TABLE RONDE 1 -
LES ATOUTS DU MARCHÉ JAPONAIS

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

Mme Christel PERIDON, Chef du service économique, ambassade de France au Japon

M. Susumu KATAOKA, Directeur général, Jetro France

M. Benjamin REVCOLEVSCHI, Directeur général, Fujitsu France

M. Bruno G. GESCHIER, Directeur commercial et marketing, Idéol (éolien en mer flottant)

1. Un marché attractif et stable

Mme Christel PERIDON - Certains pensent sans doute que le Japon est un marché lointain, compliqué, parfois difficile d'accès, mais ils oublient souvent que le Japon est un pays riche. Il reste en effet la troisième puissance économique mondiale. Le Japon a profité des années un peu compliquées après la crise asiatique. Durant deux décennies, le pays a assaini ses finances. Ses entreprises ont consenti d'importants efforts en la matière. Le Japon a ainsi regagné en compétitivité. Il est classé aujourd'hui par le World Economic Forum à la 5ème place mondiale. Voilà cinq ans, il occupait encore la 9ème place. Pour mémoire, la France est classée 17ème aujourd'hui.

Le marché japonais est riche. Le pouvoir d'achat moyen de la population est important. La richesse atteint en effet 42 000 dollars par habitant, un niveau comparable à ceux de l'Union européenne. Le Japon dispose d'un marché domestique large et mature, avec 126 millions de personnes, soit presque le double de la France. La classe moyenne y est importante et relativement homogène. Les consommateurs japonais exigent de la qualité, mais ils sont aussi avides de nouveauté. La consommation privée tire particulièrement fortement la croissance. Elle représente 57 % du PIB du Japon contre 52 % en France. Au cours des dix dernières années, l'investissement des entreprises japonaises a également beaucoup progressé. Mis à part en 2016, il a augmenté de façon constante au cours de la période.

M. Arnaud FLEURY - Sur le premier semestre, nous avons cependant observé un tassement des dépenses des ménages, des investissements des entreprises et des exportations. Le Japon serait ainsi en contraction de 0,2 %. Ce phénomène pourrait-il rester ponctuel selon vous ?

Mme Christel PERIDON - Nous nous attendons à une possible récession sur le premier, voire sur le deuxième trimestre. En 2018 déjà, la croissance a presque été divisée par deux par rapport à l'année précédente. Le Japon subit, comme les autres pays, le ralentissement de la conjoncture économique internationale, notamment provenant de la Chine. Cette situation devrait cependant se révéler temporaire. La croissance reprend en Chine.

La baisse de la croissance au Japon vient essentiellement d'une réduction de son commerce extérieur. Nos pronostics sont donc plutôt optimistes. Nous nous attendons à un rebond sur la deuxième partie de l'année. Ces résultats sont toutefois tributaires de l'évolution des tensions commerciales internationales. L'enjeu consiste de faire en sorte que le commerce puisse progresser de manière équilibrée et selon des règles acceptées par tous.

M. Arnaud FLEURY - Le Japon s'ouvre très largement au monde aujourd'hui.

Mme Christel PERIDON - Le Japon s'ouvre de façon croissante à l'extérieur et cette évolution se traduit dans l'ensemble des chiffres. Le Japon semble moins ouvert toutefois que son voisin coréen. Rapportées au PIB, en effet, les exportations japonaises s'apparentent à celles de la Chine, mais elles sont deux fois moins élevées que celles de la Corée.

Les chiffres du tourisme connaissent une croissance accélérée. Le Japon a accueilli 30 millions de touristes en 2018 et ambitionne d'en recevoir 40 millions à l'horizon 2020. Les Jeux olympiques constitueront d'ailleurs un événement extrêmement important pour accélérer les investissements des entreprises. Le Japon représente l'un des premiers investisseurs à l'échelle internationale et se classe parmi les six premiers du monde. Pourtant, il reçoit encore très peu d'investissements étrangers sur son sol (moins de 5 % de son PIB). Le pays a parfaitement conscience de cet état de fait et souhaite, plus encore qu'hier, accueillir des investissements étrangers.

Cette ouverture se traduit par des partenariats qui s'exercent aussi dans des pays tiers. Nous notons de plus en plus de partenariats intelligents entre des entreprises japonaises et françaises en Afrique et sur l'axe indopacifique. Nous avons vu des PME françaises s'allier à de grands groupes japonais pour leur offrir une expertise que ceux-ci ne possédaient pas, sur les marchés du laser par exemple.

La France représente aujourd'hui un partenaire commercial du Japon assez modeste.

Notre part de marché oscille entre 1 et 2 %, soit dix fois moins que les Etats-Unis, vingt fois moins que la Chine et trois fois moins que l'Allemagne. Les investissements japonais en France sont moitié moindres qu'en Allemagne et dix fois moins importants qu'au Royaume-Uni. Cette situation est cependant en cours d'évolution.

Le Japon perçoit de plus en plus la France comme un écosystème d'innovation. Il pourrait augmenter ses investissements dans notre pays en implantant des sites industriels, mais aussi en prenant davantage de participations dans des sociétés françaises pour acquérir de l'expertise sur des créneaux de niche.

Les échanges commerciaux restent assez modestes, mais l'enjeu des relations bilatérales entre la France et le Japon ne doit pas seulement être mesuré en termes d'exportations ou d'importations. Ce sont les partenariats qui permettront à terme aux échanges de passer à une autre dimension. Aujourd'hui, nous constatons une curiosité de part et d'autre pour des partenariats plus solides. Le Japon expérimente avant d'autres pays développés le vieillissement de sa population et une évolution de son mix énergétique. Le pays, dont le mix énergétique repose encore à 24 % sur le charbon, doit se tourner davantage vers les énergies renouvelables et promouvoir l'hydrogène. Or il ne peut plus s'engager seul dans ces évolutions ; il a besoin de trouver des relais de croissance et se tournera donc de plus en plus vers des entreprises, notamment françaises. Ce besoin change fondamentalement la donne pour vous, entreprises. Des PME peuvent apporter une expertise sur des créneaux de niche à des entreprises japonaises et cette situation est appelée à se développer. Le Japon est ouvert aux grands groupes, aux PME, mais aussi aux startups. De plus en plus de groupes japonais nous sollicitent pour développer leurs relations avec des startups françaises, y compris dans la Fintech, et le salon VivaTech a pu montrer hier l'importance des partenariats en la matière.

Dans ce contexte, l'accord de partenariat économique entre l'Union européenne et le Japon constitue une étape charnière. Tout reste possible pour accroître les marges de manoeuvre. Cet accord a vocation à réduire les droits de douane, avec un système de baisse progressive des tarifs en vue d'aboutir à terme à une libéralisation complète. Il existe trois types de réductions des tarifs. Certains produits bénéficient de tarifs nuls immédiatement, comme le vin. Cette suppression explique l'augmentation phénoménale des exportations vers le Japon au cours des derniers mois. D'autres produits connaîtront une baisse plus progressive comme certains produits laitiers, le cuir ou la maroquinerie. Enfin, les produits dits sensibles feront l'objet de contingents tarifaires avec des droits de douane réduits dans le cadre d'un volume limité pour protéger le marché japonais.

Cet accord ne porte pas seulement sur la baisse des droits de douane. Il vise aussi à réduire un certain nombre d'obstacles non tarifaires sur le marché.

Il tend à l'harmonisation des normes de part et d'autre avec les normes internationales. Le Japon reste une île et les normes y sont plus spécifiques qu'ailleurs. Cet accord a vocation à en amenuiser certaines, de sorte, par exemple, qu'une voiture européenne exportée au Japon ne soit pas nécessairement testée si elle l'a déjà été en Europe, comme c'était le cas avant la mise en oeuvre de ce texte.

La mise en oeuvre de l'accord se déroule plutôt bien aujourd'hui. Nous n'avons aucune crainte quant à la capacité du Japon à respecter ses engagements en matière de baisse des droits de douane.

Nous restons néanmoins vigilants sur les obstacles non tarifaires. Il ne s'agit pas d'un manque de volonté de la part des Japonais. Le pays a toutefois développé un grand nombre de normes spécifiques et nous avons besoin de faire de la pédagogie vis-à-vis de certaines administrations, notamment des douanes japonaises pour que les dispositions de l'accord s'appliquent concrètement sur le terrain.

2. Le Japon en quête de collaborations à l'international

M. Arnaud FLEURY - Le Japon n'est plus impénétrable. L'état d'esprit des entreprises japonaises a également changé, porté par l'accord de libre-échange.

M. Susumu KATAOKA - Je tiens à remercier Madame Peridon. L'opinion des Français sur le Japon est souvent plus convaincante que celle des Japonais vis-à-vis de leur propre pays. Les entreprises japonaises sont en quête de collaborations internationales. Certains Français ayant déjà vécu l'expérience du Japon estiment même l'idée que le marché japonais est beaucoup plus facile que certains marchés européens.

La situation a beaucoup évolué depuis le lancement par le gouvernement, en 1992, de la campagne « Le Japon, c'est possible ». J'y vois deux raisons. Nous observons tout d'abord un changement dans l'état d'esprit des entreprises japonaises. Plus de 70 % des grands groupes japonais et plus de la moitié des PME souhaitent renforcer leur présence à l'étranger ou se développer à l'international. Pour ce faire, l'industriel japonais cherche des partenaires sérieux et fiables qui possèdent des savoir-faire reconnus et des réseaux internationaux.

M. Arnaud FLEURY - La stratégie de croissance du Premier ministre portera-t-elle ses fruits ? Les investissements étrangers restent assez faibles pour l'instant.

M. Susumu KATAOKA - Avant de prendre mes fonctions à Paris en 2016, j'étais en charge, au sein du cabinet du Secrétariat du gouvernement, de la stratégie de croissance. Cette stratégie a déjà commencé à porter ses fruits dans différents domaines. Elle comporte une série de mesures avec des objectifs à horizon 2020, l'année des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo. Pour tenir cette échéance symbolique, les secteurs privé et public sont fortement mobilisés. Le gouvernement a pour objectif de mettre en service des voitures autonomes à l'occasion des Jeux. Or depuis 2007, plus d'une quarantaine de projets et démonstrateurs de véhicules autonomes sans chauffeur a été testée et une partie des voitures vient de sociétés françaises.

M. Arnaud FLEURY - La perspective des Jeux olympiques entraîne aussi un renforcement des partenariats public-privé et la demande du Japon s'accroît dans les domaines de la mobilité, la santé, l'énergie, la robotique, l'intelligence artificielle... Les deux pays peuvent s'apporter des solutions dans ces secteurs.

M. Susumu KATAOKA - Tout à fait. Les entreprises japonaises cherchent aujourd'hui des partenaires étrangers fiables. Les Français possèdent un savoir-faire dans le domaine du logiciel et du software tandis que les Japonais sont plus forts dans celui de l'industrie manufacturière. Il existe donc une vraie complémentarité. C'est aussi pour cela que nous préconisons des partenariats entre nos deux pays.

M. Arnaud FLEURY - Le Jetro a pour vocation d'accompagner les PME japonaises à l'international. Comment vous organisez-vous ? Avez-vous des exemples d'entreprises japonaises qui ont décidé de s'orienter vers la France ?

M. Susumu KATAOKA - Nous soutenons les PME japonaises à exporter à l'international, notamment sur les marchés européens. Il est trop tôt à ce stade pour identifier des entreprises japonaises qui profitent déjà de l'accord. Dès avant l'entrée en vigueur de ce texte, certains secteurs comme l'agroalimentaire avaient marqué un intérêt très prononcé pour cet accord qui leur offre des opportunités énormes avec la disparition immédiate ou progressive des tarifs douaniers. Je pense notamment au saké japonais. La consommation de saké sur le marché français devrait tripler en cinq ans pour atteindre 2 millions d'euros.

M. Arnaud FLEURY - Les whiskys japonais figurent aussi parmi les meilleurs au monde aujourd'hui et peuvent trouver leur place dans nos pays. Vous connaissez aussi des entrepreneurs français que vous pouvez accompagner à votre manière au Japon.

M. Susumu KATAOKA - Depuis mon arrivée en France, voilà trois ans, je suis frappé de voir le nombre de sociétés et startups françaises qui ont sollicité le Jetro pour obtenir des conseils afin de développer leur business au Japon. Cet accord se révèle ambitieux et je souhaite que le partenariat entre nos deux pays soit toujours aussi florissant au fil des années.

3. L'innovation au coeur du modèle japonais

M. Arnaud FLEURY - Quelles sont les proximités et les différences entre les écosystèmes d'innovation du Japon et de la France ?

M. Benjamin REVCOLEVSCHI - Fujitsu est présent en France depuis une vingtaine d'années. J'ai pris la direction de cette filiale voilà quatre ans et je vous propose de partager l'expérience que je vis au quotidien.

De nombreux aspects nous rapprochent, en particulier l'éthique dans l'innovation et les data. Le Japon a exprimé la volonté de fonder une société 5.0 très axée sur l'éthique, avec l'adequacy decision sur l'export des données personnelles en janvier 2019 ou la data free flow decision sur les données non personnelles. France et Japon se rapprochent sur la manière de construire une société autour de la data.

Nous sommes également confrontés à des enjeux identiques. Nous sommes deux pays d'ingénierie, d'innovation, même si le Japon reste loin devant avec 40 des 100 plus grands centres de recherche publics et privés dans le monde alors que la France n'en compte que 7. Nous recherchons des deux côtés à redynamiser cette avance sur l'innovation face aux écosystèmes chinois et américains. Une étude du BCG parue voilà quelques semaines montrait que dans nos deux pays, les cycles d'innovation se révèlent relativement longs par rapport aux entreprises chinoises. En France, un cycle d'innovation prend 13 mois aujourd'hui, soit deux fois plus qu'en Chine.

Enfin, je vois une vraie proximité dans la culture du travail, une écoute réciproque. Dans les réunions sur l'innovation, Français et Japonais se retrouvent, car nous sommes très sensibles aux propos des autres, aux émotions. Un patron japonais me disait récemment qu'il trouvait plus de proximité avec ses équipes françaises qu'avec ses équipes allemandes, car ils rient ensemble. Je le vis moi aussi au quotidien dans la manière de travailler avec nos collègues japonais.

M. Arnaud FLEURY - Au Japon, l'innovation est plutôt portée par les grands groupes, en association avec le monde académique, alors qu'en France, celle-ci vient des startups et des réseaux.

M. Benjamin REVCOLEVSCHI - Au Japon, en effet, 40 % du capital-risque est porté par les grandes entreprises, avec des fonds de taille importante, de l'ordre de 70 à 80 millions d'euros. En France ou en Europe, la part des grandes entreprises représente plutôt 15-17 %. Les écosystèmes de startups sont très dynamiques en France. Les Japonais regardent la façon dont la French Tech s'est développée depuis une dizaine d'années et essaient, avec le Japan Startup Program que nous soutenons chez Fujitsu, de répliquer ce modèle.

Nous pouvons observer une autre différence dans la culture de l'innovation. Au Japon, l'innovation est très itérative, axée sur l'amélioration continue. L'individu s'efface dans le groupe. En France, au contraire, nous privilégions plutôt l'innovation disruptive, dans une course à la meilleure idée, à la différenciation.

M. Arnaud FLEURY - Les Japonais sont à la recherche de concret. Ils veulent presque toucher cette innovation.

M. Benjamin REVCOLEVSCHI - Cela fait partie, effectivement, des conseils pratiques que je pourrais donner pour travailler dans l'innovation au Japon. Les cycles de décision sont longs et il faut s'y préparer. Ensuite, les Japonais s'engagent pour très longtemps dans une relation de confiance. Il importe également de multiplier les contacts. Lors de ma prise de poste, on m'a conseillé de privilégier dix échanges de dix minutes plutôt qu'un échange de deux heures. Il faut se voir régulièrement, car c'est ainsi que se crée la confiance.

Intégrer quelques Japonais dans les équipes françaises permet aussi de décrypter les silences. Les mots n'ont pas toujours le même sens. Pour les Français, un centre de recherche peut correspondre à des équipes. Pour les Japonais, en revanche, il s'agit d'un bâtiment. J'ai le souvenir d'avoir envoyé de nombreux slides au Japon avant de réaliser au bout de six mois que personne ne les lisait. Tous les messages étaient synthétisés dans une feuille A3. Il faut comprendre la façon dont les Japonais raisonnent.

Enfin, les Japonais souhaitent voir la solution. Il faut faire parler des clients concrets pour convaincre nos investisseurs japonais.

M. Arnaud FLEURY - Fujitsu a créé un centre d'excellence en France avec 50 millions d'euros d'investissement sur la sécurisation des réseaux bancaires via l'intelligence artificielle. Qu'est-ce que votre groupe peut proposer aux entreprises françaises au Japon ?

M. Benjamin REVCOLEVSCHI - Fujitsu se montre très actif dans l'innovation franco-japonaise. Notre président est venu en France huit fois au cours des dernières années. Le salon VivaTech, en 2016, l'a beaucoup marqué. Il a pu y rencontrer des patrons de startups , voir le dynamisme de la French Tech et de nos grands champions mondiaux. Nous oublions que des groupes comme Schneider Electric ou Total réalisent 50 à 80 % de leur chiffre d'affaires hors de France. Or les grands groupes japonais cherchent à s'internationaliser et il est très important pour eux de s'allier à ces champions.

Au Japon, nous accueillons des délégations de PME et startups françaises. Nous avons par exemple monté des projets à Tokyo avec Scality, une entreprise dynamique sur le stockage de données. Ces entreprises françaises qui ont compris les codes ont vocation à s'imposer dans l'innovation. L'intelligence artificielle et l'excellence mathématique à la française sont reconnues auprès des Japonais. Il faut les pousser.

M. Arnaud FLEURY - Quelles évolutions l'APE peut-il apporter pour Fujitsu dans la vente de ses produits ou le développement de ses programmes ? L'accord peut-il modifier sa stratégie d'implantation ou instaurer un nouvel état d'esprit ?

M. Benjamin REVCOLEVSCHI - L'APE constitue surtout un cadre qui permet de renforcer la confiance dans nos relations face aux pôles américains et chinois. Cet axe Europe-Japon s'avère extrêmement rassurant, car il conforte notre stratégie. Pour les PME, l'accord offre une réassurance sur la facilité de faire du business . Chez Fujitsu, nous n'en voyons pas d'impact concret pour l'instant, mais ce cadre ancre un futur stable, solide et digne de confiance qui se révèle extrêmement favorable pour nous.

4. Le Japon, une référence pour l'Asie

M. Arnaud FLEURY - La société Idéol, basée à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), a développé et breveté une solution d'éolien en mer flottant. Vous êtes en train de construire un démonstrateur en partenariat avec des entreprises japonaises au Japon.

M. Bruno GESCHIER - Ce démonstrateur a été construit ; il est en exploitation depuis septembre dernier et sera officiellement baptisé la semaine prochaine.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez réussi à imposer une solution française innovante. Les grands groupes japonais ont retenu votre solution et travaillent avec vous pour la démonstration et, demain, pour la multiplication de ces systèmes particulièrement adaptés aux spécificités physiques du Japon.

M. Bruno GESCHIER - L'éolien flottant permet d'installer des éoliennes en mer sans contrainte de profondeur, loin des côtes, dans une logique de réduction de la pollution visuelle. Le Japon possède des fonds marins qui tombent très rapidement à de fortes profondeurs et ne peut développer des éoliennes posées en mer comme le Royaume-Uni, le Danemark ou l'Allemagne. L'éolien flottant constitue donc un sujet stratégique pour le Japon. Le pays a déjà investi des centaines de millions sur le sujet avec quatre démonstrateurs issus de technologies japonaises. Il a réussi à démontrer la viabilité technique de ces solutions. Malheureusement, les technologies que ses universités de Tokyo, d'Osaka ou de Fukuoka avaient développées étaient certes techniquement irréprochables, mais économiquement peu viables. Mandaté par le NEDO, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) japonais, le Japon est parti à la recherche de nouvelles solutions à l'étranger. Notre technologie a été sélectionnée, car elle permet de réduire fortement le coût de cet éolien flottant. Nous sommes toujours dans une première phase. Ces projets se déploieront commercialement dans les années 2023, 2025 ou 2030.

M. Arnaud FLEURY - Ces projets représentent plusieurs milliards d'euros.

M. Bruno GESCHIER - Tout à fait.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez obtenu un soutien académique important. Le Japon a développé des certifications très exigeantes. Vendre une solution au Japon constitue une référence dans d'autres pays, tant l'exigence japonaise est réputée dans toute l'Asie.

M. Bruno GESCHIER - Effectivement. Au Japon, exigence, rigueur et perfection sont de mise. Cette rigueur, nous la retrouvons dans le monde académique japonais. Les grandes entreprises et les agences gouvernementales japonaises emploient des référents techniques issus de grandes universités. Lorsqu'une technologie innovante est sélectionnée par une entreprise japonaise avec la validation de ces référents techniques, elle bénéficie d'une crédibilité immédiate. Cette image de sérieux de la solution se répercute dans toute la zone, que ce soit à Taïwan, au vu de la relation de proximité historique entre les deux pays, mais aussi en Corée, voire en Chine.

M. Arnaud FLEURY - Une PME peut imposer une innovation au Japon. Quel est l'impact de l'APE pour vous ? L'accord permettra-t-il une convergence à terme des normes et des standards ?

M. Bruno GESCHIER - Nous l'espérons. Nous bâtissons actuellement des partenariats avec des agences gouvernementales, des organismes de certification et des universités pour accélérer la reconnaissance bilatérale. Du point de vue douanier, cet accord ne va pas nécessairement nous aider, mais il crée un climat de confiance à long terme nécessaire, compte tenu de la culture japonaise axée sur l'établissement de partenariats au long cours.

Le Japon est important pour une petite startup comme la nôtre. Avant de nous développer dans ce pays, notre entreprise comptait 15 personnes et ne réalisait pas de chiffre d'affaires. Le Japon nous a offert l'opportunité de passer très rapidement à 45 personnes. Après la signature de notre premier contrat commercial, il représente aussi l'intégralité de nos trois premières années de chiffre d'affaires. Si nous pouvons le faire, bien d'autres peuvent le faire aussi.

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