TABLE RONDE 1 - ACCORD ÉCONOMIQUE ET COMMERCIAL GLOBAL : QUEL IMPACT POUR LES ÉCHANGES FRANCO-CANADIENS ?

Table ronde animée par Mme Valérie LION, rédactrice en chef adjointe, service économie du magazine L'Express

Ont participé à cette table ronde :

M. Jean-Dominique IERACI, ministre conseiller et délégué commercial principal auprès de l'Ambassade du Canada en France
M. Frédéric KAPLAN, chef du service économique près l'Ambassade de France au Canada
M. Pierre-Marc JOHNSON, ancien Premier ministre du Québec, négociateur en chef du Gouvernement du Québec de l'Accord économique et commercial global (AECG)

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Mme Valérie LION . - La sixième édition du hors-série « S'installer au Canada » est parue hier. L'Express publie depuis plus de dix ans un hors-série sur ce sujet. Le Québec constitue la porte d'entrée naturelle du Canada pour les Français, mais l'ensemble du Canada offre des opportunités aux Français.

L'un des éléments-clés de la réussite professionnelle au Canada est le « réseautage » : cet événement vous permet justement d'échanger avec des professionnels issus des deux côtés de l'Atlantique.

Le Canada est un partenaire commercial important pour la France et ambitionne de l'être encore davantage ; en témoigne ce projet d'Accord de libre-échange, en négociation depuis le mois d'octobre 2009 et dont la conclusion est attendue avec impatience. Bien que cet accord n'ait pas encore été signé, MM. Frédéric Kaplan et Jean-Dominique Ieraci ont préparé une intervention commune, attestant de la bonne entente entre Français et Canadiens.

M. Jean-Dominique IERACI . -La France et le Québec travaillent ensemble efficacement dans le cadre des dossiers économiques et de partenariats commerciaux, afin que chacun y gagne.

Le Canada est un marché en soi. Il est la dixième économie du monde, celle-ci étant aussi en croissance. Bruno Laffont, PDG de Lafarge, affirmait d'ailleurs que le Canada est le seul pays développé bénéficiant d'une croissance digne des pays émergents.

Bien que notre croissance économique soit plus modeste cette année, les fondamentaux économiques sont positifs : le taux de chômage reste relativement faible et les finances publiques sont saines, permettant de maintenir bas les taux d'imposition, notamment sur les entreprises.

Le Canada regroupe plusieurs marchés. En effet, la distance entre Montréal et Vancouver équivaut à celle séparant Paris de Moscou. Par conséquent, commercer avec Montréal n'implique pas de commercer avec la Colombie britannique. En revanche, si vous exportez vos produits à Montréal et que vous vous y implantez, le marché du nord-est américain s'en trouve ouvert. En Amérique du Nord, les marchés sont intégrés le long d'un axe nord-sud et non est-ouest. Montréal est ainsi lié à New York, Toronto à Chicago et Vancouver à Seattle.

Le Canada est ouvert aux échanges de biens et de services. Son gouvernement souhaite accueillir les investisseurs étrangers déjà nombreux. Les barrières au commerce sont relativement limitées. Les États-Unis sont le marché le plus important pour les exportations canadiennes et réciproquement : ce commerce représente un million de dollars à la minute. Le pont entre Windsor et Detroit symbolise ce dynamisme : y passent des camions transportant toutes sortes de produits et traversant une frontière qui se doit d'être fluide. La quasi-totalité des secteurs sont porteurs au Canada.

M. Frédéric KAPLAN . - Le commerce bilatéral est significatif : bien que l'Allemagne exporte deux fois plus que la France en direction du Canada, cette dernière y investit deux fois plus. Nos marges de progression sont donc importantes. Notre commerce est équilibré. En 2012, la France a davantage importé de produits canadiens, particulièrement des matières premières, dont des hydrocarbures transformés. Ce commerce couvre de nombreux secteurs : l'énergie, les produits pharmaceutiques, l'agroalimentaire, l'aéronautique et la mécanique.

L'Union européenne (UE) négocie actuellement un accord de libre-échange avec le Canada suite à l'échec de l'OMC ; tous les blocs régionaux négocient d'ailleurs des accords bilatéraux. Cet accord concerne d'abord les tarifs douaniers, mais aussi de nombreux autres sujets : cet accord est le plus large jamais négocié par l'UE. Neuf négociations sont actuellement en cours, notamment avec l'Inde, la Malaisie, le Vietnam, le Japon et les États-Unis. L'UE ne disposant que d'une cinquantaine de négociateurs, il importe que les accords soient rapidement conclus afin de ne pas leur compliquer la tâche.

L'UE prévoit que si la totalité des accords étaient conclus, hors Japon et États-Unis, 2,2 millions d'emplois seraient créés et le PIB européen augmenterait de plus de 2 %, soit environ 280 milliards d'euros. L'accord avec le Canada concerne pour sa part la propriété intellectuelle et la concurrence, l'investissement et les mouvements de personnes. Un mécanisme de règlement des différends y a été inclus. Cet accord doit être compatible avec les accords existants, ce qui occasionne un travail juridique et commercial considérable. Au total, cet accord comportera douze chapitres, contre trois pour celui avec les États-Unis.

Mme Valérie LION . - Certaines difficultés ont été surmontées dans le cadre de ces négociations, même si l'UE regrettait cette semaine le retard pris. De plus, le contexte de crise a favorisé un regain de protectionnisme dans les pays développés. Pouvons-nous espérer que cet accord soit signé avant la fin de l'année ? Quels sont les sujets de dissension persistant ?

M. Pierre-Marc JOHNSON . - Un véritable accord global s'intéresse aux mouvements des biens, des personnes et du capital. L'objectif de base d'un accord de ce type est de favoriser ces mouvements, par la discipline que s'imposent les États. Ces derniers identifient les obstacles à la mobilité, mais négocient aussi 300 pages d'exceptions.

En termes de circulation des biens, trois dimensions comptent au-delà des procédures douanières : l'abolition ou la réduction des tarifs ; les règles d'origine, à savoir la façon de définir la provenance d'un produit ; les obstacles techniques au commerce.

Hors produits agricoles, les tarifs varient entre 3 % et 22 %, la moyenne étant située entre 5 % et 6 %. Dans certains secteurs, notamment celui des cosmétiques, ces tarifs sont considérables. La quasi-totalité de ces derniers disparaîtront grâce à cet accord : un taux de 6 % représentant habituellement la marge bénéficiaire d'une entreprise, il importe de les abolir.

Les règles d'origine posent différents défis, particulièrement concernant le sucre, tous les produits alimentaires en contenant. Le Canada ne produit pas de sucre, hormis la province de l'Alberta qui n'approvisionne cependant pas le marché domestique. Quant au sucre d'érable, il n'est pas utilisé dans tous les produits. Un produit alimentaire circulant du Canada vers l'Europe mais contenant du sucre brésilien peut être considéré comme canadien en fonction du pourcentage de sucre qu'il contient.

Les obstacles techniques ont permis aux États de mettre en place des politiques protectionnistes. Celles-ci sont également justifiées au nom de la santé et de la protection de l'environnement. Il n'est pas envisageable d'harmoniser les systèmes de ce type entre l'Amérique du Nord et l'Europe. Cependant, il est possible de s'assurer de la reconnaissance réciproque des accréditations et de la conformité des produits. En effet, des organismes scientifiques accordent une certification à un produit, l'autorisant ainsi à pénétrer un marché. Dans le futur, des organismes pourront octroyer la double accréditation, européenne et canadienne.

Le commerce de services est déjà très important. L'accord vise à proposer un encadrement juridique et à garantir l'exclusion de certains secteurs, comme l'éducation, les services sociaux et la santé. En matière d'investissement, l'accord garantira : le traitement national ; l'accès au marché ; l'absence de contrainte en termes de citoyenneté pour la formation des conseils d'administration ; et la protection contre les effets de mesure, source d'expropriation indirecte. Il proposera aussi un système de règlement des différends introduisant un haut niveau de médiation.

S'agissant de la mobilité des personnes, la définition du conjoint bénéficiant d'un visa de six mois, par exemple, est différente d'un pays à l'autre au sein de l'Europe. L'union de deux personnes de même sexe, acquise depuis longtemps au Canada, ne l'est pas toujours dans les autres pays. En outre, il convient d'assurer la fluidité des déplacements des hommes d'affaires et des personnes souhaitant investir, ainsi que des transferts intra-compagnies. Par ailleurs, l'Europe et le Canada s'inspireront de l'accord franco-québécois en matière de reconnaissance réciproque des qualifications.

Les marchés publics canadiens constituent un intérêt considérable pour les Européens. Ils représentent environ 100 milliards d'euros par an. La présence des provinces canadiennes dans la négociation est justifiée par cet enjeu : les marchés publics provinciaux seront désormais ouverts, à quelques exceptions près. Des entreprises françaises pourront soumissionner au-delà d'un certain seuil : dans le cas de la construction, ce seuil est fixé à 5 millions de dollars, sur le modèle de l'OMC, tandis qu'il s'élève à un demi-million de dollars pour les autres approvisionnements en biens et services.

Dans le domaine de la propriété intellectuelle, les négociations ont débuté par l'examen de 3 000 demandes d'indication géographique formulées par l'UE. Leur nombre a été réduit à 177. Quelques problèmes persistent quant à l'appellation de fromages et de charcuteries. La protection des droits de la propriété intellectuelle pharmaceutique constitue un objectif européen significatif, alors qu'elle pose des problèmes de coûts au Canada.

En effet, le système de médecine et d'hospitalisation canadien est largement socialisé ; certaines provinces, dont le Québec, disposent également de régimes d'assurance médicaments. Plus la durée de protection de nouvelles molécules est allongée, moins les fabricants de génériques ont accès à ce marché, plus l'État paie. Ce problème ne peut être réglé que par la mise en place d'un système de compensation par le gouvernement fédéral, ce qui fait débat.

Par ailleurs, les biens culturels ne sont pas uniquement des biens, ce que les Français comprennent très bien. Dans le cadre de ces négociations, la France trouvera une réponse favorable à ses aspirations, au-delà de ce qu'elle obtiendra probablement des Américains.

Mme Valérie LION . - La culture ne figurera pas dans l'accord qui sera négocié avec ces derniers ?

M. Pierre-Marc JOHNSON . - Dans le cadre de cet accord, nous trouverons des façons spécifiques d'exclure la culture, les produits culturels et la capacité des États à mettre en place des politiques culturelles.

Dans le domaine de l'agriculture, le forum sur les matières premières intéresse beaucoup l'UE, d'autant plus que la Chine manifeste aussi son intérêt pour les ressources naturelles du Canada. L'UE se préoccupe également de l'intégration verticale de la propriété de la ressource, de son traitement et du prix de la ressource et du produit fini. Un forum permettra d'échanger de manière permanente en termes réglementaires, d'environnement et de développement durable. Avec la prolifération des armes, l'argent sale et certaines coopérations multilatérales, l'agriculture fait partie des sujets reliés à la sécurité nationale ne relevant pas de la juridiction des provinces.

Après quatre ans de négociations, nous sommes parvenus à définir un contenu remarquable sur les plans industriel, commercial et des services. En revanche, les questions agricoles achoppent, étant d'une sensibilité politique considérable. C'est pourquoi, il pourrait être pertinent de disposer de deux régimes de négociation. Quelques enjeux liés à la propriété intellectuelle, à des questions financières et à la reconnaissance réciproque de la conformité des produits doivent encore être traités.

Il est souhaitable que cette entente soit conclue le plus rapidement possible. Le négociateur, même le moins patient, doit s'attendre à un délai minimum de trois mois. Nous avons découvert à travers cette négociation que nous avions des racines, des visions et des intérêts communs quant à différents enjeux : l'immigration, le financement des systèmes sociaux compte tenu des situations démographiques, nos systèmes de droit. Nous avons intérêt à régler ces problèmes, parce que le Canada est une économie ouverte, dont le peuple est commerçant, et que la conclusion de cette négociation serait utile à l'Europe avant d'amorcer celle avec les Américains.

Mme Valérie LION . - La prochaine séance de négociation est-elle programmée ? Par ailleurs, dans le domaine de l'agriculture, le sujet du boeuf canadien semble particulièrement sensible.

M. Pierre-Marc JOHNSON . - M. Steve Verhuel, le négociateur canadien, est toujours à Bruxelles, tandis que le négociateur européen, M. Maro Petrucciani, doit partir deux semaines pour le Japon d'ici la fin de la semaine. Par conséquent, nous nous retrouverons probablement lors de la deuxième semaine de juillet ; les questions agricoles seront à l'ordre du jour.

L'affaire du boeuf canadien est liée à celle du fromage européen : il a été proposé de laisser entrer autant de boeuf que de fromage. Néanmoins, il est plus difficile de faire un repas de fromage que d'un steak : une différence existe donc en termes de tonnages. Je souhaite que les ambitions de l'un et l'autre soient amoindries si elles devaient avoir pour conséquence de bloquer l'ensemble de l'accord. Sur ces questions, il appartient désormais aux dirigeants politiques de décider.

Mme Valérie LION . - Lorsque cet accord sera signé, les entreprises doivent être prêtes à faire preuve de mobilité rapidement.

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