TABLE RONDE 1 -
ÉTAT DES RELATIONS BILATÉRALES

Table ronde animée par M. Antoine CORMERY, Journaliste

Ont participé à cette table ronde :

M. Arun Kumar SINGH, Ambassadeur de l'Inde en France
M. Jean-Raphaël PEYTREGNET, Consul général de France à Bombay
M. Dan OIKNINE, Président de la Chambre de Commerce et d'Industrie franco-indienne

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M. Antoine CORMERY. - Je remercie le Sénat de nous accueillir et Ubifrance. France 24 -qui est partenaire de ce colloque- appartient au groupe France Médias Monde, groupe public qui fédère des médias tournés vers l'international. Cette chaîne est diffusée 24h/24 en français, anglais et arabe. Le groupe comprend également RFI, radio internationale diffusée en douze langues, et Monte Carlo Doualiya, radio arabophone.

Si nous sommes partenaires de cet évènement, c'est parce que nous nous développons, nous aussi, en Inde. Nous allons en effet signer au mois de novembre un accord de distribution, qui nous permettra d'être référencé par l'opérateur public DD Direct+, filiale du groupe public Prasar Bharati, et par le premier opérateur satellite privé, Dish TV. France 24 sera ainsi diffusée en version anglaise auprès de 30 millions de foyers indiens, soit un quart des foyers indiens équipés en télévision. Les antennes de France 24 seront délocalisées en Inde pour célébrer cet évènement.

Mon objectif sera, tout au long de cette matinée, de vous permettre d'obtenir des réponses aux questions que vous vous posez et d'entendre des témoignages de chefs d'entreprise et de responsables d'entreprises travaillant déjà avec l'Inde.

Quatre tables rondes structureront nos échanges :

- « État des relations bilatérales » ;

- « Approche d'un marché-continent : exporter ou s'implanter ? » ;

- « Se développer localement : financement et investissement » ;

- « Interculturalité et retours d'expérience ».

Monsieur Arun Kumar SINGH, Ambassadeur de l'Inde en France, je vous cède la parole.

Son Excellence Arun Kumar SINGH . - Monsieur Marc, Monsieur Lecourtier, Mesdames et Messieurs, c'est un honneur pour moi de participer à ce colloque sur les perspectives de collaboration entre nos deux pays.

Je souhaiterais en premier lieu remercier le Président du Sénat pour son message. MM. Marc et Lecourtier ont déjà exposé les principales caractéristiques de l'économie indienne ; je me contenterai d'apporter quelques éléments supplémentaires.

Comme certains d'entre vous le savent, j'ai été tout récemment nommé en France. J'ai, à cette occasion, eu l'opportunité de rencontrer les principaux dirigeants politiques indiens et français. J'en ressors avec la ferme conviction d'une volonté partagée de renforcer le partenariat entre nos deux pays. Tous les partis politiques, indiens comme français, soutiennent cette orientation.

750 entreprises françaises sont déjà implantées en Inde et y ont investi 17 à 18 milliards de dollars. J'ai déjà pu rencontrer les responsables de certaines de ces entreprises, qui m'ont fait part des difficultés d'entrer sur le marché indien, mais aussi de leur très grande satisfaction une fois ces obstacles levés.

Si les grandes entreprises sont dynamiques sur le marché indien, les petites et moyennes entreprises (PME) ne sont pas aussi présentes et nous devons faciliter leur implantation, car nombre d'entre elles disposent de technologies et de savoir-faire particulièrement intéressants. J'ai toutefois senti un intérêt croissant de la part des différents intervenants des Chambres de commerce locales que j'ai pu rencontrer. Certaines Chambres de commerce régionales entendent d'ailleurs très prochainement envoyer des délégations de PME en Inde afin d'explorer les opportunités d'exportation et de partenariat.

Plus de 60 % de la population indienne sera, dans les cinq ou six prochaines décennies, en âge de travailler. L'Inde forme plus de 500 000 ingénieurs et plus de trois millions de jeunes sont diplômés chaque année.

Plus de 200 millions d'Indiens appartiennent à la classe moyenne ou à la classe moyenne supérieure. Si la demande existe déjà, le potentiel reste néanmoins considérable. Environ 200 millions d'Indiens vivent encore dans la pauvreté tandis que 500 à 600 autres millions disposent encore de revenus modestes. Les opportunités ne se limitent toutefois pas aux Indiens les plus aisés. L'Inde compte d'ores et déjà 950 millions d'utilisateurs de téléphone portable. Les populations les plus rurales utilisent leur téléphone pour accéder à des informations sur le marché et mieux commercialiser leurs produits.

Si le taux de croissance indien n'est désormais plus que de 5 %, il reste encore bien supérieur à celui de nombreux autres pays. Pour sortir la population de la pauvreté, il faudrait un taux de croissance de 8 à 9 %.

Le Gouvernement indien a pris des mesures pour atteindre cet objectif. Les investissements directs étrangers (IDE) ont augmenté de 30 % au cours des dix dernières années, le Gouvernement les ayant récemment ouverts à de nouveaux secteurs : distribution mono et multimarques, aviation civile, télécommunications et agroalimentaire. L'ouverture du secteur bancaire a été élargie et la législation en matière d'investissements directs à l'étranger dans le secteur de la défense a été clarifiée.

Les signes d'une relance sont là. Les IDE s'élèvent au 1 er trimestre 2013 à 9,14 milliards de dollars alors qu'ils n'étaient que de 5,3 milliards l'année précédente, soit une croissance d'environ 70 %. Les exportations sont en hausse de 11,7 % en juillet. Si la valeur de la roupie a fluctué, certains ajustements étaient nécessaires compte tenu du niveau élevé du déficit courant et d'un taux d'inflation supérieur au taux d'inflation mondial. Néanmoins, l'annonce par la Réserve fédérale américaine (FED) d'un ralentissement de sa politique d'assouplissement quantitatif a eu un impact non négligeable. Ce phénomène témoigne également de la plus grande intégration de l'Inde à l'économie mondiale. Depuis, la situation s'est stabilisée et le taux de change a diminué, passant d'un niveau de 68 à 61-62 roupies pour un dollar. La Banque nationale indienne a parallèlement annoncé plusieurs mesures pour améliorer l'accès au crédit et réduire la volatilité de la roupie. Le taux d'endettement public a été également ramené de 73 % du PIB en 2006-2007 à 66 %. La dette extérieure indienne s'élève à 21,2 % du PIB ; la dette à court terme à 5,2 %. Les réserves de change, qui représentent 270 milliards de dollars, sont suffisantes pour pourvoir aux besoins du pays.

Nombre d'acteurs économiques s'interrogent sur les prochaines échéances électorales. Depuis 1990, les politiques suivies n'ont pas connu d'inflexion majeure, en dépit des changements successifs de gouvernement. Si les processus de décisions indiens sont parfois considérés comme longs, les exigences démocratiques impliquent la recherche d'un certain consensus social. Un responsable d'une grande entreprise française implantée en Inde que j'ai rencontré comparait l'Inde à un « énorme éléphant ». Il est important que cet éléphant continue à avancer dans la même direction. La direction et le rythme des réformes seront maintenus. J'invite ainsi les entreprises françaises à examiner les opportunités indiennes, en particulier dans les secteurs des télécommunications, de la santé, ainsi que des infrastructures et des services urbains. Aujourd'hui, 300 millions d'Indiens vivent en ville. Ils seront 650 millions en 2030. Les entreprises françaises sont bien positionnées pour construire les infrastructures urbaines de demain.

Je vous souhaite de fructueux échanges.

M. Antoine CORMERY. - Merci, je cède la parole à M. Jean-Raphaël Peytregnet, Consul de France, pour évoquer le point de vue français depuis Bombay.

M. Jean-Raphaël PEYTREGNET . - La présence française en Inde est très forte. Notre dispositif diplomatique et consulaire est le deuxième en importance derrière celui des États-Unis. La France a une ambassade à New Delhi, la capitale, et quatre consulats : un consulat à Bombay qui fêtera en 2015 son 150 ème anniversaire, un consulat à Pondichéry qui a également une compétence sur Chennai, un consulat à Bangalore, ville qui a connu un développement spectaculaire, et un consulat à Calcutta, autrefois capitale de l'Empire britannique.

La France est présente à travers 300 entreprises et au total 750 filiales. Les plus grands groupes français sont représentés au sein de la Chambre de commerce et d'industrie franco-indienne, dont le siège est à Bombay et qui dispose d'antennes sur l'ensemble du territoire indien. Les investissements français en Inde s'élèvent à 18 milliards d'euros. La France compte par ailleurs 10 000 expatriés connus auprès de ses services diplomatiques et consulaires. La présence française reste toutefois moins importante qu'en Chine. Afin d'en savoir davantage, je vous conseille la lecture du rapport rédigé par MM. Paul Giacobbi et Eric Woerth, disponible sur le site de l'Assemblée nationale.

Les relations bilatérales franco-indiennes sont excellentes. Il n'y a en effet pas « d'irritant » majeur entre nos deux pays. Le rapprochement franco-indien a débuté dans les années 1980, et s'est renforcé en 1998 lorsque le Président Chirac a conclu un partenariat stratégique avec l'Inde. Ce partenariat repose sur trois piliers :

- la défense : la Direction des Constructions navales (DCNS) construit des sous-marins Scorpène à Bombay et des discussions ont été engagées sur le projet Rafale. Chaque année, des exercices militaires interarmées sont menés tant en France qu'en Inde ;

- le nucléaire : la France construira une centrale nucléaire EPR à Jaitapur dans le sud de Bombay. Un accord a été signé sur les deux premières tranches, qui devraient être suivies de quatre autres ;

- la coopération spatiale : nous avons lancé deux satellites d'observation de la Terre à partir d'Inde et de Kourou.

Plus récemment, le Président François Hollande a choisi l'Inde pour sa première visite d'État en Asie. C'est un signe fort de l'importance que la France accorde à l'Inde comme pays émergent. Cette visite marque également la constance de notre engagement, au-delà des alternances politiques. Le Président de la République a souhaité transformer ce « partenariat stratégique » en un « partenariat stratégique global », à l'instar de celui que nous avons noué avec la Chine. Il a insisté sur trois points :

- le volet économique : l'objectif est de mettre en avant l'offre de la France, en particulier dans le domaine du développement urbain. L'Inde compte de nombreuses villes très peuplées encore pauvres en infrastructures. À Bombay notamment, capitale économique et financière de l'Inde et capitale du grand État industriel du Maharashtra, les opportunités sont nombreuses. Si l'économie indienne traverse une période plus difficile, l'avenir reste extrêmement prometteur. Je me rendrai avec l'Ambassadeur de France, dès mon retour en Inde, au Gujarat pour un séminaire consacré au développement urbain. Je vous invite à vous y inscrire ;

- la coopération universitaire : seuls 3 000 jeunes Indiens étudient en France, alors que nous formons 20 000 jeunes Chinois chaque année. Si l'Inde est un pays anglophone, la nouvelle loi adoptée en France permet à nos universités de dispenser quelques cours en langue anglaise. Nos grandes écoles de commerce proposent d'ores et déjà un tel enseignement. Le dispositif diplomatique français, en lien avec CampusFrance, cherche à inciter et favoriser la venue d'étudiants indiens, en facilitant l'obtention des visas ;

- le volet scientifique : ce secteur se développe grâce à l'appui du CEFIPRA (Centre Franco-Indien pour la Promotion de la Recherche Avancée). L'India-France Technology Summit se tiendra à New Delhi fin octobre. De très nombreuses entreprises françaises se sont déjà inscrites. Plusieurs ministres indiens et de nombreuses personnalités académiques participeront à cette manifestation.

Le consulat de Bombay est le plus important des consulats que la France compte en Inde. Notre circonscription comporte en effet quatre États particulièrement dynamiques :

- le Maharashtra, qui a comme capitale Bombay ;

- Goa, qui est l'État le plus riche d'Inde et qui accueille 40 000 touristes français chaque année ;

- le Madhya Pradesh qui est un État agricole, très dynamique ;

- le Gujarat, dont les habitants, Gujaratis et Parsis, sont commerçants depuis des millénaires.

Nous sommes là pour vous aider. Bienvenue à Bombay !

M. Antoine CORMERY. - M. Oiknine, je vous cède la parole pour présenter les activités de la Chambre de commerce et d'industrie franco-indienne.

M. Dan OIKNINE . - La Chambre de commerce et d'industrie franco-indienne est une structure de type associative créée il y a une trentaine d'années, qui a pour ambition de contribuer au développement des échanges bilatéraux et des investissements croisés. Nous travaillons en appui d'Ubifrance sur les flux franco-indiens et nous adressons en priorité aux petites et moyennes entreprises (PME).

L'Inde est un continent, ce qui nécessite des moyens financiers conséquents et une stratégie sur la durée. Les PME doivent ainsi disposer d'une certaine taille pour conquérir l'Inde ou être positionnées sur des niches technologiques.

La France n'est malheureusement qu'en neuvième position en termes d'investissements en Inde alors qu'elle pourrait être beaucoup plus active au regard de ses savoir-faire.

L'Inde est un pays extrêmement complexe par sa culture, sa taille et sa diversité. Les entreprises françaises (grandes entreprises et entreprises de taille intermédiaire -ETI-) n'y connaissent pas toujours le succès espéré. Les échanges entre l'Inde et la France représentent entre 6 et 7 milliards d'euros alors qu'un objectif de 12 milliards d'euros, avait été fixé par les Présidents Sarkozy et Singh. Les responsabilités sont partagées. Au-delà de l'alternative entre exportation et implantation, le partenariat doit être privilégié. L'Inde a en effet besoin de savoir-faire et de technologies. Elle peut offrir des ressources humaines abondantes et éduquées à un coût relativement faible. Parmi les grands pays développés, la France est le seul pays ayant une culture de partage et de transfert de technologies. Cet atout lui permettra de se distinguer de ses concurrents, notamment anglo-saxons. Les négociations exclusives engagées sur le Rafale en témoignent.

La collaboration bilatérale est relativement ancienne, en particulier dans les domaines de la défense, de l'aérospatiale et de l'aviation. Airbus est d'ailleurs un des plus gros contributeurs aux échanges commerciaux franco-indiens. Plusieurs champs doivent concentrer notre attention :

- les infrastructures, pour lesquelles l'expansion des villes offre de nombreuses opportunités ;

- l'eau (accès à l'eau potable, gestion et traitement des déchets), où il convient de « transformer l'essai » ;

- l'énergie, sans se limiter au seul nucléaire. L'Inde rencontre un véritable problème de sécurité des approvisionnements et de la distribution. Plus de 50 % de l'énergie indienne proviennent du charbon, 30 % du pétrole. L'objectif est de diminuer la part du charbon au profit du gaz naturel, mais surtout des énergies alternatives, avec une priorité accordée au solaire, et de porter parallèlement la part du nucléaire de 1 % à 8-9 % du mix énergétique.

Ubifrance et les Chambres de commerce sont des facilitateurs. Nos équipes, mobilisées, sont extrêmement nombreuses sur le territoire indien. Les grandes entreprises doivent s'impliquer davantage aux côtés des PME au-delà du schéma contractant/sous-traitant, et « chasser en meute » comme les Allemands, qui obtiennent d'ailleurs de bien meilleurs résultats.

Nous avons une vraie proximité avec les Indiens. Nous sommes en effet le seul pays développé considéré comme « non-aligné ». Notre histoire commune doit également être mise à profit économiquement.

M. Antoine CORMERY. - Avez-vous des questions à poser à nos intervenants ? M. Dan Oiknine, dans quel secteur d'activité travaillez-vous ?

M. Dan OIKNINE . - Je travaille dans le négoce des matières premières et ressources naturelles. Je suis bénévole au sein de la Chambre de commerce et d'industrie franco-indienne.

M. Bernard BABO, International Operations Manager, société Trèves . - Trèves est un équipementier qui compte 13 implantations et 1 200 collaborateurs en Inde. Les ressources humaines constituent un atout majeur, permettant de limiter le nombre d'expatriés. L'Inde, championne de « l'innovation frugale », est le pays qui exporte le plus de véhicules low cost . Néanmoins, nous sommes confrontés à d'importants problèmes d'approvisionnement énergétique. La lisibilité des politiques des différents États à cet égard est extrêmement faible.

M. Jean-Raphaël PEYTREGNET . - Je vous invite à vous tourner vers l'État du Gujarat, à l'instar de l'entreprise Tata. Si de nombreux États connaissent des coupures d'électricité, ce n'est pas le cas du Gujarat, qui est l'État indien le mieux doté en infrastructures, notamment portuaires. Le Gouvernement gujarati, dont les méthodes peuvent faire polémique, offre un cadre économique propice aux affaires (législation favorable en matière d'acquisition des terrains et de taxes, moindre corruption). J'ajoute que deux projets de centrales nucléaires développés par Westinghouse viendront encore renforcer les capacités énergétiques.

Mme Céline FERREIRA, Stagiaire BPI France . - Combien de PME et ETI françaises sont-elles présentes sur le territoire indien ?

M. Dan OIKNINE . - 700 entreprises sont implantées en Inde. 400 entités y sont réellement actives, dont environ un quart d'ETI.

M. Jean-Raphaël PEYTREGNET . - Les PME et ETI sont beaucoup moins présentes que les grands groupes, à la différence de nos homologues britannique et allemand. L'Inde, dont plus de 60 % de la population est composée de jeunes, offre pourtant de nombreuses opportunités, à la différence de la Chine, qui est peut-être parvenue à la fin d'un cycle. J'ai rencontré de nombreux jeunes, implantés à Bombay ou dans d'autres villes indiennes, extrêmement satisfaits de leur expérience indienne.

M. Antoine CORMERY. - Merci à l'ensemble de nos intervenants.

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