peu clairs et les effets non mesurés. Elle s'asphyxie dans une surbureaucratisation qui entend se mêler de tout. (M. Olivier Paccaud applaudit.)

L'entrepreneur recule devant les seuils à franchir. La collectivité recule devant les obstacles administratifs, le citoyen s'isole face aux difficultés qu'il doit affronter dans sa vie de tous les jours. Résultat : l'audace et la créativité finissent par s'exprimer ailleurs qu'en France.

Pour Les Républicains, la route à suivre est claire. Chez nous, il n'y a aucune ambivalence, nos priorités ne s'appuient sur aucune posture idéologique. (Protestations et marques d'ironie à gauche)

Nos priorités s'appuient sur la liberté et son corollaire, la responsabilité.

Selon Victor Hugo, « les écrivains ont mis la langue en liberté ». Aux politiques de mettre la France en liberté en faisant confiance aux Français ! Saurez-vous emprunter ce chemin, monsieur le Premier ministre ?

Nos priorités découlent d'une certaine idée de la France.

Au fond, monsieur le Premier ministre, peut-être auriez-vous dû écouter le Sénat qui, chaque année, avec constance, a voté des mesures d'économie tout en protégeant les Français et en préservant les collectivités territoriales. (On ironise sur les travées du GEST.) Cela sera encore le cas cette année.

Écoutez enfin le Sénat : il n'est pas trop tard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le Premier ministre, avez-vous conscience du niveau de consternation et de colère des Français ? Le spectacle de quelques happy few qui se nomment et se renomment entre eux, bien au chaud dans leur tour d'ivoire ? Cette déconnexion est délétère. Savez-vous quel est le mot qui revient le plus dans la bouche des citoyens de mon département du Nord ? Le « cirque ». Oui, par l'attitude de votre camp politique et surtout du Président de la République, la politique est devenue un vaste cirque.

Et que dire du cirque joué par les acrobates en chef, Les Républicains (vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Loïc Hervé s'exclame), qui participent au Gouvernement, puis n'y participent plus, qui excluent ceux qui ont choisi personnellement d'y participer, tout en soutenant le Gouvernement. Quelle cacophonie ! N'y voyez aucune ironie de ma part...

Plusieurs voix à droite.  - Bien sûr !

M. Patrick Kanner.  - Je ne me réjouis pas de ce désordre et du spectacle donné par la macronie.

Dans cette confusion générale, nous, socialistes, aurions pu choisir la censure -  la tentation était grande. (Marques d'ironie à droite) Nous n'avons pas choisi la censure, ...

M. Max Brisson.  - Cela viendra !

M. Patrick Kanner.  - ... car nous avons fait le choix des Français. Ils n'espèrent pas le grand soir : ils veulent vivre mieux, maintenant, sans attendre 2027 ou une hypothétique démission du Président de la République.

Voilà pourquoi nous avons répondu à chacune de vos invitations, monsieur le Premier ministre, pour vous faire part de nos demandes. La justice fiscale est incontournable. Les Français n'en peuvent plus de se serrer la ceinture alors que la fortune des 500 familles les plus riches a doublé depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron.

En 2023, le groupe LVMH percevait 275 millions d'euros d'aides publiques tout en engrangeant 15 milliards d'euros de bénéfices, preuve s'il en fallait de votre priorité donnée au confort des ultrariches. Monsieur le Premier ministre, demandez un peu à ceux qui ont tout, plus que tout, pour épargner ceux qui n'ont rien, ou presque rien ; c'est la moindre des choses !

M. Roger Karoutchi.  - C'est combien, tout ?

M. Patrick Kanner.  - Nous réclamions la taxe Zucman, vous l'avez refusée. Nous déposerons un amendement en ce sens et attendrons une alternative concrète du Gouvernement si ce dernier le rejette.

Le RN, qui prétend défendre les classes populaires, a déjà annoncé qu'il s'opposerait à notre amendement. Les masques tombent aujourd'hui et font apparaître ceux qui ne défendent que les nantis. (M. Aymeric Durox s'exclame.)

M. Jean-François Husson.  - Ce n'est pas convenable.

M. Patrick Kanner.  - Fallait-il que votre Gouvernement soit en grand péril pour concéder la suspension de la réforme des retraites ? (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.) Cette réforme, injuste, est restée une blessure démocratique profonde.

M. Max Brisson.  - Démago !

M. Patrick Kanner.  - C'est la colère du pays qui vous a arraché cette victoire. C'est une victoire indéniable pour les 3,5 millions de Français qui partiront plus tôt à la retraite. (Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Mickaël Vallet applaudissent.) C'est une reconnaissance tardive, mais bienvenue, du combat des organisations syndicales.

J'entends déjà les cris d'orfraie, parlant de trahison. Oui, nous assumons de ne pas censurer le Gouvernement pour arracher de telles victoires ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)

M. Max Brisson.  - Et l'addition ?

M. Patrick Kanner.  - Notre décision de ne pas censurer n'est toutefois pas un chèque en blanc. Les textes budgétaires présentés hier ne sont pas les nôtres. Nous n'accepterons jamais le doublement du forfait médical, notamment. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains) Nous resterons intraitables sur les sujets qui concernent les plus modestes.

Il est temps de tourner le dos à huit ans d'une économie dérégulée, d'une fiscalité inéquitable et d'une action publique affaiblie. Cette politique a échoué et aggravé les inégalités, l'état des services publics et de la situation des finances publiques.

Monsieur le Premier ministre, vous promettez une rupture : nous vous prenons au mot. Nous n'acceptons pas que 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté et que 5 millions de salariés vivent péniblement avec le Smic, que les classes moyennes s'enfoncent dans le déclassement et que les services publics se délitent.

Pendant ce temps, notre pays s'endette de 60 milliards d'euros de recettes fiscales chaque année.

M. Jean-François Husson.  - Vous allez y remédier...

M. Patrick Kanner.  - En 2026, la charge de la dette atteindra 70 milliards d'euros, soit toute la richesse nouvelle créée la même année.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Ce n'est pas grand-chose !

M. Patrick Kanner.  - Cette politique, qui creuse les fractures sociales et territoriales, ouvre la voie aux populismes. Vous en portez une lourde part de responsabilité.

Le 7 mai 2017, au pied de la pyramide du Louvre, Emmanuel Macron disait : « Je ferai tout pour que les Français n'aient plus de raison de voter pour l'extrême droite ».

Mme Marie-Arlette Carlotti.  - C'est réussi...

M. Patrick Kanner.  - En 2017, il y avait 8 députés d'extrême droite ; aujourd'hui, ils sont 140. Voilà le résultat de vos choix !

Plusieurs voix sur les travées du groupe Les Républicains.  - Et LFI ?

M. Patrick Kanner.  - Malgré ce contexte, je salue votre décision de ne pas recourir à l'article 49.3. Le Parlement reprend enfin la main, et c'est heureux. Gageons que les débats à venir nous permettront de corriger les mesures que nous jugeons inacceptables.

Notre ligne écarlate : nous refusons que les plus modestes paient le prix des erreurs accumulées depuis 2017.

Il n'y aura pas de stabilité durable sans justice sociale, donc fiscale ; pas de croissance sans relance du pouvoir d'achat ; pas de redressement sans confiance retrouvée avec les collectivités territoriales, qui pallient vos reculs en matière de solidarité en dépit des restrictions budgétaires et de vos critiques injustes.

Vous demandez toujours plus aux territoires en leur donnant toujours moins : la décentralisation providence est devenue décentralisation pénitence. Reprenez à votre compte le principe de subsidiarité, restaurez la confiance avec nos 500 000 élus locaux, inspirez-vous de la créativité de nos collectivités pour améliorer la vie quotidienne.

Et que dire des territoires ultramarins, relégués, une fois encore, au second plan ? Votre budget les soumet à un coup de rabot inacceptable de près de 750 millions d'euros, une véritable claque. Je pense à nos concitoyens mahorais, qui attendent encore des moyens à la hauteur des promesses, mais aussi à la Nouvelle-Calédonie : fruit d'un dialogue patient, l'accord de Bougival doit être appliqué.

D'autres menaces pèsent sur notre démocratie, qui ne se mesurent pas en euros, mais en valeurs. Protéger l'État de droit, sacré et intangible, ne coûte rien. (Marques d'assentiment à gauche) Accorder à chacun une fin de vie digne et librement choisie ne coûte rien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Renoncer à la loi sur l'audiovisuel public ne coûte rien. (Applaudissements sur les mêmes travées ; M. Guy Benarroche applaudit également ; on ironise à droite ; M. Roger Karoutchi s'exclame.)

M. Yannick Jadot.  - Il faut renoncer aussi à la loi Duplomb ! (Protestations à droite et sur des travées au centre)

M. Patrick Kanner.  - En revanche, soutenir l'extrême droite plutôt que le front républicain, comme dimanche dernier dans le Tarn-et-Garonne, fait payer le prix fort à notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Nous ne serons jamais vos alliés. Si nous ne vous censurerons pas demain, c'est aussi parce que la voix de la France doit être forte, alors que se multiplient conflits armés, crises humanitaires, ingérences et cyberattaques. Mais nous resterons dans une opposition exigeante et n'aurons pas la main tremblante si vous ne tenez pas vos engagements.

Je fais miens ces mots de Léon Blum : « Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir l'existence. » (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Hervé Marseille .  - (Vifs applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) Mes chers collègues, ...

M. Rachid Temal.  - Applaudi par toute la droite : quel talent !

M. Hervé Marseille.  - ... après avoir écouté les orateurs précédents, je préfère ranger mon texte et vous parler avec mes sentiments.

J'ai une pensée pour Michel Barnier et François Bayrou, qui ont tenté de construire des budgets dans le compromis et ont échoué, faute d'avoir la possibilité de renoncer à la réforme des retraites. (Applaudissements à droite et au centre) J'ai aussi une pensée amicale pour Manuel Valls, qui a beaucoup travaillé sur le dossier calédonien et dont l'expérience était précieuse. (Applaudissements sur certaines travées des groupes UC et INDEP)

Le problème, depuis le début, ce sont la méthode et la confiance. Chacun, dans ce qu'on appelle « le socle », a annoncé son soutien à votre gouvernement. Mais, lors de nos rencontres à Matignon, vous n'avez jamais dévoilé vos intentions. (« Bravo ! » sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

D'aucuns ont parlé de contrat de gouvernement ; on leur a répondu : dites-nous de quoi vous avez besoin, on vous dira comment vous en passer. (Rires et applaudissements sur les mêmes travées) Ceux qui ont souhaité des engagements un peu plus précis ne les ont pas obtenus.

Il fallait bien des orientations, un budget, un gouvernement. Mais nous n'avons rien su des orientations, du budget ni du Gouvernement - censé se limiter à quinze membres pour finir à plus de trente.

Monsieur le Premier ministre, vous n'avez rien voulu dévoiler et vous êtes enfermé dans le dialogue avec nos collègues socialistes.

M. Hervé Marseille.  - Ce dialogue était nécessaire, mais vous avez oublié qu'il y avait des forces politiques qui vous soutenaient.

Vous avez théorisé le principe de Chevallier et Laspalès : « c'est vous qui voyez » ! (Rires et applaudissements sur les mêmes travées)

Je suis heureux que vous ayez rappelé cet après-midi que la dette est au coeur des préoccupations. Il est indispensable de faire des économies : il y va de notre crédibilité et de notre souveraineté. Mais comment être crédible dès lors qu'on abandonne une réforme majeure et qu'on avait déclarée urbi et orbi indispensable ? (Marques d'assentiment sur les mêmes travées)

M. Max Brisson.  - Très bien !

M. Hervé Marseille.  - La crédibilité est endommagée : il faudra faire beaucoup pour être entendu.

Qui peut croire que nous atteindrons 3 % de déficit en 2029 ?

Nombreuses voix à droite.  - Personne !

M. Hervé Marseille.  - Personne, en effet : autant le dire ! (Applaudissements sur les mêmes travées)

Merci d'avoir redit que les dépenses militaires sont indispensables. C'est une priorité - qui aggrave aussi notre problème de dette.

Nous avons besoin d'équité fiscale. Les prélèvements supplémentaires se feront sur les plus fortunés. Le Sénat avance des propositions depuis des années, comme sur la lutte contre la fraude fiscale - sujet cher à Mme Goulet.

Prenez aussi en considération le dossier du Mercosur, car les agriculteurs ne doivent pas se sentir abandonnés. Il ne doit pas aboutir à l'insu de notre plein gré, contre l'intérêt de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP et sur certaines travées du GEST)

Dès lors que vous avez fait le choix, que beaucoup ici ne partagent pas, d'abandonner la réforme des retraites, il sera encore plus difficile de soutenir le pouvoir d'achat, puisqu'il faudra compenser les sommes perdues sur les retraites.

MM. Jean-François Husson et Antoine Lefèvre.  - Magiciens !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et les recettes ?

M. Hervé Marseille.  - Il faudra faire des choix politiques : il faut le mettre sur la place publique, donner les chiffres et dire comment on fait. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Dans cette situation très difficile, nous devons savoir où l'on va, avec qui et comment ; il faut dire comment on finance.

Chers collègues socialistes, dans ce contrat, que faites-vous ?

M. Rachid Temal. - On vous le dira !

M. Hervé Marseille.  - Patrick Kanner dit : maintenant qu'on a mangé les retraites, on va vous servir du Zucman ; ensuite, on regardera dans le budget ce qui nous va et ce qui ne nous va pas. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

M. Mickaël Vallet.  - Vous voyez : quand vous voulez, vous comprenez...

M. Hervé Marseille.  - Quand on discute, il faut savoir ce que chacun apporte : j'aimerais donc savoir ce que vous apportez.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Soixante-neuf voix...

M. Hervé Marseille.  - Cela ne peut pas être une discussion quotidienne.

M. Mickaël Vallet.  - Il y a un rapport de force !

M. Hervé Marseille.  - Notre groupe est disposé à vous soutenir, monsieur le Premier ministre, mais pas à n'importe quelles conditions.

M. Mickaël Vallet.  - Avec nous, camarade !

M. Hervé Marseille.  - Agissons de façon claire et transparente. Mettons les chiffres sur la table, disons les choses. C'est ainsi, devant les Français, que nous pourrons avancer. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Oscar Wilde, endetté jusqu'au cou, a dit : « Je meurs au-dessus de mes moyens ». (On apprécie la formule.) C'est ce qui est en train de nous arriver. (On renchérit sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Le budget 2026 s'annonce encore plus difficile à bâtir qu'un meuble Ikea... N'importe quel comptable débutant conclurait : la France, c'est Gabegie le magnifique ; il faut faire des économies. Curieusement, ce n'est pas la solution préconisée par de nombreux médias, réseaux sociaux et partis politiques...

Dans le pays champion du monde de la redistribution, on cloue le bec à ceux qui alertent sur la sortie de route d'un mot : « justice fiscale ». Aux deux extrémités de l'Assemblée nationale, vos ennemis, qui sont aussi ceux de la démocratie, se moquent de l'intérêt général. Leur seul but ? Précipiter la crise institutionnelle.

L'extrême gauche guette l'étincelle qui mettra le feu aux poudres. Après avoir bloqué l'Assemblée pendant trois ans, la secte a vu surgir un mouvement dont le nom la comblait : « Bloquons tout ». Mais LFI a eu beau marteler que toute mesure d'économie provoquerait la famine, le déluge et les sauterelles, elle a échoué à transformer l'ébullition en insurrection. Pauvre extrême gauche ! Son bilan se résume à ceci : un siècle à bouffer du curé pour finir par lécher les bottes des mollahs. (Bravos et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains et sur quelques travées du RDPI)

L'extrême droite voit son heure venir, mais l'odeur du pouvoir la rend schizophrène. Marine Le Pen n'est « ni de droite ni de gauche » - elle est devenue très « en même temps »... (Marques d'ironie sur de nombreuses travées) Mais Ciotti appelle à l'union des droites, Bardella fait la danse des sept voiles aux journées du Medef. Faut-il croire la madone des prolétaires ou le champion du CAC 40 ? La première s'accroche à retraite à 60 ans, folle revendication de la CGT qui coûterait des dizaines de milliards d'euros. Il faut le dire à tous les Français qui ont quelques économies : voter pour l'extrême droite, c'est comme une dinde qui voterait pour Noël ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

Vous n'aviez pas grand monde avec qui discuter. Restait le PS. Olivier Faure se tortillait depuis des mois comme un lombric, entre son tango avec LFI et le refus de la moitié de ses troupes de baiser les babouches de Mélenchon. Vous l'avez tiré d'affaire, ...

M. Mickaël Vallet.  - Et inversement !

M. Claude Malhuret.  - ... en le laissant faire monter les enchères : abandon des deux jours fériés travaillés et des 40 milliards d'euros d'économies, suspension de la réforme des retraites, reconduction de la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises, fiscalisation des actifs des holdings, taxation des hauts patrimoines. Votre problème n'était pas d'acheter les socialistes, mais de ne pas les payer au prix auquel ils s'estiment. Hélas, vous avez payé très cher.

Oui, pour gouverner dans les conditions actuelles, il faut des compromis. Mais il y a une limite : quand le prix à payer pour sauver les meubles est supérieur au prix des meubles.

Comme le dit Jean Tirole, « nous continuons à déplacer les transats pendant que le Titanic coule ».

Ayons le courage de dire que nos 3 400 milliards d'euros de dette s'expliquent par deux mesures qui ont coulé le pays. D'abord, la retraite à 60 ans sous Mitterrand. (Applaudissements à droite et au centre ; protestations à gauche) Michel Rocard lui-même l'a dit en 1990 ! En Espagne, la retraite est à 67 ans. Monsieur le Premier ministre, invitez un socialiste espagnol à expliquer les finances publiques aux socialistes français ! (Marques d'ironie à droite et au centre)

M. Thierry Cozic.  - Et la politique de l'offre ?

M. Claude Malhuret.  - Ensuite, les 35 heures sous Jospin, qui ont tué notre compétitivité et ravagé, notamment, l'hôpital public.

M. Didier Marie.  - Et Macron ?

M. Claude Malhuret.  - Ne manque qu'une troisième mesure pour nous achever : la taxe Zucman, qui fera fuir les start-up de la tech et de l'innovation, carburant de l'économie des prochaines décennies. Cette taxe est à la croissance ce que l'hydroxychloroquine était au Covid... Or, en l'absence de 49.3, elle risque de figurer dans le texte final.

Mme Cécile Cukierman. - Dans ce cas, censurez !

M. Claude Malhuret.  - Alors que l'Europe décroche et la France plus encore, la gauche française nous propose de moins travailler, d'abaisser l'âge de la retraite, d'augmenter les impôts et d'aggraver la dette. Nous avons besoin de l'exact contraire : économies urgentes et surcroît d'activité, de croissance et d'emploi. La meilleure des mesures sociales, c'est un travail ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Rachid Temal.  - C'est vous qui êtes au pouvoir : assumez !

M. Claude Malhuret.  - Après que les socialistes vous ont tordu le bras, le budget, aggravé par l'alliance des démagogues à l'Assemblée nationale, ne le permettra pas.

Certes, ce budget n'a d'autre but que de permettre au Gouvernement d'éviter la censure.

M. Rachid Temal.  - Parlez-en à Édouard Philippe !

M. Claude Malhuret.  - Édouard Philippe, ce sont les trois années où le déficit a été inférieur à 3 %.

Plusieurs voix à gauche. - Non, c'est François Hollande !

M. Claude Malhuret. - Le Sénat va vous aider : non à faire plaisir aux socialistes, mais à leur résister. Si nous n'avons pas le dernier mot, nous pouvons faire beaucoup, comme pour le budget 2025. Nous purgerons les textes des mesures néfastes, en ajouterons d'utiles et poursuivrons le travail en commission mixte paritaire.

M. Rachid Temal.  - Une proposition, pour finir ?

M. Hussein Bourgi.  - Aucune proposition ! Que des critiques...

Mme Laurence Rossignol.  - Pourquoi est-il aigri ?

M. Claude Malhuret.  - Les parlementaires raisonnables sont plus nombreux que ceux toujours prêts, même à jeun, à dépenser plus que des marins ivres. Parmi tous les scénarios possibles, celui où la raison l'emporterait n'est donc pas du tout le moins probable. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. François Patriat .  - (Mme Patricia Schillinger et M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.) Ma tâche est difficile, après tant de talent...

Tout le monde sait ce qu'il faudrait faire mais bien peu acceptent les efforts nécessaires. L'Himalaya dont parlait votre prédécesseur reste d'actualité, monsieur le Premier ministre, mais avec votre expérience et votre sens du dialogue, nous savons pouvoir affronter ce moment.

La crise institutionnelle paralyse notre pays depuis de longs mois et alimente un immobilisme mortifère. La gravité de la situation économique préoccupe, et le service de la dette devient le premier poste de dépense. Nos entreprises gèlent leurs investissements, nos partenaires européens s'inquiètent, nos concitoyens perdent confiance dans les institutions.

M. Didier Marie.  - À qui la faute ?

M. François Patriat.  - Vous prenez vos fonctions avec humilité, mais aussi avec fermeté et détermination, car il faudra tenir : la France a besoin de confiance et de stabilité. Elle ne se relèvera pas dans le vacarme, mais dans la lucidité et le courage.

Notre ambition est de donner un budget à la France avant la fin de l'année : un budget qui stoppe l'envolée de la dette et trace un chemin d'avenir ; qui entende le besoin de justice sociale et fiscale sans ignorer les efforts nécessaires à notre crédibilité ; qui permette aux entreprises d'investir et d'embaucher ; qui maintienne le crédit la France à l'étranger. Le RDPI prendra sa part au débat.

Ce budget est notre responsabilité première ; les Français attendent des actes. Le reste - débats idéologiques, positionnements stratégiques, ambitions personnelles - sera tranché lors de la prochaine élection présidentielle. Elle aura lieu en 2027, n'en déplaise à M. Mélenchon et sa horde de révolutionnaires de pacotille et à Mme Le Pen et son armée de poutinistes. Les extrêmes, soudés par la haine, n'ont pour horizon que le chaos. Minéralisés dans leurs postures, ils ne font que désigner des boucs émissaires : les riches pour les uns, l'immigration pour les autres.

Notre horizon ne se borne ni aux six mois qui nous séparent des élections municipales ni aux dix-huit qui précédent la présidentielle. Notre horizon, c'est la France de demain : celle qui se réinvente, se réforme et prépare l'avenir.

La République mérite mieux que la caricature et le chantage permanent à la censure. Pendant des années, une partie de l'opposition a dénoncé l'usage du 49.3 et appelé de ses voeux un Parlement fort. Votre décision de renoncer à cet outil marque un tournant majeur : c'est un acte de confiance inédit envers la représentation nationale, nous devons nous montrer dignes.

La France est debout parce que des responsables, de droite comme de gauche, ont choisi le réel contre les illusions, l'avenir contre le repli et la responsabilité contre la démagogie. C'est la seule voie pour que le pays tienne bon face aux vents contraires.

Dans le désordre parlementaire, le Sénat demeure un pôle de stabilité. Notre expérience et notre ancrage territorial nous donnent un devoir d'agir, avec pour seule boussole l'intérêt général. Agir pour le pouvoir d'achat, pour la justice fiscale, pour une décentralisation plus efficace et moins coûteuse.

Hier, vous avez annoncé la suspension de la réforme des retraites. Nous en prenons acte, l'urgence étant de sortir de la crise politique ; mais nos convictions n'ont pas changé, et nous attendons de la discussion parlementaire des mesures de compensation réalistes.

M. Didier Marie.  - La taxe Zucman !

M. François Patriat.  - Ceux qui ont obtenu gain de cause ne devront pas s'opposer aux mesures nécessaires à l'équilibre budgétaire.

Nous devons bâtir des solutions qui permettent à chacun de garder la tête haute, sans l'humiliation des uns ou le triomphalisme des autres.

Trouver des compromis ne signifie pas se compromettre. Le Sénat, rompu à cet exercice, jouera un rôle éminent.

Il faudra aussi aborder avec exigence les défis des outre-mer. Ils ne doivent pas devenir une variable d'ajustement budgétaire. Les Ultramarins n'ont pas besoin de promesses illusoires mais d'eau, de regain économique, d'une coopération régionale renforcée. Il faut proscrire tout traitement uniforme et répondre aux besoins spécifiques de chaque territoire.

Entre le chaos et l'immobilisme, une troisième voie existe : le compromis républicain et la responsabilité collective. C'est celle que nous défendons pour redonner stabilité à la France et efficacité à l'action publique. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Louis Vogel et Mme Amel Gacquerre applaudissent également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Enfin, nous débattons, monsieur le Premier ministre, après vos valses hésitations ! Nous entendons combien vos amis vous soutiennent... La charge de M. Malhuret a été lourde. Mon cher collègue, si ce gouvernement ne répond pas à vos attentes, soutenez la censure !

Tous les commentateurs expliquent que la gauche « raisonnable » a tourné le dos à la gauche d'opposition claire à Emmanuel Macron et opté pour une forme de soutien sans participation. Finalement, à quoi bon discuter aujourd'hui puisque la censure ne serait pas votée demain ? M. le Premier ministre s'est présenté comme un moine-soldat ; j'utiliserai, moi, une autre métaphore religieuse : celle du péché originel...

Vous avez été battus aux élections législatives anticipées de 2024. Certes, aucune majorité absolue n'en est ressortie. Mais, à quatre reprises, Emmanuel Macron a bafoué le vote des électeurs en nommant un Premier ministre de son camp.

Vous parlez de rupture, de compromis, de coalition, laissant finalement reposer la responsabilité sur les forces de gauche. Or le seul responsable du chaos actuel, c'est le Président de la République.

De vous à moi, vos annonces ne vous permettront pas de durer. Bien sûr, certains, se satisfaisant d'un plat de lentilles, prolongent le jour sans fin de la macronie. Mais quand les lentilles ne sont pas cuites, le plat est indigeste. (M. Olivier Paccaud sourit.)

La Constitution n'a jamais prévu que les gouvernants et les représentants du peuple ne respectent pas le suffrage du peuple. Or vous continuez à vouloir garder le pouvoir contre l'avis des électeurs. Cela ne marche et ne marchera pas.

Alors que nous vivons une crise politique inédite depuis 1958, nous regrettons que vous ne soumettiez pas votre projet au vote de confiance.

Car vos projets budgétaires sont la copie aggravée de ceux de M. Bayrou. Sommes-nous d'accord sur le gel de l'indexation des salaires et des pensions, la diminution de l'APL et des minima sociaux ? Non. La hausse des franchises médicales ? Non. La baisse de 5 milliards d'euros du budget des collectivités ? Non. Un nouvel acte de décentralisation qui ne garantit ni la libre administration ni l'autonomie fiscale des collectivités ? Non.

Pouvons-nous nous satisfaire du renoncement au 49.3 alors que le Gouvernement dispose de dizaines d'autres superpouvoirs ? Pas davantage. Enfumage ! Article 40, vote bloqué, deuxième délibération, ordonnances, l'exécutif gardera la main sur la procédure budgétaire. Vous savez pertinemment que le délai constitutionnel de 70 jours ne suffira pas. Pouvez-vous affirmer que vous n'aurez pas recours aux ordonnances budgétaires ? Ceux qui vous épargnent une censure, vous croyant sincère, ont-ils réfléchi à votre capacité à contraindre le Parlement par ce moyen ? Vous nous annoncez un texte suspendant la réforme des retraites, quelques minutes après avoir annoncé à l'Assemblée nationale un amendement gouvernemental au PLFSS...

La politique dévastatrice menée depuis 2017 et les dénis de démocratie successifs poussent nos concitoyens au dégagisme. Sommes-nous prêts à repenser notre rapport à la politique et aux institutions pour redonner réellement le pouvoir au peuple, seul souverain ? On peut toujours tordre le bras à la démocratie, mais, à trop le lui tordre, c'est elle qui vous broie.

Mesdames, messieurs les ministres, avez-vous réellement cru qu'il n'y avait pas de lignes rouges entre nous, alors que depuis des mois la droite affirme les siennes : réforme des retraites, pas de justice fiscale, pas d'égalité entre les citoyens ? Ces clivages, vous ne les dépasserez pas, car servir les intérêts des nantis est dans l'ADN d'Emmanuel Macron. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du GEST ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

La censure est une exigence pour sanctionner cette politique. Laisser croire que votre gouvernement peut répondre aux aspirations populaires est une tromperie !

Monsieur le Premier ministre, pourquoi ne pas avoir engagé votre responsabilité, comme François Bayrou, si vous êtes si sûr de vous ? Ceux qui voteront la censure demain tiennent compte des aspirations des Français, qui demandent l'abrogation de la réforme des retraites et plus de justice fiscale, et de vos textes budgétaires, truffés de mesures qui broieront les travailleurs.

Ce qui fait démocratie, c'est d'abord le respect du vote populaire. Si la crise de régime guette, c'est que ce pilier fondateur a été bafoué. La censure de cet affront démocratique est inéluctable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Akli Mellouli acquiesce.)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Une nouvelle fois, le Gouvernement va devoir avancer sur un fil d'équilibriste. Vous souhaitez, monsieur le Premier ministre, ouvrir un chemin commun malgré les divergences. Le RDSE, rompu à la recherche du compromis, ne peut que vous encourager. Dans cette crise politique enkystée qui frôle la crise de régime, nous vous souhaitons de franchir les obstacles, mais pas à n'importe quel prix.

Oui, le RDSE veut que notre pays retrouve une stabilité politique. Nous le devons à nos concitoyens, las de voir les ambitions passer avant l'intérêt de la nation. Ils épargnent outre mesure par peur du lendemain - ce qui pourrait nous coûter 0,3 point de PIB. La crédibilité de notre pays en Europe est en jeu : c'est avec inquiétude que Berlin regarde une France devenue ingouvernable.

La dissolution est plus une punition qu'une solution : ceux qui la réclament à gauche risquent de faire le lit de l'extrême droite.

La priorité est un budget qui réponde aux attentes des Français et rassure acteurs économiques et collectivités locales ; qui soit fidèle à notre pacte social et républicain ; qui ne promette pas que du sang et des larmes, car nos concitoyens ont besoin d'espérance. La nécessaire réduction du déficit ne doit pas enfermer toutes nos politiques publiques. Après la récession de 1993 et la crise de 2008, le retour sous la barre des 3 % a pris sept et neuf ans. Ne prenons pas le risque d'une rigueur qui gripperait le peu de croissance qu'il nous reste.

Nos concitoyens demandent équité fiscale et sociale. La taxe Zucman va loin et n'est pas sans écueils, mais qui peut le plus peut le moins. Les débats autour de cette taxe ont eu le mérite de réveiller les consciences.

Vous êtes prêt, monsieur le Premier ministre, à débattre de la fiscalité des grandes fortunes : vous trouverez le RDSE sur ce terrain. Depuis des années, nous posons la question des holdings et de l'optimisation fiscale et celle du niveau de contribution du capital. Christian Bilhac a d'ailleurs fait adopter par le Sénat une hausse du prélèvement forfaitaire unique, annulée en seconde délibération.

Pas de 49.3 à l'Assemblée nationale : mais ici, l'entêtement idéologique conduira-t-il au vote bloqué ou, là encore, à une seconde délibération ?

Nous serons attentifs au sort réservé aux finances locales. Dans le brouillard politique actuel, les collectivités sont un roc et un vecteur de la commande publique. Les élus demandent stabilité et visibilité ; ils veulent une pause dans les réformes institutionnelles, après des changements à marche forcée - lois RCT, Maptam, NOTRe. Je viens de rendre un rapport qui confirme ce besoin de clarté. Nous devons, en revanche, repenser les relations entre l'État et les collectivités pour plus d'accompagnement et de simplification.

Nous vous soutiendrons dans votre volonté d'un État plus efficace, pour flécher la dépense publique sur l'école, la santé, la justice, l'outre-mer, la défense. Je pense aussi à notre modèle social, dont la préservation suppose des marges budgétaires. Sans oublier les attentes de la société : le RDSE souhaite un examen rapide des deux textes sur l'accompagnement de la fin de vie.

Vous avez annoncé la suspension de la réforme des retraites, une rupture très attendue. J'espère que les avancées obtenues pour les femmes et les carrières longues ou hachées, ainsi que la prise en compte de la pénibilité, seront conservées. Cette pause aura un coût : aux partenaires sociaux de trouver les moyens qu'elle ne soit pas financée par la dette publique, ce qui ruinerait la confiance dans notre modèle fondé sur la solidarité.

Monsieur le Premier ministre, comment ne pas souhaiter votre réussite ? Votre double volonté de permettre le débat et de restaurer la stabilité semble sincère. La Ve République a les ressources pour surmonter cette crise, sous réserve de pratiques politiques plus apaisées, expurgées des lignes rouges et tournées vers la recherche du consensus. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mmes Anne-Sophie Patru et Évelyne Perrot et M. Rachid Temal applaudissent également.)

Mme Mireille Jouve.  - Bravo !

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Hier, monsieur le Premier ministre, vous déclariez : « Ceux qui ne changent pas, ceux qui s'agrippent aux vieux réflexes, aux postures, disparaîtront. » Cette lucidité contraste avec votre fidélité de samouraï au macronisme en décomposition...

Que de temps perdu pour faire comprendre au Président de la République que, depuis 2022, il n'a plus la majorité absolue ! Et pour tenter de vous marier avec les Républicains, qui vous juraient fidélité tout en ayant les yeux de Chimène pour l'extrême droite...

Que de temps perdu pour faire adopter une réforme des retraites injuste dont vous avez reconnu qu'elle avait heurté le pays et, à demi-mot, qu'elle avait été précédée d'un débat démocratique indigne de ce nom. Vous annoncez sa suspension totale, une nouvelle conférence sociale et une nouvelle loi : nous saluons cette amende honorable, après huit années de bulldozer macronien. C'est une victoire incontestable du mouvement social, de la gauche et des écologistes. Nous nous réjouissons pour les 3,5 millions de nos concitoyens qui gagneront plusieurs mois d'une retraite bien méritée.

Que de temps perdu, aussi, pour la transition écologique, victime de l'absence de vision, du rabot budgétaire et du socle commun - avec en point d'orgue la scélérate loi Duplomb, dont nous exigeons l'abrogation. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Émilienne Poumirol et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également ; vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Que de temps perdu dans un monde instable, menacé à court terme par la sécession des riches et la nouvelle internationale fasciste, et à moyen terme par la catastrophe climatique et écologique.

Ces quinze mois de crise étaient largement évitables, en acceptant que les législatives avaient acté la prééminence du front républicain contre l'extrême droite, sans les LR dont l'ambiguïté était condamnable - ils en sortiront bientôt, au détriment de la République.

Le socle commun étant dessoudé, la force majoritaire de l'Assemblée nationale, c'est le Nouveau Front populaire. Vous êtes donc le troisième Premier ministre illégitime, et il est logique que nos collègues députés vous censurent.

Vous semblez toutefois avoir compris l'importance de redonner au Parlement sa place centrale. « Le Gouvernement propose, nous débattrons, vous voterez » : ce que vous appelez rupture est en réalité le fonctionnement normal de tout régime parlementaire - on l'a oublié après ces huit années de brutalité jupitérienne.

Vous renoncez, enfin, au 49.3. De fait, il n'y a aucune raison d'avoir peur d'une Assemblée nationale qui ressemble aux Français. Mais cet engagement n'aurait pas de sens si vous ne renonciez pas également à la possibilité de faire passer le budget par ordonnances.

Demain, vous échapperez vraisemblablement à la censure de quelques voix, mais c'est un sursis. Pour durer, vous n'avez d'autre choix que de trouver des compromis avec la gauche et les écologistes.

Votre copie budgétaire est un nouvel exercice de Robin des Bois inversé, qui prend aux pauvres pour donner aux riches. Votre projet de taxation des holdings est une paille et vous ne touchez presque pas aux niches fiscales des plus aisés, recensées par Charles de Courson. Aucun budget ne sera adopté sans la taxe Zucman, que les écologistes ont fait adopter à l'Assemblée en février, ou un dispositif de même ambition. Rien de concret sur le pouvoir d'achat des plus fragiles, alors que la pauvreté explose. Rien pour notre jeunesse précarisée.

Le budget de la sécurité sociale est tout aussi honteux avec, notamment, le doublement des franchises médicales et une augmentation ridicule de l'Ondam. En refusant d'augmenter les recettes pour suspendre la réforme des retraites, vous affaiblirez encore le soutien aux plus précaires et notre hôpital public.

Rien non plus pour la transition écologique, alors que la France ne tient déjà plus ses engagements, dix ans après les accords de Paris. MaPrimeRénov' évite la mort, mais à quel prix ? Cette politique allie pourtant justice sociale, transition et adaptation écologiques, création d'activité et souveraineté. Le fonds vert pour le climat est encore divisé par deux ; avec la baisse de la CVAE, qui ne profitera pas aux PME, les collectivités perdront 2 milliards d'euros. Et vous dites vouloir décentraliser des responsabilités avec des moyens...

Vous souhaitez responsabiliser les collectivités ? Donnez-leur la main avec le fonds climatique territorial que nous proposons ! (Applaudissements sur les travées du GEST) Elles n'ont pas à faire les frais de la doctrine macroniste qui a conduit à laisser filer la dette plutôt que de faire contribuer les plus aisés.

Enfin, doit-on comprendre que vous souhaitez supprimer la clause de compétence générale des communes ?

Nous serons exigeants lors de l'examen du budget, qui est en l'état un motif légitime de censure. Si votre Gouvernement veut passer l'automne, il vous faut entendre l'aspiration du pays à davantage de justice fiscale et écologique. Nous pouvons trouver des compromis en ce sens, y compris ici, avec nos collègues centristes qui ne souhaiteraient pas être aspirés dans la fuite en avant des LR vers l'extrême droite. (M. Olivier Paccaud proteste.)

La survie du Gouvernement ne règle en rien la crise profonde de la Ve République ni la crise démocratique. Le scrutin majoritaire ne dégage plus de majorité et brutalise le débat public : pour assurer une juste répartition des forces politiques et redonner sa place au Parlement, la proportionnelle est un impératif.

M. Vincent Louault.  - Ben voyons !

M. Guillaume Gontard.  - Il faut également en finir avec le coeur de la crise de régime : l'irresponsabilité du Président de la République. Il faut, enfin, associer beaucoup plus directement nos concitoyennes et nos concitoyens aux décisions publiques.

Le Président de la République doit lancer le chantier de la refondation démocratique et constitutionnelle. C'est essentiel pour éviter que cette crise ne débouche sur l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir. (Applaudissements sur les travées du GEST, sur des travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)

M. Christopher Szczurek .  - Nos compatriotes ont honte du spectacle d'un système politique discrédité, bouffi de ses échecs, pour lequel l'obsession de stabilité est le cache-sexe de ses incapacités ; honte d'un système au bord de l'abîme, d'intérêts prébendiers, de caciques prêts à tout pour conserver leur carte de visite.

Monsieur le Premier ministre, vous voilà la dernière victime du vice présidentiel, sacrifié pour cette mission kamikaze de maintenir en vie un pouvoir sans majorité, sans soutien populaire, sans avenir. Quel malheur qu'un homme qu'on dit digne et loyal soit au service aveugle d'une cause désastreuse ! Premier des macronistes, vous fermerez sans doute la porte quand la supercherie du macronisme sera enfin derrière nous.

Au prix d'une hypothétique suspension de l'injuste réforme des retraites, vous proposez non un budget de rupture, mais la continuité de l'agonie budgétaire, fiscale et sociale. Suspension illusoire, gagée sur le dos des salariés, des entrepreneurs, des retraités, des étudiants, de nos collectivités et même de nos agriculteurs.

Le programme présidentiel de Marine Le Pen, ce sont 100 milliards d'euros d'économies à notre portée, à condition de toucher aux totems de l'immigration et de notre contribution au budget de l'Union européenne, à notre bureaucratie stalinienne.

M. Rachid Temal.  - Eh bien...

M. Christopher Szczurek.  - Avec cela, vous financerez l'abrogation de la réforme des retraites et bien d'autres politiques pour nos compatriotes.

Vous pouvez tenir en suspens ce qu'il reste des partis traditionnels par la peur du retour aux urnes, vous pouvez les baratiner, mais pas nous. Vous pouvez vous draper dans le respect du Parlement, tout cela finira dans la moulinette des ordonnances. La seule voie du redressement, c'est le retour au peuple pour une alternance réelle.

Encore un an et demi, monsieur le bourreau, avant que la tempête électorale ne balaye le macronisme et n'amène le marinisme ! (Mme Émilienne Poumirol proteste.) C'est bien long pour nos compatriotes. Il est encore possible de changer de voie. Et même si vous n'êtes pas censuré à l'Assemblée, vous aurez Marine à l'Élysée !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre .  - Merci pour vos prises de parole. Sur la feuille de route territoriale et les politiques publiques, je n'ai pas entendu de lignes rouges.

M. Jean-François Husson.  - Elle est écarlate !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Et pour cause : nous nous sommes inspirés des propositions du Sénat, des associations d'élus, des partenaires sociaux. Si l'action du Gouvernement se poursuit, il se rapprochera des parlementaires pour avancer sur ces sujets.

Madame Cukierman, on ne peut faire comme si le débat n'aura pas lieu - sauf censure demain. C'est la discussion budgétaire qui traduit des politiques en actes, pas l'interruption des débats.

Monsieur Patriat, la ministre des outre-mer a déjà reçu des parlementaires ultramarins sur les outils Lodéom. La copie initiale prévoit des mesures d'économies sans doute trop importantes ; des amendements sont en train d'être rédigés avec les élus pour les rendre soutenables, comme nous l'avons toujours fait.

Certains me demandaient de faire ma déclaration de politique générale dans un document entre partis politiques ; d'autres, d'y détailler le PLF et le PLFSS. Cette resynchronisation démocratique est le corollaire de ce que François Bayrou a fait, avec courage, en demandant un vote de confiance sur la base de deux conférences de presse sur les finances publiques. Les oppositions ont réclamé des textes à examiner. J'ai essayé d'y répondre depuis un mois, y compris avec les partenaires sociaux - merci au président Malhuret de l'avoir dit.

J'ai été nommé le soir où Fitch dégradait la note de la France. Le lendemain, c'était le mouvement « Bloquons tout », visant à organiser le désordre et à s'en prendre aux forces de l'ordre. (Mme Laurence Rossignol proteste ; M. Yannick Jadot secoue la tête.) L'intersyndicale - légitime, elle - organisait manifestations et grèves. Voilà ce qui s'est passé depuis début septembre.

Monsieur Marseille, je n'ai pas été nommé Premier ministre il y a un an, ni en janvier. Être le troisième Premier ministre à gérer cette crise me conduit à prendre des risques, y compris en décalage avec mes propres convictions. Je le dis avec humilité, la stabilité du pays impose de ne pas faire comme avant. Ai-je tout fait bien ? Non. Si j'ai heurté, y compris les miens, je m'en excuse. Mais nous sommes dans un moment de responsabilité - il ne s'agit pas de faire la morale aux parlementaires, mais il est temps que les débats démarrent.

Je ne demande à personne de renier ses convictions. Nombre d'entre vous étaient pour une réforme des retraites, d'autres contre. Soyons précis : il n'y a pas d'abandon de cette réforme. (M. Max Brisson ironise.) Il faut rentrer dans la technicité du débat. C'est pour cela qu'il y aura un amendement du Gouvernement au PLFSS.

M. Yannick Jadot.  - Un amendement ou un texte ?

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Un amendement est un texte ! (Protestations sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Max Brisson.  - On prend date !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Si vous souhaitez un effet au 1er janvier 2026, cela doit être dans le PLFSS. Soyez de bonne foi ! (Exclamations amusées à droite) Sinon, vous pouvez avoir un texte ad hoc - mais arrêtez de reporter cela sur le Gouvernement. (M. François Patriat applaudit ; exclamations à gauche) Cette affaire doit être traitée avec précision. Je n'opposerai pas pouvoir d'achat et retraites. Le dialogue social est grippé depuis la fin du conclave, vous le savez, monsieur le président Marseille.

M. Jean-François Husson.  - C'était bien avant !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Vous connaissez bien les partenaires sociaux, les syndicats dits réformateurs - tout comme le président du Sénat. Fallait-il continuer ce blocage ? Le débat est ouvert et la responsabilité, partagée. La Haute Assemblée croit au paritarisme ; il s'agit de le faire redémarrer. Nul ne trahira ses convictions, chacun votera. C'est l'engagement que j'ai pris, merci au président Kanner de l'avoir rappelé.

Mais, encore une fois, je n'ai pas été nommé il y a un an. Je suis tenu de trouver des solutions de déblocage. On ne m'en a guère proposé pendant ce mois de septembre... Les partis ne voulaient parler qu'au Gouvernement, pas se parler entre eux. Or il faut que tout le monde se parle, comme on le fait dans nos conseils municipaux, dans nos intercommunalités. Sans se trahir, sans se renier.

Ce temps de la clarté nous conduira à rentrer techniquement dans certains dossiers. Monsieur Gontard, vous ne pouvez pas dire que la baisse de la CVAE ne profite pas aux PME !

M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.  - À 300 000 entreprises !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Ni qu'elle n'est pas compensée pour les collectivités. (M. Guillaume Gontard proteste énergiquement.)

M. Jean-François Husson.  - La TVA, c'est l'État !

Mme Annie Le Houerou.  - Cela coûte aux collectivités !

M. Roland Lescure, ministre.  - C'est déjà compensé.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Ayons le débat.

Contrairement à la copie précédente, celle du Gouvernement propose des diminutions d'impôts. (M. Jean-François Husson s'exclame.) Monsieur le rapporteur général, vous avez du pouvoir !

M. Jean-François Husson.  - On verra !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Je suis à votre disposition, avec les ministres, pour travailler en commun. Il faut que le débat démarre.

Illégitimité ? Attention aux mots employés. On peut ne pas être d'accord avec la Ve République, mais le Gouvernement tient sa légitimité de sa nomination par le Président de la République et de sa responsabilité devant le Parlement : si l'Assemblée nationale le décide, nous serons renversés. Le qualifier d'illégitime, c'est nourrir ceux qui mettent en cause la démocratie représentative.

« Qui sont ces sénateurs, ces députés, ces maires qui décident en notre nom ? », demandaient les gilets jaunes. Vous avez toute légitimité à représenter ici ceux qui vous ont élus, comme ceux qui n'ont pas voté pour vous. La défense de la démocratie représentative, voilà qui peut nous réunir. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

La séance, suspendue à 17 h 15, reprend à 17 h 30.

Rappel au règlement

M. Patrick Kanner.  - Mon rappel au règlement s'appuie sur les articles 92 et suivants.

Je m'étonne des propos particulièrement grossiers prononcés par le président Malhuret, qui a qualifié un collègue député, patron des socialistes, M. Olivier Faure, de « lombric ». Cette expression sera retranscrite au Journal officiel.

Le président Malhuret prend volontiers des accents de prophète, de visionnaire, dans des discours qui fleurent bon les années 1980 : les « chars vénézuéliens sur les Champs-Élysées », voilà sa marque de fabrique. En feignant de prendre de la hauteur, il abaisse notre Haute Assemblée dans des caricatures.

Nos débats méritent mieux que ses interventions, séance après séance. Je souhaite que notre assemblée en prenne acte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Acte en est donné.

Renouvellement du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en oeuvre de l'accord du 12 juillet 2025, présentée par MM. Mathieu Darnaud, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Mme Maryse Carrère.

Madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue dans notre hémicycle et succès dans vos nouvelles fonctions, car nos outremers sont confrontés à de graves urgences. Je salue l'engagement de Manuel Valls sur le dossier calédonien, auquel je suis particulièrement attentif. En renouant le dialogue entre l'État et les forces politiques calédoniennes, il a contribué à la conclusion de l'accord de Bougival, suscitant ainsi espoir et confiance en l'avenir pour tous les Calédoniens.

Discussion générale

M. Mathieu Darnaud, auteur de la proposition de loi organique .  - Cette proposition de loi organique transpartisane vise à apaiser la situation politique, économique et sociale en Nouvelle-Calédonie. Un an après les émeutes de 2024, quatre ans après le référendum en 2021, beaucoup reste à faire. Il faut reconstruire ce qui a été détruit, mais aussi et surtout construire la Nouvelle-Calédonie de demain, dans le respect de l'État de droit et de la volonté exprimée démocratiquement par les Calédoniens.

Les discussions se poursuivent sur le Caillou. Madame la ministre, vous y avez déjà consacré de nombreuses journées et nuits.

L'accord conclu à Bougival le 12 juillet dernier ouvre la voie à une organisation institutionnelle pérenne, ratifiée par les populations intéressées. Nous nous en félicitons. Il prévoit la création de l'État de Nouvelle-Calédonie et fixe une nouvelle répartition des compétences entre ce dernier et l'État central. Il prévoit une nationalité calédonienne, l'évolution du corps électoral spécial et les orientations d'une refondation sociale et économique.

Les parties se sont accordées sur le vote d'une loi constitutionnelle à l'automne, suivie par un vote des Calédoniens sur l'accord en février 2026. Enfin, les prochaines élections provinciales devraient être organisées sur la base d'un corps électoral défini dans l'accord.

Tout n'est pas réglé, des désaccords sont apparus dans les semaines qui ont suivi l'accord. Cependant, après des années de division, nous voulons encourager une approche constructive. L'accord de Bougival est un « pari de la confiance », après ceux de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa en 1998. Mais nous avons besoin de temps pour rassembler, expliquer, pour élaborer les textes, pour préparer les futurs scrutins. Or une autre échéance électorale approche et pourrait compliquer ce processus.

D'où cette proposition de loi organique, qui repousse de sept mois les élections provinciales, le temps de décanter les progrès réalisés cet été et tenir le calendrier fixé à Bougival.

Le renouvellement des assemblées provinciales et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie devait initialement se tenir le 12 mai 2024. Le dépôt d'un projet de loi constitutionnelle susceptible d'impacter ces élections avait conduit à un premier report ; le Conseil d'État, dans un avis du 16 novembre 2023, l'estimait possible en cas de motif d'intérêt général suffisant. La loi organique du 15 avril 2024 a donc repoussé la date de renouvellement du Congrès au 15 décembre 2024.

Les émeutes qui ont marqué l'année 2024 rendaient illusoire un déroulement serein des élections. Nos collègues du groupe SER ont donc fait adopter, en novembre dernier, une proposition de loi organique reportant le scrutin au 30 novembre 2025. Nous y sommes presque, et tant reste à faire. Les priorités sur place ne sont pas aux campagnes électorales. Quand bien même, il serait illusoire d'espérer organiser le scrutin en un mois et demi.

C'est pourquoi nous proposons un nouveau et dernier report, au plus tard au 28 juin 2026, ce qui revient à allonger les mandats en cours de près de deux ans par rapport à leur durée initiale. Nous en avons vérifié la faisabilité, au regard du respect de l'exigence constitutionnelle de périodicité raisonnable de l'exercice du suffrage. Avec Mme Narassiguin, nous avons souligné devant le Conseil d'État la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.

Une telle prorogation n'est pas inédite : le mandat des députés fut prorogé de deux ans en 1939 ; ceux de membres de l'Assemblée des Français de l'étranger, d'un an en 2013. Les motifs doivent être impérieux, non partisans, et faire l'objet d'un diagnostic partagé, rappelait Jean-Louis Debré. Dans une décision du 11 avril 2024, le Conseil constitutionnel a jugé que la prolongation des mandats en cours ne peut être qu'exceptionnelle et transitoire et fondée sur un motif d'intérêt général incontestable. C'est le cas ici.

Ce report ne rallonge les mandats que pour une durée clairement limitée. La situation calédonienne présente des particularités qui caractérisent un impérieux motif d'intérêt général. C'est la Constitution elle-même qui nous révèle l'intérêt général en cause ici, lequel prend corps dans le processus ayant mené à l'accord de Bougival. Le Conseil d'État avait anticipé cette éventualité dans son avis de 2023.

Le Gouvernement a déposé début septembre un projet de loi constitutionnelle mettant en oeuvre l'accord. En parallèle, les acteurs locaux poursuivent leurs échanges. Ne grippons pas cette dynamique.

Dans son avis du 4 septembre 2025 sur notre texte, le Conseil d'État a estimé que ce nouveau report n'était pas manifestement inapproprié au regard de l'objectif poursuivi.

Nous reportons le scrutin pour mieux lui permettre de se tenir dans un cadre institutionnel réformé.

Le Gouvernement ayant déclenché cet été la procédure accélérée, le texte devrait aboutir rapidement. Les Calédoniens l'attendent. Ils ne comprendraient pas un raté dans l'application de l'accord de Bougival.

Les accords de Matignon de 1988 ont manifesté « la volonté des Calédoniens de tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité ». Vingt-sept ans après, ces mots résonnent toujours. Le processus se poursuit et c'est l'honneur du Sénat et de son président d'avoir été une force de dialogue et de proposition.

J'ai gardé de mes déplacements en Nouvelle-Calédonie un attachement des plus vifs à son égard. Ce texte sera, je l'espère, une brique de plus dans la construction de son destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Laure Darcos applaudit également.)

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le mandat des membres des assemblées de province et du Congrès élus le 12 mai 2019 a déjà été prorogé à deux reprises. Les élections initialement prévues pour le 12 mai 2024 ont été reportées d'abord au 15 décembre 2024, puis au 30 novembre 2025. Cette proposition de loi organique, transpartisane, reporte le scrutin une troisième fois, au 28 juin 2026 au plus tard.

Les reports se suivent mais ne se ressemblent pas. En janvier 2024, le Gouvernement avait déposé un projet de loi constitutionnelle revenant sur le gel du corps électoral spécial et fait adopter un projet de loi organique reportant les élections au 15 décembre 2024.

L'adoption du projet de loi constitutionnelle a provoqué de violentes émeutes en Nouvelle-Calédonie à compter du 13 mai, entraînant la déclaration de l'état d'urgence le 15 mai 2024.

À l'initiative du président Kanner, la loi organique du 15 novembre 2024 a reporté les élections provinciales de onze mois supplémentaires, au 30 novembre 2025, afin de laisser du temps pour dénouer la crise.

Le 12 juillet 2025, un projet d'accord a été signé à Bougival par l'ensemble des partenaires politiques - même si le consensus s'est ébréché par la suite, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) adoptant dès le 9 août une motion rejetant l'accord.

Ce projet d'accord prévoit la création d'un État de Nouvelle-Calédonie inscrit dans la Constitution, l'instauration d'une nationalité calédonienne, la modification de la composition du corps électoral spécial ainsi qu'un calendrier indicatif, avec un report des élections provinciales à juin 2026 - ce qu'acte le présent texte.

L'accord de Bougival est historique en ce qu'il redonne confiance et espoir aux Calédoniens. Après l'impasse provoquée par le référendum du 12 décembre 2021, il offre enfin la perspective d'un avenir commun. C'est une base solide, à préciser en poursuivant les échanges avec l'ensemble des parties prenantes, surtout celles ayant pris leurs distances vis-à-vis du texte signé le 12 juillet. Sans consensus large, la porte ouverte à Bougival se refermera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Olivier Bitz applaudit également.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'article 1er reporte au 28 juin 2026 au plus tard le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province. Les élections seraient ainsi repoussées de 25 mois au plus par rapport à la date initialement prévue. C'est une décision lourde de conséquences démocratiques, a fortiori quand c'est la troisième fois. Mais la recherche d'une issue pour assurer la paix civile en Nouvelle-Calédonie nous paraît être un motif d'intérêt général.

L'accord historique signé à Bougival le 12 juillet dernier prévoit une nouvelle composition des assemblées de province et du Congrès, ainsi qu'un élargissement du corps électoral spécial - ce qui nécessite une révision constitutionnelle. Un projet de loi constitutionnelle a été adopté hier en conseil des ministres, mais son examen reste encore incertain. Les négociations doivent se poursuivre avec toutes les parties prenantes afin d'aboutir au consensus le plus large possible.

Le report des élections donnera davantage de temps pour compléter et préciser l'accord : c'est pourquoi la commission des lois a adopté l'article 1er sans modification.

L'article 2 proroge les fonctions des membres des organes du Congrès - bureau et commissions - dont le renouvellement intervient en principe chaque année, en août. Nous proposons un report après le renouvellement de juin 2026. Un double renouvellement successif, à quelques mois d'écart, contreviendrait à l'objectif de stabilité des institutions. Nous avons donc adopté l'article 2 sans modification.

L'article 3 prévoit l'entrée en vigueur du texte dès le lendemain de sa publication au Journal officiel, dérogeant en cela à la loi organique du 19 mars 1999. Le calendrier électoral est extrêmement contraint : pour un scrutin prévu le 30 novembre prochain, il faut convoquer les électeurs au plus tard le 2 novembre. Il est donc indispensable que le présent texte entre en vigueur avant cette date. C'est un article de bon sens, que la commission a adopté sans modification.

La priorité est aujourd'hui à la poursuite des discussions avec l'ensemble des partenaires pour faire aboutir l'accord de Bougival. L'amendement de Patrick Kanner sur l'intitulé du texte l'illustre bien.

La commission des lois vous propose d'adopter cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Patrick Kanner applaudit également.)

Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer .  - C'est la première fois que je prends la parole devant le Parlement en tant que ministre des outre-mer.

M. Rachid Temal.  - Bravo ! Vive le Val d'Oise !

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Je le fais avec émotion et humilité. Je salue l'engagement de Manuel Valls au service des outre-mer ; je m'étais rendue à ses côtés en Nouvelle-Calédonie en 2018.

Si je n'en suis pas issue, je connais ces terres pour les avoir écoutées, étudiées et défendues au sein de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Je sais ce qu'elles représentent : une part de la France qui doute parfois d'être entendue et comprise, mais qui ne renonce jamais à croire à la République. On ne devient pas ministre des outre-mer par hasard.

À celles et ceux qui veulent réconcilier et avancer, je veux dire que je suis à la tâche. Je ne promets pas tout, mais je promets d'être là, d'écouter et d'agir ; ce sera ma méthode.

Je salue le rôle du Sénat dans ce moment politique. Votre assemblée a la force de bâtir dans la durée. Vous avez su unir au lieu d'opposer. Six présidents de groupe sur huit ont signé ce texte : c'est un geste fort.

Je remercie les rapporteurs Agnès Canayer et Corinne Narassiguin pour leur travail précis et exigeant. Le Sénat montre ce que peut être une assemblée utile, une chambre du dialogue, de la stabilité et du respect du temps long. Ce travail honore le Parlement tout entier.

Cette proposition de loi n'est pas un texte technique mais un acte de responsabilité. Elle accompagne la mise en oeuvre de l'accord de Bougival. Après les drames de mai 2024, après des années d'impasse et de méfiance, il fallait rouvrir le chemin de la confiance. Cet accord ne règle pas tout mais dessine un avenir commun. L'objectif est clair : donner le temps à la stabilité, le temps d'appliquer l'accord, de voter la loi constitutionnelle, d'organiser la consultation et de préparer les élections provinciales dans un climat apaisé.

Reporter, ce n'est pas différer la démocratie mais lui redonner des fondations solides.

En Nouvelle-Calédonie, le temps politique ne peut pas être séparé du temps humain.

Pourquoi un nouveau report ? Parce qu'il faut du temps pour que le dialogue se renoue avec tous, y compris avec le FLNKS ; du temps pour traduire concrètement l'accord de Bougival ; du temps pour que la parole de l'État redevienne crédible, que la confiance se réinstalle et que les Calédoniens se réapproprient leur avenir.

Le Congrès a donné son accord à ce report à une large majorité, et le Conseil d'État a validé sa conformité - preuve qu'il s'agit bien d'un choix d'intérêt général.

Le dialogue n'est pas rompu, même s'il connaît des pauses. Personne ne veut revivre les fractures du passé. Nous irons pas à pas vers la mise en oeuvre complète de l'accord de Bougival, sans confondre vitesse et précipitation.

La date du 28 juin 2026 n'est pas une ligne d'arrivée, mais un cadre pour avancer ensemble dans la confiance. Le but : offrir à la Nouvelle-Calédonie un avenir clair et partagé, où chaque Calédonien ait toute sa place, sans avoir à choisir entre identité et appartenance.

La stabilité institutionnelle ne suffira pas. Il n'y aura pas de paix durable sans sursaut économique et social. Le territoire a besoin d'un choc de confiance. Les Calédoniens attendent des perspectives, du travail, de la dignité, des projets concrets. Je porterai cette exigence, dans la concertation. Ce ministère sera celui des preuves de résultats.

Nous devons exprimer une volonté partagée. La paix ne se décrète pas ; elle se construit, avec tous. En adoptant cette proposition de loi, vous offrirez un temps de respiration à un territoire éprouvé et affirmerez la fidélité de la République à ses promesses.

La séance est suspendue à 18 h 05.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°2 de M. Robert Wienie Xowie et du groupe CRCE-K.

M. Robert Wienie Xowie .  - « Je vous demande d'apporter à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie la garantie de la France pour un avenir pacifique, une économie plus forte et une société plus juste. » J'emprunte à François Mitterrand ces mots aussi vrais aujourd'hui qu'en 1988.

Aujourd'hui, c'est à vous qu'il revient d'apporter la garantie de la France pour un avenir pacifique en Kanaky. Ce n'est pourtant pas le chemin que le Gouvernement actuel et le précédent avaient décidé de prendre. Il y a un sentiment de déjà-vu. Deux ans à peine se sont écoulés depuis que l'on a eu à voter un report des élections provinciales. Avons-nous oublié les conséquences de notre choix pour le peuple de la Kanaky ? N'avons-nous pas tiré de leçon de nos erreurs ? Vous avez vu le chaos. Au-delà du débat institutionnel, il y a un peuple. Le sort de la Kanaky demeure suspendu à des décisions nationales incertaines, conditionnées à un accord.

Pendant ce temps, la réalité socio-économique du pays se dégrade de jour en jour. Les entreprises peinent à redémarrer, les familles ne peuvent plus vivre dignement, nourrir leurs enfants, le secteur du nickel reste fragilisé, et les territoires touchés par les événements de 2024 attendent toujours la reconstruction. Dans ce contexte, il est impératif de décorréler le politique du socio-économique.

Nous, parlementaires, sommes détachés de ceux qui nous ont élus, de leur quotidien, de leurs difficultés et de leurs souffrances. Notre démocratie est ainsi faite que nous subissons l'instabilité d'un exécutif incapable de compromis. Il existe des urgences en France, mais le report des élections provinciales n'en fait pas partie. Aucun agenda national ne commande de report. Il est dangereux que la Kanaky devienne l'otage de calculs politiques ou de décisions hâtives dictées par le calendrier parisien. Invoquer un calendrier de réforme incertain ne saurait justifier un tel report. Invoquer l'urgence nationale pour contourner le dialogue politique est une erreur. C'est la mauvaise méthode exécutée au mauvais moment par les mauvaises personnes.

Reporter les élections, c'est maintenir l'incertitude et la tension sur le terrain. La majorité sénatoriale a toujours eu une grande méfiance du flou institutionnel. Cet énième report renforcerait un vide qui n'a que trop duré.

Nous soutenons le maintien du scrutin, non pas pour plaire à telle partie, mais pour défendre l'État de droit, ni plus ni moins. Il ne s'agit pas d'un vote pro indépendance, mais en faveur de la démocratie. Maintenons le scrutin provincial, engagement républicain.

En 1999, sous Lionel Jospin, une proposition de loi organique autour du report des élections avait été refusée par le Sénat. L'histoire vous aura donné raison, puisque cela a abouti à la paix sociale au travers de l'accord de Nouméa et au respect de la parole de la République.

En 2004, lors du premier cycle institutionnel en Kanaky, le transfert de compétences n'était pas totalement effectif. Un report des élections avait été demandé par les loyalistes. Cela leur avait été refusé. « Le renouvellement des assemblées provinciales dans les délais prévus constitue une garantie démocratique essentielle du processus de Nouméa », avait estimé le rapporteur du Sénat, Christian Cointat. René Garrec, président de la commission des lois, estimait qu'« aucune circonstance technique ne saurait justifier de différer l'expression du suffrage universel. C'est dans la régularité du calendrier que la République démontre son autorité. »

L'histoire au Sénat met en lumière les mauvaises personnes qui persistent à vouloir un report pour mettre en oeuvre « l'accord du 12 juillet 2025 ». Mais l'accord de qui, avec qui ? Ledit accord de Bougival n'a pas suscité de consensus. Le Journal officiel présente un projet non signé comme un accord, sans liste de signataires ni réserves. Les personnes présentes ne pourront nier qu'il était convenu de présenter le projet à leurs bases. Or le FLNKS et le Sénat coutumier l'ont fermement rejeté : il contredit les acquis du peuple kanak, à savoir la trajectoire vers la pleine souveraineté, aboutit à sa minorisation politique, et opère une intégration définitive de la Kanaky à la République. Par une manipulation politique, il vise à désinscrire la Kanaky de la liste des pays à décoloniser de l'ONU.

Comme l'a rappelé le président du FLNKS dans sa lettre aux parlementaires, il faut continuer à débattre d'une souveraineté partagée avec la France, et non dans la France.

Si l'on s'inscrit dans un accord de décolonisation, peut-on parler de consensus lorsque ceux qui représentent le peuple colonisé refusent d'en être parties ? Ceux qui se rêvent en Michel Rocard le qualifient de « compromis historique ». En faisant cela, ils déshonorent l'esprit de ceux qui nous ont précédés et qui ont tracé le chemin du consensus. Voter ce texte serait un passage en force, une négation du droit du peuple kanak à disposer de lui-même, et contraire à l'esprit de consensus de 1988 et 1998.

Dans ces conditions, la seule solution est de redonner la voix au peuple. En votant cette proposition de loi, nous bloquons tout dialogue sur le territoire. Pour que des discussions soient légitimes, il faut des élus légitimes, et donc des élections. Sébastien Lecornu le disait, le 14 décembre 2021 à l'Assemblée nationale : « En démocratie, les élections se tiennent à l'heure ! »

Sans renouvellement par les urnes, aucune négociation sur l'avenir ne sera légitime. Le maintien des élections est la condition du maintien de la confiance. Le report n'est pas un simple ajustement technique mais un acte politique majeur, qui engage la légitimité démocratique du territoire.

L'argument du risque de contentieux si l'on maintient le gel du corps électoral ne tient plus. Dans sa décision du 19 septembre 2025, le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité du gel du corps électoral provincial en Kanaky. Il n'existe ni motif d'urgence, ni risque avéré qui justifierait de suspendre l'expression du suffrage universel. Le cadre électoral est légitime et constitutionnel.

Notre responsabilité est engagée. Depuis les accords de Matignon-Oudinot, des hommes et des femmes politiques ont choisi le courage et le respect. Je vous demande d'adopter cette question préalable. Le temps où nous aurons à décider viendra. Martin Luther King disait que « chacun a la responsabilité de désobéir aux lois injustes. » Mais nous pouvons aussi nous opposer à l'adoption de ces lois injustes. Vous savez désormais ce qui est juste pour la Kanaky ! Votez en votre âme et conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST ; Mmes Gisèle Jourda et Paulette Matray applaudissent également.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - La commission des lois a émis un avis défavorable. Sinon, nous ne discuterions pas de ce texte et, par conséquent, les élections devraient avoir lieu avant le 30 juin. Nous sommes d'accord pour dire que ce texte n'est pas simplement technique ; c'est bien un texte d'engagement politique qui a des incidences démocratiques. Reporter les élections n'est pas neutre. Cet acte a de vraies conséquences sur la légitimité des élus de Nouvelle-Calédonie.

L'accord de Bougival est le premier depuis plus de vingt-sept ans. Il faut lui donner une chance. Or il prévoit le calendrier des élections dans les mois à venir, et surtout, l'élaboration d'un nouveau statut institutionnel très attendu par les habitants. Maintenir les élections provinciales en l'état, ce serait mettre à bas l'accord de Bougival et reporter la possibilité d'un consensus dans un avenir incertain. Il faut maintenir les négociations pour trouver la concorde civile en Nouvelle-Calédonie.

Le projet de loi constitutionnelle déposé hier en Conseil des ministres montre l'engagement du Gouvernement pour trouver une solution.

Ce soir, nous devons voter cette proposition de loi organique pour ne pas fragiliser le débat institutionnel mais donner une chance à l'accord de Bougival.

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - L'accord de Bougival n'efface en rien la reconnaissance du peuple kanak. Les dispositions de l'accord de Nouméa sont encore en vigueur, c'est écrit dans le texte. Il y a donc bien un garde-fou.

Ce qui a créé le désordre, c'est non pas le report, mais le projet de loi constitutionnelle (M. Akli Mellouli proteste), car les indépendantistes étaient contre le texte ; ce n'est plus le cas aujourd'hui.

M. Akli Mellouli.  - Il n'y a pas d'accord !

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Le groupe Fer de lance mélanésien a exprimé une position favorable au texte. Le texte est soutenu par six groupes sur huit ; le Congrès a donné son accord ; le Conseil d'État a donné son feu vert juridique.

M. Akli Mellouli.  - Cela se fait beaucoup en ce moment !

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Oui, l'état socio-économique est dégradé, voilà pourquoi il faut reporter les élections ! La mission interministérielle de Claire Durrieu permettra d'avancer. Donnons les moyens économiques et sociaux à la Nouvelle-Calédonie. Rejetez cette motion, faute de quoi nous enverrons un signal délétère aux Calédoniens. (M. Akli Mellouli proteste.)

M. Fabien Gay.  - Votre Gouvernement s'accommode du manque criant de légitimité démocratique, contrairement à ce que souhaite le peuple kanak pour ses institutions. Avec ce troisième report, vous les affaiblissez encore une fois. Sans renouvellement par les urnes, aucune négociation sur l'avenir du pays ne peut être pleinement légitime. D'une part, le FLNKS et le Sénat coutumier rejettent l'accord ; d'autre part, le Congrès n'a pas été consulté, alors que cette mesure affecterait directement son fonctionnement interne et la durée des mandats de ses organes. Cette proposition de loi organique contrevient à l'exigence de loyauté du dialogue institutionnel. Le report délégitimise les institutions et fragilise la paix civile. Vous renforcez le sentiment de dépossession du peuple kanak, et en particulier de sa jeunesse.

Nous vous proposons une porte de sortie : en maintenant le scrutin fin 2025, vous redonnerez voix et mandat à des élus légitimes. Dans l'esprit des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, vous restaurerez, comme le souhaite le peuple kanak, le dialogue et la paix civile. Choisissons l'apaisement et le dialogue, pas le passage en force. (M. Robert Wienie Xowie applaudit.)

M. Guillaume Gontard.  - Reporter les élections n'est pas neutre. En 2021, vous êtes passés en force pour organiser le troisième référendum en pleine pandémie. Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, a ravivé des tensions très vives au sein de la société kanak. Les accords de Matignon et Nouméa avaient pourtant ouvert un chemin pacifique vers la nécessaire décolonisation du territoire. Depuis, l'huile a été jetée sur le feu : le report et la réforme en urgence du corps électoral l'an dernier a mis la Kanaky à feu et à sang, entraînant la mort de quatorze personnes.

Les discussions entre loyalistes, indépendantistes et autres blocs ont repris, et c'est une bonne chose. Mais parler d'accord à Bougival est exagéré. Ce soi-disant accord que vous souhaitez inscrire dans la Constitution est un accord de principe pour poursuivre les discussions, pas un texte définitif, raison pour laquelle le FLNKS refuse de le signer. Comment négocier un accord avec des indépendantistes dont une bonne partie était emprisonnée ? Cet accord n'a aucune légitimité, les négociations doivent se rouvrir. Les élections provinciales n'ont que trop tardé ; ce sera bénéfique pour la bonne conduite des négociations, avec des mandats clairs pour chaque camp.

Il y a urgence à la pacification, mais par la reprise du dialogue et non par un passage en force. Nous voterons la question préalable. Puisse le peuple kanak retrouver la maîtrise de son avenir. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Cécile Cukierman et M. Fabien Gay applaudissent également.)

La motion 2 est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin public n°1 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption   34
Contre 309

La motion n°2 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. Georges Naturel .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Chers collègues, je vous remercie d'être présents ce soir, compte tenu de la situation politique parisienne, pour examiner le dossier calédonien. Je remercie également les présidents de groupe qui ont déposé cette proposition de loi organique durant l'été.

Il n'est jamais indifférent dans une démocratie de reporter une élection démocratique, surtout pour la troisième fois. Il faut en examiner les raisons. Les élections provinciales auraient dû se tenir en mai 2024, avant d'être repoussées en septembre 2024 ; face au traumatisme dû aux émeutes de mai 2024 et à la crise économique et sociale qui a suivi, elles ont été reportées au 30 novembre 2025 - à chaque fois pour intégrer la réforme du corps électoral. Elles devront se tenir avant juin 2026, et pas après, je ne l'accepterai pas ! C'est dommageable.

Des personnes élues pour cinq ans exerceront donc un mandat pendant plus de sept ans. C'est un problème pour leur légitimité démocratique et l'acceptabilité de leurs décisions. Il aurait pu être souhaitable d'aller sans délai devant les électeurs.

Autre risque, l'enchevêtrement des échéances électorales : consultation référendaire en février, élections municipales en mars, puis élections provinciales en mai ou en juin. Ce calendrier saturé menace la lisibilité des échéances et la sérénité des débats.

Cette proposition de loi organique n'a été déposée ni par confort ni par nécessité, mais pour respecter le calendrier fixé par l'accord de Bougival, afin de retrouver un consensus local. Nous l'avions trouvé en juin, mais depuis il a été rompu par une des parties.

Mettre en oeuvre cette organisation institutionnelle nécessite du temps si l'on veut qu'elle soit acceptée par tous, pour sortir la Nouvelle-Calédonie de la tragédie du 13 mai, de ses morts, de ses ruines, de son économie brisée, s'engager dans la reconstruction, et consolider le dialogue calédonien. La Nouvelle-Calédonie, meurtrie et convalescente, nécessitera une attention particulière du Gouvernement et du Parlement.

Hier matin, un projet de loi constitutionnelle visant à transcrire dans la loi l'accord de Bougival a été présenté en Conseil des ministres. Dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), nous aurons prochainement à examiner le soutien financier de l'État pour que la Nouvelle-Calédonie se relève de ses blessures de mai 2024.

L'accord de Bougival a redonné un souffle et une espérance à la Nouvelle-Calédonie.

Le Conseil d'État a jugé que le report des élections poursuit un but d'intérêt général et ne paraît pas inapproprié. La légitimité démocratique est amoindrie mais la légalité est acceptable, validée en droit.

Consulté pour avis le 15 septembre dernier, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a admis cette nécessité, en émettant un avis favorable à la quasi-unanimité, moins la voix du groupe UC-FLNKS.

L'histoire nous enseigne que les accords qui durent sont ceux qui reposent sur un consensus large entre indépendantistes et non-indépendantistes, adoubés ensuite par la population. Bougival ne peut déroger à cette règle. L'Union calédonienne a rejeté l'accord, ne l'ignorons pas.

Le délai supplémentaire doit être mis à profit pour redonner de la densité aux quelques fils du dialogue renoué à Bougival. La paix se construit avec tous et surtout avec ceux qui ne se reconnaissent pas dans cet accord. Je voterai l'amendement déposé conjointement par nos six présidents de groupe pour modifier l'intitulé de la proposition de loi.

Certes, ce report n'est pas idéal, mais il est nécessaire, pour préparer la consultation des citoyens et les réconcilier avec leurs institutions.

Nous votons en réalité le maintien d'un espoir : que la Nouvelle-Calédonie meurtrie puisse retrouver le chemin du développement et s'inventer un avenir commun original dans la République. Je vous invite à adopter cette proposition de loi organique le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Francis Szpiner.  - Très bien !

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

M. Mikaele Kulimoetoke .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je salue mes deux collègues calédoniens. L'accord de Nouméa a esquissé les contours d'une communauté de destin, dans le souci du consensus, du compromis et du respect des parties.

À Bougival, les signataires ont tracé une feuille de route, ouvrant une nouvelle voie pour l'archipel. Ils ont réengagé le dialogue entre les différentes forces politiques et l'État, après les émeutes.

Le rejet de l'accord par le FLNKS l'a fragilisé. Ne pas le prendre en considération, c'est encourager un passage en force. Nous ne pouvons pas l'ignorer. N'oublions pas non plus les conséquences économiques et démocratiques d'un prolongement de deux ans des mandats des élus provinciaux. Les élections provinciales sont cruciales dans la vie politique de la Nouvelle-Calédonie, alors même que le contexte national est instable. On ne peut reporter les élections qu'à condition que cette période soit mise au service d'un dialogue retrouvé et de l'apaisement.

Le projet de loi constitutionnelle portant création d'un État de Nouvelle-Calédonie a été présenté hier en Conseil des ministres. Ce qui doit primer, nous l'affirmons avec notre sensibilité ultramarine, ce sont les échanges avec les acteurs locaux décisionnaires qui devront, les premiers, faire face aux conséquences du texte sur leur territoire.

Nous resterons vigilants. Le Gouvernement et le Parlement doivent prendre leurs responsabilités. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Annick Girardin applaudit également.)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le présent de la Nouvelle-Calédonie est façonné par son passé : les Calédoniens, enracinés dans leur territoire, y retrouvent des modèles ou des avertissements pour le présent.

La loi organique du 15 avril 2024 avait inauguré un premier report dans l'attente d'un accord global, qui n'a pas vu le jour car la confiance a été brisée après l'organisation unilatérale du troisième référendum sur l'indépendance. Tout recul du dialogue, tout manque d'impartialité de l'État mine sa crédibilité auprès des partenaires calédoniens et expose à une nouvelle crise. L'adoption du projet de loi constitutionnelle dégelant le corps électoral a entraîné des émeutes après 36 années de paix civile, malgré nos alertes. La Nouvelle-Calédonie traverse une situation critique : crise du logement social, pénurie de soignants, fermeture des usines de nickel, perte de perspective dans l'avenir... Malgré la deuxième tranche du prêt garanti par l'État, le territoire reste fragilisé. Les entreprises locales affrontent un vide assurantiel. Quelles mesures concrètes le Gouvernement prévoit-il pour stabiliser la situation économique, sociale et sanitaire ? Qu'en est-il du quinzième décès survenu au Camp-Est, qui met en lumière l'état dégradé des prisons et les dysfonctionnements ? Le Gouvernement peut-il fournir des informations à la famille ?

Sur la base de ma proposition de loi organique, le Parlement a validé en 2024 le deuxième report des élections ; la présente proposition de loi prévoit un troisième report. Un décalage aussi long ne se justifie que par des motifs impérieux et non partisans afin d'assurer des élections libres, équitables et sincères. Prolonger encore de quelques mois est possible en raison de l'accord global de Bougival entre l'État et l'ensemble des forces politiques calédoniennes. Toutefois, compte tenu du rejet formel du texte par l'UC-FLNKS et le Sénat coutumier, des précautions s'imposent.

Le 24 septembre, le FLNKS réaffirmait ses principales exigences : maintenir les élections en 2025, proclamer l'indépendance avant 2027, garantir un droit rapide à l'autodétermination, poursuivre le dialogue avec l'État et instaurer une justice transitionnelle valorisant l'identité kanak et la réconciliation.

Les critiques que suscite ce texte méritent d'être entendues et confrontées aux termes de l'accord de Bougival. Tant que les pourparlers se poursuivent, il n'est pas pertinent de porter un jugement définitif sur son contenu et sa portée. Néanmoins, les perspectives de cet accord restent claires et constituent le socle pour orienter les négociations en cours sur l'après-Nouméa.

Cette démarche doit s'inspirer de la méthode de Michel Rocard et de Lionel Jospin qui a préservé la paix civile tout en favorisant les conditions d'un développement économique durable et équilibré. Cette approche puise ses fondements dans la déclaration de la table ronde de Nainville-les-Roches, quarante ans après celle-ci. Elle a conduit les indépendantistes à dépasser le principe d'indépendance kanak exclusive et les anti-indépendantistes à reconnaître pleinement l'identité kanak. Ce principe doit être scrupuleusement sauvegardé. Tel est le cap à suivre pour garantir la stabilité et l'avenir commun de la Nouvelle-Calédonie. Rechercher un accord est indispensable. Si les récentes déclarations du président du FLNKS témoignent d'un refus clair du texte signé le 12 juillet, elles montrent aussi un souhait de reprendre les discussions. Les non-indépendantistes sont conscients de la nécessité de réintégrer le FLNKS dans le processus et de s'adapter aux évolutions nécessaires.

Manuel Valls, fin connaisseur des rapports de force politiques sur ce territoire, reconnaissait que le FLNKS est un acteur incontournable et qu'aucune solution durable ne peut se construire sans lui. Partagez-vous ce point de vue ? Quelle assurance que le report des élections ne deviendra pas un motif de tensions ? L'accord du 12 juillet ne peut être constitutionnalisé sans consensus. Un avenant doit refonder le préambule, reconnaître l'identité kanak, préciser le droit à l'autodétermination et définir les politiques économiques et sociales, en ciblant la jeunesse. Quoi qu'il arrive, les élections auront lieu dans quelques mois : soit fin novembre, si la situation nationale l'impose, soit au plus tard le 28 juin 2026.

Selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, le report n'affecte pas la légitimité des mandats des élus actuels ; en outre, il décentrerait les acteurs locaux de la campagne électorale au bénéfice d'un accord approuvé par toutes les formations politiques locales.

J'ai proposé un amendement modifiant l'intitulé pour rappeler que l'accord du 12 juillet 2025 est un projet d'accord, conformément à la volonté des parties. Je remercie les cinq présidents de groupe qui m'ont accompagné dans cette démarche.

Un accord politique n'est jamais figé. Il est vivant, appelé à évoluer avec les circonstances. C'est dans cette capacité d'adaptation que résident sa force et les clés de sa pérennité.

Restons confiants : un alliage solide peut émerger enfin du creuset calédonien, à condition que tous les acteurs agissent avec courage et responsabilité. Le groupe SER votera cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur les travées du groupe UC)

Mme Cécile Cukierman .  - Il y a toujours eu au Sénat la volonté de travailler sur le dossier calédonien. Chambre des territoires, elle ne peut en oublier aucun, même à de milliers de kilomètres.

On notera des ressemblances avec la situation politique nationale.

Le Premier ministre a réaffirmé son attachement au dossier calédonien hier et aujourd'hui. L'inscription de ce texte à notre ordre du jour dès la reprise de nos travaux montre l'importance de ce dossier. Mais nous avons des désaccords, exprimés par Robert Wienie Xowie.

Les mots ont un sens : y a-t-il un accord de Bougival, ou est-ce juste la mise en route d'un processus ?

Certains ont participé avant de retirer leur signature, estimant qu'il n'y avait pas d'accord total. Le FLNKS représente une grande partie du peuple kanak ; qu'il ait changé d'avis est très grave. Le rapport de la commission des lois parle de « dérogation nécessaire au principe démocratique ». La démocratie devient de plus en plus anecdotique dans notre pays ! Avec ce troisième report, nous prolongeons un mandat de près de deux ans.

Face à une crise sans précédent, dont les stigmates marquent encore le territoire et qui pèse sur le quotidien de la population, kanak ou non, nous ne pouvons approuver ce report.

Face à des crises d'une telle ampleur, la meilleure solution est le retour devant les électeurs. Plus on délégitime les élus, plus on rend l'acceptation de la nécessaire sortie de crise difficile. La souveraineté nationale appartient au peuple, nous n'en sommes que les représentants. Nous ne pouvons passer outre.

Nous voterons contre ce texte et déplorons notamment le départ de votre prédécesseur, signe de la volonté du Président de la République de composer lui-même le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Mélanie Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) C'est avec la même humilité et la même inquiétude qu'au printemps 2024 que j'aborde ce vote. Notre lecture est différente de celle des rapporteurs. Une nouvelle fois, nous risquons de faire vaciller depuis Paris une paix fragile, déjà brisée l'année dernière.

Première évidence : ce report s'appuie sur un accord qui n'existe pas. Il n'y a pas d'accord de Bougival. Il y a eu un projet d'accord, c'est vrai, que les délégués se sont engagés à présenter à leur base. Or ce cadre de travail a été présenté par le Gouvernement comme un accord politique et publié au Journal officiel, comme s'il avait été validé. Du côté du FLNKS, il n'y a jamais eu validation.

Que cela nous plaise ou non, que l'on approuve ou non le cadre institutionnel dessiné à Bougival, nous ne pouvons parfaire le processus de décolonisation sans le FLNKS. Il ne faut pas s'engager dans un chemin qu'il refuserait de suivre.

Ne répétons pas les expériences passées dont on a vu les conséquences dramatiques ! Reporter à nouveau les élections provinciales est tout sauf la voie à suivre.

Redoutable fourberie que de maintenir en place des institutions dont le mandat aurait dû s'achever il y a deux ans, dont la légitimité s'effrite, pour qu'elles entérinent un texte qui ne ferait pas l'objet d'un consensus !

Il y a quelques années, la majorité soutenait la perspective d'un État associé ; seuls les loyalistes radicaux s'y étaient opposés. L'État a alors cherché une nouvelle voie. Comment expliquer que le rejet de la part du FLNKS ne soit pas considéré comme un obstacle évident ?

On a dit que le corps électoral gelé pourrait entraîner l'annulation des élections par le Conseil constitutionnel. Cet argument a volé en éclats avec sa décision du 19 septembre dernier.

Ce corps électoral est certes gelé, mais ouvert aux descendants des colons. Connaissez-vous beaucoup de peuples victimes d'une colonisation de peuplement qui tendent la main pour faire peuple ensemble ?

L'exercice normal de la démocratie, dans un territoire où les élections ne se tiennent pas à l'heure, peut créer les conditions d'un accord, pour relégitimer les personnes chargées de négocier.

Le GEST votera contre le report. Son adoption serait une faute. J'espère me tromper, et si les élections sont reportées, ne pas voir la France rater encore un processus de décolonisation. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Robert Wienie Xowie applaudit également.)

Mme Annick Girardin .  - La portée de cette proposition de loi dépasse son objet : elle valide le processus de l'accord de Bougival du 12 juillet dernier. Cet accord va loin, répond à beaucoup de demandes des Calédoniens. Il frôle l'indépendance, en ajoutant un État de Nouvelle-Calédonie au sein de la République française.

Je salue le ministre d'État Manuel Valls, qui a mis son énergie au service de cet accord ; peu de femmes et hommes d'État auraient pu obtenir autant.

Cette possibilité de report, la troisième, proroge les mandats de plus de deux ans. Elle est acceptable, sous réserve d'une exigence d'efficacité dans la suite du calendrier. Il ne faut plus de dérapage.

J'ai été chargée des deux premiers référendums sur l'autodétermination en 2018 et 2020.

Je n'avais pas soutenu le projet de loi organique sur le dégel du corps électoral, car la confiance n'était pas au rendez-vous.

J'ai trop de respect pour les Calédoniens pour ne pas mesurer le poids du choix de ce soir ; il aura des effets sur l'équilibre de ce pays que j'affectionne tant. Nous devons faire ce choix avec réflexion et humilité.

En juillet, la proposition de troisième report avait l'apparence d'une évidence. Pour preuve : la signature de cette proposition de loi organique par six présidents de groupes sénatoriaux sur huit. Depuis, l'accord de Bougival ne fait plus l'unanimité. Le FLNKS l'a rejeté le 8 août, le Sénat coutumier le 30 août et, le 19 septembre, le Conseil constitutionnel a considéré en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité que le gel du corps électoral n'était pas inconstitutionnel. La perception de l'accord de Bougival s'en trouve modifiée.

Pour qu'un accord soit solide, les signataires doivent pouvoir se faire confiance. J'aurais voulu mieux comprendre, avec vous, chers collègues calédoniens, pourquoi l'une des parties a signé et retiré sa signature. Il semble qu'il y ait eu une incompréhension sur la forme de l'accord, sur le fait qu'il ait été publié sans avoir été annoncé. La leçon, c'est qu'il faut toujours de la transparence dans ce type de négociations. Le fil du dialogue doit rester noué. Rien n'est figé, tout reste encore ouvert.

Comment consultera-t-on la population ? Madame la ministre, sous quelle forme s'exprimera-t-elle et à partir de quel texte ? Il y a là une ambiguïté.

Mme la présidente.  - Il faut conclure.

Mme Annick Girardin.  - J'ai été rassurée par la ministre et les rapporteurs sur les problèmes juridiques liés à la prolongation des mandats actuels.

Nous devrons nous assurer que le calendrier restera tel qu'annoncé. L'échéancier prévu nous donne-t-il vraiment du temps ? Il y aura des élections nationales -  peut-être même une de plus.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

Mme Annick Girardin.  - Je conclurai par un petit message d'espoir. Vous l'avez dit, madame la ministre : le groupe Fer de lance est en soutien, ce qui permet de dire que la démarche est reconnue dans le bassin. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Olivier Bitz .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La situation en Nouvelle-Calédonie est complexe depuis des décennies. La fin de la séquence ouverte par les accords de Matignon et Nouméa doit conduire à poser de nouvelles bases pour que les Calédoniens trouvent un destin commun.

Ce sujet s'impose à nous dans un moment qui met à mal nos institutions. Sans majorité à l'Assemblée et sans visibilité sur leur propre avenir, les gouvernements successifs sont à la peine pour imaginer le futur d'un territoire situé à plus de 17 000 kilomètres de la métropole.

C'est donc avec une grande humilité que nous abordons cette question.

L'histoire nous livre toutefois de précieux enseignements. D'abord, sur la méthode : le dossier de la Nouvelle-Calédonie doit être géré directement par le Premier ministre. C'est ce pilotage qui a rendu possibles les accords de Matignon avec Michel Rocard puis de Nouméa avec Lionel Jospin. Malheureusement, Édouard Philippe a été le dernier chef du Gouvernement à s'investir personnellement dans ce dossier.

Ensuite, c'est aux Calédoniens de trouver les voies et moyens pour réfléchir à leur avenir. Rien ne peut leur être imposé à partir de la métropole. L'État ne peut s'engager pour un camp ou un autre, au motif d'accointances politiques réelles ou jouées. C'est pour cela que le troisième référendum sur l'indépendance devait avoir lieu après la présidentielle de 2022. Malheureusement, le gouvernement suivant en a décidé autrement.

Enfin, il faut avancer par consensus. Depuis le regrettable référendum Pons de 1987 existe la tentation de faire prévaloir le seul fait majoritaire. Il faut embarquer l'ensemble des acteurs représentatifs, même si cela est long et difficile.

Je mets fin à un suspense insoutenable. (M. Rachid Temal s'exclame.) Le groupe UC votera ce texte cosigné par son président.

Je n'aborderai pas les questions juridiques qui sont posées, puisque le consensus existant lors de la rédaction de cette proposition de loi organique n'existe plus, or c'est lui qui tenait le motif d'intérêt général permettant le report. Je ne reviendrai pas non plus sur les conditions précipitées dans lesquelles ce débat s'organise, en raison de l'instabilité gouvernementale. Le choix d'une session extraordinaire aurait pu être fait. Le Conseil constitutionnel tranchera les questions juridiques à l'aune du principe de réalité -  celui qui nous conduit à voter pour cette proposition de loi organique.

L'Assemblée nationale devra se prononcer pour reporter les élections qui devaient se tenir le mois prochain. Objectivement, ni les candidats ni les pouvoirs publics ne sont prêts à cette échéance.

M. Rachid Temal.  - Ce n'est pas une excuse !

M. Olivier Bitz.  - Une campagne électorale bâclée risque d'apporter de nouveaux troubles dont la Nouvelle-Calédonie n'a franchement pas besoin.

Le gouvernement Bayrou nous a placés dans une situation qui nous empêche de faire autrement que de valider ce nouveau report. C'est dommage. Il aurait été judicieux de poursuivre le processus de Bougival, avec des élus légitimés par le passage aux urnes. Oui, c'est un processus, car le débat n'est pas achevé. Le rejet par le FLNKS et le Sénat coutumier doit pousser le Gouvernement à poursuivre cette séquence de négociation. Passer en force est inimaginable, au risque de provoquer de nouvelles violences et, in fine, d'aboutir à l'absence de solution durable. La présence massive d'escadrons de gendarmerie mobile ne peut se substituer à la recherche d'une solution politique approuvée par tous.

La Nouvelle-Calédonie ne peut pas se permettre une nouvelle crise, ni d'un point de vue économique, ni d'un point de vue social, et encore moins d'un point de vue humain. Beaucoup d'habitants sont partis, tous restent traumatisés et quatorze vies ont été perdues. Nos gendarmes ont, une fois de plus, payé un lourd tribut.

Le dépôt prochain d'un projet de loi constitutionnelle a été annoncé. Nous nous déterminerons en fonction de la situation en veillant à ce que la perspective rassemble largement les acteurs représentatifs du territoire.

M. Claude Malhuret .  - Il s'en est fallu de peu. Ce texte indispensable doit être examiné avant le 2 novembre, date de convocation des électeurs pour les élections des membres du Congrès et des assemblées provinciales de la Nouvelle-Calédonie. Espérons qu'il pourra être examiné à temps à l'Assemblée nationale.

Le principe d'une exception, c'est d'être exceptionnelle. Mais certaines ne le sont pas. C'est le cas de ce troisième report des élections en Nouvelle-Calédonie. Si un nouveau report n'a plus rien d'exceptionnel, ses causes sont hors du commun.

Les élections initialement prévues en mai 2024 ont été reportées une première fois à fin 2024, pour trouver un accord sur la composition du corps électoral, bloqué depuis 1998. Sa modification, sujet hautement sensible, est très délicate. Qui aurait pu imaginer les conséquences dramatiques de l'adoption du projet de loi en ce sens ? Comment croire que certains iraient jusqu'à dévaster leur propre territoire, en détruisant écoles, entreprises et centres de soin, au point de provoquer la mort de treize personnes ?

Ces événements ont rendu impossible la tenue d'élections, et il a fallu acter un nouveau report à novembre 2025. Or un nouvel évènement exceptionnel est survenu en juillet, avec l'accord de Bougival sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

À mon tour, je salue le travail inlassable de Manuel Valls pour parvenir à cet accord. Madame la ministre, vous lui succédez et je vous souhaite tout le succès possible ; nous vous soutenons.

Avec ce troisième report, on pourrait penser que les choses n'avancent pas. Mais il n'en est rien. L'accord de Bougival en est la preuve. Ne pas tenir compte de cet accord et maintenir des élections coûte que coûte serait une erreur alors qu'il marque le début d'une nouvelle étape déterminante et indispensable pour la Nouvelle-Calédonie. Les mesures qu'il contient doivent être mises en oeuvre et nous attendons un projet de loi constitutionnelle en ce sens.

Il est donc nécessaire de reporter les élections. J'espère que le contexte local et national permettra de respecter l'échéance du 28 juin 2026. Ne soyons pas naïfs. L'accord de Bougival n'était qu'une étape ; le travail n'est pas achevé. Il faut rechercher le consensus ; cela prendra encore du temps, tout le monde en est conscient. Beaucoup reste à faire.

La Nouvelle-Calédonie est une part de notre République et nous devons garantir à tous nos concitoyens, où qu'ils soient, le même niveau de sécurité. C'est pourquoi j'ai signé cette proposition de loi organique que le groupe INDEP votera.

Rappel au règlement

Mme Cécile Cukierman.  - Je souhaite faire un rappel au règlement sur l'organisation de nos débats. Il est 19 h 30 et nous avons des amendements à examiner. Nous ne nous exprimerons pas sur chaque article, mais nous prendrons le temps de défendre nos amendements. Je ne vois pas comment nous pourrions finir cet examen à 20 heures. Madame la présidente, pourriez-vous nous donner des explications sur la suite ?

Acte en est donné.

Mme la présidente.  - Nous verrons tout simplement où en sont les débats à 20 heures. Si nous devons suspendre la séance, nous le ferons.

Discussion générale (Suite)

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Je remercie l'ensemble des orateurs de leur soutien à cette proposition de loi organique.

Monsieur Kanner, vous avez évoqué le drame survenu dans la prison du Camp-Est. Une information judiciaire a été ouverte. J'ai visité cette prison, qui est une honte nationale. L'accord de Bougival prévoit d'ailleurs la reconstruction de la prison pour y améliorer des conditions de détention.

Le soutien de l'État à la Nouvelle-Calédonie est important. En 2024, 2,7 milliards d'euros ont été investis. En 2025, un fonds de construction de 200 millions d'euros a été mis en place en faveur des collectivités territoriales. Les aides aux entreprises ont été reconduites. L'État a également accordé un prêt garanti de 560 millions d'euros, avec une seconde tranche de 240 millions d'euros. J'ai moi-même signé la convention qui finance la venue de personnels de santé. Enfin, une mission interministérielle pour la Nouvelle-Calédonie est placée sous l'autorité du Premier ministre, avec, à sa tête, Claire Durrieu. J'ai présidé hier la séance plénière de cette mission. Les choses avancent.

Madame Cukierman, vous m'avez dit sur le ton de l'humour que ça allait bien se passer. J'ai présidé les débats à l'Assemblée nationale pendant trois ans : je sais qu'au Sénat, ça ne peut que mieux se passer.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce n'est pas sûr !

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Madame Vogel, vous évoquez un projet d'accord, mais il s'agit bel et bien d'un accord. Il est porté par l'ensemble des organisations qui le défendent tous les jours et revendiquent leur signature. Bien sûr, rien ne se fera sans le FLNKS... (Mme Cécile Cukierman s'exclame.) La porte est ouverte.

Nous continuons d'avancer, en précisant les éléments encore en débat. Le projet de loi constitutionnelle y pourvoira également.

Madame Girardin, la consultation, ce sera pour ou contre l'accord de Bougival.

M. Olivier Bitz.  - Il n'y a pas d'accord !

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Elle aura lieu en mars ou en avril ; nous en discuterons rapidement avec les forces politiques. Le projet de loi constitutionnelle sera la base juridique de cette consultation locale.

Discussion des articles

Article 1er

M. Philippe Folliot .  - La Nouvelle-Calédonie est une question fort importante. Madame, vous êtes la huitième ministre des outre-mer depuis 2022 : cette instabilité ministérielle pénalise ce dossier et les outre-mer en général. Nous espérons que vous resterez en poste suffisamment longtemps pour marquer le ministère de votre empreinte.

Je salue nos collègues de Nouvelle-Calédonie. Même s'il y a des différences d'appréciation sur ce texte, ils portent l'avenir de ce territoire avec courage et conviction.

J'ai passé une semaine en Nouvelle-Calédonie cet été, avec notre collègue Georges Naturel. Je salue son implication, sa volonté de faire travailler ensemble tous les acteurs pour faire advenir un avenir commun.

Ce report des élections est la voie du bon sens et de la sagesse pour un avenir radieux en Nouvelle-Calédonie.

Mme la présidente.  - Amendement n°3 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.

M. Robert Wienie Xowie.  - Supprimons cet article qui opère un troisième report des élections provinciales en s'appuyant sur le projet d'accord de Bougival du 12 juillet 2025. Or, ce texte ne fait pas consensus. Le Sénat coutumier et des acteurs de la société civile se sont prononcés contre.

Cette nouvelle prorogation des mandats contrevient au droit de suffrage. Revenons à un calendrier raisonnable. C'est la seule voie pour préserver la légitimité des institutions et rouvrir le dialogue.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°9 de Mme Vogel et alii.

Mme Mélanie Vogel.  - La ministre dit que c'est un accord et non un projet d'accord. Mais compte tenu du contexte calédonien, il ne permet pas d'avancer dans le processus de décolonisation : donc, ce n'est pas un accord, politiquement parlant !

Le report des élections vise à dégeler le corps électoral, comme c'est inscrit dans l'accord de Bougival. En réalité, le vote du texte de ce soir vise à affirmer que l'accord de Bougival est consensuel.

Si nous reportons les élections et qu'entretemps aucun accord n'inclut le FLNKS, avons-nous la garantie que ces élections se tiendront sur le corps électoral gelé actuel ?

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure.  - Ces amendements vident le texte de sa substance. Nous pensons que le report des élections est une décision difficile, mais nécessaire pour que les discussions se poursuivent. Avis défavorable.

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

M. Akli Mellouli.  - Je salue également Georges Naturel et Robert Wienie Xowie dont je connais la volonté de faire avancer les choses.

Chacun parle de l'accord de Bougival comme d'un facteur justifiant le report. Mais celui-ci n'existait pas lorsque ce texte a été déposé. Le fait de le publier a mis le feu aux poudres. La précipitation est toujours mauvaise conseillère : les acteurs auraient dû avoir le temps de consulter leurs bases. Or cela n'a pas été le cas.

En 2020, les élections se sont tenues en heure et en temps : malgré le covid, vous ne les avez pas reportées. Et on nous explique qu'on pourrait les reporter en 2025 en raison de l'accord de Bougival. Où est la cohérence ?

Le dégel du corps électoral viderait l'accord de Nouméa de leur substance. Or ces derniers sont les seuls qui nous permettent d'avancer. Si on les remettait en cause, vers quoi nous dirigerions-nous ? Quand on tord le bras de l'une des parties, nous ne sommes plus dans le dialogue : nous ouvrons la porte à toutes les possibilités, y compris les plus dangereuses.

N'oubliez pas que la Nouvelle-Calédonie et l'Algérie sont les deux seules colonies de peuplement qu'a connues la France. Nous savons comment cela s'est terminé en Algérie ; ne faisons pas les mêmes erreurs avec la Nouvelle-Calédonie !

Mme Marianne Margaté.  - Avons-nous quitté le XXe siècle ? Le XXe siècle, c'est celui de l'abolition de la peine de mort, que nous avons récemment célébrée avec la panthéonisation bien méritée de Robert Badinter. Le XXe siècle, c'est aussi celui de l'instabilité institutionnelle de la IVe République. Le XXe siècle, c'est aussi la France des colonies. Ces retours en arrière ne sont pas tous réjouissants - et je préfère le XXe siècle de Badinter à celui des colonies.

Nous ne sommes plus au XXe siècle. Comment pouvons-nous encore tergiverser quand il s'agit de réparer les malheurs du passé ? Des grands noms, Schoelcher, Clemenceau et d'autres n'ont pas toujours été à la hauteur des enjeux du moment.

La situation nous oblige. Nous devons redevenir un pays de droit, d'égalité et de respect du droit à l'autodétermination des peuples.

Notre groupe est fier de porter le nom de Kanaky. Nous ne voterons pas ce texte. Plus que jamais, nous disons : vive la Kanaky libre !

M. Gérard Lahellec.  - Le Gouvernement a inscrit ce texte à l'ordre du jour de notre assemblée en priorité. Partant, vous vous ancrez dans un déni de démocratie.

Il s'agit de permettre la mise en oeuvre de l'accord de Bougival. Or cet accord n'en est pas un, et vous le savez bien. Nous ne sommes pas dupes : il a été rejeté par le peuple kanak et par le FLNKS ; le Sénat coutumier l'a désavoué. C'est non pas un compromis historique, mais une proposition qui a été rejetée. Les dangers d'un tel mépris sont immenses. Rangeons-nous aux côtés du peuple qui souffre depuis 1853 !

Mme Michelle Gréaume.  - Ce texte prétend préparer l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, mais il commence par confisquer la parole du peuple calédonien. Un troisième report reviendrait à geler la vie politique. Comment ne pas y voir la même logique autoritaire que celle qui a prévalu lors de la réforme de l'audiovisuel public ? Là encore, le débat a été refusé, la procédure parlementaire piétinée.

Une constante : le pouvoir macroniste décide seul et muselle les contre-pouvoirs. Cette manière de gouverner traduit une crise profonde de la démocratie, celle d'un exécutif qui ne supporte ni la contradiction ni le dialogue.

Nous ne voterons pas ce texte ; votez notre amendement.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Le Gouvernement aurait dû inscrire à l'ordre du jour le texte sur la vie chère dans les territoires dits d'outre-mer -  la Nouvelle-Calédonie-Kanaky ne fait pas exception. Selon le rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer adopté en mars dernier, le prix des denrées alimentaires dans les Antilles est 45 % supérieur aux tarifs de la métropole ; c'est 78 % en Nouvelle-Calédonie-Kanaky.

Le panier moyen de la Nouvelle-Calédonie coûte 108 % plus cher que dans l'Hexagone. À cela s'ajoutent le niveau des loyers et le prix des véhicules, alors que les salaires moyens ne suivent pas l'inflation. Cela pénalise les populations modestes. La vie chère en Nouvelle-Calédonie est surtout la conséquence de la concentration des secteurs de la grande distribution, de l'énergie et des télécommunications entre quelques acteurs. Ainsi les marges de distribution sont-elles bien supérieures à celles de la métropole. Ces inégalités sont le bilan de la France et de ses gouvernements.

M. Rachid Temal.  - J'envie certains collègues manifestement emplis de certitudes. En ce qui me concerne, j'en ai beaucoup moins.

Je voterai ce texte, ...

M. Akli Mellouli.  - N'est-ce pas une certitude ?

M. Rachid Temal.  - ... même si je nourris quelques craintes, bien sûr. Certains collègues évoquent les retraites, l'audiovisuel public. Essayons de ne pas tout mélanger et tenons un discours qui sert d'abord les Calédoniens.

Nous sommes le Parlement : si nous votons une loi, celle-ci est adoptée, démocratiquement.

Sur le fond, nous avons un accord. Ce n'est pas parce que certains refusent de le signer que ce n'en est pas un. Je souhaite que toutes les forces politiques, y compris le FLNKS, participent au débat. Comment rapprocher les uns et les autres pour y parvenir ? Ce sera l'objet du projet de loi constitutionnelle.

En tout état de cause, nous ne sommes pas en mesure d'organiser ces élections en novembre. Comment faire pour que la Nouvelle-Calédonie ne perde pas 14 % de son PIB ?

Restons dignes, de grâce : nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie le méritent, qu'ils soient ou non indépendantistes.

Les amendements identiques nos3 et 9 ne sont pas adoptés.

Mme la présidente.  - Amendement n°4 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.

M. Robert Wienie Xowie.  - Il s'agit d'un amendement de repli visant à rétablir l'échéance des élections au 30 novembre 2025, ainsi que le prévoit la loi organique du 15 novembre 2024. Le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 3 de la Constitution, exige que les électeurs soient appelés à voter selon une périodicité raisonnable. Rien ne justifie d'allonger le délai jusqu'au 28 juin 2026, d'autant que le projet d'accord de Bougival est contesté.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Cet amendement vide le texte de sa substance. Avis défavorable.

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Mêmes causes, mêmes effets : avis défavorable.

M. Pierre Ouzoulias.  - Madame la ministre, il va falloir aller plus loin dans l'analyse juridique. En quoi la perpétuation du gel du corps électoral serait-elle inconstitutionnelle ? Celui-ci figure déjà dans la Constitution, car la Nouvelle-Calédonie est une collectivité sui generis. L'argument que vous nous opposez ne tient pas.

Par ailleurs, vous avez dit qu'il fallait absolument continuer à discuter avec le FLNKS. Mais si ce texte est adopté, le FLNKS n'ira pas à la table des négociations et le débat s'arrêtera !

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

L'article 1er est adopté.

Article 2

Mme la présidente.  - Amendement n°5 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.

M. Robert Wienie Xowie.  - L'article 2 proroge les organes du Congrès. Mais celui-ci n'a pas été consulté sur cette mesure qui le concerne directement ! Cette omission heurte l'exigence de loyauté du dialogue institutionnel qui fonde l'équilibre calédonien.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°10 de Mme Vogel et alli.

Mme Mélanie Vogel.  - Nous serions plusieurs à avoir des certitudes, aux dires de M. Temal. Ce n'est pas mon cas, mais j'ai une inquiétude : voter un texte qui n'est pas consensuel et qui met à l'écart l'une des principales forces politiques peut nous mener à une tragédie.

À l'inverse, je ne vois pas les risques qu'entraînerait un rejet du texte. Quel risque à organiser des élections dont la tenue est parfaitement constitutionnelle ? Des représentants à la légitimité renouvelée pourront être élus. Ils pourront ensuite négocier.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure.  - Les instances internes du Congrès seraient renouvelées à quelques mois d'écart. Ce double renouvellement serait dommageable aux institutions de la Nouvelle-Calédonie. L'article 2 est pertinent.

Des discussions ont eu lieu entre les membres du Congrès, qui ont finalement décidé de ne pas nous demander ce report. Avis défavorable.

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Même avis.

Monsieur Ouzoulias, je suis prête à faire du droit, pourvu qu'on m'interpelle à ce sujet. Je n'ai jamais dit que le gel du corps électoral était anticonstitutionnel, puisque celui-ci figure dans la Constitution ! En revanche, il a été prévu pour des raisons précises : le gel du corps électoral finira, à l'avenir, par épuiser le corps électoral lui-même !

Cela dit, vous savez que le Conseil constitutionnel a émis des réserves, notamment pour tenir compte des évolutions démographiques.

Mme Cécile Cukierman.  - Sans faire de la sémantique, nous pouvons avoir humblement des convictions qui ne sont pas des certitudes. Elles sont nourries, comme pour d'autres, par nos échanges avec les représentants politiques calédoniens.

La suppression de l'article 2 nous semble importante : Bougival n'est pas un accord. Le gel du corps électoral est valide, les accords restent notre boussole et la démocratie se tient à l'heure. Nous sommes cohérents, nous ne voulons pas de troisième report. Les élections provinciales doivent pouvoir être organisées avant le 30 novembre avec toutes les garanties, car, en période de crise, elles renforcent la légitimité des élus.

Le FLNKS l'a dit : l'accord de juillet dernier n'a pas de valeur. Nous voulons une négociation loyale, qui pourrait éventuellement être appuyée par l'ONU.

Ce n'est pas le vote d'un camp contre un autre ; c'est un vote pour la République, qui tient sa parole, et pour la paix civile.

M. Georges Naturel.  - On parle du FLNKS, mais il existe des partis indépendantistes qui ont signé l'accord de Bougival et qui souhaitent reporter les élections, à l'instar de l'Union nationale pour l'indépendance (UNI) et du Parti de libération kanak (Palika).

Organiser les élections en novembre serait bien trop complexe - certes, on peut reprocher au Gouvernement de ne pas avoir anticipé les choses.

Le Congrès a validé l'article 2 ; nous voterons donc cet article.

M. Rachid Temal.  - Madame Vogel, je nuancerai votre propos : ne pas reporter les élections entraînerait des difficultés, notamment pour certains partis politiques. En revanche, reporter les élections nous laisse du temps : nous pourrions espérer aboutir à un accord. Nous ne voterons donc pas votre amendement de suppression.

Mme Annick Girardin.  - Notre collègue Naturel a raison : il fallait dire que l'État n'est pas prêt à organiser les élections en novembre. Cela n'est pas recevable : il aurait dû être prêt.

Mais ce n'est pas pour cela que je voterai le report. À quoi bon organiser les élections tout de suite si l'on ne parvient pas ensuite à respecter le calendrier prévu ? Sensibiliser la population à cet accord suppose de tenir chacune des échéances fixées. C'est un bel accord, et je ne suis pas sûre que l'on puisse en conclure un autre de ce type à nouveau.

Aidons ce territoire à reprendre le chemin de la prospérité ; cet accord est l'une des dernières chances d'y parvenir.

M. Akli Mellouli.  - Nous pourrions inverser les arguments. Le vrai sujet est le suivant : pourquoi ne souhaitez-vous pas que les gens votent ? Ce corps électoral ne vous convient-il pas ? Vous souhaitez le dialogue, mais il sera possible après l'élection ! Vous dialoguerez simplement avec des élus plus jeunes, plus représentatifs de la Nouvelle-Calédonie.

L'une des parties a prévenu qu'elle ne participerait plus aux élections en cas de nouveau report. Je ne comprends pas votre précipitation, à moins qu'il n'y ait un loup derrière tout cela.

Mme Mélanie Vogel.  - Annick Girardin a tenu des propos importants.

Si les élections se tenaient en novembre, alors le calendrier de Bougival ne serait pas tenu. Dont acte. Mais l'on ne peut pas vouloir que le FLNKS revienne à la table des négociations d'une part et voter ce texte pour mettre en oeuvre Bougival d'autre part, car cela écarterait le FLNKS des discussions.

M. Francis Szpiner.  - Et alors ?

Mme Mélanie Vogel.  - Pour nous, l'absence du FLNKS est un problème. Pour discuter avec eux, il faudra modifier les décisions prises à Bougival : peut-être le corps électoral, peut-être l'architecture institutionnelle, peut-être le calendrier.

M. Rachid Temal.  - Nous n'avons pas dit le contraire.

Les amendements identiques nos5 et 10 ne sont pas adoptés.

Mme la présidente.  - Amendement n°6 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.

M. Robert Wienie Xowie.  - En cohérence avec notre position sur ce texte, nous vous proposons de modifier son titre.

Organiser des élections en Kanaky s'impose au plus vite, tant le besoin de démocratie est criant.

Bougival est non pas un accord, mais un projet d'accord. Madame la ministre, vous dites que vous ne pourrez pas agir sans le FLNKS. Mais comment agir avec lui si vous forcez à ce point le calendrier ?

Mme la présidente.  - Vous avez défendu l'amendement n°8, mon cher collègue.

M. Robert Wienie Xowie.  - L'amendement n°6 borne la prorogation des organes du Congrès à l'issue d'un scrutin organisé au plus tard le 30 novembre 2025.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure.  - Avis défavorable.

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Même avis.

Mme Michelle Gréaume.  - Aimé Césaire disait : « Faire un pas avec le peuple, pas deux pas sans lui ». Or c'est ce que vous faites en agissant avec précipitation. La crise ne pourra se résoudre que grâce à des représentants nouvellement élus.

Repousser à nouveau les élections ne fera qu'aggraver la situation. On ne peut pas garder les mêmes et recommencer. Avancer et repartir sur des bases solides, voilà la volonté des élus kanaks ! Il leur faut la légitimité démocratique nécessaire pour faire avancer leur pays, ce que vous leur refusez pour la troisième fois ! Mes chers collègues, laissez le peuple kanak s'exprimer par les urnes et rejetez ce texte !

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Article 3

Mme la présidente.  - Amendement n°11 de Mme Vogel et alii.

Mme Mélanie Vogel.  - Défendu.

L'amendement n°11, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°7 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.

M. Robert Wienie Xowie.  - L'article 3 déroge au droit commun d'entrée en vigueur des lois organiques en Nouvelle-Calédonie, en imposant leur application dès le lendemain de la publication au Journal officiel. Cet amendement rétablit le délai de dix jours prévus par la loi organique du 19 mars 1999.

Cette vacatio legis est non pas un luxe, mais un principe de sécurité juridique. Elle laisse aux institutions locales le temps de s'adapter et elle sécurise les opérations électorales. Nous ne voulons pas de cette brutalité juridique, nous voulons du temps utile pour bien faire.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Même avis.

M. Ian Brossat.  - « Les véritables intérêts de la France résidaient, comme nous n'avons cessé de le dire, dans la reconnaissance des droits nationaux du peuple algérien et dans l'établissement de rapports nouveaux avec une Algérie devenue indépendante, rapports fondés sur l'égalité des droits et la réciprocité des avantages. » (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Christine Bonfanti-Dossat.  - Quel rapport ?

M. Ian Brossat.  - Ce sont les mots que le sénateur communiste Jacques Duclos a prononcés le 21 mars 1962 dans cet hémicycle. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Rachid Temal.  - Cela n'a rien à voir !

M. Ian Brossat.  - Notre groupe continue de défendre les peuples colonisés face aux colonisateurs. Il est temps que la France, qui se dit pays des droits de l'homme, s'engage dans le processus de décolonisation qui s'impose. La Kanaky est inscrite depuis 1986 sur la liste des Nations unies des territoires non autonomes à décoloniser.

Dans la résolution 41-41 A, l'ONU a rappelé le droit inaliénable du peuple de la Nouvelle-Calédonie à l'autodétermination et à l'indépendance. Elle a souligné en 2001 que les puissances administrantes ne devaient pas entraver le droit à l'autodétermination. Le report des élections va à l'encontre des engagements internationaux de la France.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Très bien !

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Intitulé de la proposition de loi organique

Mme la présidente.  - Amendement n°8 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.

M. Robert Wienie Xowie.  - Défendu.

Mme la présidente.  - Amendement n°1 de M. Kanner et alii.

Mme Maryse Carrère.  - En apparence symbolique, cet amendement transpartisan de Patrick Kanner vise à modifier l'intitulé de la proposition de loi.

Reporter une échéance électorale est un choix lourd qui engage la stabilité de nos institutions. L'accord du 12 juillet 2025 ne fait plus l'unanimité. Il demeure imparfait. Il doit être régénéré et trouver sa conclusion sur le territoire lui-même. Ce nouvel intitulé a le mérite de rappeler que l'accord du 12 juillet retrouve sa qualification de « projet d'accord ». Il faut éviter de donner le sentiment d'un passage en force, afin d'aboutir aux clarifications nécessaires sur les points essentiels. C'est seulement à ce prix que la Nouvelle-Calédonie pourra bâtir un avenir commun, juste et pérenne.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure.  - Avis défavorable à l'amendement n°8. Avis favorable à l'amendement n°1, conforme à l'objectif. Il s'agit de donner du temps pour permettre aux négociations de se poursuivre et d'aboutir au consensus le plus large possible. Merci au président Kanner d'avoir retiré son amendement en commission pour déposer en séance cet amendement transpartisan.

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Avis défavorable à l'amendement n°8.

L'amendement n°1 indique que le texte a vocation à permettre la poursuite de la discussion de l'accord. Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour faire avancer les choses dans ce cadre. Le dialogue n'est pas rompu : il se poursuit grâce au report. Ce nouvel intitulé fait ressortir l'engagement du Gouvernement. Plutôt qu'un avis de sagesse, j'émets finalement un avis favorable.

M. Rachid Temal.  - Bravo !

M. Georges Naturel.  - Merci aux présidents de groupe pour cette réécriture de l'intitulé, qui correspond bien à notre objectif : prendre du temps. En Nouvelle-Calédonie, il en faut.

Votre prédécesseur, madame la ministre, a échangé en juillet avec le FLNKS pour rechercher un accord commun. Il faudra poursuivre. Je serai à votre disposition pour parfaire cet accord.

L'amendement n°8 n'est pas adopté.

L'amendement n°1 est adopté, et l'intitulé est ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble

Mme Annick Girardin .  - Le RDSE attendait le débat pour arrêter sa position. Il votera ce texte.

Le FLNKS est une partie indispensable de la solution. La consultation du peuple calédonien doit être préparée de manière concertée et toute la population doit être informée.

La modification de l'intitulé du texte est un message du Sénat au FLNKS. La discussion n'est pas figée, rien n'est arrêté, le dialogue se poursuit. Nous prenons cette décision avec humilité et serons vigilants sur la manière dont cet accord sera mis en oeuvre.

Mme Cécile Cukierman .  - Loin d'être une mesure de prudence ou d'apaisement, ce texte est un acte politique lourd de conséquences. Il suspend l'expression démocratique là où il faut au contraire consolider le dialogue et la confiance entre communautés.

Madame la ministre, vous avez reconnu l'importance du FLNKS dans le devenir de ce territoire. Comment faire, s'il n'est pas respecté ?

L'accord de Nouméa a valeur d'engagement solennel. Il reconnaît le peuple kanak comme peuple premier et fixe une trajectoire de décolonisation progressive fondée sur la perspective d'une pleine souveraineté.

Le gel du corps électoral n'est pas une anomalie, mais un instrument de justice et d'équité historique, confirmé par le Conseil constitutionnel. Aucune solution durable ne peut être imposée depuis Paris. Les événements tragiques de mai 2024 ont rappelé combien les décisions précipitées fondées sur des diagnostics erronés pouvaient raviver les blessures du passé.

Organiser les élections dans le respect du calendrier, c'est recréer les conditions d'un dialogue apaisé et d'une légitimité partagée. La France doit rester fidèle à l'héritage de 1988 et de 1998, celui du respect des peuples et du droit à la libre détermination.

Nous regrettons au passage qu'aucun Ultramarin n'ait été nommé ministre dans ce Gouvernement - une première depuis 2002.

Le groupe CRCE-K ne votera pas ce texte.

M. Philippe Folliot .  - Ce sujet est éminemment complexe. L'accord de Bougival n'est pas reconnu par tout le monde. Comme l'a dit Georges Naturel, il faut poursuivre le dialogue afin de parvenir à un consensus.

L'image d'un territoire fracturé n'est pas conforme à ce que l'on a vu sur place, où indépendantistes et anti-indépendantistes travaillent de concert dans des conseils municipaux. La volonté des habitants de Nouvelle-Calédonie, dans leur immense majorité, est de vivre en paix et d'oeuvrer pour le développement économique et social de leur territoire. Sans perspective de développement, il sera difficile d'obtenir des accords politiques.

Nous ne repoussons pas les élections de gaîté de coeur, mais il faut poser un cadre raisonnable. Je voterai ce texte.

M. Rachid Temal .  - Je salue les rapporteures pour leur excellent travail, ainsi que Mme la ministre qui a démontré dans ce baptême du feu à la fois ses connaissances et son écoute.

Michel Rocard et Lionel Jospin ont su mener ce long processus exigeant. Demeure la question économique, celle de l'avenir de cette jeunesse qui aujourd'hui désespère, mais aussi celle de l'intégration régionale, des risques de prédation de grandes puissances. De nombreux défis sont devant nous.

Nous votons ce texte avec l'espoir que l'ensemble des parties se mettent autour de la table et avancent.

J'invite Mme la ministre à associer davantage le groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie aux échanges. Sur le projet de loi constitutionnelle, nous aurons besoin d'éléments.

La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°2 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 299
Contre   42

La proposition de loi organique est adoptée.

La séance est suspendue à 20 h 45.

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

La séance reprend à 22 h 15.

Questions orales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

Avenir des concessions hydroélectriques

M. Daniel Chasseing, en remplacement de M. Pierre Jean Rochette .  - Deuxième source de production électrique derrière le nucléaire, l'hydroélectricité est la première source d'électricité renouvelable en France. Elle occupe une place centrale dans notre approvisionnement et jouera un rôle majeur dans la réussite de la transition énergétique.

Pourtant, alors qu'une soixantaine de concessions arrivent à échéance le 31 décembre, leur renouvellement reste incertain. Le blocage persiste depuis plus de vingt ans, en raison d'un différend entre la France et la Commission européenne sur l'application de la directive de 2014 relative à l'attribution des contrats de concession.

Ce contentieux a freiné les investissements dans la filière, alors même que la France sort d'une crise énergétique sans précédent et que le Gouvernement rappelle régulièrement l'importance de cet atout industriel.

Fin août, Matignon a annoncé un accord de principe avec la Commission européenne, saluant une étape importante vers la relance des investissements. Le remplacement des concessions arrivées à échéance par un nouveau régime d'autorisation est évoqué.

Quelles sont les modalités de cet accord et les suites prévues ? Ne pensez-vous pas qu'il faille prévoir un financement spécifique pour développer les stations de transfert d'énergie par pompage (Step), seules capables de stocker massivement l'électricité ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Les concessions arrivant à échéance sont prolongées sous le régime des délais glissants, garantissant la continuité de la production.

À la suite du rapport Battistel-Bollo, le Gouvernement a conduit des négociations approfondies avec la Commission européenne, lesquelles ont abouti à un accord de principe : le passage d'un régime de concession à un régime d'autorisation, le maintien possible des exploitants actuels, et la vente aux enchères par EDF de capacités hydroélectriques au bénéfice des consommateurs.

Cet accord ouvre la voie à la relance des investissements, notamment pour les Step.

Une proposition de loi portée par les députés Battistel et Bollo, soutenue par le Gouvernement, sera prochainement déposée pour mettre en oeuvre cet accord et clore définitivement les contentieux.

M. Daniel Chasseing.  - Ne faudrait-il pas miser davantage sur l'hydroélectricité que sur l'éolien et le solaire, que l'on ne peut pas stocker ?

Retour du loup

M. Franck Menonville .  - Les attaques de loups se multiplient sur l'ensemble du territoire, notamment dans la Meuse, où l'on compte plus de 15 attaques depuis le début de l'année, soit 90 animaux prédatés. Certaines ont lieu au coeur même des villages, comme récemment dans la Drôme.

Les conséquences pour nos éleveurs sont économiques et psychologiques : beaucoup sont découragés ; certains envisagent de cesser leur activité. En plaine, la dispersion des pâtures et le temps consacré à la pose et à l'entretien des clôtures rendent la protection des troupeaux presque impossible.

Nos éleveurs attendent des moyens accrus et une simplification des procédures pour accéder aux tirs de défense.

Je salue l'obtention par Mme la ministre du déclassement du statut de protection du loup. Mais comment cette avancée sera-t-elle concrétisée ? Et la réévaluation des populations lupines, sous-estimées, selon moi, est-elle envisagée pour mieux adapter les capacités de prélèvement ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Je vous prie d'excuser Mme Annie Genevard. Élu d'un département également touché, la Saône-et-Loire, je mesure aussi la fragilisation de l'activité des éleveurs.

Depuis sa prise de fonctions, Mme Genevard a fait du dossier du loup une priorité nationale. L'État consacre 52 millions d'euros par an aux mesures de protection et d'indemnisation.

Mais il faut aller plus loin. Ainsi, l'arrêté du 21 juin 2025, co-signé avec la ministre de l'écologie, assouplit les conditions d'intervention dans les départements les plus exposés, comme la Meuse ; le recours aux tirs de défense a été facilité, l'appui des lieutenants de louveterie et de l'Office français de la biodiversité a été renforcé.

À ce jour, 155 loups ont été prélevés sur un plafond de 192, que la ministre envisage d'augmenter de 2 % d'ici la fin de l'année.

La révision du statut de protection du loup, désormais intégrée à la directive Habitat, consacre la nécessité d'une régulation raisonnée, fondée sur la réalité des territoires ruraux.

Un décret prévoyant un nouveau cadre national est en cours d'examen au Conseil d'État. Il vise à simplifier les démarches discutées au sein du groupe national loup, à harmoniser les règles de tir et à garantir une réponse rapide et proportionnée en cas d'attaque. Mme Genevard veillera à l'application de ces avancées dans la Meuse, dans le respect de l'équilibre entre biodiversité et pastoralisme.

Enquêtes pour violences policières

Mme Corinne Narassiguin .  - (M. Patrick Kanner applaudit.) Le 17 juin 2025, Libération et Disclose révélaient que 215 policiers et gendarmes, tous grades confondus, avaient été accusés de harcèlement sexuel, d'agression sexuelle ou de viol envers des femmes.

Les violences sexuelles sont d'autant plus insupportables lorsqu'elles sont commises par des membres des forces de l'ordre qui ont la confiance des femmes victimes. Depuis plusieurs années, les rapports annuels de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) affirment qu'elles ne traitent que 10 % des affaires pénales impliquant policiers et gendarmes. Quels services sont-ils chargés des 90 % d'affaires restantes ? S'agit-il de services spécialisés dans les affaires internes ? Quid des effectifs ? À quelles directions sont-ils rattachés ?

Les cellules de déontologie existant à Lyon ou à Lille sont-elles instituées dans tous les départements ? Quel est leur rôle exact ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Les forces de l'ordre jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les violences intrafamiliales et les infractions à caractère sexuel. Mais il arrive que certains militaires ou fonctionnaires, pourtant soumis à un devoir d'exemplarité, soient mis en cause pour de tels faits. C'est évidemment inacceptable. Nous soutenons les victimes de ces agissements, qui sont sanctionnés sévèrement.

L'autorité judiciaire est systématiquement informée de ces situations par les responsables territoriaux de la police et de la gendarmerie. Dans la gendarmerie, les enquêtes relèvent des sections ou brigades de recherche, l'IGGN n'intervenant que pour les affaires les plus complexes. Dans la police, elles sont menées par les directions territoriales ou les cellules de déontologie, l'IGPN n'étant saisie qu'en cas de fait grave. Toute infraction pénale présumée fait donc l'objet d'investigations adaptées, objectives et impartiales, sous le contrôle d'un magistrat.

De son côté, l'autorité hiérarchique engage sans délai une enquête administrative. Elle peut ensuite prendre les mesures appropriées, jusqu'à la révocation de l'agent concerné. Un réseau de 700 référents « égalité et diversité » ainsi que 30 correspondants déontologues assurent le suivi des signalements et leur traitement en enquête interne.

Cette politique disciplinaire rigoureuse ne transige ni avec la déontologie ni avec le respect du droit.

Mme Corinne Narassiguin.  - Le fait que l'IGPN et l'IGGN affirment ne traiter que 10 % des affaires pénales impliquant des policiers et des gendarmes demeure un problème. Il faut plus de transparence, pour assurer l'impartialité des services de police.

Dérive de la généralisation de l'usage des OQTF

M. Akli Mellouli .  - Les obligations de quitter le territoire français (OQTF), prévues pour répondre à des situations précises, tendent à devenir une réponse réflexe à toute complexité migratoire. C'est une pente dangereuse. Lorsque la réponse administrative se substitue à l'examen individuel, lorsque le soupçon remplace l'instruction, l'idée même de République s'érode.

Le 2 juin dernier, une femme franco-algérienne de 58 ans vivant en France depuis plus de trente ans, naturalisée en 1997, travaillant dans une crèche parisienne, a été interpellée à son retour d'Algérie à Roissy. Une OQTF lui a été notifiée, assortie d'une interdiction de retour d'un an, parce qu'un agent a estimé, sur la base d'un faisceau d'indices contestable, qu'elle ne résidait pas principalement en France. Voilà comment une logique sécuritaire mal maîtrisée peut conduire à l'absurde.

Sous la pression politique et médiatique, on préfère la rapidité à la justesse, l'apparence à la vérité. Il en résulte de nouvelles fractures : entre les citoyens et leur administration, entre la République et ceux qui voudraient encore y croire.

La nécessité de mesures de police administrative n'est pas contestable dans certains cas, mais je conteste leur banalisation. La République ne doit pas renoncer à sa promesse de justice.

Allez-vous encadrer plus strictement les motifs d'émission des OQTF ?

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Akli Mellouli.  - Êtes-vous prêt à engager une évaluation publique régulière et transparente des OQTF exécutées ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Le séjour d'un étranger en France correspond à un cadre précis. Les préfectures apprécient au cas par cas les situations individuelles.

L'article 6-1 de la directive Retour impose aux États membres de l'Union européenne de prendre une décision de retour à l'encontre de tout étranger en situation irrégulière. Ce point a été confirmé par un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne de juin 2021, qui a sanctionné la pratique allemande consistant à accorder des tolérances de séjour dépourvues de véritable statut juridique.

Le nombre d'OQTF augmente en France du fait de la croissance de la pression migratoire et de l'amélioration de sa détection qui se mesure via la hausse du nombre d'interpellations d'étrangers en situation irrégulière sur la voie publique : 123 800 en 2023, 147 154 en 2025. Cette augmentation résulte aussi de l'application rigoureuse des possibilités de retraits, refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour pour des motifs d'ordre public offertes par la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration du 26 janvier 2024. Une partie de ces mesures sont probablement utilisées à l'encontre des mêmes personnes qui utilisent des alias.

Ce qui est déterminant, ce n'est pas le nombre de mesures prises, mais le nombre de mesures exécutées, en hausse de 27 % en 2024 et 14,7 % à fin août 2025.

Accès aux soins des enfants du Lot

M. Raphaël Daubet .  - Un sujet mine de nombreuses familles et met en péril la réussite et l'équilibre de nombreux enfants : l'accès aux soins. Dans le Lot, il faut attendre deux à trois ans pour obtenir un rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP). Pour un enfant en souffrance, c'est une éternité. Pendant ce temps, les difficultés scolaires s'accroissent, l'estime de soi s'effondre. Des jeunes qui auraient pu s'en sortir décrochent.

La Drees a récemment souligné l'ampleur de ce problème. Les délais d'attente ont doublé en douze ans. Le nombre de pédopsychiatres a chuté de 16 % et les orthophonistes sont saturés.

Sur le terrain, les médecins de la protection maternelle et infantile comme ceux de l'éducation nationale voient exploser les troubles du langage et du développement dès la maternelle. De plus en plus d'enfants sont repérés, et il y a de moins en moins de soignants pour les accompagner.

Ces enfants sont nos enfants. Au lendemain des assises de la santé scolaire, quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il prendre pour que chaque élève ait accès à une prise en charge ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Vous soulignez un point extrêmement douloureux pour les familles.

Plusieurs leviers sont mobilisés par les agences régionales de santé pour renforcer l'accompagnement du jeune enfant en pédopsychiatrie. L'ARS Occitanie soutient l'Institut Camille Miret, qui gère les cinq centres médico-psychologiques du Lot. Votre département bénéficie aussi d'un maillage spécifique, dont une équipe mobile Adolescents complexes, pluridisciplinaire, qui assure un accompagnement coordonné des jeunes présentant des troubles sévères.

La dynamique de renforcement des plateformes de coordination et d'orientation (PCO) se poursuit. Celle du Lot affiche les meilleurs délais régionaux, soit 19 jours en moyenne.

L'ARS a attribué en 2025 une dotation complémentaire de 100 000 euros afin d'étendre son action aux 7-12 ans et ainsi réduire la pression sur les CMP et améliorer le repérage précoce des troubles du neurodéveloppement.

Une feuille de route régionale, engagée cet automne, vise à optimiser la répartition des moyens en pédopsychiatrie, notamment sur les 16-18 ans et les situations complexes.

L'ARS accompagne l'Institut Camille Miret, notamment pour créer un hôpital de jour pour adolescents à Cahors. Elle travaille aussi sur la mise en conformité des CMP avec les règles de conventionnement en matière d'orthophonie. Des discussions nationales sont en cours pour pérenniser un financement simplifié de ces actes.

M. Raphaël Daubet.  - Merci, monsieur le ministre. Vous avez dit que des discussions nationales étaient en cours : c'est ce que l'on attend. L'Institut Camille Miret a besoin de soutien, mais les besoins sont partout en France. Ces enfants peuvent être sauvés : ce ne sont pas des cas désespérés, mais il faut les aider en temps utile.

Prix du lait dans la grande distribution

Mme Béatrice Gosselin .  - L'engagement d'un prix autour d'un euro par litre de lait, fixé comme minimum pour garantir une juste rémunération des éleveurs, est contourné. Des promotions, en particulier sur des packs familiaux, contreviennent aux règles les encadrant et font craindre un non-respect du seuil de revente à perte majoré de 10 %. Au-delà de ces manquements, c'est tout le cadre des lois Égalim qui est fragilisé. Dans la Manche, où la filière laitière est un pilier de l'agriculture, l'inquiétude est vive. Nos éleveurs ne peuvent accepter que la grande distribution piétine les règles.

Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour assurer le respect de la loi, renforcer les contrôles et garantir la transparence sur les pratiques de la grande distribution en matière de prix agricoles ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - En Normandie, la chambre d'agriculture nous rapporte que le prix du lait payé aux producteurs se maintient au-dessus de son niveau de 2023, à 515 euros pour 1 000 litres. C'est une hausse de 7 % par rapport à 2024. Les prix du beurre et de la poudre s'infléchissent légèrement tout en restant à des niveaux élevés.

Avec un prix payé aux éleveurs en hausse et un prix de vente à la baisse, ce sont les industriels qui absorbent la pression.

Les contrôles de la DGCCRF veillent à la bonne application d'Égalim. Les distributeurs fautifs s'exposent à de lourdes sanctions.

Le Gouvernement vous rejoint sur l'objectif de renforcer Égalim. Nous espérons continuer le travail en ce sens.

Mme Béatrice Gosselin.  - Il faut toujours être vigilant sur les pratiques trompeuses de la grande distribution qui pénalisent nos agriculteurs. Sans sanction ferme ni contrôle renforcé, c'est la crédibilité d'Égalim qui sera compromise. Nos producteurs doivent être certains que leur travail est justement rémunéré.

Décrets d'application de la loi sur le cancer du sein

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - La loi du 5 février dernier visant à améliorer la prise en charge des soins et dispositifs spécifiques au traitement du cancer du sein, dont j'étais rapporteure, a été votée à l'unanimité dans les deux chambres. C'est une avancée majeure vers une égalité relative des milliers de femmes et des quelques hommes touchés dans leur parcours de soins et de guérison.

Nous sommes toutes et tous égaux devant le cancer : il peut frapper n'importe qui. Nous avons la responsabilité de maintenir cette égalité dans la prise en charge.

Alors que, partout dans le pays, de nombreuses initiatives sont prises dans le cadre d'Octobre rose, un temps fort pour encourager le dépistage et faire reculer la maladie, le Gouvernement n'a toujours pas fait paraître les décrets d'application de la loi votée il y a huit mois.

Mme Rist est la huitième ministre de la santé depuis 2022, mais les femmes qui luttent contre la maladie n'ont pas à être les victimes de la crise politique. Quand prendrez-vous les mesures réglementaires de nature à rendre effectifs les droits nouveaux prévus par la loi ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Mme Rist vous prie de bien vouloir excuser son absence. La question que vous soulevez revêt une importance fondamentale en cet Octobre rose.

Le Gouvernement a soutenu cette proposition de loi, qui améliorera la prise en charge des personnes atteintes d'un cancer du sein.

Le décret permettant aux patients en cours de traitement de bénéficier de soins de support en ville sera très prochainement transmis au Conseil d'État. Ce dispositif de parcours global était jusqu'ici réservé aux patients ayant achevé leur traitement.

Les travaux se poursuivent pour mettre en oeuvre les autres dispositions de la loi, dans le respect de l'intention du législateur. Certaines sont déjà satisfaites, et il convient de les articuler avec le cadre actuel : en particulier, la prise en charge à 100 % des actes et dispositifs spécifiques doit être harmonisée avec le régime des affections de longue durée.

Enfin, le Gouvernement prend des mesures pour renforcer l'accompagnement des femmes atteintes d'un cancer du sein. Un texte est en préparation pour mieux prendre en charge les prothèses capillaires ; en outre, la prise en charge de séances d'activité physique adaptée sera prochainement expérimentée.

Prochaine séance, lundi 20 octobre 2025 à 16 heures.

La séance est levée à 22 h 50.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du lundi 20 octobre 2025

Séance publique

À 16 heures et le soir

1. Proposition de loi visant à permettre à une commune d'être intégrée, pour une partie de son territoire, à un parc naturel national (PNN) et, pour une autre partie, à un parc naturel régional (PNR), présentée par M. Jean Bacci (texte de la commission, n°42, 2025-2026) (demande du groupe Les Républicains)

2. Proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, présentée par MM. Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Hervé Marseille, Mme Muriel Jourda et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission, n°28, 2025-2026) (demande du groupe Les Républicains)

3. Proposition de loi relative aux formations en santé, présentée par Mme Corinne Imbert et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°36, 2025-2026) (demande du groupe Les Républicains)